IV-« Femmes Bamoun : mères pacifiques, paysannes rebelles

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IV-« Femmes Bamoun : mères pacifiques, paysannes rebelles
IV-« Femmes Bamoun : mères pacifiques, paysannes rebelles ? » : rapport de
genre, du foyer à la plantation
Les positions sociales de « chef de famille » et de « chef de foyer »
structurent les tâches des hommes et des femmes autant dans la sphère familiale
que dans le domaine agricole. Les premiers sont les décideurs et les seconds les
partenaires soumises. Une fois que la complémentarité familiale n’est plus
dissymétrique (apport des revenus pour l’homme, l’entretien du foyer pour la
femme), elle devient symétrique. Les femmes ont alors des activités qui leur
rapportent des revenus (hommes, pourvoyeurs de revenus, femmes pourvoyeuses
de revenus et ménagères).
Rôle et statut
Femme
Rôle social
interne
X
Homme
Rôle social
externe
Rôle
Chef de
économique famille
X
X
X
Paysanne en
couple
X
X
Paysanne seule
X
X
X
X
X
Paysan
X
Chef de
foyer
X
X
X
Les paysans ont des atouts économiques, culturels, intellectuels indéniables,
alors que les femmes en sont dépourvues. Les rapports de genre déterminent ainsi
l’accès aux ressources dans la mesure où la supériorité domestique des hommes
est un élément avantageux.
« L’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas mon objectif. Je veux
produire plus et vendre afin de mieux nourrir mes enfants. J’ai aussi la possibilité
de gagner des revenus par mes activités agricoles et cela me permet de m’habiller
seule, sans faire recours à mon mari mais ca ne veut pas dire que je suis égal à lui.
L’activité agricole a augmenté mes fonctions et j’ai à ma charge beaucoup de
14 choses que mon mari s’en occupait quand leurs cultures de café marchaient
bien »21
Le rôle économique des hommes revêt une signification plus importante
socialement que celui des paysannes car le chef de famille a de plus grosses
responsabilités financières à assumer : construction de maison, scolarité, santé,
deuils tandis que le rôle économique de certaines femmes vise à produire ce que la
maisonnée consomme lorsque l’époux a manqué à ses devoirs ou l’a accompli à
moitié. L’homme conserve sa supériorité sociale et domestique malgré l’insertion
massive des paysannes dans l’économie marchande. L’activité économique
féminine même si elle est utile est considérée comme étant secondaire. C’est
pourquoi l’accès des paysannes à certaines ressources de production est réduit.
Même si à travers les revenus de la femme certains hommes parviennent à réaliser
certains projets, ce sont eux qui officiellement reçoivent les honneurs. D’aucuns
pensent qu’à travers les paysans formés et informés, plusieurs paysannes le sont
également.
Ainsi, du foyer à la plantation, pour les paysannes en couple, la
hiérarchisation des rapports de genre est continue. La discontinuité des rapports
inégaux entre les paysans et les paysannes est possible pour certaines paysannes
qui ne sont pas en couple, du fait de l’absence de l’autorité maritale. C’est
pourquoi, ayant plus de responsabilités que les femmes en couple, les paysannes
seules sont plus engagées dans la remise en question de l’autorité masculine qui
légitime un accès secondaire et moindre des femmes aux ressources productives.
Le statut économique des femmes est étroitement lié à leur rôle social et ne
constitue pas nécessairement un moyen de dépassement radical de la division
socioculturelle des pouvoirs des époux même si les revenus monétaires modifient
les identités de genre et les rôles familiaux de chaque conjoint 22 . La logique
moderne du rapport aux ressources productives n’affecte pas vraiment la division
de l’usage des ressources liées au travail de CARE pour les femmes, mais introduit
une genrisation des ressources agricoles.
21
Une répondante, 38 ans, paysanne, entretien réalisé dans le cadre de mes recherches doctorales de Octobre à
Décembre 2011 à l’Ouest-Cameroun 22
GUETAT-BERNARD Hélène, « Cultures du café et dynamiques des rapports de genre en pays Bamiléké au
Cameroun : effet de similitude avec la situation Kikuyu au Kenya »in Café et politiques, Cahiers d’Outre Mer,
2008, pp339-354.
