ACTUALITES JURISPRUDENTIELLES N°3 – Mars 2013

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ACTUALITES JURISPRUDENTIELLES N°3 – Mars 2013
ACTUALITES JURISPRUDENTIELLES N°3 – Mars 2013
SOMMAIRE
 L’autonomie du régime des infractions de presse – Delphine Archer
 Précisions sur le rôle du juge de la mise en état – Marc-Antoine Aimard
 La procédure de demande d’avis à La Cour de cassation - Marc-Antoine Aimard
 L’interruption du délai de prescription dans lequel l’employeur peut engager des poursuites
disciplinaires contre un salarié.
 Vers la fin de la compétence du juge judiciaire en matière de voie de fait ? – Hugues Foucard
 Incompétence du juge des référés administratif pour connaître du refus de faire bénéficier un
requérant du droit de rétrocession d’un bien préempté – Hugues Foucard
L’autonomie du régime des infractions de presse
Ass. Plén. 15 février 2013, req. n°11-14.637
Par un important arrêt rendu en Assemblée Plénière le 15 février 2013, promis à la plus large
diffusion, la Cour de cassation a réaffirmé nettement l’autonomie du régime des infractions de
presse,
de
même
que
l’uniformisation
des
procédures
qui
y
sont
applicables,
indépendamment du choix de la partie lésée d’engager son action en réparation devant les
juridictions pénales ou civiles.
Pour comprendre la portée de cette décision, il faut rappeler qu’il existe des dispositions
particulières encadrant la mise en œuvre de la responsabilité en vue de réparer les
infractions en matière de presse, insérées dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la
presse.
Cette loi s’efforce de réaliser un délicat équilibre entre, d'une part, la liberté d'expression,
principe à valeur constitutionnelle consacré par l'article 10 de la Convention européenne de
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sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, et, d'autre part, la
protection des droits subjectifs des victimes éventuelles.
Cette recherche d’équilibre se concrétise par la sanction des abus tout en enfermant la mise
en œuvre des actions en responsabilité dans un formalisme très strict.
L’affaire soumise à l’Assemblée Plénière du 15 février 2013 concernait justement l’application
de l’une de ces dispositions, plus précisément l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, qui
formule des exigences précises concernant le contenu de la citation délivrée à l’auteur des
faits reprochés. Ainsi, ce texte dispose que :
"La citation précisera et qualifiera le fait incriminé, elle indiquera le texte de loi applicable à la
poursuite.
Si la citation est à la requête du plaignant, elle contiendra élection de domicile dans la ville où
siège la juridiction saisie et sera notifiée tant au prévenu qu'au ministère public.
Toutes ces formalités seront observées à peine de nullité de la poursuite".
La présente affaire soulevait la question de la régularité de l’assignation délivrée à l’initiative
d’un médecin qui entendait obtenir réparation, devant les juridictions civiles, au titre de
propos allégués d’injurieux et diffamatoires diffusés sur un site Internet.
Plus particulièrement, se posait la question de savoir s’il était indispensable que l’auteur de
l’assignation se conforme rigoureusement aux exigences de l’article 53 précité, ce qui lui
imposait d’opérer le cas échéant des distinctions en précisant quels passages incriminés
constitueraient des injures et lesquels constitueraient des diffamations.
Une première cour d’appel avait annulé l’assignation dans son intégralité. Mais par un arrêt
du 8 avril 2010 (pourvoi n° 09-14.399, Bull. I n° 87), la 1ère chambre civile de la Cour de
cassation avait cassé cet arrêt. La cour de renvoi ayant résisté et à nouveau annulé
l’assignation dans son ensemble, l’affaire fut renvoyée en Assemblée Plénière qui,
finalement, approuva la cour d’appel en énonçant que :
« selon l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, qui doit recevoir application devant la juridiction
civile, l'assignation doit, à peine de nullité, préciser et qualifier le fait incriminé et énoncer le
texte de loi applicable ; qu'est nulle une assignation retenant pour le même fait la double
qualification d'injure et de diffamation ».
