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 CCHMRD [email protected] 11h58. –
Il vous reste 2 minutes, il faut songer à terminer. Les étudiants tournaient maintenant frénétiquement les feuilles de l’énoncé à la recherche de la moindre question susceptible de rapporter des points. Certains avaient la tête levée, regardant alternativement en direction du surveillant puis de la copie de leurs voisins de gauche et de droite à la recherche de quelque information. D’autres, résignés, regardaient la prof d’un air mauvais en se disant que c’était vraiment une salope. –
L’épreuve est terminée, merci de rendre vos copies. N’oubliez pas d’inscrire votre numéro d’anonymat et de signer la feuille d’émargement. Le signal était donné. Dans un vacarme assourdissant, des centaines de pieds de chaise raclèrent le sol simultanément, des dizaines des feuilles de brouillons furent froissées et d’innombrables stylos et règles tombèrent sur le carrelage. Cet orchestre de musique expérimentale suivait une partition très écrite. Le but était de créer un chaos artificiel pour masquer le plus possible les derniers échanges d’information. Pendant que la prof était occupée devant à recueillir les signatures et les copies, à l’arrière les étudiants profitaient de cet écran de fumée pour confronter leurs résultats et accorder leurs violons sur celui d’entre eux qu’ils sentaient le plus apte à avoir une bonne note. Elle était habituée à ces manœuvres de diversion de fin d’examen et décida d’envoyer un coup de semonce. –
Ne vous gênez pas surtout ! Vous deux, donnez-­‐moi vos noms. –
Mais on n’a rien fait ! Je lui demandais juste son tippex. –
Et pour lui demander son tippex tu as besoin de regarder sa copie ? –
Mais c’est n’importe quoi madame. C’est de l’abus ! –
Mais c’est pas vrai, vous là-­‐bas, vous voulez que je vous aide ? Voyant que la situation commençait à lui échapper, elle prit sa voix la plus menaçante en tentant de couvrir le brouhaha. –
Je vous préviens, le premier que je surprends en train de communiquer a zéro ! C’est là que les choses ont vraiment dérapé. Tout à coup, de manière totalement improbable, une fille au regard assassin lui répliqua sur un ton cinglant. –
Lorsqu’on fait des sujets infaisables il ne faut pas s’étonner que ça arrive. Le calme se fit tout à coup tant la situation était inédite. Tout le monde guettait la réaction de la prof, à l’affut du moindre signe de faiblesse. Celle-­‐ci, déstabilisée, eut une seconde d’hésitation, une seconde de trop. Le vent de la révolte venait de se lever. –
Ce sujet est un véritable scandale ! C’est pas possible, vous avez au moins essayé de le faire avant ? Je suis sûre que vous n’y arriveriez même pas. De toute façon vos examens sont comme vos cours, c’est de la daube, et je reste polie. Vous faites constamment des erreurs dans vos calculs et on dirait que vos transparents datent des années soixante. D’ailleurs, je suis sûre que si je faisais un sondage là maintenant vous seriez élue la pire prof de l’école. Qui pense comme moi ? Quelques uns se regardèrent. La plupart la jaugeaient. Son absence de réaction leur donna du courage. Certains levèrent timidement la main, plusieurs approuvèrent bruyamment « ouai, elle a raison ! », « bien parlé Juliette ! », « on est avec toi ! ». D’autres sifflèrent et huèrent la prof qui se décomposait de plus en plus. –
D’ailleurs regardez ce que je fais de ma copie. Et Juliette saisit sa copie de ses deux mains et la déchira devant le regard médusé de ses camarades. –
Si vous avez des couilles, vous devriez tous faire pareil. On sentit un léger flottement. Visiblement, tous avaient du mal à envisager la destruction de leur travail, même si celui-­‐ci ne vaudrait surement pas beaucoup moins en pièces détachées. Stéphanie Acke profita de ce répit pour essayer de reprendre la main. Elle ne reconnut presque pas sa voix lorsqu’elle cria. –
Stop ! Elle réfléchissait à toute vitesse et évaluait les rares options qui lui restaient. Elle était maître de conférences depuis cinq ans et jamais elle n’avait eu à affronter une telle situation. Elle avait bien senti une évolution dans la mentalité des étudiants mais elle se disait naïvement qu’elle était encore protégée dans le supérieur et a fortiori dans une école d’ingénieur. Lorsque Juliette l’a contactée sur facebook pour devenir son amie, elle n’y a d’abord vu aucun mal. Elle se disait que ces nouveaux outils pouvaient rapprocher les enseignants des élèves à un moment où elle commençait à avoir l’impression de s’éloigner d’eux. –
