Le Bestiaire - Le voyage de saint Brendan

Transcription

Le Bestiaire - Le voyage de saint Brendan
Le Bestiaire
de Frère
Daimhlaic
-Avant-proposLes bestiaires ne sont pas des traités scientifiques. Si
l’homme et la femme du Moyen-âge savent très bien
observer la faune, ils font une différence entre le réel et la
vérité. Le réel se situe sur un plan physique, abordable par
les
sens
et
utile
au
quotidien.
La
vérité,
elle,
est
métaphysique. De la même manière que la Terre, au centre
de l’Univers, n’existe que pour l’homme, tous les êtres
vivants qui la peuplent ne sont là que pour le servir. Il s’agit
donc de découvrir de quelle manière chaque animal va
donner une leçon qui mènera le peuple chrétien sur la voie
du salut.
Ainsi un bestiaire est un ouvrage en prose ou en vers,
utilisant la description d’un choix d’animaux réels ou
légendaires, interprétée d’une façon symbolique, en vue d’un
enseignement moral et religieux.
Les
bestiaires
dérivent
tous
plus
ou
moins
du
« Physiologos », compilation alexandrine du IIème siècle.
Traduit d’abord en diverses langues orientales, il a fait, du
Vème au IXème siècle l’objet de nombreuses traductions
latines.
A partir du XIIème siècle apparaissent différentes versions
en langue vulgaire qui ont contribué à la fortune du genre.
Ces
bestiaires
s’enrichissent
de nouveaux
apports
et
s’inspirent non seulement de la tradition antique (Aristote,
-1- Pline, Solin) et de la Bible, mais aussi des Etymologiae
d’Isidore de Séville. De plus, de nouveaux animaux font leur
apparition et griffon, licorne et serre rejoignent brebis, lions
et éléphants.
avoir une approche plus scientifique :
v Le Speculum naturale de Vincent de Beauvais
v De Proprietatibus de Barthélémy l’Anglais
Parmi les plus célèbres de ces bestiaires, on peut citer :
Le bestiaire de Philippe de Thaon, clerc vivant en
Angleterre dans le premier tiers du XIIème siècle.
Il écrit une version rimée en anglo-normand de plus de 3000
vers qu’on a pu dater approximativement : vers 1121 – 1135.
v Le Livre du Trésor de Brunetto Latini.
Dans le bestiaire de frère Daimhlaic, j’ai mis en scène un
équipier de saint Brendan, marin, moine et un peu
enlumineur qui répertoriera les animaux que les voyageurs
rencontrèrent durant leur périple. Cette histoire m’a souvent
Une version en prose de Pierre de Beauvais (avant
fait sourire et pourtant je n’oublie pas que nos descendants
1217) . L’œuvre s’intègre dans un courant de
s’amuseront certainement de la même manière de notre
vulgarisation. Il est le plus proche de la source commune. Il
propre conception du monde…
existe deux rédactions de ce bestiaire, l’une courte et une
Dominique Tixhon
version longue de 71 chapitres.
Une adaptation en vers de Guillaume le Clerc,
clerc marié, de condition modeste et né en
Normandie. Son bestiaire (environ 1210 – 1211) est sans
doute la plus élaborée des versions issues directement du
Physiologos et la plus personnelle.
Le Bestiaire d’Amour de Richard de Fournival
(milieu du XIIIème siècle) rompt avec les règles de
symbolisme animal en usage dans ce genre. L’animal perd
son rôle symbolique pour devenir un simple élément de
comparaison. Richard de Fournival est un poète érudit et son
bestiaire ressemble plus à un jeu intellectuel qu’à un manuel
de morale.