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Ainsi, la Cour de cassation réunie en Assemblée Plénière, d’une part, confirme l’autonomie
des règles procédurales en matière d’infractions de presse en étendant leur application
devant les juridictions civiles (I) et, d’autre part, précise les modalités de mise en œuvre de ce
formalisme, en retenant une conception stricte (II).
§ I : La réaffirmation de l’autonomie du régime des infractions de presse.
Les infractions commises en matière de presse, ainsi que l’action en responsabilité qui en
découle, sont soumises aux dispositions particulières de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté
de la presse. Pour la plupart des délits de presse, notamment la diffamation publique envers
un particulier (article 32) et l'injure publique envers un particulier (article 33), la partie lésée a
le choix de la juridiction devant laquelle elle souhaite porter son action civile en réparation. Ce
libre choix soulève la question des règles procédurales applicables devant les juridictions
pénale et civile.
A cet égard, si la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui connaît des litiges portés
devant les juridictions répressives, se pliait naturellement aux exigences formulées par les
dispositions spéciales de la loi sur la liberté de la presse, les chambres civiles de la Cour de
cassation ont longtemps dénié la spécificité des délits de presse qu’elles soumettaient tant
aux conditions de fond que de procédure de la responsabilité civile de droit commun, sur le
fondement de l’article 1382 du code civil.
Puis, la jurisprudence des chambres civiles a évolué à partir des années 1990, consacrant
l’autonomie tant procédurale que de fond, de l’infraction de presse par rapport à la
responsabilité civile de droit commun de l’article 1382 du code civil. Ainsi, par un arrêt du 19
février 1997 (pourvoi n° 94-13877, Bull. II no 44), la deuxième chambre civile de la Cour de
cassation a appliqué l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 à l’assignation introductive
d’instance civile.
Puis, par deux arrêts rendus en Assemblée Plénière le 12 juillet 2000, la Cour de cassation a
jugé que : « les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881
ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du code civil » (pourvois n° 9810160 et 98-11155, Bull. Ass Plén. n° 8). Par cette formule était consacrée l’exclusivité de
l’application de la loi du 29 juillet 1881 aux infractions de presse en même temps que
l’homogénéité des procédures, indépendamment de la juridiction, pénale ou civile, saisie par
la partie lésée.
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Néanmoins, à compter de 2009, la première chambre civile de la Cour de cassation a eu
tendance à s’écarter de ce mouvement en se montrant plus souple sur les conséquences
d’un non-respect strict des exigences formalistes imposées par la loi sur la liberté de la
presse en faisant notamment prévaloir certaines règles de procédure civile au détriment des
règles spéciales posées par la loi de 1881 (v. par ex : Cass. Civ. 1ère, 24 septembre 2009,
pourvoi n°08-17315 et Cass. Civ.1ère, 24 septembre 2009, pourvoi n°08-12381).
Cette jurisprudence s’écartant des exigences formalistes tendant à protéger la liberté
d’expression et imposées par la loi sur la liberté de la presse pouvait laisser présager un
abandon de l’autonomie du régime de responsabilité des infractions de presse, et consacrer
une résurgence du droit commun en la matière.
En effet, ce glissement n’est évidemment pas neutre au regard de la philosophie même de la
loi sur la liberté de la presse, qui s’efforce de parvenir à un équilibre entre, d’un côté, la liberté
d’expression et, de l’autre, la protection des individus contre les abus. Car comme l’a relevé
l’avocat général Monsieur Jean-Claude MARIN dans son avis rendu dans la présente affaire :
« Sous couvert d’une problématique purement procédurale, ce sont (…) bien les garanties
offertes par un Etat démocratique à l’exercice de la liberté de la presse qui sont en jeu »
(avis, p. 20).
