Ordres-Mendiants-res..

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Ordres-Mendiants-res..
Trecento 2 –La création des Ordres Mendiants par Fabrice Conan
Fin 12e s. voit le déclin général des monastères, et la naissance de deux grands ordres mendiants. Les Frères Mineurs, dans le sillage
du poveretto François, d’Assise, dits cordeliers de France et les Prêcheurs, fondé par saint Dominique.
Dominicains Franciscains chantant conduits par Christ - Bible Abbey - Getty
Un ordre mendiant est un ordre religieux qui dépend de la charité pour vivre. En principe, il ne possède ni individuellement ni
collectivement de propriété : les religieux appelés frères ont fait vœu de pauvreté pour consacrer tout leur temps et leur énergie à
leur vocation religieuse. Apparu avec la bourgeoisie urbaine médiévale, cet ordre vit dans des couvents dans les villes et se
différencie des ordres monastiques, seigneuries vivant derrière une clôture et percevant des droits féodaux.
1- Fondation des Ordres mendiants
Approbation de la Règle par Innocent III – 1297/99 – Giotto Assise
Soutenus dès leur origine par le pape Innocent III, ils se consacrent à la prédication de l'Évangile et au service des pauvres. Plus
important que la prédication est cependant leur témoignage de vie 'à la suite du Christ pauvre.
Les deux principaux ordres furent fondés par Dominique de Guzmán (saint Dominique) au sud de la France et François d'Assise
(saint François) au nord de l'Italie. Ils proposèrent un modèle de service de Dieu au sein de la société. Ils attirèrent rapidement le
patronage tant de la bourgeoisie que de l'aristocratie. Leur action se développa rapidement dans les villes dont l'accroissement de
la population dépassait la construction des églises. La plupart des villes médiévales d'Europe de l'Ouest quelle que soit leur taille
possédèrent une ou plusieurs maisons de ces ordres. Certaines de leurs églises furent construites de grande taille avec de larges
espaces consacrés à la prédication, en faisant une spécificité des ordres mendiants.
Antoine de Padoue (Saint Antoine) et Saint François furent les principaux inspirateurs des ordres de frères mendiants.
Saint François
François (1181 ou 1182-1226) force la sympathie de tous et dans toutes les époques depuis le XIIIe siècle. Né d’une famille de riches
négociants vers 1181 François d’Assise a une jeunesse facile destiné à devenir chevalier. Il se convertit soudainement à l’âge de 25
ans. Il quitte famille, se fait ermite, vit de pénitence, secourt les pauvres et les lépreux, restaure les chapelles. Maisil irrite son
drapier de père qui le chasse et le déshérite.
Hommage d’un homme simple v 1300 Assise Giotto
Il renonce brusquement à ses richesses et commence à prêcher la pauvreté, en 1209. Avec quelques amis, il fonde un ordre que, par
humilité, il appelle les Frères mineurs.
Après un voyage en Égypte auprès des croisés et une tentative pour convertir le sultan (1219), saint François abandonne la direction
de l'ordre à Pierre de Catane. Il rédige en 1221 les règles dites Regula prima, très strictement évangélique, et Bullata (1223), plus
juridique, et qui devient la règle officielle.
Stigmates – plaque reliquaire- émaux Limoges – v1230 Musée Cluny à Paris
En 1224, sur le Mont Alverne, en Toscane, le Christ apparaît à François et lui imprime les stigmates de sa Passion.
3 octobre 1226, François d’Assise meurt, “en chantant” dira son biographe. Deux ans plus tard, en 1228, il est canonisé par Grégoire
IX (Hugolin), qui avait été le cardinal protecteur des franciscains.
François vit totalement dépouillé, partagé entre la prière, la mendicité et la prédication. Une fraternité se constitue autour de lui.
Tous prennent modèle de la vie apostolique.
Une rupture radicale s’introduit dans l’espace ecclésial. François d’Assise se passe de Règle, déclarant au pape qu’il “n’en n'a point
d’autre que l’Évangile”. Le moine franciscain est itinérant. Il sort donc de son monastère. François d’Assise fait éclater la clôture du
monastère. Le cloître, c’est le monde.
