Démotivation et dysfonctionnements frontaux chez le sujet âgé

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Démotivation et dysfonctionnements frontaux chez le sujet âgé
NEUROPSYCHOLOGIE
Démotivation et dysfonctionnements frontaux chez le sujet âgé
C. HAZIF-THOMAS (1), S. CHANTOIN-MERLET, P. THOMAS, V. BONNEAU, R. BILLON
Résumé. L’objectif de cette étude est d’évaluer les liens
entre les dysfonctionnements frontaux et la démotivation
chez la personne âgée ; 45 patients âgés (31 femmes :
79,5 ± 6,5 ; 14 hommes : 74,3 ± 10,7) pris en charge en hôpital de jour psychogériatrique ont été sélectionnés pour cette
étude. La motivation est évaluée au moyen de l’Échelle
d’appréciation de la démotivation (EAD). Durant une période
de temps équivalente, les patients sont également testés
avec le Mini Mental test (MMS), l’échelle de dépression de
Cornell ainsi que l’Échelle d’apathie de Marin. Une batterie
d’évaluation du fonctionnement exécutif a aussi été
administrée : le Trail Making Test A et B, le test de sélection
de cartes de Wisconsin et la Batterie rapide d’évaluation frontale (BREF). Les résultats démontrent que la perte de motivation est corrélée au nombre d’erreurs au test du Wisconsin
surtout avec le nombre d’erreurs persévératives. Un bon
niveau de motivation est lié avec de bonnes performances à
la BREF, surtout pour les sous-items Programmation et Inhibition. En revanche, il n’existe pas de lien entre démotivation
et vitesse d’exécution au Trail Making Test. En conclusion,
des pertes de motivation sont associées à des troubles des
fonctions exécutives. Leur dépistage est ainsi indispensable
en vue de l’établissement d’un programme de rééducation
cognitive.
Mots clés : Démotivation ; Échelle d’appréciation ; Fonctions
exécutives ; Neuropsychologie ; Personne âgée ; Tests frontaux.
Loss of motivation and frontal dysfunctions
in old patients
Summary. Loss of motivation and frontal dysfunction are frequent in old people. Motivation refers to what drives acts and
relationships. The loss of motivation has some spécific characteristics from depression : loss of sens of meaning, loss of
commitment for others, dysinterest for daily activities. The
frontal function is related to speed of acting, emotional system,
anticipating of the future. All these points are altered in demotivated patients. For these reasons we assayed to analyse the
possible links between loss of motivation and frontal dysfunctions. Methods – The focus of this assay was to determine and
to precise the functional links between frontal brain and loss
of motivation in old people ; 45 old patients cared in a day care
hospital were proposed to participate to neuropsychologic
evaluation. After their agreement and their family acceptation
if they were demented, they were assessed by a practitioner,
then by 2 different psychologists. They were evaluated for
cognition (MMS), depression (Cornell’s scale), apathy
(Marin’s scale), age and scolarships level. In a other time, they
were tested with different frontal tests : Trail making A and B,
Wisconsin, BREF (frontal battery of psychological tests) analyse concerned speeds, number and natures of errors, habilities for matching categories. Loss of demotivation was scored
on EAD scale. Statistical analysis was done with Systat 10 and
Statview software. Results – It could be notice the significant
negative links between EAD scores and the BREF scales, or
with the number of categories found with the Wisconsin test.
The more motivated the patients are the best results they have
with their frontal tests. There are positive and significant links
between EAD score and the number of errors at the Wisconsin
test, and especially with repetitive errors either with this test
or with BREF test. Repetitive errors and the number of errors,
pointing some frontal dysfunctions are associated with a loss
of motivation. Considering BREF sub-items, it could be shown
the negative links between EAD scores and programmation
or inhibition sub-items. All these points persist in a statistical
model including pathology, cognitive levels, depression level
at the Cornell’s scale, age or scolarship level. We do not find
a link between EAD scores and the time obtained with the Trail
making test. Conclusion – Loss of motivation is associated
with some frontal impairment responsible for numerous errors
in tasks. A good motivation of old people is associated with
good frontal habilities especially in complex tasks or in programming capacities of old patients. There is no links between
(1) Pôle Psychogériatrique, (Pr Clément) 15 rue du Dr Marcland, 87025 Limoges cedex.
Travail reçu le 2 août 2001 et accepté le 5 août 2002.
Tirés à part : C. Hazif-Thomas (à l’adresse ci-dessus).
L’Encéphale, 2002 ; XXVIII : 533-41, cahier 1
533
C. Hazif-Thomas et al.
the speeds of tasks and the level of motivation. Motivation
could be so related with orbito-frontal brain activities.
Key words : Aging ; Demotivation ; Evaluation scale ; Executive
functions ; Frontal test ; Neuropsychology.
