La question de l`alternance en France

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La question de l`alternance en France
D O S S I E R L’apprentissage en France
La question de l’alternance
en France
La formation professionnelle est fortement scolarisée en France. La formation en alternance connaît cependant une
renaissance, et les chercheurs s’y intéressent de plus en plus, au plan historique comme à celui de sa concrétisation
dans les établissements de formation.
En France 25 pour cent des titres de
formation professionnelles de base sont
preparé en apprentissage
Jacques Amos
En France, la formation professionnelle est
dominée par le modèle scolaire. Actuellement, 4 jeunes sur 10 préparent un diplôme
professionnel ou technologique dans le
cadre d’une école à plein temps, 1 jeune sur
10 à peine prépare le diplôme équivalent
sous forme d’apprentissage en entreprise.
Comme d’autres auteurs, Guy Brucy et Vincent Troger 1 y voient le résultat d’un débat
historique lié à l’insertion économique et
sociale des enfants de milieu populaire,
dans une tension entre l’enjeu de socialisation et l’enjeu de formation professionnelle
de cette fraction de la jeunesse.
L’apprentissage en hausse
Cependant, l’apprentissage est en nette augmentation en France. Depuis 1973, les effectifs ont plus que doublé, passant de
150 000 à 350 000 apprentis. Ce sont actuellement 25 pour-cent des titres de formation professionnelle de base qui sont préPANORAMA 1/2001
parés en apprentissage. Selon Gilles Moreau, trois éléments principaux expliquent
cette évolution. Le premier est d’ordre législatif, avec l’intégration de l’apprentissage
dans le système officiel de la formation professionnel (1971). En 1987, cette reconnaissance s’étendait aux diplômes supérieurs de la formation professionnelle. Enfin, des incitations financières aux entreprises ont été mises en place dès 1993, en
même temps qu’était supprimée l’autorisation préalable de former.
Le deuxième élément a trait au fort chômage des jeunes et aux formes nouvelles
d’alternance qui ont été développées pour
faciliter leur insertion. En plus de la nouvelle légitimité que recevait ainsi la collaboration avec les entreprises, l’apprentissage
bénéficiait d’un regain d’image, du fait
qu’une partie des jeunes en grande difficulté
d’insertion étaient dorénavant pris en charge par d’autres structures. Enfin, les élites
économiques et politiques ont contribué à la
revalorisation du rôle des entreprises dans
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la formation, que ce soit à travers des tentatives de disqualification sociale de l’école,
ou en mettant un accent sur les fonctions
qualifiantes de l’entreprise.
Cinquante ans d’évolution
Pour une part, le débat autour de la scolarisation de la formation professionnelle
tourne en France autour du thème de la centralisation/décentralisation. Après la 2ème
guerre mondiale, la gestion de la formation
professionnelle a été centralisée au niveau
national. Des tensions y sont apparues au
sein même du monde patronal. Favorable à
la formation en entreprise : le secteur artisanal, très méfiant à l’égard de l’école, et
une partie de la grande industrie, qui privilégiait la capacité productive immédiate. Au
contraire, les entreprises à fort renouvellement technologique et/ou soumises à concurrence internationale privilégiaient une
approche fondée sur un bon enseignement
général et des formations standardisées au
plan national.
DOSSIER
Pour Guy Brucy et Vincent Troger, cette
stabilité allait cependant être remise en
cause, comme en Suisse, au moment du développement des nouvelles technologies et
de nouvelles formes d’organisation du travail, durant les années quatre-vingt. Le système tendait à accroître les exigences, et
allait ainsi dans le sens voulu par les autorités : 80 % d’une génération avec le baccalauréat, dont le baccalauréat professionnel. Moins valorisés, les titres professionnels sont en chute libre. Jusqu’à ce que l’évolution évoquée plus haut inverse la
tendance.
Ecole – entreprise, rupture ?
Comme le fait remarquer Lucie Tanguy,
l’intégration de la formation professionnelle dans un cadre scolaire n’a pas pour
autant signifié la rupture des liens anciens
avec les entreprises. Dès l’après-guerre,
les conventions entre instances patronales
et autorités locales constituaient déjà une
forme de ce qu’est devenue l’alternance.
Par ailleurs, les grandes entreprises, notamment dans l’automobile et la métallurgie, ont conservé jusque dans les années
soixante leur centre de formation. Il est
vrai que l’intégration, dès ce moment, de la
formation technique et professionnelle
dans le giron scolaire donne l’idée d’une
coupure radicale entre école et entreprise,
mais c’est surtout du fait que l’on concentre le regard sur les dispositions réglementaires. Dès le début des année septante, en
effet, la restauration de l’apprentissage,
puis l’instauration de stages pour les élèves des lycées professionnels inverse le
mouvement, qui s’accentue durant les vingt
dernières années. Guy Brucy et Vincent
Troger constatent cependant que le modèle scolaire est aujourd’hui remis à nouveau
en question par le patronat moderniste, qui
prône plutôt la flexibilité et la concurrence
entre voies de formation et diplômes.