Juliette, j’ai l’impression qu’il s’agit d’une affaire personnelle. Si tu le veux bien, nous allons en discuter à côté. Les autres en attendant vous vous rasseyez. Romuald, tu les surveilles, je ne devrais en avoir pour longtemps. A son grand étonnement, Juliette parut se calmer. Elle la suivit sans rechigner dans le petit local technique insonorisé à l’arrière de l’immense salle d’examen. Certains lancèrent d’autres sifflets derrière elles, différents cette fois, qui la transpercèrent comme une décharge électrique. De ceux que font les hommes au passage d’une belle femme. –
Assieds toi Juliette on va parler. –
Je crois qu’il n’y a plus grand’ chose à dire. –
Si, au contraire, Je te dois des explications. Elle venait de plonger son regard dans ses grands yeux noirs incandescents. Elle se souvint alors de la première fois qu’elle éprouva cette sensation de chute. L’impression d’être irrésistiblement attirée dans l’abîme de quelqu’un d’autre et de ne plus rien maîtriser. Le temps n’eut tout à coup plus la même dimension. Les secondes semblèrent s’étirer pour devenir des minutes puis des heures, comme dans un sommeil paradoxal. Elle était sûre d’approcher d’une fin car elle revit tout à coup se projeter clairement devant ses yeux le film de sa vie, depuis sa rencontre avec Juliette. Stéphanie était prof de physique nucléaire dans une école d’ingénieur strasbourgeoise. Elle adorait son métier et s’y consacrait à 150%. Le métier d’enseignant-­‐chercheur était particulier. En théorie, la première moitié du temps devait être consacrée à l’enseignement et l’autre à la recherche. En pratique, elle était passionnée par la physique et passait la plupart de son temps au laboratoire. Dans son domaine, elle était déjà connue malgré son jeune âge. A seulement 33 ans, elle avait un dossier de professeur des universités et seul son manque d’ancienneté la retenait de demander une promotion. Lorsqu’elle n’était pas au labo, elle sillonnait la planète, invitée à présenter son travail dans les conférences scientifiques ou pour participer à des jurys de thèse. L’enseignement n’avait jamais été sa priorité. Elle avait la chance d’enseigner les matières de sa recherche. Mais pour les étudiants c’était plutôt une malchance. Pensant parfaitement maîtriser le sujet, elle préparait très peu ses cours. Elle improvisait souvent des démonstrations ambitieuses au tableau qui finissaient par se planter à cause d’une erreur de signe à la première équation. Elle avait conscience de ses lacunes mais n’était pas prête à sacrifier plus de temps à l’enseignement. Elle voyait certains de ses collègues complètement submergés par des tâches de gestion d’emploi du temps, d’encadrement de projets, engagés dans de vastes réformes de maquettes pédagogiques, occupés à monter des dossiers d’ouverture de nouvelles filières ou encore testant de nouvelles approches pédagogiques basées sur les nouvelles technologies de l’information. Elle avait décidé de se tenir bien à l’écart de ce gouffre chronophage. Son truc à elle c’était la science. A force de persévérer dans cette voie, elle avait acquis une certaine réputation au sein de l’établissement. Auprès des étudiants d’abord qui avaient fini par en faire un personnage central du club sketch. Sa représentation annuelle remportait un franc succès. Toute l’école s’y pressait, y compris une partie du corps enseignant. Le clou du spectacle était invariablement une parodie du cours de Stéphanie. A sa manière elle était une vedette. Certains collègues qui n’avaient jamais été parodiés en étaient presque jaloux. Elle par contre se serait volontiers passée de ce genre de notoriété. Elle boudait d’ailleurs avec une remarquable constance toutes les représentations. Mais un jour, alors qu’elle faisait une recherche sur internet, elle tomba sur la page web du club. Elle ne put s’empêcher de cliquer sur le lien du conducteur du spectacle. Presque immédiatement elle regretta son geste. Le texte était à la fois léger et assassin. Il la blessa profondément. Malgré une retenue de rigueur, les mots étaient cruels et faisaient systématiquement mouche. Elle s’imagina tout l’amphi s’esclaffant à chaque réplique, de ce rire moqueur qui se nourrit du ridicule d’autrui. Elle avait beau puiser dans ses ressources d’autodérision, cela ne lui était d’aucun secours : c’était allé trop loin. Juliette était la présidente du club sketch cette année. Juste après avoir cliqué sur le bouton « envoyer » du mail qu’elle venait de lui rédiger à chaud, sous l’emprise de la colère, elle savait qu’elle venait de commettre une grossière erreur. Elle connaissait pourtant les pièges des messages électroniques et en particulier les dangers liés à leur instantanéité qui avait tendance à laisser passer toutes les réactions épidermiques là où la lenteur du courrier papier agissait comme un filtre à énervement. C’est pourquoi elle fut surprise de recevoir en retour une invitation facebook. Au point où elle était, elle accepta sans réfléchir. Elle avait créé son compte facebook par pure curiosité. Elle ne comptait que 3 amis : sa sœur, et ses deux cousins canadiens. Quelque part, il était le reflet assez fidèle du désert de sa vie sociale. A peine dans sa liste d’amis, Juliette sollicita une conversation par messagerie instantanée. Elle cliqua sur le bouton « Accepter » dans la fenêtre qui venait de surgir sans savoir très bien de quoi il s’agissait. –
