Du même auteur - Au diable vauvert

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Du même auteur - Au diable vauvert
Du même auteur
MICROSERFS, roman, 10/18
GÉNÉRATION X, roman, 10/18
TOUTES LES FAMILLES SONT PSYCHOTIQUES, roman, Au diable
vauvert, 10/18
GIRLFRIEND DANS LE COMA, roman, Au diable vauvert, 10/18
HEY, NOSTRADAMUS !, roman, Au diable vauvert, 10/18
ELEANOR RIGBY, roman, Au diable vauvert, 10/18
Ouvrage traduit avec le concours du Centre national du livre.
ISBN : 978-2-84626-221-7
Titre original : JPOD
© Douglas Coupland, 2006
© Éditions Au diable vauvert, 2010, pour la présente édition
Au diable vauvert
www.audiable.com
La Laune BP72 30600 Vauvert
Catalogue disponible sur demande
[email protected]
DÉFINITIF
DÉFINITIF. DÉFINITIF
définitif. POUR DE VRAI
DÉFINITIF. version 2
absolument. DÉFINITIF
DÉFINITIF.2
DÉFINITIF.3
DÉFINITIF.3.01
DÉFINITIF.3.02
DÉFINITIF. opérationnel
1n
2eux
3rois
4uatre
5inq
6ix
7ept
8uit
9euf…
… Meilleur !
… Rêve !
… De ma vie !
Jouer avec Gene Simmons
Jouer avec Iron Man
regarde_moi_xploser
332 sur 438 commentaires
Sentimentalisme
universel
La mort du chihuahua
Conduire le stand de hot-dogs sur la patinoire
Gap de la mort
Faire un boneless
Vous voulez faire franchir un nouveau palier à votre entreprise ? Utilisez de nouvelles stratégies pour améliorer vos
revenus et localisez les parkings et aires de service pour poids
lourds où il suffit de claquer des doigts pour se payer un
orgasme. Faites en sorte que vos plaisanteries dans l’ascenseur soient drôles mais pas spirituelles. Obtenez de la publicité
gratuite même si vous n’avez rien à promouvoir. Traitez avec
des gens effrayants que vous ne respectez pas et dont les
coupes de cheveux coûtent manifestement bien plus cher que
la vôtre. Établissez une crédibilité pour des tâches que vous
détestez accomplir. Clarifiez vos valeurs mais souvenez-vous
qu’un million de fois rien égale toujours rien. Lisez des articles
de magazines économiques rédigés par des enfants et des
adultes qui n’ont jamais possédé d’entreprise. Obtenez plus
de recommandations en vous pomponnant davantage et en
lançant plus de phéromones ; en fait, ne vous lavez pas le
périnée, cette petite zone entre les parties génitales et
l’anus. C’est valable pour les deux sexes. Le sexe est partout,
même dans l’environnement professionnel le plus morne. Mais
alors, la mort aussi. Trouvez le juste milieu. Balayez les
objections en simulant un manque total d’éducation. Personne
n’ira jamais vérifier vos références à moins que vous ne soyez
candidat à des fonctions officielles ou deveniez directeur
d’école ; le message secret est « ne visez pas le haut de
l’échelle – visez deux crans plus bas. » Cela dit, vous deviendrez quand même amer de ne pas être arrivé au sommet.
Même quand la vie est belle, elle ne l’est pas vraiment.
Prenez des engagements, puis laissez tomber les gens.
Augmentez les ventes et ne recevez rien en retour. Vendez
plus grâce à votre marketing en ligne et votre site Internet,
mais ne montrez pas trop vos dents sur votre photo de presse.
Faites des fautes d’orthographe dans votre CV et demandezvous ensuite pourquoi personne ne vous rappelle. Jouez à
Freecell et n’apportez aucune contribution au monde mais
renez plaisir à le faire. Oui ! Vous pouvez améliorer votre stratégie marketing et vos ventes, mais les gens vous trouveront
plutôt ennuyeux pendant ce temps-là, et si ça marche, les
gens penseront quand même que vous n’êtes pas cette
gentille personne qui était prometteuse à l’époque du lycée.
Rappelez-vous également que le lycée est une obsession
nord-américaine. Les Européens trouvent cette obsession
puérile, et dès que vous utilisez une métaphore qui a trait au
lycée, leur attention se détourne. Ils sont juste jaloux. Il y a un
bien meilleur moyen de promouvoir vos produits et vos services, mais c’est peut-être trop novateur, et peut-être n’êtesvous pas prêt pour toute cette nouveauté. Si vous voulez
développer votre entreprise à moindre effort, alors vous rêvez
complètement. Que vous démarriez tout juste ou que vos
affaires vous aient rapporté un million l’année dernière, tout
ceci est plutôt flippant et futile, pas vrai ? Il y a trop de gens
sur Terre, c’est tout. Il n’y aura plus de pétrole d’ici à la fin de
votre vie. Quelle est votre stratégie complémentaire pour augmenter les ventes et les bénéfices ? Honnêtement, si vous
n’avez pas encore adhéré à une organisation type Kiwanis,
faites-le sans plus attendre. La plupart des décisions commerciales dans votre ville sont prises par des types d’un certain
âge qui mangent des repas médiocres à base de poulet dans
des salles de réception d’hôtels avant de partir faire des
courses de karting à poil, le corps enduit de crème chantilly.
