Ouverture des Rencontres - Discours de Christophe Barratier
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Ouverture des Rencontres - Discours de Christophe Barratier
OUVERTURE DES DEBATS VENDREDI 10 OCTOBRE – PALAIS DES CONGRES Je voudrais saluer pour son hospitalité, la Ville de Dijon et - son Maire Monsieur François Rebsamen, - le Département de Côte d’Or, son Président Monsieur François Sauvadet, - la Région Bourgogne, Monsieur François Patriat, - bien évidemment nos partenaires locaux et nationaux, sans lesquels ces rencontres ne pourraient avoir lieu. Quand je suis venu la première fois il y a plus de dix ans aux Rencontres de L’ARP, je me suis tout de suite rendu compte qu’on y trouvait un esprit particulier. Il faut dire que les soirées à thématique viticole aidant, je n’ai pas qu’appris la beauté du Pinot noir et du Chardonnay, mais beaucoup de choses sur notre métier. J’ai vu des langues se délier, des projets se monter, des colères se nouer. Tout cela m’a aidé significativement à monter des marches, à progresser dans la compréhension de ce métier. J’y ai vu des personnalités apparaître, mais aussi, malheureusement, des gens biens disparaître du paysage, pas forcément parce qu’ils étaient rappelés dans l’autre monde, mais parce que notre métier est hélas ainsi fait : les meilleurs amis du monde s’y remplacent avec une facilité que je continue à trouver déconcertante. Pour contribuer encore à l’amélioration, à l’esprit d’échange, vous remarquerez que la tribune a disparu et je pense que la disparition de cette barrière rendra, avec l’ouverture au public, les débats plus vifs et plus animés, entre les panélistes et vous-mêmes. Sur les thèmes retenus, comme toujours l’actualité ne s’est pas faite prier pour s’inviter. Attention : temps orageux. Au niveau européen tout d’abord où notre perpétuelle préoccupation sur l’exception et la diversité culturelle revient nous harceler. Vous n’ignorez pas que les aides d’état sont régulièrement remises en question et que même s’il semble que nous soyons tranquilles jusqu’en 2012, nous ne sommes jamais à l’abri, en cas de changement de Commission, de nouveaux coups fourrés sur le thème. Puisque je parle de l’Europe, commençons par le sujet qui semble avoir beaucoup froissé la Commissaire Viviane Redding : la piraterie. Les récents débats au Parlement Européen sur la lutte contre le piratage, et notamment le vote à une très large majorité de l’amendement de Bono, sont particulièrement inquiétants et viennent de facto perturber l’initiative française en terme de réponse graduée qui sera bientôt examinée au Parlement. Nous attendions donc que Viviane Reding puisse réellement nous rassurer mais ce sera loin d’être le cas puisqu’il apparaît, d’après un communiqué de presse tombé hier et adressé au président de L’ARP, que la tenue de ce débat soit le motif même de sa non-venue. Si le communiqué reste poli, je peux vous le traduire en français plus décontracté. C’est un coup dur porté à nos intérêts, qui laisse augurer d’incroyables circonstances atténuantes au bénéfice de la piraterie et il nous faudra, plus que jamais, montrer notre détermination, c'est-àdire encore une fois, passez moi l’expression : « jouer les emmerdeurs ». Mais c’est un jeu dont les professionnels du cinéma commencent à bien connaître les règles… Il est insupportable que la défense des intérêts de la création s’apparente au plan européen à une atteinte, je cite, « aux droits fondamentaux des internautes ». Quel est le droit de ce cadre BCBG que j’ai apostrophé dans le TGV car, à la vue de tous, il regardait un film sorti à peine depuis un mois sur les écrans ? On va me répondre : la pédagogie. D’accord, parfait pour la pédagogie mais qu’est ce qu’une éducation sans sanction ? Puis, nous examinerons ensemble l’état de santé du cinéma français, notamment en débattant du bilan d’étape du Club des 13, source de discussions qui se révéleront, je le présume, passionnées sur, entre autres, notre système de soutien, le rôle du producteur délégué ou la dotation de l’avance sur recettes. Je souhaite que de cette réflexion naissent des solutions équilibrées, surtout concrètes. Pour me faire l’avocat du diable, j’aimerais que nous évoquions notre « situation de crise » dans des mesures que nous impose une certaine décence. En effet, il suffit de voyager un peu, même dans certains pays européens très proches, de discuter avec leurs cinéastes, pour se rendre compte à quel point ils aimeraient bien vivre la même crise que nous. Bien sûr, nous avons de légitimes problèmes à résoudre mais au regard de bien d’autres, ils