Bonsoir madame –
Bonsoir Juliette –
Je suis actuellement au brasseur avec des amis du club. Acceptez-­‐vous de vous joindre à nous ? Stéphanie était complètement prise de court. Elle répondit d’abord qu’elle n’était pas disponible mais se ravisa juste avant de valider. Elle savait que son hésitation serait interprétée à l’autre bout. Alors, comme d’habitude lorsqu’elle hésitait, elle privilégia l’action. –
Ok, j’y serai dans une vingtaine de minutes –
Génial ! Pour nous faire pardonner, vous êtes notre invitée Le brasseur, c’était le lieu de rendez-­‐vous de la jeunesse estudiantine strasbourgeoise depuis des générations. On y servait de la tarte flambée bon marché à toute heure. L’endroit ne payait pas de mine mais était bondé tous les soirs et l’alcool y coulait à flot. Il était situé pile à mi-­‐chemin entre le campus universitaire et le centre-­‐ville, tout près de l’un des RUs les plus fréquentés. Les plus de 30 ans y étaient rares. Stéphanie n’y avait plus mis les pieds depuis une décennie. En poussant la porte, elle s’aperçut que rien n’avait changé. Tout à coup, en même temps que l’ambiance survoltée de l’endroit, une bouffée de souvenirs lui remonta à la figure. Elle était avec Nico, 11 ans plus tôt. Il venait de lui offrir un fond de gobelet de bière et son plus beau sourire. Elle savait déjà qu’elle ne pourrait plus jamais oublier ce regard. Il l’avait emmenée juste à côté, sur un banc posé sur les quais de l’Ill, à l’abri de deux saules pleureurs. Il avait sorti une bouteille de champagne de son sac et posé les écouteurs de son baladeur sur ses oreilles. A la dernière mesure du boléro de Ravel, il l’avait embrassée. Puis ils avaient trinqué à cet amour qui commençait. Et là, le verre s’était brisé. Leur histoire avait duré quatre mois. Elle n’avait jamais compris pourquoi il avait fait ça. Ils devaient partir à Paris en amoureux. Juste avant, il lui avait annoncé que c’était fini. Ce jour-­‐là elle comprit pourquoi l’amour était représenté par un cœur. Et aussi pourquoi il était traversé d’une flèche lorsqu’il était brisé. La douleur dans sa poitrine fut si intense qu’elle marcha pendant des heures dans les rues de la ville en pensant qu’elle pourrait dissoudre le mal dans la foule anonyme. Mais seul le temps l’atténua. Aujourd’hui elle savait qu’il suffisait d’un déclic pour réveiller ces vieilles cicatrices, comme remettre les pieds au brasseur. Elle vit une tablée au fond d’une alcôve où on lui faisait de grands signes. Elle reconnut ses étudiants. Ils se poussèrent sur le banc pour lui faire une place. La table était déjà encombrée d’un maquis de verres presque vides et l’alcool avait manifestement déjà produit ses effets désinhibiteurs. –
C’est vraiment cool d’être venue. Qu’est ce que vous prenez ? Ils font une soirée japonaise. Il y a une formule saké chaud et tarte flambée. On en a pris, ça vous dit ? –
Va pour le saké chaud. Elle avait décidé que ce soir elle ne contrôlerait plus rien. Facteur aggravant, elle avait appris à bien apprécier le saké chaud à l’occasion de ses nombreux déplacements au Japon. Au début, la discussion fut très convenue, voire gênée. Ils lui firent leur sketch d’enfant sage en tentant de faire amende honorable. Mais elle n’était pas dupe et restait sur ses gardes. Elle connaissait visiblement bien moins ses étudiants que eux semblaient la connaître. Lorsqu’elle faisait cours à un amphithéâtre de 100 personnes, elle percevait la salle comme un bloc compact et les individualités s’estompaient. Seuls quelques visages accrochaient le regard et elle finissait par ne s’adresser plus qu’à eux. Visiblement, soit ceux-­‐là ne venaient pas en cours, ou alors ils faisaient partie de sa masse anonyme. Au début elle ne la remarqua pas car elle était assise à l’autre bout de sa rangée. A la faveur d’un réarrangement des places suite à une expédition groupée aux toilettes, elle se retrouva à côté de Juliette. L’alcool de son deuxième saké commençait sérieusement à saper tous les remparts de sa retenue. L’un des garçons assis en face d’elle qui se faisait appeler Lapinou tentait ostensiblement de la draguer. Elle