article en pdf - Revue trimestrielle des droits de l`homme

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QUAND LES POLITIQUES
MIGRATOIRES FRANÇAISES «CONTAMINENT»
L’ACCUEIL SANITAIRE ET L’ACCÈS
AUX SOINS DES ÉTRANGERS
par
Christel Cournil
Maître de conférences en droit public
à l’Université de Paris 13,
Institut de recherche interdisciplinaire
sur les enjeux sociaux (Iris)
La récente parution du livre intitulé Défense de soigner pendant
les expulsions (1) de Philippe Taugourdeau, témoignage d’un médecin exerçant dans la zone d’attente des personnes en instance de
Roissy (Z.A.P.I. 3), montre combien l’exercice de la médecine
auprès des étrangers est rendu difficile. L’absence de traitements
adéquats, d’examens médicaux et les diverses consignes censées
accélérer les procédures administratives privent les étrangers retenus de soins élémentaires. Par cet exemple accablant, force est de
constater l’impact de la politique des contrôles migratoires sur le
droit et l’accès à la santé des étrangers dans un centre de rétention
ou dans une zone d’attente (2). S’agissant des étrangers en situation
régulière et irrégulière déjà présents sur le territoire français, on
remarque également une influence «larvée» de ces contrôles dans la
politique de santé publique.
Les populations étrangères sont particulièrement vulnérables en
raison de leurs conditions d’exil (fuite d’un conflit, tortures, traumatismes, etc.) et de migration (conditions de vie difficile, famine, pauvreté, etc.). Selon le rapport rendu en 2005 par l’association Comité
médical pour les exilés (C.O.M.E.D.E.), parmi les «multiples causes
d’altération de la santé des exilés, la maladie reste au premier plan
pour ceux qui souffrent d’affection grave. Psycho-traumatismes,
(1) P. Taugourdeau, Défense de soigner pendant les expulsions, Flammarion, janvier 2007, 292 p.
(2) Voy. sur la santé en zone d’attente : le Bilan 2006 de l’Association nationale
d’assistance aux frontières pour les étrangers (A.N.A.F.E.), Observation associative
dans la zone d’attente de Roissy, février 2007, p. 5.
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maladies infectieuses et maladies chroniques restent les trois principaux groupes pathologiques pour les exilés en 2005. Accessibles au
dépistage précoce lorsqu’un bilan de santé adapté est pratiqué, ces
affections sont rarement connues depuis le pays d’origine (Infection
à V.I.H. 5 %, hépatite B 6 %), même si certaines maladies chroniques le sont plus souvent (diabète 49 %, asthme 64 %). Sous dépistés
dans la pratique par de nombreux dispositifs de soins, les exilés concernés devront attendre les manifestations cliniques de la maladie
pour consulter à nouveau, parfois plusieurs années plus tard, sans
avoir pu bénéficier de la prise en charge médicale destinée à ralentir
l’évolution et prévenir les complications» (3). Face à ce constat,
l’accès aux soins dans le pays d’accueil des exilés se révèle être un
enjeu crucial de politique de santé publique. Pourtant, le droit à la
santé des étrangers n’est pas à la hauteur de cet enjeu et souffre de
drastiques réformes adoptées récemment, justifiées par la rationalisation des flux migratoires, la lutte contre l’immigration clandestine, les
détournements des procédures d’accueil des étrangers en France et les
économies budgétaires de santé publique.
Parmi les droits à la santé des étrangers, le plus élémentaire est
celui de l’accès aux soins garanti notamment par la prise en charge
des dépenses de soins. Or tous les étrangers n’en bénéficient pas de
la même façon. En effet, l’accès aux soins fait partie des «droits
sociaux» (4) (issus de la «seconde génération» de droits, inspirés des
exigences du Préambule de 1946 : «la Nation garantit à tous […] la
protection de la santé») et des grands principes universalistes d’après
guerre (confirmés par de multiples engagements internationaux (5)).
(3) C.O.M.E.D.E., Rapport d’activité, 2005, p. 7.
(4) Voy. sur les droits sociaux des étrangers la thèse de K. Michelet, Les droits
sociaux des étrangers, Logiques juridiques, éd. L’harmattan, Paris, 2002, 494 p.;
M. Borgetto et R. Lafore, Droit de l’aide et de l’action sociales, 6ème édition, Montchrestien, pp. 56-60.
(5) Déclaration universelle des droits de l’homme (1948). Le Pacte international
du 19 décembre 1966, relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Charte
sociale européenne, la Convention européenne, la Convention de l’O.I.T. (n° 118) sur
l’égalité de traitement, etc. Voy. aussi la Convention internationale sur la protection
des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et son article 28, «Les travailleurs migrants et les membres de leur famille ont le droit de recevoir
tous les soins médicaux qui sont nécessaires d’urgence pour préserver leur vie ou éviter
un dommage irréparable à leur santé, sur la base de l’égalité de traitement avec les ressortissants de l’Etat en cause. De tels soins médicaux d’urgence ne leur sont pas refusés
en raison d’une quelconque irrégularité en matière de séjour ou d’emploi.», entrée en
vigueur en 2003, que la France n’a toujours pas ratifiée. Voy. sur les textes
internationaux : M. Bélanger, «L’accès aux soins en France des étrangers ressortissants non communautaires», R.D.S.S., 1994, pp. 422-429.
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Aussi, l’idée même de l’assurance maladie, garantie d’une protection
effective de la santé, a été très tôt consacrée (6) pour les ressortissants nationaux et étrangers (ce qui n’est pas le cas de tous les
droits sociaux (7)). Or un changement important est venu remettre
en cause l’esprit même de cet acquis généreux d’après-guerre. Dans
un contexte de lutte contre l’immigration clandestine, la loi du
24 août 1993 (8), «la loi Pasqua», a modifié la logique universelle des
droits sociaux, née de la libération. La politique migratoire a
notamment limité (9) les droits sociaux des étrangers en conditionnant leur accès à certains d’entre eux. Depuis, le bénéfice de certains droits sociaux dépend d’une condition : la régularité de séjour.
L’intrusion des politiques migratoires est justifiée par les prérogatives souveraines des Etats Nations désireux de mieux surveiller les
personnes admissibles au séjour sur leur territoire. Dès lors, si le
principe de l’égalité de traitement en matière de droits sociaux a été
effectivement consacré par le juge constitutionnel (10), il ne s’applique qu’aux étrangers réguliers (11). Le contrôle migratoire est, en
conséquence, pleinement entré dans les conditions de délivrance des
(6) Les étrangers bénéficient de l’assurance maladie dès l’ordonnance du 19 octobre 1945 sur la sécurité sociale et le décret du 29 novembre 1953 portant réforme de
l’assistance. Pour un historique de l’assistance et de l’aide médicale : voy. M. Borgetto, La notion de fraternité en droit public français, L.G.D.J., Bibl. droit Public,
n° 170, 712 p.
(7) Toutefois, tous les droits sociaux n’étaient pas offerts aux étrangers, discrimination justifiée par la non-appartenance à l’Etat français. Voy. K. Michelet, op.
cit.; D. Lochak, «L’étranger et les droits de l’homme», Services Publics et Libertés,
Mélanges R.-E. Charlier, 1981, p. 615; «Les discriminations frappant les étrangers
sont-elles licites?», Droit social, 1990, p. 76; M. Borgetto et R. Lafore, op. cit.,
pp. 56-57. C’est sur la base du principe d’égalité que les droits sociaux des étrangers
ont été consacrés et non sur celle des principes universalistes du Préambule, ce qui
permet de traiter différemment les étrangers en situation régulière et irrégulière.
(8) D.C. n° 325, du 13 août 1993 à propos de la loi relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France,
Recueil, p. 224; R.J.C., p. I-539; J.O.R.F., 18 août 1993, p. 11722.
(9) Cette loi a généralisé la condition de régularité qui existait déjà pour certaines
prestations sociales.
(10) D.C. n° 89-269, 22 janvier 1990, loi portant diverses dispositions relatives à
la sécurité sociale et à la santé, Recueil, p. 33; R.J.C., p. I-392, J.O.R.F., 24 janvier
1990; X. Prétot, «L’application du principe d’égalité à l’étranger en France»,
R.D.S.S., 1990, p. 437.
(11) Aujourd’hui, l’étranger possédant un titre de séjour régulier jouit de l’égal
accès à la santé au même titre que les ressortissants français. Il peut bénéficier, en
fonction de ces ressources, de la couverture maladie universelle (C.M.U.), de l’allocation adulte handicapé (A.A.H.) et d’autres droits sociaux (allocations logement,
R.M.I. (à la seule condition de justifier de trois ans de séjour régulier avec une carte
de séjour temporaire autorisant à travailler), allocation temporaire d’attente,
A.S.S.E.D.I.C., etc.).
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droits sociaux de l’étranger et en particulier dans celles de l’accès
aux soins. Le bénéfice de certaines prestations et donc l’offre de
santé aux étrangers, procèdent souvent de son statut administratif
(possession d’un titre de séjour, demandeurs d’asile (12), mineurs ou
majeurs sans titre de séjour, résidence habituelle, résidence stable,
résidence ininterrompue pendant plus de trois mois, etc.). Par
exemple, la couverture maladie universelle (C.M.U.) offre un accès
aux soins gratuits à l’étranger en situation régulière et l’aide médicale d’Etat (A.M.E.) permet, sous certaines conditions, aux étrangers sans titre de séjour une prise en charge gratuite de certains
soins. Toutefois, si les étrangers en situation irrégulière peuvent
accéder gratuitement aux soins, les réformes successives de l’A.M.E.
ont rendu plus difficile son bénéfice sous l’influence des politiques
migratoires et des économies budgétaires de santé publique.
A côté de l’accès aux soins, depuis 1998 un droit au séjour est
garanti à l’étranger qui souffre d’une grave pathologie, protection
qui lui permet de résider régulièrement sur le territoire français et
d’accéder aux soins plus facilement. L’étranger malade reçoit alors
un titre de séjour : une carte de séjour temporaire. Or, ce droit au
séjour connaît également des restrictions depuis quatre ans, et ce,
en raison d’un contrôle renforcé de ses conditions de délivrance. Le
«risque migratoire» plane au-dessus de cette procédure, poussant le
Gouvernement à l’encadrer strictement. Aujourd’hui, plus complexe
que jamais, cet «accueil sanitaire» semble se limiter à l’admission au
séjour des seuls cas humanitaires.
Dès lors, l’évolution du droit au séjour des étrangers malades et
celle de l’accès aux soins des étrangers en situation irrégulière illustrent combien le séjour et l’accès à la santé des étrangers sont traversés par les exigences toujours plus restrictives des contrôles
migratoires et celles de la lutte contre l’immigration clandestine.
Les conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire pour
raisons médicales (I) ou de l’aide médicale d’Etat (II) ont fait
l’objet de récents aménagements qui rendent plus précaire la mise
en œuvre concrète d’un véritable droit à la santé des étrangers
malades.
(12) Le demandeur d’asile peut également bénéficier de ce droit à partir du
moment où il dispose d’un document préfectoral valide (autorisation provisoire de
séjour), et ce, sans la condition de résidence de trois mois.
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I. – «L’accueil sanitaire» des étrangers malades
sous l’influence des politiques migratoires
La santé des étrangers est d’abord contrôlée à la frontière de
l’Etat, étape indispensable pour pouvoir pénétrer et séjourner sur le
territoire français (A). Puis, leur état de santé permet, dans des cas
strictement prévus par la loi, d’admettre au séjour des étrangers
pour motif médical. Cet accueil sanitaire s’est imposé peu à peu
dans le droit des étrangers (B). Un rapport de l’Inspection générale
des affaires sociales (I.G.A.S.) a publié fin 2006 les chiffres de
l’admission au séjour des étrangers malades : près de 6307 cartes de
séjour ont été délivrées en 2005 (sans compter les renouvellements).