Les compilations encyclopédiques du XIIIème
siècle. Elles s’inspirent des bestiaires mais veulent
-2- -3- Le bestiaire de Frère Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frère Daimhlaic
Les moutons s'expriment selon la couleur de leur robe :
les moutons blancs font "beh!" et les noirs : "meh!"
e jeudi de la Cène, nous débarquâmes sur une île verte.
a brebis devine le temps à venir et, lorsque l'hiver vient,
C'était le jour de la commémoration des souffrances du
elle fait ses provisions et mange une grande quantité
fils de Dieu. Nous étions fatigués et affamés.
d'herbe pour supporter la disette hivernale. Ces brebis nous
L'espoir
apprirent à être, comme elles, prudents et avisés.
nous
revint
vite
lorsque
nous
aperçûmes les habitants de cette terre : des
centaines de moutons gras à la fourrure si
blanche qu'ils ressemblaient à une mer de
brouillard. Ils étaient gigantesques et, de loin, on aurait pu
les confondre avec des cerfs. J'y vis la preuve que notre
es moutons sont
voyage était juste et que Dieu nous soutenait dans notre
d'un grand profit
quête en nous fournissant de quoi célébrer la fête de Pâques.
et nous fournissent le
lait,
le
fromage,
la
n dit que la brebis est un animal doux et paisible. Elle
viande, le cuir et la
est capable de reconnaître ses petits, de même que ses
laine.
Leurs
boyaux
petits peuvent la reconnaître au milieu d'un grand troupeau.
servent à la confec-
Les brebis vivent en groupe, s'aiment les unes les autres et
tion des cordes et leur
se protègent contre les bêtes féroces. Elles sont un exemple
suif à la fabrication de
que nous a donné notre Sauveur : comme elles, nous avons
bougies. On utilise le
choisi un bon pasteur et nous le suivront fidèlement. Il nous
suint de leur laine
apprendra la compassion et, de même que le bélier ou le
pour laver les tissus
berger défend son troupeau des attaques du loup, il nous
et parfois même pour
protégera des atteintes du démon.
soigner les plaies.
-4- -5- Le bestiaire de Frère Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Iconographie
e petit de la brebis est
la
plus
douce
des
créatures terrestres. Il ne
possède pas de cornes et
Bestiaire latin
ne sait pas se défendre.
vers 1195-1200
Aberdeen
Aberdeen University Library
L'agneau est symbole de
pureté et d'innocence, c'est
pourquoi
notre
ms.24, folio 21
Seigneur
Le Bélier
est appelé Agneau de Dieu.
En
souvenir
de
son
sacrifice, nous prîmes une
brebis et la préparâmes
pour fêter dignement le
jour de Pâques.
-6- -7- Lectionnaire
Région de la Halle,
vers 1220-1230
New-York, The Pierpont Morgan Library
ms. M .299, folio 2 v°
L'annonce aux bergers
Christine de Pisan
Recueil de ses œuvres
Paris, vers 1410-1414
Londres, British Library
ms. Harley 4.431, folio 221
Frontispice du Livre de la pastoure
-8- -9- Les secrets de l'histoire naturelle, Robinet Testard
Ouest de la France, vers 1480-1485, Paris, BnF
MS.fr. 22.971, folio 47
Pygmées à dos de mouton
combattant les grues et les cigognes
-10- -11- Le bestiaire de Frère Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frère Daimhlaic
a baleine, aussi appelée cète, est un poisson aussi grand
qu'une île et qui souvent s'échoue, car elle ne peut nager
que là où la mer est profonde de plus de 200 pieds. C'est un
monstre étonnant et dangereux.
Les écailles qui se trouvent au
sommet de son dos ont l'aspect du
sable. Les marins pourchassés par
la
tempête
viennent
chercher
refuge sur ce qu'ils prennent pour
une île. Ils débarquent et préparent
e jour de Pâques, nous accostâmes sur une île. Après
avoir célébré un office solennel sur notre bateau, nous
prîmes pied sur la terre. Certains d’entre nous s’occupèrent
de la viande que nous allions faire cuire et, de mon côté, je
me mis en quête de bois pour faire le feu. Lorsque tout fut
prêt, nous nous assîmes et appelâmes
notre abbé qui était resté à bord du
bateau. Soudain, toute la terre se mit en
le feu. Quand la baleine sent la
chaleur du feu, elle plonge au plus
profond des eaux entraînant avec
elle le navire et son équipage. C'est
dans le même piège que tombent les pécheurs qui ont mis
leur confiance dans le diable. Lorsque celui-ci sent le
malheureux bien agrippé à lui, il plonge et l'entraîne au plus
profond de l'enfer.
mouvement et s’éloigna à toute allure
du bateau. Nous nous mîmes à crier et
à supplier notre abbé de nous aider. Il
nous lança de longues cordes et nous
réussîmes
tous
à
regagner
notre
embarcation.
