Actualités européennes n° 18

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Actualités européennes n° 18
n°18
11 février
2008
ACTUALITÉS EUROPÉENNES
Les élections présidentielles en
Serbie : quels enjeux ?
Le deuxième tour de l'élection présidentielle serbe du 3 février a vu Mr Boris Tadic
(DS-Parti démocratique) triompher de justesse de son rival Mr Tomislav Nikolic (SRSParti radical serbe). Ces élections, très suivies par les médias occidentaux, ont été
l'occasion d'une mobilisation sans précédent depuis la révolution du 5 octobre 2000,
avec une participation de 67.5% des inscrits. Les enjeux furent, en effet, d'une importance primordiale pour la Serbie. En réalité, même si la question de l'intégration à
l'Union Européenne alliée à la crise kosovare a structuré les débats, il s'est surtout
agit d'un vote de sanction lors du premier tour, puis d'un vote " utile " au second.
Cela confirme et pousse à une redéfinition du paysage politique serbe. Enfin, l'Union
européenne, par ses décisions, a joué un rôle important dans la radicalisation de la
société serbe.
Du vote de sanction au vote " utile "
Souvent présentée comme un choix entre l'avenir européen et le retour au régime des années
1990, le résultat du premier tour des élections peut être analysé, avant tout, comme un vote de
sanction des politiques menées depuis la mise en place de la démocratie en Serbie. Par la montée en puissance du SRS, les électeurs ont signifié les échecs des différentes coalitions démocratiques. Les sept années écoulées ont certes apporté la liberté d'expression et d'opinion, mais il
faut constater des échecs patents. Les réformes structurelles ne sont pas terminées à ce jour, le
pouvoir d'achat n'a pas décollé, le chômage est massif, la corruption des milieux politiques est
toujours forte, les liens du pouvoir politique avec le crime organisé sont toujours profonds, l'intégration européenne n'est toujours pas mise en marche et la question du Kosovo n'est pas
réglée. Dans un domaine plus large, la question de la mémoire des conflits passés est très souvent passée sous silence ou instrumentalisée par les acteurs politiques.
L'ensemble de la campagne électorale s'est structuré autour de ces thèmes mais les candidats
n'ont pas fait, dans leur grande majorité, de propositions concrètes. La précampagne et les
débuts de la campagne furent le moment de la question du Kosovo. Très vite, les positions des
acteurs principaux ont convergé vers le refus total de toute indépendance. Seul le parti libéral
démocratique (LDP) de Mr Cedomir Jovanovic(1) s'est déclaré favorable à l'indépendance de la
province.
Durant l'entre-deux-tours, le débat s'est durci et s'est recentré autour de la question européenne et sur la nécessité d'un vote " utile " pour contrer les radicaux. Fait marquant, Mr
Tomislav Nikolic, le pro-russe, l'anti-européen acharné, n'a plus nié la nécessité pour la Serbie
d'intégrer l'UE. Même s'il est tout à fait légitime et justifié de remettre en cause la sincérité de
ce retournement, nous pouvons aussi l'analyser comme le signe d'une restructuration du paysage politique serbe.
© Commission européenne
LA SERBIE
LA SERBIE
Nature du
régime
République, 29 districts,
1 municipalité
Population
9.858.426 hab.
Superficie
88.361 km²
Densité
84 habitants/km²
Religion
Orthodoxes (majoritaires), catholiques, musulmans, protestants, etc.
Espérance
de vie
> femmes : 76 ans
> hommes : 72 ans
Alphabétisation
96,4 %
Taux de
chômage
20,8%
Source : L’Année stratégique 2008 (Ed. IRIS/Dalloz)
Une redéfinition du paysage politique serbe ?
Les structures des partis politiques serbes sont originales et sont caractérisées par une grande
versatilité. D'ailleurs, ces élections ont mis en lumière les difficultés des médias occidentaux à
définir ces spécificités. Généralement, ils sont restés cloîtrés dans les logiques du temps du
régime de Slobodan Miloševic.A cette époque, la vie politique se structurait autour de l'enjeu de
la démocratisation du régime, de l'enjeu du nationalisme dit " grand serbe " et celui du positionnement face à l'Occident. Nous avions ainsi des " ultras-nationalistes ", des " nationalistes modérés ", des " démocrates ", eux-mêmes plus ou moins nationalistes ou plus ou moins " pro-occi-
AFFICHE DE CAMPAGNE DE MR BORIS TADIC : "
CONQUÉRONS L'EUROPE ENSEMBLE ! "
dentaux ". Le paysage politique était très atomisé, surtout du côté des " démocrates ", ce qui
empêchait, entre autre, ce camp de prétendre au pouvoir.
