Musique et technologie André Villa L
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Musique et technologie André Villa L’ECHANTILLONAGE DANS LES MUSIQUES POPULAIRES recyclage ou création ? Kumiko Iseki Licence de musicologie L3 n° étudiant 258100 [email protected] INTRODUCTION Echantillonner, ou sampler en anglais, est un procédé technique qui permet de prélever un élément sonore quelconque, d’une durée définie, de le reproduire une ou plusieurs fois, et de le retravailler. Le premier échantillonnage ou sampling de l’histoire de la musique moderne est peut-être celui qui fait l’objet dune anecdote que décrit Ross Russell (1) dans la biographie de Charlie Parker; il raconte qu’à vingt ans Parker ne se séparait jamais de deux instruments : son saxophone, bien sûr, mais aussi un phonographe avec une vis réglable qui lui permettait de ralentir la vitesse du plateau. Sur ce plateau tournaient les disques de Lester Young dont Parker à ses débuts a littéralement samplé le jeu, en le transposant à l’alto. Russel recommande de faire l’expérience avec le premier enregistrement radio de Lady Be Good. Si on écoute la bande à la moitié de sa vitesse, on entend Lester Young. Mais l’histoire du sampling dans les musiques populaires occidentales a commencé avec l’évolution technologique des studios d’enregistrement dans les années soixante. On pourrait évoquer la stéréo, les premiers multipistes, les chambres d’écho, etc., bref tout ce qui apparat en gros avec les Beatles, et surtout leur producteur George Martin, les premiers studios d’EML, qui sont très vite devenus des laboratoires techniques et musicaux extraordinaires. C’est à ce moment là que s’est faite la rupture avec l’approche naturaliste de l’enregistrement, qui régnait notamment dans le jazz. La simple possibilité d’enregistrer sur plusieurs pistes a immédiatement donné lieu aux expérimentations les plus incroyables. Sergeant Pepper’s tient en seulement quatre pistes. L’enregistrement multipiste a libéré un espace musical d’une profondeur nouvelle, totalement à l’opposé des conditions « naturelles » de production de la musique. Si le processus de sampling est apparu en même temps que la bande magnétique, il a véritablement explosé avec l’arrivée du numérique ; c’est un phénomène irréversible ; il a accéléré toute la mémoire musicale. Le hip-hop a véritablement été inventé dans les années quatre vingt à partir des techniques de sampling ; ces musiciens ont pillé la musique noire américaine des années soixante Puis toutes les composantes de la musique populaire ont suivi l’exemple : rock, dub, house, 1 electro-jazz,…etc Mais le sampling est-il un instrument de recyclage ou un est-ce un instrument création ? Nous allons voir comment il a révolutionné les processus de fabrication de la musique populaire pour en modifier profondément la forme jusqu’à devenir aujourd’hui un instrument d’écriture directe. I Echantillonnage / Bouclage / Traitement A l’arrivée des technologies numériques dans les années 80, les samplers avaient des durées d’échantillon très limitées. Mais aujourd’hui on peut échantillonner ce qu’on veut. Le sampling, c’est l’échantillonnage, mais aussi la possibilité de boucler et de retraiter une séquence sonore quelconque. Boucler c’est faire qu’un échantillon se répète, mais à partir d’une césure qui est décidée arbitrairement, et qui ne respecte pas nécessairement le mouvement « naturel » de la phrase prélevée. Par exemple, un riff d’Ottis Redding dont on ne retient que le début et que l’on boucle autrement devient un autre riff. Tout le rap procède de cette possibilité de mettre en boucle des éléments prélevés, et de fabriquer de cette façon en particulier toute la base rythmique. L’art de boucler, c’est l’art de couper, d’empiler, d’agencer toutes sortes d’éléments samplés pour fabriquer de nouvelles rythmiques. Mais cela peut aussi se résumer à simplement mettre en boucle une ou deux batteries « volées » à James Brown par exemple. La plus simple utilisation du sampling suppose au moins cet élément de décision : le point de coupe. L’élément qu’on veut sampler est rarement pur. Il faut éliminer au maximum les fréquences indésirables. Il s’agit la plupart du temps d’éléments mixés, de mixtures sonores qu’il faut nettoyer. Mais cette limite fait aussi l’originalité du sample, son côté toujours un peu accidentel. La technique du sample consiste à « faire avec » l’élément tel qu’il est et ce qui est mélangé avec lui : une fois extrait il devient une composante avec laquelle on peut jouer. 