Mémoire de fin d`études sur le Sampling musical

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Mémoire de fin d`études sur le Sampling musical
• Mémoire de fin d’études sur le Sampling musical •
Cédric VANDERSTRAETEN – 3IS – Section son
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L’écriture de ce mémoire est tout à fait personnelle et n’a
aucunement la vocation de faire œuvre de référence, ou d’être
absolument exhaustive en termes de concepts ou de technicité.
Toute cette expérience a débuté avec la rencontre de Pierre-Yves
Allais, un musicien travaillant avec une pédale de sampling (ou de
looping) qu’il utilisait à la fois pour créer sa musique, l’enregistrer, et la
reproduire sur scène. Je cherchais des projets sonores musicaux variés,
créatifs, à la fois modernes et traditionnels, à la fois technoïdes et
profondément humains.
Il m’a alors fait écouter sur un petit poste radio CD sa maquette,
réalisée par ses soins à l’aide d’un petit enregistreur multipiste de piètre
qualité et d’un RC20, petite machine à faire des boucles sur laquelle
nous reviendrons. J’ai été d’emblée séduit par le côté charnu de son jeu
de guitare, par sa voix profonde et criarde à la fois, et par des
compositions aux couches innombrables – chœurs, beat box, lead, et
autres sons étranges formant un magma dense et tout à fait …
anachronique.
J’avais alors investi dans un petite carte son et l’on m’avait prêté
un microphone de bonne qualité. Je lui proposais de l’aider à lui faire
une jolie maquette… ce que nous avons fait, et terminé bien des mois
plus tard. Entre-temps, nous nous sommes attelés à faire des concerts.
Mais le problème était vaste… comment retranscrire des morceaux
bourrés d’arrangements divers, de boucles et d’effets en live ?
Tel a été mon problème, et le logiciel Ableton Live l’a résolu. J’ai
donc remplacé son traditionnel petit looper RC20 par tout mon attirail
informatique… et me suis mis à faire bien plus que des boucles.
J’ai écrit ce mémoire parce qu’en me mettant à faire des boucles
avec un musicien j’en suis devenu un. Il m’a fallu du temps pour m’en
rendre compte, et Pierre-Yves m’y a beaucoup aidé.
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Si je doit absolument trouver une problématique, pour répondre
aux exigences inhérentes à l’écriture d’un mémoire, ainsi que pour
éviter tout étiquetage péjoratif de ma personne par mes pointilleux
lecteurs, je ne puis me contenter de raconter ma petite expérience en la
comparant à celle des autres.
Telle serait alors la question :
Cherches-t-on en bouclant des sons à l’aide de machines à
faciliter le processus de composition musicale ou bien à exprimer une
idée ou un sentiment, une sensation, par le fait même de boucler ?
... n’hésitez pas à aller faire un tour dans l’Annexe des Mots Etranges Voire Inconnus en fin de
mémoire, pour tous ces termes techniques, scientifiques, en franglais, fragnol ou yaourt inventé
que vous ne saisissez pas.
Attention, le style particulier de ce mémoire peut avoir parfois des airs d’impertinence lexicale,
veuillez par avance excuser l’auteur qui, fort de quelques nuits blanches, a pu égarer son style
conventionnel et bien-pensant au détour d’un paragraphe ...
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• – Prémices du Sampling – •
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I.
Qu'est-ce qu'un « sample »
Le sample est un terme anglais, qui signifie tout simplement
« échantillon ». En son, c'est un extrait sonore enregistré sur n'importe
quel support (bande, vinyle, support numérique...).
Cet échantillon peut avoir ensuite deux applications :
a. le sampler
La première, que nous détaillerons volontairement un peu moins
dans ce mémoire, consiste à le placer dans un « sampler », une machine
qui lira le sample à un moment déterminé. Cette machine (ou
instrument virtuel dans le domaine informatique) est connectée à un
instrument physique MIDI, constitué de touches ou de boutons. Lorsque
qu’une touche est actionnée, l’instrument MIDI envoie une donnée de
note au sampler, et ce dernier jouera notre échantillon correspondant.
L’intérêt est grand, puisqu’il est tout à fait possible d’insérer de
multiples samples, une gamme complète de prise de sons d’un piano,
par exemple, et d’assigner chacune des notes à une touche d’un
instrument MIDI. Ainsi, il sera possible de pianoter sur un pauvre clavier
MIDI en plastique à moindre coût et d’entendre un Steinway haut de
gamme, enregistré dans un des plus bels opéra du monde, tant qu’à
faire.
Ce système est relativement ancien (voir en annexe l’historique
non exhaustif des samplers), mais il ne cesse de progresser. Ainsi, de
nouveaux contrôleurs MIDI apparaissent toujours plus nombreux et
toujours plus originaux chaque années. On peut donc influer sur les
variables d’une programmation complexe à travers des éléments
physiques (et visuels, pour le spectacle), permettant ainsi de rendre la
« vie » à tous ces sons : on capte alors le jeu du musicien, chose très
compliquée à reproduire au travers d’une programmation.
Des constructeurs du monde entiers proposent des instruments
midi de tous styles, pour toutes utilisations. Du piano MIDI (équivalent
d’un synthétiseur, sauf que seul, cet objet ne sort aucun son), à la
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surface de contrôle avec des faders motorisés, plein de boutons, en
passant par des pédaliers - adaptés aux musiciens ayant les mains prises
par leur instrument… on trouve aujourd’hui des cubes lumineux, des
cadres à lasers, des tables tactiles, et tout un tas de système de
reconnaissance du geste que l’on retrouvera partout dans un futur
proche. Certains construisent eux-mêmes leurs instruments midi, car
l’architecture électronique de base est très simple.
b. le looper
Mais ce qui nous intéresse plus particulièrement dans ce
mémoire, ce ne sont pas les samplers, mais plutôt les loopers (très
souvent appelés eux aussi samplers, générant parfois une confusion
totale sur scène…).
Les loopers ont le même principe que les samplers, à ceci près
qu’ils bouclent le son enregistré. D’une façon générale, il suffit
d’appuyer sur un bouton pour lancer l’enregistrement, et faire de même
pour l’arrêter. Aussitôt après, le looper répète ce son indéfiniment, et
permet même de rajouter d’autres couches, d’en retirer, etc.
Avec ce système, le terme de sample – que l’on utilisera comme
tel par la suite – définit non pas seulement un échantillon sonore, mais
aussi sa propriété de rythme. Rythme interne (un rythme contenu dans
l’échantillon) d’une part, et rythme externe (rythme généré par la
répétition de cet échantillon).
II.
Le sample dans le temps
Avec un looper, la durée de la boucle est théoriquement libre, du
micro au macro. De la simple note à une mélodie complexe toute
entière.
Pour obtenir une boucle musicale naturelle, il faut que la fin de
l'échantillon concorde avec le début de ce même échantillon. Ainsi, il est
possible de répéter indéfiniment cet extrait sans percevoir aucune
cassure rythmique ou mélodique.
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Mais le fait de boucler un échantillon qui en soit n’a pas de
rythme interne, par exemple une note continue de voix, provoque un
rythme externe. Ce processus est unique et particulier à la technique du
looping, et très utilisé. On notera à cet égard que les premières formes
de looping créant ce rythme externe sont les Delays. (Au fond, un
looper, ce n’est jamais qu’un delay avec un feedback de 100%).
En musique, une boucle correspond à mesure de n temps :
- 1, 2, 4, 8, 16, 32, 64, 128... pour une structure musicale en 4/4
Très bien. J’ai mon looper en main, mon micro, ma guitare, le
mémoire de Cédric Vanderstraeten, c’est parti. Mais…
Qu’est-ce qu’un rythme ? C’est d’abord une perception.
« Perception complémentaire de la répétition d’un phénomène et d’une
structure, qu’elle qu’en soit l’origine. Le rythme n’est pas le signal luimême, ni même sa répétition, mais bien l’effet que produit sa répétition
sur la perception et l’entendement, à savoir l’idée de ‘mouvement’ qui
s’en dégage ». Si l’on applique ce que nous décrit notre cher Wikipédia
à l’idée de sampling, on peut donc d’ores et déjà s’émanciper
entièrement des notions de structure musicale simples. En gros, on peut
boucler n’importe quel son, quelqu’en soit sa durée, quelqu’en soit sa
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qualité, pour en faire un rythme ? Voici ce que l’expérience (et quelques
textes) m’ont appris :
Une boucle trop longue génère un rythme, certes, mais qui ne
semble pas musical. En effet, on perçoit l’idée de boucle en réécoutant
un son déjà entendu, mais il semble que l’on ait perdu une certaine
qualité esthétique que l’on pense inhérente à l’idée de rythme musical.
En effet, on parle du rythme d’une journée. Si le rythme est un
mouvement, il faut être en mesure de le percevoir. Or, si l’on observe à
l’œil nu le soleil, nous sommes incapables de le voir se déplacer, donc de
percevoir son rythme. Si l’on le filme pendant plusieurs jours et si l’on
accélère l’image, alors nous serons en mesure de distinguer, à partir
d’une certaine vitesse, le rythme de sa rotation autour de la Terre.
Cela me semble être du au fait que la perception du rythme soit
un phénomène d’une relative instantanéité. On peut très bien comparer
la perception du rythme sonore à « l’Effet Phi ».