L'ordre franciscain - Infléchissements et organisation L'ordre des Frères mineurs (Ordo fratrum minorum), approuvé
officiellement par Honorius III en 1223, est voué à la pauvreté mendiante et à la prédication itinérante. La prédication n'est
cependant qu'une activité parmi les autres (travail manuel, service des malades, mendicité). Saint François admet que chacun
continue à exercer sa profession après son admission dans l'ordre. L'afflux des « universitaires » cependant rendre inévitable
l'évolution redoutée par saint François.
Humilité et Piété Bible de Tolède 1230
La règle de 1223 insiste moins sur le travail manuel, défend de quitter l'Ordre et renforce le devoir d'obéissance afin d'éviter
certains abus, particulièrement le vagabondage des frères ; déjà, en 1220, Honorius III crée un noviciat d'un an et oblige tout Mineur
désireux de sortir d'un couvent à se munir d'une lettre d'obédience. Par contre, saint François refuse toujours de réserver aux clercs
les fonctions de Supérieurs dans l'Ordre et interdit de demander des privilèges pontificaux et notamment l'exemption pontificale.
Lorsque François d'Assise meurt, l'ordre compte déjà près de 3000 membres et son succès ne fait que s'amplifier. En 1316, il compte
1400 maisons et 30 000 religieux. La papauté l'appuie de tous ses efforts, sûre de pouvoir compter sur cette « milice » toute
dévouée pour lutter contre l'hérésie, comme l'illustrent saint Antoine de Padoue et Raymond Lull.
L'ordre est divisé en provinces, elles-mêmes divisées en custodies, puis vient l'échelon des prieurés. Le Ministre Général élu à vie
par le Chapitre nomme les Gardiens des couvents, les Custodes, les Ministres provinciaux, les déplace et les révoque à volonté,
désigne seul les prédicateurs.
L'esprit franciscain Le message de saint François d'Assise est simple, mais nouveau. La volonté de vivre l'Évangile à la lettre et être
un témoin de l'amour de Dieu au sein du monde n'a rien de nouveau : c'est le principe des mouvements religieux comme la réforme
grégorienne, les ordres religieux réformés comme Cîteaux. Cependant, les ordres religieux existants restaient dans le cadre féodal
et seigneurial. Si les religieux étaient pauvres individuellement, ils étaient riches et puissants collectivement. Un fossé se crée donc
peu à peu au XIIe siècle entre une Église temporelle et les aspirations religieuses de nombreux fidèles de plus en plus critiques. Les
Ordres mendiants contrarient la volonté papale de préserver les richesses du clergé. Des ecclésiastiques craignent, pour leur part,
que la popularité de François d’Assise menace leurs biens. Aussi les autorités de l’Église en arrivent-elles à soupçonner d’hérésie le
mouvement franciscain et à contraindre ses adeptes les plus radicaux. En dépit de ces critiques, en 1223, le pape approuve la règle
des Frères Mineurs.
François renonce biens Giotto chapelle Bardi sta Croce Florence 1320
Avec saint François, la vie religieuse n'est plus conçue comme une contemplation du mystère de Dieu, mais comme la recherche
d'une conformité toujours plus étroite à son exemple et à sa personne. Pour y parvenir, il n'y a pas d'autre voie qu'une fidélité
littérale à l'Évangile, ce qui contraste avec les conceptions de l'exégèse monastique qui considère l'Écriture comme une « forêt de
symboles ». François innove radicalement en refusant toute interprétation allégorique de la Parole de Dieu. Il met l'accent sur ce
qui lui paraît constituer le cœur du message évangélique : l'amour divin incarné dans Jésus-Christ. Ce rappel simple et ferme des
données centrales de la foi chrétienne est présentée de plus d'une façon propre à toucher : c'est lui qui organise la première crèche
une nuit de Noël, à Greccio. L'expérience intime des mystères du salut s'incarne dans une culture gestuelle.
Vivre selon l'Évangile, c'est s'en remettre à la Providence pour la subsistance, le logement, etc. Il s'agit moins de renoncer à toute
forme juridique de propriété que d'anéantir en soi l'esprit d'appropriation. L'attachement aux biens de ce monde conduit
fatalement à la violence. Il rappelle la nécessité de travailler de ses mains, pour n'être à la charge de personne, la mendicité n'étant
admise qu'en cas de nécessité.
