l`équilibre rompu du couple merkozy

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l`équilibre rompu du couple merkozy
 L’ÉQUILIBRE ROMPU DU COUPLE MERKOZY 18.12.2012 (Prof. G. Casasus) Pour la première fois dans l’histoire de la relation franco‐allemande, la coopération entre les deux principaux dirigeants de la France et la République d’Allemagne donna naissance à un néologisme qui fit le bonheur de nombreux commentateurs. C’est avec la « Merkozy » que l’on définissait alors un partenariat qui, une fois de plus, se voulait exemplaire. Mais la coopération franco‐allemande sous Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ne fut pas, tout au moins à ses débuts, si paisible et harmonieuse que l’on a bien voulu le dire. En réalité, c’est la crise grecque et la crise de l’euro qui déterminèrent la relation franco‐allemande au sein de l’Union européenne. En désaccord au début, Sarkozy et Merkel se rapprochèrent, par la suite, à grands pas pour adopter des positions communes, qu’ils essayaient de rendre majoritaires au sein des vingt‐sept. Toutefois, même si le recul historique n’est pas très important, on peut d’ores et déjà établir cinq thèses sur leur relation. Thèse n° 1 : sortir de l’impasse institutionnelle En 2007, tant Nicolas Sarkozy qu’Angela Merkel avaient besoin d’un succès personnel sur la scène européenne. Bien que leurs motivations ne fussent pas les mêmes, elles n’en demeuraient pas moins complémentaires. D’une part, Angela Merkel se devait de réussir la présidence allemande de l’Union européenne qui se déroula durant le premier semestre 2007. D’autre part, Nicolas Sarkozy devait s’affirmer sur la scène internationale européenne, après avoir remporté en mai 2007 les élections présidentielles face à la candidate socialiste Ségolène Royal. Lors des festivités qui accompagnèrent le 50ème anniversaire de la signature des Traités de Rome, la chancelière fit adopter ladite déclaration de Berlin qui se donnait pour « objectif d’asseoir l’union européenne sur des bases communes rénovées d’ici les élections au parlement européen de 2009. » Quant au nouveau Président de la République française, il essaya de mettre en œuvre son idée de « mini traité » qu’il avait développée durant sa campagne présidentielle. De fait, c’est grâce à la chancelière allemande et au Président de la République française que la voie de la signature du Traité de Lisbonne fut tracée. Après de longues négociations, qui avaient abouti aux premières heures du matin du 21 juin 2007, Sarkozy et Merkel pouvaient se féliciter d’avoir sorti l’Europe de l’impasse constitutionnelle dans laquelle elle s’était fourvoyée en 2005, à savoir lors du refus par les électeurs français du traité établissant une Constitution pour l’Europe. Ainsi c’est en décembre 2007 que le traité de Lisbonne vit le jour, sous la présidence portugaise et grâce à l’engagement d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy. Les débuts du couple Merkel / Sarkozy s’annonçaient donc un de bons augures. 1
Thèse n° 2 : les Relations Merkel‐Sarkozy se sont détériorées beaucoup plus vite que ne l’auraient cru les observateurs influencés qu’ils furent par le succès de la signature du Traité de Lisbonne Le principal point d’achoppement entre l’Allemagne et la France concernait ledit projet « d’Union pour la Méditerranée » de Nicolas Sarkozy. Développé par ce dernier durant sa propre campagne présidentielle, il ne reçut jamais l’assentiment de l’Allemagne et de la chancelière. Initialement prévu pour réunir tous les pays riverains de la Méditerranée, Israël y compris, il était sous le feu de la critique de Berlin, le gouvernement allemand n’acceptant pas que les pays non méditerranéens de l’Union européenne en soient exclus. Cette position était justifiée dans son principe. En effet, l’UPM créait une scission au sein de l’Union européenne. Néanmoins, l’Allemagne omettait de dire qu’elle avait participé dès le début des années nonante à la création de « l’Union des États baltes » qui relevait de la même logique. À ses dépens, il faut avouer que « l’Union pour la Méditerranée » constitue une force politique beaucoup plus grande que ne l’est « l’Union des pays baltes ». D’ailleurs, peu sont celles et ceux qui l’ont en mémoire. Dès le début, Angela Merkel s’est évertuée à casser le projet de son homologue français et à ne faire de l’UPM qu’une coquille vide. Rétrospectivement, il s’agit là d’un grand échec de politique étrangère pour Nicolas Sarkozy, dont la principale responsable