1 COEURDEVEY Edouard (1882-1955) 1) Le témoin : L`auteur est d

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1 COEURDEVEY Edouard (1882-1955) 1) Le témoin : L`auteur est d
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COEURDEVEY Edouard (1882-1955)
1) Le témoin :
L’auteur est d’origine très modeste, il est né dans un petit village du département de la Verne,
Doubs. Il est l’ainé d’une famille rurale de 7 enfants, qui sera surnommée « quat’sous », en raison
de leur très grande pauvreté.
Devant la pression économique d’élever 7 enfants, E. Coeurdevey
est envoyé grâce au réseau de connaissance de la famille, en tant que valet de chambre chez un
sénateur à l‘âge de 15ans. Grâce à cela, il devient instituteur, puis réussi à passer une licence ès
Lettres à Besançon, ou il se liera d’amitié avec l’historien Albert Maltiez.
L’auteur connait donc une importante progression sociale au cour de sa jeunesse, ce qui peut
expliquer ses grades dès le début du conflit. Néanmoins un point parait important, de préciser, le
témoin, au début du conflit se trouve en Autriche ou il y perfectionne ses études, aussi parle t’il
Allemand couramment, il doit néanmoins quitter l’Autriche pour « servir son pays », ce faisant, il
rompt ainsi avec son amour de jeunesse d’origine Autrichienne.
Sur le plan politique, il est décrit par son fils comme un homme de droite, ce qui s’accorde avec
ses idées tout au long du témoignage. C’est un homme très croyant, qui donne une grande place à
la religion et à la spiritualité dans sa vie, sans doute du a une éducation rurale très bigote et
conservatrice.
Il est mobilisé dès le 8 août 1914 avec le grade d’adjudant. Au départ affecté au CVAD (Convoi
de Véhicule Administratif Divisionnaire), auquel il restera jusqu’en février 1916. Par la suite, il
sera muté au 235
au combat, il est affecté au bureau du dépôt divisionnaire, ce qu’il décrit
comme un « filon ». Il ne sera finalement affecté aux premières lignes que le 25 août 1917,
toujours avec le grade d’adjudant au 417ème RI. Il ne connait son baptême du feu que le 18 août
1918, blessé à la cuisse et à la tête le 20, il est évacué et ne retourne pas au front.
Après la
guerre, il n’est pas démobilisé directement, sa connaissance de l’Allemand l’amène a siéger
comme interprète au tribunal du guerre Allemand. Il ne sera finalement démobilisé qu’en 1919.
Par la suite, il occupera divers postes dans l’enseignement, avant de devenir en 1928 le directeur
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de l’école normale d’instituteur Catholique du Bas-Rhin. Il se marie après la guerre, père de 4
enfants, il doit fuir pendant la seconde guerre mondiale, et amène avec lui ses précieux carnets. Il
meurt le 26 mai 1955 toujours avec le grade d’adjudant au 417ème régiment d’infanterie, mais
sans partir.
2) Le témoignage :
L’auteur n’a pas pris de pseudonyme, et il s’agit des 12 carnets, écrits au jour le jour durant le
conflit, de 1914 à 1918, ces carnets sont la propriété de la famille, qui décide, presque 100 ans
après les événements de les faire publier
Le titre de l’œuvre est: Carnets de guerre 1914-1918,
un témoin lucide.
La publication de ses œuvres a été décidée par le petit fils de l’auteur Jean Cœurdevey. L’Œuvre
fut donc publiée dans la collection Plon, dans la collection «Terre Humaine » en 2008. Faisant à
la base 932 pages, nous avons ici la version de poche de l’œuvre, édité en 2009, et faisant 1189
pages. A l’ouvrage, sont jointes des photographies, photos prises pendant les premières années à
l’arrière, elles montrent l’auteur lui-même, ses compagnons ainsi que des scènes de la vie
quotidienne des soldats hors du front.
La préface a été réalisée par Jacques Marseille, historien spécialise du premier XXème siècle, et
professeur à l’université de Paris Sorbonne. Il choisi lui-même de définir E. Coeurdevey comme
« un témoin lucide », le comparant à Marc Bloch, au vu de sa compréhension du conflit, et sa
vision d’une «étrange victoire», pour la comparer à « l’étrange défaite », vu par M. Bloch en
1940.
Un avant propos lui, à été rédigé par J. Coeurdevey, petit fils du témoin, ou il décrit la situation
familiale alors de son grand père, ses amours et sa situation personnelle au début du conflit, et
nous permet de mieux cerner le personnage.
