Introduction1 1. La philosophie ne peut pas se passer d`une

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Introduction1 1. La philosophie ne peut pas se passer d`une
Editions Hatier
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Introduction1
Une philosophie ne peut ignorer la portée des découvertes sur le clonage, ou la nature des méthodes utilisées par les
sciences humaines pour classer les comportements humains.
Les sciences désignent les différentes formes d’une connaissance obtenue par la rigueur du raisonnement et, le plus
souvent, l’expérimentation ; une philosophie qui prétendrait se passer d’une réflexion sur les sciences se
désintéresserait donc du problème même de la vérité − ce qui est en soi paradoxal.
Toutefois, de quel ordre exactement est cette réflexion ? Est-elle d’abord et surtout épistémologique, critique ou
éthique ?
Nécessairement présente dans la philosophie, une réflexion sur les sciences lui reste-t-elle extérieure ou lui est-elle
inhérente et essentielle ?
1. Les titres en gras servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
1. La philosophie ne peut pas se passer d’une réflexion épistémologique sur les sciences
A. La philosophie a pour tâche de définir les différentes branches du savoir
Les sciences désignent les différentes branches de la connaissance obtenue par le raisonnement ou l’expérimentation.
À l’exception des sciences formelles (la logique et les mathématiques), toute science s’intéresse à un secteur
particulier du réel dont elle énonce les lois (la biologie énonce les lois du vivant, la physique celles de la matière,
etc.), au sujet duquel elle élabore des théories.
On a coutume de diviser les sciences en trois grandes classes : premièrement, les sciences expérimentales, qui portent
sur des objets d’expérience, supposent un contrôle expérimental, une méthode de vérification.
Deuxièmement, les sciences formelles consistent en une déduction de propositions à partir d’axiomes totalement
indépendants de l’expérience.
Enfin et troisièmement, les sciences humaines se rapportent à l’homme, qu’elles étudient sous l’un de ses aspects
particuliers : ainsi la culture humaine est-elle étudiée par l’anthropologie, l’inconscient psychique par la
psychanalyse ; ainsi les rapports sociaux sont-ils l’objet de la sociologie, les faits passés humains celui de l’histoire.
Quel est ici le rôle de la réflexion philosophique ?
La philosophie a pour tâche de définir ces différentes branches du savoir humain, afin d’en déterminer la nature et le
fondement. L’épistémologie, comme étude philosophique particulière, a pour fonction de les délimiter et comparer
dans leur méthode et dans leur objet, pour s’interroger sur le type de vérité auquel elles parviennent. D’où vient que
la philosophie ne saurait se passer de cette réflexion ?
B. La réflexion sur les sciences conduit à en montrer à la fois la nécessité et le fondement
Une réflexion sur les sciences est nécessaire, qui les fait apparaître à la fois comme procédant d’une démarche
rationnelle exemplaire et comme incapables de se fonder elles-mêmes, sans le secours, précisément, de la
philosophie.
Commençons par le premier point : la philosophie s’est longtemps présentée comme étroitement dépendante de la
science, dont l’étude constituait une étape nécessaire. Ainsi Platon, dans le livre 7 de La République, montre-t-il que
la science des nombres, la géométrie, la stéréométrie (ou science des solides), l’astronomie et l’harmonie sont les
cinq sciences propres à assurer la conversion de l’âme, son accès à la philosophie : elles exercent en effet l’esprit, en
le détournant des seuls objets sensibles, à s’appliquer à des objets idéaux, par le moyen d’un raisonnement abstrait.
La réflexion sur les sciences, qui conduit à les définir par la nature idéale de leur objet et le caractère rigoureux de
leur méthode, rend donc leur pratique utile, et même nécessaire selon Platon, à la philosophie − ce pour quoi celle-ci
ne saurait en faire l’économie.
Inversement (et en cela réside le second point), les sciences ne sauraient se passer d’une réflexion de la philosophie
sur elles-mêmes : en effet, portant sur un objet particulier − la figure ou le nombre, pour les mathématiques et la
géométrie, la nature du mouvement des astres pour l’astronomie, etc. −, la vérité scientifique est nécessairement
partielle, et la science ne saurait réfléchir sur le statut et la portée de sa propre vérité sans sortir d’elle-même, sans
devenir philosophie. Prenons un exemple : la vérité mathématique dont les hypothèses sont coupées de toute intuition
sensible n’a-t-elle aucune forme de rapport avec l’expérience ? Si tel est le cas, comment se fait-il qu’elle s’applique
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à l’expérience et la rende intelligible, comme le montre l’usage des mathématiques en physique ? Ce sont là autant
de questions auxquelles la philosophie, et non pas les mathématiques elles-mêmes, peut répondre.