Quoi qu’il en soit, l’Assemblée Plénière, en réaffirmant nettement que l’article 53 de la loi du
29 juillet 1881 doit recevoir application devant les juridictions civiles, marque le coup d’arrêt
de l’évolution redoutée par certains, qui craignaient que la liberté d’expression en pâtisse (v.
notamment Ch. BIGOT, « La Cour de cassation remet en cause l’uniformisation des
procédures civile et pénale en matière de presse », note sous Cass. Civ. 1ère, 8 avril 2010,
deux arrêts (pourvoi n° 09-65032, Bull. I n° 88 et pourvoi n° 09-14399, Bull. I n° 87), in Rec.
Dalloz 2010, p. 1673).
Ce constat est du reste renforcé par les précisions de l’arrêt concernant le respect des
formes prévues par cette loi.
§ II : Le strict respect des exigences formalistes.
Dès lors que le principe de l’application, devant les juridictions civiles, des dispositions
propres à la loi sur la liberté de la presse régissant la forme des actes de procédure est
admis, pour autant, l’efficacité de la protection à laquelle tend ce formalisme est tributaire de
la conception retenue des exigences posées par ces textes.
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En effet, une lecture souple de ces règles de forme pourrait malmener le principe même de
l’autonomie des infractions de presse, tandis que le maintien strict des exigences formelles
permet de préserver cette spécificité, et par là même de renforcer la protection de la liberté
d’expression, qui est la raison d’être de ce formalisme.
Or, la Cour de cassation, dans son arrêt d’Assemblée Plénière, procédant à ce qui
s’apparente à un revirement de jurisprudence au regard de la position des chambres civiles,
retient une lecture stricte des exigences formelles, puisqu’après avoir rappelé que : « selon
l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, (…) l'assignation doit, à peine de nullité, préciser et
qualifier le fait incriminé et énoncer le texte de loi applicable », elle précise : « qu'est nulle une
assignation retenant pour le même fait la double qualification d'injure et de diffamation ».
Cette position rejoint celle de la chambre criminelle, qui a constamment veillé au strict respect
des exigences formulées par l’article 53. A cet égard, elle a jugé que l’alinéa 1er de ce texte
« a pour rôle de fixer définitivement l'objet de la poursuite afin que le prévenu puisse
connaître les faits dont il aura exclusivement à répondre » (voir par ex. Crim., 8 novembre
1983, pourvoi n°82-93992). Par ailleurs, la chambre criminelle rappelle régulièrement qu’ « En
matière de presse, la citation, doit à peine de nullité, qualifier le fait et énoncer l’article de loi
applicable ; une qualification alternative est insuffisante » (Cass. Crim., 23 décembre 1959,
pourvoi n° 90-34.559, Bull. Crim. n° 578). En effet, elle estime que les qualifications
alternatives telles diffamation au principal, injure subsidiairement pour un fait unique sont
nécessairement de nature à créer une telle incertitude quant à l’objet de la poursuite (Cass.
Crim., 30 mars 2005, pourvoi n°04-84 976, Bull. Crim. n° 111).
De leur côté, les chambres civiles de la Cour de cassation ont, auparavant, retenu une
conception laxiste des exigences procédurales formulées par la loi du 29 juillet 1881. Par
exemple, récemment, dans un arrêt du 3 février 2011 (pourvoi n° n° 09-71711, Bull. I n° 22),
la première chambre civile, censurant une cour d’appel au visa de l’article 53 de la loi du 29
juillet 1881, a déclaré que : « la citation est valable dès lors que, par le visa de l'article 53 de
la loi du 29 juillet 1881 réprimant le délit imputé, elle ne laisse aucune incertitude sur son
objet exact ni ne peut provoquer, dans l'esprit des intéressés, aucun doute sur les faits qui
leur sont reprochés, peu important la référence à titre subsidiaire à l'article 1382 du code
civil ».
