LE NOUVEAU CONSEIL DES DROITS DE L`HOMME AUX
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LE NOUVEAU CONSEIL DES DROITS DE L’HOMME AUX NATIONS UNIES : DÉCADENCE OU RÉSURRECTION? par Maxime TARDU Directeur honoraire de la recherche – Haut-Commissariat pour les droits de l’homme à l’O.N.U. Introduction Le 18 juin 2007 à 23h58, après un an d’âpres débats, le nouveau Conseil des droits de l’homme de l’O.N.U. a adopté par consensus un ensemble de procédures modifiées par rapport aux mécanismes de l’ancienne Commission (1). Ces travaux faisaient suite à une décision de l’Assemblée générale du 15 mars 2006 (2) par laquelle la Commission avait été remplacée par un Conseil de rang plus élevé et disposant de certaines compétences nouvelles. Selon cette résolution, le Conseil devait «assurer l’universalité, l’objectivité et la non-sélectivité» et «mettre fin à la pratique du ‘deux poids deux mesures’ et à toute politisation» par le «dialogue» et la «coopération». On prétendait ainsi remédier aux marchandages et aux inégalités de traitement reprochés à l’ancien organe, par exemple quant à la Chine (pour le Tibet), aux EtatsUnis (pour Guantanamo), à la Russie (pour la Tchétchénie) et au Soudan lors des dernières sessions. Moins «politisé», donc plus crédible, le Conseil pourrait offrir une protection plus efficace. (1) Documents des Nations Unies, A/HRC/5/L.2 et L.3/Rev.1 du 18 juin 2007. (2) Résolution 60/251 de l’Assemblée générale des Nations Unies. Pour l’analyse de cette résolution, des aspects structurels et des compétences du Conseil dans leurs grandes lignes, voy. cette Revue n° 67/2006, pp. 779-781. La littérature juridique sur cette résolution, assez mince, inclut en particulier : P. Alston, «Reconceiving the UN Human Rights Regime», Melbourne Journal of International Law, n° 185, 2006, pp. 185-224; M. Novak, «From the Human Rights Commission to the New Council», The Human Rights Council, Challenges and Opportunities, Alquist, 2006, pp. 19-29; C. Villan Duran, «The New Human Rights Council», op. cit., pp. 30-38. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 968 Rev. trim. dr. h. (72/2007) Afin d’évaluer ce nouveau système à sa juste mesure, rappelons la faible portée, au point d’origine, de la Charte des Nations Unies pour la protection des droits de l’homme. Le but proclamé est de «développer» et d’«encourager» le respect des droits de l’homme (art. 113), non de les «protéger». L’engagement étatique de «coopération» inscrit aux articles 55 et 56, peut être – et a été – interprété comme n’impliquant qu’un devoir de soutien verbal et de non-obstruction. Les pouvoirs de l’Organisation en matière de droits de l’homme limités aux «rapports», aux «études» et aux «recommandations» excluaient en principe toute contrainte. L’article 2(7) a été longtemps perçu comme interdisant toute décision de l’O.N.U., même sous forme de recommandation, évaluant l’action d’un Etat identifié dans le domaine des droits de l’homme. C’est grâce au cheminement prétorien inlassable d’une poignée de diplomates, d’experts, d’O.N.G. et de membres du Secrétariat général que, sur cette base juridique fragile, un système protecteur a pu néanmoins être construit (3). Tâche d’autant plus ardue que l’organisation mondiale – contrairement à ses sœurs régionales politiquement plus homogènes – a subi l’impact de la guerre froide et des tensions Nord-Sud de plein fouet. Le système de l’ancienne Commission s’analysait en quatre grandes composantes. Premier volet : un ensemble de traités multilatéraux, largement ratifiés, codifiaient un éventail étendu de droits, garantis par des mécanismes conventionnels de contrôle : rapports étatiques et – pour cinq traités – plaintes de particuliers soumises à des procédures quasi juridictionnelles mais débouchant sur de simples recommandations. L’aspect sanctionnant du système de traité a été récemment renforcé sous l’égide du Conseil de sécurité par un progrès majeur : l’institution de cours pénales internationales ad hoc sur l’ex-Yougoslavie (4) et le Rwanda (5), puis d’une Cour pénale internationale permanente, compétente pour juger des personnes, même des chefs d’Etat, pour crimes de guerre, génocide et autres crimes contre l’humanité. (3) Sur la genèse de ce système, voy. par exemple M. Tardu, Human Rights : the International Petition System, Oceana, Dobbs Ferry, N.Y., 1979, tome I. (4) Résolution S/RES/827 (1993) du Conseil de sécurité du 25 mai 1993. (5) Résolution S/RES/955 (1994) du Conseil de sécurité du 8 novembre 1994. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Maxime Tardu 969 Parallèlement, se sont développés des programmes préventifs d’assistance technique offerts aux Etats – formation, stages extérieurs, intégration des droits de l’homme dans l’enseignement – décentralisés dans une vingtaine de bureaux régionaux de l’O.N.U. pour les droits de l’homme. La Commission – à présent le système : rassemblement continu problèmes émergents, législation tier pour répondre aux nouveaux mes en leur ensemble. Conseil – constituait le pivot du d’informations, identification des internationale, toujours en chandéfis, et surveillance des mécanis- En outre, depuis 1967 (6), le pouvoir avait été reconnu à la Commission, aidée par sa sous-commission d’experts indépendants, de débattre chaque année en public d’allégations spécifiques de violations des droits de l’homme «où qu’elles se produisent». Les O.N.G. dotées du statut consultatif de l’O.N.U. avaient droit de parole, la pratique admettant qu’elles critiquent des Etats identifiés. Ces débats ont souvent débouché sur la création d’organes d’enquête – comités ou «rapporteurs spéciaux» – soit thématiques, soit par pays, agissant en tant qu’experts indépendants. Leurs rapports, discutés en séances publiques, faisaient l’objet de recommandations et d’un suivi. Ces compétences non conventionnelles sur les violations, ayant pour seule base les articles 55, 56 et 62 de la Charte, visaient à sanctionner à titre subsidiaire des Etats, réputés délinquants endurcis, qui n’avaient pas ratifié les procédures de plainte prévues par traités, par exemple l’Afrique du Sud sous l’apartheid. Cependant, la procédure du débat public et des enquêtes ad hoc était applicable – et a été appliquée – à maints autres pays. Ce mécanisme a été la principale cible des accusations de «sélectivité» et de «politisation». Enfin, le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les droits de l’homme, institué en 1993 (7), avait été conçu initialement comme une sorte d’«ombudsman» ou de «procureur général» international, indépendant des Etats et du système. Il est autorisé à prendre l’initiative d’un «dialogue» avec les Etats et à faire des «recommandations» aux organes des Nations Unies en vue de «contribuer activement à écarter les obstacles» ainsi qu’à «empêcher (6) Résolution 2144 (XXI) de l’Assemblée générale des Nations Unies du 26 octobre 1966 et Résolution 1235 (XLII) du Conseil économique et social du 6 juin 1967. (7) Résolution A/RES/48/141 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 20 décembre 1993. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 970 Rev. trim. dr. h. (72/2007) que les violations des droits de l’homme persistent». Cependant, il est intégré dans le Secrétariat de l’O.N.U. Ce tableau institutionnel brossé à grandes touches montre la complexité du système actuel de l’O.N.U. pour les droits de l’homme, dont la Commission ne constituait qu’un élément. Les critiques se sont concentrées sur ce seul organe, sans doute parce que le débat public sur les violations y attirait un maximum d’attention. Extrapoler la condamnation aux autres aspects, comme certains le font, peut fausser l’évaluation des effets globaux du système sur les droits de l’homme. Compte tenu de ces remarques initiales, l’objet de cet article est de porter un premier jugement sur la pratique initiale du Conseil et sur ses nouvelles procédures adoptées en juin 2007. J’analyserai tour à tour : (I) les aspects structurels et de procédure, (II) ses fonctions d’information et de surveillance, et (III) ses compétences d’enquête et de dissuasion. En conclusion, je tenterai d’esquisser un diagnostic de la crise de la Commission et les grandes lignes d’une réforme efficace. I. – Aspects structurels et règles générales de procédure Le nombre des Etats membres du Conseil est de quarante-sept, à peine inférieur aux cinquante-trois membres de la Commission. C’est dire – et l’expérience de 2006 le confirme – que le temps de parole global n’est pas réduit. La pratique croissante de délibérer au préalable en groupes régionaux ou interrégionaux à huis clos, ou dans des caucus thématiques parfois ouverts, ne semble pas avoir beaucoup facilité la prise de décision. Le recours à ces pratiques est encouragé par les articles 3 et 5 des règles sur les méthodes de travail adoptées le 18 juin 2007. Plusieurs Etats occidentaux avaient désiré que soient imposés aux Etats candidats certains critères de respect des droits de l’homme, par exemple la ratification de traités. Les Etats-Unis avaient souhaité que soient inéligibles les pays faisant l’objet d’enquêtes de l’O.N.U. selon les articles 41 ou 42 de la Charte sur le maintien de la paix en relation avec les droits de l’homme (8). Aucun de ces vœux n’a été retenu. Divers pays et le Secrétaire (8) Déclaration écrite des Etats-Unis du 22 novembre 2005 présentée à M. Eliasson, président de l’Assemblée générale (sans cote). this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Maxime Tardu 971 général avaient proposé une majorité électorale des deux tiers de l’Assemblée générale, susceptible d’éliminer, disait-on, les candidats les plus suspects (9). Ils ont échoué, la majorité simple ayant été retenue. Avant l’élection en mai 2006, les O.N.G. avaient exercé un «lobbying» sur les candidats pour obtenir de leur part, et rendre publics, des engagements précis sur les droits de l’homme. Seul un petit nombre de réponses spécifiques a été recueilli. Par contre, certaines caractéristiques constituent un progrès. Le Conseil a un rang plus élevé que la Commission, ne dépendant que de l’Assemblée générale. Il tient au moins trois sessions par an à Genève pour un total de dix semaines au minimum, durée supérieure à celle des sessions de la Commission. Surtout, des sessions extraordinaires peuvent être convoquées sur demande d’un seul Etat appuyée par un tiers des autres membres. Le Conseil peut donc plus rapidement traiter des situations d’urgence, alors que la Commission avait été retardée par l’exigence d’une majorité pour de telles sessions, notamment sur la Bosnie. En fait, plusieurs sessions spéciales ont été tenues sur la Palestine dans son ensemble, Gaza, le Liban et le Darfour. Plusieurs Etats, surtout occidentaux, de même que le Secrétaire général, avaient souhaité en outre confier le pouvoir de convocation au président ou au bureau du Conseil, au Secrétaire général ou au Haut-Commissaire. On peut invoquer en ce sens des précédents à l’O.I.T., à l’O.E.A. et en d’autres organismes internationaux pour les droits de l’homme. Ces suggestions n’ont pas été reprises. La participation aux travaux du Conseil des O.N.G. dotées du statut consultatif (10) n’allait pas de soi; elles étaient destinées par l’article 71 de la Charte à déployer leur action seulement au Conseil économique et social (ECOSOC) et dans ses organes subsidiaires, dont la Commission, alors que le nouveau Conseil des droits de l’homme ne dépend plus de l’ECOSOC. La résolution 60/251 de l’Assemblée prévoyait, certes, leur participation au sein du Conseil des droits de l’homme «selon les modalités, notamment la résolution 1996/31 [de l’ECOSOC], et les pratiques observées par la Commission», mais en réservant la possibilité d’adaptations afin d’assurer «la meilleure contribution possible» (§11). (9) Voy. notamment : Rapport du Secrétaire général A/59/2005/Add.1, §12 et les suggestions écrites (sans cote) de plusieurs O.N.G. du 1er novembre 2005, p. 7. (10) Le statut consultatif des O.N.G. à l’O.N.U. a été codifié par la résolution 1996/31 de l’ECOSOC du 25 juillet 1996. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 972 Rev. trim. dr. h. (72/2007) L’article 7 des règles de procédure de juin 2007 reprend ces termes à l’identique. Il faut souligner que lors des sessions du Conseil en 2006-2007, les droits et les possibilités d’action des O.N.G., par la parole et par l’écrit, ont été pleinement respectés, même en séances informelles. Aspect positif majeur, selon la «pratique de la Commission», les O.N.G. ont été libres de critiquer verbalement des Etats identifiés, alors même que leur statut formel de 1996 était hostile à cette pratique. Cependant, comme on le verra, certaines adaptations apportées par le Conseil à ce «droit coutumier» des O.N.G. auront sans doute pour effet de restreindre la portée de leur action sur quelques aspects du programme. Avec l’addition des clauses sur les O.N.G., les règles de procédure du Conseil sont en principe celles des comités de session de l’Assemblée générale. L’élection annuelle du président et des quatre vice-présidents, dont l’un fait office de rapporteur, s’effectue sur une base de rotation géographique. Le principe de la publicité des débats, traditionnel à l’O.N.U., est confirmé par l’article 16, le huis clos n’étant admis qu’en des «circonstances exceptionnelles». Toute décision prise en séance privée doit être annoncée promptement en séance publique. Soulignons l’originalité de cette règle de l’O.N.U., nombre d’autres organisations internationales accordant au contraire la priorité au huis clos. La publicité des débats peut favoriser la prise de consensus, les Etats étant généralement peu soucieux d’apparaître comme des trouble-fête. L’effet contraire peut se manifester, toutefois, s’agissant de gouvernements désireux avant tout de bloquer les débats ou de tester leur degré d’influence. Ce fut le cas à divers titres, ces dernières années, par exemple de la Chine, de Cuba, des Etats-Unis et de la Russie. Pour éviter de tels blocages, les règles de procédure de juin 2007 sont très souples, prévoyant réunions d’information du président, consultations informelles des auteurs de projets, panels, séminaires et tables rondes. Le degré d’ouverture de ces réunions aux O.N.G., aux médias et au public, non précisé, dépendra de décisions cas par cas. Plusieurs séances du Conseil en avril et juin 2007, consacrées à l’examen du projet de nouveaux mécanismes, ont eu le statut de «réunions informelles», distinctes du huis clos, avec la participation des O.N.G., mais sans comptes rendus officiels. