Gouvernance du système d`enseignement supérieur et de l

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Gouvernance du système d`enseignement supérieur et de l
Gouvernance du système d’enseignement
supérieur et de l’université en Haïti (SESUH) :
amélioration nécessaire et possible, mais…
Jean Joseph Moisset
Résumé : Le présent article porte sur la gouvernance de l’enseignement supérieur et universitaire en Haïti. Il vise précisément à montrer,
dans une perspective systémique, que les déficiences observées relativement aux processus de gestion et aux ressources, combinées avec des
éléments liés à l’environnement naturel, au contexte socioculturel et historique du pays, ne permettent pas à l’éducation de donner sa pleine
mesure par rapport au développement durable de la nation, tout en apportant des pistes d’action concrète pour résoudre les problèmes
analysés. Il illustre par ailleurs ce qu’au fil des siècles la science économique, la théorie du capital humain et l’économie du savoir ont bien
démontré, à savoir que si l’éducation, dont l’enseignement supérieur et universitaire est une composante majeure, est un facteur incontournable du bien-être et du développement des individus et des sociétés, elle est une condition nécessaire, mais non suffisante cependant.
Rezime : Atik sa a chita sou fason pou yo jere epi dirije ensèyman wo nivo ak ansèyman nan inivèsite anndan Ayiti. Objektif atik sa a
se montre ki jan, apati yon apwòch sistemik, pwoblèm ki genyen nan fason jesyon edikasyon an fèt la ak nan resous li yo, mete sou sa
anviwonnman natirèl la ak kontèks sosyo-kiltirèl peyi a, pa pèmèt sistèm edikasyon peyi a bay tout potansyèl li pou sa ki konsène devlopman
peyi a sou yon plan dirab, pandan edikasyon an ka mennen nou sou wout aksyon reyèl, ki kab rezoud pwoblèm nou analize yo. Atik sa a
demontre tou pandan gen anpil syèk ki ap pase, lasyans ekonomik, teyori kapital moun ak lekonomi nan konesans montre aklè ledikasyon,
ki genyen ladan, prensipalman, ansèyman wo nivo ak ansèyman inivèsitè, se yon eleman kle pou byennèt ak devlopman moun ak lasosyete.
Se yon kondisyon esansyèl, men se pa li sèl grenn ki kab chanje sitiyasyon an.
1. INTRODUCTION
I
ls sont très peu nombreux aujourd’hui les gens qui ne reconnaissent pas l’importance de l’éducation « où un trésor
serait caché », pour reprendre l’expression de Jacques Delors
(1996). Une vaste littérature s’est constituée au fil de plusieurs
siècles sur l’importance de l’éducation aussi bien pour l’épanouissement et le bien-être des individus que le développement des peuples et des sociétés1. Le premier numéro de la
1. Deux siècles auparavant, Adam Smith, dans The Wealth of Nations
(1776), disait que l’homme instruit, plus que les coûteuses machines,
est le facteur clé de la richesse des nations. Theodore W. Schultz
(1983), l’un des initiateurs de la théorie moderne du capital humain,
pour sa part, soutient qu’« il n’y a de richesse que d’hommes ». La
liste est longue des économistes et des spécialistes en sciences
revue du Groupe de Réflexion et d’Action pour une Haïti
Nouvelle (GRAHN)2, par la diversité des contributions des
auteurs, s’appuyant sur de multiples sources et références, a
bien montré que « l’éducation est un facteur de création de
richesse et d’emplois ».
Cela est également vrai pour le sous-système d’enseignement
supérieur et universitaire dont dépendent les autres niveaux
du système éducatif et secteurs d’activité de la vie d’une nation.
Dans le contexte d’Haïti, il est traversé par de multiples et humaines qui se sont penchés depuis sur l’importance de l’éducation.
2. Haïti Perspectives, Développement économique et création d’emplois,
vol. 1, no 1, printemps 2012.