avait enfermé depuis longtemps sa beauté sous un carcan de sagesse. Ses magnifiques cheveux châtains étaient soigneusement domestiqués, attachés en une queue de cheval qui tombait bien droite sur son dos. Des lunettes carrées à monture épaisse cachaient les mystères de son regard bleu. Jamais de jupe ni de robe, toujours des pantalons. Pour couronner le tout, les couleurs de ses vêtements relevaient de la monomanie : uniformément, invariablement bruns ou beiges. Mais ce déguisement qu’elle avait construit pour se protéger ne lui était d’aucun secours ce soir. Habituellement, sa fonction servait d’ultime rempart. Mais il était clair qu’elle se trouvait en pleine zone démilitarisée où les règles habituelles n’avaient plus cours. –
Est ce que je peux vous poser une question indiscrète ? –
Essayez, on ne sait jamais. –
On se demandait quelles étaient vos passions à part la physique … Elle resta en arrêt quelques secondes tant la question était lourde de sous-­‐entendus. En temps normal, elle aurait surement éludé, au risque d’entretenir le mythe de la prof asociale mariée à la Science avec un grand « S ». Mais là, c’était « no limit ». Elle lâcha les brides. –
Puisque c’est le jeu de la vérité, si je réponds à votre question vous répondrez aussi à la mienne ? –
Ca marche ! –
Alors oui, j’ai une autre passion en dehors de la physique. J’ai développé un goût prononcé pour l’histoire et en particulier pour la période 1870-­‐1930. –
Intéressant mais pouvez-­‐vous nous en dire un peu plus ? Qu’est ce que cette période a de si extraordinaire ? –
Est ce que vous connaissez l’art nouveau ? L’art déco ? –
Pas trop, c’est comme de l’art moderne ? –
Non, ce sont des mouvements artistiques qui ont influencé respectivement la fin du 19e jusqu’au tout début du 20e siècle pour l’art nouveau et les années 20 et 30 pour l’art déco. Vous seriez étonnés de constater la puissance créative des artistes de ces époques. Vous pouvez encore en trouver des traces un peu partout dans le monde actuellement, à condition que vous sachiez observer. Notre belle capitale compte parmi les plus beaux joyaux de l’art nouveau : le grand palais et ses dentelles d’acier et de verre en sont des incarnations architecturales grandioses. A une échelle plus petite, les entrées de métro décorées par Hector Guimard sont connues dans le monde entier. Allez visiter le musée du petit palais et vous découvrirez les magnifiques bijoux Lalique. Vous y verrez aussi, bien en évidence, les fantasques meubles sculptés d’un savernois nommé François-­‐
Rupert Carabin. Si vous allez à Miami et que vous vous promenez sur « ocean drive », la route longeant la fameuse plage, vous pourrez admirer une série d’immeubles fantastiques de style art déco. A propos de l’Amérique, connaissez-­‐
vous l’histoire du paquebot Normandie ? –
C’est celui avant le France ? –
Pas du tout. Le paquebot « Normandie » était dans son intégralité un hommage flottant à l’art déco. Il effectua sa dernière traversée en août 1939 et resta à quai à New York après l’entrée en guerre de la France. Les USA le réquisitionnèrent et voulurent le transformer en navire de transport de troupes. Ils commencèrent à démonter toute la décoration intérieure. Ils se comportèrent en véritables vandales mais l’époque n’était pas à l’appréciation des choses artistiques. La belle ne se laissa pas faire et préféra la mort à la déchéance. Un incendie se déclara à bord et il coula à quai en se couchant sur le flanc. C’était la fin de l’un des plus beaux paquebots transatlantiques et on avait l’impression qu’avec lui mourrait l’art déco. Juliette n’avait pas prononcé une seule parole depuis que Stéphanie était arrivée. D’abord indifférente, elle s’était tournée vers elle et la considérait maintenant avec un regard étonné. Les garçons arboraient un air moqueur en pensant que décidemment leur prof était complètement barrée. –
J’ai répondu à votre question, à mon tour maintenant. Que comptez-­‐vous faire de la vidéo que vous venez de filmer avec votre iphone ? Lapinou faillit lâcher son smartphone. Il l’avait posé négligemment sur la table, à l’équilibre sur sa tranche, l’œilleton de la caméra intégrée pointé vers Stéphanie. Juliette prit la parole à la place de son camarade qui restait interloqué. –
Il n’en fera rien du tout, n’est ce pas Lapinou ? –
Euh, oui … bien sûr que oui. Je l’efface. –
Merci Lapinou. J’ai moi aussi une petite question, vous permettez ? –
Je vous en prie. –
Croyez-­‐vous en l’amour ? Ces mots la percutèrent en pleine face comme une volée de gifles. Tout à coup, le monde parut se figer dans un grand silence. Il n’y avait plus que ces yeux noirs intenses, grands ouverts d’un côté sur la vie et de l’autre sur le feu intérieur que son corps avait du mal à contenir. Ils semblaient l’aspirer irrésistiblement et elle ne luttait pas, car elle connaissait ce chemin par cœur. –
