Gestion active contre gestion passive
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Gestion active contre gestion passive Un combat d’idées Sophie Stival 18 janvier 2011 www.conseiller.ca D’un côté de l’arène se trouvent les représen- tants en épargne collective, les sociétés de fonds communs et les tenants de la valeur ajoutée en gestion de portefeuille. De l’autre, il y a moins d’opposants, mais ils sont tout aussi bruyants : les gestionnaires de fonds indiciels et plus particulièrement, les fournisseurs de fonds négociés en Bourse (FNB). Conseiller a tenté d’apporter quelques nuances à cet éternel débat, voire combat, entre la gestion active et la gestion passive, en demandant à trois experts leur avis. Selon Denis Durand, associé chez Jarislowski Fraser, rien n’est tout blanc ni tout noir. Les fonds indiciels peuvent convenir aux clients disposant de peu de capital à investir, par exemple moins de 75 000 $. « Pourquoi ces individus paieraient-ils 2,5 % de frais de gestion alors qu’ils risquent de ne pas obtenir de résultats meilleurs que l’indice ? », invoque-t‑il. Il rappelle que les frais abusifs, comme se plaît à les qualifier Richard Ferri, CFA et chroniqueur pour Forbes, ne concernent pas la clientèle de sa firme qui paie 0,5 % d’honoraires pour un actif minimum de deux millions de dollars. « Les coûts des fonds communs sont plus dispendieux au Canada qu’aux États-Unis ou en Europe », croit M. Durand. Le marché est chez nous plus restreint, il y a moins de joueurs et donc moins de concurrence. Moins de volatilité Chez Jarislowski Fraser, on croit à la valeur ajoutée d’une gestion active. Elle permet notamment de réduire la volatilité des rendements durant les différents cycles économiques. « Notre style de gestion privilégie la valeur et la croissance à un prix raisonnable », explique M. Durand. Cette démarche plus prudente, bien qu’elle soit moins performante que le marché quand il s’emballe, a de meilleurs résultats quand l’inquiétude gagne les indices. Les fonds indiciels répliquent le marché. Si notre aversion au risque augmente ou que le marché nous semble trop cher, comme au printemps 2008, on réduira ses positions en vendant ses parts. Selon M. Durand, ce n’est pas toujours la meilleure chose à faire d’un point de vue fiscal. La gestion active permet d’être plus prudent que le marché tout en gardant des investissements, par exemple en investissant dans des secteurs moins cycliques. « Notre type de gestion ne convient pas à tout le monde. Ça dépend des besoins de chaque client. Les petits portefeuilles ou les investisseurs qui, obnubilés par le seul titre au rendement médiocre, ne voient pas la performance d’ensemble du portefeuille, ne devraient peut-être pas investir dans un portefeuille de titres individuels », affirme M. Durand. Lorsqu’un associé de Jarislwoski Fraser rencontre un nouveau client, on lui demande régulièrement de comparer son style à celui de Warren Buffett. « On est dans la même lignée, mais M. Buffett investit pour le très long terme, plus de 10 ans. Berkshire Hathaway, c’est pratiquement un fonds d’investissement privé », explique M. Durand. « Si nous ne détenons pas de Berkshire, c’est que nos clients n’en tireraient aucun avantage. Pourquoi nous verser des honoraires alors que nous ne gérons pas cet argent ? Nous serions, dans ce cas-là, un simple intermédiaire de plus », ajoute-t-il. www.conseiller.ca Pourquoi payer 2,5 % en frais de gestion pour un investissement de 75 000 $ ? Denis Durand, Jarislowski Fraser Se distinguer de la masse François Bourdon est chef adjoint des placements à Fiera Sceptre. Il s’occupe de la répartition d’actifs et de la gestion des devises pour la société montréalaise qui gère 30 milliards de dollars d’actifs. Sa clientèle privée est également fortunée, avec un minimum de 5 millions de dollars de capitaux à investir. Le gestionnaire de portefeuilles avoue sans détour que la gestion indicielle offre en moyenne de meilleurs rendements que la gestion active. « Mais une