Mémoire de fin d`études sur le Sampling musical
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Mémoire de fin d`études sur le Sampling musical
• Mémoire de fin d’études sur le Sampling musical • Cédric VANDERSTRAETEN – 3IS – Section son 2 3 L’écriture de ce mémoire est tout à fait personnelle et n’a aucunement la vocation de faire œuvre de référence, ou d’être absolument exhaustive en termes de concepts ou de technicité. Toute cette expérience a débuté avec la rencontre de Pierre-Yves Allais, un musicien travaillant avec une pédale de sampling (ou de looping) qu’il utilisait à la fois pour créer sa musique, l’enregistrer, et la reproduire sur scène. Je cherchais des projets sonores musicaux variés, créatifs, à la fois modernes et traditionnels, à la fois technoïdes et profondément humains. Il m’a alors fait écouter sur un petit poste radio CD sa maquette, réalisée par ses soins à l’aide d’un petit enregistreur multipiste de piètre qualité et d’un RC20, petite machine à faire des boucles sur laquelle nous reviendrons. J’ai été d’emblée séduit par le côté charnu de son jeu de guitare, par sa voix profonde et criarde à la fois, et par des compositions aux couches innombrables – chœurs, beat box, lead, et autres sons étranges formant un magma dense et tout à fait … anachronique. J’avais alors investi dans un petite carte son et l’on m’avait prêté un microphone de bonne qualité. Je lui proposais de l’aider à lui faire une jolie maquette… ce que nous avons fait, et terminé bien des mois plus tard. Entre-temps, nous nous sommes attelés à faire des concerts. Mais le problème était vaste… comment retranscrire des morceaux bourrés d’arrangements divers, de boucles et d’effets en live ? Tel a été mon problème, et le logiciel Ableton Live l’a résolu. J’ai donc remplacé son traditionnel petit looper RC20 par tout mon attirail informatique… et me suis mis à faire bien plus que des boucles. J’ai écrit ce mémoire parce qu’en me mettant à faire des boucles avec un musicien j’en suis devenu un. Il m’a fallu du temps pour m’en rendre compte, et Pierre-Yves m’y a beaucoup aidé. 4 Si je doit absolument trouver une problématique, pour répondre aux exigences inhérentes à l’écriture d’un mémoire, ainsi que pour éviter tout étiquetage péjoratif de ma personne par mes pointilleux lecteurs, je ne puis me contenter de raconter ma petite expérience en la comparant à celle des autres. Telle serait alors la question : Cherches-t-on en bouclant des sons à l’aide de machines à faciliter le processus de composition musicale ou bien à exprimer une idée ou un sentiment, une sensation, par le fait même de boucler ? ... n’hésitez pas à aller faire un tour dans l’Annexe des Mots Etranges Voire Inconnus en fin de mémoire, pour tous ces termes techniques, scientifiques, en franglais, fragnol ou yaourt inventé que vous ne saisissez pas. Attention, le style particulier de ce mémoire peut avoir parfois des airs d’impertinence lexicale, veuillez par avance excuser l’auteur qui, fort de quelques nuits blanches, a pu égarer son style conventionnel et bien-pensant au détour d’un paragraphe ... 5 6 7 • – Prémices du Sampling – • 8 I. Qu'est-ce qu'un « sample » Le sample est un terme anglais, qui signifie tout simplement « échantillon ». En son, c'est un extrait sonore enregistré sur n'importe quel support (bande, vinyle, support numérique...). Cet échantillon peut avoir ensuite deux applications : a. le sampler La première, que nous détaillerons volontairement un peu moins dans ce mémoire, consiste à le placer dans un « sampler », une machine qui lira le sample à un moment déterminé. Cette machine (ou instrument virtuel dans le domaine informatique) est connectée à un instrument physique MIDI, constitué de touches ou de boutons. Lorsque qu’une touche est actionnée, l’instrument MIDI envoie une donnée de note au sampler, et ce dernier jouera notre échantillon correspondant. L’intérêt est grand, puisqu’il est tout à fait possible d’insérer de multiples samples, une gamme complète de prise de sons d’un piano, par exemple, et d’assigner chacune des notes à une touche d’un instrument MIDI. Ainsi, il sera possible de pianoter sur un pauvre clavier MIDI en plastique à moindre coût et d’entendre un Steinway haut de gamme, enregistré dans un des plus bels opéra du monde, tant qu’à faire. Ce système est relativement ancien (voir en annexe l’historique non exhaustif des samplers), mais il ne cesse de progresser. Ainsi, de nouveaux contrôleurs MIDI apparaissent toujours plus nombreux et toujours plus originaux chaque années. On peut donc influer sur les variables d’une programmation complexe à travers des éléments physiques (et visuels, pour le spectacle), permettant ainsi de rendre la « vie » à tous ces sons : on capte alors le jeu du musicien, chose très compliquée à reproduire au travers d’une programmation. Des constructeurs du monde entiers proposent des instruments midi de tous styles, pour toutes utilisations. Du piano MIDI (équivalent d’un synthétiseur, sauf que seul, cet objet ne sort aucun son), à la 9 surface de contrôle avec des faders motorisés, plein de boutons, en passant par des pédaliers - adaptés aux musiciens ayant les mains prises par leur instrument… on trouve aujourd’hui des cubes lumineux, des cadres à lasers, des tables tactiles, et tout un tas de système de reconnaissance du geste que l’on retrouvera partout dans un futur proche. Certains construisent eux-mêmes leurs instruments midi, car l’architecture électronique de base est très simple. b. le looper Mais ce qui nous intéresse plus particulièrement dans ce mémoire, ce ne sont pas les samplers, mais plutôt les loopers (très souvent appelés eux aussi samplers, générant parfois une confusion totale sur scène…). Les loopers ont le même principe que les samplers, à ceci près qu’ils bouclent le son enregistré. D’une façon générale, il suffit d’appuyer sur un bouton pour lancer l’enregistrement, et faire de même pour l’arrêter. Aussitôt après, le looper répète ce son indéfiniment, et permet même de rajouter d’autres couches, d’en retirer, etc. Avec ce système, le terme de sample – que l’on utilisera comme tel par la suite – définit non pas seulement un échantillon sonore, mais aussi sa propriété de rythme. Rythme interne (un rythme contenu dans l’échantillon) d’une part, et rythme externe (rythme généré par la répétition de cet échantillon). II. Le sample dans le temps Avec un looper, la durée de la boucle est théoriquement libre, du micro au macro. De la simple note à une mélodie complexe toute entière. Pour obtenir une boucle musicale naturelle, il faut que la fin de l'échantillon concorde avec le début de ce même échantillon. Ainsi, il est possible de répéter indéfiniment cet extrait sans percevoir aucune cassure rythmique ou mélodique. 10 Mais le fait de boucler un échantillon qui en soit n’a pas de rythme interne, par exemple une note continue de voix, provoque un rythme externe. Ce processus est unique et particulier à la technique du looping, et très utilisé. On notera à cet égard que les premières formes de looping créant ce rythme externe sont les Delays. (Au fond, un looper, ce n’est jamais qu’un delay avec un feedback de 100%). En musique, une boucle correspond à mesure de n temps : - 1, 2, 4, 8, 16, 32, 64, 128... pour une structure musicale en 4/4 Très bien. J’ai mon looper en main, mon micro, ma guitare, le mémoire de Cédric Vanderstraeten, c’est parti. Mais… Qu’est-ce qu’un rythme ? C’est d’abord une perception. « Perception complémentaire de la répétition d’un phénomène et d’une structure, qu’elle qu’en soit l’origine. Le rythme n’est pas le signal luimême, ni même sa répétition, mais bien l’effet que produit sa répétition sur la perception et l’entendement, à savoir l’idée de ‘mouvement’ qui s’en dégage ». Si l’on applique ce que nous décrit notre cher Wikipédia à l’idée de sampling, on peut donc d’ores et déjà s’émanciper entièrement des notions de structure musicale simples. En gros, on peut boucler n’importe quel son, quelqu’en soit sa durée, quelqu’en soit sa 11 qualité, pour en faire un rythme ? Voici ce que l’expérience (et quelques textes) m’ont appris : Une boucle trop longue génère un rythme, certes, mais qui ne semble pas musical. En effet, on perçoit l’idée de boucle en réécoutant un son déjà entendu, mais il semble que l’on ait perdu une certaine qualité esthétique que l’on pense inhérente à l’idée de rythme musical. En effet, on parle du rythme d’une journée. Si le rythme est un mouvement, il faut être en mesure de le percevoir. Or, si l’on observe à l’œil nu le soleil, nous sommes incapables de le voir se déplacer, donc de percevoir son rythme. Si l’on le filme pendant plusieurs jours et si l’on accélère l’image, alors nous serons en mesure de distinguer, à partir d’une certaine vitesse, le rythme de sa rotation autour de la Terre. Cela me semble être du au fait que la perception du rythme soit un phénomène d’une relative instantanéité. On peut très bien comparer la perception du rythme sonore à « l’Effet Phi ». “L'effet phi est la sensation visuelle de mouvement provoquée par l'apparition d'images perçues successives, susceptibles d'être raccordées par un déplacement ou une transformation. Le cerveau comble l'absence de transition avec celle qui lui semble la plus