Communication pour la Conférence Internationale de l`AIMA en

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Communication pour la Conférence Internationale de l`AIMA en
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Communication pour la Conférence Internationale de l’AIMA en
Estonie 26-30 juin 2013 (Groupe thématique sur le seigle).
LE PAIN BOUILLI DE VILLAR- D’ARÈNES
Dans ce village alpin situé à 1650m d’altitude, on fabrique le pain
bouilli une fois par an, en novembre. Ce sont les hommes du village
qui confectionnent plusieurs fournées successives de ce pain fait
uniquement à base de farine de seigle et d’eau bouillante. La
fabrication, la cuisson et le ressuage se partagent trois espaces
spécifiques : la salle des pétrins « les arches », le fournil « l’enfer »,
et le grenier « le paradis ». Après avoir ébouillanté la farine la veille,
les hommes pétrissent la pâte à bras et aux poings pendant deux
heures. Après six heures de repos, la pâte est découpée en pavés
avant d´être enfournés pour cuire pendant sept heures. Lors du
défournage, une chaîne humaine se forme pour faire passer ces
centaines de pains de « l’enfer » au « paradis » où ils sont posés à
l’envers pour ressuer.
Le pain bouilli se conserve toute l’année. On le coupe en tranches
épaisses que l’on fait sécher sur des claies et que l’on doit tremper
au moment de les consommer. Ce pain dur comme du bois, peut
aussi se fendre à la hache où se casser au marteau!
La confection du pain bouilli est l’occasion d’une fête villageoise et
familiale. Mais, au-delà de cette activité annuelle hors du commun,
le pain bouilli raconte une histoire et fête un anniversaire. Quelle
histoire ?... Quel anniversaire ?.... Affaire à suivre.
Mouette Barboff
Docteur en Ethnologie-Anthropologie Sociale de l’EHESS/Paris
Présidente de l’Europe, Civilisation du Pain à la FMSH/Paris
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Villar–d’Arène est un petit village alpin situé à 1650 m d’altitude.
Vers la mi–novembre, lorsque la neige fait son apparition, les
villageois rallument le four communal afin de cuire le pain bouilli
pour l’année entière.
Cet évènement qui existait déjà au XVe siècle, réunit non seulement
les habitants du village, mais aussi ceux qui sont partis vivre en ville,
dans la plaine ou dans le Midi, et qui reviennent à cette occasion.
Autrefois, on éclairait le four communal le 12 novembre : « Comme
le 11, c’est la fête du pays, on allumait le four le lendemain »
explique une dame. Les fournées s’enchaînaient les unes après les
autres, de la Saint Martin jusqu’à Noël et parfois au-delà! Leur
nombre dépassait la centaine, puis elles se comptèrent par dizaines,
en 1967 il n’y en avait plus que douze, à présent il n’en reste plus
que quatre. La date est décalée au troisième week-end de
novembre, mais la tradition perdure. Le pain bouilli a gagné en
notoriété et, pendant trois à quatre jours, il y a foule au village… et
au four !
La fabrication, la cuisson et le ressuage du pain bouilli se partagent
trois espaces distincts : au rez-de-chaussée, la salle des pétrins et
le fournil, appelés respectivement les arches et l’enfer. Au premier
étage, le grenier surnommé le paradis.
Le pain bouilli, pain bouli ou po buli, est fait uniquement avec de la
farine de seigle, céréale que l’on cultivait localement. Pourquoi
l’appelle-t-on pain bouilli ? « Parce qu’il est pétri avec de l’eau
bouillante et rien d’autre » vous répondra-t-on. De nos jours la
culture du seigle est révolue, c’est un minotier de Saint-Andréd’Embrun qui livre les deux tonnes de farine nécessaires à la
fabrication des pains.
Les fournées s’enchaînent toutes les douze heures, à midi ou à
minuit. Plusieurs familles participent à la même fournée sous la
direction d’un responsable. Chaque fournée se calcule en seillées,
sachant qu’une seillée correspond à un seau en bois de 16 litres.
On en compte 14 ou 15 pour 500 kg de farine.