2 Il y a une « couleur» du sample qu’on peut accentuer. Certains vont jusqu’à presser sur vinyle des samples numériques, pour les faire sonner de façon analogique. L’aspect impur du sample est aussi ce qui en fait un élément sonore daté ou typé. On peut aujourd’hui aller très loin dans le retraitement d’un sample. Tous les paramètres, pitch, tonalité, enveloppe, tempo, etc. peuvent être modifiés de manière très contrôlée. Le stretch, par exemple, est une opération intéressante qui permet d’étirer ou de comprimer dans le temps d’une séquence sans modifier sa hauteur. Cela permet, par exemple, de conserver les qualités de timbre, de tonalité, de phrasé, etc., d’une séquence, en l’adaptant à un autre contexte rythmique, de fabriquer des sortes d’anamorphoses sonores. II Citation / détournement Un des pôles du sampling est celui de là citation. Le sampling manipule des éléments de mémoire pure, immédiatement évocateurs, des parfums sonores. Avec De La Soul, par exemple, on sent une volonté de solliciter toute la mémoire de la musique noire. En même temps, le simple fait de couper les samples et de les boucler les détourne. Quand De La Soul ( d’Otis Redding ( 2) ou de James Brown ( 1 et 3) bouclent un fragment de riif 4), ils font deux choses à la fois ; ils évoquent une époque, une strate de la mémoire musicale, et ils la détournent instantanément. Il y a détournement dès qu’on le place le sample dans un contexte musical et sonore tout à fait différent. C’est ce qui se passe avec Portishead ( 5), par exemple. On a affaire à un usage beaucoup plus économe du sampling, avec un résultat inédit, très loin de là citation ou de la parodie. C’est paradoxal parce qu’ils n’hésitent pas à sampler des musiques de séries ( 6), c’est-à-dire à solliciter les registres les plus loin de leur univers musical. Le détournement est maximal parce que ces éléments, insérés dans un dispositif sonore minimaliste, acquièrent une valeur musicale très forte. Dans le cas de Portishead, on trouve toutes sortes de nuances dans la façon d’intégrer le sampling. Le sample est tantôt très exhibé, tantôt très discret, mais constamment articulé avec des éléments joués en temps réel qui sont des inter- 3 ventions parasites. III Programmation La programmation est une procédure de composition à partir d’éléments entièrement samplés, une possibilité tout à fait nouvelle de composer à partir d’ingrédients non joués, sans même qu’on ait à se préoccuper de leur jouabilité . Une batterie par exemple peut être composée avec une caisse claire qu’un batteur ne pourrait pas jouer, en renversant le son de façon à ce que la résonance précède l’attaque, etc. Les éléments sont recomposés avec une grande finesse et une grande précision dans la construction. Quelqu’un qui programme ne peut plus s’appuyer sur la sensibilité spontanée d’un musicien-instrumentiste. Il aborde une rythmique sans aucun paramètre de jouabilité , avec quand même comme exigence que cela fonctionne en tant que rythmique, que ça swingue, par exemple. Tout cela, évidemment, n’évoquerait rien de neuf à un électroacousticien. Il s’agit plutôt des conditions nouvelles de production qui ont envahi les musiques « populaires », où le jouable et le non-jouable se mêlent de plus en plus. Ces techniques sont différentes des techniques d’utilisation de boucles. Avec la programmation, on suit les choses pas a pas. II y a des mouvements qui supposent un type de conscience musicale qui ne peut jamais être atteint par les instrumentistes, même s’il provient en partie d’une analyse fine de ce que les instrumentistes font sans le savoir. IV Le sampler, instrument de musique ? Tous les choix de sons de Portisbead sont faits pour redoubler l’effet de passé. Ils utilisent des instruments anciens (Fender Rhodes) mélangés aux samples. Même s’ils sont électriques, ils ont une espèce de souffle interne. Cela donne au son une sorte d’effet de vibrato général qui joue bien avec les samples. La voix peut aussi jouer ce registre. Cela exhibe encore plus nettement l’aspect fabriqué de la musique, l’effet du sample est évident. 