vraisemblable. C'est donc le résultat du traitement effectué par le système visuel.” De même, la répétition d’un son extrêmement court génère une impression de continuité, telle une note, ou une nappe sonore, dont la qualité dépend du son de base répété. Il y a donc des limites temporelles dans lesquelles la sensation de rythme est perçue. J’ai tenté vainement de paraphraser et de vulgariser l’extrait de texte suivant, mais quitte à passer pour un fainéant, je préfère le copier afin d’éclaircir totalement ce sujet : « A la base de la perception du rythme, il y a la capacité d’appréhension d’éléments successifs en une unité analogue à 12 notre capacité d’appréhender une portion de l’espace dans l’angle de vision. Cette capacité d’appréhension est appelée souvent présent psychique parce qu’elle correspond à une perception dans une relative simultanéité d’éléments successifs. Ainsi nous pouvons percevoir une phrase simple, un numéro de téléphone que l’on nous communique oralement. Ainsi on peut percevoir la succession de deux sons identiques qui vont du seuil de la distinction (environ 0,1 sec) à une durée maximum de 1,8 sec. Au-delà, de cette durée les sons deviennent des éléments perçus comme indépendants les uns des autres. On peut cependant prolonger le présent psychique, s’il y a entre deux repères une pluralité d’éléments. [...] Dans les cas extrêmes, on peut ainsi percevoir l’enchainement de repères successifs jusqu’à une durée limite d’environ 5 sec. Mais combien d’éléments peut-on ainsi percevoir dans ce présent ? Il faut ici distinguer éléments discrets et le cas d’éléments formant une structure. Ainsi pouvons-nous appréhender environ 5 lettres de l’alphabet indépendantes les unes des autres, mais douze syllabes formant un vers. Dans ce cas en réalité nous percevons des mots, ou mieux encore des ensemble de mots car si un vers constitue une unité perceptive, il est en réalité formé par deux, trois ou quatre sous-structures marquées par des accents, par exemple. En d’autres termes, dans une structure perçue, qu’elle se répète ou non, nous percevons des sous-ensemble appelés chunks. Plus une unité perceptive est sous-divisée, et plus le présent psychique peut être long, à condition qu’aucun intervalle interne n’excède 1,8 sec. La répétition régulière de pareilles situations donne alors la perception non plus seulement d’une unité (comme celle d’une phrase) mais d’un rythme, comme c’est le cas en musique, en poésie ou dans la danse (NDLR : et le cinéma aussi bon sang.) Ceci nous amène à prendre en considération la rapidité de la succession ou tempo. On appelle tempo la rapidité à 13 laquelle se succèdent les éléments d’une structure, et les structures entre elles. Repartons du cas le plus simple : la succession de sons produits à intervalles isochrones. [...] Ce tempo se situe dans une zone de durée qui s’étend de 0,4 à 0,8 sec, avec un optimum autour de 0,6 sec. [...] Ceci dit, pour que l’unité rythmique soit bien perçue, il faut que les durées entre ses éléments soient assez brèves, ou si l’on préfère, que le tempo soit assez rapide. En ralentissant beaucoup la diction poétique ou l’exécution musicale, on supprime la perception du rythme. » Extrait de Pour la psychologie scientifique - Paul Fraisse – Ed. Mardaga 14 III. Impact culturel de la boucle à travers les âges a. sauts dans le temps L'idée de boucle ou de répétition en musique n'est pas neuve. Au contraire, ce concept est essentiel si l'on étudie les musiques traditionnelles d'Afrique, d'Amérique Latine, notamment en ce qui concerne la musique de transe, la musique rituelle. Le Candomblé brésilien, par exemple, attribue une grande importance à la musique rituelle : elle est considérée comme un moyen d'honorer les divinités, mais aussi de rentrer directement avec elles. Il se joue au Bénin (principalement dans la ville de Ketou) sur trois tambours (atabaques) avec des baguettes. Philipe Blache, professeur à l'Université de Provence, membre du laboratoire « Recherche et Parole » nous l'explique dans son essai « La Transe : approche en terme d'ethos culturel » : « La plupart des études, recherches traitant implicitement ou explicitement du pouvoir émotionnel de la musique dans l’accompagnement de la transe envisage celle-ci au travers une vertu quasi magique, incantatoire. La musique, dans la transe, sollicite diverses formules rythmiques souvent impaires susceptibles de produire des effets hypnotiques. Toutes les musiques de possession, de séances de transe initiatique, les danses spectaculaires qui y sont rattachées, composées d’instrumentistes ou de chanteurs, procèdent surtout d’une répétition inlassable, soutenue des heures durant. Sous cette forme, la musique fournit la force nécessaire au sujet pour troubler sa perception ordinaire, favorisant un état de grande excitation, d’inspiration pouvant aboutir jusqu’à l’envol extatique. » 15 Il me parait intéressant à ce point-là de faire un bond dans le temps et dans l’espace pour parler de la musique dite “techno”. Cette dernière comprend énormément de variantes : house, lounge, electronica, minimal techno, tek, hartek, hardcore, drum’n’bass, et bien d’autres. Mais un élément rassemble toutes ces disciplines : l’utilisation de samples relativement courts et leur répétition. Même si l'on peut trouver parfois des petites mélodies, ce paramètre est rapidement annulé par leur répétition extrêmement rapide et par l’utilisation de timbres à l’origine indéterminée (sons non musicaux). Ces musiques se basent sur des carrures de 8 mesures et de multiples de 8, afin de faciliter le mixage pour les DJs. Ainsi, les structurations font souvent appel aux nombres 8, 16, 32, 64 et 128, comme nous l’avons vu précédemment. Ainsi, sous toutes ses manifestations, la musique techno cherche à faire atteindre à son auditeur un effet de transe (aspect assez rare dans nos sociétés occidentales), tout comme les musiques primitives. On retrouve des paramètres similaires comme la danse, la recherche personnelle du « laisser-aller », la mise en foule engendrée par le rituel de fête… mais l’aspect spirituel n’est pas présent dans la techno, même si cette dernière tend à créer une culture – ou « sub-culture », basée sur la marginalisation ou on raille la société et la machine pour créer un nouvel espace de collectivité. 16 Il est important de noter pour les mouvements techno que les drogues psychotropes consommées lors des rassemblements participent à l’effet de transe. Provoquent-elles alors un effet réel de transe, comme pour les danseurs Ndöp sénégalais ? Le LSD, l’exctasy ne sont-elles pas qu’une « béquille chimique à une période d’ajustement identitaire et d’entrée dans la vie adulte de plus en plus diffuse » ? La musique et le jeu de la répétition ne suffisent-ils pas à accéder à cet état de transe ? Le but de ce mémoire n’est pas de répondre à ces questions. Nous avons vus que la répétition d’un son possède un effet important sur l’auditeur. Qu’il soit d’ordre magique, divin, ou psychotique, cet effet, intimement lié à la danse, est avant tout rythmique. Voyons ce qu’il en a été dans les quelques décennies précédentes … b. des platines aux machines Les compositeurs de musique classique n’ont pas attendu l’arrivée fracassante des samplers numériques pour exploiter la technique de boucle en musique. On retrouve en effet dès le XIIIème siècle un procédé de composition musicale appelé l’ostinato, qui 17 consiste à répéter obstinément un rythme ou une mélodie durant tout un morceau. Souvent basé sur la basse, on retrouve ce procédé en Angleterre au XVIIème siècle sous le nom de basso ostinato. Une des œuvres classiques accueillant le plus d’archétypes de ce procédé est le Boléro de Ravel (1927). En effet, ce dernier comporte une ligne de caisse claire répétée immuablement tout au long du Boléro : Ces deux mesures sont répétées 169 fois par la caisse claire (soit 4056 battements en tout). Le tempo est lui aussi immuable, fixé selon la partition à 72 BPM (Beat Per Minute). En fait, c’est principalement à travers la puissance en crescendo que les boucles s’expriment, jusqu’à ce que tout l’orchestre rejoigne le rythme de la caisse claire dans la coda (« queue » du morceau, dénouement final). Les musiques latines comme la samba ou la bossa nova comprennent aussi des formes d’ostinato en ce qui concerne les percussions. Panel de percussions brésiliennes 18 La boucle est aussi un aspect essentiel de la musique hip-hop. Les initiateurs du hip-hop ont été inspirés par les sound-systems jamaïcains des années 50. Ce sont des fêtes durant lesquels des chanteurs, dit « MCs », improvisent du texte sur des musiques reggae préenregistrées sur vinyle (riddims), ou sur des Dubs, versions instrumentales allégées de ces mêmes riddims. Le Dub a été inventé, par erreur selon la légende, par King Tubby, producteur, qui souhaitait mettre du son sur la face B de ses disques, et remixait le contenu de la face A, sans la voix, avec tout un tas d’effets (reverbs et delays sans fin, passage du vinyle à l’envers pendant le remix, cuts, etc). Au début des années 70, c’est dans le Bronx, état de New York, que le hip-hop nait d’une culture afro-américaine et portoricaine populaire. Des sound-systems sont organisés, et on commence aussi à faire toaster des MCs sur des versions