Droit pénal des affaires - vivaldi

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Droit pénal des affaires - vivaldi
Précisions quant aux éléments constitutifs de la banqueroute par
détournement ou dissimulation d’actifs
Source : Cass. crim., 20 mai 2009, n° 08-84.888, Inédit
La Cour de cassation, par cet arrêt, précise les éléments constitutifs de l’infraction de droit pénal des affaires : la banqueroute. De l'italien bancarotta, issu du latin médiéval banca rupta : à l'époque médiévale, la
banca était une planche de bois garnie de cases et permettant de changer les monnaies avant d'entrer dans une ville. Lorsque la personne exerçant ce commerce faisait faillite, elle était obligée de casser (rompre) sa
banca en public. Ainsi, l’infraction de banqueroute est intimement liée à la notion de faillite.
En l’espèce, la banqueroute a été commise par détournement ou dissimulation d’actifs, elle s’entend comme une infraction intentionnelle consistant à « détourner ou dissimuler » tout ou partie de l’actif social d’une
entreprise en difficulté afin de les prémunir du droit de poursuite des créanciers sociaux.
I. Le régime juridique du délit de banqueroute
I - 1. Les conditions de l’infraction
I - 11. L’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire
Selon les dispositions de l’article L 654-2 du Code de commerce, la poursuite du dirigeant sur le fondement de la banqueroute nécessite l’« ouverture d’une procédure de redressement ou liquidation judiciaire ». Par
conséquent, l’entreprise au cœur de l’infraction doit être en état de cessation des paiements c’est-à-dire qu’elle se retrouve dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible au sens de
l’article L 631-1 du Code de commerce.
Cependant, le juge répressif pourra retenir, en tenant compte des éléments soumis à son appréciation, une date de cessation des paiements autre que celle fixée par la juridiction consulaire[1].
Par ailleurs, la jurisprudence rappelle de manière constante que l’état de cessation des paiements n’est pas un élément constitutif du délit de banqueroute mais une condition préalable à l’exercice de l’action
publique[2].
I - 12. Les personnes concernées par l’incrimination de banqueroute
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I - 121. Les dirigeants visés par l’infraction
L’article L. 654-1 dispose expressément que l’incrimination de banqueroute s’applique :
-
A tout commerçant, artisan, agriculteur, aux professionnels indépendants et professionnels libéraux ;
-
A toute personne qui a, directement ou indirectement, en droit ou en fait, dirigé ou liquidé une personne morale de droit privé ;
-
Aux personnes physiques représentants permanents de personnes morales dirigeants des personnes morales de droit privé.
I - 122. Les complices
Le législateur les vise de manière incidente à l’article L 654-4 du Code de commerce lorsqu’il fixe les circonstances aggravantes de l’infraction « lorsque l’auteur ou le complice de banqueroute est un dirigeant
prestataire de services d’investissement, les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende. »
I - 123. Les personnes morales
Aux termes de l’article L 654-7 du Code de Commerce, les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables des infractions de banqueroute prévues aux articles L. 626-3 et L. 626-4 du Code de Commerce.
I - 2. Les éléments constitutifs de l’infraction (article L. 654-2 du Code de Commerce)
I - 21. L’élément intentionnel
Le législateur incrimine le dirigeant du chef du délit de banqueroute, sous réserve que ce dernier a, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation
judiciaire.
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I - 22. Les éléments matériels de l’infraction
Le délit de banqueroute présente un caractère protéiforme quant à l’élément matériel, la loi distingue :
a.
La banqueroute par l’achat en vue d’une revente au-dessous du cours ou l’emploi de moyens ruineux pour se procurer des fonds :
b.
La banqueroute par détournement ou dissimulation de tout ou partie de l’actif.
c.
La banqueroute par l’augmentation frauduleuse du passif du débiteur.
d.
La banqueroute par la tenue d’une comptabilité fictive, la disparition des documents comptables et l’absence de toute comptabilité :
e.
La banqueroute par la tenue d’une comptabilité incomplète ou irrégulière au regard des dispositions légales.
I - 3. Les sanctions
I - 31. A l’égard du dirigeant
I - 311. Les peines principales (L. 654-3 du Code de Commerce)
La banqueroute est punie de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, que le dirigeant soit l’auteur principal de l’infraction ou complice.
I - 312. Les peines complémentaires (L. 654-5 et 6 du Code de Commerce)
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1° L'interdiction des droits civiques, civils et de famille, suivant les modalités de l'article 131-26 du code pénal ;
2° L'interdiction, suivant les modalités prévues par l'article 131-27 du code pénal, soit d'exercer une fonction publique ou d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice
de laquelle l'infraction a été commise, soit d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre
compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale. Ces interdictions d'exercice peuvent être prononcées cumulativement ;
3° L'exclusion des marchés publics pour une durée de cinq ans au plus ;
4° L'interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d'émettre des chèques autres que ceux qui permettent le retrait de fonds par le tireur auprès du tiré ou ceux qui sont certifiés ;
5° L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35 du code pénal.
6° Le juge répressif peut également prononcer à l’encontre des personnes coupables de banqueroute la faillite personnelle ou l’interdiction de gérer définitivement ou temporairement (le cas échéant, elle ne doit pas
excéder une durée de 5 ans).