Au cour du témoignage, des passages, choisis par la famille, et les descendants des personnes
concernées ont été supprimés des carnets et sont signalés par des [...], dans le but de protéger les
descendants ou de ne pas choquer certaines personnes. D’autres passages sont dans les carnets
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illisibles, bien que relativement rare, Coeurdevey étant à l’arrière, il à la fois le temps d’écrire et
ceux-ci ne sont pas abimés par les mauvaises conditions des tranchées, sont signalés par [passage
illisible] au cours du texte. D’autres passages encore, ont été volontairement détruits par l’auteur,
barrés et raturés, ils sont également signalés.
Enfin, ce sont des carnets bilingues, parlant Allemand, il rédige de nombreux passages en
Allemand, lorsqu’il désire que des personnes l’entourant ne puisse comprendre ce qu’il écrit, il
s’agit souvent d’amour ou de critique de ses supérieurs ou de ses amis.
Ce témoignage, Coeurdevey l’a écrit pour lui-même, pour sa famille et ses amis sans doute. Il le
considère comme un bien précieux, car il l’amène avec lui lors de sa fuite face à l’Allemagne en
1940. Néanmoins il est parait peu probable qu’il ait prévu de les faires publier, et il faut attendre
son petit fils pour que cela se fasse.
L’auteur écrit très bien, grâce à son éducation, et longuement, il décrit son quotidien, ainsi que
celui de ses camarades, racontant des anecdotes, il met en scène des dialogues qu’il a eu, ainsi
que ceux qu’il imagine que ses camarades aient eu. Il fait par de ses opinions, de sa vision de la
guerre, de l’éducation, de la place des femmes, et rédige également des poèmes.
C’est donc un témoignage personnel, il écrit avant tout pour lui, dans un but de mémoire, mais
aussi de réflexion, sur ce conflit qu’il tente tant bien que mal de comprendre, tant sur ses causes
que dans son aspect technique et politique
3) L’analyse :
1- Edouard Coeurdevey est-il un patriote ?
Rappelons qu’au début du conflit, l’auteur se trouve en Autriche, aussi reviens t’il en France pour
« faire son devoir », ce qui de prime abord laisserait penser à la thèse du
consentement.
Néanmoins, ses trois frères eux, en France participent aussi au conflit, il le sait,
aussi peut il décemment ne pas rentrer en France et prendre part au combat, et par la suite les
regarder en face? Difficile à imaginer. Il revient donc en France, et accepte son sort, et est
mobilisé dès aout 1914.
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Néanmoins, il n’est pas muté au front mais à l’arrière, il dit s’en sentir « diminué », pourtant, il en
lisant le témoignage, il apparait qu’il en est soulagé, que la guerre lui fait peur, ainsi que les
conflits.
Autre chose nous confirme cela (p. 198), suite à une punition d’un officier, il a le choix,
soit partir au front, soit subir 8 jours de cachot, il choisi les 8 jours de cachot, ce qui marque à ce
moment du conflit son manque d’envie de prendre part au combat, qu’il justifie par « la place
d’importance qu’il occupe au sein du ravitaillement », par moment, il avoue lui-même a demi
mot être lâche.
Néanmoins, au fur et a mesure qu’avance le conflit, il se résout à aller au front, lorsqu’en 1916 il
est muté d’en l’infanterie, il ne fait rien pour y échapper, mais sa place au bureau divisionnaire le
place encore une fois loin du front. Il est résolu à mourir, et à ce titre, il s’en va céder ses
économies comme bons du trésors, persuadé de ne pas revenir, au point de s’en brouiller avec sa
mère (p. 205). A partir de ce moment là, sa décision est prise, il « fera son devoir », il décide de
ne rien faire pour aller au front, mais également de ne rien faire pour l’éviter. Il deviendra même
critique de ses alliés et amis, qui eux, tentent de part leurs relations d’éviter les combats, d’êtres
mutés, réformés, ou de conserver leur place à l’arrière.
C’est donc résolu qu’il choisi d’aller au front, c’est une décision qu’il à eu le temps de murir, de
réfléchir, et, comme il le précise lui-même dans son témoignage, il lui aurait été possible d’éviter
d’être envoyé aux tranchées. Aussi, je pense qu’il nous est possible de voir qu’Edouard
Coeurdevey est, au moins à la fin du conflit un patriote.
2- Qu’en ait il de la haine de l’ennemi ?
Ayant vécu en Autriche quelque temps, l’auteur connait bien l’ennemi, et semble le respecter,
connait sa valeur, et sa capacité, aussi ne croit il pas aux propagandes visant a montrer une
Allemagne faible avec des mauvaises armes, et ce bien qu’il soit éloigné du conflit.