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Cahier thématique – Enseignement supérieur et université
graves problèmes, dont la faiblesse de sa gouvernance, reliée
elle-même à la défaillance historique de l’État vis-à-vis de sa
mission éducative. C’est de manière générale sur cet enjeu
majeur et ses conséquences principales que porte le présent
article. Plus spécifiquement, il est articulé autour des éléments
suivants :
1. la structure et les caractéristiques majeures du réseau du
système d’enseignement supérieur et universitaire haïtien ;
2. l’absence d’un cadre normatif et réglementaire ;
3. le nœud gordien de l’enjeu examiné : une étroite interrelation entre une donnée de caractère factuel (un manque
flagrant de ressources) et le rôle historique de l’Université
d’État d’Haïti (UEH) ;
4. quelques pistes et mesures d’action concrète susceptibles
de contribuer à la solution des problèmes examinés.
2. STRUCTURE ET CARACTÉRISTIQUES
MAJEURES DU SESUH
Les données disponibles les plus récentes, découlant de certains rapports de recherche, loin d’être complètes et toujours
fiables, permettent cependant de dire que le SESUH, au double
point de vue quantitatif et qualitatif, est loin de répondre aux
besoins de la population. En Haïti, l’ensemble du sous-système comprend un peu plus de 200 établissements regroupant environ 220 000 étudiants, dont 12 % environ pour le
secteur public (UEH et universités publiques régionales, UPR)
et 88 % pour le secteur non public. Au total, le secteur public
du SESUH compte aujourd’hui approximativement 27 000
étudiants, dont environ 24 000 à l’UEH3.
On a certes assisté à une très forte croissance des effectifs de
l’UEH qui se sont multipliés par 6, passant de 3 309 en 1976
à près de 24 000 aujourd’hui. Mais cette augmentation n’a
pas pu répondre à la forte hausse de la demande de formation
supérieure, compte tenu du nombre de plus en plus élevé des
finissants diplômés du secondaire. Il en a découlé une multiplication rapide et anarchique des établissements privés qui
n’a pas comblé l’écart, puisqu’il y aurait quelque 20 000 jeunes
qui poursuivent leurs études à l’étranger, dont environ 75 %
en République dominicaine.
3. Les données statistiques citées dans cet article proviennent principalement des sources suivantes :
• MENFP (2007). La stratégie nationale d’action pour l’éducation
pour tous (EPT).
• DESRS/MENFP (2009). Rapport d’enquête sur le réseau de l’enseignement supérieur et universitaire.
• Groupe de travail sur l’éducation et la formation (GTEF), sous
la présidence de J. Lumarque (2011). L’éducation par-dessus tout :
Pour un pacte national pour l’éducation en Haïti.
• MENFP (2011). Plan opérationnel de mise en œuvre du Rapport
final du GTEF.
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Par ailleurs, dans une perspective systémique, les critères et
indicateurs communément utilisés pour l’appréciation du
fonctionnement et de la performance des établissements de
formation s’articulent autour de trois catégories d’éléments :
les ressources humaines, financières, matérielles, informationnelles, les processus d’enseignement, d’apprentissage, de
gestion, et les résultats, le tout situé dans un environnement
physique avec ses contraintes et opportunités et dans un
contexte avec ses valeurs socioculturelles. À ce triple égard,
les conditions de fonctionnement des établissements s’avèrent
inadéquates ainsi que la gouvernance du système, comme l’a
souligné dans sa conférence du 13 janvier 2012 le professeur
Samuel Pierre à l’inauguration du Campus de Limonade4.
3. ABSENCE D’UN CADRE NORMATIF
ET RÉGLEMENTAIRE
Le constat est ainsi fait qu’il n’existe pas, au niveau de l’enseignement supérieur, de cadre normatif et réglementaire.
La Direction de l’enseignement supérieur et de la recherche
scientifique (DESRS) du ministère de l’éducation nationale et
de la formation professionnelle (MENFP) (2009) avait certes
souligné que, parmi les faiblesses affectant l’enseignement
supérieur du pays, aucune définition nationale n’est proposée
pour l’organisation de l’enseignement qui reste finalement à
la discrétion de chaque établissement, opérant, selon le cas,
en années scolaires, en semestres, en unités d’enseignement,
en crédits, etc.