I - 32. A l’égard des personnes morales
Les personnes morales déclarées responsables pénalement du délit de banqueroute encourent :
1° L'amende dont le taux maximum est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques, soit 375 000 euros ou 500 000 euros pour les entreprises prestataires de services d’investissement.
2° Les peines mentionnées à l'article 131-39 du code pénal tels que notamment la dissolution de la personne morale ou encore l'exclusion des marchés publics à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus.
II. Les précisions jurisprudentielles quant à l’élément matériel et moral du délit de banqueroute par détournement ou dissimulation d’actifs du débiteur
Dans l'affaire soumise à la chambre criminelle, une société en état de cessation des paiements a cédé à son dirigeant et à ses deux frères des titres qu'elle détenait dans le capital d'une autre société. Poursuivis tous
les trois, le premier a été condamné du chef de banqueroute par détournement d'actifs, les deux derniers sur celui du recel de ce même délit.
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L'arrêt rendu le 20 mai 2009 par la chambre criminelle est l'occasion pour de définir précisément les contours de l'élément matériel (II-1) et de l'élément moral (II-2) de ce délit.
II – 1. L'élément matériel de la
banqueroute
par détournement d'actif
Ce type de banqueroute consiste tout d'abord pour le débiteur en difficulté, d'effectuer personnellement des actes de dispositions sur des fonds meubles ou immeubles compris dans l'actif social[3].
Il est vrai que ne constitue pas le délit de banqueroute par détournement d'actif le fait pour le dirigeant de celle-ci de céder à un ou plusieurs créanciers de la personne morale tout ou partie des biens de cette
dernière, dans la mesure où, égale ou supérieure à la valeur de ces biens, la créance du bénéficiaire est certaine, liquide et exigible[4]. C'est en se fondant sur cette jurisprudence que le dirigeant condamné faisait
grief aux juges du fond de ne pas avoir recherché si les comptes courants d'associés créditeurs ne correspondaient pas à des créances liquides, certaines et exigibles des bénéficiaires, de montant égal ou supérieurs à
la valeur des actions cédées, de sorte que la cession était intervenue à titre de paiement préférentiel, non répréhensible pénalement.
Cependant, cette jurisprudence doit être interprétée à la lumière de la position de la chambre criminelle qui juge classiquement que le délit de banqueroute par détournement d'actif est constitué, dès lors que le
produit de la vente d'un élément d'actif est dissimulé aux créanciers[5].
Par conséquent, la Cour de cassation rejette le pourvoi, approuve ici les juges du fond d'avoir retenu ce délit, dans la mesure où la cession par la société en difficulté des titres qu'elle détenait dans le capital
d'une autre société a été faite à l'insu des autres actionnaires et du commissaire aux comptes de la société cédante, la date réelle de l'opération ayant été dissimulée, à un prix fixé arbitrairement et sans
contrepartie réelle.
II - 2. L'élément moral de la
banqueroute
par détournement d'actif
Les différents types de délits de banqueroute prévus à l'article L. 654-2 du Code de commerce exigent un élément intentionnel, consistant dans la conscience de la faute commise par l'agent.
En pratique, la mauvaise foi se traduit par la double connaissance de l'état de cessation des paiements et du dommage causé aux tiers ainsi qu'aux créanciers sociaux[6].
La Chambre criminelle confirme la motivation des juges du fond dans la mesure où l'élément intentionnel que suppose le délit de banqueroute par détournement d'actif est caractérisé par :
-
D’une part, la connaissance qu'avait le dirigeant de l'entreprise en difficulté de l'état de cessation des paiements alors qu'informé de la procédure d'alerte lancée par le commissaire aux comptes en avril et mai
2001 sur l'ensemble du groupe, par ailleurs, il avait veillé à antidater la cession litigieuse à une date antérieure destinée à éloigner fictivement l'opération litigieuse de la période suspecte.
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-
D'autre part, de ce que la cession des éléments d'actifs de la société était faite sans contrepartie réelle, dissipant ainsi volontairement ces éléments de patrimoine de cette société en état de cessation des
paiements depuis le 1er octobre 2001.
Mohamed ROUACHE
Juriste stagiaire
[1]
Voir, par exemple, Cass. crim., 27 novembre 1997, n° 96-85.520, publié n° 405, Cass. crim., 21 juin 1993, n° 92-84.526, publié n° 217, et Cass. crim., 18 novembre 1991, n° 90-83.775, publié n° 415.
[2]
Cass. crim., 21 novembre 2001, n° 00-85.999, inédit
[3]
Cass. crim., 21 avril 1980, n° 79-91.866, Modiano c/ Bonnet : D. 1981, p. 33, note J. Cosson.
[4]
Cass. crim., 16 janvier 1989, n° 88-82.576 : JCP E 1989, I, p. 83 ; JCP G 1989, IV p 115 ; Bull. crim. 1989, n° 15.
[5]
Cass. crim., 29 mars 2000, n° 99-85.878 : Bull. crim. 2000, n° 141
[6]
Cass. crim., 30 novembre 1987, n° 87-80.737 : Bull. crim. 1987, n° 435. – Cass. crim., 8 novembre 2006, n° 06-80.717 ; Dr. Sociétés 2007, comm. 59, obs. R. Salomon ; D. 2007, p. 1626, note C. Mascala
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