l`art poetique d`horace traduit par jacques
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l`art poetique d`horace traduit par jacques
L'art poétique d'Horace traduit par Jacques Peletier, Paris, 1545 Copyright (c) 2009 by Centre d'Etudes Supérieures de la Renaissance Si vous utilisez ce document pour la recherche, prière de référencer l'URL du document. If you use this document for research, please reference this URL. Cette création est mise à disposition sous un contrat Creative Commons "Paternité - Pas d'utilisation commerciale - Pas de modification" . This work is licensed under a Creative Commons "Attribution-Noncommercial-No Derivative Works" 2.0 France License . Première publication : 23 juillet 2009 Mise à jour : Jeudi 23 Juillet 2009 Horace (-65 - -8) L'ART POETIQUE D'HORAce, traduit en Vers Francois par Jacques Peletier du Mans, recongnu par l'auteur depuis la premiere impression. Moins & meilleur. Imprimé a Paris par Michel de Vascosan, au mois d'Aoust. Avec privilege de la Court. M.D.XLV. ( Vascosan, Michel de - Paris - 1545) [1v] EXTRAICT DES REGIstres de Parlement. La Court a permis et permect a maistre Jacques Peletier, povoir faire imprimer & exposer en vente certain petit traicté ou livre intitulé l'Art poeticque d'Horace traduict par luy en Vers Francois, et depuis par luy mesmes reveu & corrigé, defendant a tous libraires & imprimeurs de ce ressort, icelluy livre imprimer & vendre sans le conge & adveu dudict Peletier dedans deux ans prochains, a peine de confiscation desdictz livres, & amende arbitraire. Faict en Parlement le unziesme jour de Juillet l'an mil cinq cens quarentecinq. Collation est faicte. Dutillet 2 AU LECTEUR. LEcteur, tu trouveras en ce livret l'orthographe francoise aucunement diverse de celle qui est vulgairement prattiquee. A cette cause t'a eté premis ce petit avertissement, pour en passant te declairer les principalles raisons de l'auteur. L’une est, que tout ainsi que la parolle est significative de la pensee, semblablement l'orthographe de la parolle, a laquelle elle doit obeir fidelement: de sorte que ecrire autrement qu'on ne prononce, est comme si on parloit autrement qu'on ne pense. L'autre raison qui depend de la premiere, est pour eviter superfluité, laquelle sans ce qu'en toutes choses est reprenable, tient nostre langue Francoise en subgetion, si bien qu'elle la garde de passer aux nations etranges, qui pour le grand entassement de lettres ne la pevent prononcer ni apprendre s'ilz ne sont sur les lieux. La tierce raison est pour commencer a regler & mettre au net notre langage, & faire a tout povoir que prononciation pareille n'ait orthographe diverse. qui est le plus expeditif moien qui puisse aquerir honneur & majesté a une langue, comme on voit de la Greque & de la Latine, desquelles l'orthographe est la prononciation mesme sinon qu'elle est mue. Il est bien vrai que telle enA ij [2v] treprise ne se peut pas achever ni resoudre si a coup: & mesmes n'a semblé bon a l'auteur d'observer sa fantaisie de point en point et a la rigueur, bien congnoissant que trop soudaines mutations ne s'acce- ptent pas volontiers: mais a eté content d'ouvrir le chemin par le plus facile & commun endroit, en attendant que le temps qui addoussit & consomme toutes choses, donne peu a peu a congnoitre combien doit valoir raison artificielle contre abus irregulier. A tant te suffira, ami Lecteur, n'etant ici le lieu de deduire toutes les raisons a ce appartenantes: joint que ja ont eté pour la plus grand part decouvertes par autres bien entenduz, ainsi que tu puis voir a ce qu'ilz en ont publié. Cependant tu prendras en gré ce qu'on fait pour le mieux, & en faveur de notre langue Francoise. 3 A TRES VERTUEUX ET NOble homme Cretofle Perot Ecuier Seneschal du Maine, Jaques Peletier Salut. SI de bien pres on veut considerer le stile des ecrivains du temps present, Seigneur de renom, on voirra clairement qu'ilz n'approchent pas de celle copieuse vehemence & gracieuse proprieté qu'on voit luire es auteurs anciens. Et toutesfois on ne sauroit raisonnablement dire que ce fut faute de grand esprit: car si nous voulons mettre en conte les personnages qui ont nagueres flori, & florissent encores de present, nous trouverons que notre secle[sic] est en cetui egard de bien peu redevable a l'ancienneté. Mais la principalle raison & plus apparente, a mon jugement, qui nous ote le merite de vrai honneur, est le mepris & contennement de notre langue native, laquelle nous laissons arriere pour entretenir la langue Greque & la langue Latine, consumans tout notre temps en l'exercice d'icelles. Au moien dequoi nous en voions plusieurs, autrement tresingenieux & doctes, lesquelz pour telle inusitation & nonchaloir, commettent erreurs lours & insupportables, non pas en parler quotidien seulement, mais aussi en composition Francoise: si bien qu'ilz semblent prendre A iij [3v] plaisir exprès a oublier leur propre & principal langage. Je seroie a bon droit estimé impudent calomniateur, et pour vrai depourveu de sens commun, si je vouloie deprimer ces deux tant celebres & honnorables langues Latine & Greque, ausquelles sans controverse, & singulierement a la Greque, nous devons toute la congnoissance des disciplines, & la meilleure part des choses memorables du temps passé. Et tant suis loing de telle intention, que je soutiens estre impossible proprement parler ni correctement ecrire notre langue sans aquisition de toutes deux: ou bien, affin que ne soie trop rigoreux estimateur des choses, de la Latine pour le moins: car sans ce que la plus grand partie de notre