Quel rôle le médecin généraliste souhaite-t

Transcription

Quel rôle le médecin généraliste souhaite-t
Dépistage du mélanome
Perceptions par les médecins généralistes de leur rôle dans
le diagnostic précoce des patients atteints de mélanome
Quel rôle le médecin généraliste
souhaite-t-il avoir dans la détection
précoce du mélanome ? Une étude
qualitative
General practitioner’s wished role in cutaneous melanoma
screening: a qualitative study
Analyse et commentaires d’Isabelle Ettori-Ajasse et Clarisse Dibao-Dina (UFR Tours)
D’après une communication de T. Duminil, M.-F. Borys, C. Millot (France)
exercer 2015;118(suppl 2):S20-S21.
Contexte
Mots-clés
Mélanome
Recherche
qualitative
La détection précoce des lésions cutanées tumorales
améliore leur pronostic selon la littérature scientifique actuelle. Des études récentes ont montré que
le médecin généraliste a un rôle primordial dans
cette démarche1.
Key words
Objectifs
Médecine
générale
Dépistage
Melanoma
Explorer le rôle que les médecins généralistes souhaiteraient avoir dans la détection précoce du mélanome.
Proposer des pistes pour optimiser la détection précoce
du mélanome par le médecin généraliste.
General
Practice
Screening
Qualitative
study
Méthode
Étude qualitative par entretiens collectifs semi-dirigés auprès de médecins généralistes du nord de la
[email protected]
France. Trois focus groups ont été organisés, comprenant chacun entre 6 et 10 médecins généralistes
issus de l’agglomération lilloise, le Valenciennois et
les Flandres. Les médecins ont été sélectionnés par
échantillonnage non orienté, raisonné, des médecins
du Nord, et contactés par téléphone. Le guide d’entretien comprenait trois parties : des questions générales
sur la prévention et le dépistage en médecine générale,
puis sur la place et la pratique de la dermatologie en
médecine générale, et enfin plus particulièrement sur
le mélanome. Les modérateurs étaient des enseignants
de médecine générale et les observateurs des internes
réalisant leur travail de thèse.
Quatre entretiens individuels semi-structurés supplémentaires ont été réalisés pour vérifier la suffisance
des données. Les médecins étaient choisis selon leur
lieu d’exercice et leur ancienneté. L’interviewer suivait
le guide d’entretien modifié à l’issue des focus groups.
La triangulation des méthodes a permis de renforcer
la validité des résultats obtenus.
Les focus groups et entretiens ont été intégralement
enregistrés, retranscrits et anonymisés. Le codage et
l’analyse thématique ont été réalisés à l’aide du logiciel
NVivo ®.
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Résultats
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État des lieux de la prévention en médecine
générale
Les médecins généralistes ont constaté une augmentation des consultations en dermatologie depuis la
réforme du parcours de soins. C’est une spécialité qui
e x e r c e r la revue francophone de médecine générale
Vo l u m e 2 6
N° 118 (suppl 1)
Dépistage du mélanome
leur semblait difficile et ils avaient facilement recours
au dermatologue. Ils considéraient avoir surtout un rôle
de « débrouillage » des lésions cutanées et se sentaient
bien placés pour assurer la prévention du mélanome
du fait de la proximité avec le patient. Les principaux
facteurs de risque et les règles de la détection précoce
semblaient bien maîtrisés mais n’étaient pas systématiquement mis en application.
Freins à la détection précoce
Les médecins généralistes interrogés estimaient manquer d’expérience et de formation dans le diagnostic
des lésions cutanées par rapport au dermatologue. Ils
craignaient de rassurer à tort les patients, au risque
d’une perte de chance. L’obstacle du déshabillage pour
l’examen cutané complet était souvent mentionné,
ainsi que l’aspect chronophage. Les médecins investissaient rarement dans l’achat de matériel spécifique
comme le dermatoscope. La prévention paraissait
patient-dépendante mais aussi médecin-dépendante
en fonction des habitudes de pratique, du lieu d’installation et de la sensibilisation du médecin aux actions de
dépistage. Les médecins disaient que la société attendait d’eux une « médecine curative » plutôt qu’une
« médecine préventive ».