Peu importe que votre projet soit plein de bon sens, si les
types avec leur fez ont choisi Murray pour reprendre le bail de
ces bureaux sur lesquels vous aviez des vues, alors vous êtes
baisé jusqu’à l’os et c’est Murray qui signera le bail. Voici un
témoignage : « Les demandes pour mes services ont augmenté de 300 % suite à la collaboration de Ken, car il est bien
plus beau que son prédécesseur, Ron, insipide au possible.
On a viré Ron sous prétexte qu’on l’avait surpris en train de
chourer des Post-it et du papier à lettres dans la réserve, mais
en réalité c’est parce qu’il était chiant, qu’il n’aimait pas le golf,
et Tracy qui bosse à l’accueil pensait qu’il était, je cite, “un peu
vicelard”. » Si vous essayez de rester plus concentré sur ce
que vous faites, imitez tout simplement la plupart de ceux
qui réussissent vraiment, prenez de la Ritaline. La majorité
des ceux pensent que la Ritaline est un médicament pour les
gosses, mais ça permet bel et bien de rester concentré et
d’empêcher votre attention de se relâcher. Salut, moi c’est
Denise des RH. Ce matin, j’ai froissé un bout de papier avant
de le tenir dans la paume de ma main droite et de le regarder
en pensant : « Denise, c’est ta vie. Elle ne vaudra jamais mieux
que ça. » Salut, je m’appelle Jeremy. Je suis le nouveau plein
d’énergie qu’ils ont débauché chez Remtech, en face. Je suis
jeune, intelligent, beau et je consomme des quantités toujours
plus grandes de méthamphétamine pour donner l’impression
que je suis plus vivant que vous. Je finirai soit par tout gagner,
soit par brandir un carton en parlant tout seul sur la bretelle
de la sortie 23. Salut, moi c’est Rick et je déteste ce monde
parce que j’ai perdu tout ce que je possédais durant la bulle
technologique, à la fin des années 90. Je pensais vraiment
que je serais sur une plage en ce moment. Au lieu de ça, je
pisse dans les urinoirs des toilettes pour hommes, forcé
d’écouter Jim dans les chiottes à côté qui feuillette les pages
sportives. C’est sa seule activité. Je ne sais pas comment
il se débrouille pour ne pas se faire choper. Il y passe deux
heures par jour. Veuillez s’il vous plaît éteindre vos téléphones
portables ainsi que tous vos appareils informatiques. Les
ingénieurs ne sont ni amusants, ni malins, ni des intellos ringards. Ils sont esquintés. Je le suis peut-être aussi, mais ils
le sont bien plus que dans n’importe quel autre service de
l’entreprise. Le fait que les nerds soient cool à leur manière
m’insupporte. Ce ne sont que des losers. Vous aimeriez une
autre transaction ? Les gens disent que n’importe qui peut
réussir, mais regardez les statistiques et vous verrez que non :
dans le monde, il est beaucoup plus question d’échecs et de
compromis que de succès. Plus une culture est ancienne,
moins il est charmant de dire : « Eh bien, vous êtes un winner
parce que vous avez fait de votre mieux. » Vous imaginez un
Chinois dire ça ? Ils penseront juste que vous êtes un loser
et vous achèteront tous vos biens à prix sacrifié lors du videgrenier consécutif à votre faillite. Vous entendez toujours
parler de « suivre ses rêves », mais que se passe-t-il quand
votre rêve est ennuyeux ? Les rêves de la plupart des gens
sont ennuyeux. Et si votre rêve c’était de vendre du maïs au
bord de la route – si vous l’avez fait, est-ce que ça signifie que
vous avez réalisé votre rêve ? Est-ce que les gens vous considéreront quand même comme un raté ? Et combien de temps
serez-vous heureux de faire ça ? Probablement pas longtemps, mais il sera alors trop tard pour commencer quelque
chose d’autre. Vous êtes baisé. À certains égards, les communistes sont malins. Ils découragent vivement l’espoir et les
rêves. Au moins comme ça, quand vous obtenez enfin votre
petit poste de radio AM merdique après avoir été sur liste
d’attente depuis 1988, vous vous sentez à la fois enjoué et
reconnaissant envers le régime en place. Bon d’accord, je
plaisante. Le seul moyen d’arriver au sommet, c’est le meurtre
et la cupidité. Bon d’accord, je plaisante. Mais le meurtre, ça
aide. La cupidité, ça peut aider, mais c’est moche, et lors des
soirées, les gens évitent les rapaces, donc voilà pour votre vie
sociale. La vie est une lutte entre vous et tous les autres.
