Article AGEFI

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Inspecteur à 25 ans,
directeur à 40
Dans la banque, l’inspection générale reste la voie royale pour accéder
aux postes de direction. Mais d’autres filières lui font concurrence.
PAR
Tatiana Kalouguine
L
es concours d’entrée ont débuté
mi-mars et se termineront fin mai.
Plusieurs milliers de jeunes diplômés
des plus grandes écoles de commerce
et d’ingénieurs françaises se disputent actuellement les quelques dizaines de places vacantes
au sein des inspections générales des principales banques françaises. Au programme : épreuves écrites de synthèse et de logique, batterie de
tests de personnalité et d’intelligence et enfin
passage devant le « grand jury », composé des
dirigeants des groupes concernés.
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L’AGEFI HEBDO / du 24 au 30 mai 2007
L’inspection est une véritable école de
l’exigence et de la rigueur. Elle constitue le
moyen le plus imparable d’accéder rapidement à un poste à responsabilité dans des
domaines aussi variés que la banque de détail,
les fusions-acquisitions, les salles de marché
ou encore la gestion privée. C’est surtout un
excellent tremplin vers le top management.
Les anciens inspecteurs présents aux comités exécutifs des grands établissements de la
Place en témoignent : Georges Pauget (directeur général - DG) ou Edouard Esparbès (DG
délégué) chez Crédit Agricole SA (CASA),
Didier Alix (DG adjoint), Didier Hauguel
(risques) ou encore Philippe Collas (gestion
d’actifs) chez Société Générale...
Que les têtes les mieux faites se battent
avec âpreté pour entrer dans cette filière d’élite ne signifie donc pas seulement qu’elles se
passionnent pour l’audit ou le contrôle.
La mission de l’inspecteur : analyser, pour
le compte de la direction générale, l’activité
des différents départements ou filiales en
s’assurant que la stratégie est bien déclinée
sur le plan opérationnel. Elle consiste aussi
à faire respecter la loi et les règlements en
vigueur, à rédiger des rapports en cas de
malversations ou de fautes professionnelles,
© Corbis
© Corbis
HOMMES & CARRIÈRES
parfois enfin à effectuer des enquêtes ou des
études transversales sur des thèmes ciblés.
Or, chaque groupe bancaire possède moins
de 200 inspecteurs (700 dans le cas particulier de CASA) pour des dizaines de milliers
de salariés répartis dans le monde au sein de
métiers et d’organisations variés. On exige
donc de ces professionnels à la fois réactivité,
efficacité, adaptabilité, et surtout une grande
polyvalence. Au point que certains comparent
l’inspection à un « MBA interne ».
Un formidable réseau interne
« L’inspecteur a une vision globale des missions sur lesquelles il intervient. Il est amené
à étudier la composante financière de ce qu’il
analyse, à repérer les défauts de fonctionnement, résume Philippe Weber, directeur
practice finance du cabinet de recrutement
Korn/Ferry International. Un inspecteur
talentueux qui a poursuivi tout le parcours
interne tentera généralement de capitaliser
sur cette expérience afin de faire évoluer sa
carrière. Il pourra être envoyé sur des postes
très divers car, dans sa carrière d’inspecteur,
il aura approché une grande diversité de
situations. »
L’inspecteur bénéficie enfin d’un avantage
majeur comparé aux autres cadres de la banque. En enchaînant les missions au cours des
deux à six ans que dure son parcours, il tisse
un réseau de relations interne qui lui sera
particulièrement utile lorsqu’il quittera l’inspection générale. « Grâce à ce réseau, il est
possible d’obtenir une certaine notoriété dans
un groupe bancaire, ce qui est très appréciable dans des organisations de plusieurs dizaines de milliers de personnes », note Antoine
Morgaut, DG du cabinet de recrutement
Robert Walters. Vincent Falgéras, ancien ins-
TÉMOIGNAGE
Vincent Falgéras,
directeur du développement banques et institutions financières, AON France
« L’inspection est la cousine
germaine du consulting »
Diplômé des Ponts-et-Chaussées, Vincent
Falgéras ne se doutait pas qu’il ferait
carrière dans la finance. Pourtant, en
1991, une fois ses études terminées, il
intègre l’inspection générale (IG) du Crédit
Lyonnais. Presque par curiosité. Trois ans
plus tard, sa vocation est trouvée. « Une
fois qu’on a mis le doigt dans l’engrenage,
difficile de s’arrêter, confie-t-il aujourd’hui.
C’est une chance inouïe de passer par l’IG
en début de carrière, ce poste vous donne
une ouverture sur l’ensemble des métiers
de la banque en seulement trois ou quatre
ans. » A ce stade, Vincent Falgéras pourrait
se contenter de gravir les échelons et viser,
à terme, un poste à la direction générale.
