REGIMES MATRIMONIAUX
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REGIMES MATRIMONIAUX
REGIMES MATRIMONIAUX Le sujet est vaste et complexe. L’exposé se limitera au rappel des règles essentielles et à l’examen des problèmes les plus fréquemment rencontrés. Un rappel : il existe un régime primaire qui s’impose à tous les couples mariés quel que soit leur régime matrimonial. Ce sont les articles 212 à 224 du Code Civil : l’article 212 en énonce le principe l’article 213 énonce les obligations résultant du mariage : cohabitation, fidélité, secours et assistance l’article 214 concerne le choix de la résidence conjugale l’article 215 protège l’immeuble qui sert au logement principal de la famille : ainsi par exemple, l’époux qui est seul propriétaire dudit immeuble ne peut sans l’accord de l’autre le vendre, le donner ou l’hypothéquer et devra en cas de refus injustifié de son conjoint solliciter l’autorisation du Tribunal de 1ère Instance l’article 216 vise l’exercice d’une profession l’article 217 précise que chaque époux affecte ses revenus par priorité à sa contribution aux charges du mariage l’article 218 permet à chaque époux d’ouvrir à son nom et sans l’accord de son conjoint un compte bancaire l’article 219 permet à chaque époux de donner à son conjoint un mandat général spécial pour le représenter l’article 220 vise l’hypothèse de l’absence, de l’interdiction ou de l’impossibilité pour l’un des époux de manifester sa volonté l’article 221 porte que chacun des époux contribue aux charges du mariage selon ses facultés et permet au juge de paix d’autoriser l’un des époux à percevoir à l’exclusion du conjoint tout ou partie des revenus de celui-ci l’article 222 indique que les dettes contractées par l’un des époux pour les besoins du ménage et l’éducation des enfants obligent solidairement l’autre époux l’article 223 permet au juge de paix, en cas de manquement grave d’un des époux à ses devoirs ou simplement si l’entente entre eux est sérieusement perturbée, d’ordonner des mesures urgentes et provisoires telles que par exemple les modalités d’une séparation (résidences séparées, autorité parentale et hébergement des enfants…) l’article 224 permet l’annulation à la demande d’un des époux de certains actes accomplis par son conjoint telles que par exemple des donations ou des sûretés personnelles mettant en péril les intérêts de la famille ; l’action en nullité doit être introduite à peine de forclusion dans l’année du jour où l’époux demandeur a eu connaissance de l’acte * ** Il existe plusieurs régimes matrimoniaux, dont les principaux sont d’une part le régime légal et d’autre part le régime de la séparation de biens (avec éventuellement adjonction d’une société d’acquêts ou d’une participation aux acquêts). Le choix du régime matrimonial doit être effectué avant la célébration du mariage. L’article 1394 CC permet aux époux au cours du mariage d’ « apporter à leur régime matrimonial toutes modifications qu’ils jugent à propos et même en changer entièrement ». 1. Régime légal Le régime légal est régi par les articles 1398 à 1450 du Code Civil. Les articles 1399 à 1401 énumèrent les biens propres des époux alors que l’article 1405 précise que sont communs tous les revenus professionnels, les revenus et intérêts des biens propres et d’une manière générale les biens « dont il n’est pas prouvé qu’ils sont propres ». à 1408. Le caractère propre ou commun des dettes est réglé par les articles 1406 Le régime matrimonial se dissout par le décès d’un des époux, par le divorce ou la séparation de corps, par la séparation judiciaire ou par l’adoption d’un autre régime matrimonial (article 1427 CC). L’article 1278 CJ précise qu’à l’égard des époux et en ce qui concerne leurs biens, la décision judiciaire prononçant le divorce produit ses effets au jour de la demande en divorce. L’article 1278 in fine permet cependant au tribunal s’il l’estime équitable en raison de circonstances exceptionnelles de décider qu’il ne sera pas tenu compte dans la liquidation de la communauté « de l’existence de certains avoirs constitués ou de certaines dettes contractées depuis le moment où la séparation de fait a pris cours ». Une des caractéristiques du régime légal est le mécanisme des récompenses (articles 1432 à 1438 CC). Une récompense est due par un époux pour la somme qu’il a prise sur le patrimoine commun pour acquitter une dette propre ou d’une manière générale pour en retirer un profit personnel (article 1432 CC). Un exemple : à la suite d’une condamnation pénale, un époux est amené à payer des dommages et intérêts, cette dette lui est propre en vertu de l’article 1407 ; si elle est réglée au moyen de fonds communs, il