Capital jeunesse - Arlette Grosskost

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Capital jeunesse - Arlette Grosskost
Capital jeunesse
Par Alain Auffray — 29 septembre 2015 à 20:16
A Saint-Denis, le 2 juin au lancement du «Mouvement des jeunes avec Juppé». Photo Marc Chaumeil
Alain Juppé s’est taillé une base solide
dans une génération qui n’a pas connu
1995.
En 2017, ils voudraient que «ça change». Agés de moins de 30 ans, ces militants de
l’alternance sont, pour beaucoup, des nouveaux venus en politique. Ils ne veulent plus
entendre parler de Hollande. Pas plus de Sarkozy. A leurs yeux, ce sont des hommes du
passé qui ont démontré, au minimum, leurs insuffisances. C’est pourquoi ils se sont
tournés vers un homme neuf : Juppé. Alain Juppé, icône du renouveau ? Cela pourra
paraître un peu osé… Paradoxalement, le plus âgé des candidats à la prochaine
présidentielle leur apparaît comme le moins usé, le plus prometteur, le plus moderne.
C’est le cas d’Aïcha Maizi, 24 ans, juriste fraîchement diplômée à la Sorbonne qui hésite à
se dire «politisée». Elle a «juste envie de se mêler des affaires publiques». A 20 ans, elle
se «croyait de gauche». Elle a donc voté Hollande en 2012. Serait-elle passée à droite
? «Plus je me construis idéologiquement, plus je mets cette question de côté. Dans mon iTunes, il
y a toutes sortes de musiques», répond cette jeune femme d’origine algérienne qui a grandi
dans les quartiers populaires du nord de Paris. En juin, un copain de fac lui propose de
l’accompagner à la réunion de lancement des Jeunes avec Juppé dans une brasserie de
Saint-Denis, face au Stade de France. Elle s’y est rendue «avec curiosité». Elle est ressortie
convaincue. Notamment parce que le maire de Bordeaux lui paraît capable de «balayer les
faux problèmes». «"Un voile sur la tête, ça ne m’a jamais choqué", a dit Juppé. Quand j’ai
entendu ça, je me suis dit qu’il avait tout compris.» Aïcha a trouvé «courageux» son plaidoyer
pour une identité heureuse, respectueuse de la diversité. Avant cette première rencontre
à Saint-Denis, elle savait de Juppé qu’il avait été, sous Sarkozy, «un ministre qui fait bien
son travail». Du Premier ministre de Chirac, elle n’a aucun souvenir : en 1995, elle venait
d’entrer en maternelle.
Expérience. Les jeunes juppéistes ne connaissent pas d’autre figure que celle de ce
maire de Bordeaux, consensuel et allergique aux joutes politiciennes.«On saute une
génération», fait observer la juppéiste Christine Albanel, ex-ministre de la Culture, notant
au passage que le phénomène n’est pas neuf : pour la jeunesse engagée derrière lui,
François Mitterrand n’apparaissait-il pas, lui aussi, comme un homme neuf ? Juppé a
bien l’intention de capitaliser sur cet atout. Presque chaque semaine, dans des
amphithéâtres souvent bondés, il consacre une soirée au débat avec des étudiants, des
grandes écoles le plus souvent. Sciences-Po, Essec, HEC… Partout, l’accueil est
respectueux. Les étudiants le voient comme un homme d’expérience et de d’équilibre, audessus des partis - lui qui fut pourtant pendant une décennie (jusqu’en 2004), le patron
du RPR puis de l’UMP. Juppé cultive cette image. Devant les élèves de l’école Centrale
Paris, il s’est taillé un franc succès le 22 septembre, en expliquant que les Français
avaient besoin d’un leader «pas trop nerveux» et «pas trop agité». Disant cela, il a fait
tressauter ses épaules à la manière de Sarkozy, ce qui a beaucoup amusé les élèves
ingénieurs.
