Quelques notes sur une expérience d`enseignement du berbère

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Quelques notes sur une expérience d`enseignement du berbère
Quelques notes sur une expérience d’enseignement du berbère (kabyle) en
France
Dr. Amar AMEZIANE
INALCO, Paris, France
Introduction
L’enseignement du berbère en France est une tradition ancienne et foisonnante. Il concerne
principalement le domaine associatif et l’université. Dans le domaine associatif, il a commencé en 1978 (Djafri,
1983). D’innombrables associations berbères existent en France et bon nombre d’entre elles assurent des cours
de berbère(1). Elles tentent de répondre à une forte demande d’un public qui voudrait maintenir les liens avec le
pays natal ou, dans le cas des enfants nés en France, connaître la langue des parents. L’exemple par excellence
est celui de l’Association Culturelle Berbère (ACB) domiciliée à Paris, qui fournit un enseignement de berbère,
assuré par des enseignants qui possèdent une formation en études berbères(2). D’autres expériences existent
comme celle du Centre Culturel Algérien à Paris qui, dans le cadre de l’ELCO (enseignement des langues et
cultures d’origine) et en partenariat avec quelques associations, prend en charge l’enseignement du berbère. Il
faut ajouter à cela l’existence d’un enseignement du berbère à l’Ecole Internationale Algérienne de Paris dont
les cours de berbère sont assurés par Youssef Nacib(3).
Dans le domaine universitaire, outre l’université de Vincennes-Paris VIII et l’université de Provence qui
assurent depuis quelques années un cours de langue kabyle, l’INALCO reste la principale institution française
qui enseigne le berbère depuis 1913 et qui fournit, depuis quelques années, un cycle complet d’enseignement du
berbère, allant de la licence jusqu’au doctorat (Chaker, 1996). Initialement, l’enseignement était assuré par des
Berbérisants français qui faisaient appel à des répétiteurs berbérophones. Puis vint S. Chaker qui, locuteur natif
de la langue, n’eut pas besoin de répétiteur. Depuis son arrivée, les cours de berbère sont assurés par des
Berbérophones.
Nous nous proposons d’analyser, sans prétendre à l’exhaustivité, notre propre expérience
d’enseignement de la langue kabyle à l’INALCO en focalisant sur le public et la question des outils
pédagogiques. Ce qui suit n’a aucune ambition théorique : le but est simplement de présenter quelques aspects
d’une expérience pédagogique en cours.
1. Le public
(1)
Cf. Y. Djafri : « Enseigner le berbère aux immigrés », Langage et Société N° 23, 1983, pp. 77-85. L’auteur analyse l’expérience d’enseignement
du berbère dans les associations en France.
(2)
La télévision berbère BRTV de son côté a, pendant des années, organisé un cours de langue berbère assuré notamment par le défunt Nour Ould
Amara.
(3)
Lire son article qui rend compte de cette expérience.
En quelques années d’enseignement du berbère (kabyle) à l’INALCO, nous sommes frappé par
l’hétérogénéité du public et la diversité des profils, qui implique une diversité des motivations et des besoins.
Nous avons vu défiler tous les profils allant du sexagénaire retraité de la fonction publique qui veut renouer
avec le pays natal, au quinquagénaire journaliste-correcteur qui veut améliorer son kabyle parlé, etc. Ainsi, dans
cette diversité, nous avons identifié les profils suivants :
(i) Les auditeurs libres : Il s’agit généralement de personnes, d'origine kabyle, qui veulent garder ou
établir un lien avec la langue et la culture de leurs parents ;
(ii) Le public occasionnel est composé de doctorants, de chercheurs qui, pour un besoin particulier, sont
en quête de « choses » spécifiques. Ils sont généralement Français de souche ;
(iii) Les étudiants inscrits en licence, qui, eux, sont tenus d’assister à leurs cours et de les valider. Une
grande partie d’entre eux a déjà effectué des études de berbère en Algérie et dispose même d’une licence de
berbère. D’autres étudiants, originaires d’autres aires berbérophones (chleuh, rifain), sont tenus d’assister aux
cours de langue kabyle et passer les examens pour valider leur licence de berbère,.
Quand on dispose d’un public hétérogène, donc aux besoins aussi hétérogènes, se pose une question
cruciale : que faut-il enseigner ? Focaliser sur la grammaire ? Sur le lexique ? Sur la pratique de l’oral ou sur
celle de l’écrit ? Telles sont les questions sur lesquelles on bute face à un public hétérogène, d’autant plus que
les besoins ne sont pas les mêmes d’un étudiant à un autre.
N’était-ce cette hétérogénéité, la question serait moins « problématique », car face à un public
homogène, c’est son homogénéité même qui garantit une structuration plus ou moins aisée du cours. Or, dans le
cas présent, où les étudiants arrivent avec des besoins différents, c’est à l’enseignant d’adapter le contenu de
son cours à son public et adopter ainsi une « approche par besoins ». Ainsi, lorsque le public est plus ou moins
« étranger » à la langue, il est vivement conseillé de l’introduire aux fondamentaux de la langue (grammaire,
syntaxe) avant de privilégier une quelconque pratique orale de la langue.
