Le Bestiaire - Le voyage de saint Brendan
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Le Bestiaire - Le voyage de saint Brendan
Le Bestiaire de Frère Daimhlaic -Avant-proposLes bestiaires ne sont pas des traités scientifiques. Si l’homme et la femme du Moyen-âge savent très bien observer la faune, ils font une différence entre le réel et la vérité. Le réel se situe sur un plan physique, abordable par les sens et utile au quotidien. La vérité, elle, est métaphysique. De la même manière que la Terre, au centre de l’Univers, n’existe que pour l’homme, tous les êtres vivants qui la peuplent ne sont là que pour le servir. Il s’agit donc de découvrir de quelle manière chaque animal va donner une leçon qui mènera le peuple chrétien sur la voie du salut. Ainsi un bestiaire est un ouvrage en prose ou en vers, utilisant la description d’un choix d’animaux réels ou légendaires, interprétée d’une façon symbolique, en vue d’un enseignement moral et religieux. Les bestiaires dérivent tous plus ou moins du « Physiologos », compilation alexandrine du IIème siècle. Traduit d’abord en diverses langues orientales, il a fait, du Vème au IXème siècle l’objet de nombreuses traductions latines. A partir du XIIème siècle apparaissent différentes versions en langue vulgaire qui ont contribué à la fortune du genre. Ces bestiaires s’enrichissent de nouveaux apports et s’inspirent non seulement de la tradition antique (Aristote, -1- Pline, Solin) et de la Bible, mais aussi des Etymologiae d’Isidore de Séville. De plus, de nouveaux animaux font leur apparition et griffon, licorne et serre rejoignent brebis, lions et éléphants. avoir une approche plus scientifique : v Le Speculum naturale de Vincent de Beauvais v De Proprietatibus de Barthélémy l’Anglais Parmi les plus célèbres de ces bestiaires, on peut citer : Le bestiaire de Philippe de Thaon, clerc vivant en Angleterre dans le premier tiers du XIIème siècle. Il écrit une version rimée en anglo-normand de plus de 3000 vers qu’on a pu dater approximativement : vers 1121 – 1135. v Le Livre du Trésor de Brunetto Latini. Dans le bestiaire de frère Daimhlaic, j’ai mis en scène un équipier de saint Brendan, marin, moine et un peu enlumineur qui répertoriera les animaux que les voyageurs rencontrèrent durant leur périple. Cette histoire m’a souvent Une version en prose de Pierre de Beauvais (avant fait sourire et pourtant je n’oublie pas que nos descendants 1217) . L’œuvre s’intègre dans un courant de s’amuseront certainement de la même manière de notre vulgarisation. Il est le plus proche de la source commune. Il propre conception du monde… existe deux rédactions de ce bestiaire, l’une courte et une Dominique Tixhon version longue de 71 chapitres. Une adaptation en vers de Guillaume le Clerc, clerc marié, de condition modeste et né en Normandie. Son bestiaire (environ 1210 – 1211) est sans doute la plus élaborée des versions issues directement du Physiologos et la plus personnelle. Le Bestiaire d’Amour de Richard de Fournival (milieu du XIIIème siècle) rompt avec les règles de symbolisme animal en usage dans ce genre. L’animal perd son rôle symbolique pour devenir un simple élément de comparaison. Richard de Fournival est un poète érudit et son bestiaire ressemble plus à un jeu intellectuel qu’à un manuel de morale. Les compilations encyclopédiques du XIIIème siècle. Elles s’inspirent des bestiaires mais veulent -2- -3- Le bestiaire de Frère Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frère Daimhlaic Les moutons s'expriment selon la couleur de leur robe : les moutons blancs font "beh!" et les noirs : "meh!" e jeudi de la Cène, nous débarquâmes sur une île verte. a brebis devine le temps à venir et, lorsque