instrumentales influencées par le funk, la soul, même le jazz, et bien sûr le reggae. C’est ici que nait la technique du Dee Jaying (de DJ, Disc Jockey). Celui qui passe les disques en soirée joue avec le public en passant tel morceau connu ou telle nouveauté. Mais il peut aussi jouer directement avec le morceau luimême en touchant au vinyle. Il peut jouer sur le rythme d’un vinyle pour pouvoir passer d’un morceau à l’autre dans un continuum sonore sans cassure de rythme, il peut ainsi laisser jouer deux morceau ensemble en modifiant tour à tour l’un ou l’autre, faire des « cuts » (coupure de son très brève en rythme avec le morceau), et bien sûr scratcher, de l’anglais « rayer ». Extrait de « l’Histoire du Hip-Hop » écrite par un collectif de hiphop nantais : [Kool Herc, fondateur du DJism, d’origine jamaïcaine] « Après avoir graffé son nom sur les murs de la ville [New York, NDLR], il se tourne vers le Dj’ing et 19 va avoir la géniale idée de transposer le concept des "sound system" jamaïcains de son enfance à la réalité du Bronx. Il organise alors les premières "Block Party", dans lesquelles il passe les disques de Soul et de Funk qu’il affectionne. Equipé d’abord d’une seule platine il était obligé de parler dans le micro à la manière des Dj jamaïcains pendant qu’il changeait de disque sur la platine. C’est lorsqu’il commença à mixer avec deux platines qu’il va créer les bases techniques de mixes pratiqués encore aujourd’hui. En jouant le même disque sur les deux platines, il était capable de rejouer plusieurs fois d’affiler les parties du morceau qu’il appréciait, et notamment les breaks. » On commence alors à créer grâce à cette nouvelle technique de mélange, et on va même chercher des samples anciens pour en faire sa musique à soi. On échantillonne à tout va : les groupes allemands de rock expérimental Can et Faust passent des bandes magnétiques à l’envers, utilisent échos et delays sur leurs rythmiques – bref, tout le nouveau potentiel technique de l’époque – et vont parfois composer des morceaux uniquement composés de samples. Malgré ce que j’avais imaginé, je n’ai donc pas inventé le concept de boucle en musique. Ses vertus extra-sensorielles sont connues depuis bien longtemps. Mais c’est la composition du son utilisé dans une boucle, sa texture, son timbre, qui lui donnera l’aspect culturel qui fera agir la mémoire ou se jouera d’elle pour s’inclure dans un contexte culturel. La source du sample est donc primordiale. 20 IV. Recherche du grain dans le sample Ce qui est intéressant dans l’utilisation du sample dans la musique populaire comme le hip-hop et ses déviances (trip-hop notamment) et dans d’autres musique ayant recours au sampling, c’est l’utilisation de ce dernier à des fins mémorielles. Un son a deux effet sur un auditeur : un effet de sensation pure, du à sa composition fréquentielle, donc son timbre, sa dynamique, son rythme s’il y en a un, sa spatialisation, mais aussi son placement par rapport aux autres sons qui l’entourent dans une musique. C’est ce qui fait qu’un Steinway n’aura pas le même impact émotionnel qu’un Yamaha, et de même selon le pianiste, et c’est encore différent selon son contexte (en concert, en studio, au sein d’un orchestre ou en soliste…). Mais un son possède des qualités faisant appel à la mémoire, qui n’existe qu’à travers celui qui l’entend. Ainsi, le fait de reconnaître un son, une mélodie, un rythme, développe une force sensible non négligeable, intimement liée à l’expérience de l’auditeur, créant ainsi un lien d’ordre personnel. Ces deux qualités sont essentielles dans l’utilisation d’un sample. La première, compositionnelle, va servir à l’intégrer dans un mix (ou servir de point de départ à ce dernier). Ainsi, il va falloir trouver un sample en harmonie avec les autres lignes mélodiques (pour cela les nouvelles méthodes de pitching – modification de hauteur – sont fort utiles), et son calage temporel (ici, le time-streching nous sauve la vie). La seconde composante du sample est inhérente à ce dernier : c’est pourquoi l’étape de la recherche du sample est primordiale, car il est extrêmement difficile d’apporter artificiellement cette touche mémorielle à un son. Un des facteurs technique de cette deuxième composante est le grain du son. Ce dernier est donné par son mode d’enregistrement. En effet, notre culture auditive nous permet de reconnaître quasiment de manière instinctive « l’âge » d’un son, grâce à son grain, à sa couleur. Le grain du son est similaire au grain en photographie. Dans cette dernière discipline, le grain est l’apparence visuelle de cristaux d'argent qui composent la photographie. Plus le négatif est agrandi, plus 21 les grains deviennent apparents ainsi que dans les zones d'image neutres du tirage. En son, le grain est donné par le mode d’enregistrement et le support. Le son n’a pas toujours été comme celui que l’on écoute sur CD, car le son n’a pas toujours été numérique ! La bande passante d’un CD s’étend de 20 à 20000 Hz (plage de fréquences sonores théoriquement audibles par l’oreille humaine), une dynamique de 96 dB en 16 bits (différence entre les amplitudes maximum et minimum que le CD peut enregistrer). Le disque de vinyle, exemple le plus probant - notamment en hip-hop - ajoute au son des artefacts très facilement identifiables : des « clics » et du souffle du au diamant lisant la surface sillonnée du disque. De plus, il se produit une distorsion harmonique légère mais sensible. Ces derniers paramètres sont accentués en fonction de la qualité du disque : plus il est vieux, plus ces artefacts seront présents. La dynamique de ce support est théoriquement de 65 dB. Mais cette « mauvaise qualité » de son est pourtant très recherchée, car l’oreille apprécie ces « défauts ». La bande passante est aussi un élément temporel marquant. En effet, depuis l’invention de la radio lorsque Samuel Morse inventa le télégraphe jusqu’en 1940 lorsque la première station de radio FM émis à Nashville dans le Tennessee, la largeur de bande n’a pas toujours été celle que l’on s’est habitué à entendre avec les normes Hi-Fi. Cette “saleté” est aussi due au processus d’enregistrement et de mixage, résultante de multiples passages par certains pré-amplis, effets, compresseurs, égaliseurs, etc, certains types de câbles, et bien sûr du “problème” de générations avec des supports analogiques (une copie d’un matériel analogique – bande magnétique par exemple – sur un autre support du même type provoque tout un tas de distorsion harmoniques, de gain de souffle, etc, à l’inverse du traitement numérique, qui ne génère que des copies absolument identiques de l’original). Ces “défauts” sont pourtant très recherchés par de nombreux artistes et techniciens (ou les deux), surtout dans des musiques pointues comme le jazz. Pourtant, certains leur déclarent une guerre totale, à 22 coup de traitement numériques et d’algorithmes perfectionnés permettant de nettoyer le son de tout ce qu’il n’a pas de naturel, selon un certain point de vue. Pour ma part, il me semble que chercher à conserver (voire à générer) ces artefacts sonores non transparents revient tout simplement à un engagement artistique. Refuser et nettoyer un son pour le rendre exempt de tout défaut de traitement me semble être tout simplement une absence de choix. C’est un travail de conformation, pour être conforme, respecter une norme - chose essentielle pour le travail sonore en audiovisuel, particulièrement en publicité. Pour ce qui est de la musique, cela me semble être une aberration. Certes on peut tout à fait dire que l’on “choisis” de rendre un son lisse et dénué de défaut, mais quel dommage d’en arriver là… Pour ce qui est du travail du sampling, le grain du son tel que je l’ai défini précédemment constitue la marque du temps et de l’expérience, et donnent ainsi à une musique une dimension temporelle élargie. « Echantillonner, c'est comme s'envoyer à soi-même un fax des débris sonores du futur. Si le fax est une copie d'un document que tu as fait et que tu envoies, alors au revoir, adios, bye-bye. Tu peux envoyer un fax n'importe où. C'est pareil avec les beats. Pour moi, l'échantillonneur est une sorte de machine à remonter le temps. C'est une façon de manipuler et de reconfigurer des morceaux du passé dans le présent, et de permettre aux permutations du présent de refléter vraiment ce que la musique pourrait devenir. Et te voilà en train de jouer avec le passé, le présent, le futur et l'imparfait du langage même. » — DJ Spooky 23 © Ugo 24 •• – Le Self Sampling – •• 25 Les pieds de Mary*, une Self Sampleuse avérée Le self sampling (ou auto-sampling) est une technique utilisée de plus en plus couramment qui consiste tout simplement boucler des lignes mélodiques ou rythmique à l’aide d’une looper, sous forme de pédale, de machine, ou logicielle. On peut y faire entrer n’importe quelle source sonore, généralement un micro ou un instrument. Après avoir enregistré une première boucle, servant de base rythmique et/ou mélodique, le musicien va alors pouvoir y ajouter une multitudes de couches avec de nouvelles boucles. Afin de ne pas me répéter et d’éviter de faire la liste des fonctionnalités de tous les loopers du marché, j’ai décidé de poser des questions bien concrètes à deux musiciens pratiquant couramment le self sampling, et de m’intéresser de près au cas d’un autre. 