15 Ce phénomène social ne révèle pas nécessairement l’inversion de genre. Fort
est de constater que le contrat de genre entre les paysans et les paysannes
demeure étroitement semblable aux relations femmes-hommes, conformes aux
stéréotypes sexuées. Les dynamiques de rapports de genre restent confinées dans
les schémas respectueux de la supériorité masculine dans un contexte où les
activités agricoles marchandes des paysannes sont considérées majoritairement
comme une continuité « acceptable, tolérable» du rôle social des épouses puisque
les revenus de l’homme ont diminuées alors que les produits de première nécessité
sont de plus en plus chers. L’homme ne pouvant plus assumer seul les charges des
familles, les revenus des femmes sont un complément. On part donc d’une égalité
dans la différence des rôles et des ressources utilisées par les femmes et les
hommes à une égalité dans la complémentarité dans les relations entre les sexes
dont l’influence sur la gestion des ressources agricoles se lit à travers la facilité
qu’ont les paysans à trouver mieux que les paysannes les intrants, les surfaces
cultivables et fertiles, les semences améliorées, les formations, le matériel et les
crédits agricoles. Pour les paysannes seules et qui ont besoin de ressources
agricoles, s’il n’y a pas une présence masculine domestique, il y a socialement une
autorité masculine qui infériorise leur accès à certaines ressources. Elles ont
comme les autres paysannes en couple le même problème de déficit de pouvoirs
socioculturels leur permettant d’accéder facilement aux ressources agricoles.
Dans le rôle de mère, les femmes Bamoun sont respectueuses de la division
sociale des tâches. Mais, avec le statut de paysannes seules, elles ont besoin de
récoltes abondantes pour assurer la nutrition des enfants et pour avoir de revenus
supplémentaires. Divers stratégies sont donc utilisées pour défaire les pouvoirs des
paysans
et
accéder
aux
ressources.
« Silencieusement,
subtilement
et
passivement », elles refusent de subir l’infériorité imposée car une femme seule a
une double responsabilité de ménagère et de chef de famille23. L’activité agricole
féminine introduit des rapports nouveaux négociés entre les paysans et les
paysannes. Face à cette supériorité dont bénéficient les paysans, peu de femmes
se constituent concurrentes. La majorité d’entre elles adopte une attitude
conciliante afin de profiter des avantages des paysans pour avoir accès à certaines
23
www.Fao.org, Statistiques et genre recensements agricoles, 2001,7p. 16 ressources. Cela leur permet, par exemple, d’avoir certaines informations sur les
plantes, d’utiliser les terres, les outils comme les pulvérisateurs, les motopompes.
« les maris n’ont pas refusé que je e lance dans l’agriculture à moyenne
échelle, et ce n’est pas une question de prendre la place de l’homme mais c’est un
problème de survie ; il n’ ya pas égalité entre les époux, car chacun a sa place,
dans le domaine agricole, il n’ a pas égalité non plus puisque la préoccupation
n’est de se comparer aux hommes mais de travailler ensemble pour l’amélioration
de la vie dans une région où prédomine la faim, le mariage précoce, la sous
scolarisation ; c’est en étant soumise que nous avons une chance de gagner pour
avoir un champ, des dons d’argent, des prêts pour cultiver nos champs et avoir
plus d’argent, on aide plus une femme soumise qu’une femme rebelle »24
A travers des résultats très positifs, certaines paysannes utilisent leur
engagement dans l’économie agricole et marchande comme moyen de persuasion
de la communauté sur leur utilisation judicieuse des ressources productives très
souvent contrôlées par la famille et les hommes25 . En effet,
en contribuant à
l’allègement des charges financières, plusieurs femmes ont reçu plus de dons
(grande superficie, semences, soutien humain, etc) de la part de l’entourage
immédiat. Elles se regroupent afin de combler le déficit de la main-d’œuvre, du
crédit et des outils. Malgré les ressources limitées, elles usent de toutes leurs
capacités
et
savoirs
pour
tirer
profit
de
l’environnement.
Lorsqu'elles
deviennent un soutien non négligeable de la famille, elles élargissent leurs espaces
de pouvoir et peuvent être nommées « femme-homme » c’est-à-dire une femme
qui va au-delà des attentes sociales, fait ce qu’on attend d’un homme (construit
une maison, inscrit ses enfants dans les écoles prestigieuses et produit des
richesses) tout en restant soumise.
Les relations entre les femmes
et les hommes ne reposent plus sur la
conformité à la norme devenue caduque avec les rapports de genre symétriques.
L’acquisition du statut de chef d’exploitation par les femmes ne traduit pas
24
Une répondante, 41 ans, paysanne, entretien réalisé dans le cadre de mes recherches doctorales de Octobre à
Décembre 2011 à l’Ouest-Cameroun
25
LAVIGNE DELVILL Philippe (sous la dir.), Gérer le foncier rural en Afrique de l’Ouest : dynamiques
foncières et interventions publiques, Karthala, 361p.