l'hiver vient, C'était le jour de la commémoration des souffrances du elle fait ses provisions et mange une grande quantité fils de Dieu. Nous étions fatigués et affamés. d'herbe pour supporter la disette hivernale. Ces brebis nous L'espoir apprirent à être, comme elles, prudents et avisés. nous revint vite lorsque nous aperçûmes les habitants de cette terre : des centaines de moutons gras à la fourrure si blanche qu'ils ressemblaient à une mer de brouillard. Ils étaient gigantesques et, de loin, on aurait pu les confondre avec des cerfs. J'y vis la preuve que notre es moutons sont voyage était juste et que Dieu nous soutenait dans notre d'un grand profit quête en nous fournissant de quoi célébrer la fête de Pâques. et nous fournissent le lait, le fromage, la n dit que la brebis est un animal doux et paisible. Elle viande, le cuir et la est capable de reconnaître ses petits, de même que ses laine. Leurs boyaux petits peuvent la reconnaître au milieu d'un grand troupeau. servent à la confec- Les brebis vivent en groupe, s'aiment les unes les autres et tion des cordes et leur se protègent contre les bêtes féroces. Elles sont un exemple suif à la fabrication de que nous a donné notre Sauveur : comme elles, nous avons bougies. On utilise le choisi un bon pasteur et nous le suivront fidèlement. Il nous suint de leur laine apprendra la compassion et, de même que le bélier ou le pour laver les tissus berger défend son troupeau des attaques du loup, il nous et parfois même pour protégera des atteintes du démon. soigner les plaies. -4- -5- Le bestiaire de Frère Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Iconographie e petit de la brebis est la plus douce des créatures terrestres. Il ne possède pas de cornes et Bestiaire latin ne sait pas se défendre. vers 1195-1200 Aberdeen Aberdeen University Library L'agneau est symbole de pureté et d'innocence, c'est pourquoi notre ms.24, folio 21 Seigneur Le Bélier est appelé Agneau de Dieu. En souvenir de son sacrifice, nous prîmes une brebis et la préparâmes pour fêter dignement le jour de Pâques. -6- -7- Lectionnaire Région de la Halle, vers 1220-1230 New-York, The Pierpont Morgan Library ms. M .299, folio 2 v° L'annonce aux bergers Christine de Pisan Recueil de ses œuvres Paris, vers 1410-1414 Londres, British Library ms. Harley 4.431, folio 221 Frontispice du Livre de la pastoure -8- -9- Les secrets de l'histoire naturelle, Robinet Testard Ouest de la France, vers 1480-1485, Paris, BnF MS.fr. 22.971, folio 47 Pygmées à dos de mouton combattant les grues et les cigognes -10- -11- Le bestiaire de Frère Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frère Daimhlaic a baleine, aussi appelée cète, est un poisson aussi grand qu'une île et qui souvent s'échoue, car elle ne peut nager que là où la mer est profonde de plus de 200 pieds. C'est un monstre étonnant et dangereux. Les écailles qui se trouvent au sommet de son dos ont l'aspect du sable. Les marins pourchassés par la tempête viennent chercher refuge sur ce qu'ils prennent pour une île. Ils débarquent et préparent e jour de Pâques, nous accostâmes sur une île. Après avoir célébré un office solennel sur notre bateau, nous prîmes pied sur la terre. Certains d’entre nous s’occupèrent de la viande que nous allions faire cuire et, de mon côté, je me mis en quête de bois pour faire le feu. Lorsque tout fut prêt, nous nous assîmes et appelâmes notre abbé qui était resté à bord du bateau. Soudain, toute la terre se mit en le feu. Quand la baleine sent la chaleur du feu, elle plonge au plus profond des eaux entraînant avec elle le navire et son équipage. C'est dans le même piège que tombent les pécheurs qui ont mis leur confiance dans le