phrase & de noz termes vulgaires est tiree des langues susdictes, encores quant a l'invention & disposition, lesquelles vertuz, ne s'aquierent que par long usage & continuation de lire, c'est chose toute receue & certaine, qu'homme ne sauroit rien ecrire qui lui peut demeurer a honneur, & venir en commendation vers la posterité sans l'aide & appui des livres Grecz & Latins. Mais je veux bien dire qu'a une langue peregrine il ne faut faire si grand honneur que de la requeillir & priser pour regetter & contenner la sienne domestique. J'ai pour mes garens les anciens Rommains, lesquelz bien qu'ilz eussent en singuliere 4 guliere recommendation la langue Greque, toutesfois apres i avoir emploié un etude certain, se retiroint a leur enseigne, & s'appliquoint a illustrer & enrichir leur demaine hereditaire, redigeans les preceptes philosophiques non en autre langage que le leur propre, & demeurans contens d'entendre la langue aquisitive. Et tellement exploiterent en leur entreprise, que Ciceron prince d'eloquence Rommaine se vente que la Philosophie qu'ilz avoint empruntee des Grecz, est plus ornément et copieusement ecritte en Latin qu'en Grec. Et lui de sa part s'i gouverna si bien, qu'a peine sauroit on juger lequel des deux a donné plus de lumiere et dignité, ou le Latin a la Philosophie, ou la Philosophie au Latin. A semblable Jule Cesar qui fut monarque du monde, n'avoit moindre solicitude & affection d'amplifier l'usance de sa langue, que de dilater les fins de l'empire Rommain. J'ai mesmement pour mes auteurs Petrarque & Bocace, deux hommes jadis de grande erudition & savoir, lesquelz ont voulu faire temoignage de leur doctrine en ecrivant en leur Touscan. Autant en est des souverains poetes Dante, Sanna- zar, aussi Italiens: lesquelz bien qu'ilz fussent parfondement appris en langue Latine, ont eu neant moins ce jugement qu'il vaut mieux exceller en une fonction, pourveu que de soimesme soit honneste & A iiij [4v] digne d'homme liberal, qu'en l'abandonnant estre seulement mediocre en un autre bien que plus estimable. Il est bien vrai que ces auteurs là ont aussi voulu ecrire en Latin pour la majeste & excellence d'icelui: Ce qui ne leur doit moienner petite louange: car comme c'est une preeminence incomparable d'avoir esprit naturel plus qu'un autre, ainsi doit on reputer l'homme mal né & ingrat a soimesme, lequel se congnoissant capable de plusieurs louables professions, ne s'applique seulement qu'a une. Mais quant a ceux qui totalement se vouent & adonnent a une langue peregrine (j'entens peregrine pour le respect de la domestique) il me semble qu'il ne leur est possible d'atteindre a celle naïve perfection des anciens non plus qu'a l'art d'exprimer Nature, quelque ressemblance qu'il i pretende. Partant ne puis non grandement louer plusieurs nobles espriz de notre temps, lesquelz se sont etudiez a faire valoir notre langue Francoise, laquelle n'a pas long temps commenca a s'anoblir par le moien des Illustrations de Gaule & singularitez de Troie, composees par Jan le Maire de Belges, excellent historiographe Francois, & digne d'estre leu plus que nul qui ait ecrit ci davant. Et maintenant elle prend un tresbeau & riche accroisement souz notre treschretien roi Francois, lequel par sa liberalité roialle en faveur des Muses 5 Muses s'efforce de faire renaitre celui secle tresheureux, auquel souz Auguste & Mecenas a Romme florissoint Virgile, Horace, Ovide, Tibulle, & autres Poetes Latins: tellement qu'a voir la fleur ou ell' est de present, il faut croire pour tout seur que si on procede tousjours si bien, nous la voirrons de brief en bonne maturité, de sorte qu'elle suppeditera la langue Italienne & Espagnole, d'autant que les Francois en religion & bonnes meurs surpassent les autres nations. Et souverainement cela se pourra parfaire & mettre a chef moiennant notre Poesie Francoise, alaquelle plusieurs ont de cetui temps si courageusement aspiré, qu'il leur eut eté facile d'i parvenir ne fut la persuasion qu'ilz ont eue d'i estre desja parvenuz. Or n'i a il meilleur moien d'i atteindre, que de congnoitre les vices d'icelle pour les eviter, et les vertuz pour les observer: combien qu'a peu pres on se puisse contenter de l'un d'iceux: pource que congnu l'un de deux contraires, facilement se congnoit l'autre. Surquoi se semble estre fondé notre present auteur Horace : car veritablement il n'a pas tant compris les vertuz et proprietez d'icelle, comme les vices & abus, lesquelz il a entierement declairez, en cetui livre trop plus precieux que grand. Et si on le veut bien gouter & prattiquer, chacun ne sera si hatif de mettre ses ecriz en lumiere sans [5v] meure attente & prevoiance. Donques souz espoir d'impetrer quelque faveur, & aucunement meriter envers ceux qui sont studieux de notre Poesie, j'ai translaté cetui livre intitule l'Art Poetique, & l'ai voulu approprier a icelle notre Poesie Francoise entant qu'ai peu sauver l'integrite du sens. Il est vrai qu'on i trouvera quelques passages qui ne servent pas beaucoup a notre vulgaire, comme quant il parle du pié Iambe, du chore des Tragedies, & de quelques autres specialitez. Mais j'ai mieux aimé servir au bien publiq en communicant plusieurs belles traditions[sic], sans lesquelles n'est aucunement possible d'ouvrer en Poesie, que non pas qu'elles demeurassent cachees pour la sugetion de deux ou trois endroiz, combien qu'ilz ne soint du tout inutiles: Car si le Lecteur est de bon jugement, il en pourra bien faire son profit en notre Francois mesme. Ce mien labeur de pieca entrepris, et quelque temps intermis, a eté par