Nous
regardions avec terreur notre île s’éloigner à toute vitesse,
brillante du feu que nous y avions allumé. Notre abbé nous
expliqua alors ce qui était arrivé : Ce n’était pas sur la terre
ferme que nous nous proposions de célébrer notre fête mais
sur le plus grand des poissons de la mer.
-12- -13- Le bestiaire de Frère Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frère Daimhlaic
a baleine est terrifiante, sa gueule est énorme et noire à
otre foi en Dieu fut renforcée par cette aventure. Dieu
l’intérieur. Ses dents, très nombreuses et aiguisées
nous a amené sur ce poisson pour nous donner une
comme des lames, semblent se rejoindre. Elle peut engloutir
leçon : plus nous verrons de ces merveilles, plus nous
des proies aussi grandes qu’un ours en une bouchée. Quand
croirons en lui.
la faim le prend, le cète ouvre largement la gueule. Il sort
alors de sa bouche un parfum très agréable. Aussitôt tous les
poissons se précipitent dans sa gueule, attirés par l’odeur
délicieuse qui s’en dégage. La baleine les engloutit dans sa
panse aussi large qu’une vallée. Le diable agit de la même
manière qui appâte les hommes de peu de foi par les plaisirs
charnels et terrestres. Lorsqu’ils sont étroitement liés à lui, il
ouvre la gueule et les engloutit.
'est une baleine qui recueillit Jonas dans son
ventre et celui-ci était si vaste qu'il avait la grandeur de
l'enfer. Nous nous sommes donc approchés de la gueule de
l'enfer, attirés par son apparence de douceur. Le feu que
nous y avions allumé représente les mauvaises pensées et
les mauvaises actions que nous avions commises. Lorsque le
diable s'est mis en mouvement et nous a montré son vrai
visage, nous avons pu nous enfuir, par la grâce de Dieu et de
notre saint abbé. Le démon n'a ainsi emporté que le mal qui
était en nous, nous laissant purs et innocents pour pouvoir
continuer notre chemin.
-14- -15- Iconographie
Le Livre des simples médecines
Vers 1510 - 1520
Paris, BnF
ms. français 12.322, folio 168v°
La baleine prise pour une île
Apocalypse illustrée
Flandres, fin du XIVe - début du XVe
Paris, BnF
ms. néerlandais, folio 7
La gueule de l'Enfer sous la forme d'une baleine
-16- -17- Bestiaire de la version H
de la première famille
Paris, vers 1230
Paris, BnF
ms. lat. 2.495B, folio 46
La baleine prise pour une île
par des marins
Bestiaire latin
Vers 1230 - 1240
Londres, The British Library
ms. Harley 4.751, folio 69
La baleine prise pour une île
-18- -19- Le bestiaire de Frère Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frère Daimhlaic
merveilleux. En lui, il n'y a aucune trace de noir. Il est écrit
dans l'un des cinq livres de Moïse que l'on appelle le
Deutéronome, que l'on ne doit pas manger la chair du
caladre. Et voici pourquoi :
ous naviguions depuis bien longtemps lorsque nous
vîmes
une
terre
haute
et
lumineuse
où
nous
accostâmes. Au centre se dressait un arbre blanc comme le
marbre qui s’élevait plus haut que les nuages. Ses branches
étaient toutes couvertes d’oiseaux blancs. Jamais je n’en vis
d’aussi beaux.
quand
un
homme
est
gravement malade et que l'on
désespère de le sauver, on va
chercher
cet
oiseau
:
si
l'homme
doit
recouvrer
la
santé et guérir de sa maladie,
n raconte qu’en Orient existe un bel arbre verdoyant.