diable. Lorsque celui-ci sent le malheureux bien agrippé à lui, il plonge et l'entraîne au plus profond de l'enfer. mouvement et s’éloigna à toute allure du bateau. Nous nous mîmes à crier et à supplier notre abbé de nous aider. Il nous lança de longues cordes et nous réussîmes tous à regagner notre embarcation. Nous regardions avec terreur notre île s’éloigner à toute vitesse, brillante du feu que nous y avions allumé. Notre abbé nous expliqua alors ce qui était arrivé : Ce n’était pas sur la terre ferme que nous nous proposions de célébrer notre fête mais sur le plus grand des poissons de la mer. -12- -13- Le bestiaire de Frère Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frère Daimhlaic a baleine est terrifiante, sa gueule est énorme et noire à otre foi en Dieu fut renforcée par cette aventure. Dieu l’intérieur. Ses dents, très nombreuses et aiguisées nous a amené sur ce poisson pour nous donner une comme des lames, semblent se rejoindre. Elle peut engloutir leçon : plus nous verrons de ces merveilles, plus nous des proies aussi grandes qu’un ours en une bouchée. Quand croirons en lui. la faim le prend, le cète ouvre largement la gueule. Il sort alors de sa bouche un parfum très agréable. Aussitôt tous les poissons se précipitent dans sa gueule, attirés par l’odeur délicieuse qui s’en dégage. La baleine les engloutit dans sa panse aussi large qu’une vallée. Le diable agit de la même manière qui appâte les hommes de peu de foi par les plaisirs charnels et terrestres. Lorsqu’ils sont étroitement liés à lui, il ouvre la gueule et les engloutit. 'est une baleine qui recueillit Jonas dans son ventre et celui-ci était si vaste qu'il avait la grandeur de l'enfer. Nous nous sommes donc approchés de la gueule de l'enfer, attirés par son apparence de douceur. Le feu que nous y avions allumé représente les mauvaises pensées et les mauvaises actions que nous avions commises. Lorsque le diable s'est mis en mouvement et nous a montré son vrai visage, nous avons pu nous enfuir, par la grâce de Dieu et de notre saint abbé. Le démon n'a ainsi emporté que le mal qui était en nous, nous laissant purs et innocents pour pouvoir continuer notre chemin. -14- -15- Iconographie Le Livre des simples médecines Vers 1510 - 1520 Paris, BnF ms. français 12.322, folio 168v° La baleine prise pour une île Apocalypse illustrée Flandres, fin du XIVe - début du XVe Paris, BnF ms. néerlandais, folio 7 La gueule de l'Enfer sous la forme d'une baleine -16- -17- Bestiaire de la version H de la première famille Paris, vers 1230 Paris, BnF ms. lat. 2.495B, folio 46 La baleine prise pour une île par des marins Bestiaire latin Vers 1230 - 1240 Londres, The British Library ms. Harley 4.751, folio 69 La baleine prise pour une île -18- -19- Le bestiaire de Frère Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frère Daimhlaic merveilleux. En lui, il n'y a aucune trace de noir. Il est écrit dans l'un des cinq livres de Moïse que l'on appelle le Deutéronome, que l'on ne doit pas manger la chair du caladre. Et voici pourquoi : ous naviguions depuis bien longtemps lorsque nous vîmes une terre haute et lumineuse où nous accostâmes. Au centre se dressait un arbre blanc comme le marbre qui s’élevait plus haut que les nuages. Ses branches étaient toutes couvertes d’oiseaux blancs. Jamais je n’en vis d’aussi beaux. quand un homme est gravement malade et que l'on désespère de le sauver, on va chercher cet oiseau : si l'homme doit recouvrer la santé et guérir de sa maladie, n raconte qu’en Orient existe un bel arbre verdoyant. Sur sa dextre habite les colombes et elles ne s’écartent l'oiseau tourne le visage vers lui et attire à lui la maladie; jamais de l’ombre de cet arbre car, dans