N’éprouvez-vous pas un sentiment de vide en votre for intérieur face à une liste de choses à faire vierge ? Ça remonte à
quand la dernière fois que vous avez rêvé que vous voliez ?
Les ateliers et les séminaires sont en fait du speed dating
financier pour les pauvres ignorants. La télé et Internet sont
bien car ils empêchent les gens débiles de passer trop de
temps en public. Il va y avoir trop de vieux mis au rebut dans
les toutes prochaines décennies. Que le ciel vous vienne en
aide si vous ne parvenez pas à conserver votre boulot. Faites
bonne figure, ou il y aura de la pâtée pour chat au dîner ce
soir. Une décennie de pâtée pour chat représente 3 652 boîtes.
Mot de passe incorrect, veuillez réessayer. Les gens qui
préconisent la simplicité ont de l’argent à la banque ; c’est
l’argent qui est arrivé en premier, pas la simplicité. Invitation
à tous les membres du personnel : bowling, pizzas et boissons
jeudi, le tout financé par la boîte. Lumières noires et musique
à gogo. Chaussures de danse et de bowling fournies. Pas
besoin de savoir jouer au bowling ! Les gens qui utilisent la formule, « En ces temps de changement, où la seule chose certaine est le changement lui-même… », sont des imbéciles.
Réfléchissez-y et lisez la phrase suivante : « En ces jours
immuables, où la seule garantie est l’immuabilité elle-même… »
Vous voyez ce que je veux dire. Un jour où vous serez tout
seul dans une pièce, demandez-vous si votre boulot peut être
fait par quelqu’un en Inde. S’il y a ne serait-ce que l’ombre d’un
doute, alors vous devez vous rendre à l’évidence : vous êtes
fichu. Qu’est-ce qui est le plus humiliant : perdre son travail au
profit d’un robot, ou le perdre au profit de quelqu’un qui habite
dans un pays dont vous jugez le niveau de vie inférieur ? Vous
ne pouvez pas simuler la créativité, la compétence ni l’excitation sexuelle. Si vous n’avez aucun de ces trois attributs, alors
vous pouvez remballer sur-le-champ. Allez vendre du maïs au
bord de la route, en Inde. Votre appel est important pour nous.
Comme vous le savez, Jessica sera absente encore deux
jours –pouvez-vous s’il vous plaît vous assurer de mettre toute
votre vaisselle sale dans le lave-vaisselle (pas l’évier) avant
la fin de la journée afin qu’il soit prêt lorsque Katie ou Kirsten
descendra pour le mettre en route. Personne n’a jamais
été heureux dans un boulot obtenu en déposant un CV. La
plupart des gens ignorent comment répondre poliment
au téléphone. Les Anglais, eux, le savent, et c’est leur seul
avantage majeur dans le domaine des affaires depuis deux
cents ans. À l’aide du clavier, tapez le nom de famille de la
personne avec qui vous souhaitez parler. Les femmes peuvent
reconnaître des vêtements merdiques à cent mètres à la
ronde. Même les recruteurs chevronnés basent leur première
impression sur des critères de baisabilité. La deuxième chose
qu’ils regardent, c’est si oui ou non vous êtes compétent, et la
troisième c’est si vous faites preuve de créativité pour
masquer votre manque de compétence et/ou de baisabilité.
Un grand Merci à tous ceux qui ont participé à la journée
Jeans cette année. On a fait du bon boulot et on a réussi à
collecter 230 $ pour les gosses. Mon amie Josie avait pour
habitude de postuler pour des boulots qu’elle ne voulait pas
obtenir, et elle aimait embrouiller l’esprit des gens. Elle parlait
de crampes, de petits amis violents et de son rêve de nourrir
un jour son bébé au sein, et elle se voyait toujours offrir le
poste. C’est quand ils passent un entretien que la plupart des
gens se comportent le plus comme des automates, ce qui est
évidemment ironique puisqu’on essaie de mettre en avant
sa nature la plus profonde possible. La plupart des CV sont
aussi ennuyeux que le vôtre, et personne ne lit jamais la
deuxième page. Il y a des gens qui vous détesteront à cause
de votre manière de vous servir de votre couteau et de votre
fourchette. Utilisez le mot « instrument » dans votre CV et on
ne vous appellera pas. L’université vous garantira des revenus
plus élevés tout au long de votre vie, et les amitiés qu’on
y noue durent plus longtemps que celles qu’on noue dans
la vraie vie. Les hommes deviennent aigris aux alentours
de quarante ans. La manière la plus facile d’obtenir un emploi
consiste à remplacer des femmes en congé maternité.