On ne
connait pas au début du moins, dans le témoignage une haine réelle de l’ennemi, celle-ci est
passagères, lors de la mort d’un ami, de la destruction de belles églises ou lors de la destruction
du Lusitania (p. 150). Mais ce n’est pas une haine profonde ou viscérale, elle est passagère et
disparaît assez vite. Néanmoins au fur et a mesure que le conflit progresse, et qu’il passe du
temps avec des hommes pour qui l’Allemand, le « boche » est l’ennemi héréditaire, il lui devient
plus évident, que la guerre est nécessaire, et l’exacerbation patriotique et antiallemande de ses
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camarades ont une influence sur lui, bien qu’il garde une grande réserve par rapport a ces idées,
pour preuve, lorsqu’il croise des prisonniers allemands, il est tantôt haineux, en particulier
lorsqu‘il est sous la pluie et eux, officiers, à l‘abris dans une voiture, ce qui marque plus un
agacement qu‘une véritable haine. Tantôt, il pourra se montrer compréhensif, leur parlera sans
haine, et se rend bien compte, que du côté Allemand, l’état d’esprit est le même que du côté
Français, il sont soulagés que « ce soit enfin fini pour eux. »
Néanmoins, lorsqu’il se retrouve au front en 1917, dans une zone de fraternisation tacite, il ne
rompt pas la paix, la peur de mourir l’emportant sur son patriotisme ou sa « haine de
l’Allemand ».
3- Qu’est-ce qui lui permet de tenir ?
- La place de la religion :
Dès le début de l’œuvre, l’on ressent bien la place d’importance que la religion occupe dans la
vie du témoin. Il est d’ailleurs tiraillé entre ses amours et Dieu, qu’il juge incompatibles. Au fur
et a mesure que le conflit avance, celle-ci prend une place de plus en plus prépondérante. Cela
l’aide à tenir, comme il le déclare lui-même:
« ... la guerre, ses dangers, ses épreuves, ses ruines
m’ont rapproché de Dieu, ont réveillé, retrempé ma foi catholique, et donné une activité très vive
à mon sens religieux ». Aussi se rend t’il tous les dimanches où cela lui est possible à l’office. Il
aime à discuter avec des prêtres, et déplore le manque de religion et l’athéisme croissant qu’il
perçoit chez ses camarades. Il est persuader, que pour supporter les horreurs de la guerre, Dieu est
la figure vers qui se tourner. La prière lui permet d’évacuer sa peur et ses angoisses, au point que
parfois, il s’enferme dans cette religion, préférant prier que de se lier des amitiés.
- Des liens familiaux forts :
La famille occupe une place privilégiée, sa mère tout d’abord, à qui il envoie chaque semaine
une lettre, et avec qui, malgré des différents au long du conflit il reste très attaché. Ses frères
ensuite, au nombre de trois, pour qui il prend plusieurs risques, en octobre 1914, il se rend sur le
front malgré les multiples dangers pour voir son frère Julien, les témoignages s’amour ne sont pas
rares (p. 100) « comble de joie il m’est accorder d’aller voir Julien pour qui je craignais tant ».
Egalement avec son autre frère, Louis, envoyé sur le front d’orient, et dont il demande une
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mutation, qui lui sera refusée, pour aller le voir. Soulagement aussi lorsque son dernier frère lui,
est réformé et retiré du front. Ses trois sœurs elles, comme il l’est signalé en avant propos, sont
totalement absente de tout le témoignage, rien sur elles ne sera cité.
- Une vie épistolaire et littéraire
:
Les lettres sont un plaisir pour le témoin, il est triste de ne pas en recevoir, en particulier de ses
amours, Camille et Emmy (p. 324). Il correspond énormément, avec ses frères, sa mère, ses
connaissances et ses anciens amis. La censure lui semble insoutenable et contraire à toute morale
p.189Il en fait mention a plusieurs reprises dans son journal. Il emporte également avec lui des
ouvrages, qu’il passe longtemps à lire, et qui lui permet de laisser évader son esprit hors de sa
routine.
- Ses permissions
:
N’étant pas sur le front durant les premières années de la guerre, il obtient plusieurs courtes
permission, lors de ses déplacements au CVAD, elles lui permettent de voir ses amis ou son frère.
Il obtient ensuite plus rarement des permissions longues pour voir sa famille qui vit plus loin (p.
204). Il comprend l’intérêt des permissions et l’explique très bien (p. 360), l’intérêt sur le moral
et sur l’efficacité des hommes.