Les étrangers malades admis au séjour sont de plus en plus nombreux. Face à cette augmentation, le gouvernement (Raffarin et de
Villepin) a cherché à rationaliser les conditions de délivrance de la
carte de séjour. Cette procédure est devenue complexe au fil des
modifications et l’accueil sanitaire est plus limité (C).
A. – Le «contrôle sanitaire» de l’étranger
à la frontière
Rappelons que la santé des étrangers a d’abord été abordée sous
l’angle général de la police sanitaire consistant à surveiller, voire
interdire, l’entrée des migrants porteurs de maladies contagieuses.
Ce «contrôle sanitaire» aux frontières était exercé par l’organisation
des migrations internationales (O.M.I.) et aujourd’hui par l’Agence
nationale de l’accueil des étrangers et des migrations
(A.N.A.E.M.) (13). Une visite médicale obligatoire (14) de tous les
étrangers (15) admis à séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois est effectuée par les médecins appartenant au
service de santé publique et d’assistance médicale de l’A.N.A.E.M.
En remplissant sa mission de prévention, l’A.N.A.E.M. donne
(13) Depuis la loi du 18 janvier 2005 l’A.N.A.E.M., établissement public administratif, réunit les moyens de l’O.M.I. et du Service social d’aide aux émigrants
(S.S.A.E.).
(14) Voy. le site http://www.anaem.social.fr/; la visite médicale couvre «un examen radiographique des poumons, une vérification du statut vaccinal, qui doit être
conforme à la législation et à la réglementation en vigueur en France, notamment
pour les enfants. Certaines personnes peuvent également bénéficier d’un dépistage du
diabète par mesure de la glycémie capillaire, ou d’une analyse d’urines si le médecin
suspecte certaines anomalies».
(15) Arrêté du 11 janvier 2006 relatif à la visite médicale des étrangers autorisés
à séjourner en France, J.O.R.F., n° 20, 24 janvier 2006, p. 1147.
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l’occasion aux nouveaux arrivants de récolter des informations sur
le système de soins français et permet de les guider vers une possible
prise en charge médicale à la suite de la détection d’une pathologie.
Les données médicales recueillies sont confidentielles et ne sont pas
utilisées par l’A.N.A.E.M. à des fins de contrôles administratifs ou
migratoires. Depuis peu, l’A.N.A.E.M. dispose dans certains pays
étrangers (16) de délégations; le «contrôle sanitaire» semble donc
«s’externaliser» dans ces antennes à l’image du contrôle à la frontière exercé par les autorités consulaires. Lorsqu’il n’existe pas de
délégations dans les pays d’origine des étrangers, la visite médicale
des étrangers désireux de s’installer a lieu en France. Dans des cas
rares, l’A.N.A.E.M. peut ne pas délivrer le certificat médical au ressortissant étranger. C’est le cas des personnes atteintes de pathologies mentionnées au titre V du règlement sanitaire international (17) (elles sont exclues dans ce cas du bénéfice du regroupement
familial) (18), atteintes de la tuberculose pulmonaire évolutive si la
personne refuse de se soigner ou ayant des troubles mentaux nécessitant des soins, mettant en danger d’autres personnes ou de nature
à compromettre l’ordre public si la personne examinée refuse de se
soigner.
Ensuite, le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit
d’asile (19) organise une admission spécifique lorsqu’un ressortissant
étranger gravement malade demande à venir se faire soigner en
France. Ainsi, selon l’article R. 212-4 du Code, si un étranger
atteste d’une cause médicale urgente (20) et désire se rendre en
France pour se faire soigner ou atteste d’une maladie grave d’un
proche présent (21) sur le sol français, il peut être admis au séjour
le temps des soins. Dans ce cas, la cause médicale urgente est notifiée sous pli confidentiel par le médecin traitant au médecin respon(16) Maroc, Tunisie, Turquie, Pologne.
(17) Le règlement sanitaire international a pour objet d’assurer le maximum de
protections contre la propagation des maladies au plan international (mesures prophylactiques).
(18) Article 5 de l’arrêté du 11 janvier 2006.
(19) En vigueur depuis le 1er mars 2005 (ordonnance n° 2004-1248 du 24 novembre
2004 relative à la partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et
du droit d’asile, J.O.R.F., n° 274, 25 novembre 2005, p. 19924).
(20) La cause médicale urgente est «un état de santé nécessitant une prise en charge
médicale rapide dont le défaut pourrait entraîner pour l’étranger des conséquences d’une
exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse bénéficier d’un traitement approprié
dans son pays de résidence».
(21) La maladie grave d’un proche est «une ou plusieurs pathologies pour lesquelles
le patient est hospitalisé en France et qui nécessitent la présence d’un proche à son
chevet».
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sable du centre médico-social auprès de l’ambassade de France dans
le pays où réside l’étranger ou, à défaut, à un médecin de ce pays
désigné à cet effet par les autorités diplomatiques ou consulaires
françaises. Le médecin destinataire du rapport médical communique
sans délai son avis motivé aux autorités diplomatiques ou consulaires qui décident de la suite à donner à la demande d’une dispense
d’attestation d’accueil pour raisons médicales. La santé du candidat
migrant malade est alors indubitablement examinée au prisme du
contrôle migratoire du contrôle consulaire. En effet, l’accès sur le
territoire français des étrangers désireux de se faire soigner est strictement encadré : l’inexistence d’équipements ou de structures médicales adaptées dans le pays d’origine est évaluée pour admettre
l’étranger malade. Mais encore, la prise en charge médicale ou les
ressources de l’étranger doivent être suffisantes. La rigueur dans
l’appréciation des motifs permet ainsi de limiter «le tourisme
sanitaire» ou le «séjour sanitaire», tant redoutés (22) par les pays
comme la France qui disposent d’un régime d’assurance maladie
protecteur.
B. – L’avènement d’un droit
au séjour des étrangers malades
Dans des cas limités, la pathologie dont souffre le ressortissant
étranger déjà présent sur le territoire peut lui permettre d’être protégé de l’éloignement (1) et d’obtenir des droits sur le plan du séjour
(2).
1. La naissance d’une protection contre l’éloignement des étrangers
malades
La protection «sanitaire» contre l’éloignement a d’abord été développée par le juge administratif lors de l’appréciation de la légalité des
mesures de reconduite à la frontière ou d’expulsion. En effet, c’est sur
la base de l’analyse de la situation personnelle de l’étranger, par la
(22) Une circulaire interministérielle du 10 septembre 1996 CP/D1/D2/DH/AF1/
AF2/96 n°555 (B.O. MTAS/MATVI n° 96/38) relative à la prise en charge des
patients étrangers demandait de limiter l’endettement des établissements de santé de
la France, et ce en examinant plus strictement la prise en charge des étrangers nonrésidents. Voy. aussi sur la prise en charge exceptionnelle des patients étrangers : circulaire interministérielle du 10 septembre 1998 relative à la prise en charge des
patients étrangers; circulaire DH/9 C n° 208 du 16 septembre 1987 du ministère des
Affaires sociales relative à l’hospitalisation des Algériens (non publiée); lettre ministérielle du 13 janvier 1986 du ministère des Affaires sociales relative à l’hospitalisation des ressortissants étrangers non résidents sur le territoire français (non publiée).
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recherche d’erreurs manifestes d’appréciation (23), que le juge administratif a censuré les mesures d’éloignement d’étrangers gravement
malades menacés de renvoi dans un pays dans lequel ils ne pouvaient
recevoir aucun traitement approprié. Le juge administratif a aussi
parfois utilisé le fondement de l’article 3 de la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales –
«Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements
inhumains ou dégradants» – pour trancher ce type de contentieux (24).
Puis, l’article 10 de la loi du 24 avril 1997 (25) (loi Debré) a légalisé
cette protection sanitaire contre l’éloignement et l’a insérée dans
l’article 25-8° de l’ordonnance de 1945 relative à l’entrée et au séjour
des étrangers. Depuis l’instauration du Code des étrangers, l’article L.
511-4, §10° (26) dispose que ne peut faire l’objet d’une obligation de
quitter le territoire français ou d’une mesure de reconduite à la frontière «l’étranger résidant habituellement en France dont l’état de santé
nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner
pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il
ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le
pays de renvoi». Rappelons que la loi du 11 mai 1998 a modifié le contenu de l’article 25-8°. Les termes «atteint d’une pathologie grave nécessitant un traitement médical» issus de la loi de 1997 ont été remplacés
en 1998 par ceux-ci : «dont l’état de santé nécessite une prise en charge
médicale». L’expression retenue par la loi 1998 offre un champ plus
large. La «pathologie grave» fait référence à des maladies graves et
connues alors que «l’état de santé nécessitant une prise en charge
médicale» englobe les états pathologiques mais aussi les opérations et
les blessures consécutives à des accidents.
(23) C.E., 28 septembre 1990, M. Ermiser; C.E., 22 mars 1991, Epmeski; C.E.,
14 octobre 1991, Soares-Samedo.
(24) T.A. Versailles, 26 septembre 1996, affaire B. B., req. nos 963227 et 963328,
Concl. M. Krulic, Rev. fr. dr. adm., 13 mars avril 1997, p. 315; A.J.D.A., n° 1, 1997,
p. 110; Affaire soumise à la Cour européenne des droits de l’homme, arrêt du 7 septembre 1998, B.B. c. France, req. n° 47/ 1998/ 950/ 1165. Dans cette affaire, le Tribunal administratif a censuré une décision de reconduite à la frontière pour violation
de l’article 3 de la Convention européenne en raison des risques que pouvait encourir
un étranger atteint du S.I.D.A. Voy. aussi T.A. Marseille, 15 octobre 1996, M. Benchaabane, req. nos 96-3733 et 96-3735.
(25) Loi n° 97-396 du 24 avril 1997 portant diverses dispositions relatives à l’immigration, J.O.R.F., n° 97, 25 avril 1997, p. 6268. Voy. la circulaire du 30 avril 1997
relative à l’application de la loi n° 97-396 du 24 avril 1997, INTD9700080, non
publiée.
(26) Issu de la loi nº 2006-911 du 24 juillet 2006, art. 50, 51, 55, J.O.R.F.,
25 juillet 2006 (ex article 26-I-5° et ex article 25-8° avant la loi du 26 novembre
2003).
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Cette protection sanitaire contre l’éloignement est quasi absolue (27) depuis la loi du 26 novembre 2003 (28) modifiant l’ordonnance de 1945. Désormais, les étrangers malades ne peuvent être
renvoyés que s’ils ont commis des actes très graves (terrorisme,
actes de provocation explicites et délibérés à la discrimination, à la
haine ou à la violence) (29).
Si cette protection sanitaire contre l’éloignement a été légalisée en
France en 1997, c’est aussi par «résonance» à la jurisprudence européenne (30). La Cour et la Commission (31) européenne des droits de
l’homme ont développé assez tôt un contentieux sur l’éloignement
des étrangers malades. Au début des années quatre-vingt-dix, le
juge européen a été confronté à des demandes d’étrangers atteints
de graves maladies qui, menacés d’expulsion, invoquaient l’article 3
de la Convention européenne pour ne pas être éloignés dans un pays
où ils risquaient de mourir rapidement en raison de l’absence de
soins prodigués dans ce pays de renvoi. C’est finalement en 1997
que la Cour européenne a pleinement consacré une «protection
sanitaire» de l’étranger atteint de pathologie lourde menacé de renvoi (32). Elle considéra ainsi que le renvoi d’un étranger en phase
terminale du S.I.D.A. dans un pays où il n’existait aucune structure
d’accueil pour ce type de pathologie était un traitement inhumain (33). A plusieurs reprises, la Cour a confirmé cette jurisprudence pour des pathologies diverses (34).