INTRODUCTION
Lorsqu’une personne démoralisée ne fait plus ce qu’elle
veut faire, on parle d’inhibition dépressive. Quand elle ne
veut plus faire parce que ce qu’elle fait, pense-t-elle, ne
compte pas, on parle de démotivation. Cette démotivation
est caricaturale lorsque le sujet âgé trouve que le vécu
quotidien rend les choses à faire de moins en moins intéressantes, comme si la capacité à se motiver était de plus
en plus enfouie. La démotivation est la persistance d’une
approche passive de l’environnement avec une atrophie
du domaine de l’action : on parle de troubles conatifs pour
exprimer la morosité conjointe à la réduction de l’espace
« action », à une moindre envie de se réaliser dans le
« faire » (32). Faire et projeter de faire sont de plus en plus
hors de portée du sujet âgé démotivé car l’anticipation,
condition de l’adaptation, est désamorcée, faute d’élan
motivationnel et de lien à une construction subjective
« suffisamment solide » pour prendre appui dans le jeu
avec la réalité.
En ce sens, la démotivation est le fond mental dont procèdent le découragement, les pertes d’énergie, le ralentissement idéomoteur ou la perception d’un ralentissement de l’écoulement du temps. Forsell et al. (15) ont ainsi
séparé chez les déments, les troubles de l’humeur des
troubles de la motivation. Ces derniers regroupent plutôt
la perte d’intérêt, les difficultés à penser ou à se concentrer
et la perte d’énergie. La personne âgée démotivée semble
ne savoir que faire de son présent et de son futur proche.
La perte d’attrait pour la communication et de fatalisme
face à un partage relationnel décevant est significatif en
ce sens. En outre, la personne âgée s’inscrit alors dans
une perte d’activité car elle ne voit plus l’intérêt de conserver une activité séparée de toute motivation intérieure
d’agir. La démotivation est souvent perçue par les soignants comme un refus de s’engager envers autrui dans
un domaine qui a encore du sens.
Dans la mesure où les processus motivationnels sont
aussi des expériences cérébrales, il importe de se rapporter à l’activité préfrontale et au support qu’elle assure
aux plans d’actions désirés. La neuropsychologie des
comportements dirigés vers un but est ainsi en plein essor
(13) mais les liens entre démotivation et les dysfonctionnements frontaux n’ont été que peu approfondis, d’autant
que les outils d’évaluation de la démotivation adaptés et
validés chez la personne âgée restent très rares ou
méconnus (9).
Le lobe frontal est impliqué dans de nombreuses fonctions cérébrales : émotion, comportement, cognition, exécution de tâches complexes et vitesse d’exécution (avec
le cervelet). Ces fonctions ne sont pas sans relation avec
la motivation (20). Les fonctions intégratrices du lobe fron534
L’Encéphale, 2002 ; XXVIII : 533-41, cahier 1
tal sont nécessaires au contrôle et à la réalisation de comportements dirigés vers un but. Ces comportements élaborés ne sont possibles que grâce à un projet qui intègre
les besoins du sujet et les informations du monde extérieur. Si lobe frontal et motivation sont liés pour adapter
l’individu au monde qui l’entoure, ils ne sont pas moins liés
aux fonctions exécutives. Encore s’agit-il d’affirmer ici que
sont ainsi considérées toute habileté cognitive permettant
de développer et planifier un comportement dirigé vers un
but, et l’aptitude à conformer son comportement aux contingences sociales.
La prise en compte de la perturbation des fonctions exécutives chez la personne âgée est d’un intérêt certain pour
individualiser aujourd’hui des patients plus fragiles que
d’autres, incapables d’élaborer de nouvelles stratégies
adaptatives en dehors de leur quotidien. Ont été impliqués
dans ce manque de « coping », non pas tant le syndrome
amnésique qu’un manque général de motivation et des
troubles des fonctions exécutives. Cela n’est pas seulement le cas des patients déments mais cela se trouve vérifié chez les patients schizophrènes, âgés ou non, d’où
l’emploi intéressant aujourd’hui des neuroleptiques atypiques, mais aussi celui, prometteur, des anticholinestérasiques (5, 16, 26).
Une des difficultés était jusqu’à présent l’absence d’outil
de mesure de la démotivation : la construction de l’échelle
EAD a répondu à ce besoin. Cette échelle d’appréciation
de la démotivation (EAD) a déjà permis de relever les liens
mais également la proximité entre démotivation et apathie,
continuité de la première lorsque s’y adjoint un émoussement affectif (6, 9).
Si la dépression s’accompagne souvent de démotivation, celle-ci existe aussi en dehors de la dépression (8),
de même que l’apathie peut renvoyer aussi bien à des
lésions du lobe frontal qu’à des pathologies comme la
maladie de Parkinson ou la dépression (4, 22) : toutes
pathologies affectant des neuromodulateurs de l’activité
corticale frontale ou témoignant d’une hypofrontalité.
Dans un esprit d’affinement diagnostique, il est notable
de rappeler que, bien que la dépression puisse aussi se
manifester par des symptômes négatifs, une importante
différence phénoménologique existe puisque ce qu’on
retrouve de façon typique dans l’apathie est :
1) L’absence de détresse subjective.
2) L’absence de pensées négatives sur soi ou sur l’avenir.
3) Un manque général de réactivité face aux événements positifs ou négatifs.
L’intérêt est ici d’approfondir les chevauchements entre
démotivation et hypofrontalité, en comparant l’EAD avec
des tests neuropsychologiques évaluant les fonctions
exécutives afin de mieux comprendre les dysfonctionnements cognitifs chez la personne âgée.