“L'effet phi est la sensation visuelle de mouvement
provoquée par l'apparition d'images perçues successives,
susceptibles d'être raccordées par un déplacement ou une
transformation. Le cerveau comble l'absence de transition
avec celle qui lui semble la plus vraisemblable. C'est donc le
résultat du traitement effectué par le système visuel.”
De même, la répétition d’un son extrêmement court génère une
impression de continuité, telle une note, ou une nappe sonore, dont la
qualité dépend du son de base répété.
Il y a donc des limites temporelles dans lesquelles la sensation de
rythme est perçue.
J’ai tenté vainement de paraphraser et de vulgariser l’extrait de
texte suivant, mais quitte à passer pour un fainéant, je préfère le copier
afin d’éclaircir totalement ce sujet :
« A la base de la perception du rythme, il y a la capacité
d’appréhension d’éléments successifs en une unité analogue à
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notre capacité d’appréhender une portion de l’espace dans
l’angle de vision.
Cette capacité d’appréhension est appelée souvent
présent psychique parce qu’elle correspond à une perception
dans une relative simultanéité d’éléments successifs. Ainsi
nous pouvons percevoir une phrase simple, un numéro de
téléphone que l’on nous communique oralement. Ainsi on
peut percevoir la succession de deux sons identiques qui vont
du seuil de la distinction (environ 0,1 sec) à une durée
maximum de 1,8 sec. Au-delà, de cette durée les sons
deviennent des éléments perçus comme indépendants les uns
des autres. On peut cependant prolonger le présent psychique,
s’il y a entre deux repères une pluralité d’éléments. [...] Dans
les cas extrêmes, on peut ainsi percevoir l’enchainement de
repères successifs jusqu’à une durée limite d’environ 5 sec.
Mais combien d’éléments peut-on ainsi percevoir dans
ce présent ? Il faut ici distinguer éléments discrets et le cas
d’éléments formant une structure. Ainsi pouvons-nous
appréhender environ 5 lettres de l’alphabet indépendantes les
unes des autres, mais douze syllabes formant un vers. Dans ce
cas en réalité nous percevons des mots, ou mieux encore des
ensemble de mots car si un vers constitue une unité
perceptive, il est en réalité formé par deux, trois ou quatre
sous-structures marquées par des accents, par exemple. En
d’autres termes, dans une structure perçue, qu’elle se répète
ou non, nous percevons des sous-ensemble appelés chunks.
Plus une unité perceptive est sous-divisée, et plus le présent
psychique peut être long, à condition qu’aucun intervalle
interne n’excède 1,8 sec. La répétition régulière de pareilles
situations donne alors la perception non plus seulement d’une
unité (comme celle d’une phrase) mais d’un rythme, comme
c’est le cas en musique, en poésie ou dans la danse (NDLR : et
le cinéma aussi bon sang.)
Ceci nous amène à prendre en considération la rapidité
de la succession ou tempo. On appelle tempo la rapidité à
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laquelle se succèdent les éléments d’une structure, et les
structures entre elles. Repartons du cas le plus simple : la
succession de sons produits à intervalles isochrones. [...] Ce
tempo se situe dans une zone de durée qui s’étend de 0,4 à 0,8
sec, avec un optimum autour de 0,6 sec. [...]
Ceci dit, pour que l’unité rythmique soit bien perçue, il
faut que les durées entre ses éléments soient assez brèves,
ou si l’on préfère, que le tempo soit assez rapide. En
ralentissant beaucoup la diction poétique ou l’exécution
musicale, on supprime la perception du rythme. »
Extrait de Pour la psychologie scientifique - Paul Fraisse – Ed.
Mardaga
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III.
Impact culturel de la boucle à travers les âges
a. sauts dans le temps
L'idée de boucle ou de répétition en musique n'est pas neuve. Au
contraire, ce concept est essentiel si l'on étudie les musiques
traditionnelles d'Afrique, d'Amérique Latine, notamment en ce qui
concerne la musique de transe, la musique rituelle. Le Candomblé
brésilien, par exemple, attribue une grande importance à la musique
rituelle : elle est considérée comme un moyen d'honorer les divinités,
mais aussi de rentrer directement avec elles. Il se joue au Bénin
(principalement dans la ville de Ketou) sur trois tambours (atabaques)
avec des baguettes.
Philipe Blache, professeur à l'Université de Provence, membre du
laboratoire « Recherche et Parole » nous l'explique dans son essai « La
Transe : approche en terme d'ethos culturel » :
« La plupart des études, recherches
traitant implicitement ou explicitement du pouvoir
émotionnel de la musique dans l’accompagnement
de la transe envisage celle-ci au travers une vertu
quasi magique, incantatoire. La musique, dans la
transe, sollicite diverses formules rythmiques
souvent impaires susceptibles de produire des effets
hypnotiques. Toutes les musiques de possession, de
séances de transe initiatique, les danses
spectaculaires qui y sont rattachées, composées
d’instrumentistes ou de chanteurs, procèdent
surtout d’une répétition inlassable, soutenue des
heures durant. Sous cette forme, la musique fournit
la force nécessaire au sujet pour troubler sa
perception ordinaire, favorisant un état de grande
excitation, d’inspiration pouvant aboutir jusqu’à
l’envol extatique. »
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Il me parait intéressant à ce point-là de faire un bond dans le
temps et dans l’espace pour parler de la musique dite “techno”. Cette
dernière comprend énormément de variantes : house, lounge,
electronica, minimal techno, tek, hartek, hardcore, drum’n’bass, et bien
d’autres. Mais un élément rassemble toutes ces disciplines : l’utilisation
de samples relativement courts et leur répétition. Même si l'on peut
trouver parfois des petites mélodies, ce paramètre est rapidement
annulé par leur répétition extrêmement rapide et par l’utilisation de
timbres à l’origine indéterminée (sons non musicaux). Ces musiques se
basent sur des carrures de 8 mesures et de multiples de 8, afin de
faciliter le mixage pour les DJs. Ainsi, les structurations font souvent
appel aux nombres 8, 16, 32, 64 et 128, comme nous l’avons vu
précédemment.
Ainsi, sous toutes ses manifestations, la musique techno cherche
à faire atteindre à son auditeur un effet de transe (aspect assez rare
dans nos sociétés occidentales), tout comme les musiques primitives.
On retrouve des paramètres similaires comme la danse, la recherche
personnelle du « laisser-aller », la mise en foule engendrée par le rituel
de fête… mais l’aspect spirituel n’est pas présent dans la techno, même
si cette dernière tend à créer une culture – ou « sub-culture », basée sur
la marginalisation ou on raille la société et la machine pour créer un
nouvel espace de collectivité.
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Il est important de noter pour les mouvements techno que les
drogues psychotropes consommées lors des rassemblements
participent à l’effet de transe. Provoquent-elles alors un effet réel de
transe, comme pour les danseurs Ndöp sénégalais ? Le LSD, l’exctasy ne
sont-elles pas qu’une « béquille chimique à une période d’ajustement
identitaire et d’entrée dans la vie adulte de plus en plus diffuse » ? La
musique et le jeu de la répétition ne suffisent-ils pas à accéder à cet état
de transe ?
Le but de ce mémoire n’est pas de répondre à ces questions.
Nous avons vus que la répétition d’un son possède un effet important
sur l’auditeur. Qu’il soit d’ordre magique, divin, ou psychotique, cet
effet, intimement lié à la danse, est avant tout rythmique. Voyons ce
qu’il en a été dans les quelques décennies précédentes …
b. des platines aux machines
Les compositeurs de musique classique n’ont pas attendu
l’arrivée fracassante des samplers numériques pour exploiter la
technique de boucle en musique. On retrouve en effet dès le XIIIème
siècle un procédé de composition musicale appelé l’ostinato, qui
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consiste à répéter obstinément un rythme ou une mélodie durant tout
un morceau. Souvent basé sur la basse, on retrouve ce procédé en
Angleterre au XVIIème siècle sous le nom de basso ostinato.
Une des œuvres classiques accueillant le plus d’archétypes de ce
procédé est le Boléro de Ravel (1927). En effet, ce dernier comporte une
ligne de caisse claire répétée immuablement tout au long du Boléro :
Ces deux mesures sont répétées 169 fois par la caisse claire (soit 4056
battements en tout).
Le tempo est lui aussi immuable, fixé selon la partition à 72 BPM
(Beat Per Minute). En fait, c’est principalement à travers la puissance en
crescendo que les boucles s’expriment, jusqu’à ce que tout l’orchestre
rejoigne le rythme de la caisse claire dans la coda (« queue » du
morceau, dénouement final).
Les musiques latines comme la samba ou la bossa nova
comprennent aussi des formes d’ostinato en ce qui concerne les
percussions.
Panel de percussions brésiliennes
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La boucle est aussi un aspect essentiel de la musique hip-hop.
Les initiateurs du hip-hop ont été inspirés par les sound-systems
jamaïcains des années 50. Ce sont des fêtes durant lesquels des
chanteurs, dit « MCs », improvisent du texte sur des musiques reggae
préenregistrées sur vinyle (riddims), ou sur des Dubs, versions
instrumentales allégées de ces mêmes riddims. Le Dub a été inventé,
par erreur selon la légende, par King Tubby, producteur, qui souhaitait
mettre du son sur la face B de ses disques, et remixait le contenu de la
face A, sans la voix, avec tout un tas d’effets (reverbs et delays sans fin,
passage du vinyle à l’envers pendant le remix, cuts, etc).