devra, à la dissolution du régime matrimonial, une récompense au patrimoine commun à concurrence des sommes payées. De la même manière, il sera dû une récompense par le patrimoine commun à l’égard de l’époux dont des fonds propres ou des fonds provenant de l’aliénation d’un bien propre sont entrés dans ledit patrimoine (article 1434). L’article 1435 indique que la récompense ne peut être inférieure à l’appauvrissement du patrimoine créancier et ajoute que lorsque les fonds ont servi à acquérir, conserver ou améliorer un bien, le montant de la récompense sera revalorisé en fonction de la plus-value acquise par ce bien. Un exemple concret : les époux achètent ensemble un immeuble pour le prix de 100.000 € ; le prix est réglé à concurrence de 70.000 € au moyen d’un crédit hypothécaire et à concurrence de 30.000 € par des fonds propres du mari ; les époux divorcent dix ans plus tard et au jour de la demande en divorce, la valeur de l’immeuble est de 150.000 € ; l’immeuble a donc acquis une plusvalue de 50 % ; la récompense due par le patrimoine commun à l’époux qui a investi 30.000 € de fonds propres sera elle aussi revalorisée de 50 % et sera donc portée à 45.000 € ; en cas de vente de l’immeuble, la répartition du prix sera donc la suivante : prélèvement au profit de l’époux créancier de la somme de 45.000 € partage par moitié du surplus, soit au profit de chacun 52.500 € En vertu de l’article 1436 CC, les récompenses portent intérêt de plein droit du jour de la dissolution du régime, soit, conformément à l’article 1278 CJ, du jour de la demande en divorce. Une autre particularité du régime légal est l’attribution préférentielle (articles 1446 et 1447 CC). L’immeuble qui a servi au logement de la famille ainsi que les meubles meublants qui le garnissent peuvent être attribués par préférence à l’un des époux et il en est de même pour l’immeuble servant à l’exercice de la profession d’un des époux avec les meubles à usage professionnel qui le garnissent. Le tribunal « statue en considération des intérêts sociaux et familiaux <…> et des droits de récompense ou de créance au profit de l’autre époux » (article 1447 in fine). En vertu de l’article 1448 CC, « l’époux qui a diverti ou recelé quelque bien du patrimoine commun est privé de sa part dans ledit bien ». Un exemple : lors de l’inventaire des biens communs, un époux ne déclare pas un compte bancaire qu’il a ouvert à l’étranger ; si la preuve de l’existence de ce compte est établie ultérieurement, il sera privé de sa part et les fonds seront attribués entièrement à l’autre époux (il est à noter qu’il risque en outre d’être poursuivi pénalement). 2. Régime de la séparation des biens Seuls quatre articles (1466 à 1469 CC) sont consacrés au régime de la séparation de biens. En vertu de l’article 1469, un époux séparé de biens a le droit de demander, en cours de mariage, le partage de tout ou partie des biens indivis (sous réserve de l’application de l’article 215 CC –protection du logement familial- et de l’alinéa 2 de l’article 815 CC -pacte d’indivision-) et même racheter la part de son conjoint (alors que l’article 1595 CC prohibe la vente entre époux) ; le rachat de la part de l’autre époux ne peut cependant avoir lieu qu’en vente publique ou moyennant l’autorisation du tribunal (article 1469, 2° alinéa, et 1595, 4°). La liquidation d’un régime de la séparation de biens n’est pas toujours aisée, et ce notamment pour les raisons suivantes : le plus souvent, le contrat de mariage est imprécis : il se borne à indiquer que les comptes entre époux sont présumés faits au jour le jour mais il ne contient aucune disposition concernant l’indemnisation éventuelle d’un conjoint aidant ou il reste vague quant à la détermination des créances entre époux… le plus souvent, les époux, durant le mariage, ont géré leurs biens sans tenir compte du régime matrimonial qu’ils avaient choisi l’imprécision des contrats de mariage et des articles 1466 à 1468 du Code Civil a donné aux tribunaux une large liberté d’appréciation (application de la théorie de l’enrichissement sans cause, recours à l’équité…), ce qui donne lieu à une jurisprudence peu uniforme. * ** La loi du 13 août 2011 a profondément modifié la procédure de liquidationpartage judiciaire (articles 1205 à 1225 CJ). Cette loi entrera en vigueur le 1er avril 2012. Les grandes lignes de la procédure sont les suivantes : 1) soit le jugement prononçant le divorce ordonne en même temps la liquidation du régime matrimonial, soit cette demande est introduite devant le tribunal après la transcription du divorce. En demandant la liquidation du régime matrimonial dans le cadre de la procédure en divorce, on évite les frais