(27) Sauf si les motifs médicaux disparaissent ou qu’il existe un traitement adéquat dans le pays de renvoi.
(28) Loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration,
au séjour des étrangers en France et à la nationalité, J.O.R.F., 27 novembre 2003,
p. 20136.
(29) Loi n° 2004-735 du 26 juillet 2004 relative aux conditions permettant l’expulsion des personnes visées à l’article 26 de l’ordonnance de 1945, J.O.R.F., 28 juillet
2004, p. 13418.
(30) C. Cournil, Le statut interne de l’étranger et les normes supranationales, éd.
L’Harmattan, novembre 2005, pp. 517-549.
(31) Le 19 mai 1994, dans l’espèce Tanko c. Finlande, la Commission avait examiné la demande d’un étranger atteint d’un glaucome qui avait invoqué l’article 3
pour annuler son expulsion. La Commission n’a pas estimé que l’article 3 était violé.
(32) Cour eur. dr. h., arrêt du 2 mai 1997, D. c. R.U.; voy. aussi Cour eur. dr. h.,
arrêt du 6 juillet 2000, Tatete c. Suisse; Comm. eur. dr. h., décision du 11 janvier
1993, Belbachir c. Belgique, non publiée; Comm. eur. dr. h., décision du 19 mai 1994,
Tanko c. Finlande.
(33) Cour eur. dr. h., arrêt du 2 mai 1997, D. c. R.U., §53.
(34) Cour eur. dr. h., arrêt du 6 février 2001, Bensaïd c. R.U. (concernant un cas
de schizophrénie et un refus d’appliquer l’article 3); voy. aussi la décision de recevabilité de la Comm. eur. dr. h. du 9 mars 1998, B.B. c. France (concernant un
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Ces jurisprudences nationales et internationales consacrent les
prémices d’un véritable droit à la protection de la santé (35) de
l’étranger malade.
2. Un droit au séjour pour les étrangers malades
La protection sanitaire va aller plus loin que le «simple nonéloignement». La loi du 11 mai 1998 a offert plus qu’une «tolérance»
au séjour (non-éloignement) mais une réelle obligation en matière de
séjour avec la création d’une carte de séjour temporaire
(article 12bis, 11° de l’ordonnance de 1945) (36). Aujourd’hui l’article 12bis, 11° est devenu l’article L. 313-11 du Code de l’entrée et
du séjour des étrangers et du droit d’asile : «la carte de séjour temporaire portant la mention ‘vie privée et familiale’ est délivrée de plein
droit : [...] 11° à l’étranger résidant habituellement en France dont
l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut
pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire». Avant l’instauration de cette carte de séjour, les autorités administratives
délivraient discrétionnairement «des autorisations provisoires de
séjour pour raisons médicales» (37). Aujourd’hui, l’étranger gravement malade peut se voir octroyer une carte de séjour temporaire
d’un an renouvelable. Le droit au séjour des étrangers gravement
malades est ainsi consacré avec la possibilité, dans des cas limités,
de disposer d’un droit au travail mais surtout d’être affiliés à la
sécurité sociale et de bénéficier des prestations sociales.
Toutefois, si la consécration d’un tel droit a été d’un apport précieux en droit des étrangers, l’attribution de cette carte souffre en
pratique d’une mise en œuvre relativement complexe. Des encadrements et des nouveaux contrôles sont venus en limiter le bénéfice.
←
étranger atteint du virus du S.I.D.A. compliqué d’un syndrome de Kaposi); Cour
eur. dr. h., arrêt du 25 novembre 2001, Karagoz c. France (problème thyroïdien et
traitement hormonal); Cour eur. dr. h., arrêt du 17 janvier 2006, Aoulmi c. France
(le requérrant atteint d’une hépatite virale C chronique n’a pas démontré l’absence
de traitement adéquat en Algérie).
(35) Voy. K. Michelet, op. cit., pp. 394-397.
(36) Voy. circulaire du 5 mai 2000, relative à la délivrance du titre de séjour en
application de l’article 12bis, 11° de l’ordonnance de 1945, Répertoire min. Int., juin
2000.
(37) En décembre 1996, 1924 étrangers étaient titulaires d’une autorisation provisoire de séjour pour raison médicale, J.O.A.N., 13 décembre 1997, p. 7483.
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1027
C. – Un accueil sanitaire très restrictif
La rigueur de la procédure de l’accueil sanitaire traduit une
volonté des pouvoirs publics de délivrer sporadiquement les cartes
de séjour temporaire pour raisons médicales. Des conditions strictes
(1) ont été posées par des réformes successives; une appréciation
«technicienne» de l’état de santé et de la disponibilité des soins dans
le pays de renvoi (2) réduisent les chances de délivrance de la carte
de séjour pour raisons médicales.
1. Une procédure sous contrôle
Depuis 1998, il a été constaté une augmentation des bénéficiaires des cartes de séjours temporaires pour raisons médicales. En
mars 2006, le rapport Mariani sur l’évaluation de la loi du
26 novembre 2003 (38) estimait qu’il avait été délivré au total
16.164 cartes de séjour temporaire pour la seule année 2004 (premières demandes et demandes de renouvellements), ce qui représente 0,5% des 3.500.000 étrangers en France. Le rapport souligne
que l’on est passé de 1413 cartes délivrées en 1999 à un peu plus
de 6307 cartes pour 2005 (premières délivrances). Face à cette
augmentation jugée « suspicieuse » par les gouvernements Raffarin
et de Villepin, des « aménagements » sont venus rendre plus difficile
la délivrance de la carte de séjour temporaire aux étrangers gravement malades.
Dans un premier temps, très critiqué par le gouvernement Raffarin et son ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, l’article 12bis, 11°
a fait l’objet d’un premier aménagement avec de nouvelles
«consignes» posées par la circulaire du 7 mai 2003 (39). Celle-ci préconisait «une application stricte de la loi». L’objectif affiché de ce
rappel réglementaire était de lutter contre les «dérives» constatées.
En effet, pour le ministre de l’Intérieur, l’accueil sanitaire était
devenu une nouvelle brèche dans laquelle les étrangers en quête de
régularisation s’engouffraient. De même, dans son rapport 2006, le
député Mariani souligne que cette carte fait l’objet de stratégies «de
maintien sur le territoire, par l’utilisation de cette procédure en dernier ressort, une fois que toutes les autres possibilités ont été
(38) Rapport d’information de l’Assemblée nationale sur la mise en application de
la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au
séjour des étrangers en France et à la nationalité, de T. Mariani, 1er mars 2006, p. 57.
(39) La circulaire du 7 mai 2003 remplace la circulaire du 19 décembre 2002 et du
10 janvier 2003 relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France, NOR
INTD03000447C.
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1028
Rev. trim. dr. h. (72/2007)
utilisées» (40). A côté du droit d’asile et du droit au regroupement
familial, le droit au séjour des étrangers malades constitue en effet
une voie nouvelle, voire la voie ultime, pour résider légalement sur
le territoire français. Dès lors, certains étrangers sans-papiers, après
avoir épuisé les deux autres voies légales, se tourneraient vers celle
de l’accueil sanitaire. Aussi, le gouvernement a-t-il voulu envoyer
un signal clair en direction des préfectures et des médecins chargés
d’apprécier l’état de santé des étrangers : délivrer exceptionnellement l’accueil sanitaire pour éviter un engorgement de la procédure.
Cet aménagement restrictif témoigne des craintes des pouvoirs
publics face au risque migratoire ou «d’appel d’air» que peut constituer cette procédure. Les contrôles migratoires sont dès lors renforcés dans les procédures de délivrance de titre de séjour. Ainsi, si
l’affirmation d’un droit au séjour des étrangers malades a constitué
une véritable avancée en terme de droits et libertés des étrangers,
la mise en œuvre très encadrée de cet accueil sanitaire risque à
terme (41) de limiter manifestement la portée de cette garantie
pourtant cruciale. En ce sens l’étude du C.O.M.E.D.E. montre que
le taux d’accord proche de 100 % en 2002, a chuté autour de 63 %
en 2004, avant de remonter à 77 % en 2005. La hausse des refus a
pour conséquence de multiplier les recours devant le juge administratif. Ce qui a permis à ce dernier, au cours des récentes années,
d’élaborer une véritable jurisprudence sur l’appréciation des conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire pour étrangers
malades (voy. infra).
Dans un deuxième temps, avec la loi du 26 novembre 2003, c’est
le législateur qui est venu modifier le dispositif, en insérant un contrôle supplémentaire à l’article 12bis, 11°. Le médecin inspecteur de
santé publique a désormais la possibilité de convoquer l’étranger
pour une consultation médicale supplémentaire devant la commission médicale régionale (42). Cette contre-expertise crée ainsi la pos(40) Rapport Mariani, op. cit., p. 63.
(41) Le C.O.M.E.D.E. a constaté depuis 2003 une diminution significative des
taux d’accords dans certains départements alors même que les situations médicosociales n’ont pas changé; A. Veïsse, «Le médecin, la santé et le séjour des
étrangers», Revue plein droit, n° 69, juillet 2006, p. 33.
(42) R. 313-26 : «Le médecin inspecteur de santé publique mentionné au premier alinéa de l’article R. 313-22 ou, à Paris, le médecin, chef du service médical de la préfecture de police, peut convoquer devant la commission médicale régionale l’étranger
demandant que lui soit délivrée une carte de séjour temporaire en application des dispositions du 11º de l’article L. 313-11, ainsi que l’étranger mineur au titre duquel l’un
des parents sollicite la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour en application
→
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Christel Cournil
1029
sibilité de contester le premier avis rendu par le professionnel de
santé (médecin hospitalier ou médecin agréé). Ce filtre
«supplémentaire» montre l’immixtion des politiques migratoires restrictives (lutte contre les abus de procédures par les étrangers clandestins) dans le droit à la santé et au séjour des étrangers.
Dans un troisième temps, la dernière réforme du 24 juillet
2006 (43) a institué une énième condition restrictive à la procédure
de l’accueil sanitaire puisqu’elle crée la possibilité de ne délivrer une
autorisation provisoire de séjour qu’à un seul des deux parents du
mineur étranger malade (art. L. 311-12).
Outre ces trois durcissements, la délivrance de la carte de séjour
temporaire pour raisons médicales reste très encadrée. Ainsi, seul
l’étranger qui a résidé habituellement en France depuis un an peut
y prétendre. La résidence n’a pas à être régulière, mais habituelle, ce
qui a pour conséquence d’exclure les étrangers récemment arrivés
sur le territoire français et ceux en attente de domiciliation fixe.
Dans ce cas, ils ne reçoivent qu’une autorisation de séjour temporaire, c’est-à-dire une simple tolérance de séjour. Le préfet délivre
alors une autorisation provisoire de séjour, d’une durée de six
mois (44). Toutefois, cette autorisation étant l’expression de l’exercice discrétionnaire de l’administration, sa durée est fréquemment
réduite à trois mois. Cette différence de traitement basée sur la résidence habituelle n’est qu’un contrôle supplémentaire de la situation
administrative de l’étranger, contrôle qui a pour objet d’écarter une
←
des dispositions de l’article L. 311-12. La commission médicale régionale prend alors
connaissance du rapport médical mentionné au deuxième alinéa de l’article R. 313-22.