Au début des années 70, c’est dans le Bronx, état de New York,
que le hip-hop nait d’une culture afro-américaine et portoricaine
populaire. Des sound-systems sont organisés, et on commence aussi à
faire toaster des MCs sur des versions instrumentales influencées par le
funk, la soul, même le jazz, et bien sûr le reggae. C’est ici que nait la
technique du Dee Jaying (de DJ, Disc Jockey). Celui qui passe les disques
en soirée joue avec le public en passant tel morceau connu ou telle
nouveauté. Mais il peut aussi jouer directement avec le morceau luimême en touchant au vinyle. Il peut jouer sur le rythme d’un vinyle pour
pouvoir passer d’un morceau à l’autre dans un continuum sonore sans
cassure de rythme, il peut ainsi laisser jouer deux morceau ensemble en
modifiant tour à tour l’un ou l’autre, faire des « cuts » (coupure de son
très brève en rythme avec le morceau), et bien sûr scratcher, de l’anglais
« rayer ».
Extrait de « l’Histoire du Hip-Hop » écrite par un collectif de hiphop nantais :
[Kool Herc, fondateur du DJism, d’origine jamaïcaine]
« Après avoir graffé son nom sur
les murs de la ville [New York,
NDLR], il se tourne vers le Dj’ing et
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va avoir la géniale idée de transposer le concept
des "sound system" jamaïcains de son enfance à la
réalité du Bronx. Il organise alors les premières
"Block Party", dans lesquelles il passe les disques de
Soul et de Funk qu’il affectionne. Equipé d’abord
d’une seule platine il était obligé de parler dans le
micro à la manière des Dj jamaïcains pendant qu’il
changeait de disque sur la platine. C’est lorsqu’il
commença à mixer avec deux platines qu’il va créer
les bases techniques de mixes pratiqués encore
aujourd’hui. En jouant le même disque sur les deux
platines, il était capable de rejouer plusieurs fois
d’affiler les parties du morceau qu’il appréciait, et
notamment les breaks. »
On commence alors à créer grâce à cette nouvelle technique de
mélange, et on va même chercher des samples anciens pour en faire sa
musique à soi. On échantillonne à tout va : les groupes allemands de
rock expérimental Can et Faust passent des bandes magnétiques à
l’envers, utilisent échos et delays sur leurs rythmiques – bref, tout le
nouveau potentiel technique de l’époque – et vont parfois composer
des morceaux uniquement composés de samples.
Malgré ce que j’avais imaginé, je n’ai donc pas inventé le concept
de boucle en musique. Ses vertus extra-sensorielles sont connues depuis
bien longtemps. Mais c’est la composition du son utilisé dans une
boucle, sa texture, son timbre, qui lui donnera l’aspect culturel qui fera
agir la mémoire ou se jouera d’elle pour s’inclure dans un contexte
culturel. La source du sample est donc primordiale.
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IV.
Recherche du grain dans le sample
Ce qui est intéressant dans l’utilisation du sample dans la
musique populaire comme le hip-hop et ses déviances (trip-hop
notamment) et dans d’autres musique ayant recours au sampling, c’est
l’utilisation de ce dernier à des fins mémorielles.
Un son a deux effet sur un auditeur : un effet de sensation pure,
du à sa composition fréquentielle, donc son timbre, sa dynamique, son
rythme s’il y en a un, sa spatialisation, mais aussi son placement par
rapport aux autres sons qui l’entourent dans une musique. C’est ce qui
fait qu’un Steinway n’aura pas le même impact émotionnel qu’un
Yamaha, et de même selon le pianiste, et c’est encore différent selon
son contexte (en concert, en studio, au sein d’un orchestre ou en
soliste…). Mais un son possède des qualités faisant appel à la mémoire,
qui n’existe qu’à travers celui qui l’entend. Ainsi, le fait de reconnaître
un son, une mélodie, un rythme, développe une force sensible non
négligeable, intimement liée à l’expérience de l’auditeur, créant ainsi un
lien d’ordre personnel.
Ces deux qualités sont essentielles dans l’utilisation d’un sample.
La première, compositionnelle, va servir à l’intégrer dans un mix (ou
servir de point de départ à ce dernier). Ainsi, il va falloir trouver un
sample en harmonie avec les autres lignes mélodiques (pour cela les
nouvelles méthodes de pitching – modification de hauteur – sont fort
utiles), et son calage temporel (ici, le time-streching nous sauve la vie).
La seconde composante du sample est inhérente à ce dernier : c’est
pourquoi l’étape de la recherche du sample est primordiale, car il est
extrêmement difficile d’apporter artificiellement cette touche
mémorielle à un son.
Un des facteurs technique de cette deuxième composante est le
grain du son. Ce dernier est donné par son mode d’enregistrement. En
effet, notre culture auditive nous permet de reconnaître quasiment de
manière instinctive « l’âge » d’un son, grâce à son grain, à sa couleur.
Le grain du son est similaire au grain en photographie. Dans
cette dernière discipline, le grain est l’apparence visuelle de cristaux
d'argent qui composent la photographie. Plus le négatif est agrandi, plus
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les grains deviennent apparents ainsi que dans les zones d'image
neutres du tirage. En son, le grain est donné par le mode
d’enregistrement et le support.
Le son n’a pas toujours été comme celui que l’on écoute sur CD,
car le son n’a pas toujours été numérique ! La bande passante d’un CD
s’étend de 20 à 20000 Hz (plage de fréquences sonores théoriquement
audibles par l’oreille humaine), une dynamique de 96 dB en 16 bits
(différence entre les amplitudes maximum et minimum que le CD peut
enregistrer).
Le disque de vinyle, exemple le plus probant - notamment en
hip-hop - ajoute au son des artefacts très facilement identifiables : des
« clics » et du souffle du au diamant lisant la surface sillonnée du disque.
De plus, il se produit une distorsion harmonique légère mais sensible.
Ces derniers paramètres sont accentués en fonction de la qualité du
disque : plus il est vieux, plus ces artefacts seront présents. La
dynamique de ce support est théoriquement de 65 dB. Mais cette
« mauvaise qualité » de son est pourtant très recherchée, car l’oreille
apprécie ces « défauts ».
La bande passante est aussi un élément temporel marquant. En
effet, depuis l’invention de la radio lorsque Samuel Morse inventa le
télégraphe jusqu’en 1940 lorsque la première station de radio FM émis
à Nashville dans le Tennessee, la largeur de bande n’a pas toujours été
celle que l’on s’est habitué à entendre avec les normes Hi-Fi.
Cette “saleté” est aussi due au processus d’enregistrement et de
mixage, résultante de multiples passages par certains pré-amplis, effets,
compresseurs, égaliseurs, etc, certains types de câbles, et bien sûr du
“problème” de générations avec des supports analogiques (une copie
d’un matériel analogique – bande magnétique par exemple – sur un
autre support du même type provoque tout un tas de distorsion
harmoniques, de gain de souffle, etc, à l’inverse du traitement
numérique, qui ne génère que des copies absolument identiques de
l’original).
Ces “défauts” sont pourtant très recherchés par de nombreux
artistes et techniciens (ou les deux), surtout dans des musiques pointues
comme le jazz. Pourtant, certains leur déclarent une guerre totale, à
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coup de traitement numériques et d’algorithmes perfectionnés
permettant de nettoyer le son de tout ce qu’il n’a pas de naturel, selon
un certain point de vue.
Pour ma part, il me semble que chercher à conserver (voire à
générer) ces artefacts sonores non transparents revient tout
simplement à un engagement artistique. Refuser et nettoyer un son
pour le rendre exempt de tout défaut de traitement me semble être
tout simplement une absence de choix. C’est un travail de conformation,
pour être conforme, respecter une norme - chose essentielle pour le
travail sonore en audiovisuel, particulièrement en publicité. Pour ce qui
est de la musique, cela me semble être une aberration. Certes on peut
tout à fait dire que l’on “choisis” de rendre un son lisse et dénué de
défaut, mais quel dommage d’en arriver là…
Pour ce qui est du travail du sampling, le grain du son tel que je
l’ai défini précédemment constitue la marque du temps et de
l’expérience, et donnent ainsi à une musique une dimension temporelle
élargie.
« Echantillonner, c'est comme s'envoyer à
soi-même un fax des débris sonores du futur. Si le
fax est une copie d'un document que tu as fait et
que tu envoies, alors au revoir, adios, bye-bye. Tu
peux envoyer un fax n'importe où. C'est pareil
avec les beats. Pour moi, l'échantillonneur est une
sorte de machine à remonter le temps. C'est une
façon de manipuler et de reconfigurer des
morceaux du passé dans le présent, et de
permettre aux permutations du présent de
refléter vraiment ce que la musique pourrait
devenir. Et te voilà en train de jouer avec le passé,
le présent, le futur et l'imparfait du langage
même. »
— DJ Spooky
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© Ugo
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•• – Le Self Sampling – ••
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Les pieds de Mary*, une Self Sampleuse avérée
Le self sampling (ou auto-sampling) est une technique utilisée de
plus en plus couramment qui consiste tout simplement boucler des
lignes mélodiques ou rythmique à l’aide d’une looper, sous forme de
pédale, de machine, ou logicielle. On peut y faire entrer n’importe
quelle source sonore, généralement un micro ou un instrument.
Après avoir enregistré une première boucle, servant de base
rythmique et/ou mélodique, le musicien va alors pouvoir y ajouter une
multitudes de couches avec de nouvelles boucles.