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Maxime Tardu 973 Une souplesse analogue marque les clauses relatives à la conclusion des débats : on recommande de restreindre le nombre de résolutions formelles en faveur de formules plus légères telles qu’un résumé des débats ou une déclaration finale du président. Le quorum est constitué par un tiers des membres. Toutefois, la présence d’une majorité de membres est requise pour l’adoption de décisions, qui s’effectue sans exception par simple majorité. De même que la Commission était conseillée par un organe subsidiaire permanent, sa Sous-Commission composée d’experts indépendants, le Conseil a institué un «Comité consultatif» de composition semblable, comprenant 18 membres individuels élus par le Conseil sur présentation par des Etats. Plus encore que la SousCommission, ce Comité a un caractère subalterne, ses avis n’étant recevables que sur la demande du Conseil. Son droit d’initiative se limite à présenter des «suggestions» dans le cadre du programme de travail fixé par le Conseil. Il est regrettable que ce dernier réduise ainsi le poids des experts indépendants. La Sous-Commission avait exercé ses fonctions dans un sens progressiste. Il faut espérer que le Comité consultatif saura tirer le meilleur parti de son statut restreint par le biais de ses suggestions et par son rôle dans la procédure confidentielle de plainte exposée au point III. Le sort des groupes de travail de la Sous-Commission sur les autochtones, les formes contemporaines d’esclavage et les minorités est laissé en suspens par le Conseil jusqu’en septembre. Leurs travaux, très utiles, devraient être reconduits. Au total, les structures et les règles générales de procédure du Conseil révèlent quelques régressions par rapport à la Commission et aux propositions initiales de 2005, surtout quant aux critères d’éligibilité des membres et au statut du Comité consultatif. En revanche, des progrès doivent être notés concernant la durée des sessions, la réactivité en cas d’urgence et la souplesse des procédures. II. – Information et surveillance Le nouveau mécanisme d’information et de surveillance prôné comme panacée contre la «sélectivité» est un «examen périodique universel du respect par chaque Etat de ses obligations et engage- this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 974 Rev. trim. dr. h. (72/2007) ments en matière de droits de l’homme». Les membres du Conseil y seront astreints comme les autres pays. En son essence, cette procédure n’est pas innovatrice. Des mécanismes de ce type, dits de «rapports périodiques» des Etats prévoyant une certaine participation d’experts indépendants et des O.N.G., fonctionnent dans maintes organisations internationales, notamment dans le cadre de grands traités de l’O.N.U. sur les droits de l’homme, en particulier les deux Pactes. Le modèle dont ces mécanismes se sont souvent inspirés est la procédure de contrôle de l’application des conventions et recommandations de l’O.I.T. Les obligations étatiques objets de l’examen sont définies de manière extensive, incluant non seulement les traités ratifiés, mais aussi la Déclaration universelle et les «promesses unilatérales» faites notamment par les candidats au Conseil. Le droit international humanitaire sera aussi pris en compte. Autre signe apparemment positif : les objets proclamés de l’examen périodique sont en premier lieu d’«assurer la mise en œuvre des obligations étatiques» et d’«améliorer la situation sur le terrain» et, en deuxième priorité seulement, d’accorder si nécessaire une assistance technique à l’Etat. On avait craint l’ordre opposé, préconisé par plusieurs membres, notamment la Chine et la Conférence islamique. Il reste que la procédure doit être conduite dans un esprit de «non-affrontement». Il faut aussi apprécier la volonté de «complémentarité avec les autres mécanismes de protection des droits de l’homme» inscrits dans le texte de juin 2007. Ceci confirme notamment que l’examen périodique n’a pas vocation à remplacer ou à rendre inopérants les mécanismes d’enquête sur les violations. Il est d’ailleurs précisé que l’examen périodique ne saurait diminuer la capacité du Conseil à traiter des situations d’urgence. Le principe de complémentarité paraît ouvrir la voie à l’utilisation des conclusions de l’examen périodique par les mécanismes d’enquête et vice versa. Cette clause est aussi de nature à prévenir les risques de double emploi et de contradiction avec les organismes responsables d’autres procédures de surveillance comme les comités prévus par les traités de l’O.N.U. sur les droits de l’homme, l’O.I.T., l’UNESCO et les organisations régionales. Il est d’ailleurs précisé que les rapports de tels organismes, comme ceux des mécanismes d’enquête, assortis des réponses des Etats concernés, constituent la deuxième source this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Maxime Tardu 975 d’information du Conseil pour l’examen périodique après les rapports des Etats eux-mêmes. Notons en revanche divers aspects préoccupants. Le défaut majeur réside dans le caractère essentiellement intergouvernemental du système. L’examen pour chaque Etat est en effet conduit sous forme de «dialogue» par seulement trois rapporteurs membres du Conseil émanant de différents groupes régionaux. Aucun expert indépendant n’intervient dans la procédure. Or l’expérience même de l’ancienne Commission, celle des rapports périodiques d’Etats en vigueur de 1956 à 1980 selon la résolution 624 B (XXII) de l’ECOSOC, démontre le caractère inefficace d’une surveillance intergouvernementale excluant tout expert indépendant : examen superficiel, ajournements répétés, recommandations non ciblées au contenu insignifiant. L’Assemblée générale avait mis fin à l’exercice le qualifiant de «dépassé, inefficace et d’une utilité marginale» (11). De même, l’examen des rapports prévus par le Pacte de l’O.N.U. sur les droits économiques, sociaux et culturels n’avait abouti qu’à des conclusions vides de substance jusqu’à ce que l’on confie cette mission à un groupe de personnes siégeant à titre individuel (12). Toutes les procédures internationales de rapports dont la valeur s’est affirmée sont de composition mixte : experts individuels aux stades de l’examen, suivis d’organes intergouvernementaux au niveau des recommandations finales. Par ailleurs, le processus d’examen souffrira d’une insuffisance de publicité car le Conseil se muera pour ce faire en un «groupe de travail» privé en principe de comptes rendus officiels. La participation des O.N.G. paraît réduite par rapport aux normes de leur statut et à la pratique de la Commission : leurs contributions écrites, si elles sont «crédibles et dignes de foi», pourront faire l’objet d’un résumé du Secrétariat de dix pages au maximum; elles pourront «siéger», non «parler», durant l’examen en groupe de travail, et elles pourront faire seulement des commentaires «généraux» – c’est-à-dire non ciblés – en plénière lors du débat sur les recommandations. Plusieurs orateurs ont aussi critiqué la clause permettant la prise en compte du «niveau de développement et des spécificités des divers pays» dans l’évaluation des Etats. (11) Résolution 35/209 de l’Assemblée générale du 17 décembre 1980. (12) Résolution 1985/17 de l’ECOSOC du 28 mai 1985. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 976 Rev. trim. dr. h. (72/2007) Dans l’esprit de coopération qui doit imprégner toute la procédure, l’Etat concerné est encouragé à construire ces recommandations en accord avec le Conseil. Ce dernier décidera au cas par cas si un examen de suivi est nécessaire. Des recommandations de nature plus critique sont évoquées en cas de «non-coopération persistante» de l’Etat. III. – Plaintes, enquêtes et dissuasion L’O.N.U. connaît plusieurs mécanismes de plainte individuelle en violation des droits de l’homme. Celles adressées aux organes de contrôle créés par divers grands traités – par exemple le Comité des droits de l’homme établi par le Pacte relatif aux droits civils et politiques et son protocole facultatif (1966) – sont des «plaintes-griefs» soumises à des procédures qui visent à décider du bien-fondé de griefs spécifiques, après une enquête quasi juridictionnelle où le plaignant, assumant le statut de «partie», jouit du droit d’être pleinement entendu. Ces mécanismes, au contraire de la Cour européenne des droits de l’homme et de son homologue interaméricaine, ne débouchent que sur des recommandations. Elles ont néanmoins