2. La question des outils pédagogiques
La tradition berbérisante fournit aux enseignants d’importants outils de travail comme les grammaires
qui existent depuis l’époque coloniale. Cependant, dès qu’il s’agit de méthodes d’enseignement proprement
dites, le manque est très évident, notamment à l’adresse d’un public non berbérophone. Si la méthode
audiovisuelle Tizi n Wuccen a longtemps servi d’outil de travail, avec les années, son contenu s’avère, de l'avis
même de ses auteurs, dépassé. Que faire dans pareil cas ? L’enseignant n’a d’autre choix que l’éclectisme.
Outre La grammaire moderne du berbère de K. Naït Zerrad et Une première année de langue kabyle de Boulifa
(méthode certes ancienne mais néanmoins utile), nous avons recours à deux autres ouvrages :
(i) Initiation au kabyle, de Sr. Louis de Vincennes, C.E.B.F, Fort National, 1954
(ii) Initiation à la langue berbère (kabyle) de Sr. Louis de Vincennes & Dallet, FDB, 1960.
Le premier est un manuel qui, selon son auteur, s’adresse aux « débutants décidés à affronter les
difficultés de la langue kabyle dans le but d’arriver à la comprendre et à la parler ». Le manuel a été composé
dans un but pratique : les explications d’ordre grammatical ont été simplifiées et l’accent a été mis sur les
exercices.
Les textes puisés (dialogues, apologues…) ont à chaque fois reçu un meilleur feedback de la part des
étudiants qui ont trouvé ainsi l’occasion d’y puiser leurs besoins et de plonger dans la culture traditionnelle…
Nous avons en mémoire cette réaction d’un étudiant d’origine rifaine qui, lorsque nous avons abordé les
salutations en kabyle, a réagi ainsi : « voilà ce que je voulais savoir dès le début ! » car « nous au Rif, on se
salue autrement »… Lorsque les acquis linguistiques ont ainsi un ancrage sociologique, ils apportent une
satisfaction supplémentaire.
L’avantage que présente Initiation au kabyle, de L. De Vincennes est que chaque unité s’ouvre par un
texte qui détermine le cheminement que prendra le cours : c’est le texte qui détermine les structures
grammaticales à étudier, le lexique qu’il faut expliquer et par la suite les exercices structuraux à faire.
Le deuxième ouvrage, une version augmentée et étoffée du premier, a été écrit par le berbérisant Sr
Louis de Vincennes en collaboration avec un autre berbérisant, J.M. Dallet. L’ouvrage est composé de deux
volumes dont le premier est entièrement consacré à la grammaire de la langue kabyle, quant au deuxième
volume, il est dédié aux aspects pratiques de la langue : exemple : comment saluer et entrer en la matière,
comment demander son chemin…Ces aspects, comme nous l’avons vérifié auprès de notre public nonkabylophone, sont très fondamentaux dans l’apprentissage d’une langue car au-delà de la grammaire, ce sont
ces aspects pratiques de la langue (mis en relief à l’oral) qui l’intéressent le plus.
S’agissant du versant oral du travail, nous avons également recours à des chansons car elles sont
généralement le moyen par lequel les étudiants ont découvert la langue. Nous pensons au cas de Baba Inu Ba
qui a fait connaître la langue kabyle en France. Parfois, les extraits de films en kabyle, ainsi que des contes,
peuvent aussi servir cet objectif.
Conclusion
Il est difficile de dresser un bilan tant, hélas, beaucoup d’étudiants quittent en cours d’année pour des raisons
évidentes (travail, emploi du temps chargé), et d’autres qui le sont moins (peut-être parce qu’ils ne sont pas
satisfaits du cours !). Pour combler ces manques, le Centre de Recherche Berbère a lancé ce qu’on appelle
aujourd’hui le e-learning (les cours sont dispensés en ligne) mais on n’a pas encore évalué la portée de cette
entreprise… Ce qui est certain, c’est qu’il serait moins difficile de donner un cours de grammaire qu’un cours
de langue (de pratique de surcroit) à distance...
Vu les carences du point de vue didactique, il faudrait que les berbérisants œuvrent d’urgence à élaborer des
manuels de langue kabyle (berbère). On pourrait à ce propos s’inspirer des expériences d’autres langues. Il
semble également nécessaire de songer à inclure une formation en didactique à tous les niveaux (en licence,
master, doctorat) à même de permettre aux futurs enseignants de mieux appréhender leur pratique pédagogique.
Bibliographie
- Chaker, S., 1997, « La langue berbère en France. Situation actuelle et perspectives de
développement », Enseignement des langues d’origine et immigration nordafricaine en Europe :
langue maternelle ou langue d’Etat ?, Paris, INALCO,
(sous la dir. de M. Tilmatine)
- Chaker, S., 1996, « L’enseignement du berbère », in Encyclopédie berbère N° XVII,
Provence.
Edisud, Aix-en-
- Chaker (s. dir.), Tizi n wuccen. Méthode audio-visuelle de langue berbère (kabyle), Ais- en-Provence,
Edisud, 1986
- Dallet J.M. & Sr L. de Vincennes, Initiation à la langue berbère (kabyle), FDB, 1960
- De Vincennes, Initiation au kabyle, FDB, 1954.
- Djafri, Y., « Enseigner le berbère aux immigrés », in Langage et Société N° 23, pp. 77- 85, 1983.
- Sadi, H., « Quel rôle pour l’enseignement à distance de la langue berbère ? »,
en ligne].
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