Le personnage légendaire de Zorro

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Le personnage légendaire de Zorro
Le personnage légendaire de Zorro
Document archives du 01/10/2005 - Au fil des ouvrages d'auteurs nord-américains, le bandit Joaquin Murieta devient le libérateur adulé du peuple mexicain opprimé. Il sert de modèle au vengeur masqué qu'Antonio Banderas campe à nouveau au cinéma. Mais, comme toujours, la vérité historique est beaucoup plus floue.
Nom : don Diego de la Vega. Pseudonyme : Zorro (" renard " en espagnol). Profession : oisif la journée, justicier masqué la nuit. A n'en pas douter, ce redoutable bretteur, défenseur
de la veuve et de l'orphelin, fait partie du patrimoine mondial. En à peine un siècle, il a accédé au rang de mythe grâce au cinéma. Douglas Fairbanks (1920), Tyrone Power (1940), Alain Delon (1974), Antonio Banderas (1998 et 2005), et Guy Williams (1958-1959) à la télévision, l'ont immortalisé en incarnant, chacun à sa manière, le bel hidalgo,
champion de la masculinité latine et de la justice.
Seulement voilà : y a-t-il une part de réalité derrière la fiction ? La question a longtemps taraudé les jeunes cerveaux en quête d'idoles. A raison. En remontant aux origines de la légende, on découvre peu à peu des indices qui renvoient à une réalité. Zorro, personnage historique ? Pas vraiment... mais presque.
Le héros apparaît officiellement le 9 août 1919 dans le magazine All-Story Weekly , avec la publication de la nouvelle de l'Américain Johnston McCulley (1883-1958) intitulée La Malédiction de Capistrano . Né à Ottawa, McCulley,pulp magazines , revues populaires éditées en Amérique du Nord qui connaîtront leur heure de gloire dans les années 1930-1940 et
auxquelles le cinéaste Quentin Tarantino rend hommage dans son film : Pulp Fiction . McCulley n'écrit pas moins de soixante-quatre histoires de Zorro pour All-Story Weekly. journaliste et écrivain, est l'un des plus prolixes auteurs de feuilletons qui paraissent dans les jeunes année.
L'histoire qu'il conte prend place en Californie, au début du XIXe siècle. Il y narre les aventures du jeune don Diego de la Vega, fils de riche éleveur de chevaux, qui mène durant la
journée une vie de fils à papa lâche et raffiné, et qui, la nuit venue, revêt un costume et un masque noirs pour faire régner la justice dans la ville de Los Angeles et ses environs. Il est
probable que l'une des influences majeures de l'auteur, à part Robin des Bois né de l'imagination de Howard Pyle en1883, soit le Mouron rouge, personnage créé en 1905 par
la baronne Orczy. Aristocrate anglais, sir Percy de son vrai nom, sauve les nobles français des geôles révolutionnaires au temps de la Terreur. Il offre, en effet, de nombreux points
communs avec Zorro : c'est un noble, apparemment falot, qui se déguise pour narguer la police. Les dates de publication sont trop proches pour qu'il n'y ait là que pure coïncidence.
L'imagination fertile de McCulley s'inspire également de faits historiques. Au début du XIXe siècle, la Californie est bien telle qu'il la décrit, une province du Mexique. Les Espagnols,
arrivés dans la région vers 1530, en prennent possession, même si ce n'est qu'après la guerre de Sept Ans (1756-1763) que la colonisation commence véritablement. Au début du
XIXe siècle, les criollos , descendants d'Espagnols nés dans le Nouveau Monde, sont influencés par les idéaux de la Révolution française et commencent à revendiquer des libertés
économiques, ainsi qu'une autonomie accrue. Miguel Hidalgo (1753 - 1811) et José Marà-a Morelos (1765-1815) sont les héros de cette époque troublée. Après la tentative de conquête de la péninsule Ibérique par Napoléon Ier en 1808, le pouvoir de l'Espagne sur ses colonies américaines tend à diminuer, et celles-ci se mettent à combattre pour leur propre
indépendance. C'est la grande époque de Zorro, qui se poursuit durant toute la guerre d'indépendance du Mexique, de 1810 à 1821, et fera plus de 600 000 morts.
Toutefois, l'homme masqué n'est nullement partisan de l'indépendance de la Californie. Son père, don Alejandro, dont il partage les principes, se montre au contraire soucieux des
risques de guerre civile qui menacent le pays. Il convainc même tous les grands propriétaires de signer un document prouvant leur fidélité au roi d'Espagne. Zorro ne s'oppose donc
pas à la domination espagnole comme on le croit généralement, mais aux militaires retors et aux magistrats véreux qui profitent de leur pouvoir pour s'enrichir. La nuance est de
taille.
En 1821, le Mexique proclame son indépendance et s'installe dans une période d'anarchie pendant laquelle alternent dictatures militaires et brèves présidences civiles. Ce n'est que
le 9 septembre 1850 que la Californie sera admise au sein de l'Union et deviendra ainsi le trente et unième Etat américain. Dès lors, la loi régnera et Zorro ne s'avérera plus indispensable.
Personnage de fiction, il est pourtant (librement) inspiré des " légendes " californiennes de l'époque, et vraisemblablement de la vie du célèbre bandit Joaquin Murieta (1830-1853).