Afin de ne pas me répéter et d’éviter de faire la liste des
fonctionnalités de tous les loopers du marché, j’ai décidé de poser des
questions bien concrètes à deux musiciens pratiquant couramment le
self sampling, et de m’intéresser de près au cas d’un autre.
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I.
Khalid K, un sampleur rêveur
Le premier, Khalid K, est à la fois un musicien, un
comédien et un bruiteur. Je l’ai d’abord contacté par mail
puis par téléphone et j’ai eu l’occasion de lui poser
quelques questions avant d’aller le rencontrer lors d’un
concert au Studios de l’Ermitage à Paris.
Son installation est relativement simple : il boucle le
son de son micro (qui passe au préalable dans un bon
préampli à lampe de la marque TLA Audio) avec un petit
système de trois loopers aux pieds (des Akai HeadRush, faisant partie
des premières générations de loopers).
Là où se joue son originalité c’est qu’il n’utilise comme matériau
sonore que… sa voix. La plupart de ses « tableaux », comme il aime à les
appeler, commencent généralement par la constitution d’une ambiance
sonore, entièrement bruitée par son habile gosier. Ainsi, pour nous
emmener dans une petite ferme berbère, Khalid commence par bêler
une fois, deux fois, à remuer une petite cloche (certes, il dispose de
quelques accessoires de scène, mais pas d’instrument – sinon le cajun
sur lequel il est assis), à faire parler un fermier dans un dialecte digne
d’une bande son de Tati… et tout cela jusqu’à obtenir l’équivalent d’une
phonographie riches de nombreux plans sonores.
Ces plans sonores sont agencés d’une part dans
leur position dans la boucle (ainsi, le fermier ayant appelé
son ami va se répéter et pourra donc obtenir sa réponse
pour la boucle suivante !) et aussi et surtout en volume :
Khalid prend grand soin à jouer sur la distance de son
micro pour chacun des sons qu’il va faire, chose
entièrement intégrée dans sa mise en scène, par ailleurs.
Khalid réalise donc des tableaux sonores à partir
de ses propres capacités de bruiteurs, puis les développe
en musique en imitant un oud, des chants africains, une
basse…
27
« Khalid, c’est un regard. Ou plutôt une oreille. Il capte
tout. Il englobe d’abord, semble enregistrer. Puis il vit les sons,
les reproduit. À sa manière. Avec son corps, avec sa voix. Il
crée des mondes. »
Kên Higelin, metteur en scène du spectacle de Khalid K
Khalid fait, dès le début de ses spectacles, sa mise en abîme : il
explique et petits et grands enfants de la salle comment fonctionnent
ses petites machines. Je suppose que c’est parce son spectacle n’est pas
basé sur la répétition des éléments, mais plutôt sur ces éléments euxmêmes et le rôle qu’ils jouent entre eux : en démasquant d’emblée son
système, il le dissimule d’autant mieux.
Chacun de ses trois pédaliers permettent d’enregistrer jusqu’à 99
couches de samples. Le fait d’en avoir trois permet de réaliser en live un
montage de ces couches en en coupant certaines par moment, ou en
relançant d’autres au moment opportun.
Son spectacle, très construit, ne joue que très peu sur le
phénomène de répétition « de transe », comme expliqué dans le
premier chapitre, sinon lorsqu’il s’amuse à reproduire des chants indiens
ou une musique techno. Il privilégie donc plus les rythmes internes de
28
ses sons. Mais il joue tout de même sur le rythme externe, en rendant
musical son « décor » sonore, car pour lui, un bruit, c’est aussi de la
musique.
Khalid K se sert donc de la technique du sampling non pas
comme une fin en soi mais comme un moyen de « peindre » ses univers,
seul et sans artifice. Ce n’est pas pour lui une béquille comme cela
pourrait l’être un guitariste incapable de chanter et de jouer de la
guitare en même temps, mais bien un outil de conception, comme les
couches d’une toile.
29
II.
Matthew Herbert, un sampleur engagé.
C’est au travers d’un entretien avec Khalid K que le
sujet Herbert a pointé le bout de son nez. En effet, ce dernier
est pour lui comme pour moi une référence en matière de
sampling live, de « self-sampling » ou de « direct sampling ».
30
Commençons par un extrait d’une interview réalisée par Maxime
Gouache du site «Lemonsound.com ».
“Tu changes beaucoup ta manière de travailler selon le fait
que tu sois seul ou en groupe ?
Oui bien sûr, et même sans cela je change la
configuration de mon studio chaque fois que j’enregistre
un nouvel album. Chaque fois la technologie n’est pas la
même, je change pour utiliser d’autres équipements, en
grande partie analogiques. Je n’utilise pas de
synthétiseurs mais des drum machines, des samplers, ce
genre
de
choses.
Avec la musique électronique tu es un peu le roi de ton
château, tu contrôles totalement ton univers et tout ce
qui s’y passe. Entre les quatre murs de ton studio tu es
comme un petit sorcier. Cette situation n’est pas idéale,
je suis plus intéressé par l’idée de prendre des risques ;
se retrouver en face de 70 personnes, leur expliquer ce
en quoi tu crois, leur demander de croire et de faire du
bruit avec toi. J’aime ce risque et ce danger, aussi le fait
de faire vivre mes idées dans un espace public. Je trouve
ça important.
Lorsque je fais ce genre de chose je dois mettre
l’aspect « contrôle » de côté et faire confiance aux
autres pour m’aider dans ma création. C’est comme ça
que la vie devrait être, on a tous besoins les uns des
autres, je ne peux pas faire de vêtements, je ne suis pas
fermier, je suis incapable de créer un téléphone, je ne
génère pas d’électricité, ou peut être un peu mais pas
assez, je pourrais avoir besoin de toi pour me faire des
vêtements par exemple, ou à manger, on doit forcément
31
abandonner une partie de notre contrôle à d’autres
personnes et partager ce que l’on a. C’est comme ça
que la vie devrait être.”
Cette prise de position me semble intéressante et pourtant
relativement contradictoire. En effet, Matthew Herbert fais partie de ces
créateurs sonores qui font tout (ou presque) eux-mêmes.
C’est un musicien anglo-saxon multi-instrumentiste, spécialiste
du sampling, considéré comme l’un des précurseurs de la musique
house.
Après avoir étudié dès son plus jeune âge le violon et le piano, il
part faire des études de théâtre a l’Université d’Exeter. Et c’est ici, en
1992 – il a 20 ans -, que son premier projet voit le jour :
« Wishmountain ». L’idée viendrait d’une réflexion sur la relation entre
musique interprétation faite en cours. Il décide alors d’aller collecter
tout un tas de sons environnementaux et de leur « trouver un usage ».
C’est grâce à une rencontre avec Tom Middleton et Mark Pritchard
(Global Communication, un groupe d’électro) qu’il finit par leur trouver
un sens, et surtout un rythme. S’en suit un premier EP, « Radio »,
distribué par le label créé par Global Communication
« Evolution/Universal Language ». Tous les titres de l’album sont
composés à partir d’uniquement 8 sons ayant pour origine une seule et
même source (bruits de poivrière, théière, tasses, cuillères, paquets de
chips...). Ces sources sont à chaque fois identifiables par... le titre du
morceau.
Wishmountain, c’est à la fois un manifeste mais aussi un nom de
scène, emprunté par Herbert lors de ses concerts et pour l’album. Fort
de son gout pour le théâtre, il en fait un véritable personnage et fait
vivre chacune des sources sonores comme une entité à part entière. Lors
de ses « lives », il sample sa source sonore avec ses samplers et dévoile
donc systématiquement et volontairement son processus de fabrication,
attendant vraisemblablement réactions et/ou réactions de la part du
public. En 1995, lors de sa première performance, il tient un public de
mille personnes avec... un unique paquet de chips.
32
On voit bien ici comment l’aspect spectaculaire (au sens de
« faire du spectacle ») est mise en valeur par sa scénographie. En effet,
la technique du sampling possède une composante essentielle : l’effet
« magique » qu’elle a sur un public inexpérimenté. En effet, en samplant
et en bouclant un paquet de chips, une casserole, une grosse ligne de
basse ou 13 couches de chœurs en contrepoint, on obtient deux
choses : un rythme illimité, une base sur laquelle improviser aisément
(les machines ne changent pas de tempo ou ne change pas de rythme
toute seules, tel un batteur un peu trop alcoolisé) et le simple fait que
quelqu’un continue de faire de la musique, mais on le voit pas. Grace à la
mise en abîme du dispositif de sampling, non seulement personne ne se
sent trahi, personne ne se demande si l’ingé son n’a pas mis une cassette
dans sa grosse boite pleine de boutons, et pourtant tout le monde jubile
d’entendre plusieurs musiciens alors qu’ils n’en voit qu’un.
Mais cet effet est limité. A court terme d’une part, car après
plusieurs morceaux ayant recours au même système, on finit par ne plus
se faire surprendre, et on risque même de s’en lasser. Car la technique
du sampling live requiert quelque chose de simple et pourtant
d’extrêmement contraignant : avant d’envoyer une boucle, on est obligé
de l’enregistrer. Et avant d’atteindre seul une composition complexe il
faut donc autant de temps qu’il y a aura de couches d’arrangements
pour un morceau.