Conclusion et transition
La philosophie ne peut se passer de développer une réflexion sur la nature de la connaissance humaine − réflexion
épistémologique, donc.
Cette réflexion sur les sciences est d’autant plus utile qu’elle conduit à montrer la nécessité de celles-ci pour la
pratique même de la philosophie à laquelle elles préparent. Ce faisant, elle détermine le fondement et le statut de la
vérité scientifique.
Toutefois, la complexification et le développement autonome des différentes disciplines scientifiques par rapport à la
philosophie entravent désormais l’antique idéal d’un philosophe qui se définirait d’abord et aussi comme savant.
Il reste que la réflexion sur les sciences n’en devient pas pour autant superflue. Par elle, en effet, la philosophie n’estelle pas amenée à s’interroger sur elle-même − sur sa nature et sur ses propres limites ?
2. Par sa réflexion sur les sciences, la philosophie délimite son propre domaine d’application
A. La philosophie ne saurait se passer d’une réflexion sur les sciences humaines, dont elle se distingue
Seule une “ réflexion ”, non pas une connaissance à proprement parler, mais un retour de l’esprit sur ce qu’il connaît
dans les sciences, permet à la philosophie, en définissant les caractères de la scientificité, de se définir elle-même.
Expliquons-nous : la philosophie réfléchit sur le sens de l’existence, la nature de l’action (c’est en particulier l’objet
de la philosophie politique et morale) et de la connaissance humaines.
Comme réflexion et non pas science humaine par conséquent, elle se distingue de toute forme de savoir positif sur le
réel : contrairement à l’anthropologie ou à l’histoire par exemple, qui étudient respectivement des faits ou des
documents pour recomposer une réalité particulière (le type de culture d’une société dans le premier cas, une période
donnée du passé humain dans le second), la philosophie se développe en systèmes de pensée qui ne nous apprennent
rien, à proprement parler, sur le réel : ceux-ci expriment bien plutôt une vision du monde et de l’homme, à partir
d’une intuition fondamentale et subjective − celle du philosophe − qu’ils développent, par la mise en œuvre et la
création de concepts originaux.
Voilà pourquoi, par exemple, la philosophie de Spinoza, en faisant de l’âme et du corps les deux aspects
indissociables d’une même réalité, n’est pas plus “ probante ” que celle de Platon, qui les conçoit comme séparés.
Elle n’est ni plus vraie ni plus rigoureuse ni mieux “ adaptée ” qu’elle au réel.
En revanche, il est toujours possible de contester l’objectivité des faits sur lesquels s’appuie une théorie
psychologique ou anthropologique du comportement.
La philosophie n’est donc pas une science humaine ; ni une anthropologie ou science de l’homme par exemple, ni
une psychologie ou science du psychisme humain.
B. La philosophie délimite son propre domaine d’application
Or, s’il en est ainsi, c’est que la philosophie n’est pas une science du tout. D’où la nécessité pour elle de délimiter
rigoureusement le champ d’application qui lui est propre, distinctement de celui de la connaissance scientifique.
C’est ce qui rend précisément nécessaire une réflexion sur les sciences.
Dans ce but, Kant dénonce la prétention dogmatique à faire de la philosophie, et de la métaphysique en particulier,
une science. Ainsi compare-t-il, dans la Critique de la raison pure, la nature des jugements scientifiques − physiques
et mathématiques en particulier − à celle des jugements métaphysiques.
Les premiers supposent nécessairement le rapport à une expérience sensible − fût-ce celle de l’intuition de l’espace,
comme c’est le cas en géométrie − et constituent, pour cette raison, une connaissance à proprement parler.
Les seconds regroupent des affirmations telles que : “ Dieu existe ”, ou “ l’âme est immortelle ” ; ils naissent d’une
réflexion naturelle à la raison humaine et d’une spéculation sur l’origine du monde et la nature de l’homme. Ils ne
s’appuient, pour cette raison, sur aucune expérience − ce pour quoi ils ne nous donnent rien à connaître.