Madame Acke, tout va bien ? –
… oui … oui ça va aller Juliette. Tu … enfin … vous disiez ? –
Non, rien d’important. Je propose qu’on bouge d’ici. Il y a une soirée au caveau ça vous dit ? –
Je vais vous laisser… –
Non, venez avec nous, vous allez voir c’est marrant. Il suffit juste que vous vous changiez un peu pour avoir l’air d’une étudiante sinon ils ne vous laisseront pas rentrer. J’ai des fringues chez moi, on y passe vite fait, c’est à deux pas. On se retrouve là-­‐bas les garçons ? –
Ok, à toute. Il y a des moments comme ça dans la vie où on a la certitude de s’engager dans un chemin qu’on sait miné, parsemé de douleurs, d’angoisses, de déchirements. Mais on y va quand même. C’était exactement le sentiment qu’éprouvait Stéphanie à ce moment-­‐là et ce n’était pas la première fois. Juliette lui ouvrait la voie et elle la suivait comme sous l’emprise d’un charme puissant. Dans la rue, elle alluma une cigarette. Stéphanie accepta celle qu’elle lui proposait bien que sa dernière remontât à plusieurs années. De la cathédrale toute proche, émanaient les coups graves et lents de la cloche de 22 heures. Ils occupaient tout l’espace sonore et rappelaient aux bourgeois qu’il était temps de rentrer chez eux. –
Tu sais Juliette, je ne vais pas aller au caveau. Je connais cet endroit, je le fréquentais étant étudiante. Je n’ai pas spécialement envie de faire un voyage dans le temps. –
Ok, pas de problème, on n’a qu’à faire autre chose. Je peux te tutoyer ? Je veux dire juste pour ce soir, ça sera plus simple. Après je rebascule en mode vouvoiement, promis. –
Juste ce soir alors. –
J’ai été fascinée lorsque tu nous as parlé de ta passion. J’ai lu dans tes yeux quelque chose que je n’avais jamais vu jusqu’à présent. Une flamme, quelque chose de sincère, de vrai. Ca change tellement de toutes les conneries des gens de mon âge. Ah bon ? Pourtant j’ai l’impression que tu as beaucoup d’amis et qu’ils t’apprécient. –
C’est que tu n’as pas bien regardé. En surface c’est comme tu dis. Mais dès qu’on gratte… Les garçons n’ont qu’une seule idée en tête : me mettre dans leur lit. Quant aux filles, elles passent leur temps à se demander ce que les garçons me trouvent. –
La beauté a ses inconvénients… –
Ouai, je sais ce que tu penses, genre « pour qui elle se prend la môme, elle se la pète grave ». Mais tu sais, à l’âge où la principale préoccupation des garçons est de trouver un endroit sympa où libérer leur sperme et celle des filles de savoir comment dire oui tout en ayant l’air de dire non, en général les discussions ne volent pas très haut. Moi j ‘en ai rien à foutre de tout ça. Il n’y a qu’un seul gars qui a su atteindre les couches basses de mon cœur et il est homo. Tu vois, ça prouve bien ce que je te dis. –
On fait quoi alors ? –
J’aimerais que tu me parles encore de ta passion. Ensuite, je te ferai une surprise. –
D’accord, mais pour ça il faut que je te montre quelque chose. Il faut qu’on aille à mon bureau. –
Go ! L’institut de physique était situé sur le campus historique, construit par les allemands juste après 1870. Le bâtiment était majestueux. A l’époque, l’occupant voulait impressionner les alsaciens qui restaient dans l’ensemble récalcitrants et dont le cœur était résolument acquis à la France. Stéphanie approcha la poche de son manteau du lecteur et le transpondeur glissé dans son portefeuille déverrouilla l’immense porte d’entrée dans un bruit de buzzer. A l’intérieur tout était calme et sombre. Elle venait souvent travailler ici le soir et elle était toujours frappée par le contraste avec la journée, grouillante d’étudiants. C’était comme si la nuit, le bâtiment centenaire se réveillait et que les fantômes des 140 générations d’étudiants qui s’y sont succédées hantaient silencieusement les couloirs. –
Attends-­‐moi ici j’en ai pour deux secondes. Elle sortit de son bureau avec une clé d’un autre âge à la main. –
On va où ? –
Au grenier, suis-­‐moi. Le bâtiment avait eu à subir plusieurs couches de rénovations successives depuis sa construction. Pendant la période française – à partir de 1918 avec un court intermède de 1940 à 1945 – seuls des travaux essentiels avaient été entrepris, l’université ayant toujours été un parent pauvre de la république. Après avoir gravi le dernier escalier étroit menant sous les toits, il était clair qu’elles pénétraient tout à coup dans un autre siècle. Au fond d’un long couloir mansardé pointait une petite porte dont le coin supérieur était tronqué pour épouser la pente du toit. Stéphanie y glissa la clé et fit coulisser la serrure, non sans mal. L’interrupteur était du type rotatif, il commandait l’allumage d’une unique ampoule suspendue surmontée d’un abat-­‐jour en métal émaillé projetant une lumière jaune blafarde. Elles étaient dans une réserve sous les toits. L’espace était rempli de veilles armoires à portes vitrées où s’alignaient des collections de vieux grimoires. Stéphanie ouvrit les battant de l’une d’elle et sortit un lourd volume dont la tranche n’indiquait qu’un titre et une date : « La Nature », 1919. –