Elle peut demander tout complément d’information au médecin agréé ou au praticien
hospitalier ayant établi ce rapport. Elle entend l’étranger. Elle peut solliciter l’avis d’un
médecin spécialiste. Elle rend un avis sur l’état de santé de l’étranger et sur les traitements rendus nécessaires par cet état». Voy. aussi le Décret n° 2006-231 du 27 février
2006 relatif à la commission médicale régionale.
(43) Loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration,
J.O.R.F., n° 170 du 25 juillet 2006, p. 11047. Voy. sur les raisons de cette autorisation provisoire : B. Masson, Les mineurs étrangers en droit français et droit européen,
Thèse de droit public, (dact.), Université Paris XI, décembre 2006, pp. 567-570. Voy.
aussi les analyses sur la mise à mal du droit au séjour des étrangers malades : le Contre-Rapport déposé en application de l’objectif exprimé dans une déclaration commune en date du 28 janvier 2006 contre la réforme législative du C.E.S.E.D.A. par
les membres du collectif uni(e)s contre une immigration jetable sur immigration et
droit d’asile et présenté par lesdites organisations, 24 mars 2007, pp. 40-44.
(44) Article R. 313-22 du C.E.S.E.D.A. et voy. aussi la circulaire du 5 mai 2000
n° 2000-248 relative à la délivrance d’un titre de séjour en application de
l’article 12bis, 11°, NOR INTD0000103C, BO MES 2000/21, 22-28 mai 2000.
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Rev. trim. dr. h. (72/2007)
partie des étrangers malades d’un véritable droit au séjour. Si la
régularité de résidence avait été «dépassée» avec la mise en place de
la carte 12bis, 11°, lui a été substituée la condition de la résidence
habituelle. Ceci soulève des interrogations légitimes au regard du
droit élémentaire que constitue le droit au séjour pour l’étranger
malade.
De surcroît, les différentes circulaires d’application le rappellent
toutes fermement : l’accueil sanitaire n’a pas vocation à durer. Le
renouvellement de la carte de séjour a lieu tous les ans, et ce au
regard de l’évolution de l’état et de la prise en charge médicale de
l’étranger. Dès lors, ce renouvellement périodique permet de réévaluer régulièrement la situation administrative de l’étranger malade.
La procédure de délivrance reflète aussi l’ambiguïté qui existe
dans l’appréciation médico-sociale de l’état de santé de l’étranger et
son incidence dans une procédure administrative de délivrance d’un
titre de séjour. Ainsi, c’est le préfet (45) qui délivre la carte de
séjour temporaire au vu d’un avis (46) émis par le médecin inspecteur départemental de santé publique (47), ce dernier devant garantir le secret médical auprès des services de la Préfecture. L’avis est
émis à partir d’un rapport médical établi par un médecin agréé ou
un praticien hospitalier. C’est sur la base d’un triple niveau d’appréciation (médecin praticien-médecin agréé, M.I.S.P. et Préfet) que la
délivrance de la carte de séjour va être décidée. Ainsi, ce mécanisme
permet «aux médecins de répondre à la demande du malade dans la
limite des conditions médicales prévues par la loi, tout en préservant son indépendance vis-à-vis des pressions émanant des deux
parties, soutien à l’étranger et service de préfecture» (48).
Par ailleurs, la rédaction du rapport médical obéit à un strict formalisme renforcé par un projet de circulaire de novembre 2006 (49)
(45) Le Préfet se doit de recueillir l’avis du médecin inspecteur de santé publique
avant de se prononcer sur la mesure de reconduite à la frontière, C.A.A. Lyon
6ème chambre 24 octobre 2006, Diakhaby, n° 06LY00295, Rev. fr. dr. adm., janvierfévrier, 2007, pp. 168-169.
(46) Cet avis est obligatoire sous peine d’entacher d’irrégularité la procédure :
C.E., 28 avril 2006, Préfet de police c. M. Ahmad Zahim, req. n° 264042, A.J.D.A.,
2006, p. 1351.
(47) Voy. l’article R. 313-22 du code des étrangers. A Paris, c’est le médecin chef
du service médical de la préfecture de police qui émet l’avis.
(48) A. Veïsse, op. cit., p. 32.
(49) Projet de circulaire relative à la délivrance d’un titre de séjour, en application
de l’article L. 313-11, 11° du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit
d’asile, document de travail, document non publié.
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Christel Cournil
1031
qui exige la notification du diagnostic des pathologies, du traitement suivi, de sa durée prévisible et des perspectives d’évolution (50). C’est à partir de ces différents points que le M.I.S.P. doit
se prononcer. Or, c’est suite aux divergences des appréciations des
M.I.S.P. dans les différents départements que ce projet de circulaire
a pour objet de préciser les questions essentielles auxquelles doivent
répondre les M.I.S.P. pour rendre un avis positif à la délivrance du
titre de séjour. Le rapport doit établir «si l’état de santé de l’étranger nécessite ou non une prise en charge médicale; si le défaut de
cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d’une
exceptionnelle gravité et puis si l’intéressé peut effectivement ou
non bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine et
enfin la durée prévisible des soins» (51). Le projet de circulaire
avance ici un «raisonnement en chaîne», une argumentation que les
M.I.S.P. doivent suivre pour minorer les écarts d’appréciation. Ces
précisions permettent surtout au M.I.S.P. de se conformer aux exigences de la jurisprudence administrative. Il est vrai, que depuis
quelques années, le juge administratif a eu l’occasion de rappeler
fermement ses attentes en matière d’appréciation et de respect de
la procédure de la délivrance de la carte de séjour temporaire pour
les étrangers malades. En définitive, à l’instar du directeur de la
C.O.M.E.D.E., force est de constater que les médecins praticiens
comme les M.I.S.P. doivent souvent «s’appuyer au-delà des considérations médico-sociales disponibles, sur des repères éthiques et
juridiques permettant d’élaborer les réponses adéquates» (52). Rappelons toutefois, que le Préfet décide seul à partir de l’avis rendu
par le M.I.S.P., il n’est donc pas lié par l’avis du M.I.S.P. Le juge
administratif s’est d’ailleurs montré particulièrement efficace (53)
dans l’analyse de l’appréciation et de la motivation propres du Préfet. Or cette liberté d’appréciation préfectorale, sorte de dernier
mot, soulève une interrogation : pourquoi le Préfet serait-il plus
compétent que les professionnels de santé pour apprécier la situation médicale d’un étranger malade et ainsi s’affranchir de l’avis du
M.I.S.P. et du rapport du médecin hospitalier ou agréé? Le Préfet
apparaît dans cette procédure comme l’ultime contrôleur du «risque
migratoire» et par la même l’ultime «acteur» du contrôle des éventuels détournements de procédure.
(50) Voy. point 22. du projet de circulaire.
(51) Pour une illustration de ce raisonnement devant le juge administratif : C.E.,
20 mai 2005 Daouda X., req. n° 271654.
(52) A. Veïsse, op. cit., p. 32.
(53) C.E., 21 octobre 2005, Préfet de la Seine et Marne, req. n° 274904.
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Rev. trim. dr. h. (72/2007)
2. Une appréciation technicienne de la gravité de l’interruption de
la prise en charge médicale et de la disponibilité du traitement adéquate dans le pays de renvoi
Le premier point qui doit être évalué est l’état de santé, la nécessité de sa prise en charge médicale et la gravité de son interruption (54). La jurisprudence administrative est venue préciser les
contours de cette appréciation singulière. Ainsi, par exemple, une
affection cardiaque sans plus d’indication sur sa dangerosité ne suffit pas : la gravité (55) de la pathologie nécessitant une prise en
charge doit être explicitement démontrée. Puis, une réelle prise en
charge médicale doit être recherchée; ceci pose parfois des difficultés de définition de la prise en charge médicale, comme en témoigne
sur ce point la jurisprudence administrative sur l’hormonothérapie
féminisante d’un étranger transsexuel (56). C’est ensuite la gravité
de l’interruption du traitement qui doit être évaluée. Le cas de
l’interruption d’une opération de transplantation rénale en raison
d’une insuffisance rénale chronique (57) a été considéré comme particulièrement grave. En revanche, le juge n’a pas retenu la gravité
de l’interruption d’une opération de pose de prothèse de la hanche
à un étranger atteint d’une coxarthrose (58). L’appréciation de la
complexité du diagnostic et de l’importance de sa prise en charge
relève d’un véritable travail d’expertise.
Après la gravité de l’interruption de la prise en charge médicale, il
convient d’apprécier si l’étranger peut ou non effectivement (59) béné(54) C.E., 17 février 1999, Préfet de l’Essonne c. M. Samba Pene, req. n° 200096.
Voy. aussi notre note sous l’arrêt du C.E., du 14 février 2007, M. Abdelnacer H., req.
n° 281220, mentionné aux Tables du Recueil, A.J.D.A., 11 juin 2007, pp. 1135-1139.
(55) C.E., 15 décembre 2004, Préfet de police c. Mme Maria Guiri, req. n° 257171
(absence de gravité d’une insuffisance rénale et traitement approprié dans le pays
d’origine). C.E., 27 janvier 2006, Préfet des Hauts de Seine c. Nzolamesco Nsiala A.,
req. n° 274497 (diabète insulino-dépendant et dégradation de l’état de santé après
l’avis du M.I.S.P.).
(56) C. Cournil, «A quelles conditions un étranger suivant une hormonothérapie
féminisante peut-il être protégé contre une mesure de reconduite à la frontière»,
R.D.S.S., n° 4, 2004, pp. 872-884; C.E., 3 mai 2004, M. Kamal X., req. n° 252621,
publié aux Tables du Recueil Lebon.
(57) C.E., 30 avril 2004, Préfet de police c. Aich, req. n° 252135, mentionné aux
Tables du Recueil Lebon.
(58) C.E., 28 avril 2000, Mboume, req. n° 211323; publié aux Tables du Recueil
Lebon (l’arthrose de la hanche).
(59) C.E., 20 décembre 2000, M. Rahimi, req. n° 220458 ou C.E., 28 juillet 2000,
Préfet des Hauts de Seine c. M. Ben Hachen, req. n° 205999; C.A.A. Douai, 28 février
2002, Mme Fanta c. Préfet de la Seine Maritime, n° 01DA00015. Le mot
«effectivement» a été repris dans le projet de circulaire de novembre 2006.
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Christel Cournil
1033
ficier du traitement approprié dans le pays d’origine. Le juge administratif censure clairement les refus de séjour si le pays de renvoi ne dispose pas d’offres de soins suffisantes au regard de la pathologie de
l’étranger (60). Le juge va jusqu’à «re-qualifier» (61) l’avis rendu par le
M.I.S.P., en réinterprétant la disponibilité des soins. Il exige une analyse poussée du traitement approprié et ne se contente pas d’une simple possibilité de médicaments mais de la disponibilité de ces derniers
dans le pays de renvoi. Il effectue une véritable analyse in concreto.
Cependant, une fois la disponibilité du traitement dans le pays de renvoi établie, reste posé le problème de son accessibilité (financière, géographique, etc.), question déterminante dans les pays en voie de développement. Or, le juge administratif estime que «la circonstance que la
situation financière de l’étranger malade serait difficile n’est pas à elle
seule de nature à entacher d’illégalité la mesure d’éloignement» (62).
L’analyse du traitement approprié doit donc se porter surtout sur
l’aspect sanitaire et non sur un volet socio-économique (63).