Et dans le cadre de l’examen du précédent pourvoi dans cette même affaire, la première
chambre civile avait adopté la position inverse à celle retenue finalement en Assemblée
Plénière, puisqu’elle avait alors énoncé que : « satisfait aux prescriptions [de l’article 53 de la
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loi du 29 juillet 1881] la citation qui indique exactement au défendeur les faits et les
infractions qui lui sont reprochés, et le met ainsi en mesure de préparer utilement sa défense,
sans qu'il soit nécessaire que la citation précise ceux des faits qui constitueraient des injures,
et ceux qui constitueraient des diffamations ».
Cette jurisprudence n’était pas dénuée de paradoxe (v. not : Ch. BIGOT, « La Cour de
cassation remet en cause l’uniformisation des procédures civile et pénale en matière de
presse », préc.) dès lors que par ailleurs, les chambres civiles ne semblaient pas se départir
de la position affirmant l’autonomie des infractions de presse par rapport au droit commun de
la responsabilité.
De fait, dans la présente affaire, l’Avocat général pouvait légitimement soulever la question
suivante : « réaffirmer le principe de la seule application des dispositions de la loi du 29 juillet
1881 au fond du litige et assouplir dans le même temps de manière significative les règles
procédurales relatives à la fixation des termes du litige ne constitue-t-il pas une incohérence
ou, à tout le moins, un risque majeur de confusion sur l’application des règles essentielles à
l’exercice d’une liberté fondamentale ? » (avis, p. 18).
Ce paradoxe n’est du reste sans doute pas étranger à la résistance des juges du fond. Et
dans ces conditions, deux vertus au moins peuvent être attribuées à l’arrêt du 15 février
2013, à savoir sa contribution d’une part, à préserver la liberté d’expression et de la presse
et, d’autre part, à assurer la cohérence du droit.
Toutefois, un arrêt postérieur à celui d’Assemblée Plénière conduit à nuancer le propos. En
effet, par une décision du 20 février 2013 (pourvoi n° 12-20544), la première chambre civile
de la Cour de cassation a accepté de transmettre au Conseil constitutionnel une question
prioritaire de constitutionnalité relative à l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881. Il s’agit en
substance de savoir si, en tant qu’il impose, à peine de nullité de l’assignation, d’une part, la
mention de la qualification du fait incriminé ainsi que du texte de loi applicable à la poursuite
et, d’autre part, de contenir élection de domicile dans la ville où siège la juridiction saisie et
d’être notifiée tant au prévenu qu’au ministère public, ce texte est contraire au droit à un
recours effectif, garanti notamment par l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et
du citoyen.
Ainsi, il appartient désormais au Conseil Constitutionnel de prendre position dans cette
recherche d’un juste équilibre entre les deux libertés fondamentales que sont, d’un côté, la
liberté d’expression et, de l’autre, le droit à un recours effectif.
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Précisions sur le rôle du juge de la mise en état
Avis n° 1300003 du 21 janvier 2013
Dans son avis du 21 janvier 2013 (avis n° 1300003 faisant suite à la demande n° 1200017
formulée le 17 octobre 2012 par la Cour d'appel de Paris), la Cour de cassation s'est
attachée à préciser le rôle du Juge ou du Conseiller de la mise en état. Magistrat de la
chambre à laquelle l'affaire a été distribuée, celui-ci veille, conformément aux articles 907 et
763 du Code de procédure civile, au déroulement loyal de la procédure, et à la ponctualité de
l’échange des conclusions et de la communication des pièces.
En effet, conformément à l'article 906 du Code de procédure civile, les conclusions sont
notifiées et les pièces communiquées simultanément, à l'avocat ou aux avocats des autres
parties. De plus une copie est remise aux greffes avec la justification de leur notification.
La Cour de cassation, dans son avis, précise que si des pièces ne sont pas communiquées
simultanément à la notification des conclusions, le Juge ou Conseiller de la mise en état n'a
pas compétence pour ordonner d'écarter des débats ces pièces.
Le Juge ou Conseiller de la mise en état dispose de pouvoirs permettant un déroulement
loyal de la procédure, notamment faire des injonctions et ordonner le retrait du rôle.