C’est une revue scientifique généraliste, l’ancêtre du magazine « La recherche ». Regarde ce qui est caché entre ses pages, j’ai tout laissé exactement comme je l’ai trouvé. –
Des lettres ? –
Oui, des lettres d’amour d’il y a près d’un siècle. –
On sait qui c’est ? –
Non, mais c’était probablement un enseignant car sinon il n’aurait pas eu accès à cet ouvrage. –
Lis celle-­‐là, tu comprendras mieux. Juliette parcourut le papier jauni par les années où tourbillonnaient des lignes de mots fougueux tracés à la plume. Tout en lisant, l’expression de son visage vira en quelques instants de la curiosité à l’incrédulité en passant par le doute et l’amusement. –
C’est dingue ! –
Oui, il fallait qu’il soit complètement aveuglé pour ne pas comprendre. –
Mais pourquoi cachait-­‐il les lettres ? –
Il était marié. –
Ah d’accord, je comprends mieux. –
Regarde, il y a aussi une photo. –
Effectivement, c’était torride ! Je comprends pourquoi il mettait tant de soin à planquer ça. –
Je suppose qu’elle avait accumulé assez d’éléments compromettants pour faire exploser sa vie. Elle en avait fait son jouet, sa chose. Lui était comme un chien qui reste docile malgré les coups de son maître. –
Quand on voit le corps de rêve qu’elle avait, on peut presque le comprendre. –
Je t’ai gardé le meilleur pour la fin. C’est là, regarde. –
C’est pas vrai ! –
Et si… –
Mais je croyais que les filles ne faisaient pas d’étude à cette époque ? –
Il y en avait quand même quelques unes. C’était des pionnières. Elles devaient se battre deux fois plus que les garçons. Et parfois, elles étaient tentées d’utiliser leurs atouts, ce qu’on peut comprendre étant donnée la phallocratie ambiante. Ils se servaient de ce livre comme d’une boîte aux lettres. Je suppose qu’il lui en avait accordé l’accès exclusif sous un prétexte tout à fait louable. Peut-­‐être lui avait-­‐il donné la clé de son bureau ou de son armoire. Il y a là toute leur correspondance, classée par ordre chronologique. –
Et ça finit comment ? –
Probablement mal pour lui. Pour elle, je ne sais pas. Dans sa dernière lettre, il lui écrit qu’il a de la fièvre et qu’il ne pourra pas venir à leur rendez-­‐vous habituel. 1919 fut l’année de la grande pandémie de grippe espagnole qui a fait plus de victimes que la guerre qui a précédé. J’ai supposé qu’il a succombé à cette maladie car la correspondance s’arrête brutalement après ça. Tu vois, cette histoire me touche énormément car ces deux-­‐là sont morts depuis longtemps et pourtant leur histoire est encore toute chaude entre les pages de ce livre. Quand tu regardes cette photo, tu imagines l’énergie bouillonnante de vie qui animait ce petit bout de femme. Elle a peut-­‐être réussi une carrière brillante ou alors elle a aussi été emportée par les aléas de la vie. Peu importe, ce qu’ils ont vécu leur appartient pour l’éternité. Mais ce flash de vie a laissé des traces qui parviennent –
jusqu’à nous presque intactes et réussissent encore à nous pénétrer profondément. –
Vite fait alors. Moi je vois surtout un pauvre gars qui se fait mener en bateau par une allumeuse. –
Peut-­‐être, mais ils ont pris énormément de risques. A cette époque, ce genre d’aventure se méritait. Ne les juge pas. Ils avaient chacun leurs raisons d’agir de la sorte. Mais ce qui est certain, c’est qu’ils ne se sont pas ennuyés. Pendant ce laps de temps qui n’a duré que quelques mois, ils ont sans doute vécu l’équivalent de plusieurs vies ordinaires. Pour moi, c’est ça qui est remarquable. –
Oui, je comprends. –
Tu sais, parfois je me demande si je n’ai pas vécu à cette époque, dans ma vie d’avant. J’ai l’impression que les personnages et les choses de ces années folles me parlent plus qu’à d’autres. J’ai la sensation bizarre de capter leurs vibrations, comme si le temps n’existait pas. La première fois que ça me l’a fait c’est en visitant la galerie de paléontologie du muséum d’histoire naturelle à Paris. Le bâtiment n’a pratiquement pas changé depuis sa construction. Lorsque j’ai entendu craquer les lattes du plancher ancestral sous mes pieds, il s’est passé quelque chose. C’est difficile à décrire, c’est un peu comme quand on pense à un amour perdu. On sent un vide, là, au milieu de la poitrine. –