d’une nouvelle citation et d’un droit de mise au rôle ou, en cas d’accord sur une comparution volontaire, un nouveau droit de mise au rôle. 2) choix du notaire : loi actuelle : en vertu de l’ancien article 1209, si les parties proposent de commun accord la désignation d’un ou de deux notaires, ce choix est entériné par le tribunal. Devant certaines juridictions (par exemple Liège), le plus souvent, deux notaires sont ainsi désignés ainsi qu’un troisième notaire chargé de représenter la partie absente, défaillante ou récalcitrante loi nouvelle : un seul notaire est désigné et ce n’est que sur une demande motivée que le tribunal désignera éventuellement un second notaire (par exemple, en cas de complexité du dossier ou de disparité géographique des biens à partager). Il n’est plus question de désigner un notaire chargé de représenter la partie absente, défaillante ou récalcitrante, le notaire liquidateur ayant vu ses compétences élargies. 3) si la liquidation du régime matrimonial est ordonnée par le jugement prononçant le divorce, l’expédition dudit jugement est transmise au notaire désigné, et ce dès la transcription du divorce. Si la liquidation du régime matrimonial est ordonnée par un jugement ultérieur, il est préférable de faire signifier le jugement si celui-ci a été prononcé par défaut ; s’il est contradictoire, le notaire, lors de l’ouverture des opérations fera acter l’acquiescement des parties au dit jugement. L’expédition dudit jugement est transmise par la partie la plus diligente au notaire désigné. 4) le notaire liquidateur fixe les jour et date auxquels l’ouverture des opérations a lieu, réunion à laquelle assistent les parties et leurs avocats. La loi nouvelle précise que sauf accord des parties et du notaire, l’ouverture des opérations a lieu au plus tard dans les deux mois de la demande de la partie la plus diligente (article 1215). Les parties sont convoquées par recommandé ou par exploit d’huissier, leurs conseils étant avisés par courrier ordinaire, télécopie ou courrier électronique. L’article 214 § 6 permet la poursuite des opérations en l’absence de la partie régulièrement convoquée. Lorsque la communauté ou l’indivision comprend un immeuble, soit les parties décident de le mettre en vente et un accord peut être pris sur les modalités de la vente : vente publique ou vente de gré à gré, avec ou sans intervention d’un agent immobilier, organisation des visites, prix minimum à demander… S’il est décidé, à tout le moins provisoirement, de ne pas mettre l’immeuble en vente, soit le tribunal désigne un expert chargé d’évaluer celui-ci, soit le notaire et/ou les parties formuleront cette demande auprès du tribunal. Les parties peuvent aussi requérir le notaire liquidateur d’estimer lui-même l’immeuble (dans ce cas, il sera prudent de préciser si cette estimation aura un caractère contraignant à l’égard des parties ou si celles-ci auront le droit de formuler des contredits). Les mesures d’expertise ordonnées par le tribunal risquent d’être longues (respect des règles du droit commun de l’expertise) et coûteuses et il est probable que dans les arrondissements où auparavant les notaires avaient l’habitude de se charger de l’expertise de l’immeuble (par exemple Liège, au contraire de Bruxelles), les parties préféreront l’intervention d’un notaire plutôt que d’un expert. Lors de l’ouverture des opérations, une décision sera également prise quant à la réalisation d’un inventaire des biens mobiliers. Selon l’article 1214 nouveau, cet inventaire doit avoir lieu dans les deux mois de la clôture du procès-verbal d’ouverture des opérations ; les parties peuvent cependant renoncer définitivement ou provisoirement à la tenue de l’inventaire. Le procès-verbal d’ouverture des opérations peut en outre acter des accords partiels. Le procès-verbal de clôture d’ouverture des opérations est communiqué aux parties et à leurs conseils (article 1215). S’il apparaît qu’il ne peut poursuivre sa mission sans régler préalablement certains problèmes (un exemple : les deux époux sont de nationalité italienne et ont contracté mariage en Italie avant de s’installer en Belgique et il convient de déterminer quel est le droit applicable : droit italien ? droit belge ?), le notaire peut saisir le tribunal par un procès-verbal intermédiaire des dires et difficultés. L’article 1216 nouveau en précise les modalités : dans les deux mois de la constatation des litiges ou difficultés, le notaire transmet une copie du procès-verbal aux parties et à leurs conseils et ceux-ci disposent d’un mois pour faire part de leur réponse ; dans le mois suivant, le notaire transmet au greffe le procès-verbal intermédiaire des litiges ou