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76 littérature Littérature Alphonse de Lamartine Voyage en Orient Édition de Sophie Basch Gallimard, Folio classique, 2011, 1175 p., 13,50 ¤ De ce texte cent fois réédité, et jusqu’à aujourd’hui, dans des éditions croupion, il n’existait pas d’édition en poche. C’est donc une grave lacune que comble Sophie Basch, professeur de littérature à la Sorbonne (Paris IV) en offrant enfin à un large public une version sérieuse de la première édition de l’ouvrage (1835) – sérieuse mais un peu fétichiste : pourquoi s’acharner à reconduire sempiternellement des coquilles évidentes de typographes et s’encombrer d’une note qui explique que « Allah kenim » (p. 225) veut dire plutôt « Allah karîm » ? Des notes, essentiellement historiques, donnent le centre de gravité d’une édition, enrichie des différents ajouts et corrections que l’auteur y a apportés. C’est rappeler que l’ouvrage de Lamartine, avec ses « souvenirs, impressions, pensées et paysage » (titre original de l’ouvrage), ne se limite pas à renouveler un genre, imposant le récit à la première personne, et la dimension subjective contre l’exposé géographique et l’itinéraire effectué selon un parcours obligé, comme c’est la règle dans le pèlerinage de Terre sainte. Cette édition renouvelle la perspective en montrant encore que l’ouvrage est aussi un dossier, aux dimensions multiples, culturelles et politiques notamment, dans une ligne que va développer l’édition de ses Discours sur la question d’Orient (avec Henry Laurens, à paraître à l’automne 2011), corpus lamartinien complètement oublié celui-la. F. P. Romans & Récits Sahad Djamaa Le chien qui parle La marche de l’archiviste Éd. Non Lieu, 2011, 178 p., 15 € La littérature n’est pas avare d’enragés, personnages ou auteurs. Celui-ci, qui est un peu des deux, tient le juste milieu entre le Tommaso de Pasolini (Une vie violente) et l’Antoine de Benacquista (Les Morsures Q80 67a80 LitteratureBONPOUREPREUVEok.indd 76 de l’aube). Un enragé citadin des temps modernes donc, teigneux, cogneur, manipulateur, enjôleur, manière de coucou erratique qui brandit à la face du monde une superbe rage de vivre ombrée d’un soupçon de dandysme – son élégance du désespoir. Qui, pour avoir bu jusqu’à la lie la coupe de la stigmatisation sociale et raciale, en perdra par instants la raison. Et résume sobrement son sort : « Enfant, j’ai été traité comme un chien par mon père, aujourd’hui, je suis traité comme un chien par la société, et j’en suis devenu un. » Mais ce chien qui parle est aussi un fou d’amour. Sa passion, c’est Malika, sa mère, qui « ressemble à Jackie Sardou avec l’accent de Mme Sarfati [et], comme elle le répète sans cesse, n’est pas une mère exceptionnelle, elle a fait de son mieux avec ce qu’elle avait, c’est-à-dire rien. Et comme je le répète si souvent, son mieux est incroyable. » Par et pour l’amour de Malika, notre chien taille sa route et nous y entraîne, en un récit saccadé, issu du ventre et du cœur, dont on ressort éreinté. Avec sur les lèvres une question : et maintenant ? Qu’est-ce que tu vas faire ? B. N. Suzanne El Kenz La Maison du Néguev Éd. de l’Aube, 2011, 192 p., 16 € L’auteure est née à Gaza en 1958 dans une famille qui a connu le premier exil, celui de 1948, auquel succèderont bien d’autres ; Djeddah, puis Alger leur seconde patrie que Suzanne, mariée, quitte pour Tunis et de là Nantes. Mais la maison d’origine, celle qu’elle n’a pas connue et que sa mère ne cesse d’évoquer, c’est celle de Beer Sheva dans le Néguev. Elle n’aura de cesse de s’y rendre avec sa mère : c’est la scène la plus forte, la plus saisissante de tout le livre, et on peut regretter que les promesses portées par la vivacité de l’écriture et la vigueur du trait n’aient pas été entièrement tenues. Il n’en reste pas moins que la sobriété et la pudeur du récit introduisent un rapport inédit à la terre de Palestine, tout différent de la nostalgie romantique. Z. F. Essais Laurent Bury L’Orientalisme victorien dans les arts visuels et la littérature Ellug-Université Stendhal, Grenoble, 2010, 243 p., 28 € L’orientalisme britannique peut être comparé à l’orientalisme continental même si, « distancés par l’avant-garde française, les artistes britanniques restent aussi dans l’ombre de la France en matière d’orientalisme ». L’auteur exhume des artistes tombés dans l’oubli ou éclipsés par David Roberts (1796-1864) qui fut « le pionnier de l’exploration artistique de la Terre sainte ». Car ce que met notamment en relief Laurent Bury, c’est que dans l’Angleterre protestante du XIXe siècle, on assiste à un renouveau de la peinture religieuse. Sur « les quelque trois cents artistes anglophones qui se sont rendus en Orient entre 1809 et 1914, à peu près un sur dix l’a fait dans le but explicite d’y trouver l’inspiration de scènes chrétiennes ». Par ailleurs, l’orientalisme britannique trouve, comme en France, une stimulation dans la conquête coloniale. Le sous-continent indien attire particulièrement les artistes. Avec l’exemple de la littérature, depuis Lord Byron au début du siècle à Rudyard Kipling, qui s’éloigne des charmes orientalistes pour donner à voir une Inde autre que celle des contes, Laurent Bury dépeint un orientalisme victorien qui regarde l’Autre « à travers une série de filtres intellectuels préconçus », puis comment, en l’espace de quelques décennies, cette perception se transforme. I. P. 18/07/11 12:53