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Les préparatifs
Un homme rassemble les fagots pour chauffer le four. La première
chauffe est perdue car elle sert à « éclairer » le four qui n’a pas
fonctionné depuis un an. En fin d’après-midi, on fait chauffer l’eau
dans deux énormes chaudrons en cuivre de 250 et 300 litres,
suspendus au-dessus d’un foyer, à droite du four. Un villageois
alimente le feu pour la faire bouillir, opération qui prend deux
heures. Un poêle à bois permet par ailleurs, de chauffer la salle des
pétrins.
Première opération : ébouillanter la farine
Le soir, vers 22h00, les hommes s’apprêtent à ébouillanter un tiers
de la farine répartie dans les six pétrins larges et profonds en bois
d’acacia et de mélèze. Le porteur d’eau bouillante fait la navette
entre l’enfer et les arches, obligeant les assistants à s’écarter sur
son passage. A chaque seillée, un homme armé d’un râteau sans
dents le raclot, mélange l’eau et la farine, dans le sens longitudinal.
L’eau bouillante permet de faire gonfler la farine de seigle peu riche
en gluten pour lui donner de la consistance, procédé que les
professionnels appellent « faire la colle ».
Battage de la pâte
Après quoi, deux hommes placés côte à côte, se mettent à battre la
pâte à l’aide d’un bâton, en l’actionnant d’une paroi à l’autre, dans la
largeur du pétrin. Dans un geste rapide, ils ramènent les butoirs vers
eux puis les repoussent vers le bord opposé en heurtant chaque fois
les deux parois. Ils parcourent ainsi la pâte dans le sens de la
longueur et reviennent au point de départ.
Après cette opération quelque peu éprouvante, on recouvre les
pétrins avec une grande toile de lin blanc et on laisse la pâte
reposer pendant 12 heures.
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Le pétrissage
Le lendemain, on ôte les toiles. La pâte est recouverte d’une
pellicule sombre qui forme des plis. Le responsable de la fournée
verse le restant de farine dans chaque pétrin, tandis que trois ou
quatre hommes en maillot de corps ou torse nu, s’apprêtent à pétrir,
à la force des bras et des poings, pendant deux heures.
La pâte est très compacte et difficile à travailler.
Après avoir accompli neuf vires, on rassemble la pâte à l’extrémité
du pétrin où l’un des pétrisseurs la tasse avec son avant-bras pour
obtenir une surface lisse. Puis, dans un silence quasi religieux, et
sous l’œil attentif des assistants, le responsable trace dessus et
d’un seul trait, un superbe trèfle à quatre feuilles, en commençant
par le centre et en terminant par la tige. Puis, on recouvre à
nouveau les pétrins pour laisser la pâte reposer 6 heures.
Le découpage et le façonnage des pains
Vers 21h00, hommes et femmes reviennent au four où règne une
certaine confusion, chacun essayant, tant bien que mal, de se frayer
un chemin avec les plats cuisinés qui seront enfournés avant ou
avec les pains.
Le façonnage des pâtons commence : d’un côté les hommes
découpant avec une pelle-bêche, des cubes de pâte de 25 cm de
côté, de 4 à 5 kilos appelés picons, de l’autre, les femmes
regroupées autour d’une table en bois pour remodeler les pavés de
pâte à la main et apposer dessus la marque du propriétaire avec
une clé ou un décapsuleur, avant de les ranger sur une étagère.
La fébrilité est à son comble surtout parmi les enfants qui attendent
impatiemment les raclures de pâte avec lesquelles ils
confectionneront une poule ou un coq.
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L’enfournage
Les plats et desserts qui composeront le dîner, défilent sous les
yeux gourmands des participants avant d’être enfournés : ce sont
entre autres, les ravioles (purée de pomme de terre à la crème
fraîche); les girades (couronne de pain de froment), les pognes,
(tartes aux pommes), dont la cuisson à four ouvert, n’excèdera pas
30 minutes. Puis, après avoir libéré le four, c’est au tour des pains
d’être enfournés, en passant de main en main pour franchir le
portillon qui sépare les arches de l’enfer. Le fournier enfourne les
150 pains avec la pelle en bois et, en dernier, les cocottes en fonte
contenant les tourtes aux choux, bardées de fil de fer et surmontées
des petits pains figuratifs.