De nombreux indices vont dans le sens de cette hypothèse, à savoir qu’une personne âgée en perte de motivation présentera également des signes de dysfonctionnements frontaux, notamment chez une population
L’Encéphale, 2002 ; XXVIII : 533-41, cahier 1
atteinte par la maladie d’Alzheimer (33) L’hypothèse générale est qu’une hypofrontalité faite de démotivation pourrait expliquer à la fois la survenue d’un émoussement
affectif, d’une baisse des performances cognitives et d’un
désapprentissage lié à des troubles exécutifs.
MÉTHODES
Population
La population étudiée vit à domicile. Elle fréquente une
à deux fois par semaine l’hôpital de jour psychogériatrique
Louis Pasteur à Poitiers.
Deux types de population sont accueillis :
– des patients présentant une démence légère à
modérée prise en charge sur le plan cognitif, social et
thymique ;
– des patients non déments suivis pour travail kinésithérapique et ergothérapique pour des troubles de l’équilibre ou des problèmes somatiques, des séquelles d’accidents vasculaires cérébraux ou des pertes d’autonomie
physique.
Les sujets de l’étude ont été sélectionnés au hasard au
sein de ces 2 populations.
Le diagnostic de maladie d’Alzheimer a été établi selon
les critères du DSM IV et après examen neuropsychologique. De même, le seuil désigné du MMS a été de 26/30
et moins pour cette population. Le seul critère d’exclusion
concerne la population ayant un MMS inférieur ou égal à
10.
Les 45 malades sélectionnés ont tous donné leur
accord, ou à défaut leur famille, pour participer aux passations après explication de l’utilisation des données, et
proposition d’exploitation anonyme des résultats (CCPRB
du 16 décembre 1998).
Évaluations
Différentes évaluations ont été réalisées :
• Le Mini Mental State de Folstein (MMS) qui est un
examen standardisé des fonctions cognitives mis au point
par Folstein et al. (1975) (14).
• L’échelle d’apathie de Marin (25) qui est un outil spécifique comprenant 18 items, dont 5 explorent le comportement, 8 la cognition, 2 les manifestations émotionnelles,
et 3 d’autres manifestations (initiative, motivation, compréhension de ses problèmes).
• L’échelle d’appréciation de la Démotivation (EAD) (9)
qui est une échelle d’hétéro-évaluation mesurant une
grandeur indépendante de la cognition et de la thymie lorsque celles-ci sont évaluées par le MMS et l’échelle de Cornell.
• L’échelle de dépression de Cornell (1) qui est une
échelle d’évaluation de la dépression chez le patient
dément, notamment pour les stades modérés à sévères.
C’est également une échelle d’hétéroévaluation qui prend
Démotivation et dysfonctionnements frontaux chez le sujet âgé
en compte, de façon systématique, les observations de
l’entourage du patient. Un score de 8 et plus suggère une
symptomatologie dépressive significative.
Une batterie d’évaluation des fonctions frontales a également été administrée, prenant en compte les fonctions
exécutives et comportant :
• La batterie rapide d’évaluation frontale de Dubois
(BREF) (10) qui a pour vocation de dépister un syndrome
dysexécutif. Sensible à un dysfonctionnement frontal,
cette échelle se cote en 18 points et possède 6 sous-tests
chacun coté en 3 points. Le score global, ainsi que la note
sur chacun des sous-tests, seront utilisés.
L’échelle se décompose comme suit :
– une épreuve de similitudes qui évalue l’élaboration
de concept ;
– une épreuve de fluences verbales afin d’observer le
maintien et l’évocation en mémoire ;
– une épreuve de comportement de préhension évaluant l’adhérence à l’environnement ;
– une programmation motrice testant la flexibilité
mentale ;
– une épreuve de consigne conflictuelle évaluant la
sensibilité à l’interférence et les capacités attentionnelles ;
– une épreuve de Go-No Go pour le contrôle inhibiteur.
• Le Trail Making Test qui est très sensible aux désordres cérébraux antérieurs et notamment frontaux. On distingue ainsi :
– le Trail making test A (TMA) (29) qui est la première
partie d’une épreuve de prospection plus étendue (TMT
A et B) dont l’étude conjointe permet d’évaluer la capacité
de régulation et de contrôle attentionnel de la mémoire de
travail (mémoire à court terme). Dans une première phase,
on présente au patient sur un support papier de format A4,
des cercles contenant des nombres de 1 à 25 répartis
d’une façon aléatoire. Il est demandé au sujet de relier les
cercles par un trait continu, dans l’ordre croissant et le plus
rapidement possible. Les performances à ce test sont en
relation avec la capacité de maintien d’un mode de
réponse ;
– le Trail making test B (TMB), deuxième partie du test
qui, par son aspect plus idéomoteur, va évaluer la capacité
de changement du mode de réponse du patient.