Cependant, c’est à la Cour d’appel de décider s’il y a lieu d’écarter des débats des pièces qui
n’auraient pas été communiquées en même temps que les conclusions.
Marc-Antoine AIMARD (stagiaire)
La procédure de demande d’avis à La Cour de cassation
Avis n°1300001 du 14 janvier 2013
Avis n°1300002 du 14 janvier 2013
Dans ses avis du 14 janvier 2013 (avis n° 1300001 faisant suite à la demande n° 1200015
formulée le 24 septembre 2012 par le Tribunal de Grande Instance de Paris ; avis n°
1300002 faisant suite à la demande n° 1200014 formulée le 8 octobre 2012 par le Conseil de
Prud'hommes d'Argentan), la Cour de cassation rappelle les conditions dans lesquelles le
juge du fond peut solliciter son avis.
Selon les articles L. 441-1 du Code de l'organisation judiciaire, 1031-1 et suivant du Code de
procédure civile pour le juge civil et 706-65 du Code de procédure pénale pour le juge pénal,
lorsque le juge envisage de solliciter l’avis de la Cour de cassation, il en avise les parties et le
ministère public, à peine d’irrecevabilité, et recueille leurs observations écrites éventuelles
dans le délai qu’il fixe, à moins qu’ils n’aient déjà conclu sur ce point.
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Dans ces avis, la Cour de cassation rappelle certaines des conditions de recevabilité des
questions de droit qui lui sont soumise dans le cadre des avis, conditions qu'elle avait déjà
rappelées, notamment dans son avis n° 0080012P du 24 novembre 2008 où elle précisait qu'
"il ne résulte pas des énonciations du jugement du 6 mars 2008 et du dossier transmis à la
Cour de cassation que le tribunal a, préalablement à sa décision, avisé le ministère public de
ce qu’il envisageait de solliciter l’avis de la Cour de cassation, en lui fixant un délai pour
produire ses observations ; en conséquence : dit que la demande d’avis n’est pas recevable".
Dès lors que les parties n'ont pas été consultées (avis n° 1300001) ou que le ministère public
et les parties n'ont pas été consultés (avis n° 1300002), la demande d'avis formulée par le
juge est irrecevable.
Marc-Antoine AIMARD (stagiaire)
L’interruption du délai de prescription dans lequel l’employeur peut
engager des poursuites disciplinaires contre un salarié.
Soc. 15 janvier 2013, publié, n° 11-28.109
La proposition de rétrogradation disciplinaire du salarié, ainsi que le refus de rétrogradation,
interrompent le délai de prescription de l'article L. 1332 – 4 du Code du travail qui dispose qu'
"aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires audelà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance" hors
poursuites pénales.
La Cour de cassation l'a précisé, dans son arrêt de Chambre sociale du 15 janvier 2013.
En l'espèce, un salarié a été convoqué le 11 février 2008 à un entretien préalable à une
sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement pour faute grave. Cet entretien s'est
tenu le 19 février 2008. Le 17 mars 2008, l'employeur a notifié une décision de rétrogradation
disciplinaire. Le 15 avril, le salarié a contesté les griefs qui lui étaient faits et a sollicité sa
réintégration. Une convocation a été faite à un nouvel entretien préalable le 20 mai 2008. Le
salarié a été licencié pour faute grave le 18 juin 2008.
Les juges du fond ont considéré que les faits fondant le licenciement étaient prescrits depuis
le 11 avril 2008, soit deux mois après le premier entretien préalable.
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La Cour de cassation casse l'arrêt d'appel. La notification par l'employeur, après
l'engagement de la procédure disciplinaire, d'une proposition de modification de contrat de
travail soumise au salarié interrompt le délai de deux mois prévu par l'article L. 1332-4 du
Code du travail. Le refus de cette proposition par le salarié interrompt à nouveau ce délai.
