depenalisation du droit des affaires

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depenalisation du droit des affaires
DEPENALISATION DU DROIT DES AFFAIRES
COMMENTAIRES DE LA CGPME
CONSTAT
Le développement des relations commerciales au niveau national puis international a
entrainé un afflux de règlementations venant se superposer au droit commun. Aujourd’hui,
un haut niveau de technicité est nécessaire pour bien appliquer ces dispositions complexes.
Or, le non respect de ces règles entraine des sanctions administratives, civiles ou pénales.
Le législateur a multiplié les textes sur la responsabilité du chef d’entreprise. Dès lors, nous
pouvons d’ores et déjà nous interroger sur le fait de savoir si les multiples actions
spécifiques du droit commercial n’auraient pas conduit le législateur à trop s’écarter du droit
commun. De prime abord, on peut observer que malgré la l’activité législative du législateur,
le droit commercial reste fidèle à la faute comme fait générateur de la responsabilité du chef
d’entreprise.
Le formalisme de la législation française permet d’engager la responsabilité des dirigeants
dans de nombreux cas puisque, à l’inverse des Etat Unis, la législation française sanctionne
plus qu’elle ne responsabilise.
Le chef d’entreprise est responsable à l’égard de nombreuses personnes et dans plusieurs
domaines. Il engage notamment sa responsabilité vis à vis de sa société et entre autres
envers ses actionnaires. Cette responsabilité peut être de nature délictuelle ou contractuelle.
De même, les tiers à l’entreprise peuvent utilement invoquer sa mise en cause dans
certaines conditions, et notamment les victimes des préposés du chef d’entreprise. En effet,
si le chef d’entreprise est responsable des actes qu’il commet personnellement, les actes de
ses préposés ou salariés peuvent aussi engager sa responsabilité par l’intermédiaire de
l’article 1384 du Code civil. Dans ce cadre, la responsabilité du chef d’entreprise est
indirecte.
Toutefois la responsabilité du chef d’entreprise, multiforme s’il en est, se révèle, dans
d’autres domaines, beaucoup plus fréquemment invoquée et de façon parfois plus
critiquable.
En effet, le législateur a multiplié les textes prévoyant des régimes spéciaux de
responsabilité visant les chefs d’entreprise. Dans de nombreux domaines, ce dernier peut
être déclaré responsable sur le plan civil et/ou pénal.
A titre d’exemples, citons le droit du travail, le droit de l’environnement, les règles relatives à
l’hygiène et à la sécurité, les textes relatifs à la sécurité sociale, à la facturation, à la
publicité, aux prix ou en matière de bourse, de consommation, sans oublier la responsabilité
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fiscale des dirigeants. En conséquence, les textes spéciaux écartent l’application du régime
de responsabilité de droit commun.
De plus, pour expliquer ce mouvement de pénalisation croissante engageant notamment la
responsabilité du dirigeant du fait de ses préposés, il est possible d’avancer que l’évolution
de la responsabilité du commettant tend à viser non plus l’individu mais l’entreprise ellemême, garantie de solvabilité pour les victimes.
Aujourd’hui, le besoin de protection sans cesse croissant des victimes peut étayer cette
approche. Il est en effet sans conteste que cette évolution tend vers un mouvement de
socialisation des risques. On peut effectivement se demander si à travers le choix de la
personne poursuivie en responsabilité civile, on ne recherche pas une entreprise solvable
susceptible d’assumer le montant des réparations, plutôt qu’un responsable véritablement
fautif. De plus un justiciable a souvent intérêt à agir au pénal car les coûts de constitution de
la preuve sont supportés par la puissance publique et non par le requérant lui-même.
Face à cette tendance, ce sont les PME qui sont les plus défavorisées, car la plupart du
temps, elles n’ont pas la possibilité d’avoir des services juridiques, elles ont donc des
problèmes de connaissance du droit.
C’est dans ce cadre que le 6 septembre, le Président de la République a renouvelé son
souhait de « mettre un terme à la pénalisation à outrance de notre droit des affaires ». A
cette fin, il a mis en place un groupe de travail restreint présidé par Jean-Marie COULON,
ancien président de la Cour d’appel de Paris.