les environs habite un dragon ennemi des colombes qui les dévorerait si elles s’en écartaient. Il ne peut atteindre celles qui se trouvent sur l’arbre car l’ombre du paradision le ferait mourir. L’arbre de vie, c’est Dieu, le père omnipotent, le fruit c’est Jésus-Christ, l’ombre, c’est mais si l'homme ne doit pas recouvrer la santé, l'oiseau se tourne de l'autre côté et ne prêtera pas la moindre attention à lui. le Saint-Esprit. e m'assis sur une souche d'arbre et sortis de ma profonde ais ces oiseaux, aussi immaculés que les colombes, poche un morceau de parchemin presque transparent étaient des d'avoir été gratté et regratté. Avec un morceau de charbon, caladres. Le caladre est un oiseau -20- -21- Le bestiaire de Frère Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frère Daimhlaic je me mis à dessiner ces caladres et songeai : par cette aventure merveilleuse, Dieu a-t-il voulu nous signifier quelque chose ? Serait-il possible que cet arbre, enraciné profondément dans la terre grasse de l'île et dont la couronne frôle les nuages, représente Notre Seigneur Jésus-Christ qui est descendu du ciel pour s'incarner en homme. Comme un pilier ou un pont vertical qui nous permettrait d'atteindre le ciel. L'arbre, c'est JésusChrist, mais aussi l'arbre de la connaissance, connaissance de la vérité sans laquelle nous ne pourrions jamais aborder au Paradis. Et ces oiseaux, si blancs et si purs, si familiers aussi nous montrent le chemin. Ames pénitentes, comme nous le sommes tous sur terre, mais qui n'ont fauté que par ignorance et non par méchanceté. Plus près de Dieu que nous, puisque leurs ailes leur permettent de voler plus haut, ces anges nous montrent le chemin et, comme les caladres nous déchargent de nos péchés pour nous permettre de suivre notre chemin dans la bonne voie. -22- -23- Iconographie Richard de Fournival, Bestiaire d'Amour France du Nord, troisième quart du XIIIe siècle Paris, BnF ms. fr. 1.444, folio 259 Le diagnostic du caladre Hugues de Fouilloy, Avarium Saint-Omer, vers 1190 - 1200 Bruges, Grootseminarie ms. 89154, page 77 Le Caladre -24- -25- Le bestiaire de Frere Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frere Daimhlaic l existe, au fond de la vaste mer, une bête que l'on nomme serre. Elle possède une crête en forme de scie, dont elle se sert pour briser le ventre des navires et ses ailerons sont si grands qu'elle les utilise comme des voiles. Elle peut bien parcourir cinq ou même huit lieues à la poursuite d'un bateau puis, à bout de forces, elle retombe au plus profond des océans. ans aucun doute, cette bête possède une importante ous faisions voile vers l’ouest tempête fondit sur nous. Le bateau était prêt à chavirer quand nous aperçûmes avec effroi qu’un monstre marin, plus vif que le vent qui nous malmenait, fonçait sur nous. Il hurlait plus fort que quinze taureaux. Sa gueule était énorme et vomissait des flammes qui risquait à chaque moment d’enflammer notre navire. Son gigantesque et signification symbolique. La mer vaste et profonde lorsqu’une corps était ses dents acérées comme des lances. 1500 hommes n’auraient réussi à l’abattre. Les vagues que le monstre soulevait déclenchaient une immense tempête. représente le monde où nous vivons, qui est méchant, impitoyable et aussi rempli de dangers que hommes qui la mer. font Les voile à travers la mer représentent les bons qui naviguent en maintenant leur navire sur le bon cap, à travers les vagues, les tourmentes, périls et les contre vents. les Nous tenterons d'être de ceux-ci, hommes sages et bons et nous naviguerons si droit que le perfide démon de parviendra pas à nous faire faire naufrage. hacun d'entre nous traverse des tourmentes, mais si n dit