L`argent et l`agriculture

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L`argent et l`agriculture
L’argent et l’agriculture
Nicolai Fuchs
Après avoir principalement insisté, dans les premières lettres d’information sur
la création de valeur et la formation des prix (en marge aussi des circulations de
monnaie), en rapport avec le thème de réflexion de l’année, il est souhaitable cette fois
que le thème de l’argent soit encore une fois envisagé, en insistant encore un peu, dans
sa relation avec l’agriculture.
« L’argent régit le monde ». L’argent rend libre ; l’argent rend dépendant ;
l’argent oblige ; l’argent engendre des soucis. Toutes ces déclarations sur l’argent, et
d’autres encore, nous les connaissons bien. Elles nous rendent attentifs au fait que
l’argent est plus qu’un simple moyen de paiement. L’argent possède des qualités, ou
selon le cas, apporte quelque chose avec lui le plus souvent (« L’argent, c’est comme le
fumier. On doit le répandre, sinon il pue », dit-on aussi) « L’esprit pense, l’argent
dirige » – L’argent facilite et paralyse. Mais on peut aller plus loin et dire: L’argent
c’est une aptitude ; ou bien : il exprime une relation. – En observant l’argent, on peut
pénétrer de plus en plus dans la science de l’esprit. « L’argent, c’est de l’esprit
réalisé », dit Rudolf Steiner. (On trouvera un beau résumé sur les déclarations sur
l’argent dans le Bankspiegel 3/2003, N° 186 de la GLS-Gemeinschaftsbank, Bochum.)
Et en parfaite conformité à l’esprit du moment, on pourrait dire aussi : l’argent
recherche l’argent. L’argent cherche des idées, dans lesquelles il puisse être investi.
Car l’argent veut « travailler », il veut s’écouler, il veut s’accroître. Pour le moins
ensuite, quand on le transforme en denrées, qui ont leur prix, leur bénéfice. Lors d’un
taux d’intérêt dépassant la compensation de l’inflation, il résulte que l’argent
« convoite » du rendement. Alors l’argent « commence à chauffer » des processus
économiques, et la chaleur, celle qui est par exemple reliée à un processus de don ou
de taux d’intérêt modéré, s’y transforme alors dans la brève surchauffe d’un feu de
paille (qui peut ensuite s’effondrer sur lui-même, comme avec la soi-disant « New
Economy »). Lorsque l’argent en tant que tel devient motivation du commerce
(lorsqu’il représente des « intérêts économiques »), surgit fréquemment la froidure de
la puissance. L’argent peut aussi être « sale », voire « taché de sang » ; par le
« blanchiment d’argent » il est rendu apparemment, au moins du point de vue fiscal,
de nouveau « propre ». Mais il existe aussi l’argent « probe », lorsqu’il est lié à une
intention directe et honnête de celui qui le donne.
L’argent peut-il s’accroître indéfiniment et est-ce sain?
Lorsque à un moment donné la quantité d’argent reflète la somme des biens
utilisables, alors l’argent devrait aussitôt se détruire, de la même façon que les denrées,
ou selon le cas « vieillir ». (L’argent en tant que « denrée » se distingue aujourd’hui
des autres denrées par son non-vieillissement). Il doit être dé-précier. Du « nouvel »
argent, ou bien de l’argent « jeune », prend naissance avec de nouvelles idées. Le
nouvel argent correspond, selon une définition du magazine économique « brand eins »
(N° 7/2003), à l’équation suivante : « nouveau capital » = « confiance X (multiplié
par) vision ». L’argent cherche des idées dont il veut en réaliser la conversion. En
premier, il est toutefois consommé par le « travailleur spirituel » (à savoir le donneur
d’idées), c’est-à-dire qu’il « disparaît » par exemple dans l’éducation, la formation en
général. Il ne peut donc effectivement pas naître trop d’argent.