Or, cette réflexion sur la non-scientificité de la métaphysique s’avérera féconde pour la moralité : si la liberté existe par
exemple, comme le postule la métaphysique, elle implique la responsabilité absolue de l’homme face à ses actes et la
nécessité pour lui de s’élever, par la raison, à la vertu. Il est donc nécessaire d’affirmer la liberté humaine mais on ne peut
prouver scientifiquement ni qu’elle existe ni qu’elle n’existe pas.
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Conclusion et transition
La réflexion sur les sciences est d’autant plus nécessaire qu’elle implique une réflexion de la philosophie sur ellemême − sur la nature (subjective) de la vérité à laquelle elle parvient, comme sur sa vocation, morale et
métaphysique par exemple, et non pas scientifique.
Cependant, est-ce à dire que la philosophie pourrait se passer d’une telle réflexion, une fois établie cette délimitation
entre elle-même et la science ?
3. La philosophie ne peut pas se passer d’une réflexion à la fois éthique et critique sur les sciences
A.La philosophie ne peut pas se passer d’une réflexion éthique
La réflexion de la philosophie sur les sciences est toujours à réactualiser : ce n’est pas seulement, comme telle, une
réflexion sur les caractères intemporels de la science et de la philosophie. En effet, l’évolution constante des sciences
rend cette réactualisation nécessaire.
En biologie, par exemple, les manipulations génétiques opérées sur les embryons humains et les recherches faites sur
le clonage en particulier appellent nécessairement une réflexion sur la question de savoir si l’on peut considérer un
embryon comme une entité morcelable ou divisible en parties, destinée au seul usage médical de la transplantation
d’organes ou de la guérison de certaines maladies.
De même, en sciences humaines, le béhaviorisme, c’est-à-dire la méthode descriptive employée en psychologie
expérimentale pour l’étude commune de l’animal et de l’homme, présente le comportement humain comme une
simple réponse à des stimuli externes − ce qu’une réflexion éthique sur la liberté humaine doit contester. La
philosophie ne saurait donc faire l’économie d’une réflexion éthique sur les sciences.
B. La philosophie ne peut pas se passer d’une réflexion critique
Ajoutons qu’elle ne peut pas davantage se passer de développer une réflexion critique − réflexion par laquelle elle se
donne pour tâche, au sein même des disciplines considérées comme scientifiques, de distinguer le scientifique du
non-scientifique.
Ainsi Popper, philosophe et épistémologue, trace-t-il une ligne de démarcation entre théories scientifiques et
systèmes de pensée. Le critère de distinction établi par lui dans ce but est celui de la falsifiabilité : une théorie sera
considérée comme scientifique, en effet, si elle a la capacité d’être réfutée ou falsifiée par l’expérience.
Bien que prétendant à la scientificité, la psychanalyse ou le marxisme ne seront pas des “ sciences ” en ce sens, dans
la mesure où toute expérience trouvera à être interprétée de manière cohérente au sein du système qu’ils développent
− aucune ne réfutera jamais la “ théorie ” : ainsi la victoire aussi bien que l’échec du communisme par exemple, dans
une société où les conditions économiques “ objectives ” de son triomphe se trouvent prétendument réunies, seront
expliqués respectivement par la force ou au contraire, l’insuffisance, du militantisme.
En ce sens, la philosophie a bien pour tâche de prévenir la tentation dogmatique de convertir en science tout système
cohérent qui prétendrait fournir une explication exhaustive du réel.
Conclusion
Une philosophie qui prétendrait se passer d’une réflexion sur les sciences serait une sagesse pratique ou une religion,
et non pas, par définition, une philosophie.
En réfléchissant sur les sciences, en effet, la philosophie fait retour sur la portée et la nature de sa propre démarche et
vérité : elle évite, par là, l’écueil du dogmatisme.
Par une réflexion éthique et critique, elle empêche par ailleurs que la science elle-même ne dégénère en systèmes
dogmatiques.
Ouvertures
LECTURES
– Platon, La République, Garnier-Flammarion.
– Kant, Critique de la raison pure (“ Dialectique transcendantale ”), PUF.
– Popper, La Logique de la découverte scientifique, Payot.
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