cumul des fonctions entre juge des libertés et de la détention et

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cumul des fonctions entre juge des libertés et de la détention et
Version pré-print – pour citer cet article :
E. Vergès, « Impartialité du magistrat – cumul de fonction entre juge des libertés et de la détention et
conseiller à la chambre de l’instruction », obs. sous cass. crim. 27 oct. 2004, Revue pénitentiaire et de droit pénal, 2005-1,
p. 232
Impartialité du magistrat – cumul des fonctions entre juge des libertés et de la détention et
conseiller à la chambre de l’instruction
Cass. crim. 27 octobre 2004, bull, n°260
Le cumul des fonctions des magistrats répressifs est une question récurrente en jurisprudence. Compte tenu
de la multiplicité de l’intervention de magistrats au cours de la procédure et du nombre de recours ouvert à la
personne poursuivie, il est très fréquent qu’un même magistrat intervienne plusieurs fois, à des niveaux différents, au
cours d’une même espèce. Au regard du principe national de séparation des fonctions, combiné avec le principe
européen du procès équitable, l’avocat de la personne poursuivie peut être tenté d’utiliser le cumul de fonctions
comme un instrument d’annulation des procédures. Pour contrer cette tentative, la Cour de cassation donne une
interprétation tout à fait stricte de la séparation des fonctions conformément à la jurisprudence européenne. L’arrêt
du 27 octobre 2004 en est une nouvelle illustration. En l’espèce, il était reproché à un membre de la chambre de
l’instruction, qui statuait sur une demande de nullité, d’avoir siégé dans ladite juridiction alors qu’il avait rejeté, au
préalable, dans la même procédure et en qualité de juge des libertés et de la détention, une demande de mise en
liberté. Le particularisme de cette affaire tenait au fait que le magistrat en question, en statuant sur la demande de
mise en liberté, s’était exprimé par des motifs surabondants sur la culpabilité du mis en examen. La Cour de cassation
a rejeté le pourvoi en affirmant « qu’aucune disposition conventionnelle ne fait obstacle à ce que l’un des magistrats composant la
chambre de l’instruction statuant sur une demande d’annulation de pièces ait précédemment rendu, dans la même procédure, en qualité de
juge des libertés et de la détention, une ordonnance rejetant une demande de mise en liberté ; qu’il s’agit de deux instances distinctes, dont
ni l’une ni l’autre implique qu’il soit prononcé sur la culpabilité ». Cet arrêt appelle deux séries de remarques.
Sur le principe même du cumul de fonctions, la décision ne présente pas d’originalité. D’une part, il ne s’agit
pas d’un cas de cumul prohibé par un texte du Code de procédure pénale (séparation des autorités de poursuite et de
jugement, séparation des fonctions d’instruction et de jugement). D’autre part, l’interprétation européenne du
principe d’impartialité n’entraîne pas une prohibition générale du cumul de fonctions. Dans sont arrêt Hauschildt c/
Danemark, du 24 mai 1989 (série A, n°154) la Cour européenne des droits de l’homme affirme que le cumul de
fonctions ne peut être interdit dans son principe et qu’il est nécessaire d’apprécier, pour chaque espèce, les
circonstances de la cause. La Cour a ainsi pu admettre qu’un magistrat qui avait pris une décision sur la détention
provisoire participe, ensuite, au jugement de l’affaire. La Cour a précisé sa jurisprudence dans l’arrêt Morel c/ France
(CEDH 6 juin 2000, D. 2001, p. 328 ; JCP E 2001, p. 797). L’impartialité du magistrat n’est pas remise en cause si ce
juge est confronté, au cours de l’instruction, à une question différente de celle qui lui est posée au moment du
jugement. Cette solution s’applique de façon générale à toutes les hypothèses de cumul ; la règle étant que le
magistrat ne peut se prononcer deux fois sur la même question. C’est bien en ce sens qu’a statué la Cour de cassation
dans l’arrêt commenté lorsqu’elle précise que la demande de remise en liberté et la demande d’annulation formulées
dans la même procédure constituent deux instances distinctes. Cela signifie simplement que le même magistrat a
statué sur deux questions sans lien. Il ne pouvait s’être forgé, au cours de la première instance, un préjugé sur la
question posée au cours de la seconde. En ce sens, la solution de l’arrêt est conforme à la jurisprudence européenne
et mérite l’approbation.
Plus ambiguë est la réponse apportée par la chambre criminelle au moyen tiré du fait que le juge des libertés
et de la détention s’était prononcé par motif surabondant sur la culpabilité de la personne poursuivie. La Cour
semble éluder quelque peu la question en affirmant que « ni l’une ni l’autre (des instances) implique qu’il soit prononcé sur
la culpabilité ». Ce motif est inutile si la Cour de cassation est amenée à trancher deux questions de pure procédure
(comme c’était le cas en l’espèce). En revanche, le fait que le juge des libertés et de la détention ait émis une opinion
sur la culpabilité interdit à ce magistrat de siéger dans une juridiction de jugement en se fondant sur le critère de
l’apparence. Ce critère posé par la Cour européenne est parfois repris par la Cour de cassation. Cette dernière a pu
juger, à propos d’un magistrat qui cite un justiciable devant lui, que le libellé de la citation ne doit pas laisser
« apparemment penser que le président de la juridiction de jugement ne disposait pas de l’impartialité objective du juge » (cass. com. 3
nov. 1992, D. 1993, juris., p. 538). Dans l’espèce commentée, il paraît évident que, par sa prise de position
surabondante sur la culpabilité du mis en examen, le magistrat en question n’aurait pu siéger dans la juridiction de
jugement (la question étant d’ailleurs, dans ce cas précis, réglée par l’article 137-1 du Code de procédure pénale qui
interdit de façon absolue au juge des libertés et de la détention de participer au jugement des affaires pénales dont il a
connu). Pourtant, la Cour de cassation semble écarter ce grief tiré de l’apparence de partialité du magistrat qui s’est
prononcé, de sa propre initiative, sur la culpabilité de la personne poursuivie lorsqu’elle affirme qu’aucune des
instances n’« implique qu’il soit prononcé sur la culpabilité ». Sur ce point, l’analyse ambiguë de la haute juridiction est
contestable. Si la décision prise par un magistrat au cours de l’instruction n’implique pas que ce dernier se prononce
sur la culpabilité, ce dernier perd néanmoins toute impartialité lorsqu’il prend l’initiative de se prononcer, par un
motif surabondant, sur cette question. Il s’interdit alors de siéger par la suite dans la juridiction de jugement. Cette
critique paraît bien théorique, car l’arrêt n’avait pas à se prononcer sur une telle hypothèse. Dès lors, il sera
intéressant de suivre l’attitude de la chambre criminelle lorsqu’elle sera confrontée à un tel cumul autorisé sur le
principe, mais prohibé par le jeu des apparences.
Étienne VERGES