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ARBITRAGE EN VERTU DE LA SECTION XIV DE LA PARTIE III DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL, (L.R. (1985), ch. L-2) ENTRE : BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE (L’EMPLOYEUR) ET : NAIMA AFAF (LA PLAIGNANTE) Dossier no. : YM2707-8194 PLAINTE DE CONGÉDIEMENT INJUSTE ABOLITION D’UN POSTE – RESTRUCTURATION SENTENCE ARBITRALE Tribunal : Me Johanne Despatis, arbitre Comparutions pour l’Employeur : Me François Côté, (Ogilvy Renault, avocats), procureur, assisté de : Mme Mona Moussa, conseillère, Relations aux employés M. Dean Anderson, gérant principal aux opérations Comparutions pour la plaignante : Me Diane Roy, (Baron Roy Proulx, avocats), procureure, assistée de : Mme Naima Afaf, plaignante Lieu d’audience : Dates d’audience : Date de la sentence : Montréal 19 janvier, 25 février et 15 mars 2010 4 mai 2010 Adjudex inc. 0910-8344-FM SA 8074-10 2 I INTRODUCTION [1] Cette sentence décide d’une plainte de congédiement injuste logée le 30 juin 2009 par madame Naima Afaf, la plaignante, contre la Banque Canadienne Impériale de commerce, l’Employeur, en vertu de l’article 240 de la Partie III du Code canadien du travail, L.R. (1985), ch. L-2), le Code. [2] Le 21 mai 2009, l’Employeur met fin à l’emploi de la plaignante dans les termes suivants : Nous vous confirmons que votre poste a été aboli en raison d’une restructuration et que votre emploi à la Banque CIBC se terminera le 17 juin 2009 (la « date de cessation d’emploi »). Afin de vous aider dans votre transition à un nouvel emploi, la Banque est disposée à vous offrir les paiements et les avantages indiqués dans la présente lettre (l’ « indemnité de départ ») conformément aux modalités énoncées ciaprès. [3] La plainte de la plaignante se lit ainsi : Mes responsabilités quotidiennes sont la raison d’être du Département d’Opérations dont je fais partie. Ces responsabilités sont : rachat, switch, transferts, RESP, Call reports, rapports, RRIF/LIF, PAC et autres. La Direction du département d’opérations prétend abolir mon emploi alors que mes responsabilités sont actuellement exécutées par des collègues de travail qui sont temporaires et d’autres moins anciens que moi dont le dernier a été embauché il y a environ 2 mois. Ce congédiement a pour cause principale ma plainte (ci-jointe) du 12 décembre 2008. [4] Pour sa part, l’Employeur soutient que la plaignante n’a pas fait l’objet d’un congédiement mais plutôt d’un licenciement administratif en raison de la suppression de son poste suite à une réorganisation administrative et que par conséquent, sa plainte est irrecevable en vertu de l’article 242 (3.1) a) du Code. Dans une lettre datée du 28 juillet 2009 adressée à l’inspecteur du ministère du travail assigné à ce dossier en vertu du Code, l’Employeur écrit : En réponse à votre demande en vertu du paragraphe 240(1) du Code canadien du travail et après vérification des faits, il appert que le poste de Mme Afaf a été aboli dans le cadre d’une réorganisation administrative. Nous joignons copie de la lettre qui fut remise à Mme 3 Afaf confirmant la suppression de son poste dans le cadre d’une réorganisation administrative. Il est à noter que la décision de supprimer ce poste a été prise suivant un processus rigoureux d’évaluation suivant lequel quatre autres postes ont été supprimés au sein de la même équipe de travail. Mme Afaf n’a donc pas fait l’objet d’un congédiement. Sa plainte s’avère sans fondement et irrecevable en vertu de l’article 242 (3.1) du Code canadien du travail. [5] Les dispositions pertinentes du Code se lisent ainsi : Section XIV - Congédiement injuste Plainte 240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d’un inspecteur si : a) d’une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur; b) d’autre part, elle ne fait pas partie d’un groupe d’employés régis par une convention collective. [...] Renvoi à un arbitre 242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d’arbitre la personne qu’il juge qualifiée pour entendre et trancher l’affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l’éventuelle déclaration de l’employeur sur les motifs du congédiement. [...] Restriction (3.1) L’arbitre ne peut procéder à l’instruction de la plainte dans l’un ou l’autre des cas suivants : a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste; b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours. 4 II LA PREUVE [6] La plaignante est entrée au service de Talvest en 1997. En 2003, cette entreprise est acquise par l’Employeur qui reconnait alors aux employés de Talvest leurs années de service accumulées auprès de celle-ci. [7] En mai 2009, la plaignante compte près de 12 ans d’ancienneté et se situe à ce titre au e 2 rang parmi ses collègues. Elle travaille à titre d’agente principale de traitement de comptes au département des opérations du Service CAMI (CIBC Asset Management inc.), un service de gestion d’actifs, dirigé par monsieur Dean Anderson, gérant principal. Sa supérieure immédiate au sein de l’équipe des rachats est madame Nadia Oulebsir, superviseure II. [8] Ce département a été l’objet de plusieurs restructurations depuis la fin des années 1990. En mars 2009, il compte 39 postes dont 7 comblés par des employés externes en provenance de l’agence de placement Manpower. Deux postes permanents vacants et affichés depuis l’automne 2008 sont comblés en mars 2009. [9] À cette époque, la structure du département des opérations comporte quatre niveaux. [10] Les agents de traitement situés à la base de l’organigramme sont divisés en deux groupes, les achats et les rachats. Cependant chacun a reçu une formation l’habilitant à passer au besoin d’un groupe à l’autre. [11] Au début 2008, l’Employeur procède à la conversion de son système d’exploitation. La plaignante est impliquée dans cette conversion et est alors affectée de janvier à la fin septembre à un autre département. Interrogé sur les raisons pour lesquelles celle-ci avait été choisie à cette occasion, monsieur Anderson dira qu’elle possédait l’expérience et les compétences nécessaires et qu’en plus il estimait cette occasion susceptible d’avoir un effet positif sur sa motivation. [12] La plaignante revient donc au département à la fin 2008. Selon elle, les choses sont différentes et l’ambiance n’est plus la même : sa supérieure immédiate, Nadia Oulebsir, lui crie après, lui retire des tâches. Elle s’en plaint alors à son supérieur hiérarchique, monsieur Roberto Michieletto, mais en vain. 5 [13] À la même époque, survient un incident que relate monsieur Anderson. Ce dernier organise parmi les employés du service à l’occasion des Fêtes un