moi nagueres repris & acheve. Et sur le point de le mettre en evidence, votre humanité singuliere, noble seigneur, & le plaisir que vous prenez es choses qui concernent l'anoblissement & decoration de l'esprit, selon le loisir que vous ottroient les negoces civilz, et urgens exercices de votre juridiction, m'ont donné l'avis, confermé le propos, & augmenté le courage de le vous addresser & dedier, 6 dedier. Puis le vrai point qui m'asseure qu'il sera de vous favorablement receu, est que l'invention pro- vient d'un auteur lequel par sus tous a ecrit exactement, & excellé en brieveté sentencieuse, comme votre parfaict jugement pourra congnoitre. [6v] Dizain. Petit Livret, qui n'es mien qu'a demi, Te doi je mettre en veue? pour quoi non? De quoi crains tu l'envieux ennemi, Lequel ne peut rabaisser ton renom? C'est le vrai point si les hommes de nom Ne sont de toi & de moi mal contens: Au fort, je n'ai du tout perdu mon temps, Car je suis seur que ceux qui te liront, Posé qu'en toi ne prengnent passetemps, Atout le moins profit i sentiront. 7 L'ART POETIQUE D'HORACE traduit en Vers Francois par Jacques Peletier du Mans. SI quelque Peintre avoit fait le protrait D'un chef humain, puis en changeant de trait Faisoit le col d'un cheval, & l'image Etoit semé de different plumage, Et compose de membres amassez De toutes pars, lourdement compassez. Tant que le haut par etrange facon Fut femme belle, & le bas un poisson: Seigneurs venuz ce tableau regarder, Pourriez vous bien de rire vous garder? Croiez, lecteurs, qu'a cette protraitture Sera du tout semblable l'ecritture Aiant le stile & ordre poetique, Ni plus ni moins qu'un songe fantastique D'un patient, si qu'en aucune sorte Ni pie ni teste a un cors se rapporte. Peintres tousjours, & Poetes ensemble Feignent & font tout ce que bon leur semble: Il est bien vrai, & d'une telle excuse User voulons, & que chacun en use: Mais non pourtant que la dousseur du miel Soit assemblee avec l'aigreur du fiel, L'ART POETIQUE [7v] Ni les serpens avec les oiseletz, Les Tigres fiers avec les aigneletz. A un exorde issant de haute vois, Et qui promet grans choses, maintes fois Sont attachez mainz ornemens de lustre Pour faire l'euvre apparoir plus illustre, Quant on decrit la forest decoree, Avec l'autel de Diane honnoree, Ou le circuit du ruisseau ondoiant Faisant son bruit par le pré verdoiant, Ou bien le Rhin gracieux & doux fleuve, Ou l'arc du ciel qu'on voit avant qu'il pleuve: Mais quoi? cela ici n'est pertinent, Et diroit lon de toi incontinent, Tu es celui qui saiz peindre un Cipres: A quel propos, si un marchant, apres Estre eschapé de mer tout eperdu, Ou son navire & son bien a perdu, Veut estre peint pour argent avancé? Un vaisseau large & long est commencé, Donques pourquoi tant que la roue court, S'en fait il un plus etroit & plus court? A brief finir, il faut que tout Poeme Suive par tout un simple & egal theme. Pour la plus part, nous suivons l'affaire De poesie, en guise de bien faire Sommes D'HORACE. 8 Sommes deceuz: Brieveté je procure, Ma brieveté rend la matiere obscure. Qui trop se plaist en delicat ouvrage, En lui defaut la force & le courage: Celui qui est de hauz cas professeur, Devient enflé. Qui veut estre trop seur, Et qui craint trop de la mer les combatz, Il glisse en terre, & demeure trop bas: Celui qui veut deguiser amplement Chose qui est une tout simplement, Veut le Dauphin aux bois acoutumer, Et le Sanglier faire vivre en la mer. L'esprit humain en erreur est induit En l'evitant, s il n'est par art conduit. Un Imager par engin souverain Bien sait tailler les ongles en erain, Et les cheveux imiter vivement, Mais il sera en son achevement Mal fortuné, si, comme il est metier, Rendre ne peut l'ouvrage tout entier: Si je faisoi quelque euvre en mon endroit, Estre semblable a lui, ne me chaudroit Non plus qu'avoir le nez contrefait, voire Aiant les iëux & la perruque noire. Vous ecrivains, prenez un argument A vous egal, & pensez longuement L'ARRT[sic] POETIQUE [8v] Ce que pourrez, ce que ne pourrez point: Qui son suget aura choisi a point Selon sa force, il n'aura nul defaut De motz exquis, ni d'ordre tel qu'il faut. Toute la force & grace en disposant, Ou je m'abuse, est que le composant Die en l'instant ce qu'en l'instant doit dire, Et plusieurs poinz il reserve a ecrire En temps & lieu, & qu'il sache accepter Tel incident, & un tel regretter. Or si tu veux nouveauz motz faire naitre, Il te convient bien modeste & fin estre. Loué seras si d'un mot de saison Tu en fais un par bonne liaison Qui soit nouveau. S'il faut que tu reveles Par nouveauz motz choses toutes nouvelles, Feindre pourras termes qui n'ont eté Ditz ni congnuz par l'ancienneté, Et te sera permise & approuvee La nouveauté sobrement controuvee. Les motz nouveauz & nagueres tissuz Seront en pris, pourveu qu'ilz soint issuz Des motz Latins, sans trop les deguizer. Mais en ceci peut on favorizer Alain & Mun, & qu'un pareil credit Soit a Marot & Merlin interdit? Et si je D'HORACE. 