Il savait lire et écrire, et témoignait de l'estime envers les théologiens qui aident à mieux comprendre la parole de Dieu. Mais,
contemporain de l'essor des écoles et des universités, il entrevoit également les risques que fait courir à sa fondation le goût pour
les études. Aussi met-il l'accent sur les liens étroits qui existent entre la science, la richesse et le pouvoir, à une époque où les livres
valent très cher. On retrouve souvent dans sa bouche l'éloge de la simplicité et une invitation à s'abstenir d'une culture livresque à
laquelle sont liées tant de tentations. Les franciscains fournissent pourtant des maîtres aux universités, comme Bonaventure,
Roger Bacon et Guillaume d'Occam.
Les femmes : clarisses et béguines Un ordre féminin, les clarisses, est fondé par sainte Claire en 1212. Les clarisses comptent plus
de 300 maisons en 1316. Les questions du rattachement aux franciscains et de la pauvreté sont épineuses. En 1263, Urbain IV
cherche à les unifier, après cinq règles successives, sous le nom d'ordres de sainte Claire : sa Règle autorise la propriété et comporte
un quatrième vœu de clôture perpétuelle qui se répand dans les couvents de clarisses au XIVe siècle.
Cependant, l'attrait de cet ordre n'est pas plus grand que celui qu'exerce sur beaucoup de femmes, à la ville, un nouveau genre de
vie à mi-chemin entre la vie laïque et la vie religieuse, celui des béguines. Il est vrai que ce sont les ordres mendiants qui prennent
en charge l'encadrement spirituel des béguines (augustins aux Pays-Bas, dominicains en France). Ce mode de vie prend de
l'importance au XIIIe siècle surtout aux Pays-Bas, mais ils se répandent aussi dans le nord de la France.
Mais bientôt l'influence qu'exercent sur elles les Mendiants et surtout les franciscains Spirituels les font accuser d’hérésie ; les frères
et sœurs du Libre Esprit faisaient en effet des émules dans leurs rangs, en particulier en Allemagne où, plus nombreuses, elles
étaient moins bien encadrées. En 1311, le concile de Vienne en dissout les groupes les plus suspects de béguines et de beghards,
surtout en Allemagne. Elles se rattachent alors de plus en plus à un Tiers Ordre pour se mettre à l'abri. La chasse aux disciples du
Libre Esprit continue cependant en Bohême, Allemagne et Autriche, dans la seconde moitié du XIVe siècle.
Les crises franciscaines Les nécessités de l'apostolat et les difficultés de la règle font adopter la vie conventuelle et les études.
Cette évolution, qui commence dès avant la mort de saint François, est due aux ministres franciscains et à la papauté, qui sont
surtout sensibles aux besoins immédiats de l'Église (montée des hérésies, insuffisance du clergé, ignorance religieuse des laïcs) et
qui cherchaient à y faire face.
François Mendie – Legenda Maior v 1300 Madrid Archives ibéro-américaines
Des crises souvent violentes accompagnent cette évolution, ce qui n'empêche pas la croissance de l'Ordre, mais à la longue
l'affaiblit, le déconsidère, et fait rejaillir ce discrédit sur l'Église elle-même.
Jean XXII prend des mesures très sévères contre ceux-ci dès son avènement en 1316, et dès 1317 ils sont poursuivis par l'Inquisition.
Bernard Delicieux soulève la population contre les inquisiteurs.
En 1323, Jean XXII déclare hérétique la thèse selon laquelle le Christ a pratiqué la pauvreté absolue, car même s'il avait vécu
pauvrement, il avait néanmoins exercé le droit de propriété (A Avignon bulle Cum inter nonnullos). Il fait ainsi l'unité de l'Ordre dans
la révolte et l'alliance avec le grand ennemi du pape, Louis IV de Bavière. Mais après la mort de Jean XXII, chacun est las de la lutte.
Le Saint-Siège cesse de nier la pauvreté du Christ et les Mineurs se soumettent à son autorité.
La crise du XIVe siècle (Grand Schisme) se répercute sur les ordres religieux.
Saint Dominique
Dominique s’installe à Toulouse, en 1215. Il a été curé de Fanjeaux l’année précédente. Il fonde une communauté consacrée à la
prédication de la foi et de la morale, à la lutte contre les erreurs doctrinales, en pratiquant l’imitation de la vie des apôtres, c’est-àdire l’itinérance et la mendicité.