17 l’égalité du pouvoir d’action dans le foyer et dans le circuit agricole. En effet, Si
dans la sphère domestique, les paysannes seules peuvent être chefs de famille,
dans la sphère agricole, elles ont les mêmes difficultés que les paysannes en couple
à obtenir les ressources disponibles dans la mesure où la légitimité socioculturelle
accorde plus de crédibilité aux hommes ayant ce statut. Pour s’affirmer, les
paysannes seules adoptent une attitude rebelle active et subtile pour accéder
absolument aux ressources puisque toutes les
responsabilités familiales leur
incombent. Or, pour les paysannes en couple, l’activité agricole marchande est une
continuité de leur rôle social. Elles ont une relation de genre basée sur l’égalité
dans la différence ou la complémentarité sans pour autant bousculer les rapports
d’infériorité et d’accès inégal aux ressources. Le combat pour une gestion
équitable des ressources est plus mené par les paysannes seules que par celles qui
sont en couple et dont les époux assument l’entière responsabilité des charges.
Les rapports femmes-hommes fondés sur l’égalité réelle sont plus visibles avec les
paysannes seules.
Ainsi l’inégalité de genre dans le foyer induit l’inégalité de genre dans la
gestion des ressources agricoles et l’évolution du statut agricole pour certaines
femmes ne peut avoir un effet positif sur leur pouvoir dans la sphère agricole que si
elles sont chef de famille parce que ayant une obligation de résultat en termes de
productivité élevée, elles sont plus combatives et disponibles pour accéder à
toutes les formes de ressources. Elles ont des difficultés parce que la mentalité
reste encore fondée sur le modèle de l’homme chef d’exploitation et principal
acquéreur de ressources productives. Elles s’organisent néanmoins pour la
reconnaissance du modèle de femme chef d’exploitation et acquéreuse de
ressources agricole afin de bousculer les idées reçues sur l’activité économique des
femmes présentée comme secondaire et très liée à la seule nutrition des familles
qu’à un besoin économique et commercial.
Conclusion
L’insertion massive des femmes dans l’économie marchande provoque le
bouleversement de la logique traditionnelle du rapport aux ressources agricoles
même si en réalité cela a entraîné la double journée de travail pour les femmes qui
18 ont à leur charge les activités agricoles et de care. Dans un contexte marqué par
l’évolution de l’activité agricole et économique des femmes, les rapports de genre
sont respectueux de la supériorité des hommes autant dans la sphère domestique
que dans le domaine agricole dans la mesure où d’aucuns affirment que étant chef
de famille, les hommes ont plus de charges et ont besoin de plus de revenus
financiers.
Leurs
activités
agricoles
nécessitent
donc
plus
de
ressources
productives. A cause de la pauvreté ambiante et de l’absence de soutien financier
des hommes dans l’accomplissement des tâches quotidiennes, les femmes ont
intégré le champ économique. L’activité féminine agricole revêt alors un statut
complémentaire de celui de l’homme dans une société où la vie est de plus en plus
chère et les enfants nombreux.
Le but de l’agriculture féminine est avant tout nutritionnel et pas
commerciale. Ainsi, elles ne nécessitent pas de ressources importantes selon
certains agriculteurs. Elles vont dans les plantations produire ce qu’elles
achetaient quand les époux leur donnaient l’argent issu de la culture de café. Or,
avec les mutations culturales, les femmes peuvent produire ce qu’elles
consomment et vendre aussi une partie des récoltes. L’évolution du statut des
femmes ne constitue pas vraiment un renouvellement des rapports de genre dans la
mesure où l’objectif premier des activités économiques des femmes n’est pas
toujours la remise en question de la supériorité masculine. Au contraire, via la
négociation, la subtilité, et des bonnes récoltes, plusieurs paysannes en couple
reçoivent divers types de ressources sous forme de dons. Elles peuvent alors
bénéficier de plantes, semences, de terre et de savoirs nouveaux.
Cependant, il est possible que le rapport de genre actuel qui repose sur la
complémentarité des rôles entre les femmes et les hommes soit remplacé par un
contrat de genre fondé sur l’égalité réelle entre les sexes dans cette région. En
effet, la réussite quasi-totale des paysannes seules dans leurs activités agricoles et
les effets très positifs de leur contribution au bien être de leurs familles sans
aucune aide masculine sont des arguments en faveur de la modification de la
perception des compétences féminines. Considérant les résultats que les paysannes
obtiennent avec peu de ressources agricoles, d’aucuns sont pour une évolution vers
de nouvelles relations entre paysannes et paysans et encouragent les projets
fondés sur un accès meilleur aux ressources agricoles pour les paysannes.
19 Références bibliographiques
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(sous
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Enjeux
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-WATAT Christian, Les effets de la précarité de la tenure de terre au plan
économique, inédit
Site Internet
-www. projet-drm.com
-www.Fao.org, Statistiques et genre recensements agricoles, 2001,7p.
Données scientifiques issues des enquêtes de terrain
-Recherches doctorales de Octobre à Décembre 2011 à l’Ouest-Cameroun : 49
interviews réalisées auprès des responsables, des paysannes et paysans et acteurs
du monde agricole.
21 

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