Logique scolaire ou logique de
production
La recherche porte entre autres sur les effets de l’organisation de l’enseignement
professionnel au niveau des programmes et
de leur mise en œuvre. Dans une analyse de
sujets d’examens (niveau brevet technique), Henri Eckert et Patrick Veneau constatent que c’est une logique scolaire de
transmission des connaissances qui prévaut. Du coup, l’adéquation voulue entre la
formation et l’emploi n’est pas transférée
dans la réalité, entre autres parce que la référence aux exigences du travail est bien inPANORAMA 1/2001
tégrée au niveau de la gestion des programmes, mais non à celui de leur transposition didactique.
Dans la même problématique, Lucie Tanguy évoque l’analyse des épreuves pratiques demandées au CAP dans les années
cinquante d’une part, dans les années septante d’autre part. Elle révèle un glissement d’un enseignement de savoirs de métiers à un enseignement centré sur des savoirs techniques formalisés. Ceci s’explique par l’évolution du recrutement des
enseignants des centres d’enseignement
professionnel. Les anciens ouvriers qualifiés qui dominaient dans un premier temps
voyaient dans l’apprentissage technique un
moyen en vue de la production concrète,
alors que les diplômés de l’enseignement
technique, qui leur ont succédé, tendant à
orienter leur enseignement vers la compréhension des objets techniques euxmêmes. On assiste donc au remplacement
d’un mode de relation à la technique fondé
sur la pratique à un mode fondé sur la connaissance rationnelle. Mais par ailleurs,
chacune de ces deux logiques est inégalement judicieuse et applicable selon les
orientations techniques. Le modèle rationnel convient mieux par exemple à l’électronique et à l’électrotechnique qu’à des orientations plus artisanales.
La place de l’enseignement
professionnel
La référence à la transposition renvoie bien
sûr au recrutement du corps enseignant.
Patrice Pelpel relève que si l’enseignement
technique tend à se rapprocher de l’enseignement général, notamment dans son
recrutement des enseignants et ses modes
d’organisation, l’enseignement professionnel de son côté conserve, voire développe
son identité propre. Elle est caractérisée
notamment par des établissements et un
corps enseignant spécifiques, des diplômes
orientés vers l’univers professionnel et un
public d’élèves au profil scolaire et social
particulier. Cette évolution tend à rapprocher l’enseignement professionnel à plein
temps du modèle de l’apprentissage, en
particulier par l’importance qu’y prennent
les relations aux milieux professionnels et
aux entreprises. L’enseignement professionnel se trouve ainsi dans le nécessité de
se redéfinir par rapport aux deux logiques
lourdes que sont celles de l’université d’un
côté, et de l’entreprise de l’autre.
Alternierende Berufsbildung in Frankreich
In Frankreich, einem typischen Vertreter der
Länder mit betont schulischer Berufsausbildung, hat sich dennoch im Laufe der letzten
Jahre ein bedeutender Zuwachs an alternierenden Ausbildungen ergeben, vornehmlich
in Form betrieblicher Lehrlingsausbildungen. Alternierende Ausbildungsformen führen heute zu einem Viertel der ausgestellten
Fachdiplome. Gesetzesänderungen und das
Zurückgreifen auf spezielle Einrichtungen
bei Eingliederungsschwierigkeiten von Jugendlichen haben zu dieser Entwicklung beigetragen.
Die Diskussion über das Alternieren ist einerseits den Problemen gewidmet, die mit einer vom schulischen Modell geförderten
Zentralisierung zusammenhängen. Die Arbeitgeberschaft ist darüber geteilter Meinung. Die Chefs der kleinen und mittleren
Betriebe misstrauen der Schule ebenso wie
jene der Grossindustrie, während Betriebe
mit schneller Technologie-Entwicklung und
einer starken Orientierung auf internationale Konkurrenz die allgemeine Ausbildung mit
standardisierten Titeln bevorzugen. Andererseits spielt beim Umsetzen der Programme die Organisation der Fachausbildung
und die Rekrutierung des Lehrkörpers eine
Rolle. Die Entfernung von der beruflichen
Praxis begünstigt gegenüber dem Produktionsprozess einen Zugang mit Augenmerk
auf die Theorie der technischen Gegenstände selbst.
JA/BR
Jacques Amos est sociologue, chercheur au
Service de la recherche en éducation du canton
de Genève. Adresse: SRED, quai du Rhône 12,
1205 Genève, E-mail: [email protected]
1 Les références de cet article sont tirées du n°
131 de la Revue français de pédagogie,
avril–mai–juin 2000, consacré entièrement aux
«formations professionnelles entre
l’Ecole et l’Entreprise».
Foto: Karl Hofer
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