concours de décorations de Noël. Quelque temps après monsieur Michieletto lui rapporte un incident survenu entre la plaignante et sa collègue Gabriella Dianconu, également agente de traitement, que ce dernier raconte avoir aperçue en train de pleurer à la suite de propos que lui avait tenus la plaignante. Selon monsieur Anderson, ce n’était pas la première fois qu’on l’informait d’un incident du genre impliquant la plaignante et un collègue. [14] Selon la version qu’on rapporte à monsieur Anderson, madame Dianconu avait cherché sans grand succès à motiver l’équipe des rachats à participer à ce concours. Devant leur peu d’enthousiasme, elle avait pris l’initiative d’acheter elle-même des décorations et de les installer. C’est alors que la plaignante était intervenue en disant qu’elle n’aimait pas ses décorations. Elle les avait décrochées afin de tout refaire autrement, geste qui avait blessé madame Dianconu. Cette dernière, appelée à témoigner en défense, confirme qu’effectivement au départ l’équipe n’avait guère participé au concours avant de finalement décider de s’y embarquer. Elle décrit ainsi ce qui s’est produit entre elle et la plaignante ainsi que sa réaction : Naima m’a dit : Ce n’est pas beau. Sur le coup, je n’ai pas aimé ça. Elle ajoute qu’effectivement en retournant à son bureau après cet échange, elle avait la larme à l’œil. Le soir, elle a confié à son conjoint avoir été déçue : elle voulait faire quelque chose de positif pour l’équipe et sa compagne avait jugé bon de dénigrer ce qu’elle avait fait. [15] Suite à l’incident qu’on lui relate, monsieur Anderson décide de rencontrer la plaignante le 10 décembre 2008, avec monsieur Michieletto. Il résume ainsi ses propos: I told her that she needed to be careful and that it was bullying. It is important that you look in the mirror and assess how your behaviour affects others. La plaignante en revanche aurait essentiellement nié la chose et monsieur Anderson lui aurait répondu : I don’t believe you. Monsieur Anderson reconnait avoir été direct et prompt à cette occasion et ne pas avoir vraiment laissé la plaignante s’exprimer. Il convient : It was fairly one sided. [16] Lorsqu’interrogée à l’audience au sujet de la rencontre du 10 décembre, la plaignante dira avoir été très étonnée des propos et du ton que lui tient monsieur Anderson ce jour-là. Selon elle, ce n’était pas ses mots à lui qu’il utilisait mais plutôt ceux de sa supérieure Nadia Oulebsir qu’il répétait. Elle dit être sortie de cette rencontre très humiliée et s’être ensuite rendue au 6 département des ressources humaines. C’est là, dit-elle, qu’on lui a suggéré de se plaindre auprès de monsieur Steve Biringer, supérieur immédiat de monsieur Anderson; ce qu’elle a fait. [17] C’est à la suite de cette rencontre que la plaignante porte officiellement plainte contre son patron auprès de monsieur Biringer. Elle lui adresse le 12 décembre 2008, la lettre suivante dont une copie est jointe à la plainte dont je suis saisie : Ceci est pour aviser que hier quand Mon Directeur Dean Anderson m’a convoqué à son bureau à cause d’un problème avec mon chef d’équipe Nadia Oulebsir : Il m’a traité d’une manière dédaigneuse, pas professionnelle et insultante. Il m’a dit que je suis dangereuse, que je suis un danger pour le département car je terrorise tout le monde, il m’a dit que j’effraye tout le monde et que le département est bien sans moi. Il m’a dit que le département roulait merveilleusement bien pendant le mois que j’étais en vacances. Il m’a dit que je contrôle tout et tout le monde. Il m’a dit que je dois me regarder dans le miroir, que je dois corriger mon comportement et il m’a menacé que sinon il va me donner une lettre pour que je me retrouve dans la rue. Son langage était vulgaire, impoli, agressif et irrespectueux, il m’a dit qu’il me croit pas peu importe qu’est ce que je lui dis pour me défendre ma position. Il m’a blâmé pour le fait que l’ai CC, je lui ai expliqué que je voudrais qu’il soit au courant de ce qui se passe, il me répond encore qu’il ne vérifie pas mes dires car il ne me croit pas. J’ai été atteinte dans ma dignité et ma personnalité. [sic] [18] Informé de cette plainte par son patron, monsieur Anderson rencontre la plaignante à la demande de ce dernier le 12 décembre et lui présente ses excuses. Selon la plaignante, il lui dit alors : Je te présente mes excuses pour les choses que j’ai dites qui t’ont offensée. La plaignante lui dit accepter ses excuses et les deux se serrent la main. [19] La plaignante déclare avoir toujours eu des bons rapports avec monsieur Anderson et ne pas lui en avoir voulu. Ce dernier corrobore ces propos, ajoutant que : I did hear from HR that she was satisfied for the apology and the case was closed. Selon monsieur Anderson, l’incident était clos et les choses sont rentrées dans l’ordre. [20] À la même époque en 2008, la Banque mène un sondage auprès de son personnel au sujet de leur département. Il s’agit là d’un outil permettant de mesurer la satisfaction au travail. Ses résultats sont peu flatteurs pour le département et révèle la présence de tensions dans les rapports entre agents de traitement et superviseurs. 7 [21] Préoccupé de ces résultats, monsieur Anderson met en branle au début janvier 2009 un processus qu’il appelle de revitalisation du département. Son but, dit-il, is to reinvigorate the department so that people would come in and be happy. Sa démarche l’amène à vouloir rencontrer périodiquement tout le personnel. Il adresse ainsi le courriel suivant à l’équipe des rachats, dont fait partie la plaignante, le 19 janvier 2009, convoquant une rencontre générale de cette équipe le 23 suivant : As mentioned at a floor meeting late last year, I am proceeding with the next step in our department revitalization process. This invitation represents the first meeting between the redemption department’s staff and management. A similar meeting has already been held with the Purchase Team. If you recall, I had initiated meetings between myself and a representative of each area of OPS to review the employee survey results and to begin the process of having open and frank discussion on how to improve processes, communication and the overall team spirit within OPS. The first two sessions with this representative group were quite productive and formed an excellent foundation for what will occur in the coming weeks. Our goal in this meeting should be to identify the top 3 staff and management priorities (they won’t necessarily be the same which is fine). We should then come to mutual agreement on which we should focus on first and how to go about implementing and measuring success. [22] Les réactions