moyenne, ça ne veut pas dire grand-chose », s’empresse-t-il de nuancer. « Dans une saison régulière de la National Football League (NFL), il y a 16 rencontres. En moyenne, les équipes auront 8 victoires, 8 défaites. Certaines équipes connaîtront 14 victoires et 2 défaites, d’autres, 2 victoires et 14 défaites. Mais on constate que ce sont souvent les mêmes équipes qui obtiennent les moins bons résultats, comme les Raider’s d’Oakland. Au hockey, c’est la même chose, même s’il y a des matchs nuls. Toronto et Nashville sont les équipes qui performent le moins bien. À Fiera Sceptre, on croit qu’on peut se distinguer de la masse et avoir plus de succès en ajoutant de la valeur à long terme pour nos clients », explique M. Bourdon. Maurice N. Marchon, professeur titulaire à l’Institut d’économie appliquée aux HEC, à Montréal, croit également que la gestion active peut ajouter de la valeur à un portefeuille. Le gros problème, nuance celui qui commente régulièrement l’actualité financière et économique chez nous, c’est que les meilleurs gestionnaires d’aujourd’hui ne seront pas nécessairement les meilleurs gestionnaires de demain. En d’autres mots, le passé n’est pas garant de l’avenir. Dans le cas du fonds de retraite des HEC, la gestion active a réussi à ajouter de la valeur, mais il faut suivre les gestionnaires de près, précise M. Marchon. « L’environnement mondial change vite et leurs analyses ne sont pas toujours adéquates au fil du temps », note l’économiste. Si c’est le cas, il faut alors changer de gestionnaire. Par contre, pour un petit investisseur qui ne peut faire affaire avec des gestionnaires institutionnels, la gestion indicielle est sûrement la plus appropriée, ajoute M. Marchon. « Un individu a rarement l’expertise pour choisir des entreprises et en faire l’analyse comptable », explique-t‑il. Souvent un fonds commun, lorsqu’il coûte de 2,5 à 3 % par an en frais de toutes sortes, efface la plus-value d’une gestion active. janvier 2011 La gestion active ajoute de la valeur, mais il faut suivre les gestionnaires de près. Maurice N.Marchon, professeur, HEC 19 industrialisés comme la Grèce ou l’Irlande qu’au Brésil, qui est moins endetté et a une meilleure situation économique. « Le problème, c’est que les gens ont toujours leurs yeux rivés sur le rétroviseur. » Il n’y a pas non plus de raison de favoriser le marché interne parce qu’on veut éviter le risque de change ou que l’on craint d’être exposé en dollars américains. Notre devise est au pair, et elle est historiquement forte. Investir dans des FNB en dollars améri- Les arguments de Richard Richard Ferri, CFA, est un apôtre de John Bogle, le fondateur du groupe Vanguard qui a lancé le premier fonds indiciel dans le milieu des années 1970. M. Ferri est également l’auteur de sept livres dont le dernier, The Power of Passive Investing, a été publié en décembre. Dans un récent billet publié dans le blogue du magazine Forbes, l’Américain tente de déboulonner certains mythes colportés par les fervents de la gestion active, souvent des conseillers… Selon lui, les frais de gestion et les commissions de suivi qu’exigent les conseillers sont bien plus élevés que ce qu’il en coûterait pour dire la vérité à propos de la gestion passive, tout en facturant des frais raisonnables. À vous de juger. Les fonds communs d’actions américaines battent le marché boursier depuis 10 ans. M oins de 50 % des fonds d’action américaines ont battu l’indice S&P 500 depuis 2000, et ce nombre serait bien inférieur si on y incluait tous les fonds ayant fusionné avec d’autres ou ceux qui ont carrément fermé boutique. « Mais ce problème n’est pas au cœur de cet argument, déclare M. Ferri. L’indice S&P 500 (sociétés à forte capitalisation boursière) n’est pas un indice de référence pour bien des fonds communs d’actions américaines (géré activement) puisqu’ils ont souvent un biais vers des entreprises de petite et moyenne capitalisation. Si on utilisait l’indice de référence approprié, ce pourcentage chuterait