Traversée de l`Himalaya par le royaume oublié du Mustang

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Traversée de l`Himalaya par le royaume oublié du Mustang
Traversée de l’Himalaya
par le royaume oublié du Mustang
Réaliser une grande traversée intégrale de l’Himalaya du sud au nord jusqu’aux frontières du Tibet reste
dans l’esprit de chacun comme un long cheminement quasi-impossible. Elle fait partie de ces vieux rêves mythiques
comme une traversée de Sahara ou une « Khora » : le tour d’une montagne sacrée bouddhiste… Derrière la grande
barrière des Annapurna et des Dhaulagiri avec leurs plus de 8000 mètres d’altitude, il existe un de ces pays les plus
isolés de la terre : le royaume oublié du Mustang aux frontières du Tibet ouvert sur le monde extérieur seulement
depuis 1992.
Pour l’atteindre depuis les rizières de la plaine de Pokhara, la seconde ville du Népal, il nous faut arpenter
les sentiers humides des vastes forêts séculaires. A travers s’y dessinent les parois gigantesques des Annapurna mais
aussi d’autres montagnes superbes comme le Machhapuchhare en forme de queue de poisson encore jamais gravi
entièrement.
Nous remontons la vallée de la Kali Gandaki, (la rivière de la mort) la plus profonde au Monde où jaillissent
parfois sur ses berges comme par miracle au pied des neiges éternelles des sources d’eau chaude. Une piste devrait
mettre en relation plus facilement les rapports commerciaux avec le Tibet mais la roche résiste à l’avancée du travail
de lilliputiens à quelques encablures du pays du Mustang. Les falaises sont si étroites qu’elle ne consent à laisser
passer qu’un torrent impétueux. La mousson saura rappeler à chacun qui l’empruntera qu’elle sera une des routes les
plus dangereuses au monde à cause de ses éboulements fréquents.
Après une semaine de marche sillonnant les sentiers entre deux géants de l’Himalaya, nous nous aventurons
alors dans un autre univers des plus colorés comme ceux des déserts avec une luminosité éblouissante. Tout y est
extrême, le froid la nuit, le poids du soleil au zénith. C’est un paysage aride parcouru par la poussière en perpétuelles
mouvances, soulevée par des vents diurnes secs. Seuls quelques replis de terre où l’eau arrive par un jeu ancestral de
canaux alimentés par les montagnes enneigés y autorisent la survie grâce aux cultures et à l’élevage de chèvres et de
moutons. Semblant sortir de nulle part des lopins de terres en terrasses aux formes arrondies ceinturées par des
monticules en terre ou en pierre se détachent étrangement du paysage lunaire environnant de montagnes aux pics
dépourvus de végétation et aux contours déchiquetés. Blanc, ocre, rouge, brun, la symphonie des teintes minérales
prend ici toute son ampleur.
En été, la plaine des pierres entourant les remparts des villages explosent de couleurs : des champs d’orge et
de blé (vert), de colza (jaune) et de sarrasin (rose). Mais à l’automne, ce sont les arbres principalement les bouleaux et
les saules qui apportent les contrastes flamboyant de leurs feuilles ainsi que le rouge vermillon des épineux berbéris.
Mais à côté de cela de simples masures de pierres en guise d’habitation laissent à penser que tout semble laissé à
l’abandon depuis une époque médiévale… Dû à la faible pluviométrie les maisons carrés ou rectangulaires sont toutes
à toit plat où la charpente de bois est recouverte d’un enduit de terre glaise malaxé de bouse de yak pilonné « le yang »
afin d’en devenir comme du béton. Les murs porteurs sont rehaussés d’un stock de bois sombre en guise de réserve au
plus grand froid de l’hiver. Tout en bas se situe l’étable et juste au-dessus l’habitation de faible hauteur avec
d’étroites mais jolies fenêtres de bois orné. Pourtant, malgré cette première impression de désolation humaine, dès le
potron-minet tout s’anime comme un manège enchanté. La charrue agraire tirée par les buffles ou les dzopa
(croisement de yak et de vache) s’active dans les moindres parcelles de terre noire. Cris, chants et sifflets se répandent
ou se répondent d’un champ à l’autre et parfois renvoyés en écho des canyons de pierres. On entend les voix aiguës
des enfants prenant le chemin de l’école mais aussi le bêlement des troupeaux de chèvres partant pour parcourir les
montagnes arides. Elles vont « arracher » les derniers espoirs de survie d’une végétation si rare formée
essentiellement d’épineux. Seule cet espèce est capable de trouver pitance mais par contre elle contribue comme dans
tous les déserts à faciliter son avancé. Pourtant avoir un troupeau de chèvres c’est se garantir une principale
ressource de lait, de viande, de combustible et, de substantiels revenus en le conduisant dans le sud pour y être vendu.
Quant au cheval du Mustang, petit et robuste et, à la mule, agile et solide, ils contribuent à transporter
respectivement gens et marchandises.
Dans chaque village il est tué et dépecé à ciel ouvert un yak ou un dzopa en guise de réserve pour l’hiver ou
sera venu vers les basses terres. C’est le début d’un exode de population vers des cieux plus cléments des grandes
villes (Katmandu, Pokhara) ou pour d’autres à l’opposé vers le Tibet pour des échanges commerciaux. Sur les
chemins, à la rencontre de ces familles démunies (jeunes enfants, femmes et vieillards), infirmière et ophtalmo de
l’équipe sont mis à contribution pour réparer quelques maux : plaies des mains ou des pieds, douleurs dentaires ou
pathologie des yeux. Les besoins sont immenses mais nos quelques pansements, crème antiseptique, aspirine ou collyre
comblent leurs demandes gratifiées d’un large sourire en guise de merci. De quoi faut-il que nous nous plaignons
outre mesure de notre système de protection santé quand on sait qu’il est le meilleur au monde ? Nous sommes au
bout du monde à plusieurs jours de marche de l’aéroport le plus proche.