Comme l’a fait Marc Oppenheim, ancien
collègue de l’IG du Lyonnais, aujourd’hui
directeur marketing de LCL. Mais Vincent
Falgéras aime passer d’une mission à
l’autre, comme autant de métiers différents.
pecteur du Crédit Lyonnais (lire l’encadré), a
goûté cette « très grande proximité avec les
dirigeants des entités contrôlées » : « Si nos
recommandations sont suivies d’effets, c’est
au bénéfice de l’audité. Il peut nous en garder
une forme de reconnaissance. »
L’inspection générale (IG) la plus renommée est celle de Société Générale. C’est aussi
celle où la sélection à l’entrée est la plus dure :
Pour lui, « l’inspection est la cousine
germaine du consulting ». Et c’est cette
voie qu’il décide d’emprunter. L’IG sera le
marchepied qui lui permettra de briguer en
1996 le poste de superviseur de missions
en banque d’investissement et financement
de projets chez Allianz-AGF puis, en 2000,
celui de consultant « banque » chez Gemini
Consulting. Ses clients sont alors BNP
Paribas, Société Générale ou Natexis. Enfin,
en novembre dernier Vincent Fagéras a
rejoint l’assureur AON pour se charger du
développement du secteur « banques et
institutions financières ». Fier d’appartenir
au club d’anciens de l’IG du Crédit
Lyonnais, il n’hésite jamais à mettre celui-ci
à contribution. « C’est un réseau que vous
conservez tout au long de votre carrière.
Grâce à lui, lorsque j’ai une question à poser
sur un problème bancaire, je sais que j’aurai
la réponse en quatre coups de téléphone. »
sur environ 1.000 candidats, seulement une
trentaine sont retenus chaque année. Et,
une fois dans le Saint des saints, pas question de se croire arrivé : un tiers quitte le
département avant d’avoir pu terminer le
cycle complet de six ans et demi. Le parcours
de l’inspecteur est un cursus ultra-sélectif où
chaque mission (de trois à six mois) est notée
et donne lieu à une révision de l’objectif de la
Parcours comparé d'inspecteurs dans deux grands groupes bancaires
Nombre d’inspecteurs
Nombre de recrutements par an
Profil des candidats
Durée du cycle d’inspection
Pourcentage de sorties en cours de cycle (parcours interrompu)
Nombre de sorties en fin de cycle (parcours réussi)
Crédit Agricole SA
80 inspecteurs centraux (700 dans le groupe)
35 environ
Jeunes diplômés via concours, jeunes salariés
du groupe avec une ou deux expériences réussies,
cadres plus confirmés dans l'audit ou la banque.
5 ans 1/2
NC
8 à 10 par an
Société Générale
95
25 à 30
Jeunes diplômés via concours exclusivement.
6 ans 1/2
30 % en moyenne
10 par an
Fonctions les plus courantes des inspecteurs à leur sortie
Direction d’équipe dans les financements, les
Postes d’experts en financement, banque privée,
engagements, les métiers de contrôle pour les plus
marchés financiers. Direction de middle ou
jeunes. Direction de métier pour les plus expérimentés. back-office. Direction commerciale dans le réseau.
Part d’anciens inspecteurs dans le Comex actuel du groupe
18%
Plus haut responsable actuel ayant exercé à l’IG
George Pauget, directeur général de CASA et président Didier Alix, directeur général délégué.
de LCL et de Calyon. Entré à l’IG de CASA en 1977.
Sorti de l’IG en 1979.
30 %
Source : sociétés
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X
HOMMES & CARRIÈRES
L’AVIS DE... Antoine Morgaut,
directeur général de Robert Walters France
mission suivante. « L’inspecteur est ainsi au
courant de ses forces et de ses axes de progrès
à cadence régulière. Ses objectifs comprennent
éventuellement un volet de développement
personnel », précise Souleima Baddi, un
des huit inspecteurs principaux à la Société
Générale, en charge du recrutement.
Des parcours sur mesure
Pour ceux qui sortent victorieux de ce parcours du combattant, les portes de la gloire
sont en revanche grandes ouvertes. Durant
leur dernière année à l’IG, les inspecteurs formulent leurs vœux : « Ils nous communiquent
ce qu’ils ne veulent pas faire, le métier qu’ils
convoitent, s’ils souhaitent être manager,
opérationnel ou un mix des deux », explique
l’inspectrice principale. Leurs désirs sont quasiment toujours exaucés. Bien souvent, c’est
l’inspecteur général en personne qui se chargera de contacter le responsable du métier
convoité pour recommander son poulain.
Anticipant les futures vagues de départ de
cadres dirigeants, toutes les banques chouchoutent leurs inspecteurs et leurs concoctent
des parcours sur mesure. Ainsi, au Crédit du
Nord, on fait en sorte de les orienter durant
les derniers mois de leur cursus vers des missions entrant dans leur domaine de prédilection. Le budget formation qui leur est consacré est souvent plus conséquent que dans les
autres départements. Chez LCL, où le cursus
est assez court (trois à cinq ans), la formation représente 65 jours ouvrés et comprend
notamment un tour de banque et une formation managériale.