4 Avec Portishead, Tricky, Massive Attack ( 7), Beck, Soul Coughing ( 8), etc., on voit émerger une manipulation désinvolte ou parfois sauvage du sampler , une absence d’intimidation face aux préjugés musicaux en général, une manière de tout mélanger, mais avec en même temps un résultat qui très musical. Il n’y a plus de hiérarchie entre les instruments et le sample. Dans une procédure d’enregistrement, l’arrangement le plus écrit, qui arrive après des semaines de composition, ne va pas faire le poids face à un bricolage quelconque fait par hasard. A un moment donné, il y a une mise à niveau de tous les éléments qui entrent en jeu. Et au bout du compte, c’est le studio lui-même qui apparaît conne le véritable instrument, et comme lieu de mélange entre les éléments prémédités, composés, et les éléments joués, interprétés, improvisés, ou accidentels. De ce point de vue-là, il faut relativiser l’importance du sampling comme événement technologique. Si on le réinsère dans l’univers du studio, il n’a aucun privilège, puisque la technique d’enregistrement la plus primitive, la bande analogique, le rendait déjà possible. On peut dire que le sampling rend évident un processus technique beaucoup plus large. V Catalogues de samples et droits d’auteur Il existe des CD commercialisés, sur lesquels on trouve des samples déjà taillés, prêts à servir. Il y a beaucoup de clichés, surtout dans le domaine rythmique, mais cela peut servir a produire quelque chose de neuf, même si cette nouveauté ne peut en aucune façon accéder au statut d’oeuvre originale. Cet aspect renvoie à la question du copyright : juridiquement, le sample a été considéré comme un vol ; d’où l’obligation, aujourd’hui, de citer la source, et de payer des droits aux éditeurs. On peut sampler tout ce qu’on veut, aussi bien le thème d’Elvire dans Don Juan que Mission Impossible, le sampling fait remonter tout le stock déjà enregistré de la musique qui est rendue disponible pour toutes les manipulations, toutes les profanations, toutes les dérivations. 5 Conclusion On peut aujourd’hui fabriquer des musiques à la chaîne, de manière industrielle, grâce à la technologie du sampling. Mais on peut aussi bien voir surgir l’exemple d’un agencement jamais entendu qui vient révéler une vraie possibilité musicale à partir de ce qui semblait quelque chose de fermé à toutes les possibilités musicales. Il y a comme deux mouvements. D’un côté le sampling représente la possibilité d’archiver, multiplier, cloner de façon redondante la mémoire musicale universelle, et de l’autre côté il permet de dégager des possibilités nouvelles. C’est une musique qui suppose moins de savoir jouer que de savoir écouter. Ce qui n’est pas un mauvais point de départ (!), et débarrasse des faux prestiges de la virtuosité. Mais il s’agit d’une écoute active. Le problème n’est pas seulement de reconnaître la musicalité là où elle se trouvait déjà. II s’agit de dégager des lignes de musicalité nouvelles, y compris à partir d’éléments qui pouvaient sembler non-musicaux. 6 REFERENCES 1) Ross Russel - Bird la vie de Charlie Parker - Livre de Poche 1992 Musiques : 1) De la Soul Eye Know 1989 avec des samples de Ottis Redding 1968 2) Te Dock to the Bay de 3) De la Soul Ghetto Thang 1989 avec des samples de James Brown 1975 5) Portishead Sour Times 1994 avec des sample de Schifrin 1969 4) Funky President de 6 ) Danube incident de Lalo 7) Massive Attack Blue Lines 1991 8) Soul Coughing Down To This 7