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Qui se soucie de ces quelques milliers d’habitants dirigés encore par le roi Raja Jigmi Palbar Bista que nous
avons rencontré à Lo Manthang alors que celui même du Népal Guyanandra vient d’être destitué par une république
dirigé par des maoïstes après une guérilla de 10 ans et 20 000 morts ? La création du Mustang par le Tibétain Ame
Pal (1380-1450) rend ce royaume indépendant mais ensuite le conflit qui l’oppose depuis 1855 avec le Tibet le place
aux côtés du Népal dont il est rattaché définitivement depuis 1983. Lors de l’invasion chinoise du Tibet en 1959, ce
ralliement le préserve de la destruction de ses joyaux architecturaux bouddhistes. Drapeaux à prières (chevaux de
vent qui dispersent ses messages aux quatre coins du pays), chortens colorés renfermant des reliques de lamas, murs
de pierres votives et monastères galonnent sentiers et villages.
Le surprenant Monastère de Gékar fut fondée il y a 800 ans, appelé « pure vertu de Lo », est un lieu de
découverte de peintures mystiques, de statuettes légendaires et d’anciens textes de mantra qui perpétuent la tradition
et les enseignements nyingmapa. A Lo Montang, la capitale à une vingtaine de kilomètres de la frontière avec ses 1000
habitants, possèdent trois magnifiques monastères rouges protégés par 5 siècles de rempart : Jhampa, Thupchen, et
Chhyoede Gompa. Malgré qu’un tiers des revenus de ses habitants soit consacrés à leur religion, les jeunes prennent
de moins en moins la vie monastique. Grâce à l’American Himalaya Fondation et l’ACAP, une école de sauvegarde
culturelle a été fondé en 1994 où 65 jeunes moines étudient l’enseignement bouddhiste, les sciences et l’anglais.
Thupchen Gompa bâti par les Newars de la vallée de Kathmandu qui à l’origine utilisait la même technique que
Michel Ange, est actuellement en pleine restauration de ses peintures. D’une rare finesse avec une dominance rouge
les œuvres n’ont jamais été signées. Ici, ce n’est pas l’artiste qui est glorifié mais le sujet. Deux cultures s’affrontent
celle des restaurateurs qui pour conserver les œuvres originelles ne veulent que partiellement restaurer celles qu’ils
peuvent sauver en laissant des parties en blanc de portions trop importantes qui ont disparus alors que la population
attend la restauration globale de l’image. Pour eux la représentation de l’image est source d’inspiration, de méditation,
de réflexion. Toute chose est impermanente d’après Bouddha, tout se prépare à cette impermanence, temple mais
aussi humain et toute vie. Notre emprise sur terre n’est que temporel alors que notre civilisation tend vers l’opposé,
toujours à posséder, à posséder plus comme si tout était définitivement acquis nous masquant que tout a une fin…
Mais le plus mythique de tous c’est le Monastère de Chunsi Cave situé au fond d’un profond ravin à
l’intérieur d’une falaise oublié des cartes mais d’une grande importance pour nos amis sherpas. Il est dit que cette
grotte existait bien avant la naissance du Bouddha (525 avant J.C.). A l’intérieur une énorme stalagmite en forme de
stupa, une statuette sculptée naturellement représentant un Bouddha et deux sources d’eau précieuses jaillissant côte
à côte par résurgences à l’intérieur d’une stalagmite naissante.
Hors de toute considération religieuse on se prend à aimer ces gens si braves qui ont instauré une tradition
de survie dans ces lieux si beaux mais hostiles. Faut-il dénigrer cette coutume où le deuxième enfant était destiné à la
vie monastique alors que l’aîné était celui qui allait assurer la lignée ? Faut-il s’offusquer qu’une femme prenne en
mariage le frère de son mari décédé afin d’éviter la dispersion des terres cultivables des familles ou qu’un mari puisse
prendre une seconde femme si la première est stérile ? Aujourd’hui l’éducation met à mal cet « ordre ». La ville
appelle son lot de miséreux à la périphérie des richesses inaccessibles. La normalisation mondiale accentue jour après
jour cette dérive que suit tous les continents. Il faut saluer l’adaptabilité de ces gens face aux conditions rudes et
extrêmes dans ces lieux façonnés avec patience et intelligence par un grand nombre de générations. Sans cette force,
l’homme n’aurait jamais pu y survivre. Aussi cette mémoire des faits et gestes ne doivent pas tomber dans l’oubli…
Le périple d’une telle traversée représente plus de 15.000 mètres de montées cumulées et presque autant en
descentes sur 3 semaines de marche. Les efforts et la dureté semblent être minimisés par le fait que notre petit groupe
de marcheur comptait une jeune fille de 13 ans et un gaillard de 77 ans. Mais tout de même l’une est la fille de notre
guide sherpa habitant au pied de l’Everest et, l’autre solide comme Pierre, son prénom, « fortifié » d’ascendants
suisses. La première affronte dès ses premiers pas un milieu montagnard où elle a toujours vécu et, le second, joyeux
patriarche, bon vivant prêt toujours à repartir vers des mondes nouveaux, trouvant le secret de la longévité de sa
bonne forme dans ce qu’il affirme se faire toujours plaisir avec des petits riens. A méditer simplement pour les jours
futurs qui nous sont alloué…
Michel CATHALA.
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