Elles ne reviennent pratiquement jamais. Méfiez-vous des
étudiants de troisième cycle. Ils détruisent plus de mariages
que la drogue et l’alcool réunis. Les gens dans le besoin ne
tiennent jamais plus de deux ans à un poste, quel qu’il
soit. Toute ma vie, j’ai eu l’habitude de n’avoir que des A, et
ensuite à la fac j’ai commencé à avoir des D et c’était comme
de la morphine. C’était génial. Si quelqu’un vous ennuie
au travail, demandez-lui de faire un don à une œuvre de
charité. Gardez une boîte et des enveloppes à cet effet dans
votre bureau. Il ne vous cassera plus jamais les pieds.
Ça marche. $$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$
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Première partie
Ne jamais déconner
avec le régime Subway
— Oh mon Dieu ! J’ai l’impression d’être un réfugié d’un
roman de Douglas Coupland.
— Ce trou-du-cul.
— Il se prend pour qui ?
— Allez, les gars, on se concentre. On a un problème
majeur sur les bras.
Nous étions tous les six silencieux, exception faite
du bruit de nos pas. Les téléviseurs plasma du couloir
principal émettaient en sourdine les infos et les résultats
sportifs, tandis que des collègues en t-shirts à manches
longues bleu et noir apparaissaient et disparaissaient, tels
des Oompa-Loompas, par des portes d’accès en stratifié,
des galeries surélevées, des escaliers et des ascenseurs,
leurs missions insondables et loufoques. C’était une rare
belle journée. Des rayons de soleil bizarrement articulés
faisaient ressortir des grains de mica dans l’élégant granit
du corridor. On aurait dit des collisions de particules
aléatoires.
— J’arrive même pas à penser à ce qui vient de se passer,
a lancé Mark.
— J’aimerais faire ce que les gens font statistiquement
quand ils se ramassent une mauvaise nouvelle monumentale, a dit John Doe.
21
jPod
22
Je lui ai suggéré d’avaler cinq milligrammes de Valium et
trois doses d’eau-de-vie ou quatre verres de vin du cru.
— Sérieux ?
— Ne me demande pas, John. Regarde sur Google.
— Et c’est ce que je vais faire.
Cow-boy carburait au sirop contre la toux, tandis que Bree
farfouillait dans un de ses nombreux sacs à main japonais
en vinyle rose à la recherche de gloss – la première phase de
sa méthode bien rodée de conquête sexuelle visant à museler
sa souffrance intérieure.
Le seul membre silencieux de notre groupe de six était
Kaitlin, arrivée tout juste la veille dans notre open-space.
Elle marchait avec nous principalement parce qu’elle
ne connaissait pas encore le chemin entre la salle de
réunion et nos box. On ne sait pas très bien si Kaitlin est
ennuyeuse ou réfractaire à l’idée de sympathiser, mais
d’un autre côté aucun de nous n’a vraiment déployé son
charme.
On est passés devant Warren, du studio de motion
capture.
— Yo ! les jPoders ! Une tortue ! Super !
Il a levé les pouces.
— Merci, Warren. On sent tous l’amour qui règne dans
cette pièce.
Visiblement, grâce au miracle des textos, Warren et à
peu près tout le monde dans la boîte étaient à présent au
courant de notre triste sort, que voici: au cours de la réunion
marketing du jour, nous avons appris que nous devions
désormais insérer rétroactivement un personnage de tortue
câlin et charismatique dans notre jeu de skate, qui en est
déjà à presque un tiers de son cycle de production. Oui,
vous avez bien lu, un personnage de tortue – dans un jeu
de skate-board.
La réunion longue de trois heures s’était tenue dans
une salle d’une capacité de deux cents places surnommée le
rectum climatisé. J’avais essayé de faire passer le temps plus
vite en prétendant être doté d’une vision surpuissante :
je pouvais voir le dioxyde de carbone entrer dans le nez et
la bouche de tout le monde et en sortir – il était violet.
Ça m’avait rappelé cette légende urbaine à propos du produit chimique qu’ils mettent dans les piscines pour déceler
si quelqu’un urine. Puis je m’étais demandé si Léonard
de Vinci avait un jour inhalé les particules d’oxygène que
j’étais en train de respirer, ou s’il avait un jour dû se farcir
une réunion marketing. Qu’est-ce que ça aurait donné ?
« Léo, merci pour ta contribution, mais nos études indiquent que, lorsqu’ils voient Mona Lisa sourire, ils veulent
un sourire sexy, enjôleur, pas ce petit rictus sinistre qu’elle
affiche. En outre, je ne sais pas de quel placard Michel-Ange
essaie de sortir avec ce David à poil, mais mon Dieu,
collez-lui une couche pronto. Prochaine question à l’ordre
du jour : la Perspective. Engouement passager ou réelle
occasion de remporter la mise ? Mais d’abord, Katie va nous
parler de la journée Jeans de vendredi, et ensuite on fera une
pause muffin de dix minutes. »
Mais j’avais été tiré de ma rêverie par le mot « tortue »,
prononcé par le Chef Sans Peur – notre nouveau responsable
marketing, Steve. J’avais levé la main et demandé de manière
somme toute raisonnable :
— Excuse-moi, Steve, tu as bien dit une tortue ?