dont monsieur Anderson est témoin le 23 le déçoivent quelque peu : les gens sont réticents à parler malgré ses efforts pour ouvrir la discussion. [23] Après la rencontre, monsieur Michieletto l’informe qu’un des participants lui a confié avoir été interpelé par la plaignante et ses collègues Dana Jean et Frederic Loriol. Les trois lui auraient, selon lui, signifié de faire attention à ce qu’il disait lors de pareilles rencontres; ce que la plaignante niera à l’audience. [24] Monsieur Anderson décide de rencontrer la plaignante et ses deux collègues le 19 février. En substance, selon lui, son but est de les inviter à utiliser de manière positive plutôt que négative leurs énergies et leur influence sur le groupe. Selon monsieur Anderson, ces trois employés formaient en effet un trio influent au sein du groupe et pouvaient par leur 8 comportement avoir une influence négative sur le moral du département, notamment par leur façon de critiquer leur supérieure immédiate. [25] Comme question de fait, monsieur Anderson ne tiendra pas d’autre rencontre générale dans le cadre du processus de revitalisation. L’exercice est en effet mis de côté lorsqu’il est informé en mars 2009 d’une vraisemblable nouvelle restructuration de son service. Cette décision, affirme monsieur Anderson, résultait de la situation financière de l’année 2008 et de la baisse conséquente des ventes d’actions, un phénomène affectant directement son département. Monsieur Anderson a déposé et commenté certains documents décrivant la situation financière et les résultats de son service. Il y est question de déficit et de recul financier affectant négativement les rendements et les attentes. [26] Contre-interrogé au sujet de ses affirmations sur des résultats décevants, monsieur Anderson reconnaitra que certains employés ont malgré tout obtenu des bonis pour l’année 2008 malgré cette situation financière difficile. Il l’explique en affirmant que cette pratique cherche à fidéliser les employés en évitant de les pénaliser pour une situation économique étrangère à leur contrôle. Selon monsieur Anderson, le même raisonnement vaut pour le versement de dividendes aux actionnaires. [27] En définitive, affirme monsieur Anderson, la situation de 2008 a amené la direction à passer à la loupe l’ensemble de ses résultats, notamment ceux de son département et à exiger qu’il diminue ses frais d’exploitation. Sans être lui-même impliqué dans ces choix, monsieur Anderson reçoit pour directive au début mars 2009 de monsieur Biringer de diminuer la masse salariale de son département en éliminant carrément les postes de superviseurs II, la haute direction estimant superflu ce niveau hiérarchique. Selon cette directive, il y aurait abolition des postes de Mélanie Desrosiers, Carmelina Morena, Nadia Oulebsir et de Jeannine Trottier et une réduction conséquente de la masse salariale de près de 200 000$. [28] Monsieur Anderson explique que sa réaction a alors été de faire savoir à son supérieur qu’il ne partage pas ce choix budgétaire et les coupures envisagées. Ce dernier accepte qu’il prépare avec lui une proposition alternative à l’intention de la direction. Celle-ci permettra éventuellement, selon lui, une réduction de la masse salariale de 22 000 $ supplémentaires au près de 200 000 $ envisagés. 9 [29] Il commente dans un premier temps la solution préconisée par la proposition de la haute direction dans une note que son patron leur transmet le 6 mars 2009 : Issues : - Lack of management available to deal with the number of escalation issues could lead to overburdened management team and inability to meet SLA targets - Jeannie Trottier was identified but was acting in a temporary Team Leader role due to the Platform Integration project - Reduced management team to deal with multiple audits and SOX testing - Inability to provide proper oversight due to variety of functions - CAMI Operations is not a functional model, but instead performs all back office functions supporting the Renaissance Fund family. Functions supporting the Renaissance Fund family. Functions include: Reception and scanning of documentation Account opening and client account administration Cheque production Purchase, Redemption, Switch, Transfer All aspects of RESPs All aspects of TFSAs All aspects of registered products (RIF, LIF, RSP) Legal and Estate Settlement Research and respond to all CAMI customer Service inquiries Mailing of client letters As sole users of the Unitrax system, we are often solicited for a wide variety of projects, often requiring large amounts of manual work. Any government legislation changes to the above products will require resources from our team. We are often called on for manual workarounds to problems resulting from projects. [30] Monsieur Anderson suggère alors une façon différente de procéder : globalement il prévoit l’abolition de cinq postes soit deux de superviseurs, plutôt que les trois suggérés, un poste d’analyste ainsi que deux des sept postes de premier niveau comblés par Manpower. Cette proposition qui n’affecte pas la plaignante ne reçoit toutefois pas l’aval de la haute direction. Celle-ci juge insuffisante la suggestion de se défaire de deux postes comblés par Manpower vu qu’il ne s’agit pas de postes permanents. Monsieur Anderson affirme : I was advised that they will accept my suggestion to cut two team leaders but not two Manpower positions. 10 [31] Commentant les instructions reçues, monsieur Anderson dit avoir tout tenté pour éviter de couper plus de postes permanents mais en vain : They wanted permanent savings. It came down to where else can we find a full time position. Il ajoute: By identifying a transaction agent it would bring us to the dollar value they were looking for. Lorsque la décision est finalement arrêtée, il doit y avoir quatre abolitions de postes: les deux postes de superviseurs des agents de traitement, un poste d’analyste et un poste d’agent de traitement. Monsieur Anderson demande alors à la haute direction de reporter l’annonce à la fin juin; ce qu’on lui refuse et il doit donc procéder à la fin mai. [32] C’est dans ces circonstances que monsieur Anderson dit s’être résigné à l’idée qu’il devrait éliminer à la fin mai un poste permanent d’agent de traitement, un choix qui n’allait pas être facile puisque tous les agents de traitement avaient obtenu la même note à leurs évaluations annuelles de 2007 et 2008. [33] Chaque employé est en effet l’objet de deux évaluations par année, une intérimaire et une finale. Ces exercices servent à mesurer la performance de chacun en regard des objectifs qu’on lui a fixés. L’évaluation est réalisée par le supérieur immédiat de chacun. Bien