Sur sa dextre habite les colombes et elles ne s’écartent
l'oiseau tourne le visage vers
lui et attire à lui la maladie;
jamais de l’ombre de cet arbre car,
dans les environs habite un dragon
ennemi
des
colombes
qui
les
dévorerait si elles s’en écartaient. Il ne
peut atteindre celles qui se trouvent
sur l’arbre car l’ombre du paradision le
ferait mourir. L’arbre de vie, c’est Dieu,
le père omnipotent, le fruit c’est Jésus-Christ, l’ombre, c’est
mais si l'homme ne doit pas
recouvrer la santé, l'oiseau se
tourne de l'autre côté et ne
prêtera
pas
la
moindre
attention à lui.
le Saint-Esprit.
e m'assis sur une souche d'arbre et sortis de ma profonde
ais ces oiseaux, aussi immaculés que les colombes,
poche un morceau de parchemin presque transparent
étaient des
d'avoir été gratté et regratté. Avec un morceau de charbon,
caladres. Le caladre est un oiseau
-20- -21- Le bestiaire de Frère Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frère Daimhlaic
je me mis à dessiner ces caladres et songeai : par cette
aventure merveilleuse, Dieu a-t-il voulu nous
signifier quelque chose ? Serait-il possible que
cet arbre, enraciné profondément dans la terre
grasse de l'île et dont la couronne frôle les
nuages, représente Notre Seigneur Jésus-Christ
qui est descendu du ciel pour s'incarner en
homme. Comme un pilier ou un pont vertical
qui nous permettrait d'atteindre le ciel. L'arbre, c'est JésusChrist, mais aussi l'arbre de la connaissance,
connaissance de la vérité sans laquelle nous
ne pourrions jamais aborder au Paradis. Et
ces oiseaux, si blancs et si purs, si familiers
aussi nous montrent le chemin. Ames
pénitentes, comme nous le sommes tous sur
terre, mais qui n'ont fauté que par ignorance
et non par méchanceté. Plus près de Dieu que
nous, puisque leurs ailes leur permettent de
voler plus haut, ces anges nous montrent le
chemin et, comme les caladres nous
déchargent de nos péchés pour nous
permettre de suivre notre chemin dans la bonne voie.
-22- -23- Iconographie
Richard de Fournival,
Bestiaire d'Amour
France du Nord, troisième quart du XIIIe siècle
Paris, BnF
ms. fr. 1.444, folio 259
Le diagnostic du caladre
Hugues de Fouilloy,
Avarium
Saint-Omer, vers 1190 - 1200
Bruges, Grootseminarie
ms. 89154, page 77
Le Caladre
-24- -25- Le bestiaire de Frere Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frere Daimhlaic
l existe, au fond de la vaste mer, une bête que l'on nomme
serre. Elle possède une crête en forme de scie, dont elle se
sert pour briser le ventre des navires et ses ailerons sont si
grands qu'elle les utilise comme des voiles. Elle peut bien
parcourir cinq ou même huit lieues à la poursuite d'un
bateau puis, à bout de forces, elle retombe au plus profond
des océans.
ans aucun doute, cette bête possède une importante
ous
faisions
voile
vers
l’ouest
tempête fondit sur nous. Le bateau était prêt à
chavirer quand nous aperçûmes avec effroi qu’un
monstre marin, plus vif que le vent qui nous
malmenait, fonçait sur nous. Il hurlait plus fort que
quinze taureaux. Sa gueule
était énorme et vomissait des
flammes qui risquait à chaque
moment d’enflammer notre
navire.
Son
gigantesque
et
signification symbolique. La mer vaste et profonde
lorsqu’une
corps
était
ses
dents
acérées comme des lances. 1500 hommes n’auraient
réussi à l’abattre. Les vagues que le monstre
soulevait déclenchaient une immense tempête.
représente le monde où nous vivons, qui est méchant,
impitoyable et aussi rempli de
dangers
que
hommes
qui
la
mer.
font
Les
voile
à
travers la mer représentent les
bons
qui
naviguent
en
maintenant leur navire sur le
bon cap, à travers les vagues,
les
tourmentes,
périls
et
les
contre
vents.
les
Nous
tenterons d'être de ceux-ci, hommes sages et bons et nous
naviguerons si droit que le perfide démon de parviendra pas
à nous faire faire naufrage.