Moi cette époque-­‐là ne me parle pas du tout. Je ne pourrais même pas imaginer ma vie sans internet et sans portable. Au fait, à propos de bâtiments ancestraux, j’ai aussi une petite surprise pour toi. Je te laisse ranger. On se retrouve en bas, je vais fumer une petite clope. Sur le trottoir de la rue de l’université, Juliette prit la main de Stéphanie ce qui la fit sursauter. –
Ferme les yeux, laisse toi guider, ce n’est pas loin. Encore grisée par les effets du saké, Stéphanie se prêta au jeu sans chercher à résister. Par cette connexion, elle sentit la sève vitale de la jeune femme déferler en elle en réveillant au passage des sentiments refoulés depuis des années. Pour oublier son trouble, elle essaya de reconstituer mentalement le trajet. Malheureusement, à cette heure tardive les repères sonores étaient peu nombreux et elle perdit rapidement le nord. –
Attention, va doucement, il y aura quelques marches. La température venait de changer brutalement. Elles étaient entrées dans un bâtiment. Il y avait une odeur prononcée d’huile de moteur. Des bruits de machines, continus et sourds, défilaient juste à côté de ses oreilles. Il y eut encore des marches, le vacarme s’estompa pour faire place à un silence de cathédrale tandis que l’atmosphère devint de plus en plus chaude et humide. –
Tourne-­‐toi comme ça. Tiens-­‐toi prête : un, deux, trois … ouvre les yeux ! –
Waou ! Je m’en doutais, j’avais reconnu l’odeur de javel. Mais comment as tu fait pour nous faire rentrer ? –
Facile, le vigile est un copain. Plutôt cool pour un boulot d’étudiant, mais c’est rare qu’il se passe grand’chose à la piscine du boulevard de la victoire. Alors de temps en temps il laisse entrer des amis pour rompre la monotonie. –
J’adore cet endroit. –
Moi aussi. Mais peut-­‐être pas pour les mêmes raisons. Les bains municipaux strasbourgeois constituaient un remarquable ensemble architectural art nouveau. Marbre, vitraux, moulures, frontons de portes et plafonds richement décorés, sculptures, gargouilles, douches d’époque en cuivre à la robinetterie exubérante; cette piscine était un musée. Stéphanie venait souvent s’y détendre. Mais jamais elle n’avait eu cet endroit pour elle toute seule. Elle savourait. Elle fut tirée de sa rêverie par un clapotis. Du point où Juliette avait fendu la surface parfaitement lisse du bassin, s’éloignaient lentement des ondes circulaires concentriques. –
Tu viens ? Elle est bonne ! –
Mais je n’ai pas de maillot. –
Moi non plus. On n’en a pas besoin. Allez viens ! –
Et ton copain vigile ? –
Il est gay, je crois que je t’en ai déjà parlé. –
Bon, si il est gay … Ses protestations avaient été purement formelles. Dans le fond, elle savait que le cours de cette soirée était déjà écrit quelque part. Elle était comme un enfant qui s’émerveille à chaque nouvelle lecture de la même histoire comme si c’était la première fois. Elle connaissait la fin par cœur mais tentait de ne pas y penser. A la place, elle s’efforçait de retenir le plus longtemps possible les minutes qui l’en séparaient. Si elle avait pu, elle aurait arrêté le temps, là, à ce moment précis où leurs corps nus se sont frôlés sous la surface de l’eau. Tout à coup, la légèreté de la situation se transforma en gravité. On entendait encore les éclats de rire de Juliette résonner sous l’immense voute, puis ce fut le silence. Elles se faisaient face. Elles restèrent comme ça sans bouger, émerveillées par la magie de l’instant, profitant de ce moment de grâce qui précède une tempête annoncée. C’est Juliette qui s’approcha la première. Puis, comme une particule rentrant dans le rayon d’attraction d’un aimant, Stéphanie se laissa capturer. Leurs corps ne firent plus qu’un. Elles étaient en apesanteur, tournoyant dans l’eau. Lentement, leurs lèvres se rejoignirent. Alors, comme si elle venait de traverser un long désert brulant, Stéphanie but l’eau de sa bouche à pleines gorgées, jusqu’à l’étouffement. –
Steph, on fait quoi là ? Elle venait d’émerger, tirée de sa rêverie par le chahut des étudiants que Romuald avait du mal à contenir et par le regard foudroyant que Juliette venait de lui jeter. –
Tu te souviens de notre première nuit ? –
Evidemment c’était il y a quinze jours. –
Il y avait ton mac sur le bureau. Son disque faisait du bruit, il m’empêchait de dormir. Je me suis levée pour le mettre en veille. Tu dormais profondément alors j’ai pris l’ordinateur et je suis allée dans la pièce à côté. Il était protégé par un mot de passe mais je n’eus aucun mal à le deviner. –
Attends, c’est pas du tout ce que tu crois, laisse moi t’expliquer… –