CHIFFRES
Selon l’Insee, il y a eu, en 2005, 21 750 condamnations en matière économique.
En 2005, le Ministère de la justice a dénombré 6 111 condamnations pour des infractions
relatives à la législation sur la concurrence et les prix, sur les sociétés ou les atteintes aux
finances publiques. Ce chiffre est toutefois à rapporter à un total de 550 841 condamnations.
Les principaux délits concernent les banqueroutes, les abus de biens sociaux, la corruption
active ou passive, le trafic d’influence et la prise illégale d’intérêt. En 1999, 48% des
condamnations concernaient les infractions fiscales et douanières, 43% des infractions à la
législation sur les sociétés et 9% des atteintes au devoir de probité.
Si on se réfère à la dernière étude complète menée par la Chancellerie sur le sujet en 2002,
il en ressort que la délinquance économique se caractérise par son astuce et sa complexité
puisque 51.6% des condamnations ont sanctionné plusieurs infractions. Par ailleurs, les
procédures sont longues puisqu’une condamnation intervient en moyenne au bout de quatre
années.
Les sanctions relatives à la délinquance économique et financière sont lourdes puisque dans
78.5% des cas elles se traduisent par des peines de prison. Les condamnations pécuniaires
sont en moyenne de 16 700 €.
Les peines associées sont fréquemment utilisées puisqu’elles interviennent dans 56% des
cas (13% pour les vols).
Enfin, la détention provisoire est plus fréquemment utilisée que pour les autres délits (dans
13.3% des cas contre 10.7% en moyenne).
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REFLEXIONS DE LA CGPME SUR LA DEPENALISATION DU DROIT DES AFFAIRES
Aujourd’hui, le droit pénal des affaires joue un rôle prépondérant dans la mise en jeu de la
responsabilité du chef d’entreprise.
Le risque est notamment de brider les acteurs économiques dont l’objet même est de
prendre des risques. Les aspects juridiques peuvent notamment entrer en compte lors d’une
décision d’établissement.
Or, depuis la création du délit d’abus de biens sociaux par le décret loi de 1935, le législateur
n’a cessé de recourir à la sanction pénale pour assurer les règles posées dans de nombreux
domaines tels l’assainissement des professions commerciales (loi du 30 août 1947), de
sociétés (loi du 24 juillet 1966) ou en matière de crédit ou de droit de la consommation.
Or, cette inflation législative tendant à pénaliser de façon excessive s’éloigne de la notion de
faute et surtout, nuit à l’efficacité de la sanction. C’est pourquoi de nombreux professionnels
du droit réclament aujourd’hui une dépénalisation du droit des affaires.
Le législateur avait amorcé un tel mouvement dans les années 1980 et notamment par la loi
du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises qui
opérait une dépénalisation en matière de banqueroute, puis la loi du 26 juillet 2005 qui est
revenue sur le régime des sanctions.
De plus, l’ordonnance du 1er décembre 1986 dépénalisait certaines pratiques
anticoncurrentielles entre professionnels comme l’abus de position dominante et de
dépendance économique. Pourtant, les années 1990 voient le renforcement du rôle du juge
pénal dans le droit des affaires. Depuis les années 2000, le mouvement de dépénalisation
s’est toutefois accéléré, principalement en droit des sociétés avec la loi sur les nouvelles
régulations économiques en 2001, avec la loi pour l’initiative économique en 2003 et par le
biais des ordonnances de simplification du droit en 2004.
Ce mouvement a été important même s’il abouti encore à quelques contradictions. En effet,
comment comprendre que certains faits initialement constitutifs d’infractions pénales ne
soient plus incriminés pour les S.A. et le demeurent pour les sociétés civiles immobilières
faisant appel public à l’épargne (certaines informations des actionnaires). De même, ce
même type d’infraction était, préalablement aux réformes de 2001, considérées comme plus
sérieux dans les SA que dans les SARL, depuis le degré de gravité a été inversé.