hacun d'entre nous traverse des tourmentes, mais si
n dit que c'est surtout au temps des solstices
nous restons fidèles à notre foi et que nous nous
qu'on voit les monstres marins. Au moment où
mettons dans la main de Dieu, rien ne peut nous atteindre.
les cyclones et les bourrasques s'abattent des cimes
Mais nous devons rester aveugles au monde imparfait et
en bouleversant les mers et débusquent les monstres
cruel qui nous entoure et au mal qui déchire le monde. Mes
des profondeurs.
frères et moi nous mîmes à prier Dieu de nous éviter une
-26- -27- Le bestiaire de Frere Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frere Daimhlaic
mort atroce mais notre abbé
nous
rassura
en
nous
assurant que celui que prend
Dieu sous sa protection ne
doit
redouter
aucune
créature vivante. Dieu a créé
les monstres pour signifier
d’une façon admirable son
ire ou sa miséricorde.
omme pour lui donner raison, un second monstre surgit
du fond des océans. Il
attaqua avec fureur le premier
et le mit à mort.
-28- -29- Iconographie
Le Livre du Trésor
Brunet Latin
Ouest de la France, vers 1310-1320
Saint-Pétersbourg, Bibliothèque nationale
Bestiaire de la version
transitionnelle
MS.fr. f. v. III, 4, folio 45v°
Angleterre, York
ou Lincoln,
vers 1185
New-York,
The Pierpont Morgan
Library
La Serre
MS.M. 81, folio 69
Physiologus version B
Bologne, vers 1300
Paris, BnF
MS. lat. 2.843E, folio 69 v°
La Serre
-30- -31- Le bestiaire de Frere Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frere Daimhlaic
robuste que cent aigles. Il est doté d'un bec crochu, de deux
serres griffues, d'une grande paire d'ailes, d'une longue
queue et de pattes postérieures terminées par un large pied
à quatre doigts. Si, par exceptionnel, un chasseur parvient à
abattre cet être, il se servira de ses ongles pour confectionner
des coupes à boire et, de ses côtes, il fera des arcs pour tirer.
e griffon est le fruit de l'accouplement d'un aigle et d'une
lionne. A cause de sa force prodigieuse, Dieu lui a confié
la garde des montagnes où sont abrités l'or et les pierres
précieuses et il a une prédilection pour les émeraudes. On
ous étions à peine remis de
la frayeur que nous avait
causée le monstre marin que
surgit dans le ciel un griffon.
Déchirant
les
nuages
et
vomissant
des
flammes,
il
raconte que Lucifer portait au front une magnifique
émeraude, qui se détacha lors de sa chute et tomba sur terre
où des griffons la gardèrent jusqu'à ce qu'un héros la
découvre. C'est dans cette émeraude que fut taillée la coupe
du Graal.
s'apprêtait à fondre sur nous,
griffes
tendues.
Je
le
n a vu un griffon
vis
se saisir d'un élé-
s'approcher et me dis qu'aucune
phant puis prendre son
planche du bateau n'allait résister à ses puissantes serres. La
envol,
violence de son attaque était telle que le vent qu'il soulevait
dans le ciel et lâcher
faillit faire chavirer le bateau.
l'énorme bête qui s'est
monter
haut
écrasée au sol. Il aurait
i, selon Pline, les griffons sont des animaux fabuleux,
fait
nous vîmes bien qu'il s'était trompé ! Les griffons
notre embarcation, si,
naissent, dit-on, dans les monts hyperboréens. Ils ont le
sortant des nuages, un
devant du corps d'un aigle et le derrière du lion et telle est la
dragon n'était apparu
vérité, car ils sont ainsi faits : nous l'avons vu de nos yeux.
dans le ciel pour le
Le griffon a le corps plus grand que huit lions et il est plus
combattre.