Dès lors, la notification le 17 mars 2008 de la décision de rétrogradation disciplinaire et la
contestation, le 15 avril 2008, des griefs interrompaient la prescription. La convocation du 20
mai 2008 a donc bien été faite dans le délai de 2 mois de l'article L. 1332-4 du Code du
travail.
Vers la fin de la compétence du juge judiciaire en matière de voie
de fait ?
Conseil d’Etat, juge des référés, 23 janvier 2013, Commune de Chirongui, n°
365262, publié au recueil Lebon
Par le présent arrêt du 23 janvier 2013, le Conseil d’Etat est venu affirmer explicitement la
compétence du juge administratif, statuant en matière de référé, pour mettre fin à une voie de
fait.
Au regard de l’évolution récente de la jurisprudence, cette décision était attendue.
De façon assez implicite, le Tribunal des conflits était déjà intervenu pour réduire la catégorie
des voies de fait relevant de la compétence de l’autorité judiciaire (TC 23 octobre 2000, M.
Boussadar, n°3227), en cantonnant celle-ci à deux hypothèses :
 lorsque l’administration procède "à l'exécution forcée, dans des conditions
irrégulières, d'une décision, même régulière, portant une atteinte grave au droit de
propriété ou à une liberté fondamentale",
 ou lorsqu’elle prend "une décision ayant l'un ou l'autre de ces effets à la condition
toutefois que cette dernière décision soit elle-même manifestement insusceptible
d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative."
Une limite plus stricte était donc posée à l’entorse faite au principe de séparation des
autorités administratives et judiciaires et découlant de la jurisprudence Action française (TC 8
avril 1935, n° 00822).
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A propos d’un arrêt plus récent dans lequel le Conseil d’Etat, statuant en matière de référé
"mesures utiles" sur le fondement de l’article L. 521-3 du CJA et, réglant l’affaire au fond,
avait enjoint à l’administration de mettre fin à l’atteinte manifestement illégale portée au droit
de propriété d’un administré par l’exécution irrégulière d’un arrêté de péril, certains
commentateurs observaient qu’il marquait la reconnaissance implicite de la compétence du
juge administratif, statuant en matière de référé, pour mettre fin à une voie de fait (CE. 5/4
SSR, 12 mai 2010, Alberigo, n° 333565, Lebon T. 694).
Il manquait cependant une confirmation explicite de cette évolution. C’est désormais chose
faite dans l’arrêt du 23 janvier 2013, Commune de Chirongui (n° 365262).
En l’espèce, la requérante s’était vue reconnaître son droit de propriété sur une parcelle de la
collectivité départementale de Mayotte, du fait de son occupation coutumière depuis plusieurs
générations. Toutefois la commune de Chirongui avait décidé, postérieurement à cette
reconnaissance, de réaliser des travaux de lotissement empiétant notamment sur cette
parcelle. Des travaux de défrichement avaient débuté et le propriétaire coutumier avait alors
saisi le juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-2 du CJA, d’une demande
tendant à faire cesser les travaux.
Le Tribunal administratif de Mamoudzou, constatant l’atteinte grave et manifestement illégale
portée au droit de propriété de la requérante, avait enjoint à la commune de faire cesser les
travaux entrepris.
La commune a donc fait appel de cette décision devant le Conseil d’Etat.
Hypothèse toute particulière où l’incompétence de l’autorité administrative ne pouvait être
raisonnablement soutenue par l’une ou l’autre des parties, la commune étant nécessairement
peu encline à reconnaître qu’elle avait commis une voie de fait et le propriétaire, ayant obtenu
la cessation des travaux en première instance, n’ayant manifestement aucun intérêt à
soulever cette incompétence qui aurait alors entrainé l’annulation de l’ordonnance qui lui était
favorable, la question d’ordre public a donc été soulevée à l’audience par le Président de la
section du contentieux du Conseil d’Etat.