Le concept de gouvernance est plutôt vieux, s’appliquant à
l’origine à l’État et aux institutions publiques tout simplement
comme l’art de gouverner et d’administrer. Ce qui est neuf et a
beaucoup contribué à la grande vogue qu’a connue ce concept,
ce sont les pratiques et le langage du management scientifique
appliqués au secteur privé des affaires, à la recherche d’efficacité, d’efficience, de maximisation du rapport bénéfices/coûts
sous le vocable « nouveau management public ».
Nous inspirant de ce courant de pensée largement tributaire
des grandes organisations internationales (OCDE, 2003b) et
des auteurs ayant contribué à son développement, entre autres
Bartoli (1997) et Larouche et al. (2012), nous définissons la
gouvernance comme un ensemble de processus menant à la
4. « Les universités publiques d’Haïti – c’est-à-dire l’Université d’État
d’Haïti et les universités régionales – sont dans un tel état de dénuement, surtout après le tremblement de terre, qu’elles sont incapables
de s’acquitter convenablement de la mission envers la société qui
leur est confiée par l’État. » Et il ajoute que « la construction de
ce (un vrai) système universitaire doit débuter par l’élaboration
[…] d’une loi organique qui régira les universités en Haïti, qu’elles
soient publiques ou privées […] et également par la définition d’un
cadre normatif qui régit le fonctionnement des universités au pays ».
(p. 10)
Haïti Perspectives, vol. 2 • no 1 • Printemps 2013
Cahier thématique – Enseignement supérieur et université
mise en place d’organisations, l’élaboration de règles régissant leur fonctionnement ainsi que les processus décisionnels
concernant la mise en œuvre de leurs activités en vue de la
meilleure atteinte possible de finalités, de buts et d’objectifs
prédéterminés. C’est aussi la manière dont les décideurs, à tous
les niveaux de l’organisation dont ils sont responsables, comprennent et exercent leurs rôles, fonctions et attributions. Cette
définition s’applique à toutes les organisations opérant dans
les secteurs d’activité du pays, y compris, bien sûr, celui de
l’enseignement supérieur.
4. LE NŒUD GORDIEN VÉRITABLE
DE L’AMÉLIORATION DE LA GOUVERNANCE
Il y a un large consensus sur les problèmes esquissés plus haut.
Il en est de même de la nécessité d’y apporter une solution
appropriée, jusqu’ici recherchée dans la réforme de l’UEH,
projet resté lettre morte, au moins jusqu’à récemment, mais
toujours d’actualité. Cet état de fait nous amène à penser que
le nœud gordien véritable de cet enjeu, complexe et compliqué,
réside ailleurs, dans l’étroite interrelation entre deux éléments.
Le premier, de nature idéologique, est le caractère de vache
sacrée attribué à l’UEH, qui a formé depuis sa création les
élites intellectuelles du pays, avec en arrière-fond le débat sur
les rapports entre le secteur public et le secteur privé. Emmanuel Buteau, alors ministre de l’Éducation nationale (2005), et
le professeur Leslie F. Manigat (2010)5 ont salué les chefs d’État
haïtiens, ces bâtisseurs, dont le roi Christophe, le président
Geffrard, le président Salomon et autres, qui avaient compris
l’importance de l’enseignement supérieur et jeté les bases de
l’université haïtienne. L’UEH, créée en 1944, s’est vu attribuer par le gouvernement en 1983 le statut particulier d’institution indépendante, confirmé par la Constitution de 1987,
avec droits de gouvernance de l’ensemble des institutions du
réseau, ce qui en a fait une institution intouchable6. Le second,
de caractère factuel, est le manque de ressources financières
allouées à l’enseignement supérieur, même s’il se dessine une
tendance à l’amélioration.
