Lire l`article en français
Transcription
Lire l`article en français
Excision Ces femmes martyres d’un patriarcat archaïque Par Patrick Banon* Les femmes à travers le monde sont encore et toujours les premières victimes de violences aux traditions archaïques. Prisonnières de rites injustes, maintenues en marge de la société, leur corps confisqué, leur autonomie interdite, les femmes d’aujourd’hui ne sont pas moins violées, battues, lapidées ou mutilées qu’hier. L'excision est sans doute l’une des pires violences physiques et psychologiques infligées aux femmes. Il ne s’agit pas d’un simple rite, mais d’une terrible mutilation, d’une trahison doublée d’un viol, un véritable crime qui traverse les religions et les frontières. Premières victimes Sur les champs de bataille où s’opposent démocratie et totalitarisme, la féminité fait office d’arme fatale et de butin. Il ne s’agit pas de guerres de religion, mais d’un conflit millénaire entre un système de pensée patriarcal et une quête d’humanisation de la société. En embuscade derrière l’anéantissement du féminin se trouve l’extermination de la différence. Une société hostile aux droits des femmes ne peut faire preuve d’humanisme, et veutjustifier les excisions féminines et autres mutilations en imposant la virginité aux filles. Dans le monde rêvé du patriarcat, contrôler la sexualité des femmes,origine de la naissance des hommes, revient à maîtriser toute menace de mort. Toute transgression féminine devient un inceste qui pollue l’ensemble de la société. Le châtiment expiatoire doit donc être collectif. Dans l’inégalité entre masculin et féminin réside la matrice de toutes les oppressions. Comprendre les raisons de cette angoisse existentielle d’où jaillit la haine de l’autre paraît indispensable pour la guérir. N’est-il pas temps de mettre un terme à dix millénaires de persécution des femmes ? 1 L’excision est d’abord une mutilation L’excision n’est pas comme nous pourrions le croire au premier abord, unrituel miroir de la circoncision masculine.Il n’existe pas de similitude entre la circoncision des garçons qui ne mutile pas, et l’excision des filles dont le but principal est de réprimer le désir sexuel des femmes. L’excision féminine correspond à l’imposition de scellés divins, une garantie de la virginité de la femme jusqu’à son mariage, puisinscrit sa fidélité sexuelle dans sa chair. Non, une femme ne se résume pas à une matrice utilitaire. Non, aucune tradition ne justifie la mutilation des femmes, ni l’excision de leur clitoris, ni leur excision sociale. Revendiquer la mutilation des filles comme un héritage culturel à préserver se résume à une nouvelle forme d’intégrisme. Non, les petites filles ne donnent pas plus leur accord pour être mutilées, bien que certaines, bien naïves, y voient parfois un passage à l’âge adulte valorisant, une illusion qui ne dure jamais. 150 millions de fillettes et de femmes Aujourd’hui, plus de 150 millions de fillettes et de femmes ont déjà subi une mutilation sexuelle et, chaque année, deux millions de fillettes subissent cette souffrance dans le monde. En France, 50 000 femmes et fillettes sont excisées et 20 000 en danger de l'être, alors que selon ASBL Intact (en Belgique où vivent 3000 femmes excisées), 500 fillettes « à risque » y naissent chaque année.66000 femmes excisées en Grande-Bretagne, 6000 à7000 en Suisse, l’Europe n’est plus un refuge pour les femmes menacées de mutilations génitales. 50 % des Égyptiennes âgées de 10 à 18 ans seraient excisées, un nombre supérieur de 10% dans les zones rurales. Un progrès, clament les plus optimistes rappelantque quelques années auparavant, 97 % desÉgyptiennes mariées étaient excisées. Un rapprochement hasardeux puisque rien ne dit que 100 % des filles excisées se marieront. De toute évidence les proportions de filles mutilées restent vertigineuses. 89,2 % des femmes musulmanes du nord du Soudan sont excisées ; que 19,2% des chrétiennes le soient aussi, cela indiquela vivacité d’une pression culturelle régionale bien antérieure à l’émergence de l’Islam. En Côte d'Ivoire, 79 % des musulmanes sont excisées ainsi que 16 % des chrétiennes. Cette pratique n’obéit à aucun commandement religieux, mais participe à l’organisation patriarcale de la société. L'excision du clitoris est la forme la plus courante de mutilation génitale féminine. Le vagin scellé et ouvert au gré de la volontémasculine, cette ceinture de chasteté à même la chair est supposée aussi interdire l’entrée de la précieuse matrice à des démons malfaisants, dangereux pour la santé de la femme et celle de son enfant à naître. Excision, infibulation, désinfibulation sont autant de mutilations de la femme qui la maintiennent dans une situation de servitude envers l’homme, mais aussi dans une précarité psychologique et sociale sans compter le risque permanent d’infections. 