Il est temps de fermer la porte du four. Pour éviter toute déperdition
de chaleur, le fournier enduit le pourtour avec un mortier fait à base
de cendres et de graisse, et bloque la porte par une barre
transversale et des coins en bois. La cuisson va durer 7 heures.
Les gouchettes
Le lendemain, on sort les cocottes en fonte en premier et on
défourne un pain pour « faire gouchette ». Ce premier pain va être
sacrifié au rite ancestral. Le fournier et les hommes concernés par la
fournée, se réunissent autour de la table où sont posés une bouteille
de marc, un verre et une bougie : chacun arrache une bouchée de
pain chaud, la trempe dans l’eau-de-vie, la passe à la flamme de la
bougie et l’avale enflammée, sous les yeux admiratifs des
spectateurs. Autrefois, les hommes allaient s’asseoir au café pour
accomplir cette sorte de communion ; le propriétaire de la fournée
cassait le pain en deux et les gouchettes se multipliaient jusqu’à
épuisement du pain et du marc.
Défournage et ressuage des pains
On procède alors au défournage des pains. Ceux-ci ont tendance à
coller entre eux au cours de la cuisson. Il y a quelques années, celui
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qu’on appelait, le fourneron, n’hésitait pas à entrer à quatre pattes
dans le four à 60º ou 70º, pour décoller les pains à la truelle, en se
protégeant du mieux possible avec des genouillères, un foulard, une
casquette et des gants. Les habitants se souviennent encore de
l’homme ruisselant de sueur, le visage tuméfié et les yeux
enflammés, venant reprendre sa respiration à l’entrée du four et se
roulant dans la neige une fois sa mission terminée.
Une chaîne humaine se forme afin de faire passer les pains du
fournil au grenier auquel on accède par une échelle : « on les monte
de mains en mains jusqu’au paradis ! ».
Arrivés à destination, les pains sont rangés à l’envers sur des claies
en bois pour ressuer pendant 12 heures, c’est-à-dire permettre à
l’excès d’humidité contenue dans les pains de s’évaporer.
Passé ce délai, un homme monte au paradis et, de l’ouverture du
grenier donnant sur la ruelle, lance les pains un à un à chaque
propriétaire qui les récupère dans une brouette ou le coffre de sa
voiture avant de les transporter chez lui.
Au bout de quelques semaines, on coupe les pains en tranches
épaisses, les clapes, que l’on fait sécher sur des claies, dans le
grenier sec et aéré, où elles se conservent un an. Pour le couper on
se sert d’une sorte de coupe pain. L’ancienne méthode consistait à
le scier, à le fendre à la hache ou le casser à coups de marteau !
Il va sans dire qu’à ce stade, le pain est dur comme du bois ! On doit
le faire tremper plusieurs heures ou l’envelopper dans un linge
mouillé pour le ramollir avant de le consommer dans la soupe ou le
lait.
Les gens de Villar-d’Arène font également du pain de froment, mais
contrairement à ce qu’on pourrait croire, c’est le pain de seigle qui
tient le devant de la scène. A l’occasion de ce rendez-vous annuel,
la mobilisation des villageois, l’organisation et le déroulement des
opérations sont immuables et quasi religieux.
Je signale à ce sujet le très beau travail réalisé par de Marcel Maget
en 1946.
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Doutes et interrogations
A quoi correspondent cette fête et la confection rituelle de ce pain
s’interrogeait déjà un journaliste en 1974? Quelqu’un lui aurait
répondu que la recette venait d’une communauté israélite qui vivait
à Valfroide, à une heure et demie de marche de Villar, il y a de cela
des centaines d’années.
Forte de cette indication ô combien précieuse, et intriguée tout à la
fois, par ce pain azyme composé de farine et d’eau bouillante, par la
dénomination des espaces opérationnels, par la technique de
pétrissage et l’usage inhabituel de certains instruments, j’allais
effectivement faire des rapprochements significatifs avec le passé
de cette communauté et la célébration annuelle de la Pâque juive.
Mais pourquoi ce lien avec le pain bouilli ? En raison
l’antisémitisme, les Juifs furent contraints d’exercer leur culte
secret et de trouver des subterfuges pour transmettre l’histoire
leurs ancêtres. Dans le cas présent, c’est à travers la fabrication
ce pain hors du commun.