Ce test a été administré au patient en suivant la
méthode de travail de l’équipe universitaire de Bordeaux II
(3). Il se base sur l’évaluation de l’attention sélective, des
capacités d’inhibition et de planification. Sur un support
papier de format A4, 25 cercles sont répartis de façon
aléatoire. Dans la moitié des cercles on retrouve des nombres de 1 à 13, et dans la moitié restante, les cercles contiennent des lettres de A à L. Il est demandé au patient de
tracer un trait continu entre les 25 cercles en commençant
par le chiffre 1 et en alternant dans l’ordre croissant les
chiffres et les lettres : (1-A-2-B-3-C-…-L-13). À la différence de la procédure de Reitan (29) qui accompagne le
patient tout au long de la passation afin de lui faire corriger
ses erreurs et ainsi pouvoir tenir compte du temps écouté,
l’équipe de Bordeaux aide le patient durant les
4 premières connections et le laisse terminer sans inter535
C. Hazif-Thomas et al.
L’Encéphale, 2002 ; XXVIII : 533-41, cahier 1
venir. Cette procédure leur a permis d’étudier les différentes erreurs commises.
Deux types d’évaluation seront utilisés dans cette
étude :
– la vitesse d’exécution au TMA ;
– le nombre d’erreurs persévératives au TMB (oublis
d’alternance chiffres-lettres).
La limite du TMT est que son caractère visuo-spatial le
rend également sensible aux déficits postérieurs.
• Le test de classement de cartes de Wisconsin qui est
le test le plus utilisé pour évaluer à fois l’habileté cognitive
et les régulations comportementales ; il est de plus spécifique, car il requiert pour sa réussite toutes les fonctions
exécutives sous le contrôle du lobe frontal (11).
Dans cette épreuve le patient a devant lui 4 cartes stimuli qui diffèrent par la forme, la couleur et le nombre d’éléments. Des cartes réponses sont données une par une
au patient qui doit les apparier à l’une des cartes stimuli
selon un critère de classement. L’examinateur n’aide le
patient qu’avec un retour verbal en oui-non. Le patient doit
maintenir son critère pendant 6 réponses consécutives,
puis la règle change et il lui faut découvrir un nouveau critère.
Le test remanié par Nelson (27) contient 2 jeux de
24 cartes à apparier aux stimuli et impose ainsi de découvrir 6 critères (2 fois la couleur, la forme et le nombre).
Ce test permet d’évaluer les capacités de planification,
d’organisation, de stratégie, d’adaptation aux changements de l’environnement et de conceptualisation.
Trois types de données sont relevés :
– le nombre de critères produit ;
– le nombre d’erreurs persévératives (une erreur est
considérée comme persévérative lorsque l’examinateur
dit non au sujet et que celui-ci poursuit son raisonnement
sur le mauvais critère sans tenir compte de ce feed-back) ;
– le nombre d’erreurs totales (erreurs persévératives
et non persévératives).
Un relevé classique de données a également été effectué, à savoir la pathologie du malade (dément ou non), le
niveau culturel, le sexe du malade et son âge.
Cotateurs
Après présentation de cette étude auprès du personnel
soignant, effectuant chacun un rôle différent au sein de
l’équipe, 7 d’entre eux ont accepté de remplir les grilles
de Marin et l’EAD, qui se présentent comme des échelles
à passation indirecte se basant sur une bonne connais-
sance des patients et de leur mode de vie. La fidélité interjuges a été étudiée préalablement lors de la construction
de l’échelle d’appréciation de la démotivation, concluant
à une différence non significative entre les scores relevés
par la psychologue et ceux des différents cotateurs (9).
Le MMS et l’échelle de Cornell ont été remplis par une psychologue ou un médecin.
Les tests frontaux ont été administrés par une psychologue indépendamment des autres tests, mais dans une
période de temps équivalente.
Statistiques
L’analyse statistique a été pratiquée par un biostatisticien avec les logiciels Statview 6 et Systat 10. Le t de Student est utilisé pour évaluer la présence de différences
significatives sur des variables nominales entre les groupes ou au sein des groupes pour chaque test utilisé. Le
Mann Whitney est utilisé pour les données non paramétriques comme le niveau culturel. Des corrélations permettent d’évaluer le poids des différents tests et sous-tests
entre eux. Le modèle général linéaire est utilisé pour étudier les corrélations partielles entre ces 2 dimensions en
les ajustant simultanément sur les autres. Des corrélations
partielles sont faites pour pondérer le coefficient de corrélation r du poids des interrelations avec les autres paramètres étudiés dans la matrice.
L’analyse de variance (ANOVA) est utilisée pour étudier
des scores quantitatifs en fonction de données ordinales,
par exemple à 3 ou 4 niveaux, mais toujours en essayant
de montrer une tendance avec des tests d’hypothèse
éventuels de linéarité.
RÉSULTATS
Description de la population
Quarante-cinq malades ont accepté de participer à
l’étude. Le tableau I présente la population : 14 hommes
et 31 femmes composent cette étude.
Les hommes ont en moyenne 74,3 ans ± 10,7 et les
femmes 79,5 ans ± 6,5. Il n’existe pas de différence significative entre ces 2 populations, que ce soit sur l’âge, le
niveau culturel, le MMS, l’échelle de Marin, sur l’EAD,
l’échelle de Cornell ou la BREF.
Le tableau II décrit la population en fonction de la pathologie du malade.
TABLEAU I. — Présentation de la population (n = 45).