Christine, une directrice de développement senior, a lancé:
— Inutile de te montrer sarcastique, Ethan. Steve a repris
le chocolat Toblerone et l’a redressé en deux ans.
— Non, a protesté Steve. J’apprécie les dialogues
ouverts. Tout ce que je dis réellement, c’est qu’à la maison, mon fils, Carter, joue à SimQuest4 et ne se lasse
pas du personnage de tortue, et si mon Carter aime les
personnages de tortue, alors ça signifie que les personnages
de tortues sont géniaux, et donc que ce jeu de skate a
besoin d’une tortue.
23
John Doe m’a envoyé un message sur mon BlackBerry :
JE NE SENS PLUS MES JAMBES
Et l’ordre était donc donné de rendre notre nouveau
personnage de tortue « accessible » et « marrant » et le mot
à la mode est si horrible que je dois l’épeler en ASCII :
« {116, 101, 110, 100, 97, 110, 99, 101} ».
SOUPE DE NOUILLES
INSTANTANÉE
NISSIN
70622 03503
21/4 oz. × 6 CUPS
Saveur
poulet
jPod
26
De retour dans notre open-space, nous nous sommes tous
les six égaillés comme des bulles de soda au gingembre.
J’avais dix-huit nouveaux e-mails et un message téléphonique
de ma mère : « Chéri, est-ce que tu peux m’appeler ? Il faut
vraiment que je te parle… c’est une urgence. »
Une urgence ? Je l’ai aussitôt jointe sur son portable.
— Maman, qu’est-ce qui se passe ? Il y a un problème ?
— Ethan, tu es à ton travail, là ?
— Où est-ce que je serais d’autre ?
— Je suis au SuperValu. Je te rappelle d’une cabine
publique.
Ça a coupé. J’ai décroché quand ça a sonné.
— Maman, tu as dit qu’il s’agissait d’une urgence.
— C’en est une, mon chéri. Ethan, mon trésor, il faut que
tu m’aides.
— Je sors tout juste de la pire réunion de toute ma vie.
Qu’est-ce qui t’arrive ?
— Je suppose que je ferais mieux de te le dire carrément.
— Me dire quoi ?
— Ethan, j’ai tué un biker.
— Tu as tué un biker ?
— Enfin, je ne l’ai pas fait exprès.
— Bon sang, Maman, comment t’as réussi à tuer un
biker ?
— Viens tout de suite à la maison. J’y serai dans vingt
minutes.
— Pourquoi est-ce que Papa ne t’aide pas ?
— Il est sur un tournage aujourd’hui. Il va peut-être avoir
une réplique.
Elle a raccroché.
En sortant du bureau, je suis passé devant une équipe de
concepteurs environnement, debout en demi-cercle, en train
de fixer un couteau de fabrication allemande posé sur un
bureau.
— Qu’est-ce que vous faites ? ai-je demandé.
— C’est le couteau dont on va se servir pour couper le
gâteau d’anniversaire d’Aidan, a répondu Josh, un ami.
Je l’ai regardé de plus près : il était grotesquement
énorme.
— Ok, c’est du Itchy & Scratchy version hardcore, et
alors ?
— On fait un concours : on essaie de voir s’il existe un
moyen de traverser une pièce avec un couteau à la main
sans avoir l’air d’un psychopathe.
— Et ?
— C’est impossible.
À quelques bureaux de là, Bree montrait à quelqu’un des
photos de ses récentes vacances passées à visiter des ateliers
d’animation coréens où les employés sont exploités. Elle était
dégoûtée car elle n’avait pas pu pénétrer en Corée du Nord :
trop de tohu-bohu juridique. « Ça le fait vraiment d’avoir ce
tampon sur son passeport. Je voulais juste savoir à quoi ça
ressemblait d’être dans une société dépourvue de technologie
mis à part les trois téléphones à cadran et la caméra de télé
qu’ils ont gagnée à une partie de “pierre, papier, ciseaux” avec
Fidel Castro. »
Bree avait raison. Pour ceux d’entre nous qui sont trop
jeunes pour avoir visité l’Allemagne de l’Est ou l’URSS pendant la guerre froide, la Corée du Nord demeure l’unique
nation folklorique dotée d’une dictature basse technologie
de charlatan. « Le fait de posséder une disquette de 56 ko
peut te valoir vingt ans de travaux forcés. »
J’ai suggéré que la Corée du Nord devrait changer de nom
et opter pour quelque chose de plus sympathique, de plus
accessible.