Pistes
Les médecins généralistes proposaient d’améliorer leur
formation, de sensibiliser davantage les étudiants et les
médecins, de proposer régulièrement des consultations
en binôme avec un dermatologue. Concernant la prévention, les médecins jugeaient primordial d’éduquer
le patient. Ils proposaient des solutions pour améliorer
l’accessibilité aux produits solaires. La détection précoce
pouvait être facilité par l’utilisation de la photographie
pour suivre l’évolution des lésions, et de l’informatique
en renseignant les facteurs de risque de leurs patients
et en créant un rappel annuel de dépistage cutané.
Les avis étaient partagés concernant le dermatoscope
qui semblait être performant pour la détection précoce
des lésions à risque mais nécessitait une formation
spécifique et une utilisation régulière.
Commentaires
La suffisance des données ayant été obtenue avec
peu de focus groups, il est licite de se demander si
les médecins participants composaient un échantillon
suffisamment varié. Le choix d’ajouter des entretiens
individuels complémentaires pour vérifier la suffisance
des données a permis d’augmenter la validité scientifique de cette étude.
L’identification des freins à la détection précoce des
mélanomes en médecine générale est un point important de ce travail. Une étude américaine3 identifiait
comme principaux freins : les contraintes de temps, la
priorité mise sur les pathologies existantes et l’obstacle
du déshabillage. Le besoin de formation était souvent
retrouvé dans des études similaires. Les Australiens ont
montré l’efficacité d’un programme de formation spécifique pour le diagnostic précoce des tumeurs cutanées
par les médecins généralistes4. Il faudrait voir si ce type
de programme pourrait être transposé en France et si
cela répondrait aux attentes des généralistes.
L’autre point fort de ce travail est la recherche de pistes
d’amélioration de la détection précoce des mélanomes
et d’outils pratiques pour les consultations. L’éducation
des patients reste un axe primordial de prévention des
mélanomes. L’utilisation d’échelle d’aide au dépistage
comme le SAMscore (Self-Assessment of Melanoma
risk score) permet de cibler les patients les plus à
risque5. En revanche, l’utilisation du dermatoscope
reste discutée du fait de son prix et de la nécessité
d’une formation spécifique pour son utilisation.
La prise en charge peut d’ores et déjà être améliorée en systématisant les conseils de photo-protection,
y compris en cas d’exposition en cabines UV, et en
s’aidant d’échelles comme le SAMscore pour identifier
les patients les plus à risque.
Références
1. Grange F, Barbe C, Mas L, et al. The role of general practitioners
in diagnosis of cutaneous melanoma: a population-based study
in France. Br J Dermatol 2012;167:1351-9.
Résultat principal
Le rôle souhaité des médecins généralistes
dans la détection précoce de mélanome était
en concordance avec le rapport de la HAS2 :
relayer les messages de prévention, orienter
les personnes à risque vers un dermatologue,
et identifier précocement une lésion suspecte
malgré des freins liés à la crainte du manque
de formation et de temps.
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2. Haute autorité de santé. Mélanome cutané : la détection précoce est essentielle. Paris : HAS, 2013.
3. Oliveria SA, Heneghan MK, Cushman LF, et al. Skin cancer
screening by dermatologists, family practitioners, and internists:
barriers and facilitating factors. Arch Dermatol 2011;147:39-44.
4. Youl P, Raasch B, Janda M, et al. The effect of an educational
programme to improve the skills of general practitioners in
diagnosing melanocytic/pigmented lesions. Clin Exp Dermatol
2007;32:365-70.
5. Quéreux G, N’guyen JM, Cary M, et al. Validation of the SelfAssessment of Melanoma Risk Score for a melanoma-targeted
screening. Eur J Cancer Prev 2012;21:588-95.
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