-32- de
même
avec
-33- Liber Floridus, Lambert de Saint-Omer
Iconographie
Lille et Ninove, 1460
La Haye, Koninklijke Bibliotheek
ms. 72A23, folio 46
Un griffon dévorant un homme
Acte de mariage de l'impératrice Théophano
Allemagne, 972
Wolfenbüttel, Niedersächsischer Staatarchiv.
n°6 urk 11
Un griffon attaquant une antilope
-34- -35- Le Livre des Merveilles du Monde
Vers 1410 - 1412
Paris, BnF
ms. fr. 2810, folio 188
Un griffon serre dans son bec un mouton
La Divine Comédie
Dante
Italie, troisième quart du XIVe siècle
Oxford, Bodleian Library
ms. Holkham misc. 48, folio 108 v°
Le griffon christologique
-36- -37- Bestiaire latin
Vers 1260 - 1270
Paris, BnF
ms. latin 3630, folio 77
Griffon
-38- -39- Le bestiaire de Frere Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frere Daimhlaic
le dragon n'a pas besoin de venin pour tuer ses proies : il est
capable d'étouffer un éléphant en enroulant sa queue autour
de son cou. Il possède des pattes semblables à celles du lion
mais terminées par des serres d'aigle. Dans sa tête allongée
brillent deux yeux petits et rouges. Il a des dents aiguisées et
une langue en forme de trident.
e griffon était donc prêt à
fondre sur nous lorsqu'un
dragon fit irruption dans le ciel
Il crachait des flammes, les
n parle de ses neuf ressemblances : ses cornes
ailes déployées et engagea le combat contre le griffon. Sous
nos yeux effrayés, les deux bêtes échangèrent des coups et
des jets de flammes, des morsures et des chocs.
ressemblent à celles du cerf, sa tête à celle d'un
chameau, ses yeux à ceux d'un démon, son cou à celui d'un
serpent, son ventre à celui d'un mollusque, ses écailles à
celles d'un poisson, ses griffes à celles d'un aigle, la plante
l est écrit que le dragon est le plus grand de tous les
de ses pieds à celles du tigre et ses oreilles à celles du boeuf.
serpents et même l'une des plus grandes bêtes du monde.
Les dragons ne meurent jamais, ils s'endorment et gare à
Il naît en Ethiopie et en Inde là où existe un été perpétuel. Le
celui qui le réveillera.
dragon a une petite bouche et un grand corps, qui
étincelle comme de l'or fin. Il possède deux pattes,
e dragon défie les anges, combat les oiseaux de proie et
parfois quatre et ses deux ailes gigantesques
déchaîne les tempêtes. Sur son passage, l'air étincelle
ressemblent à celles d'une chauve-souris. Son corps
comme du feu ardent et celui que nous vîmes dans le ciel
est couvert d'écailles, plus dures que celles des serpents et
saisit en mugissant l'énorme griffon, l'étouffa et le laissa
des poissons et de couleur verte ou jaune. Son dos est
tomber dans les flots. Dans l'océan qui entoure le monde,
surmonté d'une crête armée d'aiguillons et sa queue
Dieu
est longue et effilée. C'est dans cette dernière que se
s'entredéchirer. Le dragon est, sans aucun doute, une
situe toute sa force et cette puissance est si grande que
créature de l'enfer et pourtant il nous a sauvé de la fureur du
-40- nous
permet
de
voir
-41- les
forces
primitives
Le bestiaire de Frere Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frere Daimhlaic
griffon, moitié lion, moitié aigle qui représente la
puissance du monde païen. Ni les monstres des
mers, ni ceux du ciel ne peuvent rien contre nous
qui sommes dans la main de Dieu. Nous sommes
spectateurs de la fureur du monde et sereinement
nous continuons notre route sans nous laisser
pénétrer par la haine et les clameurs du temps.
-42- -43- Iconographie
Le Livre d'images de
Madame Marie
Hainaut, vers 1285 - 1290
Paris, BnF
ms. nouv. acqu. fr. 16.251, folio 100
Sainte Marguerite
sortant du dragon
Tacuinum sanitatis
Traduction anonyme du
Taqwim es Siha d'Ibn Butlân
Milan, fin du XIIIe siècle
Rome, Biblioteca Casanatense
ms. 459, folio 89
Le Grand Dragon
-44- -45- Liber Floridus, Lambert de Saint-Omer
Flandres, vers 1445 - 1475
Chantilly, musée Condé
ms. 724 folio 41 v°
Le Grand Dragon
Liber Floridus
Lambert de Saint-Omer
Flandres, vers 1445 - 1475
Chantilly, musée Condé
ms. 724 folio 15 v° (détail)
Le dragon vomit le fleuve
-46- -47- Le Livre des Merveilles
Paris, vers 1410 - 1412
Paris, BnF
ms. 2.810, folio 55 v°
Les serpents de la province de Caraian
Bestiaire latin
Vers 1255 - 1265
Londres, The British Library
ms. Harley 3.244, folio 59
Dragon
-48- -49- Le bestiaire de Frere Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frere Daimhlaic
trouve nulle part ailleurs. On y rencontre même
des imitations d'objets inanimés comme le
concombre, semblable au concombre terrestre.
