Wilhem Key (Breda, 1520-Anvers, 1568), Portrait de gentilhomme

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Wilhem Key (Breda, 1520-Anvers, 1568), Portrait de gentilhomme
Wilhem Key (Breda, 1520-Anvers, 1568),
Portrait de gentilhomme, XVIe siècle, huile sur bois, 71,5 x 55 cm.
LE PORTRAIT
« L e vrai portrait, ce genre si modeste en apparence. » Ch. Baudelaire, Salon de 1859.
Le portrait comme art de la synthèse : ici, le fond sombre et la sobriété du dispositif font
ressortir essentiellement la tête et la main du modèle. La tête, de ¾, est réaliste, concentrée, et la
main sur le ventre confère une posture sincère. Tête et main sont modelées grâce à une alternance
de touches de vert, de rose et d’ocre. Enfin, la fraise ressort mais révèle une richesse sans
ostentation car le vêtement, pourpoint et béret noir, probablement de velours, dans son ensemble,
est à peine visible.
Ce dispositif classique du portrait, très apprécié dans la peinture du Nord, connaît encore un certain succès
dans cette peinture de la Renaissance flamande, tournée vers l'Italie: elle en amplifie le réalisme et développe
le travail des nuances à l'huile, tout en y associant un dessin soigné. Les artistes, comme Lambert Lombard,
compagnon de W. Key, ayant fait le voyage en Italie, développeront une peinture moderne, à la fois
expressive et réaliste et qui s'intensifiera au XVIIe siècle. Celle de W. Key se situe davantage entre la
tradition du Nord (dessin aux contours rigoureux) et les codes plus expressifs du portrait moderne, qui se
détache de la figure de médaille pour tendre vers une représentation plus vivante. Ce portait est donc
intéressant parce qu'il est à la charnière de deux esthétiques...
Issu d'une dynastie de peintres flamands, Wilhem ou Willem Key est un peintre d'Histoire (peintures
religieuses et mythologiques) mais il est aussi connu comme un des rénovateurs du portrait en Flandre, ce
qu'illustre son souci de vérité et de fidélité aux physionomies. . Il fit son apprentissage chez Pieter Coecke et
aurait été le condisciple de Frans Floris chez le grand peintre Lambert Lombard à Liège, vers 1540. Il est
« franc maître » à Anvers en 1542. Cependant de nombreuses oeuvres de W. Key furent détruites en 1581 par
les iconoclastes protestants. En effet, Anvers connut de virulentes crises iconoclastes en 1566, 1581 et
1585 ; en résultèrent des destructions d'œuvres et des dégradations multiples dans la cathédrale d'Anvers . Or
W. Key peignit les portraits de nobles proches du pouvoir catholique espagnol ou des conciliateurs
cherchant à calmer les réponse violentes de Philippe II d'Espagne aux exactions protestantes.
Le cas du portrait sans nom
Nous avons ici un portrait de gentilhomme dont nous ne connaissons pas le nom. Le qualitatif de
gentilhomme désigne un homme né noble. La fraise, apparue dans les années 1560, est portée par les nobles
et les bourgeois ; d'abord modeste, cette collerette se développera en taille et en préciosité (dentelle) , surtout
dans les pays catholiques jusqu'au début du XVII e siècle.
Le hasard de la transmission a pu faire que les noms du modèle sont perdus. Une telle perte affecte les
portraits de qualité comme les portraits plus mineurs. La renommée du peintre n’assure pas forcément le nom
du modèle. De plus, l’idéalisation peut aboutir à un type général, avec cette même exigence de ressembler
au canon de la beauté de l’époque, qui ne permet pas de retrouver les traits précis d’une personne réelle.
Cependant, comme le constate Emmanuel Coquery dans le catalogue En Mémoire de moi du musée d’Art
Moderne de Troyes, 2005, « La disparition du nom renforce l’effet de présence du modèle ». Ainsi, « Le
portrait sans titre, sans identité met à nu paradoxalement ce qui fait un portrait : une intention de se
présenter, un appel à la reconnaissance et une interpellation du spectateur. »
La commande
« Rien, si l’on veut bien examiner la chose, n’est indifférent dans un portrait. Le geste, la grimace, le
vêtement, le décor même, tout doit servir à représenter un caractère. » Ch. Baudelaire, Salon de 1859
Le portrait est par excellence l’œuvre d’art soumise à la commande. Le contrat, parfois tacite, parfois passé
devant notaire dans les anciens usages, fixe les dimensions, les délais et les prix. Longtemps le peintre a
proposé des compositions types où le commanditaire a désigné des modèles.
