Souveraineté Permanente sur les Ressources Naturelles

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Souveraineté Permanente sur les Ressources Naturelles
LE PRINCIPE DE LA SOUVERAINETE PERMANENTE SUR LES RESSOURCES NATURELLES :
SA CREATION, SA DYNAMIQUE ET SON ACTUALITE EN DROIT INTERNATIONAL
Leticia Sakai1
Introduction
La question de contrôle et exploitation des ressources naturelles a été un sujet de débat
aux Nations Unies depuis la création de l’Organisation, vu que les ressources naturelles ont été
objet de grande préoccupation lors de la Deuxième Guerre Mondiale et du processus de
décolonisation qui l’a suivie. Soixante années après sa création, le principe de la souveraineté
permanente sur les ressources naturelles a développé en mettant en cause sa nature, son titulaire
et son objet.
La présente étude envisagera présenter, d’abord, la formation du principe (I), ensuite, le
processus de changement de sa nature et sa consolidation en droit international (II) et finalement,
évoquer les problématiques actuelles relatives à son rôle dans le droit international (III).
I. Le principe de la souveraineté permanente et sa création : un cri des pays du Sud.
Depuis les années cinquante, sous la pression des États nouveaux et des pays en voie de
développement, l’Organisation des Nations Unies (ONU) a consacré une série de travaux
concentrés spécialement au contrôle et à l’accès des ressources naturelles en tant que ressources
naturelles2. Et ce fut au sein même de cette organisation que le principe de la souveraineté
permanente de l’État sur les ressources naturelles a été formulé. Ce principe constituait une
réponse à ce qui a été perçu comme étant des contrats inégaux pendant la période coloniale.
Spécialement, à travers les contrats de « concessions » imposés aux gouvernements imprudents
et vulnérables, de l’époque, en matière d’extraction de pétrole et de minéraux.
Les deux projets de pactes internationaux relatifs au droit de l’homme comprenaient déjà
chacun dans l’article premier, la disposition suivante : « [l]e droit des peuples à disposer d’eux –
mêmes comprend en outre un droit de souveraineté permanente sur leurs richesses et leurs
ressources naturelles. Les droits que d’autres États peuvent revendiquer ne pourront en aucun
cas justifier qu’un peuple soit privé de ses propres moyens de subsistance »3. Pourtant, ce n’est
qu’à travers la Résolution 523 (VI) du 12 février de 1952, que l’Assemblée générale a reconnu le
principe de la souveraineté permanente pour la première fois. Suivie, durant la même année, de
la Résolution 626 (VII) de 21 décembre, laquelle proclame que « le droit de peuples d’utiliser et
d’exploiter leurs richesses et ressources naturelles est inhérente à leur souveraineté ».
Dix ans plus tard, l’Assemblée générale parviendra à préciser le contenu du principe dans
la Résolution 1803 (XVII) du 14 décembre 1962, par laquelle le principe de souveraineté
permanente est consacré comme « élément fondamental du droit des peuples et des nations à
1
Diplômée en droit par l’Université de São Paulo en 2006 et doctorante à l’École doctorale de droit international
public et droit européen à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne depuis 2009.
2
Voy. G. ELIAN, « Souveraineté sur les ressources nationales », in R.C.A.D.I., 1976, vol. 1, pp. 45-63.
3
G. FISCHER, « La souveraineté sur les ressources naturelles », in A.F.D.I., no 8, 1962, p. 517.
1
disposer d’eux-mêmes ». Ici, il convient de souligner que le droit des peuples à
l’autodétermination, ou le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, est un principe du droit
international, aussi considéré comme une norme impérative, qui attribue aux peuples des États le
droit de déterminer librement et sans ingérence extérieure leur statut politique et de poursuivre
leur développement économique, social et culturel4.
Ainsi, le principe de la souveraineté permanente fut considéré comme « un corollaire du
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes »5, destiné à soutenir l’indépendance politique et
économique, notamment des nouveaux États et des États en voie de développement, annonçant
leur droit souverain de s’autodéterminer quant à leurs ressources naturelles. Selon ce principe,
chaque État détiendrait le droit d’utiliser, d’exploiter et de disposer des richesses et des
ressources naturelles présentes dans son territoire, ainsi que celui de décider en dernière instance
et en toute indépendance du sort de ces ressources naturelles et des activités économiques qui s’y
exercent6.