9 Et si je puis feindre comme les vieux, Pourquoi est on dessus moi envieux, Veu que Cretin & Jan le Maire ont fait Notre Francois plus riche & plus parfait, Et nouveauz motz sur les choses ont mis? Tousjours sera & a eté permis Produire un nom tout neuf qui represente Le propre trait de la mode presente: Ni plus ni moins qu'un bois se renouvelle, Par chacun an de verdure nouvelle Aiant jetté tout son premier feuillage, Ainsi des motz se passe le vieïl age, Et sont en fleur les vocables recens, Ainsi que sont jeunes adolescens. Nous & nos faitz sommes pour final terme A mort vouez. Ce qui fut terre ferme, Est maintenant tout propre au navigage De par Cesar. Aussi le marecage Longtemps sterile & propre a l'aviron, Ores nourrit les villes d'environ: Et est souvent de charrue exercé. Aussi le Tibre ailleurs a traversé Laissant le cours aux semences nuisible, Et en a pris un autre plus duisible. Donq si les faitz humains doivent mourir, Comment pourront les motz tousjours florir? B L'ART POETIQUE [9v] Encor' seront les vocables repris Qui ont eté pieca mis a mepris: Et ceux aussi ausquelz l'honneur on donne, S' aboliront si l'usage l'ordonne, Usage vif, souz lequel git la forme De tout parler, la vertu & la norme. Montré nous a Homere par quel metre Et en quel stile on doit les gestes mettre Des Rois puissans, & prouesses hautaines Mises a chef par les preux capitaines. Les vers conjoinz par inegal compas Dire on souloit sur le dernier trepas Au temps premier, puis les joieuses choses I ont eté semblablement encloses: Mais toutesfois qui a eté l'auteur De l'Elegie & premier inventeur, Grammariens en sont en procedure, Et souz le juge encor' leur proces dure. Archilocq' mit par courroux furieux Son propre Iambe en vers injurieux. De cetui pié usa la Comedie, Et mesmement la haute Tragedie, Pource qu'il est au mutuel parler Fort convenable, & qu'il meine par l'air Plus grand reson que le peuple bruitif, Et est des faitz communs executif. Dieux D'HORACE. 10 Dieux, Demidieux, & Athletes puissans, Et le combat des chevaux hannissans, Et les banquetz & plaisirs veneriques Comprint la Muse es premiers vers Liriques. Si je ne puis garder les divers signes De chacun fait, & les couleurs insignes En ecrivant, pourquoi suis je nommé Monsieur le Poete, & pour tel renommé? Point ne requiert la matiere Comique Estre traittee en un stile Tragique: Aussi n'est bon que faitz de trouble on die En simples vers & bons en Comedie. Brief chacun fait selon sa difference Tiegne son lieu en propre coherence. Ce nonobstant si voit on quelquefois Que Comedie un peu hausse sa vois, Et le Tragique en ses plaintifz debaz Use de motz assez humbles & bas. Or si Telephe & Pelee ebahiz, Tous indigens, & banniz du päis Veulent navrer les keurs et pensemens Des spectateurs par leurs gemissemens, Jetter leur faut ces gros motz & venteux Mal convenans aux hommes souffreteux. Ce n'est assez qu'un Poeme soit luisant En motz exquis, s'il n'est doux & plaisant B ij L'ART POETIQUE [10v] Si bien qu'il puisse emouvoir le desir De l'auditeur a son gre & plaisir, Les ecoutans sont provoquez a ris En voiant rire, & se montrent marriz Du deuil d'autrui. Si tu veux que je pleure, Premier te faut lamenter, & a l'heure Bien me poindra la douleur qui te point. Toi complaignant si tu ne dis a point Le mandement qu'on t'a baillé a dire, Je dormirai, ou me prendrai a rire. A un maintien de tristesse & souci Convient propos plaintif & adoussi. A l'homme plein de depit courageux Faut un parler terrible & outrageux, A l'homme gai motz joieux & lascifz, A l'homme vieil propos meurs & rassiz. Car tous obgetz des cas exterieurs Nous met Nature es sens interieurs Premierement: plaisir elle nous cause, Ou de courroux elle nous donne cause, Ou quelque fois d'un crevekeur amer Elle nous fait jusqu'en terre pamer: Et le secret de la pensee alors Par le moien de la langue met hors. Si le propos de celui qui dira, Ne lui convient, tout chacun s'en rira: Grand D'HORACE. 11 Grand chois i a: car le rolle du maitre Et du valet semblable ne doit estre, Ni le vieillard desja meur & prudent Au jeune filz couvoiteux & ardent, Ni une dame opulente & honneste A la nourrice a tout service preste: Ni un marchant qui pour gaing par tout erre, Au päisant qui laboure la terre, Ni un Lombard au courageux Francois, Un Allemant au natif Ecossois. Au bruit commun il faut que tu te formes, Ou feignes cas ensemble tous conformes: Si tu decriz un Achille honnoré Du grand Homere en son stile doré, Fai le hardi, ireux, inexorable, Impetueux, apre, & insuperable, A toutes loix niant obeissance, Tout usurpant par armes & puissance: Medee soit cruelle & furibonde, I non plaintive, & Ion vagabonde, Sans loiauté soit decrit Ixion, Oreste plein de triste affliction. Mais si tu veux chose incongnue adduire, Et un nouveau personnage introduire, Garder lui doiz jusques au bout du rolle Pareil maintien, & semblable parolle: B iij L'ART POETIQUE [11v] Difficile est dire de son esprit Ce que par autre onques ne fut ecrit: Et plus seur est de prendre pour ton theme Et ton guidon l'Homerique poeme, Que d'inventer de ton propre cerveau Quelque suget incongnu & nouveau. Un argument commun & regulier Sera trouvé propre & particulier, Si trop tu n'es arresté & sugect A un circuit trop ample & trop abject, Et n'est besoing d'aviser de si pres A translater mot pour mot tout expres, Et n'entreras en un si etroit lieu, Qu'apres saillir ne puisse du milieu, Voulant sauver une honteuse crainte, Et de ton euvre une loi trop contreinte: Et ne feras un exorde si vain Comme jadis l'ambagique ecrivain, Du Roi Priam la fortune ecrirai, Et les combatz horribles je dirai. Qu'apportera ce promettant si rogue Pour accomplir ce glorieux prologue? Une montaigne enceinte apparoitra, Une souriz ridicule naitra. Trop mieux a dit ce poete savant, Qui sans propos ne met rien en avant, Muse D'HORACE. 