5. Conférence inaugurale « L’enseignement privé en Haïti, un service public » d’Emmanuel Buteau, alors ministre de l’Éducation
nationale, dans Actes du Colloque sur la structuration du secteur
non public et le partenariat public-privé en éducation, Pétion-Ville,
Haïti, octobre 2005. Voir aussi Pr Leslie F. Manigat, Brève esquisse
historique de l’évolution des institutions universitaires haïtiennes,
www.lesmorenantis.org/files/Breve_Universite_Haitienne.pdf.
6. Pour une vue détaillée de cette évolution historico-juridique de
l’université haïtienne, le lecteur pourra se référer à l’ouvrage de
Délima Pierre (2012). Constitutions, lois et éducation en Haïti
1801-2012, Éléments de politiques éducatives, Le Béréen / Éditions
Mémoire, Québec.
Tableau 1 Évolution de la part du MENFP et de l’UEH
dans le budget de la République d’Haïti 2009-2010 à 2012-2013
Année
20092010
20102011
20112012
20122013
Budget
Allocations au MENFP
Milliards
de G
Milliards
de G
% du BT
Millions
de G
% du BT
88,9
8,1
9,0
465,1
0,5
106,3
11,2
18,0
637,8
0,6
119,6
16,1
13,5
554,9
0,5
131,5
19,4
14,0
1 157,2
0,88
total (BT)
Allocations à l’UEH
G = gourde.
Source : Données du ministère de l’Économie et des Finances (MEF).
Faibles, les allocations à l’UEH en 2009-2010 s’élevaient à
environ 0,5 % des crédits totaux du budget de la République,
soit 88,9 milliards de Gdes. En légère augmentation depuis,
elles sont passées à 0,6 % du budget total (106,3 milliards de
Gdes) de 2010-2011 et à 0,88 % des 131,5 milliards de Gdes prévues pour 2012-2013. Depuis quelques années, une allocation
est prévue au budget de fonctionnement du MENFP pour les
universités publiques régionales. Il est donc difficile de savoir
de manière précise la part dont les UPR bénéficient réellement.
Elle serait plutôt faible mais en augmentation, passant de
5 000 000 Gdes en 2008/2009 à environ 13 000 000 Gdes selon
les prévisions budgétaires de 2012-2013. Le taux de change
a oscillé entre 40 et 42 Gdes pour 1 $ US. Les conditions en
matière de ressources financières sont tellement inadéquates
que les étudiants des UPR sont appelés à payer certains droits
de scolarité.
À cette insuffisance des ressources financières, il faut ajouter
une certaine faiblesse dans la consommation des crédits disponibles. Ainsi, le ministère de l’Économie et des Finances
dans un bilan de septembre 2012 du budget total 2011-2012
de 121 milliards de gourdes, souligne que l’UEH n’avait
consommé que 33,4 % des crédits de 485,9 millions de gourdes
financés à même le Trésor public sur le budget 2011-2012. La
complication et la lourdeur des procédures de décaissement
des fonds ajoutées à la lenteur connue du fonctionnement
de l’administration publique haïtienne peuvent expliquer au
moins en partie cette faiblesse de l’utilisation des fonds disponibles.
Tout cela a entre autres comme conséquence directe une
réponse inadéquate aux besoins de la population en matière de
formation au niveau supérieur aussi bien au point de vue quantitatif, comme il a été illustré à la section 2, que qualitatif. Le
problème risque de devenir plus grave avec l’augmentation Haïti Perspectives, vol. 2 • no 1 • Printemps 2013
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Cahier thématique – Enseignement supérieur et université
du nombre déjà élevé et toujours croissant des finissants du
secondaire, qui sont plus de 100 000 aujourd’hui.
Malgré la complexité du concept de qualité et ses multiples
définitions (Lessard, 2012 ; Larouche et al., 2012), une idée
centrale les traverse. Un objet ou un processus d’action sera dit
de qualité s’il est conforme aux normes et règles définies auparavant, la qualité reposant fondamentalement sur l’atteinte
d’objectifs préalablement déterminés en fonction des missions
et finalités de l’institution ou de l’organisation considérée. La
qualité d’un objet peut être assortie de degrés ou de niveaux
permettant une comparaison des performances des acteurs et
des résultats obtenus.
