Depuis 2002, Comment Juppé et Bayrou ont détruit la

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Depuis 2002, Comment Juppé et Bayrou ont détruit la
Depuis 2002, Comment Juppé et Bayrou
ont détruit la famille centriste
Des soutiens de Bayrou présents sur cette photo,
beaucoup l’ont lâché. L’UDF a disparu et la famille
centriste s’est égaillée entre UMP, Nouveau Centre et
MoDem. Chronique d’une décennie de dispersion.
C’est l’une des dernières photos de famille des centristes: François Bayrou
au milieu de ses soutiens, le 9 janvier 2002, au siège de l’UDF [1]. Tous
réunis pour les vœux à la presse du candidat du parti, qui se lance alors
dans sa première campagne présidentielle.
Face au président sortant Jacques Chirac, François Bayrou espérait alors
incarner «la relève», son slogan de campagne. «L’expression était plutôt bien
choisie», jugeait en janvier Bernard Lehideux, ancien député européen et
toujours fidèle à François Bayrou pour sa troisième campagne à l’Elysée —il
est aujourd’hui chargé de la Défense dans son shadow cabinet. «Ce dont je me
souviens de 2002, c’est que nous étions une équipe de gens assez neufs, si
l’on excepte François ou Gilles [de Robien, NDLR].»
François Bayrou est encore bien entouré en ce mois de janvier 2002, avec
vingt-quatre soutiens au total sur cette photo. A l’époque, Jean-Louis Borloo
n’est que maire de Valenciennes, Hervé Morin, Michel Mercier, François
Sauvadet ou son directeur de campagne Gilles de Robien parlementaires. Seuls
François Bayrou, Anne-Marie Idrac et Jean Arthuis ont déjà fait partie d’un
gouvernement.
«La relève de l’UDF est d’abord liée aux défections de certains», tempère
Nicolas Sauger, chercheur au Centre d’études européennes de Sciences Po. «On
retrouve sur cette photo des personnalités impliquées en politique de longue
date —Hervé Morin a travaillé au cabinet de François Léotard—, mais ce sont
des personnalités nouvelles car moins connues du grand public. Les plus
connus sont déjà en train de partir.»
Divorce consommé avec Madelin
En coulisses, la famille a en effet déjà commencé à éclater. Avec Alain
Madelin, le divorce est consommé depuis 1998. Des présidents de région sont
élus avec les voix du Front national: François Bayrou les désavoue, Alain
Madelin choisit de les soutenir et de quitter l’UDF avec sa sous-formation,
Démocratie libérale. En 2002, il prépare sa propre campagne présidentielle,
qui le verra récolter 3,91% des voix, contre 6,84% pour son ancien chef de
file.
A l’UDF, tout le monde ne soutient pas l’idée d’une candidature centriste à
la présidentielle. «L’UDF commençait à se diviser du fait de la campagne de
persuasion de Chirac», commente le député européen Alain Lamassoure,
aujourd’hui rallié à l’UMP.
Dès avril 2001, l’Union en mouvement —l’ancêtre de l’UMP— est créée pour
rassembler les élus RPR, UDF et DL désireux de travailler à la réélection de
Jacques Chirac. Plusieurs parlementaires UDF, comme Philippe Douste-Blazy,
s’y joignent, préférant accorder leur voix dès le premier tour au président
sortant. «Je ne garde pas un très bon souvenir de cette époque, c’était une
période un peu difficile à vivre pour l’UDF», explique Alain Lamassoure.
L’hémorragie vers l’UMP
L’hémorragie ne commencera véritablement qu’après la présidentielle, avec la
création de l’Union pour un mouvement populaire. Pour les législatives, près
de 150 membres de l’UDF sont investis par l’UMP. Dans la XIIe législature, le
groupe UDF ne compte plus que 27 députés et 3 apparentés, contre 112
auparavant. Jean-Louis Borloo rejoint le Parti radical et entre au
gouvernement aux côtés de Gilles de Robien et des anciens UDF Alain Lambert
et Renaud Donnedieu de Vabres.
«Les défections de 2007 sont restées dans les mémoires, mais tout le monde
oublie que c’est en 2002 que les départs les plus importants ont eu lieu»,
explique Bernard Lehideux, qui rappelle que François Bayrou s’était opposé
dès février à l’idée d’un parti unique avec cette phrase: «Si on pense tous
la même chose, c’est qu’on ne pense plus rien.»
Le discours n’avait pas suffi. «Au lendemain de l’élection, j’étais de ceux
qui sont restés avec Bayrou pour des raisons d’amitié personnelle, se
souvient Alain Lamassoure. J’ai plaidé pour que l’UDF rejoigne le RPR en
faisant valoir à l’époque que le RPR était très divisé entre juppéistes et
sarkozystes. Une UDF unie au sein d’un nouveau parti pouvait très bien y
prendre le pouvoir.»
En vain. «Bayrou n’a pas voulu parce qu’il n’est à l’aise que dans les
petites structures, juge l’eurodéputé. C’est un grand solitaire, qui a besoin
d’un fan club.»