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de
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Ceci n’a rien d’étonnant car, au cours de mes investigations, j’ai pu
constater que dans bien des cas, le pain sert en effet, de support à
une histoire, une légende, un mythe.
Je vais donc reprendre quelques aspects qui selon moi, illustrent
cette interprétation.
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De « l’esclavage » à la terre promise
La croyance selon laquelle le peuple juif était traité en esclave par le
pharaon, est démentie par les archéologues, cependant, c’est à lui
que revenait le pétrissage de la pâte et de l’argile. Une scène de
boulangerie représentée sur la tombe de Ramsès III, montre deux
hommes tenant chacun un bâton et occupés à pétrir la pâte avec les
pieds.
Beaucoup plus tard, Hérodote (484-420 av. JC) notait à propos des
Egyptiens cette phrase devenue légendaire : «ils pétrissent la pâte
avec les pieds, l’argile avec les mains ».
De nos jours, les hommes ne pétrissent plus la pâte avec les pieds
comme ils le faisaient dans certains villages alpins jusqu’au début
du XXe siècle, mais l’usage du bâton s’est maintenu. Autres détails
intéressants, l’utilisation d’une pelle-bêche pour découper la pâte en
pavés dont la finition se fait à la main, deux techniques qui évoquent
successivement, la préparation du mortier destiné à confectionner
les briques du pharaon.
Après 210 ans de « servitude », Moïse encouragea les fils d’Israël à
fuir dans le désert où ils séjournèrent 40 ans avant d’atteindre la
terre promise. Regrettant de les avoir laissé partir, le pharaon lança
son armée à leur poursuite. La situation des Hébreux semblait
désespérée : « derrière eux le désert, devant eux la mer ».
Chose curieuse, lors du premier pétrissage, une partie de la farine
reste à sec tandis que la pâte liquide occupe les deux tiers du pétrin,
pourquoi ? D’un côté le désert, de l’autre la mer ?
C’est alors que Yahvé commanda à Moïse de lever son bâton et
d’étendre la main sur la mer. Ainsi fit le prophète. Aussitôt, un vent
fort se leva, les eaux se fendirent, laissant un passage à sec entre
deux murailles d’eau : « une muraille à leur droite et une à leur
gauche ». Les Egyptiens tentèrent de les suivre, mais Moïse étendit
à nouveau la main sur la mer qui se referma sur eux et les engloutit.
Revenons au pain bouilli : lorsque les hommes battent la pâte avec
leur bâton, ils se déplacent latéralement tout en frappant les parois
du pétrin transformées soudain en murailles, comme pour ouvrir un
passage dans la pâte liquide, à l’instar du prophète écartant et
refermant les eaux. La rapidité de cette séquence et l’esprit de
compétition qui anime les intervenants renvoient au caractère
d’urgence de la situation, et la victoire sur les poursuivants.
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Mais nous dit la Bible, l’exode ne faisait que commencer et la
traversée du désert allait durer 40 ans.
Lorsque les pains sont entreposés au grenier, posés côte à côte, la
croûte inférieure forme une surface plane, jaunâtre et craquelée qui
fait immédiatement penser à la terre aride du désert lorsqu’il n’a pas
plu pendant longtemps.
Après avoir erré dans le désert, en proie au doute et à la faim, Dieu
fit tomber sur le peuple d’Israël la manne céleste qui allait lui
permettre de survivre et d’atteindre la terre promise.
Après 12 heures de ressuage, les pains sont lancés du paradis aux
villageois qui, les bras levés vers le ciel, attrapent cette nourriture
providentielle, véritable don du ciel, qui les mettra à l’abri du besoin
pendant des mois.
Comparons à présent le pain bouilli et la Pâque juive
En quittant l’Egypte à la hâte, les Hébreux n’eurent pas le temps de
faire lever la pâte et emportèrent des pains faits uniquement de
farine et d’eau. La fête de Pessah ou Pâque juive commémorant la
fuite d’Egypte, se caractérise par l’obligation de manger du pain
azyme pendant 7 jours, d’où l’appellation « Fête des pains
azymes ». Les familles dispersées se retrouvent à cette occasion.
