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27 décembre 2012 page 1/2 sur abonnement Éditions
El Cordobés, le coup de l’oreiller
El Cordobes, 1965 © Carretero
L
e 14 novembre, la municipalité de Palma del Rio, près
de Cordoue, a reçu en grande pompe et des mains de son
propriétaire une « almohada » ; un oreiller, un traversin
plutôt. Celui, mythique, de Manuel Benitez “El Cordobés”.
L’inestimable relique sera d’abord exposée au couvent Santa Clara dans le
cadre d’une expo sur le mirifique “Manolo” avant de rejoindre, comme
pièce unique vouée à l’admiration rêveuse des foules, la maison-musée
“El Cordobés” qui sera installée calle Ancha, près de la maison où est né,
en 1935 ou 36, on ne sait pas trop, le « Cinquième Calife » de la tauromachie. Maison, c’est vite dit : une seule pièce, une seule fenêtre, une seule
ampoule électrique, une table, une commode, quatre chaises, pas de
porte mais un rideau, pas d’eau potable, de la terre battue, cinq orphelins.
Rouge d’émotion, le maire de Palma, le señor Antonio Ruiz Almenara, a
expliqué que ce don « en disait long sur l’engagement du torero avec le
projet de créer un musée unique sur l’un des plus illustres personnages
nés à Palma ». Qui par parenthèse et par l’intermédiaire du sergent de la
Guardia Civil Rafael Mauléon alias “La Tomate” l’avait, à l’époque, au
nom de la loi dite « de vagos y maleantes » (vagabonds et délinquants
NDLR) foutu dehors parce qu’il volait des oranges, nationalisait les
poules d’autrui en les pêchant avec un hameçon, avait connu la prison à
Cordoue et estoqué et coupé deux oreilles d’un semental de don Félix
Moreno. Donc, l’oreiller. Le 2 février 1967 à la une de l’ABC quoi ? La victoire des troupes de Mao sur une rébellion pro soviétique au Sin-Kiang ?
Les rumeurs de conflit entre la Chine et l’URSS qui a installé vingt divisions à ses frontières ? L’arrêt momentané des bombardements américains sur Hanoi ? La visite du sénateur Robert Kennedy au pape ? Le
grand championnat de pelage de bananes remporté, à Londres, sous les
caméras de la télévision britannique, par “Pepe” de Valencia, rencontré au
cours d’un reportage sur le « swinging London » par le correspondant du
journal, envoyé spécial dans le quartier « ploutobohème » de Chelsea ?
Nada. À la une, une grande photo d’El Cordobés et, en manchette,
en gras, le tremblement de terre, le ciel sur la tête, el final de los haricots :
« El Cordobés s’en va ». En pied de page, l’arrêt de mort : « Mon heure est
venue, je me retire des toros. La phrase de Manuel Benitez “El Cordobés”
annonçant à l’improviste sa retraite, a éclaté comme une bombe dans le
monde taurin. Avec plus de cent corridas signées pour la prochaine saison
le torero abandonne, en pleine popularité, la profession où il a connu
la gloire et les millions. Apparemment il obéit à un pressentiment, un
avertissement de la providence. » La providence ? La Virgen de Belén
patronne de Palma. Elle lui est apparue en rêve la nuit précédente. Elle l’a
averti qu’il était en danger de mort, qu’un toro allait l’attraper et le tuer.
Manolo a réfléchi, a « consulté l’oreiller » et a pris cette décision communiquée le lendemain à 15 journalistes dans ses bureaux cordouans du
22 avenue du Généralissime. Il leur a assuré que c’était « irrévocable » ;
qu’il ne remettrait plus jamais l’habit de lumières ; qu’il ne reviendrait
pas « à la différence d’autre toreros » ; qu’on ne le verrait même pas en
festival. Il a ajouté qu’il ne comptait pas se marier, qu’il allait désormais
s’occuper de ses affaires [les propriétés, l’immobilier et l’hôtellerie NDLR]
et que oui, il allait continuer à peindre. Il a ajouté avoir fait part de cette
décision « très douloureuse » à ses proches, enfin ceux qui avaient un
téléphone. Puis, pour déconner un peu, on ne se refait pas, il s’est fait
couper, en rigolant, un bout de sa fameuse mèche par son valet d’épées.