Le Conseil d’Etat a ensuite tranché la question dans un considérant de principe et a déclaré :
"Considérant que, sous réserve que la condition d'urgence soit remplie, il appartient au juge
administratif des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice
administrative, d'enjoindre à l'administration de faire cesser une atteinte grave et
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manifestement illégale au droit de propriété, lequel a le caractère d'une liberté fondamentale,
quand bien même cette atteinte aurait le caractère d'une voie de fait ;"
Cette confirmation est d’autant plus importante qu’elle intervient dans le cadre du référéliberté, à propos duquel la doctrine s’est interrogée sur son articulation avec la théorie de la
voie de fait. Le débat sur cette articulation est donc clos. Le référé-liberté trouve à
s’appliquer, même lorsque l’atteinte portée au droit de propriété ou à une liberté
fondamentale est constitutive d’une voie de fait.
La formulation du considérant de principe laisse cependant penser que l’urgence justifie la
compétence de l’autorité administrative. Cette même compétence serait-elle alors refusée au
juge administratif statuant au fond ? C’est très probable. Les questions relatives à
l’indemnisation du préjudice résultant de la voie de fait, resteront donc la compétence du juge
judiciaire.
Hugues Foucard (stagiaire)
Incompétence du juge des référés administratif pour connaître du
refus de faire bénéficier un requérant du droit de rétrocession d’un
bien préempté
Conseil d’Etat, 1/6 SSR, 7 janvier 2013, M. B c/ Département du Gard, (n° 358781,
mentionné aux tables du recueil Lebon) :
Saisi d’une demande de suspension fondée sur l’article L. 521-1 du Code de justice
administrative, le juge des référés ne saurait connaître du respect par l’administration des
modalités de paiement auxquelles elle est soumise, en vertu d’un contrat de vente de droit
privé. C’est ce qu’est venu préciser le Conseil d’Etat dans l’arrêt du 7 janvier 2013, M. B c/
Département du Gard (n° 358781).
En l’espèce, après avoir préempté les parcelles du requérant, le département a tardé à régler
le prix du bien. Or, lorsqu’à l’expiration d’un délai de six mois suivant la décision d’acquérir le
bien au prix indiqué par le vendeur, le titulaire du droit de préemption n’a pas procédé au
paiement ou s’y est opposé, ce dernier est tenu de rétrocéder le bien à son ancien
propriétaire si celui-ci en fait la demande, en application des dispositions de l’article L. 213-14
du Code de l’urbanisme. Tel était le cas, et l’ancien propriétaire a donc demandé au Conseil
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général que lui soit rétrocédé ses parcelles. Un refus lui a été opposé, lequel a alors fait
l’objet d’un recours en annulation, assorti d’une requête en référé-suspension sur le
fondement de l’article L. 521-1 du CJA, avec demande d’injonction de lui rétrocéder les
parcelles.
En première instance, le Tribunal administratif s’est déclaré incompétent pour prononcer la
mesure de suspension demandée, au motif que les conclusions du requérant
"ne revêtaient pas le caractère d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision
du département du Gard relative à la disposition d’un bien appartenant au domaine privé de
ce département, mais conduisaient exclusivement à se prononcer sur le respect, par le
département, des obligations de paiement ou de consignation nées de la vente résultant de
sa décision de préempter le bien au prix proposé, et tendaient à ce que M. B, lié au
département par ce contrat de vente de droit privé, bénéficie en conséquence du droit de
rétrocession prévu par les dispositions citées ci-dessus du code de l’urbanisme."
Dès lors, le litige était manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la
compétence du juge administratif.
Saisi du pourvoi de l’ancien propriétaire dirigé contre l’ordonnance, le Conseil d’Etat a validé
l’analyse opérée par le Tribunal administratif.
A la lumière des conclusions du rapporteur public sur l’affaire, cette décision semble s’inscrire
dans la suite logique de précédents jurisprudentiels.
En effet, en matière d’expropriation, le Conseil d’Etat a jugé que le refus de rétrocession
renferme en réalité deux décisions :

le refus d’aliéner une dépendance du domaine privé

et le refus de faire bénéficier le requérant du droit de rétrocession (CE. 4 novembre
1983, Maurel, n° 45617, publié au recueil Lebon).