— Comme quoi, Ethan ?
— Pourquoi pas Trish ?
— Comme le diminutif de Patricia ?
— Ouais.
27
jPod
— Ça me plaît. C’est frais.
— Merci.
28
Grâce à un exceptionnel et réjouissant hasard dans le tracé
des autoroutes, je peux aller du campus à la maison de mes
parents en tournant deux fois à gauche et deux fois à droite,
et ce même s’ils vivent à vingt-huit kilomètres de là, dans le
lugubre cocon toujours vert du quartier des British Properties. Je trouve ça classe et plaisant.
Lorsque j’ai remonté l’allée, rien ne semblait sortir de
l’ordinaire. On aurait très bien pu être en 1988, jusqu’au
break Plymouth Reliant K de 1988. Une fois à l’intérieur,
j’ai entendu Maman demander depuis la cuisine :
— Ethan, tu veux un sandwich ? Il y a des œufs en salade.
Je suis entré dans la pièce, inchangée depuis l’époque
où Ronald Reagan dirigeait la planète. Un jour, mon frère,
Greg, et moi avions trouvé un tas de produits d’entretien
antérieurs à l’invention du code-barres, sur une étagère dans
le couloir.
— Pas de sandwich, merci, Maman. Je suis là pour une
histoire de biker mort, oui ou non ?
Elle a coupé son sandwich en deux.
— Je sais pertinemment que tu as une alimentation épouvantable. Greg dit que tu ne te nourris que de doritos et de
rouleaux aux fruits.
— Maman, le biker ?
— J’étais sur le point de manger mon sandwich, mais
d’accord, monsieur l’impatient, suis-moi.
Nous sommes sortis de la cuisine et nous avons traversé
le couloir principal, passant devant mon ancienne chambre
à coucher, sur laquelle veillait autrefois ma collection de
bouteilles de bière du monde entier – une pièce qui abritait à présent la machine à coudre de Maman, sa machine
à fabriquer des cigarettes et la machine qu’elle utilisait
pour transformer les vieux journaux en bûches. À l’endroit
où jadis trônait mon bang se trouvait désormais un
colvert en balsa, installé dans une corbeille de freesias
en soie.
Nous avons ensuite descendu des marches pour atteindre
le couloir arrière, chargé du parfum d’articles de sport
moisis, et à partir de là nous avons emprunté un autre
escalier menant au sous-sol à proprement parler. Maman a
pris dans un panier une paire de Ray-Ban qu’elle m’a tendue
et s’en est mis une sur le nez.
— Je baisserais bien les lumières, mais ça perturbe les
cycles chlorophylliens, a-t-elle dit.
Maman garde sa plantation à un taux d’humidité avoisinant les 100 %, et j’ai horreur de l’humidité. L’humidité
me donne l’impression que des centaines d’étrangers sont
en train de me toucher.
Tout au fond du sous-sol, où la table d’air hockey était
restée en sommeil pendant des décennies, au milieu d’un
groupe de plantes femelles incroyablement fertiles ornées
de rubans colorés (le système de classement génétique de
Maman), se trouvait le biker le plus costaud et effrayant que
j’aie jamais vu.
— Bordel, Maman, tu as fait des trucs bizarres dans ta vie,
mais ça, c’est le pompon. Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Je l’ai électrocuté.
— Tu l’as quoi ?
— J’ai aménagé ce coin de la pièce de sorte à pouvoir
électrocuter quiconque se tiendrait dans cette flaque si
jamais j’avais des ennuis.
J’ai regardé par terre : le biker était effectivement étendu
dans une flaque.
— Tu as installé un piège mortel dans ta propre maison ?
— C’est une plantation, mon chéri. Je n’élève pas des miniponeys ici.
— Donc, pourquoi tu l’as électrocuté ?
— Il s’appelle, ou plutôt s’appelait, Tim.
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— Qu’est-ce que notre ami Tim t’a fait ?
— Il essayait de m’extorquer une partie de la récolte.
— Combien ?
— 50 %.
— Quel connard.
— C’était vraiment un accident, Ethan. Comme je ne
savais pas trop si ça allait mal tourner, je me suis arrangée
pour qu’il soit dans la flaque. Ensuite, son portable a sonné,
j’ai eu un réflexe de panique et j’ai appuyé sur l’interrupteur.
Je voulais savoir quel genre de sonnerie un biker choisissait pour son portable, mais cette question pouvait attendre.
J’ai fixé Tim. Il paraissait lourd. Et son – faute d’un meilleur
mot – inertie était dure à assimiler.
— Si tu arrivais à le traîner par la porte jusque dans le
garage, ensemble on pourrait probablement le soulever et
le mettre dans le break, a repris Maman.
— Et ensuite ?
— À toi de me le dire, Ethan. C’est toi le génie de la
famille.
— Pourquoi tu n’as pas appelé Greg ?
Mon frère est un as de l’immobilier.