Cependant, ce « corollaire du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », depuis sa
formation, il s’est développé et s’est consolidé comme règle de droit international.
II.
Le principe de la souveraineté permanente et sa dynamique : la consécration d’une
règle de droit international.
Au début de la création du principe, on s’est posé de savoir si la souveraineté permanente
sur les ressources naturelles ne constituait pas uniquement une « doctrine » du droit international,
puisque les résolutions de l’Assemblée générale ne lient pas les États. Au fil du temps, pourtant,
ce principe va se consolider, de plus en plus, à travers d’autres textes internationaux, comme les
deux pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme de 1966 7, la Charte des droits
économiques et devoirs des États du 12 décembre 1974, la Convention de Vienne sur les
Successions des États en matière des traités de 19788, la Charte africaine des droits de l’homme
et des peuples de 19819, tout comme ce principe exercera considérable influence sur des
tribunaux nationaux et internationaux. En effet, il faut souligner qu’à présent, le principe de la
souveraineté permanente a sa valeur juridique reconnue comme norme coutumière du droit
international10et il doit en effet être appliqué comme tel.
Quant au contenu de ce principe, la doctrine du droit international a déjà signalé qu’à
travers le principe de la souveraineté permanente, l’État détient une souveraineté permanente et
entière sur ses ressources naturelles, sur lesquelles il peut exercer son pouvoir d’imperium et de
dominum, en même temps. Cela étant, il est possible d’observer que l’Assemblée générale a
utilisé des éléments du droit international classique, comme la souveraineté de l’État et le
principe de l’égalité souveraine, puisque tous les États détiennent également les droits attribués
par le principe de la souveraineté permanente. Cela était fondamental pour le support juridique
4
J. SALMON (dir.). Dictionnaire de droit international public, Bruylant, Bruxelles, 2001, p. 379.
Ibidem.
6
J. SALMON (dir.). Dictionnaire de droit international public, Bruylant, Bruxelles, 2001, p. 1046.
7
À l’article 1, alínea 2.
8
À l’article 13.
9
À l’article 21, § 1.
10
A. PELLET (et autres). Droit international public, L.G.D.J. 8ème éd., 2009, p. 260.
5
2
du nouveau principe dans le contexte international11. Pourtant, même si le principe de la
souveraineté permanente utilise des éléments normatifs empruntés au passé, il inaugure un
nouveau paradigme. Un paradigme de souveraineté qui fut consacré à la protection du droit des
peuples à l’autodétermination. Et en gardant cette notion à l’esprit, il demeure la question : à
l’heure actuelle, est-il le principe de la souveraineté permanente toujours destiné à sauvegarder la
souveraineté des États sur leurs ressources naturelles ou le principe se rend- il à un droit
international plus « humaniste » ?
III.
Le principe de la souveraineté permanente et son actualité : vers un « droit
international humaniste »12 ?
En ce moment, il faut relever pourtant la question relative aux titulaires du droit de
souveraineté sur les ressources naturelles découlant notamment de l’imprécision de langage des
Nations Unies, provoqué notamment par l’Assemblée générale, organe clé de la formulation du
principe. Bien que l’on accepte que l’État soit le détenteur du droit souverain sur les ressources
naturelles, les textes des résolutions qui ont créé et développé le contenu du principe de la
souveraineté permanente emploient parfois le terme « souveraineté de l’État » et parfois le terme
de « peuples » ou « nations » pour évoquer le titulaire de la souveraineté sur les ressources
naturelles. De cette manière, la question des titulaires de la souveraineté permanente sur les
ressources naturelles demeure encore : l’État ou les peuples ?