Aussi rien d'étonnant à ce que des têtes de
chevaux surmontent de minuscules limaçons.
es hommes ont nommés
les bestiaux, les bêtes
e jour de la fête de saint Pierre, nous célébrâmes un
sauvages
et
les
oiseaux
avant
les
office sur notre navire. Notre abbé chantait très fort, si
poissons parce qu'ils les ont connus
fort que les moines et moi-
d'abord. Plus tard, quand on s'intéressa
même eûmes peur que sa voix
aux espèces de poissons, on leur donna
n'attire
qui
des
noms,
soit
d'après
les
ressemblance
avec
les
les
monstres
grouillaient
dans
leur
animaux
profondeurs de la mer. Il y en
terrestres, soit d'après leurs moeurs ou
avait d'énormes, des féroces,
leur aspect particulier ou d'après la
dont
couleur, la forme ou le sexe. Les
nous
n'avions
jamais
entendu parler et nous étions
poissons sont innombrables, bien que Pline n'en dénombre
bien sûrs de mourir si jamais ils
que 144 variétés. En voici quelques uns que nous avons pu
s'aventuraient
apercevoir :
à
la
surface.
Brendan sourit et se mit à chanter encore plus fort, à tuetête. Alors les monstres surgirent du fond des eaux.
e mot de poisson vient du latin pisces qui dérive de
pecus : troupeau. Les animaux qui habitent dans les mers
sont souvent plus grands que les espèces terrestres car la
Les porcs marins sont
mer s'étale largement et offre une nourriture aussi tendre
une espèce de poissons qui fouil-
que généreuse. Tous les êtres naissant sur terre se trouvent
lent la terre sous les eaux pour y
également dans la mer mais il y en a beaucoup qu'on ne
chercher leur nourriture, exacte-
-50- -51- Le bestiaire de Frere Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
ment comme font les pourceaux sur la terre.
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frere Daimhlaic
ous les poissons ne sont pas dignes d'admiration. Il en
existe des cruels, des lascifs, des rusés : ils sont
Le mulet est semblable à l'autruche : lorsqu'il a peur, il
cache sa tête et se croit en sûreté.
semblables aux hommes qui ne veulent pas suivre les
commandements du Seigneur. Pourtant tous les poissons,
du plus grand au plus petit, du plus agressif au plus
pusillanime se réjouissaient avec nous de la fête du jour et
Le glaive (espadon)
accompagnaient le bateau. Lorsque nous eûmes fini de
est un poisson qui a le
chanter le service du jour, chaque poisson poursuivit son
nez
chemin.
en
forme
d'épée,
dont il se sert pour percer
le flanc des navires.
Le scorpion (la rascasse) est ainsi appelé parce qu'il
blesse la main de celui qui le saisit.
L'anguille est née du limon, et c'est pour cette raison
que plus on la serre et plus elle fuit.
La murène est ainsi appelée parce qu'elle s'enroule en
faisant de nombreux anneaux. Les pêcheurs disent que
toutes les murènes sont femelles et qu'elle conçoit d'un
serpent. Ils l'appellent donc avec une flûte, en imitant le son
du serpent.
L'échine (remora) est un petit poisson de mer mais il
est très malin car il est capable de prévoir la tempête. Il se
saisit d'une pierre et la porte comme s'il s'agissait d'une
ancre pour pouvoir résister à la force de la tempête.