Selon la DESRS (2009), sur près de 1 900 enseignants que
compte le réseau, à peine 350 sont des professeurs à temps
plein, contre environ 1 550 qui sont des chargés de cours, plus
de 80 % d’entre eux ne détenant pas une maîtrise ou un doctorat ; des conditions enseignante et étudiante déplorables ;
déficience des infrastructures et des équipements existants ;
manque et inadéquation des matériels didactiques, des ressources bibliothécaires et des laboratoires de recherche ; programmes de formation mal adaptés au contexte et aux besoins
du pays, etc. Il n’est dès lors pas surprenant que l’ensemble du
réseau (sur la base des 34 IES de l’échantillon) n’ait diplômé
que 2 179 étudiants, soit une moyenne de 64 diplômés par
établissement.
5. RELEVER LES DÉFIS : QUELQUES PISTES
ET MESURES D’ACTION CONCRÈTE
Certaines mesures ont déjà été prises par l’État et ses établissements d’enseignement supérieur relativement aux défis à
relever, liés aux problèmes présentés et analysés précédemment. Il est également juste de saluer les efforts déployés, dès
leur création, par des établissements universitaires privés à but
non lucratif, certains reconnus d’utilité publique, pour établir
des statuts et règlements et appliquer des normes de fonctionnement et des standards de qualité quant à leurs programmes
d’études, leurs activités d’enseignement et d’encadrement des
étudiants, et leurs initiatives pour la mise en place de structures et d’équipements de recherche. Les développements qui
suivent en feront ressortir les limitations, tout en exposant des
pistes d’action complémentaires.
Les débats qui ont fait rage autour du nouveau campus Henry
Christophe à Limonade n’ont pas été vains. Relayés par les
médias, ils ont en effet joué le rôle d’une caisse de résonance
portant à l’attention du grand public la question de l’université haïtienne et forçant du coup le gouvernement du pays à
intervenir. Ainsi, la tentative de mettre sur pied un secrétariat
d’État à l’enseignement supérieur a été un pas dans la bonne
direction. Dans ce nouveau contexte, il est encourageant
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d’observer que l’enjeu de l’enseignement supérieur et de l’université est devenu un sujet d’intérêt et d’actualité pour le grand
public.
Le campus de Limonade a obtenu son budget de fonctionnement et fonctionne confirmant la promesse de J. V. Henry, recteur de l’UEH (Journal Le matin, 10 février 2012) qu’il faisait
tout ce qui est possible pour rendre fonctionnelle cette nouvelle
structure de l’UEH d’ici septembre 2012. Le Conseil exécutif
de l’UEH (CUEH) a été constitué et installé, son secrétaire
général choisi et ratifié. Les douze entités de l’UEH sont en
état de marche. Il s’agit là de pas importants vers la réforme
et l’amélioration de la gouvernance de l’UEH. Mais même une
réforme réussie resterait insuffisante.
Certes, améliorer la gouvernance de l’enseignement supérieur
passe nécessairement par la mise en place d’un cadre normatif
et réglementaire et la création d’un organisme spécifiquement
chargé de l’application rigoureuse du nouveau cadre. Au-delà
de la compétence et de l’impartialité de ses membres, cet organisme devra être transcendant par rapport aux établissements
du réseau et, conséquemment, ne devant en aucun cas être juge
et partie par rapport au mandat et aux missions qu’il est appelé
à assumer. Ce qui, à notre avis, laisserait l’UEH inapte à être
cet organisme. Le nouvel article 211 de la Constitution de 1987
amendée semble ouvrir la voie dans ce sens, puisqu’on n’y
retrouve pas « la subordination à l’approbation technique du
Conseil de l’UEH de l’autorisation de fonctionner des universités et des écoles supérieures privées ».
Dans la foulée de ce qui est déjà fait et dans un délai aussi
rapide que possible, il faudra aller plus loin. Il faudra élaborer
et dans certains cas simplement actualiser des projets de lois
définissant les grandes orientations du secteur de l’éducation,
restructurant le MENFP et créant un ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique ainsi qu’une
agence indépendante chargée d’appliquer le nouveau cadre
normatif et réglementaire. Ces nouvelles entités devront être
dotées de ressources budgétaires pour un financement adéquat
du sous-secteur, en commençant par l’UEH et les autres universités publiques.