26 I. Khalid K, un sampleur rêveur Le premier, Khalid K, est à la fois un musicien, un comédien et un bruiteur. Je l’ai d’abord contacté par mail puis par téléphone et j’ai eu l’occasion de lui poser quelques questions avant d’aller le rencontrer lors d’un concert au Studios de l’Ermitage à Paris. Son installation est relativement simple : il boucle le son de son micro (qui passe au préalable dans un bon préampli à lampe de la marque TLA Audio) avec un petit système de trois loopers aux pieds (des Akai HeadRush, faisant partie des premières générations de loopers). Là où se joue son originalité c’est qu’il n’utilise comme matériau sonore que… sa voix. La plupart de ses « tableaux », comme il aime à les appeler, commencent généralement par la constitution d’une ambiance sonore, entièrement bruitée par son habile gosier. Ainsi, pour nous emmener dans une petite ferme berbère, Khalid commence par bêler une fois, deux fois, à remuer une petite cloche (certes, il dispose de quelques accessoires de scène, mais pas d’instrument – sinon le cajun sur lequel il est assis), à faire parler un fermier dans un dialecte digne d’une bande son de Tati… et tout cela jusqu’à obtenir l’équivalent d’une phonographie riches de nombreux plans sonores. Ces plans sonores sont agencés d’une part dans leur position dans la boucle (ainsi, le fermier ayant appelé son ami va se répéter et pourra donc obtenir sa réponse pour la boucle suivante !) et aussi et surtout en volume : Khalid prend grand soin à jouer sur la distance de son micro pour chacun des sons qu’il va faire, chose entièrement intégrée dans sa mise en scène, par ailleurs. Khalid réalise donc des tableaux sonores à partir de ses propres capacités de bruiteurs, puis les développe en musique en imitant un oud, des chants africains, une basse… 27 « Khalid, c’est un regard. Ou plutôt une oreille. Il capte tout. Il englobe d’abord, semble enregistrer. Puis il vit les sons, les reproduit. À sa manière. Avec son corps, avec sa voix. Il crée des mondes. » Kên Higelin, metteur en scène du spectacle de Khalid K Khalid fait, dès le début de ses spectacles, sa mise en abîme : il explique et petits et grands enfants de la salle comment fonctionnent ses petites machines. Je suppose que c’est parce son spectacle n’est pas basé sur la répétition des éléments, mais plutôt sur ces éléments euxmêmes et le rôle qu’ils jouent entre eux : en démasquant d’emblée son système, il le dissimule d’autant mieux. Chacun de ses trois pédaliers permettent d’enregistrer jusqu’à 99 couches de samples. Le fait d’en avoir trois permet de réaliser en live un montage de ces couches en en coupant certaines par moment, ou en relançant d’autres au moment opportun. Son spectacle, très construit, ne joue que très peu sur le phénomène de répétition « de transe », comme expliqué dans le premier chapitre, sinon lorsqu’il s’amuse à reproduire des chants indiens ou une musique techno. Il privilégie donc plus les rythmes internes de 28 ses sons. Mais il joue tout de même sur le rythme externe, en rendant musical son « décor » sonore, car pour lui, un bruit, c’est aussi de la musique. Khalid K se sert donc de la technique du sampling non pas comme une fin en soi mais comme un moyen de « peindre » ses univers, seul et sans artifice. Ce n’est pas pour lui une béquille comme cela pourrait l’être un guitariste incapable de chanter et de jouer de la guitare en même temps, mais bien un outil de conception, comme les couches d’une toile. 29 II. Matthew Herbert, un sampleur engagé. C’est au travers d’un entretien avec Khalid K que le sujet Herbert a pointé le bout de son nez. En effet, ce dernier est pour lui comme pour moi une référence en matière de sampling live, de « self-sampling » ou de « direct sampling ». 30 Commençons par un extrait d’une interview réalisée par Maxime Gouache du site «Lemonsound.com ». “Tu changes beaucoup ta manière de travailler selon le fait que tu sois seul ou en groupe ? Oui bien sûr, et même sans cela je change la configuration de mon studio chaque fois que j’enregistre un nouvel album. Chaque fois la technologie n’est pas la même, je change pour utiliser d’autres équipements, en grande partie analogiques. Je n’utilise pas de synthétiseurs mais des drum machines, des samplers, ce genre de choses. Avec la musique électronique tu es un peu le roi de ton château, tu contrôles totalement ton univers et tout ce qui s’y passe. Entre les quatre murs de ton studio tu es comme un petit sorcier. Cette situation n’est pas idéale, je suis plus intéressé par l’idée de prendre des risques ; se retrouver en face de 70 personnes, leur expliquer ce en quoi tu crois, leur demander de croire et de faire du bruit avec toi. J’aime ce risque et ce danger, aussi le fait de faire vivre mes idées dans un espace public. Je trouve ça important. Lorsque je fais ce genre de chose je dois mettre l’aspect « contrôle » de côté et faire confiance aux autres pour m’aider dans ma création. C’est comme ça que la vie devrait être, on a tous besoins les uns des autres, je ne peux pas faire de vêtements, je ne suis pas fermier, je suis incapable de créer un téléphone, je ne génère pas d’électricité, ou peut être un peu mais pas assez, je pourrais avoir besoin de toi pour me faire des vêtements par exemple, ou à manger, on doit forcément 31 abandonner une partie de notre contrôle à d’autres personnes et partager ce que l’on a. C’est comme ça que la vie devrait être.” Cette prise de position me semble intéressante et pourtant relativement contradictoire. En effet, Matthew Herbert fais partie de ces créateurs sonores qui font tout (ou presque) eux-mêmes. C’est un musicien anglo-saxon multi-instrumentiste, spécialiste du sampling, considéré comme l’un des précurseurs de la musique house. Après avoir étudié dès son plus jeune âge le violon et le piano, il part faire des études de théâtre a l’Université d’Exeter. Et c’est ici, en 1992 – il a 20 ans -, que son premier projet voit le jour : « Wishmountain ». L’idée viendrait d’une réflexion sur la relation entre musique interprétation faite en cours. Il décide alors d’aller collecter tout un tas de sons environnementaux et de leur « trouver un usage ». C’est grâce à une rencontre avec Tom Middleton et Mark Pritchard (Global Communication, un groupe d’électro) qu’il finit par leur trouver un sens, et surtout un rythme. S’en suit un premier EP, « Radio », distribué par le label créé par Global Communication « Evolution/Universal Language ». Tous les titres de l’album sont composés à partir d’uniquement 8 sons ayant pour origine une seule et même source (bruits de poivrière, théière, tasses, cuillères, paquets de chips...). Ces sources sont à chaque fois identifiables par... le titre du morceau. Wishmountain, c’est à la fois un manifeste mais aussi un nom de scène, emprunté par Herbert lors de ses concerts et pour l’album. Fort de son gout pour le théâtre, il en fait un véritable personnage et fait vivre chacune des sources sonores comme une entité à part entière. Lors de ses « lives », il sample sa source sonore avec ses samplers et dévoile donc systématiquement et volontairement son processus de fabrication, attendant vraisemblablement réactions et/ou réactions de la part du public. En 1995, lors de sa première performance, il tient un public de mille personnes avec... un unique paquet de chips. 32 On voit bien ici comment l’aspect spectaculaire (au sens de « faire du spectacle ») est mise en valeur par sa scénographie. En effet, la technique du sampling possède une composante essentielle : l’effet « magique » qu’elle a sur un public inexpérimenté. En effet, en samplant et en bouclant un paquet de chips, une casserole, une grosse ligne de basse ou 13 couches de chœurs en contrepoint, on obtient deux choses : un rythme illimité, une base sur laquelle improviser aisément (les machines ne changent pas de tempo ou ne change pas de rythme toute seules, tel un batteur un peu trop alcoolisé) et le simple fait que quelqu’un continue de faire de la musique, mais on le voit pas. Grace à la mise en abîme du dispositif de sampling, non seulement personne ne se sent trahi, personne ne se demande si l’ingé son n’a pas mis une cassette dans sa grosse boite pleine de boutons, et pourtant tout le monde jubile d’entendre plusieurs musiciens alors qu’ils n’en voit qu’un. Mais cet effet est limité. A court terme d’une part, car après plusieurs morceaux ayant recours au même système, on finit par ne plus se faire surprendre, et on risque même de s’en lasser. Car la technique du sampling live requiert quelque chose de simple et pourtant d’extrêmement contraignant : avant d’envoyer une boucle, on est obligé de l’enregistrer. Et avant d’atteindre seul une composition complexe il faut donc autant de temps qu’il y a aura de couches d’arrangements pour un morceau. De plus cet effet risque bien d’être atténué sur le long terme car les musiciens utilisant des samplers (je les appellerais « self-samplers » par la suite, pour des raisons évidentes de style inhérent au métier de musicien/technicien qui vit dans son temps et qui se sent obligé d’inventer des expressions, en anglais bien sûr) sont de plus en plus nombreux. Je reviendrais sur leurs cas plus tard, mais on trouve désormais ces