— Il est à Hong-Kong pour affaires.
Voilà la question : Comment fait-on pour se débarrasser
d’un corps ? Imaginez que là, tout de suite, vous ayez
un cadavre chez vous. C’est comme essayer de faire disparaître un quartier de bœuf sans que personne le sache. C’est
difficile.
— Maman, est-ce qu’il y a un tapis que tu veux bazarder ?
— Pourquoi un tapis ?
— Les sikhs enveloppent toujours les corps des épouses
qui refusent les mariages arrangés et les jettent dans le fleuve
Fraser. Peut-être qu’on peut faire pareil.
Maman avait l’air déçue.
— Quoi ? Où est le problème avec cette idée ?
— Le problème, c’est que peu importe où on mettra le
cadavre, il devra rester où on l’a mis. Je ne voudrais pas que
Tim remonte à la surface. Je pense qu’on devrait l’enterrer.
— On pourrait l’enrouler dans le tapis et l’enterrer.
— D’accord. Prenons celui qui est dans le bureau de
ton père. Je l’ai toujours détesté. Il me rappelle ta grandmère.
Nous sommes retournés à l’étage. Papa travaillait dans le
temps pour une entreprise de génie maritime. Quand il a
été licencié, il s’est lancé dans la comédie, surtout pour le
petit écran, mais dernièrement il avait fait quelques brèves
apparitions dans des films distribués en salles. Bon d’accord,
il décroche de minuscules rôles muets merdiques dans des
pubs télé où il semble toujours coupé au montage et il est
figurant dans des scènes de foules.
Dans son bureau, toutes ses vieilles maquettes de
bateaux et ses cartes nautiques avaient été virées des
étagères et entassées dans un coin au profit de portraits
encadrés – couleurs et n&b, sérieux, enjoué, «Le séducteur »,
« Le clown triste », « Le gentil flic devenu méchant » – ainsi
que des photos de Papa en train de serrer la main à une
pléiade d’acteurs envoyés au Canada pour maximiser
les crédits d’impôt : Ben Affleck, Mira Sorvino, Kirk
Cameron, Lucy Lawless, Raffi et divers Muppets bien en
bas de la chaîne alimentaire des Muppets, comme Macaron
le Glouton. Il y avait un nouveau cliché de lui avec Uma
Thurman.
— C’était comment de travailler avec elle ? ai-je demandé
à Maman.
— Un vrai rêve, apparemment. Elle a signé son blouson
du film.
Certains costumes de danse de salon de Papa étaient étalés
sur un fauteuil, dans l’attente d’être envoyés au pressing.
— Je ne comprendrai jamais ce que ton père trouve à cette
horrible danse.
Maman a montré du doigt un tapis tressé, sous le bureau.
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— C’était un cadeau de mariage. Ça fait des décennies
que ce truc me débecte. C’est assez grand pour envelopper
Tim ?
— Je pense.
Elle s’est baissée.
— Soulève le bureau pendant que je le tire de sous les
pieds.
En m’exécutant, j’ai renversé un tas de cinq cents portraits
de Papa en costume de nazi. Maman haletait.
— Je l’ai.
Nous avons roulé le tapis et l’avons traîné en bas, où nous
avons transformé Tim en enchilada au biker. Je l’ai tiré
dehors sous l’abri garage – bon sang, qu’est-ce qu’il était
lourd – et j’ai fait des taches d’huile sur le tapis.
Maman maintenait ouvert le hayon du break.
— Voyons, Ethan, fais preuve d’un peu de respect.
— Tu as électrocuté ce type à l’endroit où se trouvait ma
table d’air hockey, et tu me demandes de faire preuve de
respect ?
— Ton frère et toi, vous n’avez plus touché à ce jeu après
le premier week-end de Noël.
— À vrai dire, ça craignait un peu.
— À vrai dire, j’avais un peu parcouru toute la ville pour
essayer de trouver un endroit où ils en avaient encore en
magasin.
Péniblement, j’ai hissé Tim dans le coffre, mais il est
retombé en produisant un bruit sourd et démoralisant.
— Ethan, mets-le dans la voiture.
Ce que j’ai fait, et nous sommes sortis de l’abri garage et
nous avons remonté l’allée en marche arrière.
— Bon, a dit Maman, trouvons un charmant grand trou.
— Je tiens à te signaler que toute cette histoire me fait
flipper.
— Les hommes ne devraient jamais parler de leurs
sentiments, Ethan.
— Je croyais que les femmes étaient censées aimer les types
qui parlent de leurs sentiments.
— Dieu du ciel, non.
C’est étrange comme tout change autour de vous à partir
du moment où vos préoccupations se précisent à l’extrême.
Hmmm… est-ce que c’est un bon endroit pour enfouir un corps ?
Non, la terre est trop fine.