Âge
Niveau culturel
MMS
Cornell
Marin
EAD
BREF
Hommes n = 14
74,3 ± 10,7
3 ; [2-4]
22,6 ± 5,8
4,7 ± 4
43,1 ± 12,1
40,1 ± 19,7
10,3 ± 3,6
Femmes n = 31
79,5 ± 6,5
3 ; [3-4]
22,3 ± 5,7
7,3 ± 6,3
46,1 ± 13,8
35,3 ± 8,8
9,1 ± 4
536
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Démotivation et dysfonctionnements frontaux chez le sujet âgé
TABLEAU II. — Résultat des évaluations selon la pathologie (cases grisées p < 0,05).
Âge
Niveau
culturel
MMS
Cornell
Marin
EAD
BREF
Déments n = 27
79,7 ± 8,8
3 ; [2-4]
18,7 ± 4
5,4 ± 4,7
49,9 ± 12,2
39,3 ± 8,8
7,4 ± 2,7
Non-déments n = 18
75,2 ± 6,8
3,5 ; [3-5]
27,9 ± 2,6
t = 8,4 ;
p < 0,001
8,3 ± 6,3
38,1 ± 11,8
t = 3,2 ;
p < 0,01
33 ± 9,6
t = 2,26 ;
p < 0,05
12,5 ± 3,4
t = 5,5 ;
p < 0,001
Vingt-sept patients ont un diagnostic posé de maladie
d’Alzheimer et 18 patients sont non déments. Les patients
déments ont une moyenne d’âge de 79,7 ans et les
patients non déments, une moyenne d’âge de 75,2 ans.
Il existe une différence significative entre ces
2 populations sur le niveau du MMS (MMS plus bas chez
les déments), sur l’échelle de Marin (les déments sont plus
apathiques que les non-déments), sur l’EAD (les déments
sont plus démotivés que les non déments) et enfin sur la
BREF (les déments présentent un dysfonctionnement des
fonctions exécutives plus important que les nondéments).
De même, il n’existe pas de différence entre ces
2 groupes sur l’âge, le niveau culturel et l’échelle de Cornell.
Corrélation
Le tableau III présente la matrice de corrélation entre
différents tests : BREF et ses sous-tests, EAD, Marin, Cornell, âge et niveau culturel.
Il est à noter tout d’abord que l’EAD est corrélée négativement, de façon significative, avec les épreuves d’inhibition et de programmation. L’on peut donc dire que plus
l’EAD a un score élevé, plus les performances aux tests
évaluant l’attention sélective et la flexibilité mentale sont
faibles. Il existe également un lien entre l’EAD et le score
global à la BREF.
De même, tous les sous-tests de la BREF ainsi que son
score global corrèlent négativement et de façon significative avec l’échelle d’apathie de Marin. Le sous-item préhension n’a pas été analysé car constamment égal à
3 dans la population étudiée. Les corrélations entre le
score global de la BREF et 2 de ses sous-tests (programmation et inhibition) indiquent qu’ils peuvent être utilisés
indépendamment de leur score global pour être comparés
aux autres tests.
Les corrélations positives au MMS montrent que plus
celui-ci est élevé, plus les résultats aux tests de la BREF
sont élevés. L’échelle de Marin est corrélée négativement,
de façon significative, avec le MMS, ce qui signifie que plus
le MMS est bas, plus le patient est apathique.
TABLEAU III. — Matrice de corrélations (* : p < 0,05).
EAD
Inhibition
MMS
Cornell
Marin
Âge
Niveau
culturel
BREF
Similitude
Fluence
Program- InterInhibition
mation férence
– 0,29
0,36*
0,36*
– 0,43*
– 0,19
0,31*
0,79*
0,34*
0,45*
0,52*
0,57*
Interférence – 0,28
0,46*
0,01
– 0,50*
0,17
0,37*
0,86*
0,56*
0,46*
0,43*
1
– 0,01
– 0,54*
0,04
0,21
0,58*
0,10
0,27
1
1
Programmation
– 0,36* 41
Fluence
– 0,04
0,33*
0,05
– 0,34*
0,04
0,56*
0,69*
0,40*
Similitude
– 0,20
0,50*
0,10
– 0,31*
– 0,08
0,44*
0,69*
1
BREF
– 0,32*
0,56*
0,14
– 0,57*
– 0,12
0,52*
1
NC
– 0,28
0,33* – 0,12
– 0,42*
0,08
Âge
0,19
– 0,07
Marin
0,69*
– 0,36*
Cornell
0,16
0,22
MMS
0,27
1
EAD
1
– 0,03
0,26
0,26
1
1
1
1
1
537
C. Hazif-Thomas et al.
L’Encéphale, 2002 ; XXVIII : 533-41, cahier 1
L’EAD et la grille de Marin sont fortement corrélées
(r = 0,69) ainsi que le pourcentage de la variation expliqué
par le changement d’un des paramètres (r 2 = 47,6).
La réussite aux épreuves frontales est également corrélée au niveau culturel du malade, sauf pour l’épreuve
de programmation qui est indépendante de ce facteur.
L’étude des corrélations partielles incluant MMS, Cornell, âge et niveau culturel, ne met pas en évidence
d’influence particulière de ces facteurs sur les valeurs et
les significations des relations liant EAD d’un côté et
BREF, inhibition, programmation de l’autre (tableau IV).