pourraient s’apparenter à des problèmes de riches. Né dans une famille ou 90% des membres travaillaient dans le cinéma, je suis habitué à entendre parler de crises autant que de films. Ainsi, ai-je toujours entendu pêle-mêle « c’est la faute des exploitants », « c’est la faute de la télé » puis encore « c’est la faute de la vidéo » puis « c’est la faute des multiplexes », des « cartes illimités » ou encore « c’est la faute des groupes », « c’est la faute des popcorns » etc ... Et je m’attends à entendre un jour « c’est la faute des spectateurs » … d’ailleurs, je pense en fait l’avoir déjà entendu. D’autre part, les rapports de force entre producteurs, groupes ou studios et artistes, voire les conflits générés par cette coexistence vitale, ont toujours fait partie de la création cinématographique depuis les débuts de l’exploitation. Je dirais même qu’ils se sont souvent révélés une source d’énergie pour le développement du cinéma. Je voudrais rappeler à votre souvenir le passionnant « Hollywood stories » de Frank Capra où, évoquant ses rapports pour le moins orageux avec l’irascible Harry Cohn de la columbia, il admettait que ses remises en cause et pressions permanentes l’avaient, en fin de compte, souvent aidé à se surpasser. Pour la petite histoire, on dit qu’il y avait foule à l’enterrement d’Harry Cohn, non pour lui rendre hommage, mais pour être sûr qu’il était bien mort. Le pouvoir de conviction d’un artiste se renforce quand justement il lui reste toujours à convaincre. Et si pas mal d’entre eux ont souffert dans une soumission excessive, beaucoup d’autres se sont perdus dans l’absence de contradicteurs. On ne peut pas évoquer en ce moment l’état de santé du cinéma français sans s’inquiéter évidemment de celui du service public et de son financement. Dans le cadre de la réforme de l’audiovisuel, nous évoquerons les obligations d’investissement des chaines de télévision et dans quelle mesure leurs filiales cinéma garderont leur budget et leur autonomie. Dans ces temps où l’audience des films cinématographiques sur les chaines hertziennes semble devenir problématique, ces filiales vont-elles revoir leur politique d’investissement et leurs lignes éditoriales ? Ce sujet est source de préoccupations pour beaucoup d’entre vous et nous aurons la chance d’en parler, entre autres, avec Patrice Duhamel dans un débat très attendu. Ce débat sur l’audiovisuel, en présence de Madame la Ministre Christine Albanel, ne peut pas mieux tomber à quelques semaines de l’examen par le Parlement d’un projet de loi qui risque de bouleverser notre paysage. Celui qui est train de se dessiner révèle d’ailleurs une mutation profonde, spécifiquement française avec le rôle de plus en plus grand des entreprises de télécommunication dans le financement du cinéma, ce qui est tout à fait inédit en Europe. Enfin le débat sur le rôle des collectivités territoriales en matière de cinéma et d’audiovisuel alimenté par une étude réalisée par L’ARP permettra d’évoquer le rôle essentiel des villes, des départements et des régions en matière de diffusion du cinéma, d’éducation à l’image et d’aide à la production. Il est incontestable que ces collectivités affichent de plus en plus d’ambition. Mais la grande faille se situe au niveau des studios de cinéma, des plateaux de tournage, les grands oubliés des trente dernières années, trop peu nombreux, à l’utilisation souvent problématique et décourageante. Les studios sont un excellent point d’ancrage de la profession et leur réhabilitation, dans le cadre d’une politique volontaire, offrirait une alternative aux délocalisations. Dans un contexte économique pour le moins tendu, je sens monter des préoccupations qui risquent de se transformer, dans les temps prochains, en véritable angoisse. J’ai confiance dans le cinéma, comme j’ai une confiance sans limite dans la vie, mais nous savons tous que les mutations ne se sont jamais aussi bien réalisées que quand les professionnels savaient se mobiliser. Alors débattons, agitons-nous, rebellons-nous tout en restant humbles et pudiques au regard de notre public, de nos amis cinéastes des pays européens, même américains, au regard surtout de tous ceux qui n’ont même pas la possibilité de s’en préoccuper, n’ayant plus de travail pour cela. A ce titre, je vous soumets l’expression de Jules Renard parlant du caractère de la musique de Mozart, « il exprime sa détresse tout en gardant le sourire ». Je vous souhaite de faire de bonnes rencontres mais, à ma connaissance, ici, on en fait rarement de mauvaises. Christophe Barrattier Président des Rencontres Cinématographiques de Dijon