Maman a suggéré le parc Stanley, en bordure du centreville :
— S’il y a bien un endroit où se débarrasser d’un corps,
c’est ce parc. À l’heure qu’il est, il y a probablement plus
d’ossements que de terre.
Nous avons donc roulé jusqu’au parc Stanley, mais il y
avait beaucoup trop de gens qui s’y promenaient. Nous
sommes retournés à North Shore et nous avons vérifié
les pistes de jogging et certains des parcs municipaux plus
petits, mais même là, les gens et les chiens abondaient.
Vers 18 heures, il a commencé à faire nuit et j’ai eu une
idée.
— On n’a qu’à monter vers les énormes maisons que
Greg passe son temps à vendre. On mettra Tim dans les
fondations d’un des chantiers.
— Je ne sais pas…
— En prime, on n’a pas de trou à creuser. À la place,
on en comblera un peu un.
— Je vois ce que tu veux dire.
Nous nous sommes retrouvés dans Vancouver Ouest, sur
les routes sinueuses et dépourvues d’arbres de l’étrange
quartier de Canterbury, une forêt tropicale passée au
bulldozer pour faire place à de gigantesques bâtisses qui
ressemblaient à des fours micro-ondes avec des toitures en
bardeaux de cèdre.
— Qui vit dans ces trucs ? a demandé Maman alors que
nous roulions.
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— Greg dit que c’est principalement des sportifs célèbres
et des femmes au foyer asiatiques délaissées qui purgent leur
peine de trois ans requise pour obtenir la citoyenneté.
— Là. Mettons-le là.
Maman montrait du doigt les fondations en béton fraîchement réalisées d’une maison de deux mille mètres carrés. De
larges poutres avaient été posées, et au vu de la charpente,
le meilleur moyen d’en décrire le style serait de parler de
« planque vancouverienne venteuse de Sailor Moon ». La
propriété était située dans la rue la plus élevée. Personne ne
nous surplombait.
Le choix de Maman était judicieux. La dalle du sous-sol
avait été coulée et recouverte d’un bitume pare-vapeur.
Le trou allait manifestement être comblé avec de la terre
dans un ou deux jours. À l’intérieur se trouvaient quelques
lambeaux de papier goudronné, une ou deux touffes de laine
de verre et un papier d’emballage Wendy’s.
Nous avons sorti Tim le biker de la voiture et, avec la plus
grande désinvolture, nous l’avons porté vers le coin de la
porte d’entrée comme s’il s’agissait d’un futon. À la une, à
la deux, à la trois, nous l’avons balancé. Nous avons tous les
deux fait mine de ne pas entendre le léger craquement.
— Bien visé, ai-je dit. Allez. On le recouvre.
Nous avons enseveli Tim sous la terre orange grisâtre provenant de l’excavation. Ça a été beaucoup plus rapide que je
m’y étais attendu, cinq minutes peut-être. Maman paraissait
un peu hébétée au moment de regagner la voiture. Lorsque
nous sommes repartis, elle était assise comme une préadolescente prise en train de chaparder dans un Wal-Mart. Elle
avait les mains croisées sur les cuisses et la tête baissée.
Elle a reniflé une fois, deux fois, et puis les larmes ont coulé,
en torrents.
— Maman ?
— Ethan, est-ce que tu peux t’arrêter ?
J’ai obéi.
Elle s’est tournée vers moi, les yeux rouges.
— Je ne t’ai pas tout dit.
— Ah ?
— Je te le dis à toi parce que je ne peux pas le dire à ton
père.
— Lui dire quoi ?
— J’aimais bien Tim. C’était un être tourmenté. Je croyais
pouvoir l’aider.
C’était une conversation que je n’étais pas prêt à poursuivre.
— Allumons la radio, ai-je fait. On pourra discuter de ça
plus tard.
J’ai mis les grandes ondes, et la musique qui passait était
française.
— Tu écoutes la station française, Maman ?
— Oui* 1. Parfois.
Des haut-parleurs sortait un son d’accordéon.
— C’est quoi le truc avec la musique française ? ai-je
demandé. Toutes les chansons ont le même titre.
Tandis que nous roulions vers la maison, j’ai dressé dans
ma tête une liste de chansons françaises qui donnait ça :
Ça va, ça va*
Nous qui pouvons*
Ma vie*
Le métro, c’est où ?*
C’est ça*
L’amour, c’est bien*
Le Bon Cow-boy*
De bon métro*
C’est comme ça*
J’ai un rêve*
1. Toutes les expressions suivies d’un astérisque sont en français dans le
texte (N.d.T.).
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Quelle heure est-il ?*
Nous nous en allons*
Dis donc !*
Chanson des métros perdus*
Amour des rêves*
Où ?*
J’ai mal à la tête*
Nous sommes perdus (Avez-vous une carte ?)*
J’ai une carte*
Passé composé*
Le Pamplemousse et la Grenouille*
Le ça*

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