Or ces deux décisions entraînent l’application de règles de compétences distinctes.
En effet, si les actes de dispositions des biens du domaine privé, y compris les refus
d’aliéner, relèvent de la compétence du juge administratif (Cf. CE. Sect., 10 mars 1995,
Commune de Digne, n° 108753, publié au recueil Lebon), tel n’est pas le cas du refus de
faire bénéficier l’ancien propriétaire du droit de rétrocession. En matière d’expropriation en
effet, le Tribunal des conflits a tranché en faveur de la compétence du juge judiciaire
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(TC 19 mars 1979, n° 2115, publié au recueil Lebon), solution confirmée (CE. 28 octobre
1994, Pouilhes, n° 88535, publié au recueil Lebon), s’agissant également du litige
indemnitaire (CE. 23 avril 1982, Combaz et autres, n° 20755) ou encore du litige relatif aux
modalités de consignation de l’indemnité d’expropriation (TC. 30 juin 2008, Commune de
Villepinte c/ Banque populaire Rives de Paris, n° 3635, mentionné aux tables du recueil
Lebon).
Le rapporteur public estime par ailleurs que rien ne s’oppose à l’application de cette solution
au litige né d’une décision de préemption et non plus d’expropriation, les questions relatives à
la rétrocession étant finalement très similaires et rattachées de surcroit à un contrat de vente
de nature privée.
Fallait-il alors étendre cette jurisprudence rendue en matière d’expropriation au cas du refus
de rétrocession après préemption ?
Oui, répond le Conseil d’Etat. Il valide en effet le raisonnement adopté par le juge des référés
qui a considéré que le recours ne tendait pas à contester une décision relative à la disposition
d’un bien appartenant au domaine privé mais portait en réalité sur la reconnaissance du droit
de rétrocession du requérant, lié au département par un contrat de vente de nature privée. La
Haute juridiction conclut en jugeant que la demande du requérant était manifestement
insusceptible de se rattacher à la compétence du juge administratif.
Cette décision s’accorde en tout point avec la jurisprudence judiciaire. En effet, la Cour de
cassation s’était d’ores et déjà déclarée compétente pour connaître de ce contentieux dans le
cadre du droit de préemption (Cass. 3e civ., 8 décembre 1999, au Bull. ; Cass. 3e civ., 11
octobre 2006, n° 05-16624).
Néanmoins, on peut regretter que ce raisonnement conduise à rejeter le pourvoi du
requérant, alors même que l’incompétence du juge administratif ne nous semble pas si
manifeste que cela. Le Tribunal Administratif de Nice avait en effet jugé en 2004 que L'inertie
opposée par une commune à une demande de rétrocession du bien préempté pour nonpaiement du prix dans le délai fixé par l'art. L. 213-14 constitue une atteinte au droit du
propriétaire de disposer librement de son bien justifiant que la commune soit mise en
demeure de procéder à cette rétrocession en application de l'art. L. 521-1 CJA (TA Nice, 22
janv. 2004, M. et Mme Pesce c/ Cne de Roquefort-les-Pins, req. no 04000222: BJDU 2003.
431, obs. Bonichot; AJDA 2004. 1833, note Pérignon). On aurait pu imaginer, ce que le
rapporteur public a d’ailleurs proposé, que le doute profite au requérant.
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En effet, le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion d’en juger ainsi dans l’arrêt Maison de retraite
de Neuilly-sur-Seine (CE. 24 février 2011, n° 342621), à propos d’une demande d’expulsion.
Tel n’a pas été le cas. Le requérant, qui justifiait à n’en pas douter de la condition d’urgence
dès lors qu’il est privé de son bien et n’en a pas reçu le prix destiné à financer l’achat de
terrains, devra donc mieux se pourvoir.
Hugues Foucard (stagiaire)
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