Romance extrait

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Romance extrait
Il peut sembler étrange de vouloir écrire un livre sur Viviane Romance
aujourd’hui. Qui connaît Viviane Romance ? Qui se souvient de son
visage, de ses films ? Interrogez autour de vous….
Une époque si lointaine, un cinéma à la française. Effacée et oubliée par
le cinéma de la Nouvelle Vague. Un vague souvenir, le nom dit quelque
chose, quelques regards s’allument encore : ah ! les bas de Viviane
Romance ! Une chanson « Sur la route qui va, qui va et qui n’en finit
pas ».
C’est tout ?
Peut-être un titre de film en mémoire ? Mélodie en sous-sol, les dialogues
d’Audiard, le génial Gabin, le sublime Delon et oui bien sûr, Viviane
Romance ! C’était en 1963, son avant-dernière apparition au cinéma.
Le hasard de sa naissance à Roubaix, ma ville d’élection, a d’abord
intrigué ma curiosité. Puis quelques recherches, des lectures, des films, la
découverte d’une actrice au destin peu commun, m’ont amenée à
remonter le cours de sa vie, et à traverser avec elle l’histoire du cinéma
français : une carrière de plus de soixante-dix films, des années trente aux
années soixante dix, toute une vie de cinéma, une femme dans le cinéma
français.
Molly allume une cigarette….La ruelle sombre de Dublin dans laquelle
elle se trouve est déserte.
La main droite sur la hanche, elle attend.
Ferriter s’approche d’elle.
-
« Bonsoir chéri, alors on a envie de s’amuser hein ? » lui
souffle-t-elle avec la fumée de sa cigarette.
Silence de l’homme.
-
« ..Ben qu’est-ce que t’as à me reluquer comme çà ? …Eh… t’as
perdu ta langue ? Pourquoi tu m’réponds pas ? »
Elle esquisse un mouvement pour se dégager.
-
Lui : « Attendez, j’voudrais vous parler. Qu’est-ce que vous
disiez ?
-
« Oh mais t’es sourd ou t’as bu, hein ? »
-
« Si je vous regarde avec insistance c’est parce que vous me
rappelez quelqu’un… »
Viviane Romance et Jean Louis Barrault jouent ici les personnages de
Molly et Ferriter. Ils ont alors respectivement 24 ans et 26 ans. Ils sont
réunis à l’écran dans Le Puritain, un film de Jeff Musso sorti en 1938. À
l’image de l’ambiance de cette rue irlandaise, du visage aux traits en
souffrance de Jean Louis Barrault, le film de Musso est assez déprimant :
névrose, culpabilisation du désir, beauté prostituée, crime.
Pourtant, j’observe cette scène, j’écoute la musique des dialogues, et je ne
peux retenir un sourire, puis un franc éclat de rire à la séquence suivante
quand les deux personnages se retrouvent dans un bar mal famé de la
ville. S’il y a un plaisir de rire en regardant un film à l’atmosphère si
pesante, c’est à Viviane Romance, à sa personnalité éclatante, aux traits
mobiles et expressifs de son visage qu’on le doit. Les paroles fusent,
claquent au son de la voix particulière de l’actrice, surprenante en blonde,
alternant douceur, séduction, gouaille et franc-parler. La démarche
décidée, l’œil rieur qui n’en pense pas moins, une allure masculine
féminine façon Cécile De France, elle incarne une fois de plus une femme
de petite vertu. Mais, à bien y regarder, plus drôle et plus énergique que
lascive, elle dégage quelque chose de spécial, tout en distance, au-delà de
ce personnage pourtant si stéréotypé : son treizième rôle de séductrice,
une prostituée dévoyant un « puritain » névrosé. Elle est alors au sommet
de sa gloire.
Le festival de Cannes n’existe pas encore mais ce film obtient la
principale récompense du cinéma français, le prix Louis Delluc.
Au même moment, Arletty et Louis Jouvet s’invectivent sur la passerelle
devant L’Hôtel du Nord de Marcel Carné.
A Moscou, Nikolaï
Tcherkassov, sous la caméra de Sergueï Eisenstein, devient le prince
Alexandre Nevski au XIIIème siècle de l’histoire russe, et repousse
l’invasion teutonique au son d’une cantate de Prokofiev.
Un film pour quelques mois sur les écrans, signature du pacte germano
soviétique oblige.
Aux Etats-Unis ces mêmes soviétiques sont tournés en dérision sous le
rire de Garbo, dans Ninotchka de Ernst Lubitsch. Les américains, entre
rire et suspens, se délectent aussi, cette année là, du jeu de Cary Grant et
de Katherine Hepburn dans l’Impossible Monsieur Bébé de Howard
Hawks. Hitchcock réalise Une femme disparaît, et Frank Capra rafle des
Oscars pour son magnifique, drôle et corrosif : Vous ne l’emporterez pas
avec vous.
Mais sur les ondes de CBS, une invasion martienne est annoncée
brutalement en direct par Orson Welles qui sème la panique dans les rues,
en lisant La guerre des mondes de H.G. Wells. Le pouvoir du micro est
en marche.
En France, à l’abri de la peur des extra-terrestres, on acclame le retour de
Daladier qui, croyant éviter la guerre, a signé avec Chamberlain, Hitler et
Mussolini les accords de Munich.
Invasions, fictions, peurs, rires et faux espoirs se jouent entre cinéma et
histoire. En cette année 1938, la cinématographie française désigne
Viviane Romance comme la première vedette devant Danièle Darrieux.
« Je suis en tête de tous les noms mondiaux de l’écran. Je n’en crois pas
mes yeux. Est-ce moi ? Est-il possible que la petite Pauline soit là ? », se
souvient-elle dans ses mémoires. (1)
La petite Pauline née à Roubaix le 4 juillet 1912.

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