Il a ajouté qu’il ne savait pas comment le public prendrait la nouvelle ni
qui, désormais, occuperait sa place dans la corrida. C’était ironique ;
réponse, personne. À Palma del Rio, Manuel Ruiz concierge de sa peña,
abasourdi, n’arrivait pas à croire à cette nouvelle, « hécatombe des espoirs
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des milliers de personnes qui le suivaient ». Il s’accrochait à cette expérience personnelle livrée au journaliste d’ABC : « combien de fois j’ai rêvé,
la veille du tirage de la loterie, que je touchais le gros lot. Eh bien mon
numéro n’est jamais sorti même pas au tirage du remboursable. » Il est
allé télégraphier au Cordobés. Il lui a dit qu’il avait, à genoux, imploré la
Virgen de Belén pour qu’il abandonne son affreux projet.
Le chirurgien Edelpegui, qui avait opéré le torero d’une rupture de
biceps au bras droit, l’avait vu quelques jours avant. Manolo lui avait
assuré qu’il était plus fort que jamais, qu’il préparait sa saison et commençait à s’entraîner. Pour le mundillo taurin tout s’écroule. C’est la
ruine. L’étouffement par le traversin. C’est que El Cordobés est le tiroircaisse du business. Il remplit les arènes, fait, des organisateurs aux marchands de pipas, tomber la manne céleste sur tout le monde. Y compris
sur les autres toreros payés plus cher ; y compris sur les journalistes qu’il
arrose sans s’en cacher. Un jour, par exemple par l’intermédiaire du taurin
José Ignacio Sanchez Mejias dit « huevos fritos », – il les adore – il rencontre le journaliste Clarito. « Huevos fritos » avertit l’idole : Clarito vient de
faire un papier dans la revue El Ruedo. Clarito à El Cordobés : « et il n’est
pas en votre faveur. » El Cordobés : « oui, on voit que tu n’es pas de ceux
que je paye ». Donc, branle-bas de combat dans la fourmilière.
Accompagnés d’une nuée de journalistes, les organisateurs des grandes
ferias, Canorea, Livinio Styuck, Barcelo, Balaña, Ramon Sanchez, partent
le 6 février en pèlerinage à Villalobillos une des propriétés cordouanes de
Manolo. Sans le clan Chopera, apoderado du « Cyclone de Palma ». Il les
reçoit. Ils l’implorent pendant quarante-sept minutes, lui font remarquer
qu’il a signé des contrats et que ça pourrait lui coûter en procès quelques
deux cents millions de pesetas. Manolo se gratte la tête, se laisse fléchir,
jure qu’il ne veut porter préjudice à personne, qu’il se doit à son public
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et que té, vé, dès mars il sera à la feria de Castellon. Il remonte dans sa
chambre, redescend avec le foutu oreiller, l’engueule devant tous : « maudit
sois-tu. Le coupable, c’est lui ». Dans la foulée, il le met aux enchères que
remportera Balaña. Elles atteindront deux cents mille pesetas qui seront
versées à la clinique San Rafael. La almohada partira un temps au musée
taurin de Barcelone. Évidemment il a négocié une hausse de ses contrats.
Il touchait jusque là, la somme faramineuse de « un kilo » ; un million de
pesetas par course. Mais faut pas rêver. Désormais ce sera plus : 1 million
et demi (deux cent soixante cinq mille euros) à verser à midi le jour de
la corrida et plus encore en Amérique du Sud et plus encore à Madrid où
en mai 1967, il prendra 2,5 millions de pesetas soit 441.000 euros.
El Cordobes pouvait, par corrida, se payer un appartement de plus de
300 m2 en plein Madrid. Le cauchemar s’éloigne, la vierge remballe sa
prémonition et Cordobés fait signer l’accord sur le traversin. Puis il offre
le vin et les sandwichs au jambon. Qui a, pour lui, outre le goût imputable
aux glands de chêne, celui de la revanche bien mastiquée. C’est ce que,
avec ses premiers sous, il s’était payé en priorité. Un jambon. Comme un
baromètre. Il exorcisait son ancienne faim de vagabond et plastronnait
maintenant son opulence et son pouvoir. Depuis il en a trimballé toujours
un avec lui. Il l’accrochait aux fenêtres des chambres d’hôtel où il s’habillait en torero et dira un jour que « le jambon, c’était plus qu’un ami pour
moi ». Et la vierge de Belén là-dedans ? Pour qu’elle ne soit pas vexée, le
11 octobre 75, il se mariera avec Martine, une française, “La Pantera”
dans son ermitage de Palma del Rio. Il y entrera « a hombros » porté par
ses admirateurs qui, dans l’enthousiasme, casseront la porte et des bancs.