petites machines (jam-man, RC20, RC50... nous y reviendrons) aux pieds de n’importe quel chanteur ou guitariste débutant, désireux d’en faire plus avec moins. Et c’est ainsi que notre cher Matthew s’est lui-même lassé de son propre concept, après avoir épuisé tous les chemins que lui offrait le 33 diktat de 8 sons par morceaux, provenant du même paquet chips ou du même verre d’eau. En 1997, il décide de créer un nouveau personnage, accompagné d’un nouveau concept, un peu moins précis et contraignant : Radio Boy. Le nouveau procédé compositionnel comprend plusieurs étapes : ETAPE 1 : Les sons sont capturés selon le bon vouloir de Mr Herbert. ETAPE 2 : Ces sons sont assemblés et le résultat est enregistré sur un magnétophone huit piste, créant ainsi la base du morceau. ETAPE 3 : Triturage a tout va de cette base, puis ré-engistrement sur le magnétophone. (à noter : aucun plug-in ou algorithme informatique n’a été utilisé pour cette étape) ETAPE 4 : Répétition de l’étape 3 ETAPE 5 : voir étape 4 ... ; etc ETAPE FINALE : un morceau aux sonorités bizarres presque abstraites qui n'ont plus grand chose à voir avec celles d'origine. Si Wishmountain pouvait être dansant, c’est clairement moins le cas avec Radio Boy, beaucoup plus expérimental. Sur scène, habillé en boucher à cravate, il sample cette fois des objets de consommation de masse (hamburgers McDo, canettes de Coca-Cola, journal « Le Figaro »...) avant de les pulvériser et de les jeter à la poubelle. 34 Le processus est ici intimement lié avec un désir d’expression politique lié à l’engagement de l’artiste vis-vis de la société de consommation qu’il critique avec ferveur sur le web portant le nom de l’album né de ce nouveau manifeste : « The Mechanic of Destruction ». En voici un extrait (c’est une traduction personnelle, le texte original est en fin de mémoire) : “ *..+ Quant à l'album, il est temps de faire le lien avec le rôle politique joué par ma propre musique dans un système que je critique. La musique est en grande partie politique, de deux façons principales, d’une part parce qu’elle fonctionne séparément de l’hégémonie, en offrant l’évasion ou l’alternative, mais aussi en offrant une critique de la politique. J’ai été amené à réaliser tout cela en réfléchissant à ma façon d’exprimer mon propre mécontentement politique dans l'harmonie et la métaphore lyrique (cela était seulement présent dans la chanson « Hymnformation » du docteur Rockit (NDLR : un autre pseudonyme de M.H.) où j'avais critiqué explicitement les choses : l'expression froide « nous vendons l'anthrax à nos ennemis ») : il était temps d’en présenter une critique manifeste. Ce que je trouve le plus attrayant au sujet de ce processus, c’est qu' il peut être réalisé sans paroles. Par ailleurs, l'album a été également accompli sans utilisation de plug-ins. Puisque la musique est l'organisation du bruit, le choix et la structuration de ce bruit devient une métaphore pour représenter l'organisation d'une société. Si, comme à mes débuts, vous samplez simplement les bruits de vos appareils de cuisine, il est bien évident que vous n’aurez pas à vous inquiéter outre mesure. Si vous samplez le bruit de quelqu'un qui vous envoie les bombes à fragmentation sur la tête, le choix fait partie du message. Par conséquent, alors que mon 35 imagination a été rattrapée par ma vision du monde, – aidé, et pas d’une qu’un peu, par des auteurs tels que John Cage et Jacques Attali -, la musique des « mécanismes de la destruction » est devenue mon forum. J'ai également éprouvé grand plaisir à consommer ces produits “omnipotents” de façons complètement détournées. Je n'ai pas bu le Coca-Cola, n'ai pas regardé la TV ou n'ai pas mangé le Big Mac. Alors, d’une certaine façon, c'est une chance de pouvoir recycler ces produits qui ont rempli toutes les déchetteries du monde avec du plastique nonbiodégradable et des estomacs d’être humains avec bien moins que de nourriture saine. C'est également un voyage de déchets, transformant la merde en musique, le provisoire en permanence, et l'identique en unique. Que vous aimiez réellement cette musique ou pas, c’est totalement un autre sujet…” Ici, Matthew Herbert fais usage d’un thème précédemment abordé, à savoir la composante mémorielle d’un son. En samplant un son concret comme un paquet de chips, l’effet « magique » du sampling et de sa mise en boucle est grandement due au fait que l’on reconnaisse fort aisément le son d’un chips et qu’il est tout a fait extraordinaire d’entendre un rythme sur lequel on se verrait remuer les fesses réalisé à partir de cette source pourtant incroyablement anodine. En utilisant un son ayant une caractéristique mémorielle à la symbolique plus avancée, c’est-à-dire en choisissant un son par rapport à un propos, on développe un effet plus intéressant que celui de l’éphémère magie : on donne tout simplement du sens à une composition. Si dans « Wishmountain » l’improvisation artistique était le choix de la source et la partition la structure rythmique, dans « Mechanics of Destruction » la partition est le CHOIX du ou des sons et l’improvisation – le réel travail artistique consiste en la déstructuration / destruction de ces sons, quitte à laisser de côté les paramètres d’harmonie et de rythme pour le bien du propos. 36 Herbert est aujourd’hui l’un des musiciens les plus prolixes de la scène électronique. Il fait de la musique on ne peut plus populaire, que l’on pourrait presque qualifier de « facile » : avec les logiciels musicaux d’aujourd’hui, une heure ou deux et un minimum de connaissance en informatique permettent en moins de deux heures de faire un tube dans ce style de musique. Mais il reste un artiste exigeant. « J'aime le langage précis et pointu de la house, sa clarté et cette répétition inéluctable des motifs. C'est comme en peinture, avant de peindre, tu définis le thème, la taille du tableau… Il y a quelques règles basiques qui te permettent après d'exprimer toute ta créativité.” 37 III. Pyv, samplé, pas simplet. Avant de rencontrer Pierre-Yves, il avait déjà un répertoire de chansons et créations musicales très dense. Il manquait alors cruellement d’acidité dans ses structures musicales. Et je suis gentil, car pour ainsi dire, il n’en avait pas. Peut-être victime du looping, ses structures se résumaient généralement un schéma en escalier, allant d’un riff de guitare bien senti à un magma sonore dense et compact de multiples guitares, chœurs, beat box, voix hurlées, etc. Notre travail ensemble pour la maquette ou pour le live nous a permis de poser la question de la structuration, ceci d’autant depuis l’arrivée de Mary* en tant que bassiste. En effet, lors de nos premières rencontres de travail, je ne savais pas trop ce que j’allais enregistrer. Il me donnait en fait une ou deux mesures de guitares, une ou deux mesures de chœurs, une ligne de beat box, et un chant principal. Très motivé et disposant de quelques nuits blanches, je me suis attelé seul en premier lieu à la structuration de tout ça, avec un résultat d’une inégale efficacité. Nous avons là le cas typique d’un musicien utilisant le looping en tant que béquille à ses propres lacunes techniques. Mais malgré ce constat, c’est pourtant dans tous les artistes celui qui me semble être le plus proche de ma conception 38 Mais avant d’aller plus loin, voici les quelques réponses qu’il a bien voulu donner à mes questions : Quel est ton processus habituel de création, de construction et d'harmonisation musicale ? Et, au sein de ce processus, que t’apporte la technique du sampling ? De même, est-il possible qu'elle te freine ou te limite d'une façon ou d'une autre ? « La musique apparait sous la forme d’une masse informe dans une partie de mon cerveau que je ne contrôle pas. Là commence selon moi le processus créatif. Cette masse bruyante se concrétise un peu plus jusqu'a en devenir obsédante elle demande à sortir car elle prend trop de place, et là commence le travail de composition. C'est à dire que tout ça est très instinctif. Etant autodidacte, je me fie au seuls outils que je connaisse et pense maîtriser. Ce sont des outils de bricoleur et d'inventeur, bien plus que de musiciens au sens classique du terme. Le sampling est donc très approprié, puisqu'il permet de reproduire une forme obsessionnelle - que j'appellerai phrase musicale - à l'infini, et d’y venir greffer des décorations sonores de façon à la faire lentement muter. Cela est très pratique quand on est seul et que l’on n’a pas de schéma musical en tête, mais juste une mélodie spontanée. Le sampling a toutefois ses limites mais elles ne sont pas inhérentes à sa fonction, elles sont fonction de son utilisateur. Moi, par exemple, j'ai eu tendance à m'appuyer énormément sur les samples en croyant pallier mes lacunes techniques, après quoi je reviens à un apprentissage un peu plus classique de mes instruments (voix et guitare) et moins improvisé. En tout cas j'y aspire. 