Non, ne dis rien s’il te plait. Je sais tout. En fait je crois que je le savais dès le début. Tu sais, lorsqu’on a une vie comme la mienne, on développe certains talents insoupçonnés. Ma troisième passion, c’est l’informatique, tendance underground. Mon twitter à moi, c’est les canaux IRC et les listes de diffusion. Mon facebook, c’est les newsgroups, comme tout bon hacker qui se respecte. J’aurais peut-­‐être dû t’en parler avant, on aurait pu éviter tout ça. Franchement, la prochaine fois évite d’utiliser spycam, ce logiciel est complètement buggé, ce qui provoque inévitablement l’affolement du disque dur au bout de quelques heures d’enregistrement. Certes, il ne commet pas l’erreur d’allumer la LED à côté de la webcam lorsqu’il enregistre, comme Funcam par exemple, mais il manque néanmoins cruellement de discrétion ce qui peut s’avérer gênant dans une chambre, la nuit. –
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Mais tu ne comprends pas, c’était pour moi cette vidéo ! Jamais elle ne serait sortie de cet ordinateur. Ca, j’en suis sûre. J’avais tout fait pour. Tu sais ce que c’est un keylogger ? Non ? C’est un petit programme qui intercepte tout ce que tu tapes au clavier. Périodiquement, dès que l’ordinateur se connecte à internet, il envoie discrètement tout ce qu’il a capté sous forme de mail à un destinataire que tu peux programmer. Il m’a suffi d’un clic pour télécharger et installer ce logiciel sur ton mac. Je te laisse deviner à qui il envoyait ses mails … C’est dégueulasse ! Oui, ce que tu voulais faire c’était vraiment dégueulasse. Au début je ne voulais pas y croire. Je me disais naïvement que tu étais collectionneuse et que tu avais filmé nos ébats pour te souvenir à quel point la jeunesse est futile. Mais tous les jours mon fidèle keylogger m’assurait du contraire. Tel un bon petit soldat, il m’informait de toutes tes manœuvres. J’ai ainsi pu lire tous tes twitts, ceux où tu te vantais auprès de tes amis d’avoir mis ta coincée de prof de physique dans ton lit. Puis, j’ai lu tes messages facebook. J’en ai profité pour intercepter ton mot de passe. J’ai pu intervenir juste avant que tu ne postes une photo de moi prise en douce à la piscine par ton copain « gay ». Tu ne t’étais encore rendu compte de rien. C’est lorsque tu as tenté de télécharger la vidéo sur youtube que je suis intervenue. J’ai effacé le contenu de ton disque dur à distance et pris le contrôle de tes comptes facebook et twitter. Evidemment, ce que j’y ai écrit ne t’a pas plu. Mais c’était sous le coup de la colère et je regrette maintenant. J’aurais dû me maîtriser. Qu’est ce que tu veux ? Que chacune retrouve sa place. A partir de maintenant tu recommences à me vouvoyer. Je conserve tes données personnelles en garantie. Je ne voudrais pas que les images stockées dans le téléphone du gars de la piscine se retrouve un jour sur internet. Je compte sur toi pour qu’il les efface définitivement. Enfin, laisse moi calmer la bande d’excités là-­‐dehors sans rajouter de l’huile sur le feu. Ok ? En fait je me suis complètement plantée sur vous. Je vous prenais pour une handicapée de la vie mais en fait je ne vous connais pas. Ca te servira de leçon. Et à moi aussi d’ailleurs. Mais ne crois pas que je regrette. J’ai toujours été sincère et cette histoire fait désormais partie de moi. Dans mon cœur, il y aura toujours une place pour mon amour 2.0. Et en disant cela, elle approcha doucement ses lèvres tout en plongeant profondément son regard bleu dans le brasier de ses yeux noirs. Juliette amorça un mouvement de recul. Un ange passa l’espace d’une demi-­‐seconde. Elle tentait de résister mais sentait en même temps sa volonté s’effondrer comme un château de cartes. Vaincue, elle finit par céder et rejoignit Stéphanie dans une étreinte où pour la première fois elle ne maitrisait plus rien. Cette petite fable m'a été inspirée par l'actualité: "Aux Etats-­Unis, l'Etat de Virginie s'apprête à prendre des mesures drastiques interdisant à ses enseignants de parler à leurs élèves sur Facebook, par SMS ou en messagerie instantanée." Le Monde, 11.01.11 J'avais imaginé une fin très politiquement correcte, avec une moralité bien puritaine du genre "Avec tes étudiants, nul commerce charnel tu n'entretiendras". Et puis, en relisant les dernières lignes ce soir, je me suis dit que finalement une fin amorale, ou au moins ambigüe, avait quand même plus de gueule. Donc aux oubliettes la morale qui enferme les rêves, entrave les coeurs et nous fait oublier que la vie est courte. Néanmoins, à l'attention de ceux qui seraient tentés de s'abandonner à cette pente délicieuse, j'oserais prodiguer un petit conseil de bon sens : "Pour vivre heureux, vivons cachés, plutôt 2.0 fois qu'une."