difficultés et la cause est plaidée devant le tribunal soit à l’audience fixée par le greffe, soit à une date ultérieure. L’un des objectifs poursuivis par le législateur est d’éviter que des procédures en liquidation du régime matrimonial ne s’éternisent. L’article 1217 nouveau permet aux parties, lors de l’ouverture des opérations, de déterminer un calendrier pour la poursuite du partage judiciaire. A défaut de ce calendrier ou à défaut d’accord, ce sont les délais prescrits par la nouvelle loi qui doivent être respectés : deux mois pour que les parties fassent part de leurs revendications (délai prenant cours soit à la clôture de l’inventaire, soit, à défaut d’inventaire, à la communication du procès-verbal d’ouverture des opérations, soit, en cas d’expertise, à la communication du rapport de l’expert) deux mois pour que le notaire communique aux parties un aperçu des revendications qui lui ont été soumises un nouveau délai de deux mois pour que les parties formulent leurs observations sur les revendications des autres parties liquidatif quatre mois pour que le notaire dresse l’état Il est à noter que dans les dossiers ne présentant pas de difficultés particulières, le respect de ces délais ne se justifie pas : le tribunal peut, à la demande du notaire ou d’une des parties, réduire lesdits délais. 5) Les parties peuvent émettre des contredits à l’égard de l’état liquidatif. Elles disposent d’un délai d’un mois prenant cours à la date de la sommation faite par le notaire de prendre connaissance de son état liquidatif. Le notaire dispose d’un délai de deux mois pour rédiger un procès-verbal, appelé auparavant procès-verbal de dires et difficultés et actuellement procès-verbal des litiges et difficultés ; le notaire joint à son procès-verbal son avis écrit sur les contredits émis. Comme pour le procès-verbal intermédiaire des litiges et difficultés, le notaire transmet le dossier au greffe et la cause est plaidée devant le tribunal, soit à l’audience fixée par le greffe, soit à une date ultérieure. La loi nouvelle apporte deux innovations importantes : l’article 1223 § 3 porte qu’en cas d’observations ou de contredits adressés successivement au notaire liquidateur par la même partie, le notaire ne tiendra compte que des derniers contredits. Il conviendra donc d’être attentif, le tribunal n’étant saisi que des contredits valablement formulés. l’article 1223 § 4 consacre la jurisprudence de la Cour de Cassation selon laquelle il est interdit de formuler de nouveaux contredits pour la première fois devant le tribunal saisi par un procès-verbal des litiges et difficultés. Ce n’est que de l’accord de toutes les parties ou en cas de survenance de faits nouveaux ou de découverte de pièces nouvelles déterminantes que les débats pourront porter sur d’autres points litigieux. Dans le but d’accélérer la procédure, l’article 1223 § 3 précise que les contredits formulés par les parties tiennent lieu de conclusions. 6) L’article 1220 nouveau prévoit des sanctions pour le non-respect des délais : sauf accord de toutes les parties ou découverte de nouveaux faits ou de nouvelles pièces déterminantes, les revendications, les observations et les pièces communiquées par les parties en dehors des délais sont écartées. 7) Soit le tribunal homologue l’état liquidatif et le greffe notifie le jugement au notaire, soit le tribunal renvoie le dossier au notaire liquidateur en l’invitant à dresser un état liquidatif complémentaire ou un état liquidatif conforme à ses directives (article 1223 § 4). 8) L’article 9 de la loi du 13 août 2011 précise que la nouvelle loi ne s’applique pas « aux affaires dans lesquelles la demande en partage est pendante et qui ont été mises en délibéré au moment de l’entrée en vigueur de la présente loi ». L’entrée en vigueur de la nouvelle loi est fixée au 1er avril 2012. * ** Lorsqu’un époux craint que son conjoint ne cherche à cacher ou à faire disparaître des éléments de l’actif à partager (par exemple des meubles de valeur ou des avoirs financiers), il peut être utile de recourir à une apposition de scellés. L’article 1149 CJ précise que la demande en apposition de scellés est adressée au juge de paix et l’article 1148 CJ indique que l’apposition de scellés peut être requise « chaque fois qu’un intérêt sérieux l’exige ». Cette dernière disposition donne au juge de paix le pouvoir de rejeter une demande en apposition de scellés. Par contre, l’article 1282 CJ permet au demandeur ou au défendeur en divorce et à partir de la date de l’introduction de la demande en divorce, de requérir une apposition de scellés sans que le juge puisse s’opposer à cette demande. La levée des scellés est suivie d’un inventaire.