- Des liens de camaraderies
:
De par son statut de sous officier, il évite de rester avec les simples hommes de troupes, et reste
avec les sous officiers ou officiers. De nature assez solitaire p. 363 il aime « écrire, lire, prier et
méditer » et réservé, ses amis se moquent de lui « il boit pas, il fume pas, il baise pas »,
néanmoins, le groupe est soudé, on peut les voir ensemble sur les photos jointes au témoignage,
le poème écrit pour son ami Ravenet (p. 415) en est un exemple. Malgré la guerre, et étant à
l’arrière, la vie continue, ils s’amusent comme ils peuvent, comme la blague des éléphants (p.
119), ou plus simplement en jouant au cartes, se rendant dans les bistrots pendant leurs temps de
pauses. Dans son groupe « d’embusquer », il semble être le seul à s’en sentir honteux, mais
Ravenet est père de plusieurs enfants, aussi la norme est elle dans son groupe a tout faire pour
rester en arrière, ne pas prendre de danger, le témoin lui, déplore ce manque de patriotisme et il
sera le seul a ne rien faire pour éviter le front. La « popote » est un moment important, un
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moment de sociabilité, chaque jour ils y discutent, jouent, et c’est là que se forgent les amitiés.
Dès le début du conflit, son vieil ami Colin se fait tuer, tout au long du témoignage il reviendra
sur sa tombe, se rendra voir sa mère et pleurera sa mort, il est brisé lorsqu’il trouve sa tombe (p.
105). Néanmoins, étant moins exposé au danger durant les premières années, leur relation n’est
pas basé sur une interdépendance pour leur survie, aussi leurs liens sont-ils sans doutes moins
forts.
4- Quelle vision de la guerre ?
Relations difficiles avec l’autorité, il se montre parfois sévère, parfois coulant, même si il aime
garder les distances avec ses subordonnés. Il se plant souvent d’être victime de ses supérieurs, qui
profitent de leur autorité, comme « Topchën », son supérieur direct pendant qu‘il est au CV AD,
qui le « persécute » (p. 269). Le témoin se montre aussi critique envers les ordres stupides «
toujours attendre le contre ordre avant d’agir » ironise t’il. Il critique l’organisation, qu’il juge
trop lourde, trop de rang intermédiaires. Il voit les jeunes officiés comme de vrais embusqués,
gradés par leurs relations et non par leurs talents. Etrangement, il critique aussi les instituteurs (p.
671), souvent gradés, qui n’ont pas de réelles capacités pour commander a des hommes. Il
critique les officiers supérieurs qui demandent des revues des hommes et des équipements (p.
800), au lieu de permettre aux soldats de se reposer.
Etant sous-officier, il place ses distances avec les hommes de troupes, très à cheval sur la
discipline, du moins au début, il se relâche par la suite, mais aime marquer la distinction de rang
(sans doute à cause de sa formation d’instituteur). Le témoin déplore la déshumanisation du
soldat, qui n’est plus qu’un chiffre dans l’énorme machinerie de guerre. Ils ne sont prévenus de
rien, et utilisés comme du matériel. Le témoin se rend tout a fait compte des évolutions de la
guerre, à quel point celle-ci est totale. Il est espère d’ailleurs que les civils pourront les aider, et
qu’ils tiendront le coup (p. 207).
Bien sur son discours patriotique l’amène a voir l’orgueil de l’Allemagne (p. 700) comme
première cause de cette guerre, mais il est persuadé qu’elle est du a la modernisation, la
mécanisation, et la mondialisation des société, aussi prône t’il souvent un discours sur l’idée de
revenir aux anciennes valeurs, de se rapprocher de son pays au lieu de trop vouloir s’étendre.
Il
est sensible aux « ragots de tranchée », quand ceux-ci peuvent paraître vraisemblable, mais se
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rend bien compte du bourrage de crâne général, en France comme en Allemagne (p. 519). La
guerre lui apparait longue et inhumaine, il déplore que « la France des campagne », celle dont il
est issu, celle qui travaille et nourri le pays ait le plus a payer, car ce sont eux qui sont
majoritairement envoyés au front. Il se rend compte (p. 425), que la France des campagne sera
dépeuplée, celle des villes, des ouvriers, des embusqué elle, sera toujours pleine.
Nous avons donc là le témoignage d’un homme lucide, qui comprend son temps, c’est
paradoxalement un embusqué patriote, mais qui acceptera le moment venu de faire son devoir. Il
offre une vision critique du conflit, et défend les valeurs républicaines et religieuses de la France
des campagnes contre la modernisation et la mondialisation du pays.
Pierrick RUIZ (Université Paul-Valéry Montpellier III)