39 Le fait de me plonger dans le monde du sampling où les possibilités sont si diverses et illimitées que je prend conscience des miennes et me sens tout petit. » Lorsque tu est en phase d'enregistrement, en quoi la technique du sampling (on appelle ca le "RE-RE", pour re-recording, pour le studio) t’es-t-elle utile, et qu'apporte-t-elle au rendu final de ta musique ? Et encore une fois, d'une façon ou d'une autre, cela te limite-t-il ? « "En phase d'enregistrement" pour moi c'est un grand mot. En effet c'est une phase que je ne me suis pas du tout approprié. Je ne m’enregistre que lorsque je ne peux pas faire autrement, et je le fais mal. Pour moi l'idéal serait d'enregistrer en une seule prise des morceaux samplés en live. Cependant je conçois que le "RE-RE" facilite et rend extrêmement plus riche le travail de montage et de mixage. On construit la musique comme des Légos, ça devient " très matheu" comme boulot et ca limite le risque d'accidents total qui est la seule façon - à ma connaissance – "d’inventer" de la musique, de repousser les limites. » Lorsque tu est sur scène, tu utilises aussi le sampling. Qu'est-ce que cela permet ? De quelle manière selon toi le public réagit à ce procédé ? Et dans quelle mesure cette technique est-elle "vivante", dans le sens ou elle fournirait un élément élémentaire du spectacle ? « Sur scène le sampling apporte un côté prestidigitateur. On surprend l'oreille mais surtout l'œil et la curiosité du spectateur devenant un peu moins passif en comprenant "les ficelles" du son. 40 On développe donc une certaine interactivité. A condition que les sampleurs soient spectaculaires ( RC 50, RC 20, autres pédales...). Je pense aussi que le sampling reflète l'aspect individuel que l'art en général adopte (peut-être en raison du contexte économique) : il permet d'être plusieurs en étant seul et de contrôler entièrement ses propres clones sonores. On a donc, pour peu que le musicien soit talentueux, un orchestre pour le coût et le dérangement d'un individu, avec tout que cela implique. » D'une façon générale, la technique du sampling est-elle une partie essentielle de votre musique ? Et si oui, en quoi ? « Elle l'est, mais comme je l’ai dit précédemment, plus par défaut que par ambition. Si je pouvais l'alléger - c'est d'ailleurs la recherche du moment - je reviendrais à une construction avec moins de boucles. Je trouve que le sampling m'emmène dans des directions obsessionnelles *…+ et introspectives. J'y vois encore là une réalité sociale ou humaine. Mais la musique pour moi 41 est aussi belle quand elle est dynamique, joyeuse et légère que quand elle est grise, violente et triste. » Tu touches là deux échelles : la première est personnelle (obsession et introspection) et l'autre universelle. En quoi vois-tu dans la technique musicale du sampling, c'est-àdire la mise en répétition d'un fragment sonore provenant du réel - personnel ou universel, une "réalité sociale ou humaine" ? « Boucles, battements de cœur, respiration, vie, cycle, répétitions des mêmes erreurs, minute, jour, nuit, heure, mois, années, saisons après saisons… Chaque chose naturelle ou artificielle peut être réduite a sa forme de base : naissance, existence, mort. C'est ce que j'appellerais mes réalités humaines ; en fait ce sont les thèmes très difficiles a aborder car ils touchent un point très sensible de l'humain : son impuissance a changer le déroulement de l'existence. Lorsque je me plonge dans le coté hypnotique de mes boucles ou de celles des autres, j'ai la sensation d'apprivoiser certaines angoisses et de vivre l'intérieur de mon être : c'est ce que j'appelle l'introspection. Pour ce qui est de la réalité sociale c'est plus compliqué car on ne touche réellement que sa propre époque et la réalité sociale ne vaut que dans le contexte historique. » … 42 Je me suis permis et ai choisis la facilité d’interroger un musicien que je côtoie et de l’intégrer à mon mémoire car je connais très bien sa musique : j’en fais désormais partie. Il touche du doigt dans cette dernière réponse le nerf de ma réflexion sur le sampling, mais c’est grâce à sa musique que j’ai pu en premier lieu développer ma façon à moi d’en faire. Ayant au départ une position de technicien, je me suis vite rendu compte des possibilités que cette technique pouvait m’apporter. Je me suis rendu compte que je pouvais la contrôler, la moduler, dans le temps et dans ses couleurs et textures, et j’ai commencé à investir dans un peu de matériel. Lui m’a toujours poussé à aller plus loin, à expérimenter un peu plus, sa musique étant souvent propice à l’improvisation, à la contemplation, et aussi à de vastes égarrements… Après avoir expérimenté bien des choses, bien des configurations, nous avons finit par en définir clairement certaines. Voici ce qu’il en est de mon rôle dans notre musique : 43 ••• – L’Omni Sampling – ••• 44 Le moyen qui a été pour moi le plus évident de répondre à ma problématique était de la confronter à ma propre expérience en matière de sampling. Encore une fois, tout ceci ne peut pas être pris comme référence, mais comme le meilleur exemple que j’ai trouvé pour illustrer mon propos, intimement lié à ce que je fais et ce j’aime le plus faire : de la musique. 45 46 I. La config de Pyv et TuméTone Ce petit schéma représente notre installation pour nos sets live. Il permet d’exploiter au maximum les techniques de sampling et de gérer entièrement la structure des boucles au sein de nos compositions musicales, avec une grande souplesse d’usage, permettant d’avoir à la fois des architecture musicales complexes mais aussi et surtout de laisser une grande part à l’improvisation, discipline qui nous est très chère. Nous utilisons deux systêmes de sampling/looping : le premier est le pédalier RC50 géré par Pyv. Avec ce dernier, il calibre le tempo soit en le tapant sur une pédale dédiée soit en enregistrant une première boucle sur patch neuf. Avec cette pédale, il est à-même de gérer trois « banques » de samples, tout comme les trois pédaliers de Khalid K. Chacune de ces banques posséde sa propre sortie physique pour aller vers la console d’accueil et peut donc être traitée séparement par l’ingénieur du son. Grâce au boitier « AB Box », il peut choisir de n’enregistrer que la guitare, son micro, ou les deux, permettant d’enregistrer une ligne de guitare sans avoir de « repisse » du micro, ou bien de jouer de la guitare en chantant s’il le souhaite. Mon système est un peu plus complexe. Il se compose d’un ordinateur portable équipé du logiciel « Ableton Live » que nous détaillerons ultérieurement, ainsi que de plug-ins spécifiques. L’ordinateur est relié à une carte son (ProjectMix I/O sur le schéma). Cette dernière permet de transformer les signaux analogiques qui provenant de ma guitare (via un pedalier d’effet, le Rocktron) ou du second microphone de Pyv en données numériques, et donc d’être traités par mon logiciel. Ce dernier renvoie les informations sonores à la carte son vers des sorties physiques, et donc vers la console d’acceuil (via une paire de jacks stéréos pour l’instant). 47 Un détail important : le RC50 de Pyv est relié en MIDI à ma carte son. Ce câble permet de faire circuler une synchronisation du tempo, essentielle au calage de toutes nos boucles ! Nous verrons son application dans le chapitre suivant. Sur la carte son est aussi relié le processeur d’effet tactile Kaoss Pad 3 en « insert » (il fait looper lui aussi par ailleurs). Ainsi, depuis mon logiciel, je peux envoyer un signal sonore vers cette machine et le récupérer après traitement. 48 Voilà pour ce qui est des connections analogiques. Je dispose aussi d’un clavier midi relié en USB au portable, qui dispose de 16 boutons rotatifs (ou « potards ») contrôlant des effets dans Ableton Live. J’utilise très peu le clavier en lui-même, sinon pour un effet particulier : en effet, après avoir par exemple enregistré une portion de voix de Pyv via le micro 2, je peux en une petite manipulation glisser cet échantillon dans un instrument du logiciel qui va assigner à chacune des touches du clavier cet extrait « pitché » en fonction de la note jouée. En clair, si la note enregistré était un DO et que j’appuie sur une touche correspondant au RE, le sample de base sera augmenté d’un ton, et ce, en temps réel. Ainsi, il m’est possible sur un morceau de jouer une mélodie ayant pour texture la voix du chanteur, et même de faire des accords à partir d’un simple sample de quelques secondes. La ProjectMix I/O dispose d’une surface de contrôle avec des faders motorisés. Concrètement, elle me permet de gérer les niveaux des différents samples enregistrés et d’en faire un mixage avant l’envoi en console d’accueil. Les autres touches me permettent principalement de déclencher l’enregistrement des samples sur le logiciel ainsi que leur relecture. Le pédalier MIDI FC300 (en projet d’achat), lui aussi relié en USB au laptop, permettra de remplacer la surface de contrôle lorsque je doit enregistrer des samples provenant du micro ou de ma guitare et que j’ai les mains occupées par un instrument (guitare, derbouka, shaker, etc.). Possédant deux pédales de volumes, je peux aussi contrôler n’importe quel paramètre 49 d’effet du logiciel, comme un envoi dans un delay, une saturation, ou simplement un volume. Grâce à une ergonomie bien conçue Voici donc l’aperçu de notre petite installation. Passons maintenant à rapide tour des possibilités offertes par le logiciel Ableton Live et surtout l’utilisation que l’on en fait …. II. Boucler dans Ableton Live Nous sommes à la version 8 de ce logiciel audio. J’ai commencé à l’utiliser dès sa version 5, qui disposait déjà des fonctions principales que l’on retrouve aujourd’hui et surtout de son ergonomie particulière. En effet, Live a une architecture très orientée… live. Il possède un séquenceur traditionnel comme Pro Tools ou Cubase : On a donc plusieurs pistes sur lesquelles on peut importer ou enregistrer de l’audio, puis y glisser des plug-ins permettant de corriger ou de déformer en temps réel le son, et des pistes MIDI sur lesquelles on peut enregistrer les notes et contrôles des instruments MIDIS et y glisser des instruments virtuels. Rien de bien original pour un DAW (Digital Audio Interface). 