12 Muse di moi l'homme plein d'entreprise, Lequel apres que Troie a eté prise, A eprouvé maintes diversitez D' hommes vivans, & päis & citez. Donner il veut non de clairté fumee, Ains de fumee une flamme allumee, Pour parapres mettre en merveilleux stile Un Antiphate, une Charybde, & Scylle : Et le retour de Diomede pas Ne va conter des la mort & trepas De Meleagre : ou deux oeuz recenser Pour des Troiens la guerre commencer. Tousjours il tend a finir son propos, Et au milieu rend l'auditeur dispos A concevoir les choses precedentes Qu'omises a comme bien evidentes: Et ce qu'il voit ne povoir prendre teint En ecrivant, aucunement n'atteint: Et tellement ses fictions pallie, Ainsi le vrai avec le faux il lie, Que le milieu du premier ne differe, Et que la fin au milieu se refere. En cet endroit sais tu que je requiers, Et tout le peuple avec moi? si tu quiers Jusqu'a la fin avoir los & faveur, Et que lon trouve en tes euvres saveur, B iiij L'ART POETIQUE [12v] Le naturel te convient regarder De chacun age, & entier le garder, Et exprimer les gestes bien seans Aux changemens des natures & ans. L'enfant petit qui desja sait parler, Et qui seulet fermement peut aller, Est de jouer a ses pareilz bien aise: I1 se courrousse, & soudain se rappaise, Et a tous coups change d'affection. L'adolescent hors la correction Du pedagogue, aime chevaux & chasse, Et au soleil sus l'herbe se delasse, Facilement a malice s'applicque, Et rudement aux remontrans replicque, Est bien a tard de son bien provident, Prodigue, fier, couvoiteux, & ardent, Tost ennuié de son premier plaisir. L'age viril change, & met son desir A biens avoir, & amis meriter, Craint son honneur, & sait bien eviter Ce que changer conviendroit parapres. Plusieurs ennuiz environnent de pres L'homme vieillard: car etant plantureux En biens aquis, tant il est malheureux, Il les epargne, & user il n'en ose, Il est timide & froid en toute chose, Grand D'HORACE. 13 Grand delaieur, long d'espoir, imbecille, Et curieux du futur, difficile, Plein de chagrin, louant le temps premier Qu'il etoit jeune, & censeur coutumier Des jeunes gens. Les premiers ans qui sortent, Plusieurs bontez avec eux nous apportent, Plusieurs aussi emportent en allant. Pource il ne faut qu'un jeune homme parlant En son maintien un vieillard represente, Ni qu'un enfant son homme viril sente. Tousjours aurons egard au personnage Qui est duisant & propre a chacun age. En plein spectacle on traitte quelque chose, Ou desja faite au peuple elle s'expose: Ce qu'on entend seulement par l'aureille, Aux keurs ne fait emotion pareille Comme s'il feut de l'oeil ferme apperceu, Et par effet du spectateur receu: Mais on ne doit sus l'eschauffaut montrer Ce qui se doit au dedens accoutrer, Et plusieurs cas faut oter hors des ïeux Qui se diront de bouche beaucoup mieux. I1 ne faut pas que Medee endurcie Ses propres filz davant le peuple occie, Aussi non plus qu'Atree l'inhumain Cuise les filz de son frere germain, L'ART POETIQUE [13v] Ou bien que Progne en oiseau de jargon Sort transmuee, ou Cadme en un Dragon: Tout ce qu'aux ïeux me montres en ce point, Je le dedeigne, & si ne le croi point. La fable aussi qui veut estre louee, Et de rechef presentee & jouee, Cinq actes doit, ni plus ni moins, avoir, Et Dieu aucun parlant on n'i doit voir, Sinon qu'un point bien doutteux le requiere: Et i parler un quatriesme ne quiere. Le chore soit du parti de l'acteur, Et de vertu virile protecteur, Et ne propose entre les actes rien Qui ne profitte & conviegne tresbien: Departe aux bons faveur perpetuelle, Et aux amis amitié mutuelle: Des courroussez refreigne la fureur, Et aime ceux qui ont vice en horreur: Voise louant frugalité de table, Voise louant injustice profittable, Civiles loix, Paix qui tient tout ouvert En seureté: tiegne un secret couvert: Prie les Dieux qu'aux affligez fortune Propice soit, & aux fiers importune. Garni n'etoit de cuivre le hautbois Comme a present, & n'imitoit la vois De la D'HORACE. 14 De la trompette, aincois grelle & uni, Et de pertuis n'etoit gueres muni De bon accord pour assister aux chores, Et pour remplir les sieges, qui encores N' etoint epais du reson qu'il jettoit: Car pour le temps le peuple encor' etoit De petit nombre, honneste, & sans envie, Continent, chaste, & de modeste vie: Mais quant il vint par frequente victoire A augmenter le petit territoire Et la cité, & sans loi sur le jour Boire d'autant aux festes de sejour, Lors creut aussi la licence hardie: De la mesure & de la melodie: Car puis le temps qu'avecques les bourgeois Furent mellez agrestes villageois Abandonnans charrues & labours, Comment ne fut tout allé au rebours, Etans assis gens qui ne valent rien, Confusement avec les gens de bien? Et de la vint que le Musicien. Gestes de corps avec l'art ancien, Et volupté superflue mella, Se pourmenant par le jeu ca & la. De la aussi s'eleverent les sons Des instrumens en plus hauttes chansons: L'ART POETIQUE [14v] Consequemment l'audacieuse langue User voulut de nouvelle harengue: Philosophie aussi, qui est fontaine De bonne vie, & notice certaine Des cas futurs, & des secretz miracles Devint semblable aux Delphiques oracles. L'auteur premier qui fit Tragiques vers, Montra depuis Satires decouvers, Et si voulut avec l'apre matiere, Gardant tousjours la gravité entiere, Entremeller propos facecieux, Pour amuser par attraiz gracieux Et tous nouveauz les spectateurs delivres Du sacrifice, & desja demiz ïvres, Sans nulle loi en leurs plaisirs raviz. Mais il fauldra avoir certain avis En produisant les Satires mocquars Et reprenans, en joignant les brocars Aux graves faitz, qu'un Dieu par nous montré Ou demidieu, qu'on a veu accoutré Par ci davant en roial vetement On n'oie apres parler petitement: Et tragedie, ou propres ne sont pas Les vers legers, & de stile trop bas, En evitant la terre qui est basse Par sus les vens & les nues ne passe: Comme D'HORACE. 