UDF et UMP entre rivalité et désunion : conséquences

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UDF et UMP entre rivalité et désunion : conséquences
UDF et UMP entre rivalité et désunion : conséquences politiques ?
Par Florence Haegel
L’équilibre des forces à l’intérieur de la droite, entre l’UMP et l’UDF, est sans
conteste un des enjeux des élections cantonales et régionales 2004. Du point
de vue de la vie politique française, ces élections vont mettre à l’épreuve le
projet d’unification de la droite qu’a constitué la mise en place de l’UMP : la
visée initiale d’unifier les droites sous l’autorité présidentielle et la contrainte
d’une centralisation financière va-t-elle être mise en échec ? L’UDF, nouvelle
mouture, va-t-elle asseoir sa place ? Si c’est le cas, la création de l’UMP ne
pourrait s’apparenter qu’à une redistribution des cartes au sein de la droite,
en quelque sorte un simple déplacement du curseur par l’échec du projet
giscardien et l’autonomisation d’une tendance se revendiquant comme
« centriste ».
Les résultats de ces élections vont également nous livrer des informations
sur les fondements de cette pluralité partisane permettant de répondre à la
question classique : les clivages partisans à droite renvoient-ils à des
clivages sociologiques et idéologiques, s’enracinent-ils dans des lignes de
tensions de la société française ?
Trois thèmes seront successivement abordés dans cette note :
-
dans un premier temps, un point sera fait sur ce que l’on sait du rapport
de forces UMP/ UDF,
-
puis, seront présentés quelques éléments sur les éventuels clivages qui
sont au fondement du pluralisme à droite (clivages sociaux et
idéologiques principalement)
-
Enfin, un retour sur ces élections de mars 2004 permettra de souligner
l’enjeu d’implantation locale qu’elles représentent.
1- Rivalité UMP/UDF : le rapport de forces
Que sait- on du rapport de forces UDF/UMP ? Et, au préalable, quelles sont
les précautions que l’on doit prendre avant de s’engager dans l’analyse ?
© CEVIPOF - 2004
1
La nécessaire prudence méthodologique tient d’abord au fait que l’on ne sait
pas grand chose sur le rapport de forces électorale réelles et, par
conséquent, sur ses fondements.
Pour
l’électeur
les
frontières
partisanes
sont
relativement
floues
et
perméables. Le premier constat est que ces univers partisans ne sont pas
étanches et que les liens des électeurs de droite avec les partis ne sont pas si
forts que l’on puisse considéré qu’il existe une nette délimitation entre l’UDF
et le RPR. Ce phénomène s’explique si l’on veut bien se rappeler que l’unité
de candidature est la règle depuis 19811 (à l’exception notable des élections
présidentielles). Cette habitude de voter pour un candidat commun explique
le flottement des identités partisanes.
Plusieurs éléments puisés dans les enquêtes réalisées par le CEVIPOF
viennent confirmer ce point :
De manière générale, dans l’enquête PEF 2002, l’indicateur de
proximité partisane2 est loin d’être stable. Les personnes sont
nombreuses
à
changer
de
proximité
partisane
même
si
elles
demeurent dans le même camp (de gauche ou de droite). Dans un
temps court d’avril à fin mai 2002, un panélistes sur deux (personnes
ayant été interrogées à toutes les vagues du panel) n’a pas donné la
même réponse à la question sur la proximité partisane.
L’intensité du lien est très variable et confirme cette fragilité. Le
tableau 3 mesure l’intensité de la proximité partisane : parmi les
personnes qui se sentent proches d’un parti, celle qui se disent très ou
assez proches. A l’exception du PCF,
seul vestige d’un parti
d’intégration sociale, le lien entretenu avec les partis est ténu (en
particulier, à droite, pour l’UDF).
Par exemple, lors des précédentes élections régionales de1998, l’unité de
candidatures UDF/RPR (très ponctuellement avec le MPF) a été respectée à
quelques exceptions près comme dans le Nord, Le Maine et Loire ou la
Mayenne et avec une augmentation (notables également aux législatives de
1997) des candidatures divers droite dissidentes.
1
Il mesure les personnes qui, dans les enquêtes par sondages, déclarent
qu’elles se sentent le plus proches ou le moins éloignés d’un des partis
inclus dans une liste qu’on leur présente.
2
© CEVIPOF - 2004
2
Il n’existe pas d’équivalence entre le vote et la proximité partisane.
Par exemple (Tableau 2), moins d’un électeur sur deux se déclarant
proche de l’UDF a voté, au premier tour de l’élection présidentielle,
pour F.Bayrou. Ce constat interdit d’assimiler vote et proximité
partisane.
En gardant à l’esprit à la fois la porosité des frontières partisanes et la
fragilité du lien partisan, on peut toutefois tenter de dessiner un aperçu de
l’état des forces à l’intérieur de la droite.