La révolution du 5 octobre 2000 n'a pas, à ce sujet, constitué une rupture. Les coalitions de
"démocrates " qui se formèrent alors regroupèrent, pêle-mêle, des experts, des nationalistes
"modérés ", des conservateurs, des sociaux-démocrates ou des libéraux unis par le désir de sortir la Serbie de son isolement.
La perspective d'une intégration européenne entrouverte par le Sommet de l'Union Européenne
de Thessalonique (23 juin 2003) a été décisive dans l'évolution des clivages politiques en Serbie,
désormais structurés autour de l'enjeu européen. Cependant, cet état de fait bien réel ne s'est
pas traduit par des recompositions des coalitions gouvernementales, toujours aussi atomisées
et hétérogènes. Cela a crée des blocages dans le fonctionnement du gouvernement tout en le
féodalisant, chacun des partis menant sa politique de parti dans des ministères partagés selon
des marchandages. Dans le même temps, l'aile conservatrice de la coalition gouvernementale,
composée du DSS (Parti démocratique de Serbie) du premier ministre Mr Vojislav Koštunica(2)
et du parti Nova Srbija (Nouvelle Serbie)(3), s'est considérablement rapprochée du SRS et de
sa rhétorique. De l'autre côté, le SRS a adouci son discours et sa rhétorique, même si elle reste
agressive.
La victoire de Mr Tadic représente une grande opportunité de rendre plus cohérente et visible
la vie politique serbe par la création, à droite, d'un bloc conservateur, isolationniste et eurosceptique autour du SRS, du DSS, de Nova Srbija, du parti socialiste serbe (SPS) et, au centre, d'un
bloc libéral résolument pro-européen sous le leadership du DS, avec la participation des libéraux du G17plus, du LDP, des partis de centre-gauche et des minorités hongroises et bosniaques. Conscients de ces nouveaux défis, les partisans de Mr Tadic n'ont pas fêté leur victoire
jusqu'au bout de la nuit. Malgré tout, Mr Tadic est à présent dans une position politique relativement favorable et nous pouvons raisonnablement penser qu'il peut saisir cette opportunité
pour convoquer des élections législatives anticipées.
L'UE, facteur de radicalisation de la société serbe ?
RÉSULTAT DES ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES SERBES
LA SCÈNE POLITIQUE SERBE
Président de la République : Mr Boris Tadic (DS)
Premier Ministre : Mr Vojislav Koštunica (DSS)
La coalition gouvernementale
la frange pro européenne
DS (Demokratska Stranka-Parti démocratique) : 64 parlementaires
G17plus : 19 parlementaires
L'aile conservatrice
DSS (Demokratska Stranka Srbije-parti démocratique serbe) :
33 parlementaires
NS (Nova Srbija-Nouvelle Serbie) 10 parlementaires
Les autres formations politiques importantes
Les conservateurs
SRS (Srpska Radikalna Stranka-parti radical serbe) : 81 parlementaires
SPS ( Socialisticka Partija Srbije-parti socialiste serbe) : 16 parlementaires
Les pros européens
LDP (Liberalno Demokratska Partija-parti libéral démocrate) :
L'UE est un acteur majeur en Serbie. Les déclarations de Mr Javier Solana ou de Mr Olli Rehn(4)
15 parlementaires
sont abondamment commentées par les médias et les politiques serbes. Les décisions prises par
l'UE ont une grande influence sur l'opinion publique et sur les débats politiques. Cependant, l'UE
a des difficultés à trouver un équilibre entre des exigences contradictoires. En effet, elle doit
LIENS UTILES
gérer la question de l'indépendance imminente du Kosovo, l'arrestation de Mr Ratko Mladic, de
LE COURRIER DES BALKANS (TRADUCTION EN FRANÇAIS
D'ARTICLES SERBES) :
Mr Radovan Karadžic, et l'ouverture de la porte de l'UE à la Serbie.
http://balkans.courriers.info
Lors de la campagne présidentielle, l'UE a envoyé des messages traduisant, pour l'opinion serbe,
B92 (SITE D'INFORMATION SERBE, EN ANGLAIS) :
un manque de volonté d'intégrer la Serbie et, de manière générale, un manque d'unité et de
http://www.b92.net/eng/
volonté politique des Etats membres de passer outre le principe de conditionnalité à la pleine
SITE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE, RELATIONS AVEC
coopération avec le TPIY(5).