En 2007, malgré son relatif succès à la présidentielle (troisième avec 18,57%
des voix), François Bayrou est abandonné par une majorité de ses anciens élus
UDF. Dix-huit d’entre eux, dont Hervé Morin, signent une tribune dans Le
Monde pour annoncer la fondation du Nouveau Centre. Ils seront finalement 24
à siéger dans le groupe à l’Assemblée nationale alors que le nouveau parti de
François Bayrou, le MoDem, doit se contenter de siéger parmi les noninscrits, avec seulement trois députés.
2012: un noyau de fidèles…
Cinq ans après, François Bayrou est encore le seul candidat de l’ancien parti
centriste: parmi les partants des dernières années, Jean-Louis Borloo ne
s’est pas lancé dans la course à la présidentielle et Hervé Morin a longtemps
stagné à 1% dans les sondages, avant de se rallier à Nicolas Sarkozy.
Fin janvier, quand nous avons interrogés les soutiens de Bayrou, leur
candidat était lui donné solide quatrième (13% à 15% des intentions de vote,
contre 10 à 12% dans les sondages publiés début avril) et ils estimaient
avoir eu raison de garder le cap, vantant leur «présidentiable», qui avait
«maintenu haut et fort l’indépendance du centre toutes ces années» et se
retrouvait désormais «capable aujourd’hui d’être dans le jeu des quatre
potentiels finalistes».
Des membres de l’UDF présents sur la photographie restent les fidèles parmi
les fidèles. En premier lieu Marielle de Sarnez, directrice de campagne en
2007 et en 2012, devenue vice-présidente du MoDem. Mais aussi Jacqueline
Gourault, sénatrice du Loir-et-Cher, Bernard Lehideux et Chantal Brault,
présidente du MoDem dans les Hauts-de-Seine.
«De nouveaux venus sont arrivés, les départs ne m’ont pas du tout attristé,
explique cette dernière quand on évoque la fondation du Nouveau Centre. Je
sais exactement pourquoi ces gens-là sont partis: certains ont pensé que
l’herbe était plus verte ailleurs, ont eu envie d’exister, ont eu envie de
pouvoir.»
D’autres sont revenus, comme Anne-Marie Idrac (porte-parole de François
Bayrou en 2002, elle avait mis entre parenthèses sa carrière politique pour
prendre la tête de la SNCF, avant de finalement devenir secrétaire d’Etat
chargée du Commerce extérieur dans le gouvernement Fillon) ou Philippe
Douste-Blazy, parti en 2002, mis sur la touche depuis 2007, qui a pris sa
plume pour déclarer son soutien dans Le Monde.
Jean Arthuis, lui, avait claqué la porte du MoDem en 2008 pour fonder son
propre parti, Alliance Centriste, mais est présent en 2012 au côté du
candidat centriste. «Les ponts n’ont jamais été rompus avec François Bayrou»,
a-t-il expliqué sur son blog, où il se prenait même à rêver: «Après une
décennie d’éclatements successifs, j’ai la conviction que les centristes sont
enfin sur le chemin du rassemblement.»
Bientôt une nouvelle photo de famille?
Avec une UMP trop à droite pour certains et un Nouveau Centre qui n’a pas
présenté de candidat, la belle époque de l’UDF rend ses anciens membres
mélancoliques. «La nostalgie de l’UDF m’habite. C’était une équipe avec
beaucoup de qualité. Quand vous regardez les gens qui sont là, sur cette
photo, tout le monde était hyper motivé», nous confiait fin janvier Philippe
Augier, le maire Nouveau Centre de Deauville, qui se posait à l’époque la
question de savoir s’il allait voter pour Sarkozy ou son «ami» Bayrou. Il
s’est finalement rallié au président-candidat, dont il juge qu’il a un bilan
«meilleur que ce qu’on veut bien en dire» face à un candidat MoDem «en manque
de valeur ajoutée».
«Nous sommes très nombreux à être orphelins d’un centre qui a disparu, ajoute
Alain Lamassoure, qui l’estime nécessaire pour l’équilibre de la droite et de
la vie politique française. La famille est éclatée, les élus sont très
malheureux et les électeurs encore plus. Au MoDem, il n’y en a qu’un
d’heureux.» Sous-entendu, Bayrou.
Pour mettre fin à cette situation, Jean Arthuis proposait en novembre 2011
une «confédération», «une maison commune ouverte à l’ensemble des
centristes». Alors, dix ans plus tard, à quand une nouvelle photo de famille?
Mathieu Dehlinger
[1] Seul inconnu sur cette photographie, l’homme au crâne dégarni du dernier
rang, entre Michel Mercier (18) et François Sauvadet (22). Au Mouvement
Démocrate, les personnes que nous avons contactées n’ont pas été capables de
l’identifier. Si vous savez qui il est, dites-le nous dans les commentaires!
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Mathieu Dehlinger
Source :©
Slate.fr
2002, la famille centriste avant l’éclatement [INTERACTIF] |

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