Si l’on se réfère à l’évolution de la proximité partisane (Tableau 1), dans le
cadre d’un mouvement général de baisse du lien partisan (à l’exception,
Verts, Extrême Gauche et du Front National), l’évolution de long terme est
l’accroissement de l’écart entre le RPR et l’UDF en faveur du premier. En
1988, 7 points d’écart séparaient le RPR de l’UDF, en 2002 (dans la vague
post-présidentielle), l’écart est de 14 points. Toujours en 2002, on peut
considérer que les sympathisants de l’UDF (sans ceux de Démocratie
Libérale) représentent 24% de l’ensemble des sympathisants de droite.
Si l’on se réfère maintenant aux résultats électoraux, deux mesures sont
envisageables, celle qui repose sur les élections présidentielles et celles qui
s’appuie sur les élections législatives. Au premier tour de 2002, le score de
F.Bayrou (sans y agréger ceux d’A.Madelin et Christine Boutin) représente
22% de l’ensemble de la droite. Au premier tour des élections législatives, le
calcul est plus délicat puisque si, au niveau national, l’UDF a recueilli 4,8%
des suffrages, cette mesure n’a de sens que si on la rapporte pas au nombre
de circonscriptions où se présentait un candidat UDF (170 circonscriptions).
Dans ces circonscriptions, l’UDF recueillait 16% des suffrages (l’UMP :
33,3%). Mais dans environ 37 de ces 170 circonscriptions il n’y avait pas de
candidats
UMP.
En
réalité
donc,
dans
ces
133
circonscriptions
concurrentielles (mais dont il faut souligner qu’elles ne sont sans doute pas
représentatives de l’ensemble du territoire) : l’UDF a recueilli 10, 4% des
suffrages (l’UMP : 28,7%) et donc représente environ un quart des suffrages
de droite.
2- Les fondements du pluralisme à droite
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Si l’on tente de mettre en perspective la désunion de la droite française, se
poser la question de la signification du pluralisme Un modèle classique
d’interprétation
de
la
fragmentation
partisane
rapporterait
cette
fragmentation à l’existence de clivages dans la société française. Dans cette
perspective, les partis politiques traduisent et entretiennent des clivages
fondateurs mettant en jeu des dimensions principalement sociales et
idéologiques.
Globalement, l’explication par les clivages sociaux n’explique que, de
manière très résiduelle, la coexistence de plusieurs partis à droite
(son
pouvoir explicatif n’est d’ailleurs pas meilleur pour les partis de gauche).
Il existe toutefois
spécificité, en terme de profil sociologique, des
sympathisants de l'UDF par rapport aux proches du RPR :
L’audience de l’UDF est particulièrement forte dans les catégories
favorisées (CSP favorisées, Niveaux d’étude et connaissances
politiques élevés).
L’intégration dans la tradition catholique demeure un élément
spécifique. L’ensemble des électeurs de droite s’inscrive plus que
d’autres électorats dans des univers catholique, dans le cas de
l’UDF
l’intégration est particulièrement forte et se signale par la
sur-représentation des catholiques pratiquants.
De ce point de vue, on peut considérer qu’il n’y a pas de « centrisme
sociologique » au sens où l’électorat UDF (ou de F.Bayrou) renforce les traits
d’une sociologie électorale de droite.
S’agissant des clivages idéologiques maintenant, peut-on, cette fois, parler de
centrisme
idéologique ?
La
spécificité
idéologique
de
électeurs
ou
sympathisants de l’UDF existe même si elle ne justifie pas elle seule
l’existence de deux partis. Elle se manifeste par l’adhésion aux principes de
tolérance (l’attachement à la liberté d’opinion, l’attitude à l’égard de
l’immigration), aux valeurs moins autoritaires et à l’intégration européenne.
En revanche, elle ne renvoie pas du tout à l’attachement à une dimension
sociale. En effet, si l’on considère le degré de libéralisme économique,
l’attachement à l’intervention de l’Etat il n’existe pas de différence notable
entre les électeurs Bayrou et Chirac en 2002. Dans l’enquête menée par le
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CEVIPOF en 20003, au contraire, ils se démarquent mêmes par une nette
réserve à l’égard de la dimension sociale et une forte adhésion à un modèle
de réussite sociale de type méritocratique et individuel.
La convergence des droites autour du libéralisme économique est un
phénomène européen. En revanche, une spécificité du courant démocrate
chrétien français par rapport au démocrate chrétien européen semble être
leur adhésion à une culture non autoritaire (il est vrai que dans les enquêtes
européennes, les partis protestants du nord de l’Europe sont bien
représentés et qu’ils adoptent des positions de défense des valeurs d’ordre).