qu’il soit mis au courant des résultats, monsieur Anderson n’y participe pas directement. En contre-interrogatoire, il s’est dit incapable de commenter les évaluations passées. [34] Quoi qu’il en soit, dit-il, à cause des résultats identiques passées, cet outil ne pouvait guère être utile pour choisir l’agent dont le poste serait aboli. Après consultation auprès du service des ressources humaines, monsieur Anderson décide d’utiliser une grille intitulée skills assessment. Il s’agit d’un tableau comptant une vingtaine de critères à l’égard desquels il devait attribuer à chacun une cote de 0 à 5 en comparant les employés entre eux. Le même outil a été utilisé pour choisir lesquels deux analystes verrait son poste disparaitre. Les grilles en question ont été produites à l’audience. [35] Selon ce qu’explique monsieur Anderson: Because they all had the same performance evaluation, this tool was important. They are all good but somebody had to be at the bottom of the list. [36] Au terme de l’exercice les notes attribuées vont de 50 à 79. La note de 50 est la plus faible et elle est attribuée à la plaignante. Monsieur Anderson l’explique ainsi : Naima has a very strong character but has to be able to utilize this strength. I was aware of incidents where her 11 character had a negative impact. It is a shame because with her strong personality she could lead people. Il ajoute: Naima was assessed with 50: it doesn’t make her a bad person but you want to keep the best. [37] Au sujet de ses difficultés passées, monsieur Anderson affirme qu’elle avait été le dénominateur commun de situations problématiques survenues dans le département dans les derniers mois. C’était là, selon lui, l’explication première de sa note inférieure en regard notamment des critères suivants : effective communication skills; analytical problem solving skills; interpersonal skills; good listening skills; impact and influence; trust; thorough/accountable. [38] Monsieur Anderson explique en détail dans son témoignage principal le pourquoi au pointage attribué à la plaignante pour chaque critère. En substance, il affirme que celle-ci présentait a pattern of difficulty to get along with other employees. Il ajoute: It did not happen every day but comparing to her peers more often. She can also be a great friend to others but what we are looking for is a consistent level. Aussi, dit-il, Naima was actively making it difficult to manage the department. There was a lot of talking against her superior. [39] Monsieur Anderson n’a pas été contre interrogé au sujet de la grille utilisée, du choix de celle-ci ni de son application ponctuelle. [40] Interrogée en défense, la plaignante dira ne pas avoir compris pourquoi on avait choisi de l’éliminer. Elle affirme n’avoir jamais entendu parler qu’on se départirait de ses services ni qu’une restructuration aurait été dans l’air. Elle ajoute qu’au cours de la rencontre du 23 janvier 2009, monsieur Michieletto avait même dit qu’on n’envisageait pas de restructuration du département. [41] La plaignante se décrit comme une bonne employée, consciencieuse. Elle ajoute qu’au moment de ses évaluations passées, on lui avait dit que parmi ses points forts il y avait la communication avec ses collègues. Elle commente ses évaluations passées, notamment celle de 2008 alors qu’on l’avait temporairement transférée à un autre département. Elle était déçue de sa seconde évaluation de 2008 parce qu’elle s’attendait en raison de son évaluation intérimaire à obtenir une note supérieure à celle attribuée qui malgré ses contestations n’était pas venue. En somme, dit-elle, elle avait eu une très bonne première évaluation et s’attendait au même résultat 12 à la deuxième. On lui avait alors attribué un 6 plutôt qu’un 7, deux notes correspondant à une excellente évaluation. [42] Quoi qu’il en soit, sa dernière évaluation remonte au 20 mai 2009 alors que sa supérieure Oulebsir l’évalue de manière positive. [43] En outre, il est convenu à cet époque que la plaignante suivra de mars 2009 à mars 2010 aux frais de la banque un cours en ligne sur les valeurs mobilières; ce qui représentait des coûts de 1200$. Elle a suivi ce cours malgré l’abolition de son poste et son départ de l’entreprise. [44] La plaignante fait également état des prix de reconnaissance remis par la Banque à quelques occasions. [45] Interrogée au sujet de ce concours de décorations de Noël, la plaignante nie avoir jamais fait pleurer qui que ce soit au travail. [46] Elle reconnait avoir pu à son retour au département en décembre 2008, commettre certaines erreurs dans son travail mais strictement pour des raisons techniques. D’une part, elle devait, dit-elle, se familiariser avec un nouveau système d’exploitation et, d’autre part, sa supérieure exigeait toujours d’elle qu’elle en fasse plus. [47] La plaignante qualifie d’essentiellement bonnes ses relations avec ses collègues, affirmant être à cet égard la victime d’une forme de barbarie de la part de l’Employeur résultant de mensonges de sa supérieure immédiate. [48] La plaignante a cité en défense neuf de ses collègues. Pour l’essentiel, ils affirment la connaitre, certains mieux que d’autres, et n’avoir pas eu de problèmes avec elle. On la décrit comme quelqu’un d’agréable, de serviable et dynamique, ayant une personnalité forte et désireuse de prendre sa place. Un témoin dira qu’elle faisait montre de leadership et d’habilité à faire connaitre ses opinions. D’autres font fait état de ses difficultés avec sa supérieure Nadia Oulebsir, décrite comme une personne directe, un trait pas nécessairement toujours apprécié de tous. Ces témoins confirment que le département a été restructuré à la suite du départ de quatre employés permanents à la fin juin 2009. [49] La plaignante est informée de la décision la concernant le 21 mai 2009. Bien qu’il souhaitait que le tous se fasse dans une seule annonce, monsieur Anderson explique avoir dû 13 procéder à tour de rôle en commençant par la plaignante, rencontrée le 21 mai par monsieur Biringer et une représentante des ressources humaines. [50] On lui remet alors la lettre annonçant l’abolition de son poste et décrivant les différentes options qui s’offrent à elle : Nous vous confirmons que votre poste a été aboli en raison d’une restructuration et que votre emploi à la Banque CIBC se terminera le 17 juin 2009 (la « date de cessation d’emploi »). Afin de vous aider dans votre transition à un nouvel emploi, la Banque est disposée à vous offrir les paiements et les avantages indiqués dans la présente lettre (l’ « indemnité de départ ») conformément aux modalités énoncées ciaprès. En plus du préavis de quatre semaines qui vous est donné, la