Mais il est difficile de connaître la vérité sur la vie de celui-ci. Depuis que le folklore s'en est emparé, plusieurs bandits prénommésJoaquin ont été répertoriés pendant la même période, charriant chacun son flot de légendes.
Il serait né en 1830 dans la province de Sonora. On raconte qu'à 20 ans, il part avec sa femme Rosita pour la Californie du Nord, où il est embauché dans une mine d'or. Victime de la
xénophobie des Américains, il est agressé et sa femme se fait violer devant ses yeux. Le couple déménage dans un autre comté, où, par la faute de son demi-frère, Murieta est accusé à tort du vol d'un cheval. Un procès populaire est improvisé. Verdict : il est condamné au fouet et son frère est pendu.
Peu de temps après, un mineur impliqué dans le lynchage est retrouvé mort. Un autre est découvert assassiné sur le bord de la route. D'après la rumeur, la vengeance de Murieta est
terrible. Il constitue une bande armée composée de Mexicains. Son bras droit est un redoutable tueur du nom de Manuel Garcia,surnommé Three Fingered Jack (Jack les Trois
Doigts). Le gang terrorise bientôt toute la Californie du Nord. Les hors-la-loi pillent et tuent sans pitié tous ceux qui se mettent sur leur chemin. Certains prétendent qu'en quelques
mois la bande aurait assassiné 300 personnes.
Pour mettre un terme aux expéditions sanglantes de ces redoutables bandits de grand chemin, le gouverneur de Californie, John Bigler, autorise le capitaine Harry Love à se mettre
en chasse. En juin 1853, celui-ci localise les bandits et pénètre dans leur camp à Panoche Pass, dans le comté de San Benito. Murietatente de s'enfuir à cheval, mais il est abattu.
Pour toucher les 6 000 dollars de récompense promis par l'Etat de Californie, Love lui coupe la tête et l'amène aupère Dominic Blaine, qui l'identifie le 11 août suivant. A la fin du XIXe
siècle, au Pacific Museum de San Francisco, moyennant un dollar, on pouvait voir la téte du bandit exposée. Reste à savoir s'il s'agissait bien de l'authentique. Elle aurait disparu lors
du tremblement de terre de 1906.
Apparemment peu de points communs entre Murieta et don Diego de la Vega-Zorro. Membre éminent de l'aristocratie foncière, don Diego est loin d'être un bandit ou un criminel.
Partisan de la légalité, il ne s'en prend qu'à ceux qui se mettent en marge de la loi. Il est en quelque sorte le bras armé d'un pouvoir en sommeil. Il est vrai qu'entre-temps la légende
s'est emparée de Murieta. Dans La Vie et les Aventures de Joaquin Murieta , son roman écrit en 1854, John Rollin Ridge transforme radicalement le personnage. Ridge y dépeint Murieta sous un jour autrement plus favorable et en fait un héros populaire. L'auteur le décrit comme une " nature noble et généreuse [...], actif comme un jeune tigre [...], adoré de ceux qui l'entouraient ". Sous sa plume, le hors-la-loi se mue en libérateur des peuples opprimés, champion de la lutte contre l'injustice sociale et la discrimination raciale qui
touche les Mexicains. C'est somme toute un portrait fidèle de Zorro qui ne porte pas seulement secours aux nobles mais prend également la défense du peuple. Avec une préférence
marquée pour les plus faibles et les exclus : les Mexicains et les Indiens. Le peu d'importance qu'il accorde au rang ou à la race fait du Zorro de McCulley, comme du Murieta de
Ridge, un héritier des idéaux de la Révolution française.
Le truand connaîtra une gloire posthume grâce à l'unique pièce de théâtre du poète chilien Pablo Neruda, prix Nobel de littérature en 1971, Splendeurs et mort de Joaquin Murieta (1967). Trois films seront également tournés sur le vrai bandit héros. Le premier, retraçant sa vie, date en effet de 1919, l'année de la naissance littéraire de Zorro. Celui-ci va
prendre la relève et se tailler à la place de son modèle une réputation universelle. La filiation de don Diego avec Murietaest néanmoins connue et reconnue à demi-mots par les scénaristes. Dans certains épisodes de la série des Studios Disney (1957-1959) apparaissent deux voleurs, les " frères Murieta ", clin d'oeil évident des scénaristes au brigand. Mieux
encore : dans Le Masque de Zorro (1998) avec Antonio Banderas, don Diego,échappé de prison, fait la connaissance d'un jeune bandit nommé Alejandro Murieta, dont le frère a été
assassiné par un certain... Love. Don Diego décide de le prendre en main pour qu'Alejandro puisse à son tour faire revivre la légende du justicier masqué. La boucle est bouclée.
Bien entendu, la réalité du héros n'est pas suffisante pour porter le mythe à elle seule. Elle est renforcée par sa dimension " spirituelle ", créée par l'universalité des attentes et les
espérances d'un public ayant soif de justice. Il incite les gens à ne pas se satisfaire du monde tel qu'il est. Il provoque, secoue, instille de l'énergie. Il indique le chemin vers une vie
meilleure. N'est-ce pas, au fond, ce que nous désirons tous entendre ? De sorte que Zorro a sans doute davantage existé dans l'esprit de nos contemporains que maints rebelles
tombés dans l'oubli, faute de relais médiatique.

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