que c'est surtout au temps des solstices nous restons fidèles à notre foi et que nous nous qu'on voit les monstres marins. Au moment où mettons dans la main de Dieu, rien ne peut nous atteindre. les cyclones et les bourrasques s'abattent des cimes Mais nous devons rester aveugles au monde imparfait et en bouleversant les mers et débusquent les monstres cruel qui nous entoure et au mal qui déchire le monde. Mes des profondeurs. frères et moi nous mîmes à prier Dieu de nous éviter une -26- -27- Le bestiaire de Frere Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frere Daimhlaic mort atroce mais notre abbé nous rassura en nous assurant que celui que prend Dieu sous sa protection ne doit redouter aucune créature vivante. Dieu a créé les monstres pour signifier d’une façon admirable son ire ou sa miséricorde. omme pour lui donner raison, un second monstre surgit du fond des océans. Il attaqua avec fureur le premier et le mit à mort. -28- -29- Iconographie Le Livre du Trésor Brunet Latin Ouest de la France, vers 1310-1320 Saint-Pétersbourg, Bibliothèque nationale Bestiaire de la version transitionnelle MS.fr. f. v. III, 4, folio 45v° Angleterre, York ou Lincoln, vers 1185 New-York, The Pierpont Morgan Library La Serre MS.M. 81, folio 69 Physiologus version B Bologne, vers 1300 Paris, BnF MS. lat. 2.843E, folio 69 v° La Serre -30- -31- Le bestiaire de Frere Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frere Daimhlaic robuste que cent aigles. Il est doté d'un bec crochu, de deux serres griffues, d'une grande paire d'ailes, d'une longue queue et de pattes postérieures terminées par un large pied à quatre doigts. Si, par exceptionnel, un chasseur parvient à abattre cet être, il se servira de ses ongles pour confectionner des coupes à boire et, de ses côtes, il fera des arcs pour tirer. e griffon est le fruit de l'accouplement d'un aigle et d'une lionne. A cause de sa force prodigieuse, Dieu lui a confié la garde des montagnes où sont abrités l'or et les pierres précieuses et il a une prédilection pour les émeraudes. On ous étions à peine remis de la frayeur que nous avait causée le monstre marin que surgit dans le ciel un griffon. Déchirant les nuages et vomissant des flammes, il raconte que Lucifer portait au front une magnifique émeraude, qui se détacha lors de sa chute et tomba sur terre où des griffons la gardèrent jusqu'à ce qu'un héros la découvre. C'est dans cette émeraude que fut taillée la coupe du Graal. s'apprêtait à fondre sur nous, griffes tendues. Je le n a vu un griffon vis se saisir d'un élé- s'approcher et me dis qu'aucune phant puis prendre son planche du bateau n'allait résister à ses puissantes serres. La envol, violence de son attaque était telle que le vent qu'il soulevait dans le ciel et lâcher faillit faire chavirer le bateau. l'énorme bête qui s'est monter haut écrasée au sol. Il aurait i, selon Pline, les griffons sont des animaux fabuleux, fait nous vîmes bien qu'il s'était trompé ! Les griffons notre embarcation, si, naissent, dit-on, dans les monts hyperboréens. Ils ont le sortant des nuages, un devant du corps d'un aigle et le derrière du lion et telle est la dragon n'était apparu vérité, car ils sont ainsi faits : nous l'avons vu de nos yeux. dans le ciel pour le Le griffon a le corps plus grand que huit lions et il est plus combattre. -32- de même avec -33- Liber Floridus, Lambert de Saint-Omer Iconographie Lille et Ninove, 1460 La Haye, Koninklijke Bibliotheek ms. 72A23, folio 46 Un griffon dévorant un homme Acte de mariage de l'impératrice Théophano Allemagne, 972 Wolfenbüttel, Niedersächsischer Staatarchiv. n°6 urk 11 Un griffon attaquant une antilope -34- -35- Le Livre des Merveilles du Monde Vers 