St Dominique de Guzman se mortifiant – Juan Martinez – 1607 – MBA Séville
Le pape Innocent III reconnaît en 1215 la création de ce nouvel Ordre appelé, selon le vœu de Dominique, l’Ordre des Prêcheurs.
Les sujets recrutés par cet Ordre font de sérieuses études dogmatiques. Les dominicains sont des savants docteurs dans la
doctrine, ce qui leur prodiguera une prestigieuse réputation de prédicateurs.
La pauvreté est un moyen, non une fin, aux yeux de Dominique. Les livres sont une arme, le couvent un refuge.
La fondation féminine de Prouille en 1207 précède la création de la première communauté masculine à Toulouse. La seconde
maison féminine établie à Rome en 1221, se consacre au reclassement des prostituées converties.
Les dominicains sont cause d’une rupture forte. Avant eux, ceux qui prêchent sont les évêques et les prêtres. Pas les moines.
Les moines prient. Les frères mineurs ont en quelque sorte “volé” aux séculiers leur charge propre. Dominique, lui, a l’intuition, non
de la pauvreté, mais de la parole. Albert le Grand est converti par le premier secrétaire de Dominique.
Les dominicains L'ordre est fondé en 1215 par saint Dominique, un prédicateur castillan, qui avait été frappé par les progrès de
l'hérésie dans le Midi de la France.
Né en 1170 en Castille dans une famille noble, il fut très tôt destiné à l'état clérical. En 1196, il est élu chanoine du chapitre de la
cathédrale d'Osma. En 1203, il accompagne son évêque, Diègue, dans une mission diplomatique au Danemark, et traverse le comté
de Toulouse.
Dominicain reçoit aumônes v 1290 Antiphonaire bib Pérouse
Il est frappé des succès remportés par l'hérésie cathare dans cette région. Une seconde mission dans la région en 1205-1206 le
ramène dans la région et lui donne l'occasion de rencontrer les légats cisterciens envoyés par Innocent III pour prêcher contre les
Albigeois, ce qu'ils font, mais dans un grand équipage luxueux, ce qui détourne les populations.
Dominique entreprend alors avec Diègue et quelques clercs une campagne de prédication itinérante, sans apparat ni escorte, à
travers les provinces ecclésiastiques de Narbonne et de Toulouse. Le programme d'évangélisation est fondé sur l'imitation des
apôtres, ce qui n'est pas nouveau ; il s'agit d'annoncer la parole de Dieu dans l'humilité et la pénitence, la mise en pratique de la
mendicité témoignant de l'abandon à la providence dans la vie quotidienne. Tout prétention à l'autorité aurait été mal reçue dans
cette région où les tenants de l'Église romaine étaient en passe de devenir minoritaires. Diègue et Dominique acceptent donc de
participer à des controverses publiques contre Cathares et Vaudois, ce qui, sans entraîner des conversions en grand nombre,
contribue à modifier l'image de l'orthodoxie catholique.
Autodafé présidé par saint Dominique - Pedro Berruguete – av 1504 SPrado
Tout le procès (jugement, sentence et exécution de la sentence) est montré en une seule scène. Au bas des marches de la tribune,
Raimundo de Corsi abjure son hérésie.
Saint Dominique poursuit son action dans des conditions difficiles : les cisterciens, déçus par les maigres résultats obtenus, partent
; l'assassinat du légat cistercien Pierre de Castelnau, chargé de la lutte contre l'hérésie, provoque une croisade s'abat sur le pays à
partir de juin 1209 (la prise de Béziers et le massacre de ses habitants font environ 30 000 victimes). Soutenu par l'évêque de
Toulouse, Dominique établit en cette ville une communauté de clercs, dont la mission est d'assister les prélats dans leur
enseignement et de s'efforcer de suppléer aux insuffisances du clergé paroissial. Il meurt en 1221 et est canonisé en 1234.
