Bernarda Alba en sa sévère demeure,Jungers au service de

Transcription

Bernarda Alba en sa sévère demeure,Jungers au service de
Bernarda Alba en sa sévère
demeure
© Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française.
Bernarda Alba est vient de perdre son mari. Cette Calamity
Jane espagnole de la vertu tiendra ses cinq filles d’une main
de fer, comme elle l’a toujours fait. Pieuse à l’extrême, plus
que Dieu, elle craint ce que pourraient cancaner les voisins.
Afin de s’en prévenir, elle décrète que les 8 années de deuil
se feront sans sortir de la maison, en compagnie de ses
enfants.
Ainsi, Bernarda étouffe ses filles. Elle les maintient dans un
monde d’une violence psychologique sclérosante. Mais bien
vite, un homme bouleverse les plans de cet univers féminin à
l’extrême, Pepe le Romano. Celui-ci désire épouser Angustias,
la plus âgée des sœurs, car elle est aussi la plus riche. Mais
c’est Adelia qui possède son cœur et, la nuit, quand Pepe a
terminé de venir faire sa cour à Angustias, il emmène Adelia
pour vivre un amour impossible. Martirio, la sœur cadette,
découvre vite le manège. Celle qui est aussi éprise de Pepe le
Romano conduira la benjamine à sa perte, entrainant le
déshonneur sur la famille. Au grand dam de Bernarda Alba.
Au moyen de la danse, la metteur en scène Lilo Baur fait de la
figure masculine un spectre corporel quasiment-muet. La
distribution féminine souligne activement à la montée en
puissance dramatique de l’histoire, comme dans tout univers
fermé. Cécile Brune joue la matrone avec sévérité et
intransigeance. Aussi, elle arbitre avec force la rivalité
poignante entre Jennifer Decker et Adeline d’Hermy, pour qui
l’amour avec Pepe est inenvisageable.
L’écriture de Federico Garcia Lorca, traduite par Fabrice
Melquiot, mélange le langage populaire domestique et celui,
plus soutenu, de ces filles cloîtrées en le rendant toujours
très illustré. On pense à Pagnol et à Audiard pour les images
et les métaphores.
La scénographie d’Andrew D. Edwards achève de magnifier ce
spectacle. Un mur noir tressé sépare la scène de façon
horizontale. Celui-ci coupe la famille du monde extérieur ; le
public voit les scènes de rues ainsi voilées : procession,
exécution ou fuite. L’ensemble contribue ainsi à créer des
images dignes de maîtres hollandais. Le charme opère au moyen
d’un mélange intense entre pureté et austérité des lignes.
Enfermés, dans un vase clos, s’opèrent alors une alchimie et
une empathie importantes de la part du public, pour ces femmes
qui veulent simplement vivre libres du joug qu’elles
s’imposent à elles-mêmes. Un cri pour plus de liberté. Une
réussite totale.
« La Maison de Bernarda Alba » de Federico Garcia Lorca. Mise
en scène de Lilo Baur, en alternance jusqu’au 25 juillet à la
Comédie-Française, salle Richelieu, place Colette, 75001
Paris. Durée : 1h30. Plus d’informations et réservations sur
www.comedie-francaise.fr.
Jungers
Marivaux
au
service
de
Pour sa première mise en scène à la Comédie-Française,
Benjamin Jungers a fait le choix d’une sobriété au service du
texte de Marivaux, l’île des Esclaves. Les acteurs évoluent
sur la scène du Studio au milieu de voiles blanches pendues du
plafond, dans des costumes dont seules les épaulettes marquent
les différences de classe.
Car c’est bien à une sorte de lutte des classes à laquelle on
assiste dans ce qui est une des pièces les plus célèbres de
Marivaux (et pourtant sans marivaudage !). Une lutte galante,
peu ambitieuse, qui n’a rien de « pré-Révolutionnaire » comme
on peut le lire parfois, mais qui existe ; et ce combat entre
maître et esclave, cet inversement de situations après que
patrons et valets se soient échoués sur une île est très bien
orchestré.
Jeremy Lopez incarne l’Arlequin goguenard et parfaitement
désinvolte envers un maître (Stéphane Varupenne) calme et d’un
sang froid tout aristocratique face aux attaques verbales de
son subordonné. Jennifer Decker, Cléanthis, passe du rôle de
la gourde ingénue à l’imitatrice parfaite d’une maîtresse
(Catherine Sauval) coquette, hypocrite et faussement légère,
en une phrase, avec un contraste saisissant. Cette maîtresse
qui, comme son alter ego masculin, mord la poussière en
silence, toujours au bord des larmes. La justesse du jeu de
Cléanthis, cette façon de passer de la servante avinée à
l’incarnation
excellente.
de
l’élégance
même
est
particulièrement
Mais ces esclaves se repentent de cette nouvelle situation
aussi vite qu’ils s’en sont réjouis. Ils refusent cette
émancipation brutale pour retrouver au plus vite leur ancienne
(et ingrate) situation. Pendant le déroulement de la comédie,
on se surprend à avoir de l’empathie pour les maîtres,
pourtant coupables de mille maux aux dires des serviteurs.
Cette pièce se contente de ridiculiser les maîtres sans pour
autant prendre la défense de leurs esclaves.
Tout cela, Jungers le montre très bien, en faisant ressortir
toute la profondeur et le talent de cette très belle
distribution.
Pratique :
L’île des Esclaves au studio de la Comédie-Française
(Carrousel du Louvre), jusqu’au 13 avril.
Durée : 1h.
Réservations : 0825 10 1680 ou www.comedie-francaise.fr
[Complet]

Documents pareils