Après la cérémonie du seder, le chef de famille prend un pain
azyme, le casse en deux et dit : « comme notre maitre Moïse a
partagé la mer en deux, je partage cette galette en deux». Dans
certaines communautés juives, le morceau de galette appelé
afikomen, doit être consommé à la hâte, en mémoire de la fuite
précipitée d’Egypte.
Comme nous l’avons constaté, le pain bouilli est un pain azyme. Au
cours de la cérémonie des gouchettes, le responsable de la fournée
partage lui aussi le premier pain azyme en deux. Les morceaux de
pain trempés dans le marc et enflammés sont également avalés à la
hâte, avant que la flamme ne s’éteigne.
Dans le monde séfarade, le plateau du seder circule au-dessus des
têtes, et parmi les aliments disposés sur le plateau figure le
harosset, purée de fruits et d’épices symbolisant le mortier et l’argile
que les Juifs pétrissaient pour fabriquer les briques du pharaon.
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Le pain bouilli, évocation du mortier et des briques du pharaon,
circule au-dessus des têtes des participants jusqu’au grenier, grâce
à l’échelle qui relie la terre au paradis.
Pessah est aussi la fête des enfants. Au cours de la cérémonie du
seder, on s’arrange pour les tenir éveillés jusqu’au petit matin.
Au four, les enfants attendent ile moment de façonner leurs petits
sujets en pâte, même à une heure avancée de la nuit.
Au cours du récit de la sortie d’Egypte, chaque convive est amené à
boire quatre coupes, en se faisant servir par un autre.
Chaque fournée de pain est ponctuée par quatre pauses au cours
desquelles les hommes se servent à boire mutuellement.
Le repas de Pessah a lieu dans la seconde partie de la cérémonie
du seder. Une fois les pains enfournés, les familles concernées
rentrent dîner et faire la fête.
La clôture de Pessah célèbre l’année à venir. La fin de la fournée
donne aux familles l’assurance d’avoir du pain pour l’année.
Après Pessah, le pain azyme fait place au pain levé. Après les
fournées de pain bouilli, les Farenchins chauffent un autre four
attenant au premier, pour cuire plusieurs fournées de pain levé.
Indépendamment de ces analogies entre le pain bouilli et la fête de
Pessah, un autre point reste à éclaircir : après le pétrissage, le chef
de la fournée dessine un trèfle à quatre feuilles sur la pâte, d’un seul
trait, simple ou double, geste qui semble retracer l’univers dans sa
totalité. Mais s’agit-il vraiment d’un trèfle comme l’affirment les
villageois? N’est-ce pas plutôt une pensée, symbole du souvenir ?
Une supposition que ces propos recueillis sur place semblent
confirmer: « La vie a changé, les besoins aussi, mais on fait toujours
un peu de pain bouli, par fidélité aux anciens, pour que chacun se
souvienne». Et d’ailleurs le pain bouilli s’appelle aussi « pain
d’anniversaire».
Le pain anniversaire
Ce pain a la couleur et le goût, doux et sucré, du pain d’épice. On
raconte que sur le chemin de l’école, les enfants du village ont
toujours au fond de leurs poches, des miettes ou petits morceaux de
pains qu’ils sucent comme des bonbons. Les adultes gardent parfois
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cette habitude jusqu’à l’âge de la retraite, en mâchonnant les
« bonbons » de leur enfance comme des chiques!
Présents ou non, les natifs de Villar-d’Arène manifestent un
attachement et une fidélité sans faille pour leur pain bouilli. Le pain
est attendu par ceux qui ne peuvent se déplacer, car on ne les
oublie pas: « on l’envoie partout en France aux anciens du village,
pour eux, c’est du gâteau » me confiait une villageoise. Un gâteau
d’anniversaire sans aucun doute ! Un anniversaire pour
commémorer la libération du peuple d’Israël, et surtout ne rien
oublier.
Un autre détail ne peut nous laisser indifférent : la salle des pétrins
surnommée les « arches », nom des pétrins autrefois, semble faire
écho à l’Arche d’Alliance - en hébreux Arche du témoignage-,
laquelle renvoie là encore, à l’Exode des Hébreux hors d’Egypte, en
direction de la Terre Promise.