L'essor des dominicains L'ordre des Prêcheurs (Ordo prædicatorum) est approuvé officiellement par Honorius III le 22 décembre
1216. Soumis à la règle de saint Augustin, il acquiert des constitutions propres en 1216 et 1220.
Antiphonaire Pérouse - lettrine
Mais son véritable essor vient de l'initiative de Dominique, qui lui fait quitter sa région d'origine : il disperse ses compagnons entre
les grands centres urbains de la chrétienté : Paris, Orléans, Bologne (siège de la plus ancienne université), Madrid et Ségovie. Les
frères s'y consacrent aux études et au renforcement de leur préparation théologique en vue de la prédication. Leur ferveur et
l'austérité de leur genre de vie impressionnent les milieux intellectuels au sein desquels ils font de nombreuses recrues de valeur,
comme Étienne de Bourbon.
Scènes de la vie de St Dominique 14e S Naples Capodimonte
Avec l'appui de la Curie, qui le comble de privilèges, l'ordre dominicain acquiert bientôt une dimension universelle ; dès janvier 1217,
l'ordre a le droit de prêcher partout. En 1221, à la mort de saint Dominique, il compte déjà quelques centaines de frères, 25
couvents et 5 provinces. En 1303, ils ont 600 couvents et en 1337, 12 000 frères. Des communautés féminines ne tardent pas à s'y
associer en Italie ; il y a 150 maisons de dominicaines au début du XIVe siècle; la figure la plus illustre en est sainte Catherine de
Sienne (1347-1380).
Fra Angelico St Dominique devant la croix – cloître de Sant’Antonio – couvent san Marco Florence 1438-1443
Dominique organise lui-même l'ordre, de façon originale : l'influence cistercienne Dans les couvents, l'autorité appartient au Prieur
et au Chapitre conventuel, composé de tous les religieux, qui l'élit.
La règle dominicaine, codifiée en 1228, rappelle celle des Chanoines réguliers et des Prémontrés qui se réclament de saint
Augustin. Les dominicains unissent la vie canoniale avec les observances monastiques, mais toutes ces obligations sont
subordonnées à la prédication. Dès 1228, l'Ordre s'interdit de recevoir une église, car un de ses caractères essentiels doit être la
mobilité qui s'oppose à la « stabilité » bénédictine. Chaque prêcheur fait profession devant le maître général, qui l'envoie là où sa
présence est utile. La durée de l'office divin est réduite au minimum et, pour la première fois dans une règle monastique, le travail
manuel n'est pas mentionné, les études sont prévues et organisées. Tout frère peut être dispensé par son supérieur des
observances qui gêneraient son travail intellectuel.
Un « ordre de docteurs » L'ordre dominicain forme des prêtres instruits et théologiens, voués à la pauvreté et destinés à lutter
contre l'hérésie. L'Inquisition, créée en 1231 par Grégoire IX, leur est confiée à partir de 1232-1233; c'est un dominicain, F. Robert dit
le Bougre qui est nommé inquisiteur général de France, à l'exception du Languedoc. Les franciscains y participent aussi, mais de
manière plus ponctuelle, plus tardive et plus réduite.
Dominique attaché à la pauvreté comme François, est avant tout une arme contre l'hérésie. La règle est un instrument, et pas un
absolu, plus souples que les franciscains dans ce domaine, acceptant sans scrupules de posséder des livres et les terrains sur
lesquels étaient bâtis leurs couvents.
Les frères prêcheurs, dotés d'une solide formation théologique, s'imposent vite dans les universités, comme Albert le Grand et
saint Thomas d'Aquin.
St Antoine de Padoue entre dans l’ordre franciscain – Giovanni di BArtomomeo Cristiani 14e S Chapelle Pazzaglia à Pistoia
2- Essor des ordres mendiants
Si la réforme grégorienne n'a par réussi à relever de façon durable le niveau moral et intellectuel du clergé, c'est que la cause
profonde du mal ne doit pas être cherchée dans l'investiture et l'appropriation laïque, mais dans l'enrichissement. Ni la règle
bénédictine, ni les réformes monastiques n'ont su faire triompher l’idée de pauvreté. (protestation jusqu'à l'hérésie des Vaudois,
Albigeois). Pour conjurer le péril, il faut intégrer dans l'Église le puissant idéal de la pauvreté évangélique, en faire le ferment d'une
nouvelle réforme, suite logique de la réforme grégorienne, mais plus efficace et plus profonde.