→ codification des formules
1) Le premier article d’un contrat est dans la direction du regard, dirigé vers le spectateur ou non.
2) La pose : immobile ou dynamique
3) Le cadrage : en pied, aux cuisses, à mi-corps, en buste ou le visage seul.
4) Le format
5) La symbolique : accessoires ou non, signes de son état et de sa personnalité ;
Une omniprésence de l’accessoire peut être constatée et la tête est presque toujours complétée, au moins par
un aménagement de la coiffure, et généralement par un élément de costume.
Faire un portrait à l'origine, c'était simplement l'acte du « portraire » dans une acceptation assez large pour
désigner l'image de n'importe quel objet. Peu à peu, l'usage s'est restreint pour se concentrer avant tout sur le
corps humain et sur le visage.
Normalement, le portraitiste était censé œuvrer dans un souci de vérité, tempéré seulement par la nécessité
de fournir une image du modèle aussi flatteuse que possible.
« A l'époque où la photographie n'existe pas (elle apparaît autour des années 1820), le portrait est le seul
moyen de fixer l'image d'un individu. L'individualisme allant croissant, il est aussi le meilleur gagne-pain du
peintre. Son habileté consiste à amoindrir les imperfections de son modèle tout en conservant la
ressemblance. Les premiers portraits sont religieux. Ils sont ceux des donateurs de l'œuvre, figés agenouillés
à côté du Christ et de la Vierge (fin du Moyen-âge). Le premier portrait profane est l'œuvre d'un peintre
anonyme de l'école de Paris qui représente le roi de France Jean le Bon, seul et de profil comme sur les
médailles (1360). Puis les figures sont présentées de trois-quarts ou de face ( XV ème siècle): le modèle
richement vêtu adopte une pose flatteuse (portrait d'apparat) et se détache sur un fond de décor de paysage
(Italie) ou d'intérieur domestique (Flandres). Au XVI ème siècle, le genre se codifie en Italie pour définir les
bases du portrait classique: idéal, monumental, stable, serein, clair de lecture (Raphaël, Balthazar
Castiglione, 1514). Parfaitement intégré dans un paysage ou isolé sur un fond neutre, il semble vivant,
respire (portrait psychologique). » E. Lièvre-Crosson, Comprendre la peinture, 1999, Milan, Toulouse.
HISTOIRE DU TABLEAU
Ce tableau est entré dans les collections du musée en 1965 comme oeuvre MNR (Musées nationaux
Récupération). Il s'agit d'œuvres récupérées en Allemagne à la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui
n'ont pas retrouvé leur légitime propriétaire ; elles sont alors confiées par l'Office des biens privés à la garde
de la Direction des musées de France en vertu du décret du 30septembre 1949. Ces œuvres sont donc
consignées dans un inventaire particulier, à disposition du public. De nombreux objets d'art ont pu être ainsi
récupérés (45000).
Fiche MNR du tableau source :http://www.culture.gouv.fr/documentation/mnr/pres.htm
Historique Considéré comme acheté par Lohse à Paris en 1941 [1] et restitué à la
France pour ce motif ; de fait, on trouve encore de nos jours une
étiquette au dos du tableau : " Dr Lohse, Paris, dezember 1941 " ; mais
un document de Coblence indique, lui, que le tabeau fut acquis en
décembre 1941 par Lohse 10 000 florins hollandais chez J. Dyk Jr,
Amsterdam, pour Göring [2] ; collection Göring. Selon la fiche Munich
[3] " identifying marks : Goering 700 " (ne correspond pas à un numéro
de l'inventaire Göring) ; enregistré au Central Collecting Point de
Munich sous le n° 5823.
Attribué au musée du Louvre par l'Office des Biens et Intérêts Privés en
1950 ; déposé à Alençon en 1965.
Ce que nous apprend la fiche :
-le tableau semble ici attribué au neveu de Wilhem Key, Adrian Thomas ; ce problème d'attribution se pose
dans le cas de dynastie de peintres, les tableaux n'étant pas signés. Cependant, c'est le nom de l'oncle qui a
fini par s'imposer au regard du style qui correspondrait mieux à cette peinture.