15 Comme s'on voit une bourgeoise honneste Entrer en danse a quelque jour de feste, Estre devra plus modeste a vrai dire Que ne seroit un petulant Satire. Quant toutesfois Satires j'ecrirai, Agrestes motz seulement n'elirai, Ni affectez en leur proprieté, Aussi n'aurai si grande anxieté De m'elongner hors des Tragiques rengs, Que point ne soint en parler differens Dave le serf, & Pithias chambriere Qui d'arracher le talent fut ouvriere Du vieil Simon, ou Silene le gent Du Dieu Bacchus nourricier & regent. Une notoire & commune sentence Je choisirai, si bien que chacun pense En faire autant, mais qu'a l'essai il pregne Peine tresgrande, & en vain entrepregne En faire autant. Tant vertueuse & vive Est l'ordonnance & joincture näive. Tant peut venir d'excellence & de pris A ce qui est d'un lieu vulgaire pris. Je suis d'avis que les Satires nuz Qui des foretz nagueres sont venuz, Ne semblent point estre nourriz en ville, Ni approcher de la mode civile, L'ART POETIQUE [15v] Usans de vers doux & ingenieux, De salles motz & ignominieux: Car les seigneurs de noblesse & de bien Sont deplaisans de cela, & combien Qu'il peut donner plaisir auriculaire A l'ignorant & rude populaire, Eux toutesfois, qui sont plus delicatz, N'en sont contens, & si n'en font nul cas. Une sillabe allongee souzmise A une brieve, est pour Iambe prise, Pié fort leger: & pour cela Trimetres Sont appellez les Iambiques metres, Veu qu'en un vers six fois il redoubloit: Par ci d avant a soi il ressembloit Jusqu'a la fin, mais depuis peu d'espace Les fermes piéz spondees, de sa grace, Pour estre un peu plus pesant a ouir, De son demaine il a laissé jouir: Non pas qu'il fit un si grand privilege De delaisser le second & quart siege. Bien peu souvent tel est trouvé es vers Des Poetes Acce & Enne tresexpers. Les vers marchans de grave pesanteur Sont reprouvez par le savant lecteur, Qui blame en eux trop grande promptitude, Esquelz n'appert aucun soing ni etude: Ou il D'HORACE. 16 Ou il presume estre l'art ignoré, Qui bien fort rend l'autheur deshonnoré. Chacun n'a pas de jugement assez Pour discerner les vers mal compassez, Et a eté a noz Poetes permise Une licence indigne d'etre admise: Mais pour cela me mettrai je en hazard D'ecrire vers sans mesure & sans art? Ou si je doi cette pensee avoir Que tout chacun mes fautes pourra voir, Aiant plus cher me taire en asseurance, Qu'en tel pardon mettre mon esperance. S'ainsi je fai, coulpe j'ai evitee, Mais je n'ai pas louange meritee. De mon conseil lisez soirs & matins Les livres Grecz & les livres Latins. Il est bien vrai que noz anciens peres Ont fort prisé les mesures liberes D'Alain & Mun, & les rimes ensemble, Mais toutesfois des deux, comme il me semble, Trop doussement, & s'il faut dire ainsi, Trop sottement se sont ebahiz, si Bien nous savons faire le vrai discrime D'une mauvaise & d'une propre rime. La Tragedie encor' non eprouvee Fut par Thespis premierement trouvee, L'ART POETIQUE [16v] Qui ses ecritz ca & la conduisoit En chariotz, & jouer les faisoit Par histrions, qui la face de lie Couverte avoint: depuis fut abolie Telle facon, lors que du faux visage Le Poete Eschile introduisit l'usage, Aussi d'habitz, plus propres & gentilz, Lequel dressa l'eschauffaut d'ais petitz, Et enseigna a parler hautement, Et a user d'un stile vehement. Apres survint la vieille Comédie, Non sans honneur, mais licence hardie Tomba en vice & excessif tumulte Digne qui fut par Senatusconsulte Mieux reformé. parainsi le statut Fut accepté, & le chore se teut, Et i mit lon telle police & ordre, Que plus n'i eut impunité de mordre. Grande a esté des notres l'entreprise, Et dignes sont que beaucoup on les prise D'avoir osé la trace abandonner Des etrangers, & en fin s'addonner A celebrer les choses domestiques En tous ecritz & genres Poetiques: Et ne seroint les Francois plus parfaictz En bonnes meurs & en belliqueux faitz Qu'en D'HORACE. 17 Qu'en beau parler & affluente veine, N'etoit que nul ne peut prendre la peine De bien limer ses ecriz & d'attendre. O vous lecteurs ne feignez de reprendre L'euvre qui n'est reveu & repassé A long ennui, & souvent effacé, Tant qu'a la fin pleine correction Lui ait donné pleine perfection. Le naturel, ce semble a Democrite, Trop plus que l'art, de louange merite, Et sont par lui forclus de Poesie Tous ecrivains de saine fantasie: Et pour cela plusieurs sont paresseux D'oter leur barbe, & leurs ongles crasseux, En coins secretz demeurent a l'emblee, Fuient les lieux de publique assemblee: Car celui la pourra avoir renom, Et meriter de Poete le nom, Qui onq sa teste (ou ne pourroit suffire Tout l'ellebore apporté d'Anticire) Pour guerison au barbier ne fit raire. O moi trop fol, & a mon bien contraire, Qui m'accoustume a purger mon cerveau Melancholiq' quant vient le renouveau, Il ne seroit tel Poete que moi: Mais tout cela m'est un trop grand emoi, C L'ART POETIQUE [17v] Donq la facon de la meule veux prendre, Laquelle peut le couteau trenchant rendre, Bien qu'elle n'ait de couper l'artifice. Rien n'ecrirai, & montrerai l'office Et le moien pour aux biens parvenir, Et ce qui peut un Poete entretenir, Et consommer: ce qui est convenable Ou messeant a l'homme raisonnable, A quelle fin peut vertu convoier, A quelle fin peut vice devoier. Certainement sapience hautaine De bien ecrire est la source & fontaine. Tu as Socrate & ses beauz monumens Pour requeuillir plantureux argumens, Puis quant seront les argumens tous quis, Sans nul refus viendront les motz exquis. Qui a apris en quoi git la pitié Deue au päis, & la loi d'amitié, Combien on doit les chers parens aimer, Combien on doit frere & hóte[sic] estimer, Quel est l'etat des roiaux Justiciers, Des avocatz, & autres officiers, Par quel moien pourra honneur aquerre Un capitaine envoié a la guerre, Celui pour vrai sait bien la grace bonne Approprier a chacune personne. C'est D'HORACE. 