Giovanni Barile -Saint François, Ste Claire et laïcs à la table du seigneur - réfectoire sta Chiara - Naples 1331
Au début du XIIIe siècle, une sorte toute nouvelle de moines apparaît donc : les Mendiants. Au lieu de vivre à l'écart du monde dans
des monastères, ces religieux se mêlent au peuple, comme les premiers apôtres, pour prêcher l'évangile, et vivent d'aumônes.
Vivant la vie du peuple, parlant sa langue, les ordres mendiants ont sur lui une influence considérable. Ils reçoivent le droit de dire la
messe, de confesser, d'enterrer, comme s'ils étaient des séculiers.
Adam de Coster - St François en méditation aux côtés du Frère Léon, v 1626
Ce Saint François en méditation aux côtés du Frère Léon offre une iconographie unique, inédite au sein de la pléthore d’images
montrant le saint en oraison dans la première moitié du XVIIe siècle, y compris chez les caravagesques. Il est exceptionnel de
trouver le Frère Léon, le compagnon, confesseur et secrétaire du saint, représenté à la même table de prière que le Père
Séraphique, exactement sur le même plan que lui – même si le peintre établit une hiérarchie entre saint François, le regard levé
vers le crucifix, et Frère Léon, penché sur sa lecture
Exemple d'influence des Mendiants : lors de la grande dévotion, vers 1233. Des dominicains et des franciscains prêchent, dans
toute l'Italie du Nord, contre la cupidité et l'usure, contre l'hérésie, et provoquent dans des assemblées de spectaculaires
réconciliations entre familles, partis et villes, telle la grande réunion de Paquara, présidée par le dominicain Jean de Vicence, qui
deviendra duc de Vérone. Grégoire IX ne réussit pas à contrôler ce mouvement, du moins favorise-t-il les « associations de paix »
qui en sont le seul résultat durable, tels, en 1234, les Fratres militiae Jesus Christus, dirigés par les dominicains et qui se répandent
dans de nombreuses villes. La « Grande dévotion » s'accompagne aussi de bon nombre d'exécutions d'hérétiques.
Très riches heures du Berry – frères Limbourg – 15 e S Chantilly
Les ordres mendiants sont les meilleurs propagandistes de la croyance nouvelle en un Au-delà, intermédiaire entre l'Enfer et le
Paradis, troisième royaume où on peut encore être racheté entre le jugement individuel qui suit immédiatement la mort et le
Jugement dernier. Le Purgatoire naît, en tant que lieu spécifique, à la fin du XIIIe siècle (« feu purgatoire » après la mort, concile de
Lyon en 1274). Ils diffusent également le culte marial, nouveaux usages de la prière, tel le rosaire que lancent les dominicains, et qui
prend sa forme à peu près définitive au XVe siècle. Ils deviennent surtout les grands spécialistes de la nouvelle forme de la
confession, la confession auriculaire imposée à tous les chrétiens au moins une fois l'an par le IVe concile de Latran en 1215. C'est
une révolution spirituelle et psychologique qui crée un dialogue insolite entre les prêtres et les laïcs, développe l'examen de
conscience et la casuistique morale.
Miséricorde Eglise Ste Catherine de Cortone Le succès des ordres mendiants est d'autant plus grand que des ordres ont été créés pour les femmes, et que les laïcs peuvent
s'affilier tout en continuant à vivre dans leurs familles et à s'adonner à leurs occupations habituelles, dans le cadre des Tiers Ordres,
qui se mettent en place à la fin du XIIIe siècle.
St Dominique et François – Maître delà légende d’Apollon et Daphné – 15e S Petit Palais Avignon
Dominicains et franciscains sont entre les mains du Pape un outil adapté à sa politique : ces ordres mendiants ont une vocation
pastorale et seront le fer de lance de la conversion. L'esprit de croisade est remplacé par l'esprit de mission. Outre leur promotion
aux hautes fonctions, les Mendiants remplissent diverses tâches (légations, négociations, etc), ce qui n'est pas sans créer des
conflits entre les Mendiants et les autres ordres. Les évêques se méfient de ces moines qui obéissent à des autorités lointaines et
compromettent leur indépendance en face du Saint-Siège. Des incidents éclatent souvent à propos de sépultures, d'aumônes,
d'autorisations de prédication, et le grand conflit universitaire parisien n'est que le plus célèbre épisode de cette lutte. Si le SaintSiège soutient les Mendiants dans ces affaires, c'est qu'il est nécessaire de suppléer aux défaillances du clergé. Les Mendiants sont
les confesseurs de nombreux souverains, comme par exemple les dominicains auprès de Saint Louis et des rois de France jusqu'au
XVIe siècle.
