Liberté

Transcription

Liberté
Liberté
Sur les sentiers éveillés
Paul Eluard, Au rendez-vous allemand, 1945, Les
Sur les routes déployées
Editions de Minuit
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom
Sur la lampe qui s’allume
Sur mes cahiers d’écolier
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mon pupitre et les arbres
Sur mes maisons réunies
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom
J’écris ton nom
Sur le fruit coupé en deux
Sur toutes les pages lues
Du miroir et de ma chambre
Sur toutes les pages blanches
Sur mon lit coquille vide
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
J’écris ton nom
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur les images dorées
Sur ses oreilles dressées
Sur les armes des guerriers
Sur sa patte maladroite
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom
J’écris ton nom
Sur le tremplin de ma porte
Sur la jungle et le désert
Sur les objets familiers
Sur les nids sur les genêts
Sur le flot du feu béni
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom
J’écris ton nom
Sur toute chair accordée
Sur les merveilles des nuits
Sur le front de mes amis
Sur le pain blanc des journées
Sur chaque main qui se tend
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom
J’écris ton nom
Sur la vitre des surprises
Sur tous mes chiffons d’azur
Sur les lèvres attentives
Sur l’étang soleil moisi
Bien au-dessus du silence
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom
J’écris ton nom
Sur mes refuges détruits
Sur les champs sur l’horizon
Sur mes phares écroulés
Sur les ailes des oiseaux
Sur les murs de mon ennui
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom
J’écris ton nom
Sur l’absence sans désir
Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la solitude nue
Sur la mer sur les bateaux
Sur les marches de la mort
Sur la montagne démente
J’écris ton nom
J’écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur la mousse des nuages
Sur le risque disparu
Sur les sueurs de l’orage
Sur l’espoir sans souvenir
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom
J’écris ton nom
Et par le pouvoir d’un mot
Sur les formes scintillantes
Je recommence ma vie
Sur les cloches des couleurs
Je suis né pour te connaître
Sur la vérité physique
Pour te nommer
J’écris ton nom
Liberté.
Un poème célèbre de la résistance
Liberté de Paul Eluard
1 – Le poète : Paul Eluard
Paul Eluard (pseudonyme de Paul-Eugène Grindel) est un poète français
né à Paris en 1895, il arrête ses études à l’âge de 16 ans et ses premiers
poèmes, inspirés par la femme qu’il aime, Gala, paraissent en 1913. Il
rejoint le mouvement surréaliste.
Eluard ne sera pas épargné par la guerre (1914-1918), il en connaîtra
l’horreur, comme infirmier lors de la première guerre mondiale et sera
même gazé. Il s’orientera alors vers un militantisme actif où prône la
solidarité humaine : lutte contre le fascisme, adhésion au parti
communiste en 1942. Il devient un des grands poètes de la Résistance. Il
mourra en 1952.
2 – Paul Eluard et la résistance
Le 1er septembre 1939, Paul Éluard est mobilisé dans le Loiret comme lieutenant dans l’Intendance.
Démobilisé après l’armistice de 1940, l’exode l’entraîne dans le Tarn, puis il revient à Paris auprès de son
épouse.
Entré dans la Résistance en 1942, il rencontre le fondateur des Éditions de Minuit, Pierre de Lescure,
avec qui il collabore. Le recueil Poésie et Vérité (1942), publié semi-clandestinement, sans visa de
censure, rassemble des poèmes s’élevant nettement contre le nazisme et la collaboration, dont le plus
célèbre, « Liberté », traduit en dix langues, fut parachuté par la Royal Air Force sur les contrées
occupées. Paul Éluard y expose son « but poursuivi : retrouver, pour nuire à l’occupant, la liberté
d’expression ». Il continue le combat armé d’une plume : il écrit Sept Poèmes d’amour en guerre (1943)
et publie Au rendez-vous allemand (1945), composé de poèmes écrits dans la clandestinité, sous les
pseudonymes de Jean du Haut ou de Maurice Hervent.
Le poème sera repris à Londres par la revue officielle gaulliste « la France libre » et parachuté à des
milliers d’exemplaires par des avions britanniques de la Royal Air Force au-dessus du sol français.
3 – Un poème célèbre : “Liberté”
Poème long et mélodieux, pour marquer les esprits
21 strophes de 4 vers (quatrains)
3 vers + 1 refrain à chaque strophe sauf particularité de la dernière strophe
Vers de 7 syllabes, le poème est « rythmé »
Ces anaphores* et ces répétitions créent un effet de litanie, le poème devient une sorte de prière sacrée
et surtout il est plus facilement mémorisable, permettant ainsi une diffusion plus facile au sein de la
Résistance et détournant ainsi la censure nazie.
Le poète a donc pour mission de délivrer un message d’espoir, en montrant, grâce à sa poésie et au
pouvoir de la parole poétique, que la Liberté est bien là, il invite les Résistants à poursuivre la lutte, c’est
ce que résume le dernier quatrain.
A cette époque, la poésie est « utilitaire », elle sert à faire passer un message. Ce poème a été distribué
dans la clandestinité. Sa structure particulière se retient facilement, il peut s’apprendre facilement.
*anaphore : reprise du même mot au début de phrases successives
4 – Les publications littéraires clandestines et résistantes
Depuis 1940, la liste Otto (nommée ainsi en référence à l'ambassadeur d'Allemagne à Paris Otto
Abetz), recensait les « Ouvrages retirés de la vente par les éditeurs ou interdits par les autorités
allemandes » en France. Elle était établie avec la collaboration du Syndicat des éditeurs français et des
maisons d'édition. Une deuxième liste Otto de 15 pages prend le relais le 8 juillet 1942.
le choix politique fait par le Syndicat des éditeurs est de collaborer activement avec le régime de Vichy
et l'Allemagne. D'où la mobilisation des écrivains pour publier clandestinement en échappant à la
censure.
Vercors, écrivain et résistant, publie Silence de la mer en 1942, c’est la première publication des Éditions
de Minuit, éditeur clandestin et résistant. Puis il publie avec Paul Éluard le recueil L'Honneur des poètes.
Claude Morgan, écrivain, fait paraître la revue Les Lettres Françaises qui a du succès grâce à la
collaboration d'Éluard (le premier numéro paraît le 20 septembre 1942).