(60) «[…] La maladie de Basedow dont est atteint M. X. nécessite un traitement
dont l’absence aurait pour l’intéressé des conséquences d’une exceptionnelle gravité,
alors qu’il n’est pas établi que le médicament efficace, le néo-mercazole, soit disponible en Algérie; que si le Préfet du Rhône fait valoir en appel qu’en l’absence de
néo-mercazole, il serait possible d’y substituer le basedène, il n’est pas démontré que
ce médicament, à le supposer adapté à l’état du patient, serait plus facilement disponible en l’absence d’indications claires sur la situation sanitaire dans ce pays; que
plusieurs certificats médicaux ainsi que d’autres documents versés au dossier contredisent l’avis du médecin inspecteur du département du Rhône et font état du fait
que M. X. ne peut avoir accès dans son pays d’origine à un traitement approprié,
alors que la pathologie thyroïdienne dont ce dernier est atteint tend à s’aggraver et
que sa prise en charge devient plus difficile dans son pays», C.A.A. de Lyon, 21 juin
2005, Préfet du Rhône, req. n° 04LY00305.
(61) C.E., 7 décembre 2005, Mimose A. c. Préfet de police, req. n° 275193. Le juge
contredit le raisonnement du médecin chef de la préfecture de police et octroie la
délivrance du séjour.
(62) C.E., 14 décembre 2005, M. Smaïl B, req. n° 275214; C.E., 7 juillet 2004,
Toumi, req. n° 261709. L’arrêt de la C.A.A de Paris du 15 décembre 2006, Préfet de
Police c. Okba Ben Belcacem Jabnoun semble (sous réserve de sa confirmation) amorcer une évolution sur l’accès économique aux soins et le caractère opérant de l’accessibilité financière aux soins, J.C.P. administration et collectivités territoriales, n° 13,
26 mars 2007, pp. 24-25.
(63) Cependant, les juges du 1er ressort semblent retenir davantage des éléments
socio-économiques : voy. deux décisions récentes : T.A. Orléans, 7 novembre 2006,
Graoua, req. n° 0503266 (absence de mise sur le marché d’un traitement de substitution pour un ancien toxicomane, qui risquait de se trouver isolé dans son pays
d’origine); T.A. Orléans, 7 novembre 2006, Kola Mbembe, req. n° 0600176 (personne
aveugle dont la qualité de travailleur handicapé avait été reconnue, le refus de séjour
le privait de suivre un stage de formation pour améliorer son autonomie de vie quotidienne et professionnelle), in Dictionnaire permanent des étrangers, janvier 2007,
p. 6353.
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Rev. trim. dr. h. (72/2007)
En somme, on entre dans une appréciation plus que subtile (64)
du traitement approprié, appréciation que l’on pourrait retracer
dans un arbre de décision tant elle est devenue complexe. Par exemple, le médecin doit évaluer si l’état de santé de l’étranger lui permet de voyager sans risque vers son pays de renvoi car les conditions et la durée du voyage peuvent être contre-indiquées au regard
de la pathologie ou du traitement médical. La disponibilité des
médicaments, l’état des structures de soins et des équipements, la
compétence du personnel soignant, le coût des traitements par rapport au niveau de vie (65), la distance entre le domicile et l’hôpital,
la capacité réelle d’accès aux soins sont autant d’indices qui peuvent permettre au M.I.S.P. de conclure à la disponibilité du traitement idoine. Ces nombreux indices exigent que les M.I.S.P. soient
capables de connaître les offres des systèmes de soins dans de nombreux pays. Or, tout en procédant au cas par cas (66) puisque la
situation sanitaire varie d’un pays à un autre (67) et d’une espèce
à l’autre, les M.I.S.P. doivent réaliser des analyses techniciennes et
documentées qui semblent dépasser largement leurs compétences (68). Aussi, le projet de circulaire de novembre 2006 veut-il harmoniser et rationaliser au mieux ces appréciations médicales dans
(64) Voy. sur ce point l’avis d’un praticien H. Combe, «Géopolitique du certificat
médical», Maux d’exil, septembre 2005, pp. 3-4.
(65) En revanche, le seul caractère onéreux du traitement ne suffit pas à établir
que les soins ne pouvaient pas être effectivement dispensés : C.E., 30 juillet 2003,
Tarcius, req. n° 251769.
(66) Il a estimé par exemple que le traitement n’était pas approprié dans le pays
de renvoi parce que les antibiotiques que devait prendre un étranger n’étaient pas
tous disponibles sur le marché international (C.E., 5 mai 2003, M. Mohammed X.,
req. n° 251135); délivrance de la carte de séjour pour raison médicale à une ressortissante étrangère qui présentait une affection psychiatrique grave nécessitant une
prise en charge de longue durée (elle devait être suivie au Centre Primo Levi ou dans
un centre ethno-psychiatrique) qu’elle ne pouvait trouver dans le pays dont elle était
originaire : C.A.A. Douai, 28 février 2002, Mme Fanta Tall, n° 01DA00012. Pour
d’autres exemples de traitement dans le pays d’origine : C.E., 27 juin 2003,
Mme Fadma X., req. n° 251022; C.E., 30 novembre 1999, N’ Satou, req. n° 200065
(sur le diabète au Congo); T.A. Rennes, 18 mars 2002, Lukas Bajger, req. n° 02-719,
(la méthadone, traitement approprié utilisé en Pologne); C.E., 15 avril 2005, Said,
req. n° 265795 (hépatite C évolutive).
(67) C.E., 30 novembre 1999, N’ Satou, req. n° 200065 (sur le diabète insulinodépendant et le Congo); sur un traitement contre la stérilité, C.E., 21 février 2000,
Mme Jelassi, req. n° 202205; C.E., 30 juillet 2003, Préfet d’Ille-et-Vilaine, req.
n° 245441 : pas d’éléments dans le dossier montrant qu’il ne pouvait pas bénéficier
d’un traitement de substitution aux produits de stupéfiants en Pologne.
(68) A ce propos, le projet de circulaire précise que le gouvernement souhaite organiser une formation interrégionale courant 2007, destinée aux M.I.S.P. et aux agents
des bureaux des étrangers des préfectures pour expliciter la procédure.
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Christel Cournil
1035
les pays de renvoi. À partir d’une étude réalisée auprès des ambassades sur les offres de soins des 26 principaux pays dont sont issus
les étrangers malades, le projet de circulaire souhaite renseigner (69)
plus précisément les autorités compétentes sur la disponibilité des
offres de soins et différents traitements en fonction des pathologies.
Le projet propose un classement des pays selon leur situation sanitaire. Ainsi, à l’image de la liste de «pays sûrs» – qui aide
l’O.F.P.R.A. à déterminer les demandes d’asile irrecevables – une
liste de «pays de soins sûrs» pourrait être établie si le projet de circulaire est adopté en l’état. On retrouve trois catégories : une première catégorie de six pays (70) dans lesquels le système de soins est
satisfaisant et dont les traitements sont disponibles pour toutes les
pathologies en dehors des médications pour le S.I.D.A. et la tuberculose et une catégorie de sept pays (71) dans lesquels les soins semblent majoritairement disponibles; pour ces deux catégories, le
M.I.S.P. devrait motiver spécifiquement son avis médical concluant
à la délivrance d’un titre de séjour. Pour la troisième catégorie de
treize pays où une offre de soins appropriée est disponible uniquement pour quelques pathologies, l’appréciation du M.I.S.P. n’aura
pas à redoubler de motivation. Si cette circulaire est adoptée, c’est
une sorte de système de présomption simple d’offres de soins qui se
mettra en place. En avril 2007, le projet de circulaire a été abandonné pour l’instant, puisque le gouvernement a opté pour la mise
en place de fiches d’informations (72) sur les offres de soins des pays
d’origine des étrangers malades. Ces «fiches pays» seraient disponibles sur le site Intranet du ministère de la Santé et de l’Intérieur à
l’attention des autorités compétentes.
En définitive, l’ensemble de cette procédure montre que si le droit
au séjour pour l’étranger malade est légalisé et reconnu, il ne reste
qu’un droit d’exception réservé à des cas «humanitaires». La carte
de séjour pour étranger malade est loin d’être une «ouverture»
offerte aux étrangers pour résider légalement sur le territoire. Au
contraire, l’accueil sanitaire n’apparaît, en pratique, que comme
une possibilité de régularisation exceptionnelle sur motif médical.
L’instauration de ce dispositif complexe en témoigne. On ne peut
(69) Le projet de circulaire parle de la mise en place d’un site Internet pour les
préfectures et les M.I.S.P. ayant vocation à les informer sur la situation médicale des
pays de renvoi.
(70) Maroc, Tunisie, Roumanie, Colombie, Russie, Philippines.
(71) Algérie, Sénégal, Géorgie, Arménie, Egypte, Chine, Pakistan.
(72) Le contenu de ces «fiches-pays» est vivement contesté par les associations
http://www.medecinsdumonde.org/
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1036
Rev. trim. dr. h. (72/2007)
que reconnaître que les récentes modifications de l’accueil sanitaire
et l’appréciation technicienne de l’état de santé de l’étranger
malade neutralisent la portée de son droit au séjour. De plus, la
réforme du 24 juillet 2006 modifiant largement le contentieux de
l’éloignement risque d’amener d’autres difficultés de l’étranger
malade. En effet, les recours contre les obligations de quitter le territoire français après un refus de titre de séjour obéissent désormais
à une procédure diligente. Dorénavant, les étrangers malades qui
intentent un recours contre ces décisions n’auront en pratique qu’un
mois pour rédiger leur requête (73). L’étranger malade devra nécessairement saisir le juge administratif pendant ce bref délai car
aucun recours, ni gracieux ni hiérarchique, ne pourra le proroger (74). Passé le délai d’un mois, l’administration peut exécuter par
la force l’ordre de quitter le territoire et donc l’étranger malade
peut se voir placé en rétention. Cette réforme rendra certainement
plus difficile les recours des étrangers malades (75).
Le ressortissant étranger ayant un titre de séjour (sur motif médical ou non) peut accéder au système français de santé et ce gratuitement – s’il remplit les conditions de ressources (76) – en obtenant
la «couverture maladie universelle». L’étranger sans papier peut
bénéficier de soins gratuits malgré son irrégularité au plan du
séjour. Toutefois, cet accès a été récemment rendu plus difficile par
les réformes de l’aide médicale d’Etat.
(73) Décret nº 2006-1708 du 23 décembre 2006, publiée au J.O.R.F. le 29 décembre 2006, en vigueur le 30 décembre 2006.
(74) Seul le recours contentieux formé dans le délai d’un mois permet d’empêcher
l’exécution de la mesure d’éloignement jusqu’à ce que le tribunal se soit prononcé.
Voy. sur les détails de la procédure l’étude du G.I.S.T.I., A.D.D.E., Cimade,
F.A.S.T.I., L.D.H., M.R.A.P., Que faire après une O.Q.T.F.?, janvier 2007, 32 p.
(75) Notons que la procédure française du référé (L. 521-2 du Code de justice
administrative) a fait l’objet d’une condamnation de la Cour européenne (Cour eur.
dr. h., arrêt du 26 avril 2007, Gebremedhin c. France, req. n° 25389/05). La Cour a
souligné l’absence de recours «de plein droit» suspensif dans la procédure du référéliberté organisée en zone d’attente. «Le requérant n’a pas disposé d’un «recours
effectif» pour faire valoir son grief tiré de l’article 3 de la Convention. Il y a donc
eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec cette disposition». Une
réforme du référé devra certainement être engagée (art. 6, 7, 8 du nouveau projet de
loi «Hortefeux», juillet 2007).