LA SERBIE :
Concrètement, l'UE n'a toujours pas signé l'ASA (Accord de Stabilisation et d'Association) avec
http://ec.europa.eu/enlargement/serbia/index_en.htm
la Serbie. Le 6 novembre 2007, le paraphe a été mis sans enthousiasme de la part de l'UE. Lors
SITE DU CESID (CENTER FOR FREE ELECTIONS AND
du Conseil des affaires étrangères de Bruxelles du 28 janvier 2008, le véto des Pays-Bas a mis
DEMOCRACY) :
http://www.cesid.org/eng/index.jsp
un coup d'arrêt à ce processus par l'invocation du manque de coopération avec le TPIY. Cette
décision, qui isole les Pays-Bas au sein du Conseil, est compréhensible. Elle est structurée par le
SITE DU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, RELAscandale des casques bleus hollandais dont le rôle compromettant durant les massacres de
TIONS AVEC LA SERBIE :
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zones-geo_833/serSrebrenica (1995) a fortement ému l'opinion publique néerlandaise. Cet épisode est vécu
bie_443/index.html
comme une page d'histoire très douloureuse.
En contrepartie, le Conseil a proposé un accord hybride et intermédiaire comportant un volet
politique, un volet commercial et un ensemble de dispositions sur la politique des visas. Celui-ci
a été soumis aux autorités serbes le 7 février. Cette proposition peut clairement déstabiliser la coalition gouvernementale et créer une crise politique majeure dans les jours qui viennent. D'ailleurs, il est peu probable que l'accord soit signé à cette date du fait même des obstructions possibles
du DSS et de Nouvelle Serbie.
Ces faits ont radicalisé une partie de l'opinion serbe qui se sent ainsi humiliée, infantilisée et soumise au chantage de l'UE. Elle sent que l'indépendance du Kosovo est imminente sans entrevoir des signes forts venant de l'UE, qui, pour sa part, perd beaucoup de crédibilité auprès de la population. A ce titre, les élections, même si le résultat fut serré, ont été un moment durant lequel les citoyens serbes ont envoyé un signal à l'UE ainsi
qu'aux Etats membres.
Du côté de l'équipe des négociateurs serbes dominée par les membres du DS, la menace de l'arrivée de Mr Nikolic au poste de président a été instrumentalisée et dramatisée afin de pousser à la signature de l'ASA, ce qui a échoué. L'enjeu de la coopération avec le TPIY reste néanmoins très
complexe pour le nouveau président car les inculpés en question bénéficient de la protection de la police, de l'armée, de certains dirigeants conservateurs de la coalition, mais aussi du manque de courage politique des pro-européens.
Des défis politiques et économiques à la mesure de Mr Tadic ?
Au final, les élections constituent une chance et une opportunité pour Mr Tadic et ses alliés " naturels ". Ils doivent saisir la période d'instabilité politique qui se présente pour convoquer des élections législatives. En effet, ils ont l'occasion de profiter de la clarification du paysage politique confirmé
par les résultats de l'élection présidentielle. Dans le même ordre d'idées, la position de Mr Koštunica s'est considérablement affaiblie et il semble
que sa carrière politique prend fin.Ainsi, la mandature qui s'ouvre est le moment de vérité et, peut-être, la dernière chance pour les pro-européens
de faire avancer le pays.
Dans le domaine économique, l'instabilité politique a freiné les investissements, en particulier ceux venant des pays de l'UE. Les Russes, par le biais
du géant Gazprom, ont profité de cette situation pour acheter l'entreprise pétrolière NIS à bas prix (environ 480 millions d'euros). De même, la
corruption des milieux politiques dans les privatisations ont donné une très mauvaise image aux investisseurs. Par conséquent, Mr Tadic devra donner des signes politiques forts afin d'instaurer la confiance chez les investisseurs occidentaux. La Serbie a de nombreux atouts à faire valoir, à savoir
une main d'œuvre éduquée, compétente et, surtout, relativement bon marché.