Les établissements privés à but non lucratif y seront admis
selon les conditions, normes et critères prévus par la loi-cadre
de l’enseignement supérieur, appliqués par la nouvelle agence
en toute transparence au nom de l’État. Une priorité devra
être accordée à l’augmentation du nombre et à l’élévation du
niveau de qualification des enseignants-chercheurs du réseau,
à la valorisation de leur statut et de celui des étudiants ainsi
qu’à l’amélioration de leurs conditions de travail. Les établissements agréés seront autonomes dans leur fonctionnement.
Ils devront cependant répondre aux exigences de la loi et du
cadre normatif et réglementaire, imputables à la nation sur la
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Cahier thématique – Enseignement supérieur et université
base d’une évaluation rigoureuse et d’une reddition de comptes
périodique et publique. La situation économique du pays étant
ce qu’elle est, il ne pourra se passer pour plusieurs années
encore de l’appui des diverses sources externes, déjà à l’œuvre
dans ce chantier7.
6. CONCLUSION
Malgré la complexité des organisations (établissement universitaire, ministère ou autres), il est plus facile de changer
leurs structures que de modifier leurs pratiques, leur culture
institutionnelle, le contexte socioculturel, politique et administratif général dans lequel elles se situent. L’écrivain Dany
Laferrière, devant les destructions du séisme, ne pensait peutêtre pas aux structures des organisations et à leur gouvernance
quand il soulignait que quand tout tombe, il reste la culture.
Des structures appropriées et des compétences professionnelles avérées de ceux et celles dont la fonction est de gérer les
organisations et les institutions sont sans doute nécessaires
pour une bonne gouvernance.
Cependant, nous soulignons qu’elles risquent de rester insuffisantes en l’absence d’un sens éprouvé de l’éthique, d’intégrité
et de responsabilité dans la gouvernance des institutions de
l’État de manière générale et du SESUH en particulier. À cet
égard, il est difficile de ne pas souscrire à l’idée que l’éthique
est importante et peut même être considérée comme une
compétence professionnelle. Au-delà de la mise en place des
structures pertinentes et appropriées à une mission clairement définie de l’université haïtienne, de la disponibilité de
ressources financières adéquates à l’atteinte des objectifs des
institutions, il restera beaucoup à faire pour l’amélioration
durable du sous-système d’enseignement supérieur universitaire et de ses apports à la reconstruction du pays. C’est là un
autre défi de taille dont le relèvement indispensable ne pourra
se réaliser que dans le long terme.
7. Cela est vrai pour les agences et organismes de coopération internationale et universitaire et pour les communautés haïtiennes vivant
à l’étranger. Des efforts en vue du renforcement de leurs apports
sont déployés depuis le séisme du 12 janvier 2010. Les réalisations
de GRAHN-Monde, créé dans la foulée de cette tragédie, et sa toute
récente initiative (lancement de l’Institut des sciences, des technologies et des études avancées d’Haïti (ISTEAH), janvier 2013)
méritent d’être saluées.
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Jean Joseph Moisset, Ph. D., migrant haïtien, Jean-Joseph Moisset est détenteur d’un doctorat en économie politique de l’Université de
Fribourg en Suisse et réside à Québec. Il a exercé les fonctions de professeur-chercheur et de directeur de département et de programmes en
administration et politique scolaires. Il a été vice-doyen à la recherche de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval, dont il est
aujourd’hui professeur émérite. Il est l’un des membres fondateurs de l’Université Quisqueya à Port-au-Prince, où il apporté sa contribution
comme professeur-chercheur et administrateur. Il a travaillé à titre de consultant dans plusieurs pays et collaboré longuement avec le secteur
de l’éducation en Haïti, aussi bien public que privé. Il est encore actif dans le milieu de la diaspora haïtienne et des minorités culturelles. [email protected]
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