3- Un nouveau lieu d'apostolat : la ville
Bartolomeo Bocchi - Repas
Franciscains et dominicains recherchent les villes, qui depuis le XIe siècle connaissent une grande expansion. Le nouveau monde
urbain s'affirme à travers des valeurs et des comportements nouveaux, le goût de l'échange commercial et culturel, la recherche de
la sécurité et du confort, des formes de sociabilité plus égalitaires, comme la corporation et la confrérie. C'est à cette époque
qu'apparaissent les universités. Mais la ville est païenne, et il faut la convertir. Le clergé séculier, insuffisant par son nombre et son
exemple, le monachisme dominé par le contemptus mundi, ne suffisent pas.
Exaltation de l’œuvre des Dominicains – Andrea di Bonaiuto – Chapelle des Espagnols, cloître du Duomo Florence 1366/68
Franciscains et dominicains constituent très vite leurs réseaux, avec cette différence que les dominicains préfèrent établir des
couvents assez grands dans des villes assez importantes, tandis que les franciscains étaient soucieux d'implanter aussi des couvents
plus petits dans des agglomérations urbaines plus modestes (mais dépassant cependant 3000 habitants). Á terme, la carte des
couvents mendiants se confond avec la carte urbaine. Les ordres mendiants ont rarement cherché à s'installer directement en
milieu rural ; la campagne qui entoure les villes est considérée comme un arrière-pays, un territoire de prédication et de quête, qui
complète l'espace d'apostolat et d'exploitation de la ville proprement dite.
L'activité des universitaires : de nombreux maîtres et étudiants apparaissent, qui doivent trouver des formes de subsistance en
dehors des écoles monastiques et épiscopales. Les esprits traditionnels les accusent de vendre la science qui n'appartient qu'à Dieu.
L'activité des marchands : L'Église traditionnelle les accuse de pratiquer l'usure et de vendre le temps qui, lui aussi, n'appartient
qu'à Dieu.
Dans les deux cas, les ordres mendiants font valoir leur activité qui mérite d'être rémunérée. Les ordres mendiants prêtent leurs
locaux aux nouvelles institutions (universités, conseils municipaux). Ils créent et encadrent également de nombreuses confréries.
St François donne la règle aux frères mineurs et sœurs Clarisses – 1445 Colantonio San Lorenzo Naples déposé Capodimonte
Cette urbanisation des ordres mendiants n'est pas sans conséquences néfastes. De plus en plus liés avec les groupes dominants des
cités, c'est-à-dire avec le patriarcat, nobles et bourgeois, leur œuvre de justification de la société urbaine tourne au renforcement
de la domination des riches et des puissants. Des critiques sont faites dès le milieu du XIIIe siècle à l'intérieur et à l'extérieur de
l'ordre, par les poètes Rutebeuf et Guillaume de Meung par exemple, qui vilipendent le frère mendiant hypocrite, la construction de
couvents éloignés de l'esprit de pauvreté et d'humilité, l'enrichissement d'ordre qui se tournent de plus en plus vers la possession de
rentes urbaines. Ces critiques débouchent souvent sur une franche critique anti-urbaine. Saint Bonaventure doit, contre une
fraction de Spirituels animés par l'esprit du « désert », défendre l'implantation en ville
4- Une nouvelle prédication
Un nouveau langage Depuis le XIIe siècle, face aux hérétiques qui discutent sur les places publiques, face à la société urbaine qui a
besoin qu'on lui parle différemment de Dieu et de son salut, une parole nouvelle commence à se faire entendre. La prédication
connaît un élan extraordinaire et une métamorphose profonde. Elle ne tombe plus d'en haut sur le peuple des fidèles, mais
s'adresse vraiment à lui, s'efforce de lui parler de ses problèmes spécifiques. La prédication distingue des auditoires selon leurs
activités socioprofessionnelles, leur « état » (sermones ad status) : sermons pour les clercs, les universitaires, les marchands, les
artisans, les paysans.