Pour Matthieu Ellerbach, principal animateur du réseau des jeunes juppéistes, le maire
de Bordeaux «rassemble autour d’un projet réformateur». Contrairement à Sarkozy, «dont 70
% des Français ne veulent plus», il ne passe pas son temps à «lancer les Français les uns
contre les autres». S’il avait été majeur en 2007, Matthieu aurait «cent fois voté pour
Sarkozy». Mais il n’a pas digéré la fin de son quinquennat avec son «obsession de
l’immigration». Très engagé dans la préparation de la campagne pour l’élection primaire,
Matthieu revendique près de 200 comités locaux en France. Selon lui, près de la moitié
des jeunes volontaires ne sont pas membres du parti Les Républicains (LR) et n’ont pas
l’intention de le devenir. Lui-même ne voit pas pourquoi il deviendrait LR, tant il est
clair, pour les juppéistes, que ce parti sera pendant l’année qui vient l’instrument de
Sarkozy, candidat non déclaré à la primaire. Auriane Calambe, elle, est bien encartée.
Mais à l’UDI. A Bondy, cette étudiante en droit de 22 ans est à l’origine du premier
comité de soutien à Juppé en Seine-Saint-Denis. «Trop clivant», Sarkozy serait même,
selon cette jeune centriste, «un repoussoir pour les jeunes de confession musulmane».
«Faire joli».Les juppéistes ne veulent toutefois pas complètement délaisser le parti de
Sarkozy. C’est pourquoi il n’était pas question que leur champion déserte le campus des
jeunes de LR, le 12 septembre au Touquet. Il fallait, dans le plus grand secret, préparer
une visite éclair sans donner à Sarkozy l’occasion de la récupérer en se prévalant, une fois
de plus, de ses talents de rassembleur. Thomas Khaski, étudiant en sciences politiques,
était de ceux qui ont accueilli Juppé ce jour-là. Il est l’un de ses quatre soutiens à avoir
intégré le bureau politique des Jeunes Républicains, composé d’une trentaine de
membres. En quelques phrases, il résume son champion : «Il a pris pour les autres devant
la justice, il a été un maire extraordinaire et un excellent ministre. Au-dessus des partis,
profondément sincère, il parle en fonction de ses convictions et non de son électorat.»
Egalement présente au Touquet, Eve Zuckerman est, à 22 ans, la benjamine de la petite
équipe qui fait tourner la start-up juppéiste. Elle était encore, l’an dernier, étudiante à
Chicago où elle a participé, en petite main, à la campagne de 2012 pour l’élection du
président des Etats-Unis. Au QG parisien de Juppé, la Franco-Américaine travaille sur la
stratégie numérique du candidat. «Je suis épatée par la qualité du travail des jeunes qui
m’entourent. Ici, nous, on n’est pas là pour faire joli.» Un satisfecit largement partagé chez
les juppéistes. Thomas Khaski note qu’on ne lui demande pas de faire tapisserie en
attendant de faire la claque, ce qui est assez souvent le lot des jeunes militants. Aurore
Berger, élue municipale LR de 28 ans, loue «une organisation horizontale, peu hiérarchisée,
qui laisse une grande liberté aux acteurs locaux». La machine Juppé n’a «rien à voir» avec ce
qu’elle a connu à l’UMP ces dernières années. «Les jeunes qui nous aident sont bluffés et très
motivés, parce qu’ils voient que ce qu’ils produisent est effectivement pris en compte», assure
l’ex-ministre Dominique Perben, l’un des responsables du projet pour 2017.
Les jeunes juppéistes restent assurément moins nombreux que leurs camarades
sarkozystes. Ils sont aussi moins démonstratifs que les soutiens de Bruno Le Maire. Mais
leur engagement paraît solide : Juppé a manifestement l’art de s’attirer de vraies fidélités
dans la jeunesse. Deux des principaux animateurs de la machine Juppé, le député LR
Benoist Apparu et Marie Guévenoux (lire page 2 et 3) sont d’ailleurs d’anciens
responsables des jeunes militants. Le premier au temps du RPR, la seconde dans les
premières années de l’UMP. Plus de dix ans après, ils sont toujours d’indéfectibles
juppéistes.