contribué à clarifier le sens de divers droits des hommes, par exemple l’égalité devant la loi et les droits des personnes appartenant à des minorités. Plus de cent pays ont ratifié ce protocole et le nombre des Etats parties aux autres traités de ce type s’est accru notablement depuis les années soixante. Parallèlement, deux procédures non conventionnelles s’étaient développées à la Commission, en vue d’atteindre les pays réputés les plus «récalcitrants» n’ayant pas adhéré aux traités. Le premier de ces mécanismes, institué par la résolution 1503 (XLVIII) de l’ECOSOC du 27 mai 1970, visait, sur la base de «plaintes-informations» de particuliers ou de groupes, à identifier des situations de «violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme». Un premier examen des plaintes à la Sous-Commission, formée d’experts indépendants, était suivi d’une phase interétatique à la Commission et à l’ECOSOC, visant à cibler de telles situations et à prendre des mesures non contraignantes pour les faire disparaître. L’ensemble du processus était confidentiel, sauf de rares exceptions. Le Conseil a retenu ce mécanisme, le «Conseil consultatif» se substituant à la Sous-Commission, et a confirmé sa nature confidentielle. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Maxime Tardu 977 Le mur du secret avait été renversé par une autre procédure, la résolution 1235 (XLII) de l’ECOSOC du 6 juin 1967. Elle enjoignait à la Commission de débattre chaque année en séance publique d’allégations, ciblées par pays et par thème, concernant des violations des droits de l’homme – et non plus seulement des atteintes «flagrantes et systématiques» – «où qu’elles se produisent». Ces allégations émanaient des Etats et – surtout – des O.N.G. accréditées, sous l’œil des médias et du public. Pour les O.N.G., la conquête par la pratique de ce pouvoir de dénonciation par pays revêtait un caractère révolutionnaire, une telle stratégie contredisant leur statut formel (13). Ce débat public a maintes fois débouché sur la création d’organes d’enquête – comités ou «rapporteurs spéciaux» individuels –, soit thématiques, soit par pays (14), agissant en tant qu’experts indépendants et dotés de pouvoirs assez étendus de rassemblement des preuves et de première évaluation de la conduite des Etats. Leurs rapports, eux-mêmes discutés en suivi, conduisaient souvent à des conclusions critiques et à des recommandations. La mission d’enquête n’était terminée, et ne se transformait parfois en assistance technique, que si des progrès substantiels étaient avérés. Ce sont certaines dérives récentes de ce débat public qui ont suscité les reproches de sélectivité injustifiée motivant la création du nouveau Conseil. On s’accorde cependant à reconnaître l’impact direct de cette procédure médiatique, par-delà les Etats, sur les sociétés civiles et les leaders des droits de l’homme en divers pays opprimés. Elle a contribué à des changements de régime en Afrique du Sud, en Argentine, au Chili, en Corée du Sud, au Guatemala, aux Philippines, au Salvador et ailleurs. Conserver, modifier ou abolir ce mécanisme, telle fut la question centrale, hautement conflictuelle, des débats sur les nouvelles procédures. Accusant le débat public et le système des rapporteurs du vice irrémédiable de politisation stérile, contraire au progrès des droits de l’homme dans l’harmonie, un groupe de pays, parfois majoritaire, mené par la Chine, Cuba, les membres de la Conférence islamique et la Russie, en souhaitait l’élimination. Face aux objec(13) Résolution 1996/31 de l’ECOSOC du 25 juillet 1996. (14) Les premières enquêtes dès 1967 ont concerné le régime sud-africain d’apartheid et le régime israélien d’occupation au Proche-Orient. La portée géographique a été considérablement étendue pour cibler actuellement une vingtaine de pays dans toutes les régions. De même, le champ d’application des enquêtes thématiques est passé de deux à quarante environ depuis leur institution. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 978 Rev. trim. dr. h. (72/2007) tions occidentales soutenues par divers Etats latino-américains et quelques africains, des propositions moins radicales, exigeant une majorité des deux tiers pour l’entrée en matière et l’adoption de décisions concernant des pays ciblés, n’ont pu recueillir un soutien suffisant (15). Finalement, le système des rapporteurs a été maintenu sans majorité qualifiée, étant toutefois précisé, comme simple recommandation, que «les auteurs d’un projet de résolution portant sur un pays [ciblé] auront la responsabilité de rassembler le soutien le plus large possible (de préférence quinze membres) avant le vote» (16). Les rapporteurs par pays ne pourront être nommés que pour des mandats d’un an au plus, cette limite étant portée à trois ans pour les enquêtes thématiques. Chaque mandat pourra être renouvelé pour une période totale de six ans au maximum. Le texte souligne le pouvoir du Conseil de mettre fin ou d’amender les fonctions des organes d’enquête à tout moment en vue de «rationaliser» le système. Le Conseil a exercé ce pouvoir sur-le-champ en juin 2007 en s’abstenant de renouveler les enquêtes sur la Biélorussie et Cuba, aucune raison n’étant officiellement invoquée. Contrastant avec cette précarité des autres enquêtes par pays, la question des «droits de l’homme en Palestine et dans les autres territoires arabes occupés» a été érigée en composante permanente du programme de travail cadre du Conseil. Ces décisions ont été opposées comme «sélectives» par les Occidentaux, et aussi par la Pologne en ce qui concerne Cuba et la Biélorussie, mais le consensus n’en a pas pour autant été rompu. Dans le passé, les rapporteurs spéciaux étaient le plus souvent choisis par le président de la Commission assisté du bureau, sur la base de suggestions informelles émises dans le cadre de la Commission, et après divers pourparlers. La clarté de ce processus laissait quelque peu à désirer. La Commission entérinait généralement le choix du président sans débat. Le texte de juin 2007 relatif à la sélection des rapporteurs apporte des précisions utiles. (15) Constatation de l’auteur, présent comme observateur. Voy. aussi le résumé non officiel des débats en séances informelles dans Council Monitor, 13-18 juillet 2007, International Service for Human Rights, Genève. (16) A/HRC/5/L.2, Chapitre VI B. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Maxime Tardu 979 Le droit de proposer des candidats, élargi, est reconnu aux Etats, aux groupes régionaux, aux organisations intergouvernementales et aux O.N.G., ainsi qu’aux simples particuliers. Le Secrétariat, chargé d’un premier tri, publiera une première liste des candidats «éligibles». Les critères généraux d’éligibilité concernent l’expertise, l’expérience dans le domaine du mandat, l’impartialité et l’intégrité personnelle. En outre, le mandat d’enquête est déclaré incompatible avec toute fonction assortie d’un pouvoir de décision dans l’Etat ou dans toute autre entité, dont l’exercice pourrait engendrer des conflits d’intérêts. Cette clause s’appliquerait sans doute aux leaders d’O.N.G., perspective qui a provoqué leurs critiques soutenues par certains Etats. Elle n’exclut pas toutefois la simple appartenance à une O.N.G.. Prise au pied de la lettre, cette condition pourrait conduire à éliminer un nombre important de candidats, par ailleurs compétents, dont l’Etat ou l’organisation aurait pris position publiquement sur les problèmes en cause. Un groupe consultatif de membres issus des secteurs régionaux du Conseil fera un deuxième filtrage sur la base de la liste initiale. Ce groupe pourrait aussi tenir compte des noms rejetés par le Secrétariat et, exceptionnellement, considérer