50 Ce qui fait sa particularité réside dans sa fenêtre appellée « Session ». Elle ressemble à une table de mixage, à la différence prêt que l’on peut glisser (ou enregistrer bien sûr) des boucles de n’importe quelle durée. Un aspect primordial pour faire de la musique en live avec ce logiciel est le tempo attribué à une session. En effet, il sera possible d’enregistrer des boucles dont les points d’entrée et de sortie seront très précisément calés avec le tempo du logiciel. Nous réglons le tempo du logiciel comme « esclave » du tempo du RC50. Ainsi, Pierre-Yves définit le tempo du morceau « à la volée » en faisant sa première boucle ou simplement en tapant du pied sur le pédalier. Grâce au câblage MIDI, le logiciel se synchronise simplement avec le RC50 et le tour est joué. L’avantage ? Pour enregistrer une boucle dans Live, c’est très simple. Sur n’importe quelle piste, on trouve une rangée de petites cases, correspondant aux emplacements de nos boucles. En appuyant sur l’une d’elle, cela déclenche l’enregistrement de la boucle. En appuyant de nouveau sur cette case, on marque le point de sortie de la boucle et l’échantillon est rejoué indéfiniment. Il faut bien entendu définir au préalable sur la piste quelle entrée nous voulons enregistrer depuis la carte son (le micro, la guitare…). 51 Le gros avantage est que l’on peut définir une « quantification » pour le démarrage et la fin d’enregistrement boucle. Plus clairement, si j’appuie sur la touche de ma surface de contrôle censée déclencher l’enregistrement d’une boucle quelques secondes avant le premier temps de la mesure, la piste va s’armer et ne commencera son enregistrement qu’à partir du premier temps de la mesure ! Il en est de même pour terminer la boucle. Cela nous donnera donc une boucle très précisément synchrone avec le reste des boucles que l’on fera ou qui sont déjà là. Grâce à tout ce bazar, il m’est possible de m’enregistrer à la guitare, d’y appliquer des effets de tous types, puis d’enregistrer des lignes de voix du chanteur et d’en faire de même. III. Performance(s) J’ai tâché d’être le plus bref et le plus clair possible quant à mon utilisation de ce logiciel. Ce que j’aspire à terme avec ce systême est de pouvoir prélever le matériau sonore sur scène, qu’il vienne de moi ou d’un musicien, et de le transformer en temps réel. Comme nous l’avons abordés, les instruments MIDI ont rendus la « vie » aux machines comme les samplers et les synthétiseurs, car ils rendent visuel et manuel le traitement infligé au son, que ce soit sur un clavier ou tout autre dispositif de contrôle. 52 De même, en assignant tous les paramètres du logiciel à mes instruments, je parviens à ne plus toucher à la souris et au clavier de l’ordinateur et retrouve tout simplement le geste. Et je souhaite bien continuer à aller dans ce sens. Je cherche à travers l’utilisation de tout cet attirail à obtenir une réelle interactivité entre moi, les instruments, le ou les musiciens sur scène et aussi et surtout le public. Afin de ne pas duper ce dernier, ce qui est devenu tout à fait facile avec la généralisation des ordinateurs sur scène, il me semble essentiel de n’utiliser pour matériel sonore de base que du son produit pendant le concert, c’est-à-dire au travers d’un microphone. Cette contrainte permet de crédibiliser réellement un spectacle, d’une part parce que l’on dévoile le dispositif, et d’une autre parce qu’à mon sens il n’y a pas plus vrai qu’un son émis acoustiquement. Le traitement qu’il subira par la suite sera quant à lui tout à fait artificiel, mais le fait d’avoir constamment la création physique du son originel garantie en quelques sortes « l’éthique » du procédé compositionnel. Le fait alors de boucler et de transformer un son produit sur scène permet d’avoir deux types de performances : celle réalisée au moment où le son est produit (riff de guitare, ligne de voix, rythme de percussion, bruit quelconque) et celle de la transformation de ce dernier. En effet, une fois que le son est répété la première des performance, appartient au passé ; même si elle reste dans la mémoire émotive du spectateur. Cela privilégie donc la seconde, c’est-à-dire les manipulations qui sont faites sur le son de base. Le spectacle, la musique vivante, et donc bien la performance est désormais dans les mains de celui qui triture, qui étire, qui déforme, qui modifie. Et les possibilités de traitement en informatique sont nombreuses, voire infinies. Il est même désormais possible de changer à la volée de type de traitement, comme si l’on changeait d’instrument, et donc d’improviser totalement. Voyons rapidement quels types de traitement il possible de réaliser (je me suis concentré sur ceux que j’utilise réellement) : a. Le piano humain 53 J’ai utilisé cet effet en exemple précédemment. Voici comment cela se passe : Je commence par enregistrer un échantillon sonore dans la fenêtre session de Live. Une note de voix, de guitare, un paquet de chips, le public hurlant en fin de morceau… Ensuite, sur une piste MIDI (connectée à mon clavier MIDI). Je glisse (très rapidement en live) l’échantillon dans l’instrument virtuel nommé « Sampler ». Je peux maintenant jouer ce sample sur mon clavier. En fonction de la note jouée, le logiciel va transformer la note du sample (le pitcher) pour qu’elle lui corresponde. En fonction du sample enregistré et du jeu désiré, il est possible de jouer en boucle une partie du sample si je reste appuyé sur la touche – sustain (obtenant ainsi une note continue). C’est en de même pour le release (durée d’atténuation du son, une fois la touche relachée). Il est donc possible de créer à partir de n’importe quel son prélevé sur scène d’obtenir un instrument polyphonique à part entière, avec la possibilité 54 de jouer sur son enveloppe « ADSR « (Attack Sustain Decay Release), et donc de lui donner un style et une couleur particulière. b. L’overlooping Cette technique, très simple, consiste à modifier la durée de la boucle enregistrée et donc sa rythmique externe. En la réduisant au minimum, on obtient une note continue (voir chapitre II), pouvant donc être utilisée par exemple en piano humain. En assignant le contrôle de durée de boucle à une pédale MIDI ou une molette, il est donc possible de modifier cette rythmique externe de façon entièrement dynamique et visuelle. c. Quelques autres effets en bref, Afin de ne pas faire une liste complète et absolument inutile des effets numériques, voici ceux que j’utilise le plus en live : La saturation, donc l’intensité est contrôlée par une pédale MIDI. Les delays, dont la durée est calibrée sur le tempo du logiciel (avec en général une rythmique ternaire). Chaque piste peut être envoyée dans le delay en Send via un des potentiomètres du clavier MIDI. La réverbération, dont certains paramètres comme la durée sont contrôlés par un potentiomètre du clavier MIDI. De même, chaque piste possède son propre send avec lesquels je joue. (A noter, la fonction « freeze » de la reverb native de Live permet d’avoir une durée illimitée de réverbération, créant une nappe sonore ayant pour texture le son qui lui est envoyé au moment où là fonction en enclenchée.) La simulation d’amplification guitare, pour donner un son particulier aux guitares électriques, différents sur chaque morceau. Et bien sûr l’égalisation. Mais en Live, je ne modifie ce paramètre qu’en utilisant les fonctions de filtres des égaliseurs. ETC… 55 La plupart de ces effets sont préparés pour chaque morceaux, assignés aux pistes correspondantes et aux contrôleurs MIDI. Je crée une session d’Ableton Live par morceau, ayant ainsi prédéfini ces paramètres, ainsi que des réglages de compression, d’égalisation et de spatialisation stéréo sur chaque pistes, afin de renvoyer à l’ingénieur du son un pré-mixage correct de l’ensemble des samples et de leurs modifications. Comme nous l’avons évoqué, la présence d’instruments MIDI permet de rendre cette étape pleinement interactive entre un geste et l’effet désiré. Et il en est de même pour la structuration même des samples entre eux. Dans ma configuration, chaque sample possède sa propre piste, et donc son propre traitement. Grâce à la surface de contrôle, je peux « muter » (rendre muets) certaines pistes, et aussi les mixer les unes entres les autres, jouant sur leur dynamique. Certains de nos morceaux sont uniquement composés de samples (comme le fameux Voies Sans Issues, où tous les samples proviennent de la voix de Pyv). Je devient alors une sorte de chef d’orchestre qui doit gérer entièrement la structure du morceau. 