n’est autre qu’Angela Merkel. Thèse N° 3 : la Proposition d’un gouvernement économique pour l’Europe demeura une éternelle pomme de discorde entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel Là aussi, vu avec recul, la chancelière a amoindri les espoirs que le Président de la République française avait placés dans cette idée qui, curieusement, reprise par un président de droite avait été développée depuis de nombreuses années par la gauche française. Dans le cadre de sa présidence particulièrement réussie de l’Union européenne durant le second semestre de l’année 2008, Nicolas Sarkozy développa, dès le 21 octobre 2008, l’idée du « gouvernement économique de l’Europe » devant les parlementaires européens réunis à Strasbourg. Ce même discours faisait suite à une autre allocution, qui aujourd’hui dénommée « discours de Toulon », avait pour cœur la refondation du capitalisme. En ce sens, Nicolas Sarkozy, souvent suspecté par ses adversaire de libéralisme, voire de néo‐libéralisme, se fit l’apôtre de l’interventionnisme étatique, notamment pour sauver le secteur bancaire. Ainsi de vieux réflexes franco‐allemands remontaient à la surface en ces heures dramatiques de la crise banquière et financière. Alors que l’Allemagne respectait ses fondements ordo‐libéraux, la France renouait avec ses réflexes colbertistes. Par conséquent, pour maîtriser la crise bancaire et financière, Paris et Bonn défendaient des positions diamétralement opposées. Et Angela Merkel ne céda jamais là‐dessus, même si Nicolas Sarkozy faisait croire bon an mal an qu’il avait réussi à créer les bases d’un gouvernement économique pour l’Europe. Thèse n° 4 : les préférences politiques s’imposent à partir de 2009 dans la relation entre les deux pays Pour la première fois depuis de Gaulle et Adenauer, et encore sous des conditions alors totalement différentes, des leaders du même camp politique s’entendirent pour définir en commun les contenus de la relation franco‐allemande. C’est à partir de la moitié de l’année 2009 que s’établissent des liens 2
de confiance entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. Il s’agit non seulement d’un processus personnel mais aussi d’une démarche politique voulue par les deux partis de la droite française et allemande que sont la CDU et l’UMP. Même si, lors des élections européennes du 7 juin 2009, les démocrates‐chrétiens étaient en recul par rapport au scrutin 2004, ils obtenaient avec près de 31% des voix, un score de 10 points supérieur à celui de leurs rivaux du SPD. A nouveau la CDU venait‐elle de prouver qu’elle incarne pour les Allemands au mieux l’idée de l’intégration européenne. Quant à l’UMP de Nicolas Sarkozy, elle enregistra avec environ 28% des voix, un résultat particulièrement appréciable, à l’heure où, un an plus tôt, la politique du Président Sarkozy avait été sanctionnée à l’occasion d’élections partielles, à caractère national. La CDU et l’UMP avaient d’ailleurs manifesté leur identité de vue, lors de la tenue par la Junge Union et « les Jeunes Populaires » de l’UMP d’un meeting commun à Berlin le 10 mai 2009, ponctué la présence conjointe du Président de la République et de la chancelière. Jamais les intérêts, aussi bien nationaux que partisans, ne s’étaient aussi visiblement imbriqués l’un dans l’autre. Certaines voix critiques dénonçaient à cet égard une confusion des genres. L’identité de vue politique et partisane, née entre Sarkozy et Merkel en 2009, ne cessa alors de se renforcer jusqu’en 2012. En janvier de cette même année, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy avaient même évoqué l’invitation de la chancelière, en sa qualité de Présidente de la CDU, aux meetings électoraux du Président sortant. Se rendant compte que cette idée pouvait également être contre‐productive, Nicolas Sarkozy se raviva, et n’accueillit jamais Angela Merkel sous un chapiteau électoral de l’UMP. Toutefois, cette dernière adressa plusieurs signes de soutien en faveur de Nicolas Sarkozy, prenant un risque politique de ne pas évaluer à leur juste mesure les chances de succès de son rival François Hollande. C’est pourquoi, les soutiens partisans d’un ou d’une chancelière à l’égard d’un ou d’une Président‐e‐ de la République ou vice‐versa, recèlent quelques égarements, voire quelques faux pas qu’Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont tous les deux vécus à leurs dépens en 2012. 