1410 - 1412 Paris, BnF ms. fr. 2810, folio 188 Un griffon serre dans son bec un mouton La Divine Comédie Dante Italie, troisième quart du XIVe siècle Oxford, Bodleian Library ms. Holkham misc. 48, folio 108 v° Le griffon christologique -36- -37- Bestiaire latin Vers 1260 - 1270 Paris, BnF ms. latin 3630, folio 77 Griffon -38- -39- Le bestiaire de Frere Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frere Daimhlaic le dragon n'a pas besoin de venin pour tuer ses proies : il est capable d'étouffer un éléphant en enroulant sa queue autour de son cou. Il possède des pattes semblables à celles du lion mais terminées par des serres d'aigle. Dans sa tête allongée brillent deux yeux petits et rouges. Il a des dents aiguisées et une langue en forme de trident. e griffon était donc prêt à fondre sur nous lorsqu'un dragon fit irruption dans le ciel Il crachait des flammes, les n parle de ses neuf ressemblances : ses cornes ailes déployées et engagea le combat contre le griffon. Sous nos yeux effrayés, les deux bêtes échangèrent des coups et des jets de flammes, des morsures et des chocs. ressemblent à celles du cerf, sa tête à celle d'un chameau, ses yeux à ceux d'un démon, son cou à celui d'un serpent, son ventre à celui d'un mollusque, ses écailles à celles d'un poisson, ses griffes à celles d'un aigle, la plante l est écrit que le dragon est le plus grand de tous les de ses pieds à celles du tigre et ses oreilles à celles du boeuf. serpents et même l'une des plus grandes bêtes du monde. Les dragons ne meurent jamais, ils s'endorment et gare à Il naît en Ethiopie et en Inde là où existe un été perpétuel. Le celui qui le réveillera. dragon a une petite bouche et un grand corps, qui étincelle comme de l'or fin. Il possède deux pattes, e dragon défie les anges, combat les oiseaux de proie et parfois quatre et ses deux ailes gigantesques déchaîne les tempêtes. Sur son passage, l'air étincelle ressemblent à celles d'une chauve-souris. Son corps comme du feu ardent et celui que nous vîmes dans le ciel est couvert d'écailles, plus dures que celles des serpents et saisit en mugissant l'énorme griffon, l'étouffa et le laissa des poissons et de couleur verte ou jaune. Son dos est tomber dans les flots. Dans l'océan qui entoure le monde, surmonté d'une crête armée d'aiguillons et sa queue Dieu est longue et effilée. C'est dans cette dernière que se s'entredéchirer. Le dragon est, sans aucun doute, une situe toute sa force et cette puissance est si grande que créature de l'enfer et pourtant il nous a sauvé de la fureur du -40- nous permet de voir -41- les forces primitives Le bestiaire de Frere Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frere Daimhlaic griffon, moitié lion, moitié aigle qui représente la puissance du monde païen. Ni les monstres des mers, ni ceux du ciel ne peuvent rien contre nous qui sommes dans la main de Dieu. Nous sommes spectateurs de la fureur du monde et sereinement nous continuons notre route sans nous laisser pénétrer par la haine et les clameurs du temps. -42- -43- Iconographie Le Livre d'images de Madame Marie Hainaut, vers 1285 - 1290 Paris, BnF ms. nouv. acqu. fr. 16.251, folio 100 Sainte Marguerite sortant du dragon Tacuinum sanitatis Traduction anonyme du Taqwim es Siha d'Ibn Butlân Milan, fin du XIIIe siècle Rome, Biblioteca Casanatense ms. 459, folio 89 Le Grand Dragon -44- -45- Liber Floridus, Lambert de Saint-Omer Flandres, vers 1445 - 1475 Chantilly, musée Condé ms. 724 folio 41 v° Le Grand Dragon Liber Floridus Lambert de Saint-Omer Flandres, vers 1445 - 1475 Chantilly, musée Condé ms. 724 folio 15 v° (détail) Le dragon vomit le fleuve -46- -47- Le Livre des Merveilles Paris, vers 1410 - 1412 Paris, BnF ms. 