Banque est disposée à vous offrir ce qui suit (l’ « indemnité de départ ») : 1. En échange de votre signature de la Quittance ci-jointe, une indemnité de départ pouvant atteindre 37,900.00$, établie pour une période d’indemnisation de 10,50 mois, selon l’option que vous aurez retenue parmi les suivantes : […] 2. […] 3. Un soutien au réemploi […] 4. Une indemnité de formation conditionnelle à l’exécution de la Quittance, […] [51] Selon monsieur Anderson, cette lettre les termes de la politique usuelle de la Banque en pareil cas, politique également suivie pour les trois autres employées aussi visées. Tout comme ces trois autres collègues affectées, la plaignante avait également la possibilité d’essayer de se replacer à l’intérieur de la Banque. Quoi qu’il en soit, la plaignante a refusé les différentes options offertes et opté en faveur du présent recours. [52] Comme question de fait, Nadia Oulebsir s’est prévalue de la possibilité d’être replacée et l’a été à l’intérieur de la Banque. La seconde superviseur II a postulé un emploi dans l’organisation mais ne l’a pas obtenu. Quant à l’analyste, elle a choisi de réorienter sa carrière. [53] Au moment de l’audience, ni la plaignante ni ses trois collègues n’avaient été remplacées. Les postes de superviseurs II étaient abolis, les tâches de l’analyste et de la plaignante continuent d’être partagées parmi les employés qui sont restés. Le département ne compte plus que trois niveaux. 14 III PLAIDOIRIE Employeur [54] Pour le procureur, la fin d’emploi de la plaignante résulte de la suppression d’un poste au sens de l’article 242 (3.1) a) du Code (supra). Reprenant le libellé de la disposition, il soutient que l'arbitre n'a pas compétence pour se prononcer sur le caractère juste ou non d’un renvoi lorsqu’il s’agit d’un licenciement résultant de la suppression d’un poste. [55] En l’espèce, selon Me Coté, la preuve démontre que la suppression du poste en litige résulte d’une restructuration et cette décision s’est faite correctement. Il en résulte donc que l’arbitre doit se déclarer sans compétence pour se saisir du recours, à moins que la plaignante ait démontré, ce qui est nié, que la démarche aurait été faite de mauvaise foi. En effet, soutient Me Côté, la plaignante avait le fardeau de démontrer ce qu’elle avance. Or, pour le procureur, la preuve incontestée est qu’il y a eu restructuration; la coupure de quatre postes permanents et aucune embauche depuis. [56] Se tournant vers les motifs de cette restructuration, le procureur soutient que la preuve en a démontré la légitimité et le bien fondé. Celle-ci, dit-il, résultait des piètres résultats financiers du département, en outre que rien n’empêche légalement un employeur de supprimer des postes même lorsque sa situation va bien. [57] Commentant la plainte, le procureur reconnait que les tâches de la plaignante ont continué de se faire, mais son poste a bel et bien été supprimé et ces tâches sont depuis réparties entre ses autres collègues. [58] Quant au reproche formulé dans la plainte d’avoir ignoré l’ancienneté, le procureur nie que l’Employeur ait eu pareille obligation et répond que sa décision a été prise de bonne foi pour des raisons valides. [59] Se tournant ensuite vers l’allégation voulant que son renvoi se soit fait en représailles à sa plainte faite en décembre 2008, le procureur rappelle que les plans initiaux de monsieur Anderson ne visaient nullement la plaignante et que si on avait vraiment voulu à tout prix se débarrasser d’elle pour pareille raison, monsieur Anderson n’aurait pas agi comme il l’a fait dans ses recommandations à sa direction. 15 [60] Cela dit, le procureur ajoute que la directive ultime de la haute direction a été exécutée de bonne foi suivant des critères honnêtes, selon une grille qui n’a nullement été remise en question dans le cours de l’audience. La résultante est que la plaignante présentait certaines lacunes et ce sont ces lacunes qui ont fait en sorte que sa note était la plus faible. D’ailleurs, rappelle le procureur, son caractère et sa forte personnalité lui avait déjà valu de faire partie d’un trio rencontré à ce sujet en février 2009. Cela dit, poursuit le procureur, la plaignante n’a pas perdu son travail en raison de sa personnalité forte ni de certains incidents comme celui de Noël mais il reste cependant que quand est venu le temps de choisir, ces éléments ont été pris en compte. [61] L’Employeur nie carrément l’allégation voulant que la plaignante soit victime d’un coup monté par sa supérieure immédiate, Nadia Oulebsir, elle-même ayant vu son poste aboli. Le procureur rappelle que la direction avait approuvé aussi tard que mars 2009 la recommandation que la plaignante suive aux frais de la Banque un cours en valeurs mobilières, preuve, dit-il, qu’on n’envisageait nullement de se défaire d’elle avant que la décision ne soit prise par la haute direction de réduire les effectifs du département. [62] En conclusion, le procureur soutient que la plaignante, qui en avait le fardeau, n’a pas démontré que l’Employeur aurait agi de mauvaise foi ni qu’il aurait pris prétexte d’une restructuration du département pour se débarrasser d’elle. [63] Le procureur a invoqué les autorités suivantes : Audet Georges, Bonhomme Robert, Gascon Clément, Le congédiement en droit québécois, 3e Ed., Les éditions Yvon Blais inc. pages 42-37 à 42-44.1 ; Thomas v. Enoch Cree Nation Band, [2001] C.L.A.D. No. 493 ; Collin et CJMF FM Limitée, 9 décembre 1992, CCT-0996, arbitre Robert Tremblay ; McKenzie et Algonquin Nation Human Ressources and Sustainable Development Corp. (Algonquin Nation HRSD), AZ-55000023 ; Banque Royale du Canada c. Lapointe, AZ-50315606 (CF); Corp. De gestion de la voie maritime du St-Laurent c. Bourgeois, AZ-50204631. Plaignante [64] Au contraire, pour la procureure de la plaignante, la restructuration invoquée par la Banque n’est qu’un prétexte pour masquer un congédiement arbitraire et injuste. 