Cette imprécision nous amène encore à une autre question. S’il est difficile de préciser qui
est le titulaire du droit de la souveraineté permanente, comment trancher le problème courant de
conflits entre les intérêts de l’État et les intérêts de sa population ? Ces intérêts sont-ils
opposables ou combinés ? Pour mieux éclaircir cette problématique qu’il soulève, il convient de
citer ici un exemple, parmi plusieurs autres, qui l’illustre bien : le projet du barrage de « Belo
Monte » dans la forêt amazonienne au Brésil13.
Dans le cas du barrage de « Belo Monte », il est possible d’observer la présence du conflit
d’intérêts entre l’État, qui veut réaliser la construction du barrage, et les populations locales, les
autochtones américains (les indigènes) qui y habitent et qui seront considérablement affectés et
soumis à la violation de leur droit de s’autodéterminer, leur droit à la vie privée et familiale, leurs
11
G., ABI-SAAB « La souveraineté permanente sur les ressources naturelles», in BEDJAOUI, M. Droit
international : bilan et perspectives, Pedone, Paris, 1991, pp. 638-661.
12
P.-M. DUPUY observe un « recentrage humaniste du droit international » où les garanties internationales des
droits de l’homme deviennent l’élément déterminant. Et donc, l’individu passe de titulaire passif de droit à sujet actif
du droit de gens (DUPUY, P.-M. Théorie des droits de l’homme et fondements du droit international, Archives de
philosophie du droit international, 1987, pp. 124 ss.) Voy. également, ROUCOUNAS, E., « Facteurs privés et droit
international public », Recueil de l’Académie du droit international, vol. 299, 2002, pp. 9-420.
13
Ce projet est vivement critiqué par son impact considérable sur l’environnement, par la réduction importante de la
biodiversité et par l’engloutissement de territoires appartenant aux peuples indigènes qui provoquera le déplacement
de plus de 25 000 d’entre eux. La construction du barrage et les problèmes qu’elle va probablement apporter aux
populations locales ont été jugés, d’abord, dans les tribunaux nationaux brésiliens. Telle est la gravité du problème
qu’à présent, cette affaire a pris une dimension internationale figurant comme important préoccupation du Haut
Commissariat aux droits de l’homme, comme sujet de débat au sein du Conseil des droits de l’homme et comme
objet de requête à la Commission interaméricaine des droits de l’homme depuis avril 2011, puisqu’il risque d’y
avoir de sérieuses violations des droits de l’homme (le droit des peuples autochtones, droit à la vie familiale et
privée, droits culturels et même, le droit à la vie).
3
droits culturels et même leur droit à la vie14. Dans ce même contexte, il est possible de penser, en
outre, au problème d’épuisement de ressources naturelles découlant de l’exploitation démesurée
qui touche les intérêts et le bien-être de la population du pays (le droit de l’homme à
l’environnement, par exemple), de ses générations futures ou encore, de toute l’humanité. Par
conséquent, la question antérieure se pose encore : en matière d’exploitation de ressources
naturelles, les intérêts de l’État et les intérêts des peuples sont-ils opposables ou sont-ils
susceptibles d’être combinés ? Et encore, qui est le titulaire du droit de contrôler et de décider de
l’exploitation de ressources naturelles ?
En réalité, il semble que la question du titulaire du droit comprenne justement l’une des
particularités du principe de la souveraineté permanente. Fondé sur le droit international
classique, le principe de la souveraineté permanente désigne l’État comme le titulaire du droit,
parce qu’il est le seul à détenir « la plénitude de compétences susceptibles d’être dévolues à un
sujet de droit international »15. Cependant, la création du principe de la souveraineté sur les
ressources naturelles a eu pour but la tutelle du droit des peuples. Ainsi comme l’affirme la
Résolution 1803(1962), le droit de souveraineté permanente sur les ressources naturelles doit
s’exercer dans l’intérêt du bien-être de la population de l’État intéressé16. Dès lors, l’État semble
être le titulaire du droit de souveraineté permanente sur les ressources naturelles, à la condition
toutefois qu’il doive exercer ce droit dans l’intérêt du bien-être de sa population. À travers cette
idée, il serait possible, en effet, d’envisager une voie de combinaison entre les intérêts de l’État
et les intérêts du peuple et d’accomplir aux finalités du principe de la souveraineté permanente :
le respect du droit des peuples à s’autodéterminer, sa finalité première ainsi que d’autres droits
de l’homme corrélatifs, et le respect au bien être de la population de l’État.