TABLEAU IV. — Corrélations partielles EAD, BREF,
et sous-tests Inhibition et Programmation en prenant en compte
l’influence de : MMS, Cornell, âge, niveau culturel
(Cases grisées p < = 0,05).
r
p
EAD n = 45
BREF
– 0,32
0,03
EAD n = 45
Inhibition
– 0,29
0,05
EAD n = 45
Programmation
– 0,36
0,01
Ces résultats vont dans le sens d’un continuum démotivation – apathie chez la personne âgée. Plus le patient
est fortement démotivé donc apathique, plus les résultats
aux tests frontaux sont faibles.
Le tableau V montre les corrélations entre l’EAD et le
comportement au Wisconsin (n = 42 car 3 malades ne
l’ont pas achevé).
TABLEAU VI. — Corrélations EAD et erreurs persévératives
au Wisconsin et TMB (Cases grisées p < 0,05).
EAD n = 30
EAD n = 42
Erreurs
persévératives
au TMB
Erreurs
persévératives
au Wisconsin
r
p
0,37
0,04
0,34
0,02
Ces résultats démontrent que plus l’EAD est élevée,
plus le nombre d’erreurs persévératives au TMB ainsi
qu’au Wisconsin est élevé.
Le temps mis pour effectuer le TMA a été relevé pour
chaque patient (n = 41 sujets ayant terminé le TMA) et corrélé au score de l’EAD. Avec r = 0,03 et p = 0,79, la vitesse
d’exécution n’est pas corrélée au score de l’EAD.
Analyse de la variance
Les pourcentages de variation de l’EAD (r 2) expliqués
par les différents tests, évaluant les fonctions exécutives,
sont équivalents, ce qui suggère une bonne cohérence de
chacun sur le caractère prédictif d’une éventuelle démotivation sur le dysfonctionnement frontal. En effet 10,9 %
de la variation de l’EAD est expliquée par le nombre
d’erreurs totales au Wisconsin, 11,6 % par le nombre
d’erreurs persévératives sur ce même test, 12,2 % par le
sous-test programmation de la BREF, 10,9 % par le soustest inhibition, 9,6 % par le score global à la BREF et enfin
13,7 % par le nombre d’erreurs persévératives au TMB.
TABLEAU V. — Corrélations EAD et Wisconsin
(Cases grisées p < 0,05).
r
p
EAD n = 42
Nombre
de critères
au Wisconsin
– 0,28
0,06
EAD n = 42
Nombre
d’erreurs total
au Wisconsin
0,33
0,03
Différences entre patients déments et non déments
Le tableau VII présente l’étude des différences significatives entre les patients déments et non déments sur les
différents tests étudiés (ANOVA).
TABLEAU VII. — Test Anova comparant les résultats obtenus
aux épreuves psychométriques chez les patients déments
et non déments.
Valeur de F Valeur de p
Il n’existe pas de corrélation significative entre le score
de l’EAD et le nombre de critères corrects au Wisconsin,
même s’il existe une tendance : plus l’EAD est élevée,
moins le nombre de critères trouvés est élevé (r = – 0,28).
De même plus l’EAD est élevée plus le nombre d’erreurs
au Wisconsin est élevé (r = 0,33) et ceci de façon significative. La démotivation s’accompagne d’erreurs au test
de Wisconsin et d’une faible capacité à assembler les
catégories.
Le tableau VI résume les corrélations entre l’EAD et les
erreurs persévératives au TMB et au Wisconsin (pour le
TMB et l’EAD, n = 30 car 15 patients ne sont pas allés au
bout du TMB).
538
EAD
BREF score global
Erreurs persévératives TMB
Critères au Wisconsin
Erreurs totales au Wisconsin
Erreurs persévératives au Wisconsin
Similitude
Fluence
Programmation
Interférence
Inhibition
5,1
22,1
66,1
21,1
15,3
18
11,2
9,5
8,2
18,7
15,7
< 0,05
< 0,0001
< 0,0001
< 0,0001
< 0,001
< 0,001
< 0,01
< 0,01
< 0,01
< 0,0001
< 0,001
L’Encéphale, 2002 ; XXVIII : 533-41, cahier 1
Il existe une différence significative entre ces 2 populations sur :
– l’EAD : les patients déments sont plus démotivés que
les non-déments ;
– la BREF et ses sous-tests : les patients déments ont
des performances plus basses que les patients nondéments ;
– le TMB et le Wisconsin : les patients déments ont des
difficultés plus importantes.
Les patients déments semblent plus souvent démotivés
et possèdent des difficultés aux fonctions exécutives plus
importantes que les patients non déments.
Patients démotivés ou non
Si on ne retient que les sujets ayant un MMS supérieur
à 25 (15 sujets), la corrélation avec l’EAD est à – 0,642 ;
MMS supérieur à 26 (14 sujets), – 0,714 ; MMS supérieur
à 28 (10 sujets), – 0,746 ; MMS supérieur à 30 (6 sujets),
– 0,817. Tous les tests sont significatifs. Cette tendance
ne s’observe pas avec le Marin.
En comparant la population des non-déments démotivés et non démotivés, l’on peut observer une différence
significative entre ces deux groupes sur le sous-test programmation (F = 4,50, p < 0,05).
La démotivation semble donc jouer sur les capacités de
flexibilité mentale (résultats non présentés).
