six hommes chez un photographe de bab-el-oued
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six hommes chez un photographe de bab-el-oued
SIX HOMMES CHEZ UN PHOTOGRAPHE DE BAB-EL-OUED A 38 ans, Ben Bella est un des cerveaux de la rébellion. Il la dirige du Caire.En bas, dans les Aurès Grine Belkacem, abattu par une patrouille, était bien plus un « bandit d'honneur » qu'un fellaga. 23 octobre 1954, avenue de la Marne à Bab-el-Oued. Coincée entre les échoppes, une boutique de photographe. Bien que l'on soit dimanche, elle est ouverte. Dans la foule qui déambule lentement, six hommes dont les costumes fatigués ne tranchent pas dans ce quartier populaire. Ils demandent à se faire photographier. La photo de groupe, c'est le pain béni des photographes à l'ancienne, gros appareil à poire et voile noir pour la visée. Alors deux hommes assis sur des chaises, quatre debout au second rang. « Ne bougeons plus! » Un déclic. Le petit photographe de Bab-el-Oued ne sait pas qu'il vient de faire une photo historique, Les hommes s'appellent Bitat, Ben Boulaïd, Didouche, Boudiaf, Krim et Ben M'Hidi. Ils viennent de fixer tous les détails du plan d'action de la «Toussaint rouge ». Chacun va repartir vers sa zone de combat. La photo doit être celle du souvenir. D'où viennent-ils? De l'O.S.! O.S., l'organisation spéciale créée en 1946 par les Messalistes pour exercer le terrorisme. Là se sont rencontrés Ait Ahmed et Ben Boulaïd, et Bitat, Ben M'Hidi et Didouche. Et aussi - il sera même leur chef dès 1948 - un curieux personnage, Ben Bella. Encore un déçu de la fraternité franco-arabe. Il a 38 ans, est né en Oranie, à Marnia. Fils de petit commerçant, il ne va à l'école que jusqu'au certificat d'études. Mais sa soif de culture est immense (ce sera un trait permanent de son caractère). Il lit, il dévore l'Histoire de France et surtout l'épopée révolutionnaire. Il se sent pétri d'héroïsme et va le prouver. La guerre. Sergent puis adjudant, le voici à Cassino -dans les Tabors marocains. Tous les officiers sont tués, il prend le commandement du bataillon. Croix de guerre avec palme - quatre citations - décernée par Juin. Médaille militaire que de Gaulle lui-même lui épinglera sur la poitrine lors d'une permission en Algérie. Il veut devenir officier français. On le lui refuse. Il rentre en Algérie pour apprendre Sétif. Alors l'amour tourne en haine...Il fait partie de l'O.S. Pour procurer des fonds à l'organisation, il organise un hold-up à la poste d'Oran. Butin : trois millions de francs, le début d'un trésor de guerre. La police croit d'abord à une agression crapuleuse! Mais bientôt elle réagit. L'O.S. est démantelée. Ben Bella, condamné à sept ans de prison, est enfermé à Blida. Il achète un gardien, s'évade, gagne Paris puis Le Caire, d'où la révolution a chassé Farouk et où la Ligue arabe prêche la libération de l'Afrique du Nord. La « Voix du Caire » hurle sur tous les postes musulmans la haine du colonialisme et les appels à la révolte. Au Caire, Ben Bella est devenu l'ami de Nasser. Il représente la révolution algérienne, il tâchera de lui obtenir de l'aide. Téléguidés du Caire les six vont se rencontrer et fonder leur mouvement propre : le C.R.Il.A., Comité révolutionnaire d'unité et d'action. Copiant les méthodes des Résistants français à l'occupation nazie chacun recrute des hommes sûrs qui recrutent eux-mêmes d'autres adeptes avec un maximum de cloisonnement pour qu'une défection ou une trahison ne puisse avoir de grave répercussion. Territorialement, les six ont découpé l'Algérie en six régions indépendantes, chacun étant responsable de sa zone (ce sera la naissance des willayas). Ils prennent contact avec les Messalistes mais s'aperçoivent vite que Messali n'est venu se joindre à eux que pour les coiffer Le lendemain Jeanine Monnerot, sauvée, qui a été évacuée sur Batna puis Alger, débarque à Orly. Sa convalescence commence. Le corps de son mari a rejoint de son côté Limoges, sa ville natale. Le 29, on lui fait des funérailles officielles. Nul ne se doute encore qu'on enterre ce jour-là le premier mort civil de la guerre d'Algérie. . La position égyptienne n'est pas moins précise : que l'insurrection éclate d'abord, après seulement pourra venir l'aide. Quand le 25 juillet à Alger, le C.R.U.A. se réunit au grand complet ils sont vingt-deux! La lune commence gand même. Récupération de vieilles armes, fabrication de bombes artisanales, développement du recrutement, organisation des troupes. Le 23 octobre, quand les six tiennent leur ultime réunion pour minuter le déclenchement de l'action, ils ont huit cents hommes pour couvrir toute l'Algérie, quelques fusils de récupération et quelques très rares mitraillettes Sten, des boîtes de conserve de lait Guigoz ou d'huile Esso bourrées de chlorate de potasse. C'est peu ! Pourtant, le Ier novembre à 0 heure, le drame peut commencer. A Arris, malgré l'affolement, le « toubib » (il n'a pas de diplôme), attend sur le pas de la porte de l'hôpital la caravane partie au secours des Monnerot. Il recueille la jeune femme et lui donne les premiers soins tandis pue Jean Servier, l'ethnologue, organise la défense de la petite ville. Le lendemain, un avion civil parachutera des médicaments et du sang universel, puis une colonne militaire débloquera Anis. A Alger comme à Paris, si la surprise a été grande, la réaction a été rapide. Mesures de police et de défense immédiate sur tout le territoire algérien. Trois compagnies républicaines de sécurité s'envolent aussitôt de France. Les bataillons de parachutistes de la 25e D.I.A.P. allaient être acheminés dans les plus brefs délais. En quelques jours, les effectifs de l'armée d'Afrique passent à 70 000 hommes, sans compter les C.R.S. Au Conseil de la République, le ministre de l'Intérieur, François Mitterrand affirme catégoriquement le 24 novembre : « Quand il s'agit du maintien de l'unité nationale, il ne saurait y avoir ni compromis ni discussions ; nous n'ignorons pas les nécessités de l'évolution historique mais nous pensons qu'il faut y répondre ni par la sécession, ni par la ségrégation, ni par le séparatisme, mais par .un renversement de l'unité à tous les points de vue. »