des propositions additionnelles. Les recommandations au président seront motivées et publiques. La liste finale sera présentée au Conseil par le président après des consultations intensives. Les nominations seront faites par le Conseil par consensus ou, à défaut, à la majorité simple. Le «Code de conduite» imposé aux rapporteurs spéciaux et aux autres organes d’enquête (17) a donné lieu aux débats les plus vifs. Il est précisé que le Code respecte, en les complétant, la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies du 13 février 1946 ainsi que le statut des experts en mission adopté par l’Assemblée générale en 2002 (18). En revanche, le Code aura une valeur juridique supérieure à celle d’un «manuel» rédigé par les rapporteurs spéciaux dans un souci d’autorégulation. Ce manuel plaçait l’accent sur la liberté d’action des organes d’enquête. Les problèmes les plus importants concernent les limites imposées aux rapporteurs lors de leurs visites sur le terrain. Le Code leur enjoint de mettre au point leurs programmes «en collaboration étroite» avec le gouvernement mis en cause (19). Une telle règle (17) A/HRC/5/L.3/Rev.1 du 18 juin 2007. (18) Résolution 56/280 de l’Assemblée générale du 27 mars 2002. (19) A/HRC/5/L.3/Rev.1, article 11, c) et d). this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 980 Rev. trim. dr. h. (72/2007) pourrait conduire à des réductions abusives de la liberté des rapporteurs dans leurs déplacements et leurs contacts avec la société civile et les médias. Pendant leurs visites, les organes d’enquête doivent «respecter pleinement la législation nationale» (20). Bien que le Code réaffirme la prééminence de la Convention sur les privilèges et immunités, cette clause pourrait soulever des problèmes d’application considérables. Le danger de restrictions arbitraires sera maximal sous l’empire de l’état d’urgence accordant de larges pouvoirs à l’armée, phénomène très fréquent dans les Etats mis en cause. Il appartiendra au Conseil, juge de la mise en œuvre du Code, et au Secrétaire général, qui seul peut lever l’immunité, de trancher les litiges. Les allégations écrites reçues par les rapporteurs sont soumises à de lourds critères de recevabilité (21), excluant toute «motivation politique» et «toute formulation abusive». Ces exigences sont excessives : s’agissant de plaintes-informations, il suffirait d’exiger la description des faits par des personnes dignes de foi affirmant avoir une connaissance directe des violations alléguées. Le Code pousse très loin le respect du principe «audi alteram partem» en faveur des gouvernements : toute conclusion des rapporteurs doit leur être transmise d’abord et ils doivent disposer d’un délai «adéquat» pour y répondre (22). Entre-temps, il semblerait que les médias ne puissent être informés. Les retards ainsi causés pourraient avoir des conséquences négatives pour les prisonniers politiques, malgré le recours possible aux appels urgents exposés ci-après. En revanche, d’autres articles du Code paraissent avoir un sens plus positif. Notons d’abord que la résolution de couverture pour le Code fait assez clairement dériver un devoir de soutien effectif des enquêtes par les Etats de l’obligation générale de «coopération» énoncée dans la Charte (23). Le Code lui-même souligne à l’article 11(2) que l’Etat mis en cause, conjointement avec le rapporteur et les autres parties concernées, a l’«obligation» d’assurer l’efficacité de l’enquête. Arrachées par les pays occidentaux, ces clauses constituent un progrès sur le plan des principes. Plusieurs Etats avaient toujours affirmé (20) A/HRC/5/L.3/Rev.1, article 4. (21) Op. cit., article 9. (22) A/HRC/5/L.3/Rev.1, article 13, c). (23) A/HRC/5/L.3/Rev.1, préambule, alinéa 1er, et dispositif, alinéa 1er. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Maxime Tardu 981 le caractère discrétionnaire de leur collaboration avec les rapporteurs. En ce qui concerne les missions sur le terrain, malgré le droit de regard accordé à l’Etat sur les programmes de visite exposé plus haut, le Code (24) affirme le droit du rapporteur d’établir un dialogue avec «toutes les parties concernées», y compris par implication des membres de la société civile et les O.N.G. Il garantit le caractère privé et confidentiel des contacts ainsi établis. Les sources d’information du rapporteur ne seront pas révélées si leur divulgation pourrait porter tort aux personnes impliquées (25). La protection du rapporteur par les forces armées de l’Etat visité – question très concrète pour de nombreuses missions en zones de guerre civile – sera accordée «sur la demande du rapporteur», et non pas imposée par les autorités (26). Sans cette garantie, la mise sur pied d’un «village à la Potemkine» comme seul spectacle offert au rapporteur ne serait que trop facile. Une première version (27) prévoyait des mesures de protection soit à la demande du rapporteur, «soit par décision du pays hôte». La liberté de l’enquêteur a été sauvegardée grâce à un amendement de pays occidentaux et latinoaméricains. Enfin, la question des appels urgents du rapporteur, lancés pour alerter publiquement l’attention des Etats et des peuples sur les cas les plus critiques, a été âprement discutée. La rédaction initiale afro-asiatique (28) posait comme conditions la mise en danger de vies humaines ou encore le risque d’un préjudice «imminent et irréparable». Cette dernière formule a été assouplie par l’emploi, à l’article 10, des termes «préjudice imminent ou continu d’un caractère très grave». Il était important de sauvegarder l’essentiel de cette prérogative. Son exercice dans le passé avait permis de sauver de nombreuses vies humaines. Durant la période de juin 2006 à juin 2007, pendant laquelle le Conseil a élaboré ses nouveaux mécanismes, les rapporteurs en fonction ont continué de soumettre leurs travaux à la discussion. Certains ont été critiqués par la majorité. Ce fut le cas notamment de (24) A/HRC/5/L.3/Rev.1, article 11, d), e) et f). (25) Op. cit., article 8, b). (26) Op. cit., article 11, b). (27) «Draft Resolution Rev. 3» du 15 juin 2007, document informel en anglais présenté en salle par le groupe africain, p. 9. (28) Op. cit., article 14, p. 10. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 982 Rev. trim. dr. h. (72/2007) l’initiative déployée par plusieurs rapporteurs thématiques visant à enquêter conjointement sur les atteintes aux droits de l’homme causées par le conflit armé entre Israël et le Hezbollah au Liban. Le rapport qu’ils avaient présenté soulignait la responsabilité d’Israël, ainsi que celle du Hezbollah dans une certaine mesure. Cette initiative avait été condamnée par les Etats asiatiques et islamiques, et certains autres membres du Conseil, comme outrepassant la compétence ratione materiae de chaque rapporteur. Cette position était techniquement discutable : les mandats, bien que thématiques, n’interdisaient pas expressément aux rapporteurs de concentrer leurs efforts à l’occasion sur une situation particulière. Le rejet d’une telle stratégie de passage du thématique au ciblage par pays s’est traduit dans le Code par des clauses limitant les rapporteurs à «l’observation stricte de leurs mandats» (29). Il faudra veiller à ce que cette obligation ne soit pas interprétée abusivement comme excluant dans les rapports tout jugement critique sur des pays identifiés, ôtant tout leur sens aux enquêtes thématiques. Cette initiative conjointe sur le Liban avait été prise par les rapporteurs thématiques, tirant argument du retard apporté à la mise en œuvre d’une enquête ciblée sur ce pays, décidée en session spéciale. Le rapport sur le Liban a finalement été soumis, mais il n’a pas donné lieu à un suivi substantiel compte tenu du cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah et de l’envoi d’une force armée de l’O.N.U. D’autres situations ont été jugées assez critiques pour mériter une session extraordinaire : la Palestine occupée en son ensemble, Gaza et le Darfour. Dans tous ces cas, des organes d’enquête ont été constitués, mais ils ont dû borner leur examen à des témoignages recueillis hors des pays concernés, ceux-ci n’ayant pas accepté des visites in situ. Le Conseil a cependant maintenu ces situations sous surveillance. Quant à la procédure, la vitesse de réaction du Conseil s’est révélée satisfaisante. Un aspect des débats et du texte de juin 2007 suscite une grande surprise : l’absence de toute référence à la question des rapports entre le Conseil des droits de l’homme, d’une part, et, d’autre part, le Conseil de sécurité et les cours pénales internationales qu’il a créées. On passe sous silence le progrès majeur du dernier demi-siècle pour la protection internationale des droits de l’homme : alors que (29) A/HRC/5/L.3/Rev.1, articles 3, d) et 7. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Maxime Tardu 983 ces droits furent si longtemps taxés de trouble-fête des arrangements diplomatiques, après plusieurs génocides la création de ces cours témoigne enfin de la prise de conscience du caractère central des droits de l’homme pour l’enracinement de la paix. Le concept de responsabilité internationale personnelle pour crime contre l’humanité, notion ouverte transcendant la barrière de l’immunité étatique, pourrait et devrait, me semble-t-il, être élargi en vue d’inclure progressivement ratione materiae les «violations graves et systématiques». Les premiers contours de cette notion ont été dégagés par un demi-siècle de pratique internationale, tant à la Commission des Nations unies que dans les autres enceintes, en particulier européenne et interaméricaine, et les enquêtes à venir apporteront sans doute d’ultimes précisions. Ratione personae, le droit international pénal devrait d’ores et déjà s’appliquer non pas aux seuls détenteurs de la puissance publique comme ce fut le cas jusqu’à présent, mais à toute autre personne suspecte, directement ou indirectement, de violations graves et répétées, par exemple certains acteurs économiques et certains leaders religieux ou politiques, quand l’Etat s’avère incapable de les poursuivre ou peu disposé à le faire. Les précédents du transfert à la Cour pénale internationale de certains accusés de l’Iturri au Congo ou de l’Ouganda devraient être soulignés à cette fin. Joints à l’assistance technique et au renforcement des moyen pour le long terme, ces transferts de compétence judiciaire apparaissent comme la meilleure stratégie face aux problèmes de droits de l’homme dans les nombreux pays où l’Etat, faible ou virtuel, laisse libre cours au règne du plus fort. L’élargissement du concept de crime contre l’humanité devrait certes s’effectuer dans les meilleures conditions possibles d’indépendance et de compétence juridique au sein des cours internationales ou de comités d’experts. La pratique des enquêtes du Conseil et d’autres organes internationaux de contrôle devrait être prise en compte. Il est essentiel pour ce faire de renverser les cloisonnements entre organes des droits de l’homme, Conseil de sécurité et Cour pénale internationale, et d’instaurer entre eux un flux continu d’informations interactif. Par ailleurs, les textes de juin 2007 ne mentionnent les questions économiques que sous quatre aspects : le droit au développement comme droit de l’homme, la lutte contre l’extrême pauvreté, les droits de l’homme et les entreprises transnationales, et l’effet des this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 984 Rev. trim. dr. h. (72/2007) politiques de réforme économique et du poids de la dette extérieure sur les droits de l’homme. Le premier sujet est traité par un comité d’étude, tandis que les trois autres reçoivent l’attention de rapporteurs spéciaux. On paraît ignorer systématiquement la question des sanctions économiques comme mesure de dissuasion en cas de violations des droits de l’homme. A plusieurs reprises, notamment à la Conférence mondiale sur les droits de l’homme de Vienne en 1993, l’O.N.U. avait réprouvé toute conditionnalité de l’aide économique et technique. Pourtant, le boycott du commerce extérieur et des investissements avait été décidé par le Conseil de sécurité ou recommandé par l’Assemblée générale contre le régime sud-africain d’apartheid et le gouvernement Smith de Rhodésie pour atteintes graves aux droits de l’homme susceptibles de troubler la paix. Ces sanctions avaient, de l’avis général, contribué efficacement à la chute de ces régimes. La stratégie des mesures économiques est utilisée à l’heure actuelle par les Nations Unies contre l’Iran et la Corée du Nord concernant la prolifération nucléaire, menace à la paix. Des violations majeures des droits fondamentaux, telles qu’elles sont constatées en divers pays, ne constituent-elles pas une menace potentielle à la paix et un motif valable de sanction commerciale autant que des programmes incomplets d’armement atomique? Les sanctions économiques sont l’objet de diverses critiques, certaines de nature politique comme l’accusation de néocolonialisme, d’autres plus substantielles comme le reproche d’affecter les peuples plutôt que leurs leaders. Il est difficile, mais pas impossible, d’annuler ou de réduire ce dernier risque par un flux contrôlé d’exportations humanitaires. Rappelons que les mouvements de libération d’Afrique du Sud et de Rhodésie, conscients de ce risque, avaient proclamé leur adhésion totale aux sanctions. Hors du système des Nations Unies, il faut mentionner par exemple les procédures de l’Union européenne basées sur les traités de Maastricht et d’Amsterdam qui sembleraient permettre au Conseil européen de dénier certains avantages aux Etats responsables d’atteintes graves aux principes fondamentaux de l’Union, y compris le respect des droits de l’homme. Par ailleurs, le Conseil des droits de l’homme semble trop peu conscient des critères de l’aide économique définis par la Banque this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Maxime Tardu 985 mondiale et le Programme des Nations Unies pour le développement, critères qui incluent la notion de «bonne gouvernance». Il serait important de promouvoir une plus large ouverture du Conseil à ces développements connexes, débouchant sur des normes de coordination. En son ensemble, le système d’enquêtes et de dissuasion du Conseil des droits de l’homme, axé sur le débat public multipolaire et l’action de rapporteurs indépendants, est certes imparfait. Il est en particulier mal relié aux autres mécanismes internationaux pertinents. Les risques de «sélectivité» et de «politisation» demeurent. Cependant, le pire – c’est-à-dire sa disparition pure et simple – a été évité. Ses limitations, notamment quant aux missions sur le terrain, pour regrettables qu’elles soient, n’apparaissent pas nécessairement comme destructrices. Il faut tenir compte aussi de certaines clauses progressistes, en particulier celles qui assurent une meilleure transparence et un caractère plus participatif à la procédure de sélection des rapporteurs. Surtout, le droit des O.N.G. de participer de manière critique aux débats ouverts sur les pays ciblés paraît bien confirmé. On peut donc estimer, à mon sens, que le système d’enquêtes de juin 2007 pourrait développer un certain potentiel d’efficacité. Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme institué en 1993 (30), à la fois comme un ombudsman et un procureur général, a la mission de «contribuer activement […] à régler les problèmes de droits de l’homme». Ces attributions lui permettent sans doute d’attirer publiquement l’attention sur les défauts du système et de suggérer des réformes. Le Haut-Commissaire pourrait à cette fin s’appuyer sur les constatations de ses bureaux régionaux. En exerçant son autre pouvoir d’«engager un dialogue» avec les gouvernements, le Haut-Commissaire contribuerait en amont à prévenir les violations et, en aval, à faciliter l’exécution par les Etats des recommandations du Conseil. Le Haut-Commissaire s’est exprimé sur certains aspects structurels, par exemple sur les projets de réforme de la Commission en 2004 et 2005, et sur certaines situations, notamment la Palestine et le Darfour. Divers observateurs souhaitent que ses interventions puissent être plus fréquentes. (30) Résolution 48/141 de l’Assemblée générale du 20 décembre 1993. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 986 Rev. trim. dr. h. (72/2007) Conclusions La crise des droits de l’homme à l’O.N.U. est réelle, mais la réforme procède d’un diagnostic en partie erroné. Pour l’essentiel, les dérives du système ne proviennent pas de ses composantes politiques. Les pouvoirs – étatiques, économiques, religieux, idéologiques – existent. Mieux vaut chercher à les équilibrer à visage découvert dans un cadre multipolaire que de leur donner libre cours dans une Sainte Alliance de l’ombre, sous un décor illusoire d’institutions modèles. Telles apparaissent en tout cas les données du problème dans la société mondiale aux diverses cultures, en proie aux rivalités économiques et aux tensions politiques les plus fortes. Les méfiances réciproques y restent trop enracinées pour permettre avant longtemps un saut quantique vers une Cour universelle des droits de l’homme analogue à la Cour européenne. On pourrait cependant espérer, mais à long terme, un recours croissant à la Cour pénale internationale, juge des personnes et non des gouvernements, permettant ainsi aux Etats faibles du tiers-monde de sauver la face en se déchargeant d’une tâche qui les dépasse techniquement et politiquement. C’est bien un système multipolaire que la pratique de l’O.N.U. avait peu à peu construit, comprenant les Etats, des experts indépendants, les O.N.G. accréditées et le Secrétariat. Le Haut-Commissaire aux droits de l’homme, nommé par le Secrétaire général et confirmé par l’Assemblée générale, était investi d’une mission d’ombudsman et de «sage» pour tout le système. Il exerçait aussi les fonctions de chef du Secrétariat des organes des droits de l’homme. La mention du Secrétariat comme l’un des agents actifs du système peut surprendre, la Charte lui accordant des fonctions essentiellement d’exécution. En fait, son rôle s’est exercé bien au-delà, au moins jusque dans les années 1980, sous forme de «bons offices», de recherches, de conseils, de contacts avec les autres organisations, et même d’initiatives auprès de divers Etats visant à renforcer les Nations Unies. Je peux témoigner, par exemple, que le directeur du Secrétariat des droits de l’homme à l’époque avait pris une part importante à la préparation des clauses de mise en œuvre du Pacte sur les droits civils et politiques, y compris le protocole sur les plaintes individuelles. Une telle action s’était avérée possible grâce à la compétence et à l’efficacité d’un secrétariat recruté sur la base this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Maxime Tardu 987 du mérite et jouissant de garanties de carrière, gage de son indépendance. Ce système avait donné des résultats substantiels à la Commission, tant en édifiant un corpus de traités qu’en construisant des mécanismes non conventionnels, dont celui du débat public et des rapporteurs. Ce sont les déséquilibres du système qui ont provoqué la crise de 2004. L’un des facteurs de déséquilibre a été une «réaction nobiliaire» des Etats qui a visé en particulier le Secrétariat, maillon le plus faible : application abusive de la distribution géographique au détriment des carrières, précarisation des contrats, restructurations déstabilisantes et maintien du budget des droits de l’homme à des niveaux dangereusement insuffisants. Les organes d’experts indépendants ont eux aussi souffert, certains – telle la Sous-Commission – voyant leur pouvoir d’initiative éliminé, d’autres, par exemple le Comité pour la justice criminelle, se voyant transformés en organes d’experts intergouvernementaux. Les O.N.G. accréditées et, dans une certaine mesure, les experts ont vu leur influence réduite par leur expérience souvent insuffisante des problèmes massifs de droits de l’homme sur le terrain dans le tiers-monde : extrême pauvreté, exploitation structurelle, poids des traditions inégalitaires. Un fossé s’est creusé entre ces O.N.G. de Genève et les groupements de grassroots, ces derniers rejetant les premières comme vassales d’un système élitiste. Leur prestige ainsi diminué, les O.N.G. accréditées ont été moins crédibles, et elles n’ont pu opposer qu’une résistance moins efficace aux «nonlieux» abusifs accordés à certains Etats de 2000 à 2005. En proie à ces affrontements internes, le système de l’O.N.U. a largement négligé les relations avec les autres organisations compétentes. J’en ai donné des exemples plus haut concernant le Conseil de sécurité, les cours pénales internationales, la Banque mondiale et les autres agences d’aide au développement. Le manque d’interactivité est aussi constaté avec des organisations dont les programmes étaient encore plus proches, telles l’O.I.T. en ce qui concerne le servage et les autochtones et l’UNESCO au sujet de l’éducation pour les droits de l’homme et des rapports entre les droits de l’homme et le progrès scientifique. Les projets et conclusions de ces organisations, souvent appuyés sur des recherches sérieuses, auraient pu tempérer de manière significative les tendances à l’excès de certains débats de la Commission. Il n’en a pas été ainsi, faute de commu- this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 988 Rev. trim. dr. h. (72/2007) nication adéquate. La Commission avait pris au fil des années les allures d’un système de plus en plus enclavé, donc de moins en moins pertinent. C’est le rôle du Haut-Commissariat pour les droits de l’homme d’identifier les carences et de proposer des réformes judicieuses. Il l’a fait dans la mesure du possible depuis sa création en 1993. Divers observateurs voient toutefois dans son intégration au Secrétariat un frein au développement de cette activité. Comme chef du Secrétariat des droits de l’homme, le Haut-Commissaire est soumis aux contraintes administratives, notamment celles sur la distribution géographique des postes, et à la surveillance très forte en la matière exercée en plein Conseil par certains pays, par exemple la Chine et la Russie. Des résolutions critiques sur ce sujet sont adoptées à chaque session. Le budget du Haut-Commissariat, de plus en plus élevé pour faire face aux nombreuses missions, dépend dans une proportion majeure du vote affirmatif des Etats-Unis, du Japon et de l’Allemagne. Compte tenu de ces facteurs, les interventions du Haut-Commissariat doivent à l’évidence être marquées d’une certaine prudence. A l’heure actuelle, ne nous bornons pas à accueillir avec soulagement le compromis atteint in extremis le 18 juin 2007. Il convient d’élaborer une stratégie d’ensemble pour revitaliser le système en profondeur. Pour essayer d’en dégager les grandes lignes, une «convention» mondiale ouverte, groupant représentants d’Etats, organisations intergouvernementales, O.N.G., fondations intéressées et leaders de la société civile, issus de tous les continents, pourrait être convoquée par le Secrétaire général ou le