De même, en comparant les patients déments démotivés et non démotivés, il existe une différence significative
entre ces deux sous-populations sur le nombre d’erreurs
totales au Wisconsin (F = 4,54, p < 0,05), révélateur de
difficultés attentionnelles.
DISCUSSION
La démotivation chez la personne âgée a pour conséquence principale l’émoussement du désir d’agir, une attitude de désinvestissement, une résignation au repli sur
soi, mais aussi une défaillance dans l’aptitude à revoir ses
choix de façon plus active. En ce sens la démotivation peut
côtoyer une volonté intacte, à la différence de ce qu’on
voit dans la dépression, car le comble de la volonté, c’est
la contemplation, pas l’action : la contemplation de ses
propres certitudes suffisamment marquée pour que ne
s’éprouve nullement la nécessité d’avoir recours à des
demandes. Cela se sent intuitivement dans l’expression
se rebuter, pour dire le refus de se laisser fléchir. Sans
doute que le patient démotivé est piégé dans ce trouble,
comme s’il ne pouvait pas analyser ce qu’il perd, d’où l’idée
que la démotivation est d’abord le refus de la perte (28).
Il y a un lien significatif entre l’EAD et les scores au
BREF, Wisconsin et TMB. L’intensité est cependant faible
puisqu’environ 9 % seulement de la variance de ces
échelles peut être expliquée avec l’EAD. Les scores au
Marin et au MMS sont plus corrélés (– 0,57 et 0,56) mais
il semble y avoir avec l’EAD une interaction avec le MMS
Démotivation et dysfonctionnements frontaux chez le sujet âgé
pour le BREF qui n’existe pas avec les autres variables.
Plus le MMS est élevé, plus la corrélation augmente et, si
les effectifs se réduisent, les tests gardent une signification qui est à 0,04 pour un MMS à 30 et un effectif de 6.
En outre, l’augmentation semble linéaire, – 0,616,
– 0,714, – 0,746, – 0,817 et ce fait est propre à l’EAD, non
rencontré avec les autres échelles testées parallèlement
au MMS.
Quand on considère les variables du BREF, ce manque
de précision apparaît bien, et avec les scores élevés on
retrouve une bonne logique linéaire. Malheureusement
les effectifs deviennent trop faibles pour faire les tests.
Pour les autres échelles frontales, l’EAD a des liens du
même niveau que le Marin ou le MMS, de l’ordre de 0,3
sans interaction évidente, sauf avec le TMB avec lequel
elle est très faible. Le score de Cornell est peu prédictif
dans tous les cas de figure. Signalons que les corrélations
entre les échelles frontales proprement dites vont de 0,07
entre TMA et Wisconsin à 0,47 entre Wisconsin et BREF.
Elles ne sont pas considérables et même parfois faibles,
et on évalue avec chacune d’elles des choses très différentes.
L’EAD, par son caractère unidimensionnel, quantifie les
aspects non cognitifs de la perte d’auto-activation psychique (6, 9, 24). De même le « système exécutif » a pour
fonction de faciliter l’adaptation du sujet à des situations
non encore inscrites dans ses schémas d’action et ainsi
aider à la planification et à la projection dans l’avenir,
nécessaires au maintien de l’autonomie. Les tests choisis
permettent d’étudier ces dimensions. Le TMB, tout comme
le Wisconsin et la BREF étudient ces capacités d’adaptation aux situations nouvelles en quantifiant la flexibilité
mentale et la possibilité de planification inhérente à ce
genre de tâche. C’est qu’en effet une atteinte de la fluence
verbale ou des capacités d’abstraction, si elles ne constituent pas en elles-mêmes une dysfonction exécutive,
aident en revanche à confirmer un dysfonctionnement
frontal.
La persévération est la preuve que le patient n’est pas
capable d’organiser des stratégies témoignant d’un jugement efficace dans la situation présente. Même s’il fait
« fausse route », son système organisationnel n’a peutêtre pas la flexibilité, l’autocritique et l’autocorrection
requises.
La spécificité de l’EAD versus l’échelle de Marin a été
déjà discutée, de même que ses liens avec l’échelle de
Cornell. Mais l’hypothèse d’un lien sous-jacent entre la
démotivation et le dysfonctionnement frontal restait à préciser. Il semble donc que plus la personne âgée est démotivée, plus les performances évaluant les capacités exécutives sont faibles, surtout chez le dément. La relation
avec l’exécutif peut aussi se poser en termes inverses, les
plus handicapés devenant les moins motivés par le mécanisme psychologique de l’impuissance apprise décrite par
Martin Seligman et al. (31). Le découragement devant les
échecs successifs à faire face aux difficultés du quotidien
conduit à renoncer à exercer une emprise sur celui-ci. Des
développements futurs de ce travail sont envisagés en
539
C. Hazif-Thomas et al.
particulier pour étudier les liens entre problèmes motivationnels, dysfonction frontale et dépendance. L’apathie
est corrélée avec le degré des déficits cognitifs et particulièrement ceux touchant les fonctions exécutives (8). Il en
va de même pour la démotivation qui, elle, peut être individualisée avant que n’apparaisse l’émoussement affectif
propre à l’apathie. Il y aurait peut-être ici un outil permettant de dépister un dysfonctionnement frontal précoce,
notamment chez le dément.