De plus cet effet risque bien d’être atténué sur le long terme car
les musiciens utilisant des samplers (je les appellerais « self-samplers »
par la suite, pour des raisons évidentes de style inhérent au métier de
musicien/technicien qui vit dans son temps et qui se sent obligé
d’inventer des expressions, en anglais bien sûr) sont de plus en plus
nombreux. Je reviendrais sur leurs cas plus tard, mais on trouve
désormais ces petites machines (jam-man, RC20, RC50... nous y
reviendrons) aux pieds de n’importe quel chanteur ou guitariste
débutant, désireux d’en faire plus avec moins.
Et c’est ainsi que notre cher Matthew s’est lui-même lassé de son
propre concept, après avoir épuisé tous les chemins que lui offrait le
33
diktat de 8 sons par morceaux, provenant du même paquet chips ou du
même verre d’eau. En 1997, il décide de créer un nouveau personnage,
accompagné d’un nouveau concept, un peu moins précis et
contraignant : Radio Boy.
Le nouveau procédé compositionnel comprend plusieurs étapes :
ETAPE 1 : Les sons sont capturés selon le bon vouloir de Mr
Herbert.
ETAPE 2 : Ces sons sont assemblés et le résultat est enregistré sur
un magnétophone huit piste, créant ainsi la base du morceau.
ETAPE 3 : Triturage a tout va de cette base, puis ré-engistrement
sur le magnétophone. (à noter : aucun plug-in ou algorithme
informatique n’a été utilisé pour cette étape)
ETAPE 4 : Répétition de l’étape 3
ETAPE 5 : voir étape 4 ... ; etc
ETAPE FINALE : un morceau aux sonorités bizarres presque
abstraites qui n'ont plus grand chose à voir avec celles d'origine.
Si Wishmountain pouvait être dansant, c’est clairement moins le
cas avec Radio Boy, beaucoup plus expérimental.
Sur scène, habillé en boucher à cravate, il sample cette fois des
objets de consommation de masse (hamburgers McDo, canettes de
Coca-Cola, journal « Le Figaro »...) avant de les pulvériser et de les jeter à
la poubelle.
34
Le processus est ici intimement lié avec un désir d’expression
politique lié à l’engagement de l’artiste vis-vis de la société de
consommation qu’il critique avec ferveur sur le web portant le nom de
l’album né de ce nouveau manifeste : « The Mechanic of Destruction ».
En voici un extrait (c’est une traduction personnelle, le texte original est
en fin de mémoire) :
“ *..+ Quant à l'album, il est temps de faire le lien avec le
rôle politique joué par ma propre musique dans un système
que je critique. La musique est en grande partie politique, de
deux façons principales, d’une part parce qu’elle fonctionne
séparément de l’hégémonie, en offrant l’évasion ou
l’alternative, mais aussi en offrant une critique de la politique.
J’ai été amené à réaliser tout cela en réfléchissant à ma façon
d’exprimer mon propre mécontentement politique dans
l'harmonie et la métaphore lyrique (cela était seulement
présent dans la chanson « Hymnformation » du docteur Rockit
(NDLR : un autre pseudonyme de M.H.) où j'avais critiqué
explicitement les choses : l'expression froide « nous vendons
l'anthrax à nos ennemis ») : il était temps d’en présenter une
critique manifeste. Ce que je trouve le plus attrayant au sujet
de ce processus, c’est qu' il peut être réalisé sans paroles. Par
ailleurs, l'album a été également accompli sans utilisation de
plug-ins.
Puisque la musique est l'organisation du bruit, le choix
et la structuration de ce bruit devient une métaphore pour
représenter l'organisation d'une société. Si, comme à mes
débuts, vous samplez simplement les bruits de vos appareils de
cuisine, il est bien évident que vous n’aurez pas à vous
inquiéter outre mesure. Si vous samplez le bruit de quelqu'un
qui vous envoie les bombes à fragmentation sur la tête, le
choix fait partie du message. Par conséquent, alors que mon
35
imagination a été rattrapée par ma vision du monde, – aidé, et
pas d’une qu’un peu, par des auteurs tels que John Cage et
Jacques Attali -, la musique des « mécanismes de la
destruction » est devenue mon forum.
J'ai également éprouvé grand plaisir à consommer ces
produits “omnipotents” de façons complètement détournées.
Je n'ai pas bu le Coca-Cola, n'ai pas regardé la TV ou n'ai pas
mangé le Big Mac. Alors, d’une certaine façon, c'est une
chance de pouvoir recycler ces produits qui ont rempli toutes
les déchetteries du monde avec du plastique nonbiodégradable et des estomacs d’être humains avec bien
moins que de nourriture saine. C'est également un voyage de
déchets, transformant la merde en musique, le provisoire en
permanence, et l'identique en unique. Que vous aimiez
réellement cette musique ou pas, c’est totalement un autre
sujet…”
Ici, Matthew Herbert fais usage d’un thème précédemment
abordé, à savoir la composante mémorielle d’un son. En samplant un
son concret comme un paquet de chips, l’effet « magique » du sampling
et de sa mise en boucle est grandement due au fait que l’on reconnaisse
fort aisément le son d’un chips et qu’il est tout a fait extraordinaire
d’entendre un rythme sur lequel on se verrait remuer les fesses réalisé à
partir de cette source pourtant incroyablement anodine. En utilisant un
son ayant une caractéristique mémorielle à la symbolique plus avancée,
c’est-à-dire en choisissant un son par rapport à un propos, on développe
un effet plus intéressant que celui de l’éphémère magie : on donne tout
simplement du sens à une composition. Si dans « Wishmountain »
l’improvisation artistique était le choix de la source et la partition la
structure rythmique, dans « Mechanics of Destruction » la partition est
le CHOIX du ou des sons et l’improvisation – le réel travail artistique consiste en la déstructuration / destruction de ces sons, quitte à laisser
de côté les paramètres d’harmonie et de rythme pour le bien du propos.
36
Herbert est aujourd’hui l’un des musiciens les plus prolixes de la
scène électronique. Il fait de la musique on ne peut plus populaire, que
l’on pourrait presque qualifier de « facile » : avec les logiciels musicaux
d’aujourd’hui, une heure ou deux et un minimum de connaissance en
informatique permettent en moins de deux heures de faire un tube dans
ce style de musique. Mais il reste un artiste exigeant.
« J'aime le langage précis et pointu de la house, sa
clarté et cette répétition inéluctable des motifs. C'est comme
en peinture, avant de peindre, tu définis le thème, la taille du
tableau… Il y a quelques règles basiques qui te permettent
après d'exprimer toute ta créativité.”
37
III.
Pyv, samplé, pas simplet.
Avant de rencontrer Pierre-Yves, il avait déjà un répertoire de
chansons et créations musicales très dense. Il manquait alors
cruellement d’acidité dans ses structures musicales. Et je suis gentil, car
pour ainsi dire, il n’en avait pas. Peut-être victime du looping, ses
structures se résumaient généralement un schéma en escalier, allant
d’un riff de guitare bien senti à un magma sonore dense et compact de
multiples guitares, chœurs, beat box, voix hurlées, etc.
Notre travail ensemble pour la maquette ou pour le live nous a
permis de poser la question de la structuration, ceci d’autant depuis
l’arrivée de Mary* en tant que bassiste.
En effet, lors de nos premières rencontres de travail, je ne savais
pas trop ce que j’allais enregistrer. Il me donnait en fait une ou deux
mesures de guitares, une ou deux mesures de chœurs, une ligne de beat
box, et un chant principal. Très motivé et disposant de quelques nuits
blanches, je me suis attelé seul en premier lieu à la structuration de tout
ça, avec un résultat d’une inégale efficacité.
Nous avons là le cas typique d’un musicien utilisant le looping en
tant que béquille à ses propres lacunes techniques. Mais malgré ce
constat, c’est pourtant dans tous les artistes celui qui me semble être le
plus proche de ma conception
38
Mais avant d’aller plus loin, voici les quelques réponses qu’il a
bien voulu donner à mes questions :
Quel est ton processus habituel de création, de construction et
d'harmonisation musicale ? Et, au sein de ce processus, que
t’apporte la technique du sampling ? De même, est-il possible
qu'elle te freine ou te limite d'une façon ou d'une autre ?
« La musique apparait sous la forme d’une masse
informe dans une partie de mon cerveau que je ne contrôle
pas. Là commence selon moi le processus créatif. Cette masse
bruyante se concrétise un peu plus jusqu'a en devenir
obsédante elle demande à sortir car elle prend trop de place,
et là commence le travail de composition.
C'est à dire que tout ça est très instinctif. Etant
autodidacte, je me fie au seuls outils que je connaisse et pense
maîtriser. Ce sont des outils de bricoleur et d'inventeur, bien
plus que de musiciens au sens classique du terme.
Le sampling est donc très approprié, puisqu'il permet de
reproduire une forme obsessionnelle - que j'appellerai phrase
musicale - à l'infini, et d’y venir greffer des décorations sonores
de façon à la faire lentement muter. Cela est très pratique
quand on est seul et que l’on n’a pas de schéma musical en
tête, mais juste une mélodie spontanée.
Le sampling a toutefois ses limites mais elles ne sont pas
inhérentes à sa fonction, elles sont fonction de son utilisateur.
Moi, par exemple, j'ai eu tendance à m'appuyer énormément
sur les samples en croyant pallier mes lacunes techniques,
après quoi je reviens à un apprentissage un peu plus classique
de mes instruments (voix et guitare) et moins improvisé. En
tout cas j'y aspire.