3-Les enjeux des élections de mars 2004
S’agissant de légitimité, la mise à l’épreuve pour l’UMP est évidente dans un
contexte de fragilité créé par la déception à l’égard du gouvernement, par la
condamnation d’Alain Juppé, l’offensive de Sarkozy, l’échec à mettre en place
le pluralisme, l’incertitude persistante sur les règles de sélection d’un futur
candidat présidentiel. Symétriquement, pour l’UDF, les élections régionales
sont celles qui lui offrent le plus de chance parce qu’elles sont des élections
intermédiaires (la sanction gouvernementale est donc sans conséquence),
parce qu’elles ne sont pas des élections que l’on pourrait qualifier de locales
se jouant principalement que l’implantation des élus sortants. En effet, si les
élections régionales étaient de pures élections locales, il y aurait un net
déséquilibre entre les candidats de l’UDF et ceux de l’UMP. Il ne faut pas
oublier que l’UDF a perdu beaucoup de ces élus locaux. Le groupe
parlementaire UDF est constitué d’une trentaine de députés, plus jeunes que
la moyenne (la moyenne d’âge des députés est de 53 ans et 10 mois, environ
60% des députés UDF est plus jeune cette moyenne), mais également avec
plus de novices (presque un tiers) que les autres groupes
L’élaboration des listes régionales témoigne de l’enjeu que revêt la
reconstitution d’une armature locale. Si l’on considère, les têtes de
listes régionales, la différence d’implantation est flagrante : l’UMP met sur les
Chiche (Jean), Haegel (Florence), Tiberj (Vincent) « La fragmentation
partisane », in Grunberg (Gérard), Mayer (Nonna), Sniderman (Paul M.) , La
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rangs de nombreux présidents de conseil régionaux, des ministres. A l’UDF,
les têtes de liste constituent une équipe resserrée autour de F. Bayrou (issue
principalement du groupe parlementaire et de la direction de l’UDF). De
plus, l’UDF rencontre, dans certaines régions, une difficulté sur le terrain à
trouver des candidats. Cette pression qu’impose a recherche de candidat se
manifeste par les tentatives de rallier des personnes représentatif du monde
économique, elle pourra à terme bénéficier à l’image de l’UDF en l’associant
au renouvellement des professionnels de la politique.
Tout comme nous avions souligné précédemment la faible étanchéité des
frontières partisanes dans l’électorat de droite, on doit faire le même constat
s’agissant des élus (à quelques exceptions localisées) : les frontières
partisanes sont facilement franchissables quand on est un élu de droite.
D’ailleurs, les mêmes raisons -l’habitude des listes communes- peuvent
expliquer ce phénomène. Une preuve a contrario qu’il existe une forte
porosité des univers partisans peut être trouvée dans le fait que des
contraintes sont mobilisées pour éviter les passages d’un camp à l’autre.
L’UMP a mis tout son poids dans le ralliement des élus en maniant à la fois
les arguments financiers et son pouvoir d’investiture. L’UDF, de son côté,
exerce sont pouvoir disciplinaire pour éviter les fuites de ses partisans.
L’âpreté de la concurrence se donne évidemment à voir au niveau national,
dans les média. Mais les analyses de géographie électorale menées dans Le
Vote de tous les refus en donne le fondement. Il existe bien une continuité de
l’implantation géographique de l’UDF (Cf cartes). En particulier si l’on
compare la carte de Barre en 1988 à celle de Bayrou en 2002. Alsace, Ouest
du Contentin à la Vendée en passant par la Mayenne, contrefort est du
massif central (Aveyron, Lozère, Haute-Loire, jusqu’à la Haute-Savoie),
Pyrénées Atlantique. Mais si les zones de forces de l’UDF sont également des
zones où l’UMP fait de bons résultats. Autrement dit, il ne s’agit pas de
relation de complémentarité mais de forte concurrence.
Tableau 1. L’évolution de la proximité partisane déclarée (%)
démocratie à l’épreuve, Paris, Presses de Sciences-po, 2002.
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Extrême Gauche
PCF
PS
Ecolo-Verts
UDF
RPR
FN
Aucun+SR
1988
0,9
5,1
35
3,7
12, 4
19,7
4,7
17,2
1995
1,3
6,4
30,8
4,2
12,5
29,4
5,5
11
2002*
3,7
4,2
26
12
10,3 (UDF+DL)
23,8 (RPR+RPF)
6,6(FN+MNR)
6,5
Enquête PEF, vague 2, pondérée
Tableau 2 La conformité entre la proximité partisane et le vote au premier
tour de l’élection présidentielle
(% des sympathisants d’un parti politique qui ont voté pour le candidat de
leur parti)
Candidat Candidat
Candidat
trotskiste communiste socialiste
71
Candid Candidat Candidat Candidat
at écolo UDF
RPR
FN
Ext
G
PC
59
PS
56
Vert
46
UDF
45
RPR
65
FN
81
Enquête PEF, CEVIPOF/CIDSP/ CECOP, 2002, vague 2 post-présidentielle
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Tableau 3. L’intensité de la proximité partisane
(Parmi les sympathisants de chaque parti % de ceux qui se sentent très ou
assez proches)
1988
2002
Evolutio
n
Ext G
22
29
+7
PCF
67
53
-14
PS
49
43
-6
Verts
27
21
-6
UDF
40
31
-9
RPR
47
37
-10
FN
47
33
-14
* Enquête PEF, vague 2, non pondérée
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