2 Une mutilation venue de l’aube des temps Attestée en Égypte et en Éthiopie par les écrits d’Hérodote au Ve siècle avant J.C., la pratique de l’excision féminine était, selon un texte grec du IIe siècle avant J.C., une coutume prénuptiale répandue en Égypte. Strabon confirme en 23 après J.C.que l’excision des filles était une des coutumes égyptiennes les plus rigoureusement observées. De nombreux peuples d’Afrique, d’Amérique du Sud ou d’Australie voient dans le prépuce la partie femelle de l’organe masculin et dans le clitoris la partie mâle de l’organe féminin. Les Dogons, les Bambaras et autres ethnies d’Afrique de l’Ouest imaginent l’être humain doté de deux âmes, l’une féminine, l’autre masculine. Le clitoris représenterait l’âme mâle de la femme et le prépuce l’âme femelle de l’homme. En Afrique, la circoncision et la clitoridectomie auraient pour objectif de parfaire la distinction des sexes que la nature n’aurait pas pris soin d’achever. Une distinction qui n’existe pas dans la pratique de la circoncisionmasculine aux Proche-Orient ancien, puisque l’excision féminine n’existe pas dans le monde biblique.Pourtant, à la différence du schéma biblique, l’excision de la femme est encore revendiquée aujourd’hui par les institutions préislamiques puis islamiques. Certes, l’excision féminine n'est pratiquée ni par tous les musulmans ni par tous les Arabes. La majorité des pays du Maghreb, la Turquie et l'Iran, ignorent cette coutume. L’excision reste néanmoins pratiquée aujourd’hui encore parmi les musulmans d’Afrique, des chrétiens égyptiens, ainsi que chez les Falachas éthiopiens. Cérémonies collectives Le Soudan, la Somalie, le Sénégal, la Côte d’Ivoire,l'Égypte figurent parmi les plus grands pays islamisés qui pratiquent cette mutilation du sexe féminin, ainsi que le Yémen, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, Qatar, Oman, ou encore la Mauritanie. L’excision s’est étendue à certains musulmans de pays asiatiques, la Malaisie, le Pakistan, l’Inde ou encore l'Indonésie où sont organisées descérémonies collectives d’excision visant, à en croire un responsable de l’Assalaam Foundation, à contrôler la libido des femmes et les rendre plus belles aux yeux de leur mari. Selon une étude publiée par le New York Times, 96 % des indonésiennesy ont été excisées avant leurs 14 ans. Qualifiée de sunnah, c'est-à-dire conforme à « la manière du Prophète » la pratique, par influence des coutumes, se trouve associée à l’Islam. En effet, si dans la culture musulmane, la circoncision de l’homme est conseillée, l’excision est considérée honorable pour la femme, consistant à couper une partie de la peau à l’endroit le plus élevé des parties génitales. 3 Muet sur l’excision Le Coran est pourtant muet sur le sujet de l’excision féminine. Seuls les Hadiths, rapports posthumes des faits etparoles de Mahomet, abordent ces traditions à grand renfort d’interprétations. L’ancien Mufti d’Égypte, Hassan El, considérait l’excision comme une obligation traditionnelle. Gad-al-Haq, le Grand-Sheikh de l'Azhar justifie l’excision féminine par les dangers de la mixité entre les hommes et les femmes, supposant que « Si la fille n'est pas excisée, elle s'exposeraitaux nombreuses excitations qui la pousseraient au vice et à la perdition dans une société sans frein. » Yusuf al-Qaradawi, président des Oulémas, signale néanmoins que « ceux qui ne procèdent pas à l’excision de leur fille ne sont pas des pêcheurs. ». Ceux qui pratiquent l’excision des filles croient donc que ce rite fait partie des prescriptions religieuses, sans pour autantreconnaitre l’adhésion à unetradition antérieure à l’Islam. Un père qui s’opposerait à l’excision de ses filles risque d’être lynché – voire lapidé- puisqu’il pousserait ainsises filles dans la voie de la prostitution les interdisant de mariage. Pourtant, Le grand mufti du pays, Ali Juma’a, publia un ordre religieux interdisant catégoriquement ces mutilations sexuelles. « C'est interdit, interdit, interdit », a-t-il insisté sur la chaîne Al-Mahwar. « interdit, interdit, interdit ! » De Norvège en Somalie La première affaire d’excision en cour d’assises a été traitée en France en 1988, avec la qualification de cette mutilation rituelle de « criminelle ». Le tribunal jugea une exciseuse malienne responsable à elle seule de 48 excisions et déjà condamnée quatre ans auparavant pour les mêmes crimes. L’exciseuse Awa Greou sera condamnée à huit ans de prison. Depuis, l’excision d’une mineure est passible de 20 ans de prison. Malheureusement, cela ne décourage pas ceux qui envoient leurs filles « au pays » y subir cette mutilation.Comme ces 185 fillettesemmenées de Norvègepar leurs parents pour leur faire subir une mutilation génitale dans le même village de Somalie. 260 femmes et fillettes, parfois de dix ans, ont déjà ététraitées en trois ans à l’hôpital d’Oslo universitaire pourdes problèmes de santé à la suite d’une mutilation génitale. L’intégrismepatriarcal dopé par la globalisation des cultures, vise plus que jamais à maintenir les femmes dans l’asservissement sexuel, la dépendance sociale et la précarité physique. *Écrivain, essayiste, chercheur en sciences religieuses et systèmes de pensée, enseignantchercheur associé à la chaire Management et Diversité de Paris-Dauphine. Auteur de Ces femmes martyres de l'intégrisme, Éditions Armand Colin. Il était une fois les filles, Mythologie de la Différence, Éditions Actes Sud. 4