18 C'est mon conseil qu'un vrai imitateur Soit de la vie humaine spectateur, Pour exprimer apres selon icelle Les vives vois: car une farce belle En plaisans ditz, ou les meurs de chacun Gardees sont sans ornement aucun, Sans pois & art, aucunesfois recree Les ecoutans, & trop plus leur aggree Que vers qui sont steriles & sans force, Et motz exquis rien n'aians que l'ecorce. Grecz & Latins eurent esprit fecond, Et un parler elegant & facond, Car ilz n'etoint point avaricieux Sinon de gloire & de los precieux: Nos filz de France apprennent a long conte A calculer combien un trezor monte: Je parle au filz d'un marchant, mettons cas Que d'un milier j'ote six cens ducatz: Combien reste il? quatre cens: comment? certes Bien te pourras sauver de toutes pertes: J'en remetz cent, maintenant combien est ce? Cinq cens ducatz. Or si des leur jeunesse Tel appetit & soing de biens avoir Est en leur keur imprimé, assavoir S'ilz ecriront quelqu'euvre desormais Qui puisse vivre & durer a jamais? C ij L'ART POETIQUE [18v] L'intention des Poetes se fonde A enseigner ou delecter le monde, Ou a traitter matieres delectables Et tout ensemble a vivre profittables. Sois tousjours brief en ta doctrine toute, A celle fin que celui qui l'ecoute, La concevoir puisse facilement, Et retenir bien & fidelement. Tout superflu est promptement coulé De l'esperit qui se sent trop foulé. Les fictions pour plaisir emouvoir, De verité doivent couleur avoir. Fable ne doit avoir si grand credit, Qu’onmette foi en tout ce qu'elle dit, Et parainsi arracher ne doit mie Un enfant vif du corps d'une Lamie. Vieillesse grave un Poeme meprise Ou n'est aucune utilité comprise, Et le propos severe & triste blesse La tendre aureille aux seigneurs de noblesse. Le pris merite entre tous, pour tout seur, Qui peut meller profit avec dousseur, En delectant & apprenant a vivre Par un moien au Lecteur. un tel livre Or & argent aux imprimeurs amasse, Et en brief temps outre la mer il passe, Et longue D'HORACE. 19 Et longue vie a l'auteur peut donner. Mais toutesfois bien voulons pardonner Aucuns defauz: car le son de la corde Avec l'esprit & main tousjours n'accorde, Et bien souvent par eprouve voit on Qu'au lieu d'un bas elle rend un haut ton. Aussi l'archer tant soit il avisé, Tousjours ne frappe ou son œil a visé. Mais si un euvre est illustre & luisant En mains endroiz, serai je deplaisant De peu d'erreurs commis par negligence, Ou non preveuz d'humaine intelligence? Non: comment donq? l'imprimeur coutumier De recouvrer a son erreur premier, Combien qu'on l'ait repris & enhorté, Estre ne doit en son fait supporté: Et l'Organiste est moqué a bon droit Qui tousjours faut dessus un mesme endroit. Aussi celui qui tant d'erreurs assemble, Et si souvent, un Cherile me semble, Duquel me faut emerveiller & rire Quant deux bons vers ou trois il peut ecrire, Et en avoir angoisse au keur amere. Aucunefois dort le savant Homere. Mais on peut bien excuser & souffrir Qu'a long labeur sommeil se viegne offrir C iij L'ART POETIQUE [19v] La Poesie a la peinture approche, Car l'une plait quant plus on en est proche, Et l'autre rend plus beau lustre de loing. L'une demande estre veue en un coing, L'autre en plein jour si näive se trouve, Que rien ne craint l'oeil sutil qui l'eprouve. L'une une fois seulement plait aux ïeux, L'autre plaira tousjours de bien en mieux: Toi jouvenceau, quelque bon fondement Qui soit en toi, ou meur entendement, Ce mot te faut en ta memoire avoir Qu'en certains ars mediocre savoir Bien est permis. quelque docteur en droit, Ou avocat savant en son endroit, Mais qui n'a pas telle grace & faconde Qu'avoit Poiet, ou en savoir n'abonde Comme Liset, si est il en maintz lieux Bien estimé. mais quoi? hommes ni dieux, Ni ecritteaux ne dispensent un homme D'esprit moien que Poete on le nomme: Ni plus ni moins qu'en un joieux repas Un rude chant sans mesure & compas, Et quelque onguent que le sentir dedeigne: Et du pavot avec miel de Sardeigne Aux assistans fait ennui amasser, Car le banquet s'en povoit bien passer. Pareillement D'HORACE. 20 Pareillement la notre Poesie Pour delecter les keurs nee & choisie, Si du plus haut quelque petit descend, Jusqu'au plus bas decliner on la sent. Celui qui est aux armes inhabile, Et n'est expert de jouer a la pile Ou a la barre, il s'en demet & garde Craignant le ris du peuple qui regarde. L'indocte mesme ecrit vers: pourquoi non? Moi qui suis noble & d'armes & de nom, Veu mesmement que j'ai rentes & cens, Et d'aucun vice entaché ne me sens? Rien ne diras ni feras alencontre Du vrai instinct que Nature te montre. Tu l'entens bien, toi qui as bon esprit. Si toutesfois un jour ta plume ecrit Quelque Poeme, il le faudra souzmettre Au jugement d'un bon Poete ou maitre, Et le serrer neuf ans en attendant. Ainsi pourras corriger ce pendant Ce qui sera pardevers toi celé. L'euvre hors mis, jamais n'est rappellé. Jadis Orphee envoié es bas lieux Pour annoncer les mysteres des Dieux, Seut divertir les hommes qui sans loix D'occisions vivoint parmi les bois. C iiij L'ART POETIQUE [20v] Pource dit on que les Tigres terribles I1 adoussit, & les Lions horribles: Et Amphion, lequel Thebes batit, Si doussement une harpe bastit, Que par son chant les pierres assembloit, Les conduisant la ou bon lui sembloit. C'etoit un fait jadis fort singulier De separer le bien particulier Du bien publiq, & prophane tollir Du consacré, volupte abolir Sans chois certain a tous abandonnee, Etant au lieu la coutume ordonnee De mariage, edifier les villes, Et sur le bois graver les loix civiles. Ainsi avint qu'en honneur & renom Fut illustré des Poetes le nom. Apres eux vint Homere non pareil, Tirtee aussi, qui fit son appareil Pour emouvoir par heroiques carmes Les keurs hardiz aux martiaux alarmes. Lors furent ditz les oracles en vers, Et de bien vivre enseignemens divers, Et fut par vers l'amour des Rois aquise. Puis en avant Comedie fut mise, Avec repos de la longue besongne, Affin, au moins, que n'aies par vergongne Le gentil D'HORACE. 