39
Le fait de me plonger dans le monde du sampling où les
possibilités sont si diverses et illimitées que je prend
conscience des miennes et me sens tout petit. »
Lorsque tu est en phase d'enregistrement, en quoi la technique
du sampling (on appelle ca le "RE-RE", pour re-recording, pour
le studio) t’es-t-elle utile, et qu'apporte-t-elle au rendu final de
ta musique ? Et encore une fois, d'une façon ou d'une autre,
cela te limite-t-il ?
« "En phase d'enregistrement" pour moi c'est un grand
mot. En effet c'est une phase que je ne me suis pas du tout
approprié. Je ne m’enregistre que lorsque je ne peux pas faire
autrement, et je le fais mal. Pour moi l'idéal serait
d'enregistrer en une seule prise des morceaux samplés en live.
Cependant je conçois que le "RE-RE" facilite et rend
extrêmement plus riche le travail de montage et de mixage.
On construit la musique comme des Légos, ça devient " très
matheu" comme boulot et ca limite le risque d'accidents total
qui est la seule façon - à ma connaissance – "d’inventer" de la
musique, de repousser les limites. »
Lorsque tu est sur scène, tu utilises aussi le sampling. Qu'est-ce
que cela permet ? De quelle manière selon toi le public réagit à
ce procédé ? Et dans quelle mesure cette technique est-elle
"vivante", dans le sens ou elle fournirait un élément
élémentaire du spectacle ?
« Sur scène le sampling apporte un côté prestidigitateur.
On surprend l'oreille mais surtout l'œil et la curiosité du
spectateur devenant un peu moins passif en comprenant "les
ficelles" du son.
40
On développe donc une certaine interactivité. A
condition que les sampleurs soient spectaculaires ( RC 50, RC
20, autres pédales...).
Je pense aussi que le sampling reflète l'aspect individuel
que l'art en général adopte (peut-être en raison du contexte
économique) : il permet d'être plusieurs en étant seul et de
contrôler entièrement ses propres clones sonores. On a donc,
pour peu que le musicien soit talentueux, un orchestre pour le
coût et le dérangement d'un individu, avec tout que cela
implique. »
D'une façon générale, la technique du sampling est-elle une
partie essentielle de votre musique ? Et si oui, en quoi ?
« Elle l'est, mais comme je l’ai dit précédemment, plus
par défaut que par ambition. Si je pouvais l'alléger - c'est
d'ailleurs la recherche du moment - je reviendrais à une
construction avec moins de boucles.
Je trouve que le sampling m'emmène dans des
directions obsessionnelles *…+ et introspectives. J'y vois encore
là une réalité sociale ou humaine. Mais la musique pour moi
41
est aussi belle quand elle est dynamique, joyeuse et légère que
quand elle est grise, violente et triste. »
Tu touches là deux échelles : la première est personnelle
(obsession et introspection) et l'autre universelle.
En quoi vois-tu dans la technique musicale du sampling, c'est-àdire la mise en répétition d'un fragment sonore provenant du
réel - personnel ou universel, une "réalité sociale ou humaine"
?
« Boucles, battements de cœur, respiration, vie, cycle,
répétitions des mêmes erreurs, minute, jour, nuit, heure, mois,
années, saisons après saisons…
Chaque chose naturelle ou artificielle peut être réduite a
sa forme de base : naissance, existence, mort. C'est ce que
j'appellerais mes réalités humaines ; en fait ce sont les thèmes
très difficiles a aborder car ils touchent un point très sensible
de l'humain : son impuissance a changer le déroulement de
l'existence.
Lorsque je me plonge dans le coté hypnotique de mes
boucles ou de celles des autres, j'ai la sensation d'apprivoiser
certaines angoisses et de vivre l'intérieur de mon être : c'est ce
que j'appelle l'introspection.
Pour ce qui est de la réalité sociale c'est plus compliqué
car on ne touche réellement que sa propre époque et la réalité
sociale ne vaut que dans le contexte historique. »
…
42
Je me suis permis et ai choisis la facilité d’interroger un musicien
que je côtoie et de l’intégrer à mon mémoire car je connais très bien sa
musique : j’en fais désormais partie.
Il touche du doigt dans cette dernière réponse le nerf de ma
réflexion sur le sampling, mais c’est grâce à sa musique que j’ai pu en
premier lieu développer ma façon à moi d’en faire.
Ayant au départ une position de technicien, je me suis vite rendu
compte des possibilités que cette technique pouvait m’apporter. Je me
suis rendu compte que je pouvais la contrôler, la moduler, dans le temps
et dans ses couleurs et textures, et j’ai commencé à investir dans un peu
de matériel. Lui m’a toujours poussé à aller plus loin, à expérimenter un
peu plus, sa musique étant souvent propice à l’improvisation, à la
contemplation, et aussi à de vastes égarrements…
Après avoir expérimenté bien des choses, bien des
configurations, nous avons finit par en définir clairement certaines. Voici
ce qu’il en est de mon rôle dans notre musique :
43
••• – L’Omni Sampling – •••
44
Le moyen qui a été pour moi le plus évident de
répondre à ma problématique était de la confronter à ma
propre expérience en matière de sampling.
Encore une fois, tout ceci ne peut pas être pris comme
référence, mais comme le meilleur exemple que j’ai trouvé
pour illustrer mon propos, intimement lié à ce que je fais et ce
j’aime le plus faire : de la musique.
45
46
I.
La config de Pyv et TuméTone
Ce petit schéma représente notre installation pour nos sets live. Il
permet d’exploiter au maximum les techniques de sampling et de gérer
entièrement la structure des boucles au sein de nos compositions musicales,
avec une grande souplesse d’usage, permettant d’avoir à la fois des
architecture musicales complexes mais aussi et surtout de laisser une grande
part à l’improvisation, discipline qui nous est très chère.
Nous utilisons deux systêmes de sampling/looping : le premier est le
pédalier RC50 géré par Pyv. Avec ce dernier, il calibre le tempo soit en le
tapant sur une pédale dédiée soit en enregistrant une première boucle sur
patch neuf. Avec cette pédale, il est à-même de gérer trois « banques » de
samples, tout comme les trois pédaliers de Khalid K. Chacune de ces banques
posséde sa propre sortie physique pour aller vers la console d’accueil et peut
donc être traitée séparement par l’ingénieur du son.
Grâce au boitier « AB Box », il peut choisir de n’enregistrer que la
guitare, son micro, ou les deux, permettant d’enregistrer une ligne de guitare
sans avoir de « repisse » du micro, ou bien de jouer de la guitare en chantant
s’il le souhaite.
Mon système est un peu plus complexe. Il se compose d’un ordinateur
portable équipé du logiciel « Ableton Live » que nous détaillerons
ultérieurement, ainsi que de plug-ins spécifiques. L’ordinateur est relié à une
carte son (ProjectMix I/O sur le schéma). Cette dernière permet de
transformer les signaux analogiques qui provenant de ma guitare (via un
pedalier d’effet, le Rocktron) ou du second microphone de Pyv en données
numériques, et donc d’être traités par mon logiciel. Ce dernier renvoie les
informations sonores à la carte son vers des sorties physiques, et donc vers la
console d’acceuil (via une paire de jacks stéréos pour l’instant).
47
Un détail important : le RC50 de Pyv est relié en MIDI à ma carte son.
Ce câble permet de faire circuler une synchronisation du tempo, essentielle au
calage de toutes nos boucles ! Nous verrons son application dans le chapitre
suivant.
Sur la carte son est aussi relié le processeur d’effet tactile Kaoss Pad 3
en « insert » (il fait looper lui aussi par ailleurs). Ainsi, depuis mon logiciel, je
peux envoyer un signal sonore vers cette machine et le récupérer après
traitement.
48
Voilà pour ce qui est des connections analogiques. Je dispose aussi
d’un clavier midi relié en USB au portable, qui dispose de 16 boutons rotatifs
(ou « potards ») contrôlant des effets dans Ableton Live. J’utilise très peu le
clavier en lui-même, sinon pour un effet particulier : en effet, après avoir par
exemple enregistré une portion de voix de Pyv via le micro 2, je peux en une
petite manipulation glisser cet échantillon dans un instrument du logiciel qui
va assigner à chacune des touches du clavier cet extrait « pitché » en fonction
de la note jouée. En clair, si la note enregistré était un DO et que j’appuie sur
une touche correspondant au RE, le sample de base sera augmenté d’un ton,
et ce, en temps réel. Ainsi, il m’est possible sur un morceau de jouer une
mélodie ayant pour texture la voix du chanteur, et même de faire des accords
à partir d’un simple sample de quelques secondes.
La ProjectMix I/O dispose d’une surface de contrôle avec des faders
motorisés. Concrètement, elle me permet de gérer les niveaux des différents
samples enregistrés et d’en faire un mixage avant l’envoi en console d’accueil.
Les autres touches me permettent principalement de déclencher
l’enregistrement des samples sur le logiciel ainsi que leur relecture.
Le pédalier MIDI FC300 (en projet d’achat), lui aussi relié en USB au
laptop, permettra de remplacer la surface de contrôle lorsque je doit
enregistrer des samples provenant du micro ou de ma guitare et que j’ai les
mains occupées par un instrument (guitare, derbouka, shaker, etc.). Possédant
deux pédales de volumes, je peux aussi contrôler n’importe quel paramètre
49
d’effet du logiciel, comme un envoi dans un delay, une saturation, ou
simplement un volume. Grâce à une ergonomie bien conçue
Voici donc l’aperçu de notre petite installation. Passons maintenant à
rapide tour des possibilités offertes par le logiciel Ableton Live et surtout
l’utilisation que l’on en fait ….