Haut-Commissaire aux droits de l’homme en 2008, à l’occasion du soixantième anniversaire de la Déclaration universelle. Il serait souhaitable que les participants aient les expériences les plus variées, par exemple dans le domaine des sciences sociales, des actions humanitaires sur le terrain et de la vie économique, aussi bien que dans le droit et le diplomatie. Il serait utile de partir d’une expérience positive commune à tous les acteurs du système : la prise de conscience, à divers degrés, de notre appartenance planétaire et de la valeur des droits de l’homme pour tous dans la société internationale. Au risque d’être taxé de naïveté, on doit constater les manifestations d’une telle prise de conscience à l’O.N.U. en plusieurs occasions, par exemple lors de l’adoption de la Déclaration universelle sans voix contre, du consensus sur les Pactes et sur les clauses d’avant-garde de la Conven- this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Maxime Tardu 989 tion contre la torture. La fréquence et la longueur des sessions du Conseil auront sans doute pour effet de renforcer ces sentiments : dans une immersion totale, délégués et O.N.G. peuvent développer à la longue des souvenirs communs plus intenses et se découvrir des valeurs communes plus significatives avec leurs adversaires du Conseil qu’avec leurs lointains mandants dans leurs capitales. Pérenniser cette prise de conscience devrait être l’objectif premier des formations aux carrières internationales dans les universités et surtout dans les programmes établis par les organisations intergouvernementales. Les programmes de l’O.N.U. dits des «services consultatifs pour les droits de l’homme» – séminaires de formation, experts enseignants, stages auprès d’institutions nationales – pourraient être révisés pour accentuer cet objectif, plutôt que l’exposé didactique des normes internationales. L’Unitar devrait être renforcé dans ce sens. Sous l’égide conjointe de l’O.N.U. et de l’UNESCO, ces formations devraient faire appel autant aux psychologues, aux sociologues et aux experts de terrain qu’aux juristes, en recourant aux études de cas. Une telle formation devrait être dispensée aussi bien aux fonctionnaires gouvernementaux qu’aux experts, aux O.N.G. et aux membres du Secrétariat. Il faudrait par ailleurs appliquer la stratégie participative de l’examen périodique, décrite plus haut, visant à construire les recommandations avec les gouvernements plutôt que contre eux, toutes les fois qu’il s’agira vraiment d’Etats faibles et divisés désireux, mais incapables par eux-mêmes, d’effectuer les réformes nécessaires. L’expérience des rapports périodiques dans le cadre des Pactes, par exemple, met souvent en lumière une convergence du gouvernement et de l’O.N.U. pour faire céder féodalités et multinationales prédatrices. L’assistance technique sous stricte surveillance pourrait alors être envisagée. Les faux-semblants étatiques laissant persister les violations devraient être sévèrement condamnés jusqu’au transfert à la Cour pénale internationale dans les cas extrêmes de violations flagrantes et systématiques. La mission de dénoncer les abus possibles d’une telle approche reviendra aux O.N.G.. Celles-ci devraient faire un effort de ré-enracinement sur le terrain, tandis que les groupes des grassroots devraient bénéficier de stages plus fréquents auprès de leurs homologues de Genève et de New York. On devrait harmoniser encore davantage les interventions des O.N.G. au Conseil, tout en respectant la liberté de conscience de chacun, afin de ne pas fragiliser leur résistance aux forces destructrices. Ce sont là des objectifs ambi- this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 990 Rev. trim. dr. h. (72/2007) tieux – et coûteux quant aux échanges avec le terrain – mais importants pour renforcer la crédibilité et l’efficacité des O.N.G. Sans incidences financières en tout cas, les O.N.G. devraient s’ouvrir davantage aux autres acteurs du Conseil, en premier lieu les délégués gouvernementaux, et vice versa. Des échanges de vues informels sur divers thèmes pourraient contribuer à effacer les stéréotypes et à décloisonner le système. Mieux éclairés sur l’interdépendance de toutes les parties du système, gouvernements et O.N.G. devraient soutenir les efforts du Secrétaire général et du Haut-Commissaire pour renforcer les garanties de carrière et l’indépendance du Secrétariat, restaurer sa qualité professionnelle et sa valeur de conseil. Seul un secrétariat fortement motivé et compétent peut assurer le bon fonctionnement d’institutions si complexes face à des tensions politiques si intenses. Le rôle de leader pour la réforme en profondeur du système devrait normalement échoir au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les droits de l’homme. Nous avons vu que son intégration dans le Secrétariat pourrait induire certaines inhibitions à cet égard. A l’origine de l’institution dans les années soixante-dix, plusieurs O.N.G. avait conçu le Haut-Commissariat comme une entité essentiellement indépendante de tous les autres organes des Nations Unies. Face aux résistances des Etats et aux craintes de dispersion exprimées par le Secrétaire général, l’Assemblée générale avait opté, en 1993, pour une formule ambiguë : nomination pour quatre ans, renouvelable une fois, par le Secrétaire général sous réserve de l’approbation de l’Assemblée générale, ce qui équivaut en fait à l’inamovibilité pour cette période, mais à charge d’assurer la supervision du Centre des droits de l’homme dans le cadre du Secrétariat, ses ressources dépendant entièrement du budget ordinaire de l’O.N.U. Gardant à l’esprit les grandes difficultés politiques d’une telle entreprise, on devrait néanmoins réfléchir sur les possibilités de diversifier le financement du Haut-Commissariat et d’en faire une entité séparée en quelque mesure du Secrétariat de l’O.N.U. L’appel au financement bénévole émanant d’Etats et même de sources privées est déjà admis pour quelques programmes du Haut-Commissariat, dans le domaine de l’assistance technique et pour certains fonds – victimes de la torture, formes contemporaines de l’esclavage – destinés à faciliter le voyage à Genève de témoins et victimes. Il this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Maxime Tardu 991 n’est pas totalement inconcevable d’envisager l’extension graduelle de cette formule à d’autres aspects du programme, par exemple le coût de la documentation pour l’examen périodique universel. L’appel de fonds extrabudgétaires serait assorti de stricts contrôles et audits avec participation étatique. Le Haut-Commissariat serait dans toute la mesure du possible libéré des contraintes politicoadministratives du Secrétariat, le recrutement et la promotion de son personnel étant basés essentiellement sur le mérite et assortis d’un système de recours équitable jusqu’au Tribunal administratif de l’O.N.U. L’objectif serait de concentrer l’action du Haut-Commissariat sur la supervision générale du système des droits de l’homme et son amélioration, et sur des messages d’alerte en cas de carence face à des atteintes flagrantes et massives aux droits de l’homme ou à l’imminence de telles violations. L’administration courante du système serait confiée au Secrétariat, distinct du Haut-Commissariat dans une certaine mesure. La plupart de ces suggestions n’exigent aucune nouvelle résolution et en tous les cas aucun amendement de la Charte. La méthode importe peu. L’essentiel est que la volonté de réforme ne régresse pas vers un mécanisme purement intergouvernemental tournant à vide, mais renforce au contraire le système public multipolaire, seul espoir d’efficacité des Nations Unies pour les droits de l’homme. ✩