21 Le gentil son de la Muse odieux, Et d'Apollon le chant melodieux. On veut savoir si de nature ou d'art Se fait un carme excellent. de ma part Je ne voi point que peine studieuse Puisse servir sans veine copieuse: Ni mesmement que copieuse veine Puisse servir sans studieuse peine. Tant fort est l'une a l'autre serviable, L'entretenant par accord amiable. Celui qui veut parvenir de vitesse Au but d'honneur, i1 a de petitesse Tant eu de mal, & sus la terre dure A enduré le chaut & la froidure: S'est abstenu d'infame paillardise, S'est abstenu de vin & gourmandise. Le menetrier tant exquis maintenant Un jour a craint le maitre en apprenant. Au temps present il suffit que l'on die, Je fai des vers de grande melodie, Viegne la teigne au dernier en carriere, Deshonneur m'est demeurer en arriere, Et confesser ne savoir franchement Ce que je n'ai appris aucunement. Comme un crieur les acheteurs alliche Aux biens a vendre, ainsi un Poete riche L'ART POETIQUE [21v] En patrimoine & argent usuraire A ses presens vient les flateurs attraire, Et s'il peut bien donner au suppliant Repeue franche, & pleger le client Vil & abject, & le mettre dehors D'un tas d'ennuiz qu'il a par proces, lors M'ebahirai s'il sait juger parmi Le faux menteur quel est le vrai ami. Toi qui as fait ou veux faire plaisir A homme aucun, garde de le choisir Pour ecouter les vers que tu as faitz, Car lui sentant de tes graces le fais, C'est tresbien dit, voila bon, ce dira, Comme ravi en oiant pallira, En degoutant pleurs de l'oeil blandissant, Et de son pié la terre ferissant: Et comme ceux qu'on va a gages querre Pour larmoier le defunt qu'on enterre, Disent & font, & quasi se tormentent Plus fort que ceux qui vraiement lamentent, Ainsi plus fort s'ebahit le moqueur, Que celui la qui loue de bon keur. Les grans seigneurs, comme on dit, font livrer Vin a foison, jusques a enivrer Celui qu'en grace ilz veulent recevoir, Affin que mieux puissent appercevoir A son D'HORACE. 22 A son parler s'il est d'amitie digne. Pareillement suivant ce mesme signe, Ne sois deceu en recitant tes vers Des jugemens de fallace couvers. Vare Quintil quant aucun lui lisoit Quelques siens vers, corrigez, ce disoit, Cetui passage, & celui la: & puis S'il repondoit, mieux faire je ne puis Pour tout effort, i1 le faisoit racler: Ce qui etoit mal limé & peu cler, Il le faisoit sur la forge remettre. S'il aimoit mieux excuser le sien metre Que l'amender, plus mot n'eut repondu, Et estimoit que c'etoit temps perdu, Lui permettant que sans emulateur Fut a soimesme & a ses vers flateur. L'homme de bien & sage blamera Les vers sans art, les durs reprouvera. A ceux qui sont mal poliz sus l'enclume, Il croisera un trait noir de la plume, Et de rongner il sera curieux Les ornemens par trop luxurieux. Aux lieux obscurs fera clairté ouvrir, Et un passage ambigu decouvrir, Il marquera ce qui est moins commode Pour le changer, en ensuivant la mode L'ART POETIQUE [22v] Qu'eut Aristarque, & ne dira, je n'ose Mescontenter en si menue chose Un mien ami: cette chose menue Conduira l'homme en grand' deconvenue, Quant une fois aura eté deceu, Et au rebours de verité receu. Les plus rassis n'ont garde de toucher Un fol Poete, ou de lui approcher, Non plus que d'un qui est atteint de peste, Ou que la rage ou la lepre moleste: Mais les enfans le suivent, & s'en moquent Sans i penser, & sa fureur provoquent. En debavant son ouvrage admirable, Etant deceu du juge favorable, Si en un puis ou fosse par malheur Se precipite, ainsi que l'oiseleur Qui tend ses retz, combien que tousjours crie, Secourez moi mes amis, je vous prie, Nul n'ait pourtant de lui misericorde: Et si quelquun lui devalle une corde Pour le tirer, je dirai: que sais tu Si tout a gré illec s'est abbatu Voulant perir? & la mort difficile Raconterai du Poete de Sicile, C'est qu'Empedocle aiant ce vouloir tel Qu'on l'estimast quelque dieu immortel, saillit D'HORACE. 23 Saillit au feu d'Etne ardente tout froid: Poete saint[unclear], au moins, de perir droit. Autant il vaut l'homme faire mourir Que maugré lui le vouloir secourir. Par plusieurs fois un tel tour il a fait, Tant que s'il fut dehors mis, en effet Ne seroit homme, & l'ardeur curieuse Ja n'oteroit de la mort glorieuse: Et n'appert point par quelle frenesie, Se veut ainsi meller de Poesie, S'il a pollu le tombeau paternel, Ou un autel sacré & solennel: Mais quoi que soit, i1 est tout insensé: Et comme un Ours de courroux offensé, S'il peut briser les barreaux qui le tienent, Chasse tous ceux qui au davant lui vienent, Pareillement le Lecteur ennuiant Fait que chacun davant lui va fuiant, Mais il retient celui qu'il peut atteindre Jusques a l'ame en lisant lui eteindre. Une sangsue imprimee a la chair, Point ne la veut, n'etant pleine, lascher. Fin de l'Art Poetique d'Horace. Moins & meilleur.