II.
Boucler dans Ableton Live
Nous sommes à la version 8 de ce logiciel audio. J’ai commencé à
l’utiliser dès sa version 5, qui disposait déjà des fonctions principales que l’on
retrouve aujourd’hui et surtout de son ergonomie particulière.
En effet, Live a une architecture très orientée… live. Il possède un
séquenceur traditionnel comme Pro Tools ou Cubase :
On a donc plusieurs pistes sur lesquelles on peut importer ou enregistrer
de l’audio, puis y glisser des plug-ins permettant de corriger ou de déformer en
temps réel le son, et des pistes MIDI sur lesquelles on peut enregistrer les
notes et contrôles des instruments MIDIS et y glisser des instruments virtuels.
Rien de bien original pour un DAW (Digital Audio Interface).
50
Ce qui fait sa particularité réside dans sa fenêtre appellée
« Session ».
Elle ressemble à une table de mixage, à la différence prêt que l’on peut
glisser (ou enregistrer bien sûr) des boucles de n’importe quelle durée.
Un aspect primordial pour faire de la musique en live avec ce logiciel
est le tempo attribué à une session. En effet, il sera possible d’enregistrer des
boucles dont les points d’entrée et de sortie seront très précisément calés avec
le tempo du logiciel.
Nous réglons le tempo du logiciel comme « esclave » du tempo du
RC50. Ainsi, Pierre-Yves définit le tempo du morceau « à la volée » en faisant
sa première boucle ou simplement en tapant du pied sur le pédalier. Grâce au
câblage MIDI, le logiciel se synchronise simplement avec le RC50 et le tour est
joué. L’avantage ?
Pour enregistrer une boucle dans Live, c’est très simple. Sur n’importe
quelle piste, on trouve une rangée de petites cases, correspondant aux
emplacements de nos boucles. En appuyant sur l’une d’elle, cela déclenche
l’enregistrement de la boucle. En appuyant de nouveau sur cette case, on
marque le point de sortie de la boucle et l’échantillon est rejoué indéfiniment.
Il faut bien entendu définir au préalable sur la piste quelle entrée nous voulons
enregistrer depuis la carte son (le micro, la guitare…).
51
Le gros avantage est que l’on peut définir une « quantification » pour
le démarrage et la fin d’enregistrement boucle. Plus clairement, si j’appuie sur
la touche de ma surface de contrôle censée déclencher l’enregistrement d’une
boucle quelques secondes avant le premier temps de la mesure, la piste va
s’armer et ne commencera son enregistrement qu’à partir du premier temps
de la mesure ! Il en est de même pour terminer la boucle. Cela nous donnera
donc une boucle très précisément synchrone avec le reste des boucles que l’on
fera ou qui sont déjà là.
Grâce à tout ce bazar, il m’est possible de m’enregistrer à la guitare,
d’y appliquer des effets de tous types, puis d’enregistrer des lignes de voix du
chanteur et d’en faire de même.
III.
Performance(s)
J’ai tâché d’être le plus bref et le plus clair possible quant à mon
utilisation de ce logiciel. Ce que j’aspire à terme avec ce systême est de
pouvoir prélever le matériau sonore sur scène, qu’il vienne de moi ou d’un
musicien, et de le transformer en temps réel.
Comme nous l’avons abordés, les instruments MIDI ont rendus la
« vie » aux machines comme les samplers et les synthétiseurs, car ils rendent
visuel et manuel le traitement infligé au son, que ce soit sur un clavier ou tout
autre dispositif de contrôle.
52
De même, en assignant tous les paramètres du logiciel à mes
instruments, je parviens à ne plus toucher à la souris et au clavier de
l’ordinateur et retrouve tout simplement le geste. Et je souhaite bien continuer
à aller dans ce sens.
Je cherche à travers l’utilisation de tout cet attirail à obtenir une réelle
interactivité entre moi, les instruments, le ou les musiciens sur scène et aussi
et surtout le public.
Afin de ne pas duper ce dernier, ce qui est devenu tout à fait facile
avec la généralisation des ordinateurs sur scène, il me semble essentiel de
n’utiliser pour matériel sonore de base que du son produit pendant le concert,
c’est-à-dire au travers d’un microphone.
Cette contrainte permet de crédibiliser réellement un spectacle, d’une
part parce que l’on dévoile le dispositif, et d’une autre parce qu’à mon sens il
n’y a pas plus vrai qu’un son émis acoustiquement. Le traitement qu’il subira
par la suite sera quant à lui tout à fait artificiel, mais le fait d’avoir
constamment la création physique du son originel garantie en quelques sortes
« l’éthique » du procédé compositionnel.
Le fait alors de boucler et de transformer un son produit sur scène
permet d’avoir deux types de performances : celle réalisée au moment où le
son est produit (riff de guitare, ligne de voix, rythme de percussion, bruit
quelconque) et celle de la transformation de ce dernier.
En effet, une fois que le son est répété la première des performance,
appartient au passé ; même si elle reste dans la mémoire émotive du
spectateur. Cela privilégie donc la seconde, c’est-à-dire les manipulations qui
sont faites sur le son de base. Le spectacle, la musique vivante, et donc bien la
performance est désormais dans les mains de celui qui triture, qui étire, qui
déforme, qui modifie.
Et les possibilités de traitement en informatique sont nombreuses,
voire infinies. Il est même désormais possible de changer à la volée de type de
traitement, comme si l’on changeait d’instrument, et donc d’improviser
totalement. Voyons rapidement quels types de traitement il possible de
réaliser (je me suis concentré sur ceux que j’utilise réellement) :
a. Le piano humain
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J’ai utilisé cet effet en exemple précédemment. Voici comment cela se
passe :
Je commence par enregistrer un échantillon sonore dans la fenêtre session
de Live. Une note de voix, de guitare, un paquet de chips, le public hurlant en
fin de morceau…
Ensuite, sur une piste MIDI (connectée à mon clavier MIDI). Je glisse (très
rapidement en live) l’échantillon dans l’instrument virtuel nommé « Sampler ».
Je peux maintenant jouer ce sample sur mon clavier. En fonction de la note
jouée, le logiciel va transformer la note du sample (le pitcher) pour qu’elle lui
corresponde.
En fonction du sample enregistré et du jeu désiré, il est possible de jouer
en boucle une partie du sample si je reste appuyé sur la touche – sustain
(obtenant ainsi une note continue). C’est en de même pour le release (durée
d’atténuation du son, une fois la touche relachée).
Il est donc possible de créer à partir de n’importe quel son prélevé sur
scène d’obtenir un instrument polyphonique à part entière, avec la possibilité
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de jouer sur son enveloppe « ADSR « (Attack Sustain Decay Release), et donc
de lui donner un style et une couleur particulière.
b. L’overlooping
Cette technique, très simple, consiste à modifier la durée de la boucle
enregistrée et donc sa rythmique externe. En la réduisant au minimum, on
obtient une note continue (voir chapitre II), pouvant donc être utilisée par
exemple en piano humain.
En assignant le contrôle de durée de boucle à une pédale MIDI ou une
molette, il est donc possible de modifier cette rythmique externe de façon
entièrement dynamique et visuelle.
c. Quelques autres effets en bref,
Afin de ne pas faire une liste complète et absolument inutile des effets
numériques, voici ceux que j’utilise le plus en live :
La saturation, donc l’intensité est contrôlée par une pédale MIDI.
Les delays, dont la durée est calibrée sur le tempo du logiciel (avec en
général une rythmique ternaire). Chaque piste peut être envoyée dans le
delay en Send via un des potentiomètres du clavier MIDI.
La réverbération, dont certains paramètres comme la durée sont contrôlés
par un potentiomètre du clavier MIDI. De même, chaque piste possède son
propre send avec lesquels je joue. (A noter, la fonction « freeze » de la
reverb native de Live permet d’avoir une durée illimitée de réverbération,
créant une nappe sonore ayant pour texture le son qui lui est envoyé au
moment où là fonction en enclenchée.)
La simulation d’amplification guitare, pour donner un son particulier aux
guitares électriques, différents sur chaque morceau.
Et bien sûr l’égalisation. Mais en Live, je ne modifie ce paramètre qu’en
utilisant les fonctions de filtres des égaliseurs.
ETC…
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La plupart de ces effets sont préparés pour chaque morceaux, assignés
aux pistes correspondantes et aux contrôleurs MIDI. Je crée une session
d’Ableton Live par morceau, ayant ainsi prédéfini ces paramètres, ainsi que des
réglages de compression, d’égalisation et de spatialisation stéréo sur chaque
pistes, afin de renvoyer à l’ingénieur du son un pré-mixage correct de
l’ensemble des samples et de leurs modifications.
Comme nous l’avons évoqué, la présence d’instruments MIDI permet
de rendre cette étape pleinement interactive entre un geste et l’effet désiré.
Et il en est de même pour la structuration même des samples entre
eux. Dans ma configuration, chaque sample possède sa propre piste, et donc
son propre traitement. Grâce à la surface de contrôle, je peux « muter »
(rendre muets) certaines pistes, et aussi les mixer les unes entres les autres,
jouant sur leur dynamique.
Certains de nos morceaux sont uniquement composés de samples
(comme le fameux Voies Sans Issues, où tous les samples proviennent de la
voix de Pyv). Je devient alors une sorte de chef d’orchestre qui doit gérer
entièrement la structure du morceau.