2.810, folio 55 v° Les serpents de la province de Caraian Bestiaire latin Vers 1255 - 1265 Londres, The British Library ms. Harley 3.244, folio 59 Dragon -48- -49- Le bestiaire de Frere Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frere Daimhlaic trouve nulle part ailleurs. On y rencontre même des imitations d'objets inanimés comme le concombre, semblable au concombre terrestre. Aussi rien d'étonnant à ce que des têtes de chevaux surmontent de minuscules limaçons. es hommes ont nommés les bestiaux, les bêtes e jour de la fête de saint Pierre, nous célébrâmes un sauvages et les oiseaux avant les office sur notre navire. Notre abbé chantait très fort, si poissons parce qu'ils les ont connus fort que les moines et moi- d'abord. Plus tard, quand on s'intéressa même eûmes peur que sa voix aux espèces de poissons, on leur donna n'attire qui des noms, soit d'après les ressemblance avec les les monstres grouillaient dans leur animaux profondeurs de la mer. Il y en terrestres, soit d'après leurs moeurs ou avait d'énormes, des féroces, leur aspect particulier ou d'après la dont couleur, la forme ou le sexe. Les nous n'avions jamais entendu parler et nous étions poissons sont innombrables, bien que Pline n'en dénombre bien sûrs de mourir si jamais ils que 144 variétés. En voici quelques uns que nous avons pu s'aventuraient apercevoir : à la surface. Brendan sourit et se mit à chanter encore plus fort, à tuetête. Alors les monstres surgirent du fond des eaux. e mot de poisson vient du latin pisces qui dérive de pecus : troupeau. Les animaux qui habitent dans les mers sont souvent plus grands que les espèces terrestres car la Les porcs marins sont mer s'étale largement et offre une nourriture aussi tendre une espèce de poissons qui fouil- que généreuse. Tous les êtres naissant sur terre se trouvent lent la terre sous les eaux pour y également dans la mer mais il y en a beaucoup qu'on ne chercher leur nourriture, exacte- -50- -51- Le bestiaire de Frere Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - ment comme font les pourceaux sur la terre. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frere Daimhlaic ous les poissons ne sont pas dignes d'admiration. Il en existe des cruels, des lascifs, des rusés : ils sont Le mulet est semblable à l'autruche : lorsqu'il a peur, il cache sa tête et se croit en sûreté. semblables aux hommes qui ne veulent pas suivre les commandements du Seigneur. Pourtant tous les poissons, du plus grand au plus petit, du plus agressif au plus pusillanime se réjouissaient avec nous de la fête du jour et Le glaive (espadon) accompagnaient le bateau. Lorsque nous eûmes fini de est un poisson qui a le chanter le service du jour, chaque poisson poursuivit son nez chemin. en forme d'épée, dont il se sert pour percer le flanc des navires. Le scorpion (la rascasse) est ainsi appelé parce qu'il blesse la main de celui qui le saisit. L'anguille est née du limon, et c'est pour cette raison que plus on la serre et plus elle fuit. La murène est ainsi appelée parce qu'elle s'enroule en faisant de nombreux anneaux. Les pêcheurs disent que toutes les murènes sont femelles et qu'elle conçoit d'un serpent. Ils l'appellent donc avec une flûte, en imitant le son du serpent. L'échine (remora) est un petit poisson de mer mais il est très malin car il est capable de prévoir la tempête. Il se saisit d'une pierre et la porte comme s'il s'agissait d'une ancre pour pouvoir résister à la force de la tempête. -52- -53- Iconographie Bestiaire de la version transitionnelle Angleterre, fin du XIIIe siècle Saint-Pétersbourg, Bibliothèque Nationale ms. lat. Q-v-V., folio 73 Les Poissons et les Monstres marins -54- -55- Bestiaire latin Vers 1400 - 1420 Copenhague, Det Kongelige Bibliotek ms. Gl. legl 1633 4o, folio 61 Porcs de mer Bestiaire latin Vers 1230 - 1240 Londres, The British Library ms. Harley 4.751, folio 68 Animaux marins -56- -57- Le bestiaire de Frere Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frere Daimhlaic a loutre a des pattes palmées, une petite tête ronde, un long corps fuselé et une queue épaisse. On peut la manger et sa chair ressemble celle du poisson. ous étions presque au terme de notre long voyage lorsque nous rencontrâmes Un ermite nommé Paul. Depuis vivait 90 sur ans, une il île isolée au milieu de la mer. Il nous raconta 'est une grande merveille que cette petite bête ait que, les approvisionné de son propre chef Paul l'Ermite et c'est trente premières bien la preuve que, si on obéit aux lois de Dieu, on n'a nul années de besoin de se préoccuper de l'intendance ! durant son séjour, il pût profiter des services d'un serviteur attentif qui lui apportait trois fois par semaine un poisson pour le nourrir. Ce loyal serviteur était une loutre ! Pourtant on prétend qu'elle est avaricieuse car elle amoncelle dans son terrier les poissons qu'elle a capturés bien plus qu'elle ne peut en manger. La loutre se nourrit d'herbe et de poissons et l'odeur dégagée par ses proies en décomposition empeste les environs. C'est d'ailleurs à l'odeur qu'on la repère et qu'on peut ainsi la capturer et l'apprivoiser. Certains affirment qu'il existe des loutres domestiques qui pêchent le poisson pour leurs maîtres bien mieux qu'ils ne sauraient le faire eux-mêmes. On les appellent alors "chiens de rivière". -58- -59- Iconographie Livre d'heures France, XVIe siècle Paris BnF fr. 1872, folio 13 (détail) Livre de chasse. Gaston Phébus Paris, vers 1460 New-York, The Pierpont Morgan Library ms. M. 1.044, folio 28 Loutres -60- -61- Le bestiaire de Frere Daimhlaic- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le bestiaire de Frere Daimhlaic - Bibliographie - - Table des matières Histoire naturelle Pline l'Ancien La brebis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 4 La baleine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 12 Le caladre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 20 Le monstre marin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 26 Le bestiaire médiéval Christian Heck et Rémy Cordonnier Livres IX et X Traduit et commenté par E. de Saint Denis Société d'édition "LES BELLES LETTRES" Editions Citadelles & Mazenod Etymologies Isidore de Séville Marie-Thérèse Tesnière Bibliothèque nationale de France Paris, 2011 Bestiaire médiéval Enluminures Paris, 1961 Livre XII Texte établi, traduit et commenté par Jacques André Société d'édition "LES BELLES LETTRES" Paris, 1986 La Renaissance du Livre Le dragon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 40 Voyage autour de la Terre Jean de Mandeville Les poissons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La loutre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 52 p. 58 Paris, 2003 Tournai, 1999 Le Livre des Etres imaginaires Jorge Luis Borges Traduit et commenté par Christiane Deluz Société d’édition Les Belles Lettres Editions Gallimard Bestiaires du Moyen Age Klincksieck Paris, 1999 Le monstre dans l’art occidental Gilbert Lascault Paris, 2004 Traduits et présentés par Gabriel Bianciotto Editions Stock/Moyen Age Paris, 2004 1995 Bestiaires du Moyen Age Michel Pastoureau Editions du Seuil Paris, 2011 -64- Animaux étranges et fabuleux Ariane et Christian Delacampagne Editions Citadelles & Mazenod Le Livre des Merveilles Marco Polo Le griffon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 32 Paris, 2005 -65- Le bestiaire de frère Daimhlaic -Dominique Tixhon-