(76) Plafond de la complémentaire C.M.U., soit 598,23 A dans l’hexagone, 662,84 A
dans les DOM.
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1037
II. – La limitation d’accès aux soins des étrangers
en situation irrégulière sous influence
des politiques migratoires
Depuis le 1er janvier 2000, les étrangers qui ne peuvent pas
prétendre à la couverture maladie universelle (77), majoritairement les étrangers en situation irrégulière, accèdent aux soins et
donc au système de santé français par le biais de l’aide médicale
d’Etat (A.M.E.). Concrètement l’A.M.E. permet le remboursement des consultations et examens médicaux (hospitaliers ou
médecine de ville), des soins d’odontologie, infirmiers, et hospitaliers (78). Les bénéficiaires de l’A.M.E. n’ont pas en pratique à
faire l’avance de ces frais. Ce système est financé par l’Etat (79),
au nom de la solidarité nationale (80). Cette offre gratuite souffre
de certaines limites qui ont été insérées par les récentes réformes.
Le dispositif de l’A.M.E. a subi d’importants changements qui
ont précarisé l’accès aux soins des étrangers en situation irrégulière (A). Cette tendance à encadrer plus strictement les aides de
soins d’urgence aux étrangers irréguliers touche les autres pays
membres de l’Union européenne tout aussi affectés par la vague
des politiques restrictives des contrôles migratoires (B).
A. – Les vicissitudes du dispositif
de l’aide médicale d’Etat
Les politiques migratoires et les contraintes budgétaires rendent
plus sélectif le dispositif de l’aide médicale d’Etat limitant ainsi
leurs bénéficiaires (1). Le juge administratif n’a pas manqué de relever une restriction à l’accès aux soins des mineurs étrangers en la
jugeant non conventionnelle (2).
(77) Instaurée depuis le 1er janvier 2000 par la loi du 27 juillet 1999 n° 99-641 portant création d’une couverture maladie universelle.
(78) A l’exception des lunettes, prothèses et appareils médicaux.
(79) Avant la réforme de 1999, l’aide médicale était financée par les départements.
(80) Pour 2006, le financement de l’A.M.E. s’élève à un peu plus de 230 millions
d’A, in Les documents de travail du Sénat, série Légalisation comparée, L’accès des
étrangers en situation irrégulière au système de santé, n° L.C. 160, mars 2006, p. 6.
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Rev. trim. dr. h. (72/2007)
1. Un dispositif plus sélectif
Depuis sa création (81) à la fin du 19ème siècle, l’aide médicale
a vocation à assister les personnes les plus démunies (82). Elle est
aujourd’hui définie à l’article L. 251-1 du Code de l’action sociale
et des familles. L’aide médicale a été affectée par les restrictions
posées par les politiques migratoires et les exigences économiques.
Avant la réforme de 1999, l’A.M.E. prenait en charge les soins
des personnes non couvertes par le régime d’assurance maladie
parmi lesquelles les ressortissants étrangers sans ressource.
Depuis l’entrée en vigueur de la C.M.U. le 1er janvier 2000, le
système de l’A.M.E. a été largement transformé réduisant considérablement le nombre de bénéficiaires. En effet, les étrangers
sans ressource justifiant d’une résidence stable et régulière (83) de
plus trois mois relèvent aujourd’hui de la C.M.U. (84). Cet accès
gratuit aux soins constitue pour eux la consécration d’un droit
à la santé effectif. En revanche, les étrangers qui ne justifient
pas de la régularité du séjour (absence de titre de séjour, absence
de domicile, étranger venant d’arriver) sont exclus de la C.M.U.
Cette réforme a donc institué une différence de traitement dans
l’accès aux soins entre les ressortissants étrangers, différence justifiée par leur situation administrative. La brèche faite à la logique universelle de la C.M.U. a été justifiée par le « fantasme de
(81) La loi du 15 juillet 1893 crée l’assistance médicale gratuite (Bulletin des lois,
1893, n° 1583, p. 841). En vertu de l’article 1er, «[…] les étrangers malades, privés de
ressources seront assimilés aux Français toutes les fois que le Gouvernement aura passé
un traité d’assistance réciproque avec leur nation d’origine […]».
(82) A sa création, elle excluait toutefois les étrangers ne bénéficiant pas d’un
accord de réciprocité, ibid., Voy. Éveillé, L’assistance des étrangers en France, thèse,
Jouve et Boyer, 1899, cité par A. Toullier, «Aide médicale d’Etat : les sociaux fondamentaux bafoué», Droit social, novembre 2005, p. 1013. Voy. aussi sur cette question A. Devers, «La protection de la santé de l’étranger en situation irrégulière»,
R.D.S.S., 2001, pp. 241-262. M. d’Orloff-Khatimi, La protection sociale des étrangers en France, Quel droit à la santé pour les étrangers en situation irrégulière, Thèse
de Droit, Université d’Aix-Marseille, 2000, pp. 257 et s.
(83) Le Code de la sécurité sociale a prévu des exceptions à la condition de résidence stable et régulière dans l’article L. 380-3 : les membres du personnel diplomatique et consulaire en poste en France, les fonctionnaires d’un Etat étranger et personnes assimilées, ainsi que les membres de leur famille qui les accompagnent; les
personnes qui sont venues en France pour suivre un traitement médical ou une cure,
etc.
(84) Ils ont droit à l’assurance maladie (C.M.U. de base) et un droit, sous condition de ressources, à une couverture complémentaire gratuite avec dispense d’avance
de frais (C.M.U. complémentaire).
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Christel Cournil
1039
l’appel d’air » (85). Seuls les mineurs étrangers (isolés ou ayant
droit d’un étranger sans papier) ont, pour un temps, échappé à
l’A.M.E. en restant jusqu’à la loi de finances rectificative pour
2002 sous le régime de la C.M.U.
Après cette réforme de 1999, motivés par des contraintes budgétaires de dépenses de santé et le durcissement de la politique migratoire, les pouvoirs publics ont encadré strictement les conditions
d’accès à l’A.M.E. jugée trop généreuses (86). Le dispositif de
l’A.M.E. connaît alors des modifications substantielles. Une première «incision» a été réalisée avec l’article 57 de la loi de finances
rectificative pour 2002 (87) qui instaure un ticket modérateur (88) à
la charge du bénéficiaire de l’A.M.E. et supprime l’accès «privilégié»
à la C.M.U. des enfants mineurs isolés ou à la charge de sanspapiers. Cette réforme a davantage précarisé des populations déjà
vulnérables par leur absence de titre de séjour. De même, en sortant
les mineurs étrangers de la C.M.U., la loi met fin au principe de
l’égalité de traitement entre les mineurs français et étrangers.
En 2003, c’est au tour de la loi de finances rectificative pour
2003 (89) de réformer l’A.M.E. Deux mesures réduisent concrètement l’accès à l’A.M.E. : une condition d’ancienneté de la résidence
en France est insérée dans le dispositif de délivrance et l’admission
(85) Voy. sur ce point D. Maille, A. Toullier, P. Volovitch, «L’aide médicale
d’Etat : comment un droit se vide de son sens faute d’être réellement universel»,
R.D.S.S., juillet-août, 2005, pp. 542-554.
(86) Certains soulignent que le dispositif coûte cher en raison des abus (contournements du dispositif par des «séjours sanitaires» d’étrangers malades, par l’utilisation de l’A.M.E. par des étrangers sans difficulté financière et autres fraudes au système). Un rapport de l’I.G.A.S. évalue le coût de chaque bénéficiaire de l’A.M.E. en
2002 est estimé à 3200 A par an avec des disparités notables selon les régions (coût
moyen de 8000 A dans la région parisienne). En mai 2007, un nouveau rapport de
l’I.G.A.S. montre au contraire que l’A.M.E. est «loin de constituer une source d’abus
majeure, [et] répond à un véritable objectif de santé publique» in «L’Etat est redevable d’une dette d’un milliard d’euros au titre de l’A.M.E.», Le Monde, 2 mai 2007.
Le nombre de ses bénéficiaires a atteint 192.000 en 2006 malgré les durcissements du
dispositif. I.G.A.S., Rapport sur la gestion de l’Aide médicale d’Etat, Mission d’audit
de modernisation, n° 2006-M-085-02 et RM2007-026P, mai 2007, 183 p.
(87) Loi de finances rectificative pour 2002, n° 2002-1576 du 30 décembre 2002,
J.O.R.F., n° 304 du 31 décembre 2002 p. 22070. Cette loi a toutefois mis fin à l’exigence (contestable) de la durée minimum de trois ans pour accéder aux soins de ville
pour les étrangers dépourvus de titre de séjour.
(88) Toutefois, le ticket modérateur n’a pas été mis en application, le décret
d’application n’est pas paru en raison des vives oppositions des associations de défenses des étrangers et des professionnels de la santé.
(89) Loi de finances rectificative pour 2003, n° 2003-1312 du 30 décembre 2003,
J.O.R.F., n° 302 du 31 décembre 2003, p. 22594.
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Rev. trim. dr. h. (72/2007)
immédiate ou accélérée des étrangers en situation irrégulière qui ont
rapidement besoin de soins alors qu’ils n’ont pas déposé leur
demande d’A.M.E. (90) est supprimée. En effet, d’une part,
l’article 97 de la loi subordonne le bénéfice de l’A.M.E. à une condition de résidence ininterrompue d’au moins trois mois en France.
Deux décrets d’application du 28 juillet 2005 mettront fin au système déclaratif de la preuve de la résidence sur le territoire; les
étrangers devant désormais produire un ensemble de pièces justifiant leur présence ininterrompue, ce qui s’avère parfois très complexe (91). D’autre part, l’article 97 n’organise pour les étrangers
irréguliers non bénéficiaires de l’A.M.E. – faute de résidence ininterrompue pendant trois mois – qu’une prise en charge des seuls soins
urgents (92) «dont l’absence mettrait en jeu le pronostic vital ou pourrait conduire à une altération grave et durable de l’état de santé de la
personne ou d’un enfant à naître et qui sont dispensés par les établissements de santé» (93). Certains étrangers irréguliers sont donc
exclus de l’A.M.E. et ne bénéficient que des seuls soins urgents
vitaux prodigués à l’hôpital. Cette réforme marginalise et aggrave
la situation des étrangers en situation irrégulière sans résidence
habituelle de moins de trois mois, population déjà fragilisée.
En définitive, on a abouti à un triple niveau d’accès aux soins
avec des «packs» de prestations différentes pour trois catégories
d’étrangers (étrangers réguliers-C.M.U.; étrangers irréguliers prouvant leur résidence ininterrompue de plus de trois mois-A.M.E.;
étrangers irréguliers ne prouvant pas de résidence ininterrompue de
plus de trois mois – accès aux seuls soins urgents et vitaux). Ces
réformes ont complexifié l’accès aux soins des étrangers en établissant une hiérarchie saugrenue justifiée par la régularité ou la résidence de l’étranger. On peut alors affirmer que cette situation va à
l’encontre d’une véritable politique de santé ayant pour objet
d’assister toutes les personnes démunies présentes sur le territoire.
(90) A la place, la loi prévoit un dispositif de prise en charge financière après les
soins hospitaliers et seulement si l’état de santé met en danger le pronostic vital.
(91) Voy. sur ce point les analyses de D. Maille, A. Toullier, P. Volovitch, op.
cit., pp. 548 et s. Ils soulignent déjà la difficulté pratique pour établir la régularité
de résidence (multiplicité de définition et de titres de séjour) ou encore pour prouver
la résidence ininterrompue de plus de trois mois. Les deux décrets ont mis fin aux
déclarations sur l’honneur à l’exception de celle portant sur la condition de ressources.