Le processus de dépénalisation doit donc se poursuivre notamment en apportant certaines
améliorations de cohérence, le stock de dispositions pénales à réviser n’est pas épuisé.
Il n’est pas question de dépénaliser les infractions les plus graves mais dans certains
domaines des réformes s’imposent.
Ainsi, en droit des sociétés, 67 articles de la loi du 24 juillet 1966 sont consacrés à la
répression pénale. Or, nombre de dispositions sanctionnent des irrégularités purement
formelles si bien que la sanction paraît totalement disproportionnée par rapport au
comportement visé. Par exemple, l’article L.241-5 du Code de commerce punit de six mois
d’emprisonnement et 9 000 € d’amende le gérant d’une SARL qui n’a pas procédé dans les
six mois de la clôture de l’exercice à la réunion de l’assemblée des associés. La sanction est
du même ordre pour les associés d’une SARL qui ont omis dans l’acte de société la
déclaration concernant la répartition des parts sociales entre tous les associés, la
libéralisation des parts ou des dépôts des fonds (art L. 241-1 C. com). Ou encore l’article L.
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241-5 du C. com qui prévoit 6 mois d’emprisonnement et 9 000 € d’amende pour le gérant
d’une SARL qui ne soumet pas à l’assemblée ou à l’associé unique l’inventaire des comptes
annuels et le rapport de gestion. Ces sanctions concernent également la non convocation
d’assemblée et concerne également les SA.
De même, les projets de réforme suggèrent d’éviter la multiplication des textes spécifiques
par un retour au droit commun. Ainsi, pourquoi incriminer le faux bilan de manière spécifique
alors que l’article 441-1 du Code pénal réprimant le faux en écriture suffirait à sanctionner
ces agissements frauduleux.
Par ailleurs, certaines incohérences peuvent naître des textes, Ainsi, en matière de
majoration frauduleuse des apports en nature, si l’incrimination est commune aux sociétés
par actions (art L.242-2 et L.243-1 C. com) et aux SARL (art L 241-3 C. com), les sanctions
pécuniaires ne sont pas similaires 9 000€ pour les premières et 375 000€ pour les secondes
Enfin, le résultat de certaines condamnations mineures peut être très important. Ainsi, les
transporteurs routiers ont attiré notre attention sur une difficulté présente dans leur métier où
les commettants ont une forte responsabilité vis-à-vis des infractions commises par leurs
préposés. En effet, lorsque le salarié d’une entreprise de transport commet une faute, la
responsabilité du dirigeant d’entreprise peut être engagée. Or, parmi les conditions requises
pour créer une entreprise de transport figure l’honorabilité (ne pas avoir plusieurs (plus de 2)
infractions délictuelles a son casier). Cette condition peut être dès lors remise en cause du
fait d’une faute commise par un préposé.
Quelques réserves face à la dépénalisation.
Cela peut paraître paradoxal mais en revalorisant le droit commun, les sanctions pénales
pourraient conduire à une plus grande sévérité des juges. Il en est de même si une recivilisation des sanctions était engagée. En effet, les juges civils ne seraient-ils pas tentés de
se révéler plus sévères envers les fautifs ?
Par ailleurs, certaines infractions doivent demeurer couvertes par le droit pénal, favorisant
ainsi l’action publique. A défaut, ces infractions ne seraient jamais poursuivies, les victimes
ne pouvant pas toujours agir elles-mêmes en justice, notamment du fait des pressions
commerciales subies (ex : seuil de revente à perte…). De même, l’action pénale permet
d’activer des capacités d’investigation ou de procédure que le plaignant PME ne pourrait pas
mettre en œuvre au civil. A cet effet, la création d’un droit de la preuve permettant de citer
des témoins ou d’accroitre l’efficacité des demandes de communication de pièces pourrait
palier ces difficultés. On glisserait alors vers un droit de type Common law.
C’est pourquoi, la CGPME n’est pas favorable à une dépénalisation totale du droit des
affaires. En effet, certains soutiendront que la pénalisation croissante du droit des affaires
tend à freiner les ardeurs de futurs dirigeants alors que d’autres envisageront cela comme un
moyen fortement dissuasif contre les comportements illégaux.