16 [65] D’une part, soutient Me Roy, le motif économique allégué pour justifier les suppressions de poste n’a jamais été mentionné avant l’audience et il n’apparait nulle part dans la lettre de fin d’emploi de la plaignante. Ce n’est qu’à l’audience, dit la procureure, que monsieur Anderson est venu affirmer que la réorganisation administrative invoquée aurait résulté d’une commande de la haute direction. [66] Or, fait valoir la procureure, la preuve de l’Employeur à ce sujet n’est guère convaincante puisque personne de la haute direction n’a témoigné. On a fait état d’échanges de courriels mais ceux-ci n’expliquent pas vraiment la soi-disant commande d’en haut. Selon elle, l’unique témoignage patronal entendu à cet égard est celui de monsieur Anderson. Or, dit-elle, lui-même affirme que ces décisions n’émanaient pas de lui mais de la haute direction et dans les circonstances un tel témoignage est insuffisant. D’ailleurs, ajoute-t-elle, aucun autre témoin n’avait entendu parler des mesures économiques mentionnées par lui. [67] Se tournant vers les pertes financières alléguées, la procureure commente les documents financiers déposés en preuve. Elle soutient que les pertes alléguées sont déjà en voie de se résorber et qu’elles ne justifient pas la mesure. La procureure ajoute que puisque la Banque a déclaré des dividendes, cela ne pouvait se faire que selon certains critères démontrant sa capacité financière de payer. En outre, dit-elle, on a versé des bonis à certains employés, autre geste démontrant l’invraisemblance de l’allégation de pertes comme explication du renvoi. [68] La procureure souligne que deux personnes ont été confirmées dans des postes permanents aussi tard qu’en mars 2009 alors que deux mois plus tard on prétend avoir au nom de difficultés financières aboli le poste de la plaignante! Comment concilier cela? Si les choses allaient aussi mal qu’elle le prétend, la Banque aurait logiquement aboli beaucoup plus que quatre postes. En somme, pour la procureure, la restructuration alléguée n’est qu’un prétexte pour masquer ce qui était le congédiement pur et simple de la plaignante. [69] En outre, poursuit la procureure, le choix du poste de la plaignante comme celui à abolir n’était pas objectif. Il a été fait par monsieur Anderson, une personne située à trois paliers hiérarchiques au dessus d’elle, à un niveau qui n’en faisait pas la meilleure personne pour évaluer ses aptitudes. [70] La démarche s’est en outre faite en ignorant l’outil d’évaluation que possède la Banque. Il est curieux, affirme la procureure, de voir la Banque décider de ne pas s’en servir alors 17 précisément qu’elle a un choix crucial à faire. Or, selon la procureure, les évaluations passées de la plaignante sont inconciliables avec le pointage qui lui est attribué selon la grille finalement utilisée par monsieur Anderson. C’est le cas, affirme Me Roy, au niveau de la communication, de la confiance, du leadership et de l’esprit d’équipe. Pour la procureure, on a délibérément mal noté la plaignante. On l’a choisie parce qu’on la percevait comme un tyran dans son département et qu’on voulait s’en défaire. Or, aucune de ses évaluations passées n’en fait état. [71] En définitive, estime sa procureure, le renvoi de la plaignante résulte d’un processus injuste et arbitraire ainsi que du jugement trop subjectif d’une personne mal placée pour le poser. En outre, la grille utilisée était remplie précisément par le seul supérieur contre lequel la plaignante avait porté plainte quelque temps auparavant. [72] En conclusion, la procureure soutient que l’Employeur n’a pas rencontré le fardeau de démontrer de manière prépondérante qu’il avait coupé un poste en raison d’une réorganisation administrative liée à des motifs économiques. Subsidiairement, poursuit la procureure, même si j’en venais à une autre conclusion, il reste que le choix de la plaignante était totalement arbitraire et le résultat d’un prétexte. [73] La procureure a invoqué les autorités suivantes : Lapointe c. Banque Royale du Canada, 2004 CanLII 49283 (QC A.G.); Nassr et Société Télé-Mobile (Télus Mobilité), 2004 CanLII 42683 (QC A.G.). IV ANALYSE ET DÉCISION [74] L’article 240 du Code accorde un recours à la personne qui estime être injustement congédiée alors qu’elle travaillait sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur et qu’elle n’est pas régie par une convention collective. [75] Cela dit, le paragraphe 242(3.1) a) précise que, même si les conditions de l’article 240 sont réunies, l'arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte si la personne a été licenciée en raison d’un manque de travail ou de la suppression d'un poste. 18 [76] L’Employeur invoque cette exclusion. Il soutient en effet que la fin d’emploi de la plaignante résulte de la suppression d’un poste d’agent de traitement imputable à une réorganisation administrative entrainée par des résultats financiers négatifs. [77] L’arbitre Nathalie Faucher décrit bien dans Nassr et Société Télé-Mobile (Télus Mobilité) (précité) la question de la charge de la preuve lorsqu’un employeur invoque le paragraphe 242 (3.1) a) : [91] Le fardeau de prouver que le paragraphe 242 (3.1)a) s'applique appartient à l'employeur. Ce dernier doit démontrer de façon prépondérante la justification économique de la terminaison d'emploi du plaignant. De plus, il a aussi le fardeau d'expliquer clairement et de façon raisonnable le choix de licencier le plaignant. Traitant de cette question du fardeau de la preuve, l'Honorable juge Beaudry, s'inspirant de la décision Clements, s'exprimait en effet comme suit aux paragraphes 38 et 39 de la décision Thomas c. Bande indienne crie d'Enoch: [38] Voici le passage pertinent de la décision Clements, précitée, au paragraphe 46 : [TRADUCTION] C'est à l'employeur qu'il incombe de démontrer qu'il tombe sous le coup du paragraphe 242(3.1), mais le plaignant n'est pas pour autant dispensé de s'acquitter de son fardeau de la preuve (voir la décision Munak c. SRC, (Descôteaux, 30 décembre 1987). Lorsque, comme en l'espèce, la preuve présentée par l'employeur démontre clairement la justification économique du licenciement et explique clairement et de façon raisonnable le choix de licencier le plaignant, la preuve soumise par le plaignant doit alors, à mon avis, être suffisante pour convaincre l'arbitre que la mesure par ailleurs justifiable prise par l'employeur est une « mise en scène », un « subterfuge », une mesure « malveillante » ou « détournée» [...] [39] Ce passage semble laisser croire que, pour que l'employeur puisse se fonder sur le paragraphe 242(3.1), il doit démontrer : (i) une justification économique; et (ii) une explication raisonnable justifiant le « choix » de l'employé licencié. Après que les deux volets de ce critère ont été satisfaits, le fardeau de la preuve est déplacé sur l'employé, qui doit alors réfuter la preuve. [92] Plus loin, il mentionne ce qui suit (paragraphe 47): [47] Si l'arbitre avait appliqué correctement les principes posés dans la décision Clements, elle aurait exigé que l'employeur démontre clairement la justification économique 19 du licenciement et « explique clairement et de façon raisonnable le choix de licencier » la demanderesse avant que le fardeau de la preuve ne soit déplacé sur la demanderesse. En affirmant à plusieurs reprises qu'elle ne disposait d'aucun élément de preuve au sujet du processus de