(92) Les soins urgents sont destinés à éviter la propagation d’une pathologie à
l’entourage ou à la collectivité (pathologies infectieuses transmissibles telles que la
tuberculose ou le sida) (circulaire DHOS/DSS/DGAS n° 141 du 16 mars 2005).
(93) Art. L. 254-1 du Code de l’action sociale et des familles.
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1041
La loi de finances rectificative pour 2003 a fait l’objet d’une saisine devant le Conseil constitutionnel, les requérants estimant que
la résidence ininterrompue de trois mois et la seule prise en charge
des soins urgents portaient atteinte au principe d’égalité et aux exigences du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de
1946 (94). Mais le Conseil constitutionnel n’a pas censuré ce nouveau dispositif (95), il n’a relevé aucune contrariété à ces principes
constitutionnels. Pourtant, cette réforme a des répercussions concrètes sur les étrangers en situation irrégulière ne pouvant justifier
trois mois de résidence ininterrompu : ils n’ont, «de fait, pas accès
au dispositif de médecine générale, sauf à acquitter eux-mêmes le
coût des consultations; ils sont renvoyés dans les hôpitaux, déjà
surchargés, même pour des soins qui ne nécessitent pas de plateau
technique hospitalier, ou sont admis en urgence pour des pathologies sévères qui n’ont pas été soignées à temps. Ils sont également
confrontés à un durcissement des pratiques administratives pour la
constitution de leur dossier. Pour certains, ces difficultés mènent
tout simplement à l’abandon de toute démarche de soins» (96). Audelà de ces considérations sanitaires et sociales, force est de reconnaître qu’en raison des craintes de risques migratoires et d’économies budgétaires, le dispositif de l’A.M.E. est rendu sélectif et
écarte les étrangers les plus précaires en situation irrégulière.
2. Un dispositif partiellement inconventionnel
Selon la Fédération internationale des ligues des droits de
l’homme (F.I.D.H.), l’exigence de la résidence ininterrompue de
trois mois, la suppression de l’admission immédiate des non-bénéficiaires de l’A.M.E., la seule prise en charge des soins urgents
créent une discrimination entre les étrangers en situation irrégulière. Elle saisit en ce sens le Comité européen des droits sociaux
du Conseil de l’Europe d’une réclamation (97) pour violation de la
(94) «La Nation garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé [...]».
(95) Décision n° 2003-488 D.C. du 29 décembre 2003, Loi de finances rectificative
pour 2003.
(96) Rapport C.O.M.E.D.E., op. cit. p. 20.
(97) Réclamation n° 14/2003 Fédération internationale des ligues des droits de
l’homme (F.I.D.H.) c. France. Cette réclamation a été enregistrée le 3 mars 2003 et
le Comité européen des droits sociaux a considéré la réclamation recevable le 16 mai
2003. Le Comité a conclu à la violation de l’article 17 et a transmis son rapport contenant sa décision sur le bien-fondé de la réclamation aux parties et au Comité des
Ministres le 3 novembre 2004. Le Comité des ministres a adopté la Résolution
ResChS (2005), le 4 mai 2005.
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Rev. trim. dr. h. (72/2007)
Charte sociale européenne (98). Le Comité s’est alors prononcé sur
l’ensemble du dispositif A.M.E. Il fait plusieurs constats, sans toutefois en tirer toutes les conséquences nécessaires sur le plan juridique (99). En effet, dans sa décision du 3 novembre 2004 sur le
bien-fondé de la réclamation, si le Comité souligne très généralement qu’une « législation qui nie le droit à l’assistance médicale
aux ressortissants étrangers sur le territoire d’un Etat partie, fussent-ils en situation irrégulière est, contraire à la Charte » (100), il
estime que l’assistance médicale en France des étrangers en situation irrégulière existe et que par conséquent il n’y a pas violation
de l’article 13 de la Charte. En revanche, la deuxième requête de
la F.I.D.H. portait plus spécifiquement sur l’atteinte au droit à
l’assistance médicale des mineurs étrangers isolés ou ayant droit
d’un étranger sans papiers. Celle-ci a convaincu le Comité, qui a
estimé que le dispositif issu des lois rectificatives 2002 et 2003 violait le droit d’accès aux soins des mineurs étrangers, garanti par
l’article 17 de la Charte, lui-même directement inspiré de l’article
3 de la Convention de New York relative aux droits de l’enfant.
En effet, certains étrangers mineurs (isolés ou ayant droit d’étrangers irréguliers) pouvaient se voir exclure de l’A.M.E. et ne bénéficiaient gratuitement que des seuls soins urgents mettant en jeu
leur pronostic vital, ce qui constituait, aux yeux du Comité, une
atteinte à la Charte.
(98) La F.I.D.H. invoquait le non-respect des articles 13, §1er et 17, §1er de la
Charte qui disposent respectivement ce qui suit : – «Droit à l’assistance sociale et
médicale. En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à l’assistance sociale et médicale,
les Parties s’engagent : 1. à veiller à ce que toute personne qui ne dispose pas de ressources suffisantes et qui n’est pas en mesure de se procurer celles-ci par ses propres
moyens ou de les recevoir d’une autre source, notamment par des prestations résultant
d’un régime de sécurité sociale, puisse obtenir une assistance appropriée et, en cas de
maladie, les soins nécessités par son état»; – «Droit des enfants et des adolescents à une
protection sociale, juridique et économique. En vue d’assurer aux enfants et aux adolescents l’exercice effectif du droit de grandir dans un milieu favorable à l’épanouissement de leur personnalité et au développement de leurs aptitudes physiques et mentales,
les Parties s’engagent à prendre, soit directement, soit en coopération avec les organisations publiques ou privées, toutes les mesures nécessaires et appropriées tendant : 1. à
assurer aux enfants et aux adolescents, compte tenu des droits et des devoirs des parents,
les soins, l’assistance, l’éducation et la formation dont ils ont besoin, notamment en prévoy.ant la création ou le maintien d’institutions ou de services adéquats et suffisants à
cette fin».
(99) I. Daugareilh, «L’audace retenue du Comité européen des droits sociaux, à
propos de la décision F.I.D.H. c. France, Réclamation n° 14/ 2003», R.D.S.S., n° 4,
pp. 555-564.
(100) Décision sur le bien-fondé du 3 novembre 2004, point 32.
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1043
Face à la condamnation du Comité, le gouvernement français réagit le 16 mars 2005, avec une circulaire du Ministre de la santé (101)
afin de préciser le caractère urgent de la délivrance des soins et des
traitements offerts à l’hôpital aux mineurs étrangers non bénéficiaires de l’A.M.E. La circulaire soulignait alors la vulnérabilité particulière des étrangers mineurs, en leur précisant les prestations auxquelles ils ont droit (prise en charge des examens de prévention
réalisés durant et après la grossesse, des soins liés à la grossesse, au
nouveau-né et de l’I.V.G.). Malgré cela, l’affaire ne s’est pas arrêtée
là.
En juillet 2005, le gouvernement a enfin sorti deux décrets
d’application du système de l’A.M.E. mis en place par la loi de
finances rectificative de 2003. Aussitôt, les associations de défense
des étrangers ont intenté un recours pour excès de pouvoir contre
ces derniers en contestant leur conventionnalité au regard d’une
série de traités internationaux (102). Les associations invoquaient
plusieurs points : les discriminations nées de la condition de régularité pour bénéficier du dispositif C.M.U. (discrimination entre étrangers en situation régulière et irrégulière), de la condition de résidence ininterrompue de plus trois mois pour bénéficier de l’A.M.E.
(discrimination entre étrangers en situation irrégulière), de la restriction de l’accès aux soins de certains étrangers en situation irrégulière (soins urgents et vitaux) et de l’atteinte au droit aux soins
élémentaires des mineurs étrangers.
Le 7 juin 2006 (103), le Conseil d’Etat a tiré plusieurs conséquences en termes d’accès aux droits sociaux. Il a d’abord estimé que le
dispositif C.M.U.-A.M.E. mettait en place une différence de traite(101) Circulaire DHOS/DSS/DGAS n° 141 du 16 mars 2005.
(102) La «Déclaration de Philadelphie» du 10 mai 1944, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, l’article 13 et 17 de la Charte sociale
européenne révisée, l’article 6 de la Convention n° 97 de l’O.I.T. relative aux travailleurs migrants, l’article 3-1 de la Convention de l’O.I.T. n° 118, l’article 26 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’article 14 de la Convention
européenne, article 1er de son 1er Protocole additionnel et l’article 3 de la Convention
internationale relative aux droits de l’enfant.
(103) C.E., 7 juin 2006, Association aides et autres, req. n° 285576, A.J.D.A.,
p. 1189. Conclusion de C. Devys, «La réforme de l’aide médicale d’Etat censurée par
le Conseil d’Etat, CE 7 juin 2006 association Aides et autres», Droit social, n° 11
novembre 2006, pp. 1037-1042; L. Gay, «L’affirmation d’un droit aux soins du
mineur étranger ou l’inconventionnalité partielle d’une loi jugée conforme à la Constitution, à propos de l’arrêt du Conseil d’Etat du 7 juin 2006 association Aides et
autre.», R.D.S.S., novembre-décembre n° 6, 2006, pp. 1047-1059; H. Rihal, «Le contrôle de conventionnalité du dispositif de l’aide médicale de l’Etat et la protection
de la santé des mineurs étrangers», A.J.D.A., 27 novembre 2006, pp. 2233-2237.
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1044
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ment fondée sur une différence de situation (situation régulière de
l’étranger) basée sur un «critère objectif fondé avec les buts de la
loi». Il valide et cautionne (104) ainsi la différence de traitement
dans l’accès aux soins entre les étrangers réguliers et irréguliers. La
logique d’universalité des droits sociaux est neutralisée une fois de
plus par la condition de régularité de séjour. En revanche, le Conseil
d’Etat relève que le nouveau dispositif de l’A.M.E. est incompatible
avec les exigences posées par l’article 3 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. «Dans toutes les décisions qui
concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques
ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit
être une considération primordiale». Si cette décision est discutable
sur les fondements retenus (105), elle consacre un droit d’accès aux
soins aux mineurs étrangers indépendamment de la régularité de
leur situation ou de celle des personnes qui en ont la charge. Elle
va dans le sens des observations générales (106) rendues par le
Comité des droits de l’enfant. Ainsi, la seule prise en charge des
soins urgents et vitaux des mineurs porte atteinte au «droit substantiel à la protection de la santé et aux soins médicaux du mineur
étranger» (107). Le Commissaire du gouvernement a souligné que la
«circulaire de rattrapage» du 16 mars 2005 sur les droits aux soins
des mineurs ne pouvait compenser la sévérité de la loi de finances
rectificative pour 2003. Il parle de «lacune criante» dans l’accès aux
soins des mineurs étrangers (108). Mais cette décision laisse en place
le dispositif de l’A.M.E. pour les majeurs étrangers en situation irrégulière.
Par ailleurs, rappelons que le Conseil constitutionnel n’avait ni
censuré le dispositif ni souligné de lacunes à l’égard de l’offre de
soins aux mineurs. C’est donc «la première fois que le juge administratif anéantit les effets d’une loi pour incompatibilité avec les
règles de justice les plus élémentaires consistant à donner des soins
aux mineurs qui se trouvent sur le territoire de la France» (109).
