Quand le désir d`enfant est là : quelle sexualité pour le couple ?
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Quand le désir d`enfant est là : quelle sexualité pour le couple ?
Quand le désir d’enfant est là : quelle sexualité pour le couple ? Francis Collier Hôpital Jeanne de Flandre, CHRU, Lille mj‐phin@chru‐lille.fr Données classiques de la littérature Diminution de la fréquence des relations sexuelles, attribuée à l’infertilité ou à l’obligation d’une sexualité programmé, voire refus de tout rapport en dehors de la période ovulatoire La raréfaction des relations sexuelles qu’entraîne parfois l’infertilité peut ainsi quelquefois en devenir aussi la cause Expérience délétère pour la sexualité aussi bien féminine que masculine, même si les répercussions ne sont pas identiques d’un sexe à l’autre Conséquences sur la dynamique du couple Travaux plus contradictoires en ce qui concerne la satisfaction vis à vis de la relation de couple et son intimité Czyba J. La sexualité du couple stérile. In Acquisitions récentes en sexologie clinique, Médecine et Hygiène Ed, Genève, 1987 Coëffin‐Driol C, Giami A. L’impact de l’infertilité et de ses traitements sur la vie sexuelle et la relation de couple : revue de la littérature. Gynecol Obstet Fertil, 2004, 32, 624‐37 Questionnaires distribués à des couples en cours de traitement 114 réponses féminines et 101 masculines • • • • • • • Questions rétrospectives sur 3 « temps » : avant le diagnostic d’infertilité / après ce diagnostic / depuis le début de l’AMP Les hommes : + de plaisir + nombreux à penser qu’elle ne s’investit pas assez dans les rapports Les femmes : + volontiers des excuses pour éviter le rapport demande de tendresse + importante + de culpabilisation pensent + que l’infertilité a rapproché le couple auraient souhaité + souvent un soutien psychologique Ohl J et al, Impact de l’infertilité et de l’Assistance médicale à la procréation sur la sexualité Gynecol Obstet Fertil, 2009, 37, 25‐32 Questionnaires distribués à des couples en cours de traitement 114 réponses féminines et 101 masculines les partenaires conservent une bonne communication, une bonne entente de couple et se soutiennent mutuellement le plaisir éprouvé lors des rapports sexuels est peu altéré pas de diminution significative de la fréquence des rapports mais souvent réduction du désir, surtout pendant les périodes de traitement moins de place à la spontanéité, sexualité avant tout conditionnée par le désir de grossesse Ohl J et al, Impact de l’infertilité et de l’Assistance médicale à la procréation sur la sexualité Gynecol Obstet Fertil, 2009, 37, 25‐32 Mécanismes de l’altération de la sexualité Pour les hommes diminution de l‘estime de soi, voire véritable menace pour la virilité sentiments d’anxiété, d’infériorité, de honte et de culpabilité, voire de dépression aggravation par les contraintes de la prise en charge médicale fréquence de la survenue de troubles du désir, de l’érection, de l’éjaculation, voire d’une inhibition totale sentiment d’être exclu de la relation médecin‐patiente hyper investissement dans la surveillance du traitement perte de la spontanéité Mécanismes de l’altération de la sexualité Pour les femmes impact sur l’estime de soi plus important encore nombreux sentiments négatifs volontiers exprimés lors des consultations désir de grossesse devenant obsessionnel, le rapport n’est plus qu’un moyen d’accéder à la grossesse classiquement, incidence de la dépression est plus élevée que dans la population générale, mais notion récemment remise en question * * Brasile D et al, Moderate or severe depression is uncommon in women seeking infertility therapy according to the beck depression inventory. Clin Exp Obstet Gynecol, 2006, 33, 16‐8 Mécanismes de l’altération de la sexualité Étude à partir de questionnaires remplis par des couples infertiles, mais sans groupe témoin 23% des hommes et 32% des femmes présentent un état dépressif 22% des hommes présentent une dysfonction érectile 26% des femmes ont de très mauvais scores au FSFI, dans les domaines du désir, de l’excitation, de l’orgasme et de la satisfaction la qualité de la fonction sexuelle de l’un est toujours le principal facteur déterminant de la fonction sexuelle de l’autre Shindel AW et al, Sexual function and quality of life in the male partner of infertile couples : prevalence and correlates of dysfunction. J Urol, 2008, 179, 1056‐9 Nelson CJ et al, Prevalence and predictors of sexual problems, relationship stress, and depression in female partners of infertile couples. J Sex Med, 2008, 5, 1907‐14 Mécanismes de l’altération de la sexualité Rôle néfaste des rapports obligés à une période donnée : pour la femme, pas d’autre désir que celui d’être enceinte pour l’homme, perception inhibante de cette absence de véritable désir féminin Réactions de l’un ou de l’autre : syndrome dépressif, hyperactivité