prise de décision suivi par le chef et les conseillers, l'arbitre a bien fait comprendre qu'elle n'avait pas examiné les raisons pour lesquelles on avait choisi la demanderesse. À tout le moins, les explications fournies par M. Generoux n'auraient pas permis d' « expliquer de façon raisonnable le choix » compte tenu des doutes et des hésitations que l'arbitre affirmait avoir. L'arbitre a par conséquent commis une erreur en statuant que c'était à la demanderesse qu'il appartenait de fournir une preuve concluante de la mauvaise foi de son employeur" [93] Donc, si l'employeur réussit à prouver à la fois la justification économique et une explication raisonnable du choix du salarié, le fardeau sera dès lors transféré sur les épaules de ce dernier afin qu'il démontre que sa terminaison d'emploi est en fait, un congédiement déguisé ou pour reprendre les termes de l'affaire Clements « une mise en scène, un subterfuge, une mesure malveillante ou détournée ». Sur ce point, il y a lieu de noter que selon la jurisprudence, un licenciement pour des motifs « mixtes » i.e. recouvrant à la fois un licenciement économique et des motifs disciplinaires, constitue un congédiement et le paragraphe 242 (3.1)a) est alors inapplicable. L'Honorable juge Dawson précisait en effet ce qui suit dans l'arrêt Roe c. Rogers Cablesystems Ltd : [28] Mme Roe fait remarquer ensuite, avec raison selon moi, qu'un licenciement pour des « motifs mixtes » constitue un congédiement injuste. L'expression « motifs mixtes » recouvre un licenciement qui est attribuable en partie à un manque de travail ou à la suppression d'un poste, et en partie à des motifs disciplinaires. On a déjà jugé qu'un licenciement pour des motifs mixtes ne tombait pas sous l'empire de l'alinéa 242(3.1)a) du Code. Voir : Saunders c. Coles Express (non publié, le 6 février 1987, l'arbitre Landry). [78] Ainsi, l’employeur qui invoque l’article 242 (3.1) a) doit, d’une part, démontrer clairement la justification économique qu’il invoque et, d’autre part, fournir une explication raisonnable de son choix de l’employé comme éventuel objet de cette mesure économique. Lorsque l’employeur soutient s’être acquitté de ce fardeau, il revient alors à la partie plaignante de démontrer pour paraphraser l’arbitre Faucher que la mesure par ailleurs justifiable prise par l’employeur est une mise en scène, un subterfuge, une mesure malveillante ou détournée. 20 [79] En l’espèce, l’Employeur soutient qu’il y a eu suppression d’un poste d’agent de traitement au sens de la disposition invoquée. La Cour fédérale donne la définition suivante de cette notion dans Banque Royale c. Lapointe (précité) : [20] Le paragraphe 242(3.1) prévoit expressément que l'arbitre n'a pas compétence pour statuer sur le litige si l'employé à été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste. L'interprétation de l'expression « suppression d'un poste » a été définie par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Flieger c. Nouveau-Brunswick, 1993 CanLII 104 (C.S.C.), [1993] 2 R.C.S. 651 aux pages 663 et 664 : Comment alors devrait-on définir l'expression "suppression d'une fonction"? Le mot "suppression" indique manifestement la fin de quelque chose qui est appelé une fonction. Une "fonction" doit être le "poste", c'est-à-dire l'ensemble de responsabilités, de tâches et d'activités dont s'acquitte un employé en particulier ou un groupe donné d'employés. C'est cette définition du mot "fonction", au sens de "poste", qui s'accorde le mieux avec l'environnement du milieu de travail. Le mot "emploi" en soi indique l'existence d'un employé et d'un employeur. Un terme comme "fonction" ou "poste" doit avoir un sens pour l'une et l'autre de ces parties. Par exemple, une personne peut occuper le "poste" de surintendant d'usine. La personne qui agit comme surintendant d'usine exerce un groupe ou un ensemble d'activités et de tâches qui forme ce poste. L'employeur comme l'employé comprennent ce qui est nécessaire pour que soit occupé ou rempli ce poste précis. De même, le "poste" de secrétaire ou de mécanographe comporte un ensemble particulier d'activités et de tâches. Il faut posséder un ensemble donné d'habiletés pour être en mesure d'exercer les tâches et les activités exigées par chacun de ces postes. Encore une fois, l'employeur et l'employé connaissent exactement ce qui est nécessaire pour l'exercice des activités du poste particulier. Par conséquent, il y a "suppression d'une fonction" lorsque cet ensemble d'activités qui constitue un poste n'est plus exécuté par suite de la décision arrêtée de bonne foi par l'employeur. Par exemple, si un ensemble donné d'activités est tout simplement confié intégralement à une autre personne, ou si l'activité ou la tâche reçoit simplement un titre nouveau et différent de façon à pouvoir figurer dans une autre description de poste, alors on ne pourrait parler de la "suppression d'une fonction". En revanche, si les activités qui font partie de l'ensemble ou du groupe d'activités sont réparties entre d'autres personnes, comme ce fut le cas dans Mudarth, précité, 21 il y aurait "suppression d'une fonction". Il y aurait également "suppression d'une fonction" si les responsabilités sont décentralisées, comme ce fut le cas dans Coulombe, précité. [21] Voici ce que le juge Létourneau a écrit à ce sujet dans l'arrêt Énergie atomique du Canada c. Jindal, [1998] A.C.F. no 847 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 15, [...] « la "suppression d'un poste" ne se produit pas seulement lorsque les activités cessent d'être exercées, mais aussi lorsque les activités qui font partie du groupe d'activités exercées par un employé sont désormais réparties entre d'autres personnes » . [80] Avec égards, la preuve non contredite démontre que l’Employeur a effectivement décidé de diminuer ses effectifs dans le département d’opération de CAMI au printemps 2009. Les propos de monsieur Anderson à ce sujet ne sont en effet pas contredits. Ces propos sont à l’effet que la haute direction lui a donné pour instruction de réduire la masse salariale de son département au printemps 2009. [81] La procureure de la plaignante a soutenu que ce témoignage serait insuffisant pour justifier une conclusion en ce sens, faute d’avoir été corroboré par des dirigeants basés à Toronto d’où émanait la décision ultime. Avec égards, la directive rapportée par monsieur Anderson s’est traduite en juin 2009 dans quatre abolitions de poste dont la matérialité et l’authenticité n’ont pas été contestées. Ces abolitions de postes ont d’ailleurs été confirmées par les collègues de la plaignante qu’elle a cités en défense et dont la plupart a confirmé qu’il y avait