Les difficultés de planification et de projection propres
au fonctionnement du lobe frontal se retrouvent dans les
problèmes d’inhibition lorsque le patient ne peut mettre de
côté les distracteurs, ou qu’il ne peut programmer une
séquence gestuelle de façon spontanée. Les fortes corrélations entre persévération et démotivation confirment
également ces résultats. Dans la population démente, la
démotivation aggrave l’incapacité à gérer des situations
qui exigent un partage des ressources attentionnelles. Les
patients déments ont des altérations plus nettes des fonctions exécutives, alors que l’âge du malade, le niveau
cognitif, le niveau observé à l’échelle de Cornell, le niveau
culturel ne modifient pas ces conclusions.
La mise en évidence d’une démotivation, si elle ne saurait être assimilable à celle des troubles exécutifs, n’en
revêt pas moins un indiscutable intérêt en tant que probable prodrome d’un état démentiel débutant. Ce point est
d’autant plus intéressant que la plainte mémoire ne peut
véritablement jouer ce rôle (7), de même que l’installation
des troubles exécutifs en eux-mêmes, trop complexes
d’analyse en termes de pathologie en cause : il est en effet
impossible de différencier démence fronto-temporale et
démence sénile de type Alzheimer sur les seules données
du syndrome dysexécutif qui peut se rencontrer dans
d’autres démences. La démotivation et l’apathie témoignent probablement d’altérations de circuits dopaminergiques sous-corticaux ainsi que des cibles cholinergiques
corticales et limbiques expliquant les troubles exécutifs.
Les anticholinestérasiques, quand ils sont actifs, peuvent
produire une amélioration de la motivation, de l’attention
ou de la fluence verbale ainsi que de la mémoire (2).
D’autres études ont montré que l’apathie démentielle
s’accompagnait d’un déclin de l’attention divisée, plus prononcé en comparaison avec les malades déments non
apathiques (23, 30). Toutes ces observations renforcent
plutôt l’idée d’élan de l’anticipation jouée par la motivation,
et celle selon laquelle des connexions fronto-limbiques
sont essentielles dans la capacité d’anticipation, permettant un lien entre charge affective, motivation et résultat
d’une stratégie. Des lésions cérébrales pourront par conséquent provoquer, par effets de déconnexion, une altération des capacités motivationnelles et anticipatoires,
aggravant alors les inévitables discontinuités temporelles
auxquelles le malade dément est confronté (18-22).
Diverses approches entre organicité cérébrale et problèmes motivationnels ont été réalisées, Laplane et al.
rapportant le cas de 2 sujets qui, à la suite d’une lésion
bilatérale du pallidum, présentaient une grande inertie
motrice (24). D’autres cas de perte de « l’autoactivation
psychique » post-intoxication oxycarbonée ou après une
540
L’Encéphale, 2002 ; XXVIII : 533-41, cahier 1
piqûre de guêpe ont été remarqués. Après lésion bifrontale post-traumatique touchant électivement la substance
blanche juxtaventriculaire, on a pu constater une perte
d’intérêt, une absence de projet et de motivation, un vide
mental. Habib (17) a rapporté un changement de personnalité après un accident vasculaire cérébral chez
2 hommes de la soixantaine jusque-là très actifs, qu’il a
appelé le syndrome athymhormique. Ils sont devenus
dépendants, passifs, dociles, sans initiatives personnelles. Ils présentaient à l’IRM des lésions dans le néostriatum fonctionnellement lié au pallidum et au noyau caudé,
toutes structures s’intégrant dans le circuit cingulaire. Ce
syndrome athymhormique correspond, à l’égal de la
démotivation, à une perte du désir et de la recherche de
plaisir. Ce qui avait de l’intérêt auparavant ne les motive
plus. Sur le plan neuropsychologique, les données quantitatives n’évoquaient pas de détérioration intellectuelle,
mais des signes dysexécutifs avec une défaillance de
l’évocation lexicale et de la flexibilité mentale, en résumé
une difficulté d’adaptation aux modifications environnementales.
CONCLUSION
Le syndrome frontal intéresse autant les gériatres que
les psychiatres ou les neurologues. En ce sens, une perspective pluridisciplinaire est souhaitable en ce qu’elle aide
à relativiser la perspective uniquement localisationniste
(12).
Le lien entre démotivation et fonctionnement frontal est
à soulever : évaluer et anticiper ses actions en vue de la
réalisation d’un projet ne peut se faire sans motivation ou
sans capacité de planification.
Le lien entre l’échelle d’appréciation de la démotivation
chez la personne âgée et les résultats aux tests frontaux
souligne que, sans motivation, les patients présentent des
signes d’inadaptation aux épreuves de planification et de
conceptualisation indispensables au maintien de l’autonomie environnementale.
Le but essentiel de la prise en charge de la personne
âgée vise le maintien à domicile, son insertion sociale, et
cherche à éviter la perte d’autonomie. Un dépistage précoce des troubles de la motivation et des dysfonctionnements du lobe frontal chez la personne âgée freine le processus de repli sur soi, la désadaptation à l’environnement
et le glissement vers la dépendance. Pour cela, l’utilisation
d’une échelle d’appréciation de la démotivation chez l’âgé
apporte une aide au diagnostic et par la suite, une thérapeutique adaptée.
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