56 57 Si j’influe en live sur la structure du morceau, sur sa rythmique, sur sa couleur sonore, et si je fais tout cela avec du geste, souvent improvisé, ne suis-je pas un musicien ? Pourtant, je ne produit absolument aucun son, je ne suis qu’un intermédiaire entre le présent et son devenir. Khalid K se sert du sampling pour peindre des décors sonores et musicaux, donc pour créer de la sensation à travers ses tableaux. Matthew Herbert se sert du sampling pour faire une musique dansante, essentiellement rythmique. Mais c’est à travers le choix des sons qu’il enregistre qu’il exprime ses idées. Pyv s’est avant tout servi du sampling pour palier ses lacunes techniques. Mais il voit à travers la répétition de luimême une manifestation de ses propres névroses ou de celles de la société. 58 On ne cesse de nous dire « tout a été fait », que tous les chemins ont été explorés, comme si tout avait été dit. Nous arrivons a un tournant de l’Histoire occidentale où le chemin que semble nous dessiner la société de consommation est fortement remise en question, et ce par de nombreuses couches sociales. Il y a encore peu de temps, on croyait pourtant très fort au développement économique et industriel, car il apportait l’image du confort physique et moral, de l’égalité sociale, de l’avancement technologique, donc d’un monde meilleur et plus doux pour chacun d’entre nous. Mais les crises écologiques et économiques de ces dernières années ont réveillé et légitimé le doute en ces images de développement à outrance. Il y a 10 ou 20 ans, nous nous imaginions en 2008 avec des voitures volantes et des stations balnéaires sur Mars, mais la seule révolution technologique a été Internet, un outil qui permet la communication libre, illimitée et en temps réel entre toutes les régions du monde. Comme si, plutôt que d’avoir trouvé de quoi nous envoler, nous avons trouvé un moyen de nous rapprocher les uns des autres. Ce que fait l’omni-sampler, c’est bien cela : il ne crée rien en soi, et il tourne en rond, il n’est qu’un intermédiaire, un câble sophistiqué entre un son acoustique et les oreilles d’un spectateur. Mais l’omni-sampling est un langage qui parle. 59 Je prélève du présent et m’en fabrique un instrument. Je prélève du présent, et en fait un autre présent. Et c’est de la façon dont je transforme que je fais de la musique et donc ait la possibilité de m’exprimer. 60 - Annexe - 61 Petit historique non exhaustif des samplers qui ont marqués l’histoire du sampling : Lecteur / Enregistreur de bande magnétique audio Ampex 602 (utilisé dans les années 30 et 40) 62 Le Melletron lance la lecture d’une bande magnétique sous la pression d’une touche du clavier (début années 60). Beaucoup de musiciens affectionne cet instrument pour son grain et ses sonorités « vintage » inégalables. Les meilleurs échantillonneurs numériques d’aujourd’hui parviennent à peine à recréer son son ! 63 La Technics SL-1100, utilisée par Kool Herc dans les années 70 C’est sur cette dernière qu’il inventa le DJ’ing ! Le Fairlight CMI, premier sampler numérique (1979), réputé pour son prix exorbitant. Des sons à 16khz par 8bits, chacun pesant au maximum 4 kilo octets ! Vive les 80’s ! 64 Par la suite, de nombreuses firmes ont proposé des échantillonneurs à meilleur marché, proposant des samples avec une meilleure bande passante et une meilleure quantification : Akai, E-mu, Ensois, Kora, Kurzweil, Roland ou encore Yamaha. La plus célèbre et la plus utilisée – notamment en hip-hop – est bien sûr la MPC de Akai : MPC 60 (1987) MPC 5000 (2008) 65 Pour des facilités d’ergonomie et pour un potentiel sans limite, et grâce à la croissance exponentielle de la puissance informatique (vitesse de calcul, espaces de stockage), les samplers sont passés depuis le début des années 2000 sur des systèmes virtuels fonctionnant sur ordinateur. A ce propos, il est à noter qu’avec les ordinateurs embarqués dans ces soisdistantes machine s « hardware » sont aussi compris... les bugs ! Ainsi l’OS de la toute dernière MPC a-t-elle fait bien des surprises aux tristes premiers possesseurs de la nouvelle bête, attendant impatiemment une mise à jour digne de ce nom... A ce prix là (env. 2000 euros), c’est un peu choquant non ? Attention ! Il ne faut pas confondre sampler et synthétiseur. Un sampler utilise des sons préenregistrés tandis qu’un synthétiseur génère des formes d’ondes plus ou moins complexes pour créer un son musical (ou un bruit). Nous ne nous intéresserons évidement ici qu’aux samplers, même si la nombre d’entre eux proposent aussi des fonctionnalités de synthétiseurs… On a donc : 66 Kontakt 3 de Native Instruments Un concept simple : on y incorpore un son – n’importe lequel –. Le logiciel pourra alors, lorsque l’on pianotera sur notre clavier midi, jouer ce son soit en modifiant sa hauteur et son tempo, soit en modifiant sa hauteur en gardant le tempo d’origine, soit modifier son tempo en gardant la hauteur d’origine. Le logiciel possède aussi de puissante fonctions d’effets, d’enveloppe ADSR, et une grosse banque de sons (issus d’enregistrements professionnels ou de synthétiseurs). Dans le même concept, on retrouve aussi : 67 HALion, de Steinberg GURU, de FXpansion Reason, de Propellerhead's LinuxSampler (freeware) MachFive, de MOTU Slicex, de FLstudio 68 69 http://www.lemonsound.com/interviews/1145/Entretien-avec-MatthewHerbert.html Texte original du site de Matthew Herbert : « As for the album, it had become time to make that link with the political role played by my own music in a system I criticise. Music is largely political in two principal ways, either operating separately from the hegemony by offering either an escape or an alternative, or by offering a critique of it. I have come to realize that whilst alluding to my own political discontent in harmony and lyrical metaphor (it was only in the song 'Hymnformation' by Doctor Rockit that I had been explicitly critical of things: chillingly the phrase "we're selling anthrax to our enemies") the time had come to present an overt critique of it. What I find most appealing about this process, is that it can be done without lyrics. Incidentally, the album was also completed without the use of computer plug-ins. Since music is the organisation of noise, the selection and structuring of that noise becomes a metaphor for the organisation of a society. If, as I started out, you are merely sampling the noises from your kitchen appliances it is quite clear that you have nothing better to worry about. If you are sampling the noise of someone dropping cluster bombs on you, the selection is part of the message. Therefore as my imagination has caught up with my worldview, helped in no small way by writers such as John Cage and Jaques Attali, the music on 'The Mechanics of Destruction' has become my forum. I also derived great pleasure from consuming these omnipotent products in ways that they weren't designed for. I didn't drink the Coke, watch the TV or eat the Big Mac. In part then, it's a chance to reclaim these products that have filled the world's landfill sites with non-biodegradable plastics and people's stomachs with less than healthy food. It's also a journey of rubbish, turning shit into music, the temporary into permanence, and the identical into the unique. Whether you actually like the music or not, is an entirely other matter... » 70 l’Annexe des Mots Etranges Voire Inconnus Sampling : Terme générique désignant la discipline de sampler. Sampler : Échantillonner. Prélever. Extraire. Dans ce mémoire, concrètement, cela consiste à enregistrer un bout de son. Sampler : Généralement, machine permettant d’enregistrer une portion de son et de la reproduire. Mais si les samplers ne faisait que ça, ce serait ennuyeux. Certains permettent de jouer en boucle le son enregistré, certains sont physiques (des petites boites en métal avec de l’électronique à l’intérieur), d’autres virtuels (sur ordinateur), certains même ne permettent pas l’enregistrement mais seulement la lecture de samples. Self-sampling : Je l’ai inventé, et j’en suis très fier. Un chapitre est dédié à cette expressions, voire plus haut, merci. Aussi appelé Autosampling. Loop : Boucle, en anglais. Looping : Figure tout à fait charmante d’un avion effectuant une boucle. Ou alors, discipline musicale consistant à looper. Pour de plus amples précisions, se référer au mot “Loop” de cet annexe, et tâcher de faire le lien. Plug-in : Algorithme informatique de traitement sonore. C’est l’équivalent virtuel d’un rack d’effet ou de correctif, comme un égaliseur, une réverbération, une compression... etc permettant de corriger le son, de le façonner, ou bien même de le modifier voooire de le détruire. Matthew ne les aime pas trop trop, il préfère les vrais boutons. Dj’ing : Discipline d’être un DJ. Autrement dit gagner facilement sa vie en enchainant les horreurs qui passent à la radio toute la journée. Ou alors, révolutionner la musique avec le hip-hop ou même inventer un véritable instrument de musique à partir d’une simple machine... C’est selon. 71 MIDI : Heure du déjeuner. Ou alors, Musical Instrument Digital Interface. En informatique musicale, c’est un protocole de communication et de commande permettant l’échange de données entre instruments de musique électronique, un ou plusieurs de ces « instruments » pouvant être des ordinateurs. Assez de citation Wikipédia, pour en savoir plus : http://fr.wikipedia.org/wiki/Musical_Instrument_Digital_Interface 72