-le tableau aurait été acheté pour le haut dignitaire nazi H. Göring (ou Goering), « grand amateur de l’art de
la Renaissance », bien connu pour sa politique d' « aryanisation » concernant les biens spoliés. Achetés (la
survalorisation du mark, imposée par le IIIe Reich, permettait tous les achats) ou pillés, les objets d'art
affluaient vers l'Allemagne. Avec l'aide d'intermédiaires comme Bruno Lhose cité sur la fiche de notre
tableau, les trésors artistiques des territoires occupés de l'Europe occidentale sont pillés et acheminés vers
l'Allemagne par trains entiers.
Rappels sur les biens spoliés par les nazis :
Source : http://www.centrepompidou.fr/musee/mnr/INDEX-CHRONO.HTM
Suite à un ordre de Goering du 5 février, des oeuvres d'art appartenant aux collections juives saisies et
destinées à Hitler et à Goering lui-même, partent pour l'Allemagne.
Après celle-ci, les expéditions vers l'Allemagne se succèdent jusqu'à la fin de l'occupation. Entre avril 1941
et juillet 1944, on peut compter quatre mille cent soixante-quatorze (4 174) caisses, contenant plus de
vingt mille lots.
septembre1944
Création de la Commission de récupération artistique (C.R.A.). Elle sera dotée d'un mandat officiel le 24
novembre suivant. Sous l'autorité d'Albert Henraux, vice-président du Conseil des Musées nationaux, la
commission comprend, entre autres, Jacques Jaujard, Rose Valland et René Huyghe. Son siège est
symboliquement installé au Jeu de Paume. En liaison avec la C.R.A., l'Office des biens et intérêts privés
(O.B.I.P.), lié administrativement à la direction des Affaires économiques du ministère des Affaires
étrangères, assure la suite des formalités de restitution. Les réclamations présentées à la commission
porteront sur environ cent mille objets d'art.
1945 début de l'année Goering fait détruire sa résidence de campagne Carinhall. Une grande partie des
oeuvres de sa collection est transportée dans des trains spéciaux et arrive à Berchtesgaden et à Unterstein en
avril.
10 et 13 avril Sur ordre du Gauleiter d’Oberdonau Eigruber, des bombes sont placées dans les mines de Alt
Aussee, abritant les collections de la Mission spéciale de Linz (ville natale d'Hitler qui devait abriter le futur
musée du Reich). Les bombes auraient dû éclater avant que les mines ne tombent dans les mains des Alliés
mais, le 3 mai, un contrordre du chef SS Kaltenbrunner empêche le désastre.
11 avril Une ordonnance française fixe les règles de transmission des biens saisis qui seront récupérés par
l'État : les meubles et les objets d'usage domestique courant, non identifiables, seront répartis entre les
personnes spoliées les plus démunies. Les autres biens pourront être récupérés par les ayants droit pouvant
démontrer leur droit de propriété, et ceci dans un délai d'un an après la date légale de la fin des hostilités.
Passé ce délai, ces objets mobiliers seraient vendus par l'administration des Domaines. Mais la date en
question ne fut pas fixée.
Mai L'armée américaine retrouve la collection de Goering à Berchtesgaden.
8 mai Les œuvres destinées au musée de Linz sont retrouvées par l'armée américaine dans les mines
autrichiennes d'Alt Aussee.
30 septembre 1949
Un décret met fin à l'activité de la Commission de récupération artistique à partir du 31 décembre
1949 et confie à l'Office de biens et intérêts privés la gestion des dossiers en cours ou futurs. Le décret
prévoit la constitution d'une commission censée procéder à un choix parmi les œuvres non restituées à
leur propriétaire. Les œuvres choisies seront attribuées à la Direction des musées de France. Elles
seront exposées dès leur entrée dans les musées nationaux ou de province, désignés pour leur dépôt, et
inscrites dans un inventaire provisoire mis à la disposition des collectionneurs spoliés. Un délai légal de
revendication est prévu, mais non fixé.
1950/1954
Exposition au Musée national du château de Compiègne des deux mille oeuvres (dont mille peintures
environ) et objets d'art récupérés et préservés de la vente par la commission de choix, afin de
permettre
à
d'éventuels
ayants
droit
de
reconnaître
leurs
biens.
Après cette exposition, ils seront conservés par les musées nationaux ou seront mis en dépôt dans des
musées de province. Dans les inventaires provisoires, distincts des inventaires des collections
nationales, ils sont indiqués par plusieurs cotes d'identification, mais leur ensemble est communément
dénommé "MNR" (Musées Nationaux Récupération).

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