Mais les temps changent. Alors que les banquiers des années 70 devaient nécessairement
compléter leur expérience dans l’IG par un tour
de France du réseau d’une dizaine d’années,
pour ensuite revenir au siège, les inspecteurs
ont désormais des exigences avec lesquelles il
faut composer. Ce qu’ils veulent ? Accéder sans
attendre aux métiers prestigieux et fortement
rémunérateurs. Chez Société Générale, 47 %
des sorties de l’inspection ont lieu ainsi vers la
banque de financement et d’investissement. « Il
s’agit surtout de postes d’experts, souvent en
structuration, en montage de financements de
projets ou en banque privée, analyse Souleima
Baddi. Ceux qui obtiennent immédiatement
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L’AGEFI HEBDO / du 24 au 30 mai 2007
DR
Leur budget formation
est souvent plus
conséquent qu’ailleurs
« Une dimension carrière qui n’existe
pas dans les marchés ou les M&A »
L’Inspection générale est-elle concurrencée
par des métiers plus à la mode comme
les fusions-acquisitions ou les marchés
de capitaux ?
C’est vrai que pour les jeunes diplômés,
l’inspection générale ne suscite pas
l’excitation que peuvent procurer les
marchés financiers ou les M&A. Toutefois,
on a tendance à trop surestimer le taux
de réussite dans ces métiers d’experts.
Les fusions-acquisitions peuvent réduire
leurs effectifs lorsque le cycle se retourne,
tandis que l’IG restera globalement stable.
Quant aux marchés financiers, on y trouve
beaucoup de personnes de 40 ans qui, certes,
gagnent beaucoup d’argent, mais n’ont la
responsabilité d’aucune équipe. Il y a donc
dans l’inspection une dimension de carrière,
une possibilité de se projeter dans l’avenir qui
n’existe pas dans les M&A ou les marchés.
Recevez-vous des candidatures
d’inspecteurs bancaires ?
la responsabilité d’équipes conséquentes (plusieurs dizaines de personnes) sont en général
responsables de middle ou de back-office,
parfois en Asie ou à Londres. Ces dernières
années, les inspecteurs sortis dans les financements spécialisés ont souvent pris en charge le
développement d’une société acquise. »
Plus orientés risques de marché
Mais ces nouvelles revendications des inspecteurs sont parfois difficiles à exaucer.
« Certes, il s’agit d’une excellente formation,
très généraliste, avec des objectifs précis et
ambitieux, des cadences élevées, des délais à
tenir parfois en situation de crise. Mais il y a
des métiers réservés aux spécialistes », tempère Philippe Weber. Pour gérer une équipe de
dérivés actions, on préférera généralement un
expert ayant déjà dirigé des équipes et gravi
les échelons. Pour ceux qui souhaitent rejoindre la corporate finance, la concurrence vient
de ceux ayant suivi le parcours classique :
associate, vice-president, managing director.
Même chose dans le financement de projets
ou les commodities.
C’est un poste qui privilégie la promotion
interne. On ne commence pas comme
inspecteur lorsque l’on envisage une
carrière en sauts de puce d’une banque
à l’autre. Mais il nous arrive de recevoir
des inspecteurs ayant des compétences
particulières. Ces candidats sont
considérés comme une élite et décrochent
des postes stratégiques.
On ne parle pas des inspecteurs
qui échouent. Sont-ils si peu nombreux ?
Les cas d’échecs sont rares en effet.
Certains peuvent être affectés à des postes
fonctionnels non opérationnels et le vivre
comme une frustration mais de façon
générale, la plupart d’entre eux évoluent
dans des carrières de cadres dirigeants.
Le bâton de maréchal est bien entendu de
devenir patron de division ou
directeur financier d’une filiale
conséquente, avec un poste de COO
(chief operating officer).
Malgré tout, certains y parviennent.
« Autrefois, leur stratégie était très orientée
vers la banque de détail alors qu’aujourd’hui,
ils sont plus orientés risques de marché, ce qui
élargit leur scope et leur compréhension »,
souligne Antoine Morgaut. On observe ainsi
de plus en plus d’inspecteurs évoluant dans
des postes d’expertise comme la structuration de financement, la banque privée, et il
y aurait même quelques cas d’inspecteurs
devenus traders !
Va-t-on jusqu’à leur confier le management
de ces équipes ultra-spécialisées ? Oui, affirme
un chasseur de têtes sous le sceau de l’anonymat : « Aujourd’hui, les directions générales
sont bien en peine de comprendre ce qui se
passe dans leurs salles de marchés. Sachant qu’il
peut être dangereux de laisser ces activités entre
les mains de ‘cow-boys’ imprévisibles, il choisissent parfois de placer quelque part dans l’organigramme un ancien de l’inspection générale,
qui sera le garant de l’orthodoxie. » Beaucoup
d’observateurs le reconnaissent : il est toujours
plus difficile de faire d’un bon expert un bon
manager plutôt que l’inverse. „

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