Des doutes sont néanmoins permis car Mr Tadic, durant sa première mandature, n'a pas su, ou voulu, saisir avec courage politique les problèmes de
la Serbie contemporaine. Il s'est allié avec le DSS et Nouvelle Serbie au lieu de former une opposition forte avec le G17plus et le LDP, ce qui a bloqué le fonctionnement de l'Etat et réduit la crédibilité du DS. Il n'a pas mené une politique cohérente dans les négociations avec les Albanais du
Kosovo, faisant des propositions fantaisistes(6). Enfin, il n'a pas su juguler le problème du crime organisé et de la mafia du football.
En ce qui concerne l'enjeu européen, Mr Tadic a été très décevant durant la campagne électorale. Il n'a pas expliqué aux citoyens la vision
d'Europe qu'il avait. En fait, il a semblé ne pas avoir d'offre précise à ce sujet. Il s'est contenté d'une sorte de langue de bois politiquement
correcte, fondamentalement imprécise et a surtout joué sur la peur d'une arrivée au pouvoir des radicaux. A ce titre, il s'éloigne fortement
de Zoran Ðindic qui avait, à travers de nombreux ouvrages et apparitions médiatiques, longuement fixé les enjeux et les avantages d'une intégration à l'UE.
Nous pouvons ainsi douter de sa capacité à conduire une politique efficace au niveau national et créer les conditions nécessaires à la signature de l'ASA.
Un élément de réponse toutefois : les derniers jours ont vu la mise en place d'une campagne d'arrestation de hauts dirigeants de l'Etoile
Rouge de Belgrade et de mafieux liés au football(7). Cela entrouvre la possibilité d'une mandature plus efficace…
Par Stefan VOJVODIC,
Etudiant en Questions stratégiques européennes, Promotion 2007-08, IPRIS
(1) Le parti LDP est une formation politique née en 2004. Il se positionne radicalement dans l'ensemble des débats politiques qui agitent la Serbie. Il est résolument pro-européen et se déclare
favorable à une indépendance immédiate du Kosovo. Il se déclare comme le seul parti héritier de l'œuvre de Zoran Ðindic, Premier Ministre (DS) pro-européen assassiné en 2003.
(2) Le DSS est né en 1992. Ce parti se déclarant chrétien-démocrate regroupe des magistrats, des avocats, des universitaires et des hommes d'affaires influents. Sa politique envers le Kosovo
est rigide et il a constamment fait obstruction dans les processus de réforme socio-économique. Sa rhétorique tend, sous couvert de légalisme, de plus en plus vers le nationalisme et l'euroscepticisme.
(3) Le parti Nouvelle Serbie a été fondé en 1997 par Mr Velimir Ilic. Il représente la branche conservatrice du DSS. Titulaire du ministère pour l'infrastructure, Mr Ilic est fortement soupçonné de corruption dans la concession de l'autoroute Horgoš (à la frontière hongroise)-Požega (en Serbie centrale).
(4) Mr Javier Solana est le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune de l'UE. Mr Olli Rehn est le commissaire européen chargé de la question de l'élargissement.
(5) Le Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) a été mis en place le 25 Mai 1993 par une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU. Il a été chargé de juger les responsables de violations graves du droit international dans les territoires de l'ex-Yougoslavie. Le tribunal siège à la Haye (Pays-Bas) et doit fermer en 2010.
(6) Il s'agissait de donner le même statut au Kosovo que Hong-Kong avant son retour à la souveraineté chinoise.
(7) L'action policière a été fortement incitée par la résonance et le sérieux d'une enquête télévisée portant sur la mafia du football (programme Insajder, tv b92). Par exemple, l'émission a
mis en valeur les liens qui pourraient exister entre Mr Koštunica et Mme Svetlana Ražnatovic, veuve du célèbre Arkan. Celle-ci, en plus d'être liée au milieu belgradois, est très fortement
soupçonnée de blanchiment d'argent. La mafia du football peut être considérée comme une des organisations criminelle les plus puissantes car elle regroupe d'anciens " profiteurs de guerre"
très liés à l'ancien régime de Slobodan Miloševic.
Avec le soutien
du Secrétariat aux
Affaires européennes