considérablement », affirme-t‑il. Les fonds indiciels afficheront toujours des rendements inférieurs à la moyenne L es fonds indiciels procurent des rendements beaucoup plus près des moyennes du marché que les fonds activement gérés, et c’est ce qui compte. En moyenne, les fonds communs de placement ont une performance inférieure au montant des frais qu’ils coûtent. Les fonds indiciels ont des frais beaucoup plus faibles. Et cela fait de la gestion indicielle à faible coût une stratégie de portefeuille supérieure à la moyenne. Source : traduction libre du billet de Richard Ferri paru dans le blogue du magazine Forbes (« 5 lies about Ind Suggérer des FNB en 2011 « L’instrument idéal, selon moi, demeure les FNB, qui donnent des dividendes et sont peu coûteux », estime M. Marchon. Une gestion indicielle doit être faite de manière intelligente, précise-t‑il. « Cela sous-entend qu’on a une bonne diversification internationale. On peut avoir un FNB obligataire, un FNB sur le marché canadien et enfin, on doit être exposé au marché américain et aux marchés émergents. » « Deux tiers de la croissance économique mondiale des cinq prochaines années viendra des pays émergents. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les prévisions du Fonds monétaire international », rappelle l’économiste. La capitalisation boursière mondiale des pays émergents (étude de Goldman Sachs) est présentement de 31 % ; elle devrait représenter 44 % en 2020 et 55 % en 2030. « Ceux qui craignent la volatilité des placements dans les pays émergents n’ont peut-être pas raison », affirme M. Marchon. La volatilité, ces dernières années, a été bien plus présente dans des pays 20 cains peut même être une bonne chose, croit M. Marchon. « Dans les faits, investir en dollars américains sur le marché international devrait réduire la volatilité des rendements des FNB. Quand les marchés vont bien, le dollar canadien s’apprécie. Même si on laisse un peu de rendement sur la table, on protège le portefeuille investi à l’étranger en cas de mauvaises nouvelles. » L’économiste admet qu’un intervenant qui conseille uniquement des FNB à ses clients ne fera pas beaucoup de revenus. Un conseiller qui fait bien son travail, répartit bien les actifs et sélectionne des FNB appropriés devrait être rétribué (honoraires ou frais de gestion) pour ce faire, ajoute-t‑il. Déjouer le marché Fiera Sceptre ne favorise pas un style de gestion en particulier (valeur ou croissance, par exemple), mais exige de ses gestionnaires une capacité de s’adapter (souplesse) à des conditions de marchés changeantes. Chaque investisseur peut trouver chaussure à son pied, croit M. Bourdon. « Les plus conservateurs vont peut-être préférer les actions qui produisent des dividendes. D’autres veulent janvier 2011 www.conseiller.ca Gestion active contre gestion passive une gestion plus active. Dans le cas des marchés obligataires, on a également trois types de gestion, l’objectif étant toujours de battre un indice de référence. Chez nous, on croit qu’il est possible de faire mieux que le marché si on s’entoure de bons gestionnaires. » Dans le cas de petits portefeuilles qui n’ont pas accès à une de frais dans un marché, ou à l’opposé, si elle souhaite retirer rapidement ses billes, ses gestionnaires transigeront des FNB. Très vite, on remplace ces FNB par des titres individuels. Dans le cas des marchés émergents, où les gestionnaires ne sont pas légion, Fiera Sceptre achète ou vend des produits indiciels pour être pré- Ferri Cinq mensonges véhiculés à propos des fonds indiciels La gestion indicielle est inopérante dans des marchés inefficients, comme c’est le cas des sociétés de petite capitalisation et sur le marché international. L es tenants de la gestion active se basent souvent sur le fait que de nombreux indices sont mal construits ou inappropriés. Par exemple, l’indice Russell 2000 est reconnu pour les sociétés à petite capitalisation, mais il subit annuellement des modifications qui réduisent son rendement jusqu’à 2 %. Le