Cependant, en droit économique, la frontière entre les infractions qui doivent être pénalisées
et les autres peut être difficile à déterminer. L’objet du droit pénal est de défendre la société
contre des comportements répréhensibles portant atteinte à l’intérêt public ou à l’ordre
social. Une affaire pénale doit donc concerner un manquement grave et intentionnel. Les
sanctions pénales ont d’ailleurs pour principal objectif la sanction et non la réparation. Il
s’agit notamment de faire cesser un trouble.
Par ailleurs, une entreprise et son dirigeant se trouvent pénalement sanctionnés pour les
mêmes faits. Cette situation est parfois injuste car l’entrepreneur peut ne pas avoir cherché à
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transgresser la loi. Il serait donc préférable que lorsque l’intention frauduleuse d‘une
personne physique n’est pas démontrée, la personne morale soit la seule à voir sa
responsabilité engagée. Cette tendance a déjà été prise en compte par le droit positif et doit
être respectée.
Quelle alternative à la dépénalisation ?
Un mouvement de dépénalisation implique de trouver des alternatives pour les infractions
purement formelles afin notamment d’assurer la sécurité des tiers et la régularité du
fonctionnement des sociétés. En l’absence de solutions efficaces, la dépénalisation pourrait
être également une source d’abus dans la vie des affaires. Deux propositions furent
principalement formulées : l’injonction sous astreinte et surtout le passage de sanctions
pénales à des sanctions civiles.
Le mécanisme de l’injonction sous astreinte est séduisant bien qu’il pourrait être plus utilisé.
Il s’agit notamment de favoriser en droit des sociétés ou dans le cadre des relations avec les
organes de représentation des salariés de privilégier ce mécanisme. Ainsi, certaines
situations, de non dépôt de documents par exemple pourraient être régularisées sans que
des sanctions pénales soient encourues.
De même, se pose le problème du cumul des sanctions. Actuellement, pour un même fait,
plusieurs institutions, juridictions et juges peuvent être saisis et les sanctions se cumulent. Il
apparaît nécessaire de mettre un frein à ce système de « shopping judiciaire » en favorisant
par exemple des modes alternatifs de règlement des conflits : tel que l’arbitrage et la
transaction.
Dans ce sens, il conviendrait également d’étudier les doubles sanctions principalement
administratives et pénales, afin de les réduire et de donner plus de visibilité à notre droit. Les
juridictions civiles pourraient, par exemple, avoir des pouvoirs répressifs afin de limiter la
multiplication et la durée des procédures puisque « le pénal tient le civil en l’état ».
Ceci devra passer par l’étude approfondie des incriminations faisant double effet et des
sanctions les mieux adaptées. La répartition entre civil et pénal prenant en compte le degrès
de la faute, et la nature de l’intérêt protégé.
Par ailleurs, il convient de revenir sur une dérive du système judiciaire français relative à la
détention provisoire. En matière économique, elle est de plus en plus fréquemment utilisée
comme moyen de pression sur un inculpé. Ainsi, en matière de délinquance économique et
financière, le taux de détention provisoire est supérieur de 3 points à la moyenne générale. Il
conviendrait donc de revenir sur cette situation en l’encadrant de manière plus stricte et en
modérant les effets de la médiatisation des affaires pénales.
La Confédération, quant à elle, préfère se concentrer sur la « judiciarisation de l’économie »
afin de moderniser et rendre plus lisible le droit des affaires français.
« Nul ne peut ignorer la loi », voilà un adage, qui, parce qu’il est souvent utilisé comme
contre-argument, montre bien la complexité de nos réglementations. De nos jours et
notamment concernant le droit économique, il est difficile pour un « non-professionnel du
droit » d’aborder en toute simplicité les textes en vigueur.
C’est pourquoi, la CGPME est favorable à un « toilettage » des textes afin de simplifier les
procédures pour améliorer leur compréhension et également permettre de réduire les délais
de résolution des litiges actuellement trop longs.
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Il est nécessaire de travailler plus en amont afin de réduire l’insécurité juridique qui freine les
acteurs économiques.
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