Commentaire d’un admirateur sur l’affaire almohada : « ça, ça s’appelle
commander. Tout le monde à ses pieds y compris Balaña. Aux pieds du
fils d’un anarchiste. Dos cojones. Benitez, comment tu torées je m’en fous,
mais ton histoire ce fut ton triomphe et celui de beaucoup d’entre nous. »
Amériques. LIMA dimanche 9, Daniel Luque,
Cornes. Ponce dans Aplausos : « je n’ai jamais vu un toro d’encaste
Chamaco dans la revue Taurodelta. « La première
2 oreilles. Luque : « le meilleur de ma tauromachie est
à venir ». MEXICO Dimanche 15, Padilla, 1 et
1 oreille. MEXICO Dimanche 23, le torero de Tlaxcala
Angelino de Arriaga, 21 ans, fils du banderillero El
Pulques, frère du matador José Luis de Arriaga offre
Revolucionario, toro de réserve de Jorge Maria, et le
fait gracier. QUERETARO (Mexique) mardi 25, El
Payo : 1 et 1 oreille, David Silveti : 2.
classique, Domecq ou Nuñez avec des cornes toutes noires être bon.
Corne blanche et bout noir, oui. »
fois que je me suis mis devant un toro j’avais 14 ans.
C’était l’été et j’arrivais de Londres où j’avais étudié
plusieurs années au Saint Edmund Collège. Ce jourlà le torero de Huelva Emilio Silvera tuait un toro en
privé dans l’élevage de mon père. Et, sans que j’ai
jamais touché une cape de ma vie, il vint à mon père
l’idée de me défier : “tu serais capable de toréer ce
toro ?” À l’époque, je n’avais pas pris la décision d’être
torero mais comme nous en avions parlé il a voulu me
tester sans hésitation. Le toro pesait plus de 500 kilos.
J’y suis allé. J’ai à peine collé quelques passes mais,
ce que j’ai ressenti, je ne l’ai toujours pas oublié.
Ce fut une terrible décharge d’adrénaline. » Chamaco
s’occupe maintenant de commercialiser l’huile d’olive
des propriétés familiales.
Cano. Le photographe Francisco Cano, toujours en
activité, surnommé “Curro Ruina” par les Bienvenida
quand il allait chez eux se faire payer ses photos, a
fêté ses 100 ans le 18 décembre.On pense qu’il a dû
faire plus de 2 millions de photos dont celles qui l’ont
rendu célèbre de la mort de Manolete à Linares.
San Sébastian.
Jeudi 20, l’opposition municipale formée par le PNV
(Parti National Basque) le PP et le PS a mis en
minorité le parti majoritaire Bildu favorable à
l’interdiction des toros à San Sébastian dès 2013.
L’opposition a imposé que les arènes d’Illumbe
puissent être louées l’an prochain à un organisateur
de corrida. Le vote est parti d’une initiative du PNV.
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Ephémérides.
LE 12 DÉCEMBRE 1952, dans les
locaux madrilènes de l’École officielle
de journalisme, Antonio Bienvenida
dénonce l’afeitage : « la fiesta
nacional est une profession
d’hommes et, comme tels, les toreros
ne doivent pas tolérer les toros
afeités qui avilissent une lutte
noble ». Réaction des autorités : la
Dirección general de Seguridad
interdit l’afeitage et impose que l’on
publie l’âge et le poids des toros. Réaction des toreros : Pedres,
Jumillano, Rafael Ortega, Antoñete, Julio Aparicio, menés par Antonio
Ordoñez dénoncent Bienvenida comme « ennemi de la fiesta ». Ils le
boycottent. Le boycott durera plusieurs saisons. Aparicio rompra le
pacte et s’alignera à Madrid dans un mano a mano avec Bienvenida.
Chacun se brindera un toro.
EN 1965, Bienvenida torée, en mano a mano avec Ordoñez, la corridaconcours de Jerez. Au cinquième toro, Cubanosito, il interdit à
Ordoñez d’intervenir au quite puis, à la muleta, pour montrer la
noblesse du toro, le torée intégralement sans l’aide de l’épée. Il le fait
gracier. Le toro appartenait à la ganaderia d’Ordoñez.
LE 5 OCTOBRE 1975, Bienvenida sera mortellement blessé dans une
tienta par la vache Conocida de Amelia Pérez-Tabernero. Le 8, les
arènes et la piste de Las Ventas étaient pleines pour, aux cris de
« torero ! » et de « Bienvenida, caballero ! » l’accompagner dans sa
dernière vuelta. Son cercueil était porté par Angel Peralta, Paco
Camino, Curro Romero, Paquirri, Palomo Linares et son frère Angel
Luis Bienvenida.
Collection Henriette et Claude Viallat.
editions.atelierbaie.fr Bruno Doan

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