Ainsi, cette décision a aussi le mérite de mettre en exergue les con(104) Voy. aussi C.E., 18 juillet 2006, G.I.S.T.I., req. n° 274664 et C.E., 18 juillet
2006, Ka, req. n° 286122.
(105) Voy. sur ce point la neutralisation des droits sociaux conventionnels et l’analyse de L. Gay, op. cit.
(106) Voy. les commentaires sur les observations générales du Comité des droits de
l’enfant de B. Masson, op. cit., pp. 86 et s.
(107) L. Gay, op. cit, p. 1059.
(108) C. Devys, op. cit. p. 1040.
(109) H. Rihal, op. cit., p. 2237.
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Christel Cournil
1045
flits entre la jurisprudence constitutionnelle et administrative mais
aussi les dialogues nécessaires entre le Comité et les juges européen,
administratif et judiciaire (110). Ce n’est pas la première fois que le
droit des étrangers est au cœur d’une interaction de normes internationales, constitutionnelles et nationales (111). Néanmoins, si le
droit des étrangers et en particulier leur droit à la santé doit se
construire conformément aux textes internationaux et aux jurisprudences des différents systèmes de droits, il semble que l’évolution et
l’interaction entre normes ne soient pas allées au bout des exigences
européennes (112). Le maintien de l’exigence de la résidence ininterrompue de trois mois soulève d’importantes critiques. Si l’effort du
Conseil d’Etat est louable pour les enfants mineurs, il demeure
incomplet au regard des prétentions universalistes des droits
sociaux pour les majeurs étrangers non-bénéficiaires de l’A.M.E. La
neutralisation (113) des traités internationaux relatifs aux droits
sociaux opérée de nouveau par le Conseil d’Etat n’a pas permis de
répondre à la question de la protection des majeurs non bénéficiaires de l’A.M.E. Amputés d’une universalité complète, les droits
sociaux apparaissent toujours comme le «parent pauvre des droits
de l’homme» (114). La décision du Conseil d’Etat va néanmoins
obliger les pouvoirs publics à imaginer un nouveau dispositif spécifique d’aide médicale pour les mineurs (115).
(110) Cass., ass. plén., 16 avril 2004, n° 0230-157, Lingouala : le juge judiciaire a
précisé sur les fondements combinés des articles 8 et 14 de la Convention européenne
que l’enfant étranger ne peut souffrir d’une double condition de régularité (celle de
ses parents et la sienne) pour le bénéfice des prestations familiales; l’exigence de la
régularité de ses parents suffit. Voy. Cœuret A., «Prestations familiales : la condition de résidence en France des enfants d’étrangers», Droit social, juillet-août 2004,
pp. 776-784.
(111) Voy. notre thèse sur l’influence des normes supranationales en droit des
étrangers : C. Cournil, op. cit., 744 p.
(112) Voy. sur ce point les analyses de L. Gay, op. cit., pp. 1057-1058.
(113) L. Gay. op. cit., p. 1053.
(114) P.-H. Imbert, «Droits des pauvres, pauvres droits? Réflexion sur les droits
économiques, sociaux et culturels», R.D.P., 1989, p. 739.
(115) Le Rapport de l’I.G.A.S. rendu en mai 2007 (op. cit., p. 40) rappelle que la
décision du Conseil d’Etat rend nécessaire une évolution de la réglementation. Il préconise «de prévoir une affiliation à l’A.M.E. de tous les mineurs sans condition de
durée de résidence en France. Cette option entraînerait l’abandon du système
d’ayants droit, inscrit pour l’A.M.E. à l’article L. 251-1 du C.A.S.F., et la mise en
place d’attestations individuelles. Cette orientation ne devrait pas poser de difficulté
pratique substantielle ni accroître sensiblement le temps d’instruction des dossiers
par les C.P.A.M. puisque celles-ci analysent déjà la situation administrative de chaque ayant droit potentiel d’un bénéficiaire de l’A.M.E. Elle nécessite toutefois une
modification législative».
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En somme, une question reste posée : l’accès aux soins doit-il
dépendre de la régularité du séjour, de la stabilité de la résidence
ou d’une autre situation de l’individu malade? Les politiques migratoires ont progressivement laminé l’un des plus importants droits à
la santé, celui de l’accès gratuit aux soins. Pourtant, l’un des enjeux
de la politique de santé publique est de lutter contre les inégalités
sociales et notamment celles qui touchent l’accès aux soins. En
effet, à l’instar d’auteurs avisés, on ne peut que vivement rappeler
que «l’accès aux soins de santé est un préalable essentiel à la dignité
humaine, dignité qui, faut-il le rappeler doit être accordée à tous les
êtres humains. Ce droit à l’assistance sociale et médicale est attaché
à la personne humaine et ne saurait souffrir de confusion avec des
préoccupations financières ou de politiques migratoires» (116).
En définitive, la détérioration de l’accès aux soins des étrangers
irréguliers par les successives réformes juridiques est renforcée par
le fait que – selon une enquête de Médecins du Monde – plus de
40% des praticiens consultés refusent de soigner les bénéficiaires de
l’A.M.E. La H.A.L.D.E. et les associations de défense des étrangers
malades dénoncent ce traitement discriminatoire. Cette pratique,
contraire au code de déontologie et au principe du service public de
la santé, ne fait qu’accentuer davantage la précarité des droits à la
santé des étrangers malades dépourvus de titre de séjour.
B. – Les systèmes d’accès aux soins des étrangers
irréguliers des pays de l’Union européenne
touchés par les politiques migratoires
Une étude réalisée par le Sénat en mars 2006 montre que l’accès
aux soins dans les pays membres de l’Union européenne est hétérogène. Tandis que l’Allemagne et le Danemark accordent des droits
limités (117) aux étrangers en situation irrégulière, l’Angleterre, la
Belgique, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas et le Portugal «concilient
le droit aux soins et l’absence d’assurances sociales des étrangers en
situation irrégulière» (en conditionnant les soins à la domiciliation (118) des étrangers et non à la régularité du séjour (Espagne et
Portugal)). Mais surtout, le rapport constate une tendance au dur(116) D. Maille, A. Toullier, P. Volovitch, op. cit., p. 554.
(117) La loi danoise limite l’accès aux soins aux seuls traitements urgents des
étrangers irréguliers, Rapport du Sénat, op. cit., p. 6.
(118) Domiciliation facilitée par le témoignage oral de deux voisins, ce qui est
moins contraignant qu’une exigence de résidence habituelle depuis plus de trois mois
à prouver comme c’est le cas en France (ibid., p. 7).
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Christel Cournil
1047
cissement des dispositifs en place conduisant à une réduction des
bénéficiaires par de nouveaux contrôles des étrangers malades et
des fichiers de données confidentielles.
En Allemagne, si la loi du 1er novembre 1993 a notamment aligné le droit de l’accès gratuit aux soins urgents des étrangers irréguliers sur celui des demandeurs d’asile, l’article 87 de la loi du
30 juillet 2004, oblige les organismes publics à prévenir sans délai
les services de l’immigration de la présence d’étrangers en situation irrégulière (119). Cette dernière loi a en pratique pour effet de
dissuader les étrangers de solliciter les prestations auxquels ils ont
droit. Ce phénomène traduit l’influence croissante des contrôles
migratoires des Etats dans les politiques sociales et en particulier
dans la politique de santé publique, ce qui soulève bien sûr
d’importantes interrogations quant à la « légalité » de ces mesures
restrictives s’agissant de droits aussi fondamentaux que l’accès
aux soins. Le respect de l’anonymat et du secret médical que le
professionnel de santé doit au malade est ici bien mis à mal. Par
ailleurs, l’exemple allemand révèle l’impact de ces mesures de
signalement d’étrangers sur les soins effectivement prodigués aux
étrangers. En effet, les professionnels de santé craignant de se voir
condamner pénalement, hésitent alors à soigner les étrangers en
situation irrégulière (120).
Depuis 2004, l’Angleterre a réservé les soins hospitaliers gratuits
aux «résidents habituels» (121). Il revient donc à l’administration
hospitalière d’exercer un contrôle de la situation administrative du
malade étranger pour le dispenser ou non des frais médicaux. On
assiste bien à un glissement des contrôles migratoires au profit des
organismes de santé. Le rapport du Sénat montre que l’on aboutit
à la situation paradoxale dans laquelle «les étrangers en situation
irrégulière doivent payer tous les soins autres que ceux prodigués
gratuitement à tout étranger» (122).
Les cas du Danemark et des Pays-Bas (123) soulignent combien
le dispositif d’accès aux soins est exceptionnel pour les étrangers
en situation irrégulière. Ainsi, au Danemark, la « résidence » dans
(119) Voy. sur ce point le rapport, ibid., p. 12.
(120) La loi 2004 a créé une infraction pénale condamnant l’assistance répétée aux
étrangers en situation irrégulière, ibid., p. 12.
(121) C’est à dire selon la jurisprudence des étrangers résidants légalement durablement sur le territoire.
(122) Rapport du Sénat, op. cit., p. 17.
(123) Ibid., pp. 31-32.
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1048
Rev. trim. dr. h. (72/2007)
la commune conditionne l’offre gratuite. Or, n’est résident que
l’étranger qui a un titre de séjour et qui est inscrit dans le fichier
municipal. Les étrangers clandestins n’ont pas accès à toute l’offre
mais aux seuls « traitements urgents » (124), ce qui a pour conséquence de précariser davantage les étrangers en situation irrégulière et d’introduire une différence de traitement entre les étrangers.
Par ailleurs, si l’Espagne conditionne l’accès aux soins à tous les
étrangers domiciliés au même titre que les Espagnols (à condition
d’être inscrit dans le fichier municipal), une loi du 20 novembre
2003 a organisé une possible connexion de fichiers administratifs.
Les administrations, notamment chargées des contrôles migratoires,
peuvent se voir transmettre des renseignements relatifs aux étrangers en situation irrégulière (domiciliation par exemple). Là encore,
l’exemple de ces contrôles migratoires – déguisés par le biais sophistiqué des fichiers informatiques – soulève de légitimes interrogations.
L’étude du Sénat souligne néanmoins que l’Italie a organisé une
protection sanitaire des étrangers avec un droit à bénéficier des
soins ambulatoires ou hospitaliers urgents et des mesures préventives dans des établissements publics agréés (ce qui limite la liberté
de choix du prestataire des soins). La mise en place d’une «carte de
santé spécifique réservée aux étrangers temporairement présents» et
la parution d’une plaquette intitulée «Les dix commandements en
matière de soins médicaux aux étrangers» révèlent une réelle prise
de conscience de santé publique.
L’ensemble de notre analyse montre combien la rationalisation
des flux migratoires, la lutte contre l’immigration clandestine et
l’augmentation des contrôles migratoires imprègnent «par
capillarité» et en profondeur le statut social des étrangers.
L’accueil sanitaire et l’accès aux soins des étrangers sont le reflet
de la solidarité sociale de notre Etat. Or, leurs restrictions successives soulignent avec éclat combien cette solidarité semble
aujourd’hui bien malmenée.
Comment ne pas relever, à l’instar de Didier Fassin, que «les restrictions récentes du droit au séjour pour raison médicale et de
l’accès aux soins pour les sans papiers s’inscrivent dans un mouve(124) «Accident, maladie soudaine, naissance ou l’aggravation subite d’une maladie chronique», ibid., p. 23.
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ment plus large qui vise à resserrer l’étau des pouvoirs publics sur
les segments les plus fragiles de notre société – bien au-delà des
seuls étrangers» (125).
✩
(125) D. Fassin, «Le corps de l’étranger», Maux d’exil, septembre 2005, p. 3.

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