Cependant, il reste à savoir de quelle manière cette combinaison d’intérêts pourrait se
réaliser? Celle est une autre question à laquelle la présente recherche se propose de répondre. Par
exemple, dans le cas de conflit d’intérêts entre l’État et les peuples autochtones, comme c’est le
cas dans l’affaire Belo Monte, l’État devrait appliquer la Déclaration des Nations Unies sur le
droit des peuples autochtones et la Convention 169 de l’OIT. Par conséquent, il serait considéré
le droit à la consultation et au consentement libre, préalable et informés des peuples autochtones
pour l’exploitation dans leurs terres17. Dès lors, ici un autre question émerge : quelles sont
conséquences juridiques résultant de l’idée de conjugaison d’intérêts accordée par le principe de
la souveraineté permanente ?
En particulier, deux conséquences semblent en découler. En premier lieu, il est possible
d’observer que, selon le principe de la souveraineté permanente, l’État en exerçant son droit de
contrôler et d’exploiter les ressources naturelles dans son territoire doit le faire dans l’intérêt de
son peuple, selon la Résolution 1803 (1962). Il semble qu’il y ait ici une obligation de l’État de
contrôler les ressources naturelles en respectant davantage les droits et le bien-être de son peuple.
14
Il convient de souligner que dans la construction de la thèse, nous prétendons bien explorer la notion du droit des
peuples à l’autodétermination ainsi que son rapport avec d’autres droits de l’homme.
15
P-M. DUPUY. Droit International Public, Dalloz, 8e éd., Paris, 2006, p. 31.
16
Résolution 1803 du 14 décembre 1962, § 1 « [l]e droit de souveraineté permanente des peuples et des nations sur
leurs richesses et leurs ressources naturelles doit s’exercer dans l’intérêt du développement national et du bien-être
de la population de l’État intéressé ».
17
Adoptée par la Résolution 61/295 du 2 octobre 2007.
4
Par ailleurs, les dispositions relatives au principe de la souveraineté permanente semblent
évoquer un devoir de coopération internationale. Celui-ci appelle les États à « respecter
strictement et consciencieusement la souveraineté permanente des peuples et des nations sur
leurs richesses et leurs ressources naturelles »18. En effet, d’après le principe de souveraineté
permanente, les États sont appelés à coopérer, et non intervenir, au respect du droit des peuples
de disposer librement de leurs richesses et leurs ressources naturelles 19. Cette coopération
pourrait être, par exemple, à travers l’assistance technique et économique, l’échange de données
pour la gestion de ressources ou encore, le renforcement de mécanismes de contrôle et protection
internationale disponibles pour garantir le respect au droit des peuples à disposer sur leurs
ressources naturelles ainsi que d’autres droits de l’homme qui y sont reliés.
Conclusion
Le principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles en tant que
règle coutumière de droit international doit être observée par les États et par la société
internationale. Néanmoins, il a été possible d’observer qu’à la présente, plusieurs questions se
posent sur la portée du principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles ainsi
comme un son possible « nouveau rôle » dans le droit international. Spécialement, dans un droit
international qui gagne de plus en plus un « recentrage humaniste ».
Ce travail a prétendu contribuer à inciter des réflexions sur ce sujet et à inviter à un
débat plus approfondi. Dans deux semaines, vingt ans après la Conférence sur l’Environnement et
le Développement de 1992, les Nations Unies réaliseront la Conférence « Rio +20 ». Tenant en
compte la notoriété et la répercussion de la « Rio+20 » dans le monde, il sera intéressant d’y
discuter l’exploitation de ressources naturelles par un regard plus conscient des droits de l’État,
mais surtout de leurs devoirs relatifs aux questions sur l’environnement et sur les droits de
l’homme.
18
19
Résolution 1803 du 14 décembre 1962, préambule.
À ce propos, voir la Résolution 1803 du 14 décembre 1962, § 7.
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