La philosophie à l`épreuve de l`opinion et de l`expertise
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La philosophie à l`épreuve de l`opinion et de l`expertise
21-a-Foessel_Mise en page 1 21/02/12 15:09 Page200 La philosophie à l’épreuve de l’opinion et de l’expertise Michaël Fœssel* La philosophie, nous n’oublions pas toutes les eaux qui sont passées sous ce nom. Jacques Derrida, États généraux de la philosophie, 16 et 17 juin 1979. Deux questions provoquent un certain malaise chez les philosophes : « Qu’est-ce que la philosophie ? », « Que peut-on attendre d’elle ? ». Comme Diogène, qui prouvait l’existence du mouvement en marchant, le philosophe de métier est tenté de pratiquer la philosophie sans la définir. Pour cela, il dispose d’une tradition faite de textes canoniques et de grandes questions auxquelles il est toujours possible de revenir. Quant aux attentes sociales qui pèsent sur sa discipline, le spécialiste y repère souvent une série de malentendus, comme si la philosophie était condamnée à se trahir aussitôt qu’elle se mesure à des attentes qu’elle n’a pas formulées. Bien sûr, d’autres chercheurs sont exposés aujourd’hui à ce double malaise. Les historiens, par exemple, doivent compter avec la fonction sociale, politique, voire identitaire dévolue de nos jours à leur discipline. L’imbrication entre la recherche sur le passé, la mémoire collective et la conscience victimaire complique leur travail. Mais, même de ce point de vue, la philosophie est une disci* Maître de conférences à l’université de Bourgogne, membre de l’Institut universitaire de France, il est conseiller de la direction de la revue Esprit, et a récemment publié État de vigilance : critique de la banalité sécuritaire (Paris, Le Bord de l’eau, 2010). Mars-avril 2012 200