effectivement eu restructuration du département en juin. [82] Même si les résultats financiers n’étaient peut-être pas aussi sombres qu’on a voulu le laisser entendre, il reste que la matérialité des propos avancés n’est contrée par aucun élément de preuve. La directive imposée de réduire la masse salariale n’est pas contredite ni le fait de devoir y procéder par voie d’abolition de postes permanents. [83] La prépondérance d’une preuve est une affaire de plus grande vraisemblance (voir article 2804 du Code civil du Québec). Or, la preuve est largement prépondérante à l’effet qu’il y a eu resserrement des effectifs et réduction de postes. [84] L’Employeur pouvait pour une raison qui appartient à ses droits de gérance traditionnels diminuer ses coûts de main-d’œuvre. Il reste que légalement, son geste doit être tenu pour valide, 22 la bonne foi étant présumée en l’absence de preuve contraire (voir article 2805 du Code civil du Québec). [85] Somme toute, on a aboli quatre postes en juin 2009 et le travail qui leur était confié est depuis réparti entre les employés restés derrière. À l’évidence, il y a eu suppression de postes. [86] Certes, l’Employeur a comblé deux postes vacants en mars 2009. Toutefois, selon la preuve non contredite, ces deux vacances remontaient à septembre 2008 et ne résultaient pas de la création de nouveaux postes. Il comptait parmi les 39 et la décision de les combler était antérieure à la directive faite à monsieur Anderson de réduire l’effectif. D’ailleurs les personnes qui les ont obtenus étaient déjà là mais avec un statut différent. [87] Avec égards, j’estime que la preuve prépondérante démontre que la direction a jugé de bonne foi que sa situation financière justifiait de réduire l’effectif. Aussi difficile que la conséquence de pareille décision puisse être pour le personnel, ce motif n’est pas illégal et n’était suivant la preuve ni farfelu ni un faux prétexte pour se débarrasser d’une agente de traitement jugée trop encombrante. [88] Autrement dit, la preuve soutient de manière prépondérante l’affirmation de l’Employeur à l’effet qu’il a entrepris et mené une réorganisation légitime de son département en vue d’en réduire la masse salariale. [89] Les faits de la cause auraient peut-être pu donner lieu à une lecture différente mais pour y arriver, il aurait fallu une preuve y conduisant. Or, hormis certaines dénégations notamment sur l’authenticité des pertes alléguées par la Banque, la preuve concrète, matérielle, présentée mène à la conclusion qui précède. [90] Qu’en est-il du choix de la plaignante comme titulaire du poste à abolir ? [91] La procureure de la plaignante a fait valoir que la Banque, qui possède pourtant un outil d’évaluation de la performance de ses employés a choisi de l’ignorer, et ce faisant défavorisé consciemment la plaignante. La Banque a répondu, ce qui n’est pas contredit, que tous ses agents susceptibles d’être remerciés avaient obtenu une évaluation égale en 2008 de même qu’en 2007 de sorte qu’il avait fallu procéder à une démarche ponctuelle en vue de déterminer qui serait remercié. 23 [92] La jurisprudence pertinente à ces questions est à l’effet que les critères de sélection retenus par la direction de l’entreprise pour arrêter son choix relèvent de sa discrétion et que l’arbitre n’a pas compétence pour substituer ses propres critères à ceux de l’entreprise. Cela dit, l’arbitre a l’autorité de s’assurer que l’employeur agit avec objectivité, impartialité et sans discrimination dans le choix de la personne appelée à quitter. En somme, la démarche doit être honnête et il y a lieu de s’assurer que la gérance ne qualifie pas de licenciement économique ce qui serait en fait le renvoi disciplinaire d’un employé jugé indésirable. [93] Le fait que monsieur Anderson ait consulté le service des ressources humaines qui lui a remis la grille d’évaluation qu’il a utilisée n’est pas contredit. Le fait que cette grille comportait un certains nombre de critères ponctuels n’est pas non plus contredit ni la validité des critères qu’elle comporte. [94] Monsieur Anderson a affirmé que les notes attribuées à chacun des agents évalués étaient le résultat d’une analyse faite sérieusement et qui n’a pas été facile. Ce dernier a décrit chaque critère utilisé et expliqué le pourquoi des résultats attribués à la plaignante. Monsieur Anderson n’a été contre interrogé ni sur l’outil utilisé ni sur la méthode suivie ni sur la pondération de chaque critère. [95] Selon la preuve, on a ainsi évalué chacun des agents de traitement susceptibles d’être touchés par la coupure en fonction de qualités jugées significatives de leur aptitude à demeurer en poste. Parmi celles-ci figuraient la capacité de travailler en équipe et celle d’exercer un leadership positif. Dans les circonstances où le moral au département était bas, ces critères paraissent raisonnables et pertinents et n’ont de toute façon aucunement été remis en question. [96] Certes le caractère de la plaignante et son leadership qualifié de négatif par monsieur Anderson ont joué mais personne ici n’a soutenu qu’il s’agissait là d’un motif disciplinaire caché ni que l’évaluation qu’on en a faite était arbitraire. Selon les explications non contredites fournies par monsieur Anderson, l’analyse faite a consisté à comparer les agents de traitement entre eux et à attribuer à chacun un pointage relatif. Il s’agissait d’un exercice de comparaison dont la validité n’a pas été remise en question. [97] Avec égards, j’estime que l’Employeur a fourni une explication raisonnable de son choix. 24 [98] Il appartenait à la plaignante de démontrer que la façon dont la direction a procédé résultait d’une mise en scène, un subterfuge, une mesure malveillante ou détournée. Or, aucun élément de preuve convaincant ne permet de conclure en ce sens. Certes, on a fait état d’une possible animosité à l’endroit de la plaignante en raison d’un incident survenu en décembre 2008 mais encore ici, il s’agit d’une question de preuve. Monsieur Anderson a reconnu avoir été direct et prompt avec la plaignante lors d’une rencontre du 12 décembre et celle-ci a porté plainte. Par la suite, des excuses ont été faites et acceptées. La preuve prépondérante est en définitive que l’incident était clos et que tout était rentré dans l’ordre. La séquence non contredite du cheminement qu’a suivi l’éventuelle abolition du poste de la plaignante renforce aussi la vraisemblance que cette affaire était close. [99] Pour toute ces raisons, le moyen de l’Employeur est accueilli et la plainte rejetée. MONTRÉAL, le 4 mai 2010 ___________________________________ Johanne Despatis, avocate Arbitre Adjudex inc. 0910-8344-FM SA 8074-10