-52- -53- Iconographie
Bestiaire de la version transitionnelle
Angleterre, fin du XIIIe siècle
Saint-Pétersbourg, Bibliothèque Nationale
ms. lat. Q-v-V., folio 73
Les Poissons et les Monstres marins
-54- -55- Bestiaire latin
Vers 1400 - 1420
Copenhague, Det Kongelige Bibliotek
ms. Gl. legl 1633 4o, folio 61
Porcs de mer
Bestiaire latin
Vers 1230 - 1240
Londres, The British Library
ms. Harley 4.751, folio 68
Animaux marins
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frere Daimhlaic
a loutre a des pattes palmées, une petite tête ronde, un
long corps fuselé et une queue épaisse. On peut la
manger et sa chair ressemble celle du poisson.
ous étions presque au terme de notre long voyage
lorsque nous rencontrâmes Un ermite nommé Paul.
Depuis
vivait
90
sur
ans,
une
il
île
isolée au milieu de la
mer. Il nous raconta
'est une grande merveille que cette petite bête ait
que,
les
approvisionné de son propre chef Paul l'Ermite et c'est
trente
premières
bien la preuve que, si on obéit aux lois de Dieu, on n'a nul
années
de
besoin de se préoccuper de l'intendance !
durant
son
séjour, il pût profiter
des services d'un serviteur attentif qui lui apportait trois fois
par semaine un poisson pour le nourrir. Ce loyal serviteur
était une loutre ! Pourtant on prétend qu'elle est avaricieuse
car elle amoncelle dans son terrier les poissons qu'elle a
capturés bien plus qu'elle ne peut en manger. La loutre se
nourrit d'herbe et de poissons et l'odeur dégagée par ses
proies en décomposition empeste les environs. C'est
d'ailleurs à l'odeur qu'on la repère et qu'on peut ainsi la
capturer et l'apprivoiser. Certains affirment qu'il existe des
loutres domestiques qui pêchent le poisson pour leurs
maîtres bien mieux qu'ils ne sauraient le faire eux-mêmes.
On les appellent alors "chiens de rivière".
-58- -59- Iconographie
Livre d'heures
France, XVIe siècle
Paris BnF
fr. 1872, folio 13 (détail)
Livre de chasse. Gaston Phébus
Paris, vers 1460
New-York, The Pierpont Morgan Library
ms. M. 1.044, folio 28
Loutres
-60- -61- Le bestiaire de Frere Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frere Daimhlaic
- Bibliographie -
- Table des matières Histoire naturelle Pline l'Ancien
La brebis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
p. 4
La baleine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 12
Le caladre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
p. 20
Le monstre marin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 26
Le bestiaire médiéval
Christian Heck et Rémy
Cordonnier
Livres IX et X
Traduit et commenté par
E. de Saint Denis
Société d'édition
"LES BELLES LETTRES"
Editions Citadelles &
Mazenod
Etymologies Isidore de Séville
Marie-Thérèse Tesnière
Bibliothèque nationale de
France
Paris, 2011
Bestiaire médiéval
Enluminures
Paris, 1961
Livre XII
Texte établi, traduit et commenté
par Jacques André
Société d'édition
"LES BELLES LETTRES"
Paris, 1986
La Renaissance du Livre
Le dragon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 40
Voyage autour de la Terre
Jean de Mandeville
Les poissons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La loutre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
p. 52
p. 58
Paris, 2003
Tournai, 1999
Le Livre des Etres
imaginaires
Jorge Luis Borges
Traduit et commenté par
Christiane Deluz
Société d’édition
Les Belles Lettres
Editions Gallimard
Bestiaires du Moyen Age
Klincksieck
Paris, 1999
Le monstre dans l’art
occidental
Gilbert Lascault
Paris, 2004
Traduits et présentés par
Gabriel Bianciotto
Editions Stock/Moyen Age
Paris, 2004
1995
Bestiaires du Moyen Age
Michel Pastoureau
Editions du Seuil
Paris, 2011
-64- Animaux étranges et
fabuleux
Ariane et Christian
Delacampagne
Editions Citadelles &
Mazenod
Le Livre des Merveilles
Marco Polo
Le griffon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 32
Paris, 2005
-65- Le bestiaire de frère Daimhlaic
-Dominique Tixhon-