professionnelle, sportive, associative… Attitude du « fertile » vis à vis de celui qui est considéré comme « responsable » de l’infertilité, de la surprotection au conflit Ambivalence entre le désir d’enfant, et la culpabilité d’avoir ce projet impossible à réaliser avec l’autre Influence déterminante du contexte psychologique de chacun, de l’environnement culturel et familial et de l’ancienneté de la relation du couple. Mécanismes de l’altération de la sexualité Rôle de la durée de l’infertilité Classiquement, la diminution de l’activité sexuelle s’aggrave avec l’ancienneté de l’infertilité Nene UA et al, Infertility : a label of choice in the case of sexually dysfunctional couples. Patient Educ Couns, 2005, 59, 234 Mais « nouvelle » notion : première phase sans conséquence majeure sur la sexualité, puis seconde phase plus délétère, et troisième phase de nouvelle harmonie sexuelle Ohl J et al, 2009 Rôle de l’origine de l’infertilité ??? Qualité de vie des hommes moins altérée que celle des femmes Monga M et al, Impact of infertility on quality of life, marital adjustment, and sexual function. Urology, 2004, 63, 126‐30 « Recommandations » pour les praticiens ? Faut‐il aborder la sexualité lors d’une consultation pour infertilité ? rompre le silence sur le sujet ? éviter l’inquisition mais ne pas s’abandonner à la négligence au moins évoquer l’intimité a minima pour tendre la perche dépister les conflits de couple Faut‐il toujours respecter le « temps d’exposition » ? anticipation de l’infertilité « urgence « de la demande angoisse cachée Peut‐on être un prescripteur silencieux d’examens aux résonances symboliques fortes ? « Recommandations » pour les praticiens ? Savoir conjuguer : dialogue, distance, écoute, empathie, conseil et réassurance Refaire une place à la clinique, notamment masculine, « normalisation sexuelle » Adapter le rythme, trouver le bon tempo Expliquer la prise en charge Adapter l’attitude et le langage Inciter à la préservation de la vie intime Prendre en compte le risque de préoccupation obsessionnelle Au stade de l’AMP • • Le rapport sexuel ne sert plus à la reproduction : de l’improductif à l’inutile, voire au gênant. A l’extrême, deux hypothèses peuvent être imaginées : le couple en crise, en pleine « dépression » sexuelle le couple qui a retrouvé ainsi une nouvelle dimension psychosexuelle Prendre davantage en considération l’aspect sexologique ? Après la prise en charge de l’infertilité… l’AMP réussie n’est sans doute pas un facteur de risque majeur pour l’équilibre du couple, au moins à court terme 367 couples avec grossesses uniques post fiv ou icsi vs 379 couples avec grossesses uniques spontanées interrogés 2 et 12 mois après accouchement (T2 et T12) Pas de différence de la satisfaction vis à vis du couple et sa cohésion Détérioration de la cohésion de couple entre T2 et T12 uniquement chez les témoins (corrélé à la dépression pendant la grossesse) Pour les femmes du groupe AMP, sur le couple, effet positif de la répétition des échecs préalables, mais négatif des avortements spontanés et des grossesses multiples Pour les hommes, effet négatif de la durée de l’infertilité et de la multiparité. Repokari L et al, Infertility treatment and marital relationships : a 1‐year prospecrive study among successfully treated ART couples and their controls. Hum Reprod, 2007, 22, 1481‐91 En cas d’échec de la prise en charge de l’infertilité 39 femmes avec chirurgie tubaire 20 ans plus tôt, 14 sans enfant 48‐60 ans, 12 ont une activité professionnelle 7 séparées et c’est toujours le partenaire qui les a quittées 6 relient leur divorce à l’infertilité 13 ont vu leur vie sexuelle affectée par l’infertilité 9 considèrent que leur désir sexuel est « perdu pour toujours » 11 auraient souhaité un accompagnement à l’époque de la prise en charge de l’infertilité Rôle important, en temps réel, de l’impossibilité d’être grand mère Wirtberg et al, Life 20 years after unsuccessful infertility treatment. Hum Reprod, 2007, 22, 598‐604 Quelques questions pour troubler les sexologues • • • • Conséquences du clivage sexualité/fertilité, déjà initié par la vulgarisation de la contraception, qui pourrait devenir une séparation pure et simple, de par une certaine compétence scientifique : taux de grossesse meilleurs par l’AMP que naturellement droit de préférer l’AMP à l’acte sexuel droit de choisir l’AMP plutôt que la prise en charge sexologique utilité d’être un homme et une femme pour faire un enfant ? Conclusions • • • Développer la collaboration entre : Les gynécologues et les équipes spécialisées dans l’assistance médicale à la procréation Les médecins traitants Les sexologues, psychologues et professionnels de la santé impliqués dans l’accompagnement Créer des structures de recherche en la matière, trouver les moyens pour des travaux d’envergure Revaloriser le « counselling », lutter contre l’hégémonie de l’acte technique