5 ème thèse : Indéniablement, c’est la crise grecque et la crise de l’EURO qui ont été au centre de la relation franco‐allemande durant l’année 2009 à l’année 2012 Au début de ces deux dernières crises, Paris et Berlin n’étaient pas sur la même longueur d’onde. Soutenus en cela par une opinion publique particulièrement réticente à aider les Grecs, Angela Merkel imposa un langage de fermeté. Quant à Nicolas Sarkozy, plus proche des intérêts des pays du monde méditerranéen, à l’exemple de son projet avorté de « l’Union pour la Méditerranée », essaya de prendre une position plus nuancée que celle adoptée par la chancelière. Défendant dès le début l’idée du maintien de la Grèce dans la zone euro, il montra quelque sympathie envers la création des euro‐bons, dont Angela Merkel ne voulait en aucun cas entendre parler. S’ensuivirent alors une dizaine de sommets, dits de la dernière chance, au cours desquels Nicolas Sarkozy, de manière volontaire ou non, céda de plus en plus aux exigences de son homologue allemande. Ainsi, après la tenue du sommet européen de la mi‐juin 2010, il dut, contraint et forcé, abandonner l’idée même du gouvernement économique européen, dont il s’était fait deux ans plus tôt le meilleur des porte‐
paroles. L’issue des discussions, souvent âpres, entre la France et l’Allemagne tournait irrémédiablement à l’avantage de Berlin, ce que même l’ancien Président de la commission européenne, Jacques Delors, regretta dans un article du Figaro en date du 15 juin 2010, lorsqu’il s’interrogea sur « la nouvelle donne de la politique allemande, (où) Mme Merkel ignore la notion de coopération renforcée… et la différence qualitative entre l’UEM et l’UEE. » Le tournant décisif eut 3
lieu quelques mois plus tard, lors du sommet de Deauville du 18 octobre 2010, au cours duquel, fidèle au principe du donnant‐donnant franco‐allemand, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel s’accordèrent sur une position commune. Le Président de la République obtint gain de cause pour différer les sanctions automatiques et rapides, auxquelles les États qui ne respectaient pas les critères du pacte de stabilité auraient été exposés. De même, il avait réussi à convaincre sa partenaire allemande de renoncer à impliquer les partenaires privés pour régler les créances des pays de la zone euro en difficulté. En contrepartie, Angela Merkel se satisfit de la réouverture du Traité de Lisbonne en matière économique et budgétaire. De Deauville naquit ainsi l’idée du « Mécanisme européen de stabilité » (MES) qui, officiellement lancé en octobre 2012, remplaçait cet autre instrument imaginé par les Européens que fut le « Fonds européen de stabilité financière ». Celui‐ci, bien qu’approuvé le 9 mai 2010 par les vingt‐sept pays de l’Union européenne, montrait déjà ses propres limites pour juguler la crise grecque et celle de l’euro. Mais, plus encore que ce n’était le cas pour le MES, c’est à partir de Deauville et de l’année 2011, que fut ouverte la voie du « traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) », appelé plus communément pacte budgétaire européen était désormais ouverte. D’inspiration presque exclusivement allemande, il fut largement défendu par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, notamment lors de la campagne présidentielle française de 2012. Combattu d’abord par le parti socialiste en France, et malgré sa promesse de ne pas le mettre en œuvre s’il était élu, ce fut le Président François Hollande qui, en fin de compte, le fit ratifier le 11 octobre 2012. En conclusion, les cinq ans de relations Sarkozy‐Merkel se soldent par un résultat critique et défavorable pour la France. Bien qu’ayant réussi à maintenir, coûte que coûte, tous les dix‐sept pays dans la zone Euro, Grèce y compris, le Président déchu a été obligé de faire d’énormes concessions à la Chancelière allemande. Au sein du couple Merkozy, dépeint, adulé ou décrié, c’est bel et bien la chancelière allemande, qui s’est imposée. En réalité, et même si le jugement peut paraître un peu dur aux yeux de certains observateurs, force est de constater que depuis 2010, Nicolas Sarkozy n’a fait que du suivisme vis‐à‐vis de son homologue allemande. Ainsi, du Nicolas Sarkozy, refondateur du capitalisme à Toulon en 2008, à son départ de l’Élysée le 15 mai 2012, il ne reste pas grand‐chose. En revanche, d’Angela Merkel, « la fille de Kohl », que l’on croyait il y a quinze ans sans envergure, existe désormais l’image de la femme la plus puissante du monde. C’est là l’expression même de l’équilibre rompu entre la France et l’Allemagne en cette fin 2012. 4