St Antoine de Padoue prêchant Arnould de Vuez– deb 18 e S MBA Lille
Elle a recours à des historiettes qui divertissent, font appel à la fable ou à la vie quotidienne : ce sont les exempla. Le mode de
prédication par anecdotes morales n'est pas nouveau (paraboles, sermons des cisterciens), mais c'est au cours du XIIe siècle que ce
mode de prédication par l'utilisation massive de récits exemplaires s'amplifie et devient prépondérant, sous l'impulsion des ordres
mendiants. C'est ce qui explique la très forte demande d'exempla de la part de prédicateurs impatients de trouver des récits
lorsqu'ils préparent leurs sermons. L'exemplum est fait pour transformer l'auditeur, pour l'amender. Cette catéchèse se résume en
trois points (ce résumé provient de l'analyse des exempla rassemblés dans le recueil d'Étienne de Bourbon.
 Inspirer la peur de la damnation éternelle. Pour l'éviter, il faut mourir en accord avec le Seigneur, dans le pardon des fautes
commises. L'on insiste sur la nécessité de penser constamment à la mort, et on insiste sur les horreurs de l'enfer et du
purgatoire.
 Montrer la voie du salut. Elle passe par la confession, qui aide à triompher du Malin. Les œuvres de pénitence et de
miséricorde en sont les compléments indispensables. Les exempla démontrent aussi les multiples avantages du jeûne, du
pèlerinage, de la croisade, des aumônes. L'appel aux saints et à la Vierge sont tout autant recommandés.
 Lutter contre les vices. Plus de la moitié du traité d'Étienne de Bourbon y est consacré. L'auteur range sous les sept péchés
capitaux tous les crimes de son temps.
St Pierre prêchant en présence de St Marc – prédelle retable des Linaioli – 1433 Fra Nagelico – Musée San Marco Florence
L'Ars prædicandi fournit, du XIIe au XVe siècle, le sujet de nombreux traités dont les manuscrits, encore conservés par centaines,
attestent le succès. Nous y découvrons une science d'une complexité déroutante, où l'influence du modèle universitaire est très
nette. Un bon sermon est comme un arbre. Le thème en représente la racine, le prothème, le tronc ; l'annonce du plan correspond
à la naissance du tronc commun, et sur les rameaux des distinctions pousse le feuillage du développement. Dès le XVe siècle des
voix s'élèvent pour juger excessif un tel développement, faisant valoir que la prédication des Pères n'avait pas besoin de tant
d'artifices pour suppléer au manque d'inspiration. Cependant les auditeurs, surtout dans les villes, ne sont pas insensibles aux belles
constructions, et les exempla animent l'ensemble.
La prédication finira par sortir sur les places, dans des chaires extérieures, provisoires ou permanentes. Le prêche prend alors, avec
les prédicateurs en vogue, véritables idoles de la foule, des allures de meeting. Les frères arrivent accompagnés de confesseurs et
souvent de notaires, qui officialisent les actes de réconciliation entre familles ennemies et les donations en faveur des hôpitaux,
orphelinats et autres œuvres de charité.
Curiosité Les ordres mendiants ont donné son nom à un dessert composé de fruits secs, lesquels étaient anciennement appelés
fruits de carême : figues de Provence, raisins de Malaga, amandes et avelines.
Le Dictionnaire général de la cuisine française ancienne et moderne rapporte que le père André le Boullanger lors d’un prêche devant
Louis XIII, a affirmé « que ces fruits étaient nommés ainsi parce qu'ils avaient pour patrons les quatre ordres mendiants, savoir : les
Franciscains capucinaux qui représentaient les raisins secs, les Récollets qui étaient comme des figues sèches, les Minimes qui
semblaient des amandes avariées, et les moines déchaux qui n'étaient que des noisettes vides. Ceci fit un grand scandale, et le père
André Le Boullanger fut interdit pour six mois par arrêt du grand-conseil. »
De ce dessert dérive la friandise connue sous le nom de « mendiant au chocolat », pâtisserie composée d'une fine semelle de
chocolat sur laquelle sont déposés les fruits secs.

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