Dans l’agriculture, on se comporte le plus souvent autrement avec l’argent, que
d’en faire naître trop. L’ambiance, c’est plutôt celle du « pain durement mérité », après
les rapports-rendements, que l’on a « arrachés de haute lutte » à la nature. En vérité
l’argent n’y est jamais suffisant. On pourrait constamment améliorer, renouveler et
investir. L’agriculture, c’est un juste dégorgement de l’argent. « Des paysages
florissants et prospères », sont ce qui peut en naître, lorsque l’argent, de manière juste,
coule vers un paysage (biologique). Il est intéressant que cela devient seulement une
réalité lorsque l’argent n’est plus placé en fonction de son côté ombre, c’est-à-dire dans
l’industrialisation de la production agraire et donc à la recherche de rendements, ou
qu’il ne reste pas « bloqué dans le sol » (spéculation foncière, ndt) (R. Steiner dans le
cours d’économie nationale). Si cela se produit de manière excessive, le paysage
meurt. Modérément engagé pour des idées socio-économiques, ou bien dans la
complémentation de la ferme dans le respect du principe de l’organisme agricole, alors
l’argent le plus souvent agit « en faisant fructifier » – la fécondité du sol, la santé des
animaux, et il accroît du même coup la satisfaction humaine. Vue ainsi, l’agriculture
est à la fois un point de départ et un point d’aboutissement du circuit économique :
sans agriculture (secteur primaire), il n’y aurait certes pas de vie économique. Et en
même temps, l’agriculture est, pour le moins dans les conditions des économies
nationales actuelles, assignée à un reflux de capital — car celui-ci peut, correctement
employé, se transformer en fécondité renouvelée. — « le capital doit disparaître de
nouveau dans la nature ». (Puisqu’en fin de compte, à l’origine c’est de là, et de
l’esprit, qu’il naît, ndt).
« Gagner de l’argent », dans l’acception la plus large du terme, je ne peux pas le
faire avec l’agriculture. Et pourtant je dois pratiquer l’agriculture dans les meilleures
règles de l’art. La division croissante du travail vers l’intérieur et vers l’extérieur met
de plus en plus en jeu l’argent dans les fermes, en tant que « moyens d’échanges ». Si
autrefois la participation n’était pas aussi monétarisée, ou selon le cas s’accompagnait
de compensations de prestation, par exemple participations privées sous forme de
repas, logement et mobilité encore plus importante, elle disparaît à présent à vue d’œil.
Ainsi l’argent, dans toutes ses facettes, joue-t-il un rôle de plus en plus important dans
la vie quotidienne. Si, à présent, on ne veut plus seulement qu’il déploie ses côtés
destructeurs sur des questions de rentabilité, par les rapports de force, le cas échéant
par la jalousie et la malveillance, il est d’une nécessité urgente de développer à son
encontre un relation entretenue de plus en plus consciemment. Existe-t-il un espace
pour cela, afin que l’argent s’écoule dans de nouvelles idées ?
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Qu’est-ce qu’attire l’argent?
Où porte-t-on volontiers son argent ? Où participe-t-on volontiers ? Où l’argent
recherche-t-il une « disposition » éthique-écologique ? Il suffit de s’observer soimême. C’est là où règne une participation au bien désintéressée (à savoir, inversement,
un degré sain de participation intéressée), là où vivent la transparence, une hiérarchie
la plus étalée possible, la justice sociale et avant tout une richesse de création.
« L’argent cherche l’esprit » — l’argent s’écoule le plus souvent vers là où « l’esprit
souffle ». C’est l’atmosphère dont nous avons besoin sur les fermes, afin que le circuit
économique puisse « s’arrondir » au mieux.
Vers où doit-il s’écouler ?
Là où naissent des idées qui veulent se réaliser. L’argent part aussi là où règne
la solidarité. Aussi recherche-t-il d’une double manière son semblable.
Vraisemblablement a-t-il besoin d’une tension entre solidarité et esprit d’aventure et
d’innovation.
Il s’écoule aussi sur les traces de la confiance. La confiance ne naît toutefois
que par les éléments de l’expérience et du savoir. Il vaut de renforcer ces éléments.
Dans le monde économique actuel, dans lequel le monde financier, qui donne le
ton, consolide en général sa méfiance vers l’extérieur, c’est à peine si l’argent général
s’écoule vers de nouvelles initiatives. Des cercles privés de devises (devises
complémentaires) et toutes les possibilités de relations directes par l’argent (crédit
direct, dons sous condition, etc.) sont à renforcer et à édifier pour l’avenir en
agriculture.
Goetheanum - Section Agriculture
Rundbrief N°83 - Hiver 2004.
Note : Les lecteurs intéressés par tous les aspects de l’argent pourront consulter un article de
Lucio Russo: « L’argent « excrément du diable » » (http://www.ospi.it) qui fait une étude
exhaustive de la nature et des effets de l’argent dans l’économie actuelle, sous un éclairage
anthroposophique paru dans Sainte-Catherine-Infos, n°49 Pâques 2003 (25, rue Victor Hugo 59233 MAING). Cet article sera également accessible en français par la suite sur le site :
http://users.belgacom.net/idcch/
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