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57
Si j’influe en live sur la structure du morceau, sur sa
rythmique, sur sa couleur sonore, et si je fais tout cela avec
du geste, souvent improvisé, ne suis-je pas un musicien ?
Pourtant, je ne produit absolument aucun son, je ne suis
qu’un intermédiaire entre le présent et son devenir.
Khalid K se sert du sampling pour peindre des décors
sonores et musicaux, donc pour créer de la sensation à
travers ses tableaux.
Matthew Herbert se sert du sampling pour faire une
musique dansante, essentiellement rythmique. Mais c’est à
travers le choix des sons qu’il enregistre qu’il exprime ses
idées.
Pyv s’est avant tout servi du sampling pour palier ses
lacunes techniques. Mais il voit à travers la répétition de luimême une manifestation de ses propres névroses ou de celles
de la société.
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On ne cesse de nous dire « tout a été fait », que tous
les chemins ont été explorés, comme si tout avait été dit.
Nous arrivons a un tournant de l’Histoire occidentale où le
chemin que semble nous dessiner la société de
consommation est fortement remise en question, et ce par de
nombreuses couches sociales. Il y a encore peu de temps, on
croyait pourtant très fort au développement économique et
industriel, car il apportait l’image du confort physique et
moral, de l’égalité sociale, de l’avancement technologique,
donc d’un monde meilleur et plus doux pour chacun d’entre
nous. Mais les crises écologiques et économiques de ces
dernières années ont réveillé et légitimé le doute en ces
images de développement à outrance.
Il y a 10 ou 20 ans, nous nous imaginions en 2008 avec
des voitures volantes et des stations balnéaires sur Mars,
mais la seule révolution technologique a été Internet, un outil
qui permet la communication libre, illimitée et en temps réel
entre toutes les régions du monde. Comme si, plutôt que
d’avoir trouvé de quoi nous envoler, nous avons trouvé un
moyen de nous rapprocher les uns des autres.
Ce que fait l’omni-sampler, c’est bien cela : il ne crée
rien en soi, et il tourne en rond, il n’est qu’un intermédiaire,
un câble sophistiqué entre un son acoustique et les oreilles
d’un spectateur. Mais l’omni-sampling est un langage qui
parle.
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Je prélève du présent et m’en fabrique un instrument.
Je prélève du présent, et en fait un autre présent. Et c’est de
la façon dont je transforme que je fais de la musique et donc
ait la possibilité de m’exprimer.
60
- Annexe -
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Petit historique non exhaustif des samplers qui ont marqués
l’histoire du sampling :
Lecteur / Enregistreur de bande magnétique audio Ampex 602
(utilisé dans les années 30 et 40)
62
Le Melletron lance la lecture d’une bande magnétique sous la pression d’une
touche du clavier
(début années 60). Beaucoup de musiciens affectionne cet instrument pour
son grain et ses sonorités « vintage » inégalables. Les meilleurs
échantillonneurs numériques d’aujourd’hui parviennent à peine à recréer son
son !
63
La Technics SL-1100, utilisée par Kool Herc dans les années 70
C’est sur cette dernière qu’il inventa le DJ’ing !
Le Fairlight CMI, premier sampler numérique (1979), réputé pour son prix
exorbitant.
Des sons à 16khz par 8bits, chacun pesant au maximum 4 kilo octets !
Vive les 80’s !
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Par la suite, de nombreuses firmes ont proposé des échantillonneurs
à meilleur marché, proposant des samples avec une meilleure bande
passante et une meilleure quantification : Akai, E-mu, Ensois, Kora, Kurzweil,
Roland ou encore Yamaha.
La plus célèbre et la plus utilisée – notamment en hip-hop – est bien
sûr la MPC de Akai :
MPC 60 (1987)
MPC 5000 (2008)
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Pour des facilités d’ergonomie et pour un potentiel sans limite,
et grâce à la croissance exponentielle de la puissance informatique
(vitesse de calcul, espaces de stockage), les samplers sont passés depuis
le début des années 2000 sur des systèmes virtuels fonctionnant sur
ordinateur.
A ce propos, il est à noter qu’avec les
ordinateurs embarqués dans ces soisdistantes machine s « hardware » sont
aussi compris... les bugs ! Ainsi l’OS de la
toute dernière MPC a-t-elle fait bien des
surprises aux tristes premiers possesseurs
de
la
nouvelle
bête,
attendant
impatiemment une mise à jour digne de ce
nom... A ce prix là (env. 2000 euros), c’est
un peu choquant non ?
Attention ! Il ne faut pas confondre sampler et synthétiseur. Un
sampler utilise des sons préenregistrés tandis qu’un synthétiseur génère
des formes d’ondes plus ou moins complexes pour créer un son musical
(ou un bruit). Nous ne nous intéresserons évidement ici qu’aux
samplers, même si la nombre d’entre eux proposent aussi des
fonctionnalités de synthétiseurs…
On a donc :
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Kontakt 3 de Native Instruments
Un concept simple : on y incorpore un son – n’importe lequel –. Le logiciel
pourra alors, lorsque l’on pianotera sur notre clavier midi, jouer ce son soit en
modifiant sa hauteur et son tempo, soit en modifiant sa hauteur en gardant le tempo
d’origine, soit modifier son tempo en gardant la hauteur d’origine. Le logiciel possède
aussi de puissante fonctions d’effets, d’enveloppe ADSR, et une grosse banque de sons
(issus d’enregistrements professionnels ou de synthétiseurs).
Dans le même concept, on retrouve aussi :
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HALion, de Steinberg
GURU, de FXpansion
Reason, de Propellerhead's
LinuxSampler
(freeware)
MachFive, de MOTU
Slicex, de FLstudio
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http://www.lemonsound.com/interviews/1145/Entretien-avec-MatthewHerbert.html
Texte original du site de Matthew Herbert :
« As for the album, it had become time to make that link with the
political role played by my own music in a system I criticise. Music is
largely political in two principal ways, either operating separately
from the hegemony by offering either an escape or an alternative, or
by offering a critique of it. I have come to realize that whilst alluding
to my own political discontent in harmony and lyrical metaphor (it
was only in the song 'Hymnformation' by Doctor Rockit that I had
been explicitly critical of things: chillingly the phrase "we're selling
anthrax to our enemies") the time had come to present an overt
critique of it. What I find most appealing about this process, is that it
can be done without lyrics. Incidentally, the album was also
completed without the use of computer plug-ins.
Since music is the organisation of noise, the selection and
structuring of that noise becomes a metaphor for the organisation of
a society. If, as I started out, you are merely sampling the noises
from your kitchen appliances it is quite clear that you have nothing
better to worry about. If you are sampling the noise of someone
dropping cluster bombs on you, the selection is part of the message.
Therefore as my imagination has caught up with my worldview,
helped in no small way by writers such as John Cage and Jaques
Attali, the music on 'The Mechanics of Destruction' has become my
forum.
I also derived great pleasure from consuming these omnipotent
products in ways that they weren't designed for. I didn't drink the
Coke, watch the TV or eat the Big Mac. In part then, it's a chance to
reclaim these products that have filled the world's landfill sites with
non-biodegradable plastics and people's stomachs with less than
healthy food. It's also a journey of rubbish, turning shit into music,
the temporary into permanence, and the identical into the unique.
Whether you actually like the music or not, is an entirely other
matter... »
70
l’Annexe des Mots Etranges Voire Inconnus
Sampling : Terme générique désignant la discipline de sampler.
Sampler : Échantillonner. Prélever. Extraire. Dans ce mémoire,
concrètement, cela consiste à enregistrer un bout de son.
Sampler : Généralement, machine permettant d’enregistrer une
portion de son et de la reproduire. Mais si les samplers ne faisait que
ça, ce serait ennuyeux. Certains permettent de jouer en boucle le
son enregistré, certains sont physiques (des petites boites en métal
avec de l’électronique à l’intérieur), d’autres virtuels (sur
ordinateur), certains même ne permettent pas l’enregistrement
mais seulement la lecture de samples.
Self-sampling : Je l’ai inventé, et j’en suis très fier. Un chapitre est
dédié à cette expressions, voire plus haut, merci. Aussi appelé Autosampling.
Loop : Boucle, en anglais.
Looping : Figure tout à fait charmante d’un avion effectuant une
boucle. Ou alors, discipline musicale consistant à looper. Pour de
plus amples précisions, se référer au mot “Loop” de cet annexe, et
tâcher de faire le lien.
Plug-in : Algorithme informatique de traitement sonore. C’est
l’équivalent virtuel d’un rack d’effet ou de correctif, comme un
égaliseur, une réverbération, une compression... etc permettant de
corriger le son, de le façonner, ou bien même de le modifier voooire
de le détruire.
Matthew ne les aime pas trop trop, il préfère les vrais boutons.
Dj’ing : Discipline d’être un DJ. Autrement dit gagner facilement sa
vie en enchainant les horreurs qui passent à la radio toute la
journée.
Ou alors, révolutionner la musique avec le hip-hop ou même
inventer un véritable instrument de musique à partir d’une simple
machine... C’est selon.
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MIDI : Heure du déjeuner. Ou alors, Musical Instrument Digital
Interface. En informatique musicale, c’est un protocole de
communication et de commande permettant l’échange de données
entre instruments de musique électronique, un ou plusieurs de ces
« instruments » pouvant être des ordinateurs. Assez de citation
Wikipédia, pour en savoir plus :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Musical_Instrument_Digital_Interface
72

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