MSCI EAFE (indice d’actions internationales), bien que connu, n’inclut pas les marchés émergents, les titres les plus populaires des pays émergents ni les actions canadiennes. « Un indice de référence approprié rendrait la gestion active beaucoup moins attrayante », écrit M. Ferri. dex Funds », 23 septembre 2010). Les gestionnaires actifs performent mieux dans un marché baissier C ette affirmation répétée n’a jamais vraiment été prouvée. Les données tendent à démontrer que les fonds activement gérés détiennent un plus grand pourcentage de liquidités dans un marché baissier, et ce, en raison des remboursements plus importants. Cela peut donner l’impression d’un niveau de risque inférieur. Or, rien ne prouve que la gestion active offre une volatilité réduite des rendements ou que ses gestionnaires possèdent des aptitudes particulières pour temporiser le marché (market timing). Warren Buffett bat régulièrement le marché. Cela prouve que la gestion indicielle ne fonctionne pas. F aux. Cette démarche prouve seulement que le pdg de Berkshire Hathaway a la faculté de transformer en or tout ce qu’il touche, comme le roi Midas. Mais rien ne prouve qu’un conseiller moins aguerri soit aussi talentueux que M. Buffett. Son portefeuille battra peut-être le marché simplement grâce à la chance. Ne soyons pas naïfs en affirmant que la chance d’un conseiller est une aptitude particulière. Même M. Buffett recommande régulièrement aux investisseurs particuliers d’acheter des fonds indiciels qui coûtent des frais minimaux. M. Ferri trouve d’ailleurs ironique que la plupart des gestionnaires qui utilisent « l’argument Buffett » ne possèdent pas, selon lui, d’actions de Berkshire dans les portefeuilles de leurs clients. grille de frais aussi compétitive, il peut être justifié de recourir à une gestion de type indicielle, concède François Bourdon. Du même souffle, il ajoute que les fonds communs qu’offrent depuis peu Fiera Sceptre peuvent battre les fonds indiciels, même si ces derniers sont moins coûteux… Chance ou talent ? Une approche tactique de la répartition de l’actif permet également de se distinguer de la majorité, croit M. Bourdon. « Il faut avoir la capacité de se positionner rapidement, comme nous l’avons fait en sous-pondérant les actions pendant la crise. » Pendant la remontée rapide des indices, Fiera Sceptre a réussi à se donner une position plus neutre et ainsi à profiter de cette reprise de confiance. Chance ou talent ? Un peu des deux, croit M. Bourdon. À moins d’avoir vécu plusieurs crises et d’avoir une trentaine d’années d’expérience, ce qui n’est pas le cas de M. Bourdon, ces résultats peuvent être « statistiquement dus à la chance plus qu’au talent, mais seul le temps le dira »… Lorsque Fiera Sceptre veut se déployer rapidement et à peu www.conseiller.ca sent dans ce marché ou pour réduire rapidement ses positions. « Les FNB sont une innovation importante, bien qu’ils demeurent un outil essentiellement tactique pour nous », explique M. Bourdon. Ce dernier croit que les fournisseurs de FNB seront de plus en plus nombreux à offrir de la gestion active, comme c’est le cas avec le FNB obligataire tactique lancé récemment par Fiera Sceptre (HAF). « Nous sommes des deux côtés, et nous croyons à l’utilité des FNB. Mais la gestion active demeure la meilleure manière d’ajouter de la valeur, notamment sur les marchés obligataires, dit‑il. Répliquer un indice obligataire crée des situations où l’on achète et l’on vend uniquement pour coller à un indice, alors qu’une gestion tactique peut avoir un effet », croit M. Bourdon. Bien sûr, dans le cas où un petit investisseur investit seul son pécule, les FNB ne sont pas nécessairement une mauvaise façon d’investir, explique François Bourdon. Un investisseur qui souhaite avoir une position sur le marché boursier américain, par exemple, pourrait acheter des Spiders (SPY). Ce FNB réplique l’indice S&P 500, il est peu coûteux et c’est un produit très liquide qui génère également des dividendes. janvier 2011 21