Discours de Monsieur Bambuck pour la remise de la médaille de
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Discours de Monsieur Bambuck pour la remise de la médaille de
De Monsieur Bambuck, Ministre de la Jeunesse et des Sports A Madame Claire Héber-Suffrin Lors de la remise de la Médaille de Chevalier dans l’Ordre National du Mérite Madame, « Tout homme est une ressource pour les autres hommes. » Cette phrase, brève et simple, mais toute chargée de sens, pourrait suffire à présenter votre action déterminée et à situer votre conviction profonde. Une action et une conviction ; une conviction et une action : je ne sais dans quel ordre placer ces deux termes tant ils sont chez vous indissociables ; tant l’un et l’autre se nourrissent et s’enrichissent réciproquement dans la conduite d’un projet, menée avec lucidité, générosité et ténacité. La LUCIDITE est sans conteste le point de départ de votre démarche. En un temps où le mot « communication » nous submerge de toutes parts, dans une époque où se déversent à profusion les images et les sons, dans une société qui ne peut vivre sans recourir aux hommes et aux techniques de communication, il pourrait paraître paradoxal de constater que jamais les hommes n’ont si peu communiqué entre eux. Telle est cependant la réalité de notre monde urbanisé qui voit à la fois se multiplier les messages et les canaux qui les véhiculent, et se renforcer l’isolement des hommes habitant nos cités. Les concepteurs des villes nouvelles voulaient précisément rompre avec cet engrenage en faisant de leurs créations urbaines des opérations exemplaires ; il ne m’appartient pas, ici à Evry, de dire s’ils ont ou non atteint leurs objectifs ; mais force est de constater que les courants de relations entre les hommes ne s’établissent jamais exactement comme les urbanistes les ont voulus ou imaginés ; car rien ne découle mécaniquement des structures elles-mêmes, aussi parfaites soient-elles, car rien ne se fait sans la volonté, rien ne se réalise sans l’initiative de ceux qui s’installent dans ces cités, aussi judicieusement agencées soientelles. Cette situation, Madame, vous l’avez perçue et analysée avec lucidité, sans hésiter à sortir des sentiers battus que proposent souvent les réponses institutionnelles. Tout est venu de votre implication dans la fonction enseignante qui fut pour vous tout à la fois terrain d’observation et origine d’un déclic qui allaient vous faire découvrir ce qu’avec modestie vous qualifiez « d’évidence ». Je vous cite : « Le simple fait d’avoir à transmettre fait progresser », que l’on soit l’enseignant, censé disposer du savoir, ou que l’on soit le dernier de la classe, présumé refuser toute acquisition de savoir. Dès lors, rien ne vous interdit de transposer cette perception de l’évidence, que je persiste à nommer « lucidité », hors les murs de l’école, en l’appliquant à l’ensemble des liens sociaux. Rétablit une communication authentique entre les hommes implique tout simplement qu’ils se parlent sans réticence ni complexe et, pour y parvenir, de faire prendre conscience – permettez que je vous cite à nouveau – « à chacun que les richesses qu’il porte en lui et ses connaissances peuvent être utiles aux autres ». Ainsi s’explique votre GENEROSITE s’écartant délibérément de toute pratique d’assistance qui, selon vous, enferme les personnes dans leur situation d’échec et « les étouffe à force de vouloir leur apporter ». Dût votre modestie en souffrir encore plus, je ne puis m’abstenir de vous emprunter encore quelques phrases, tant elles affirment avec une tranquille assurance la pertinence généreuse de votre engagement militant. « Il y avait, dites-vous, autour de nous des centaines d’hommes et de femmes découragés, désespérés parfois, parce que jamais personne ne leur avait demandé quelque chose. Au fond d’eux-mêmes, ils ont surtout besoin de rencontrer quelqu’un qui leur dise : j’ai besoin de toi. » Votre générosité réside dans cet « appel aux intelligences » dont vous avez fait le titre de votre plus récente publication. Elle est l’affirmation claire et sereine qu’il ne saurait y avoir d’échange fructueux sans exigence préalable d’égalité. Mais je ne saurais oublier que votre générosité s’exprime par un engagement personnel et bénévole que vous conciliez avec une déconcertante et apparente facilité avec vos charges de mère de famille, aux côtés d’un époux totalement associé à votre entreprise. Lucidité dans l’analyse des racines profondes de la crise de communication entre les hommes, générosité dans la volonté de rendre à tous la parole dans un dialogue social restitué, cela ne serait rien sans la TENACITE de l’effort. Avoir une idée force, formuler une démarche, la concrétiser en objectifs de formation, tel est le cap que vous maintenez avec fermeté, patience et détermination. La ténacité est d’autant plus nécessaire à votre volonté de mise en réseaux que vous n’entendez à aucun moment dévier de votre route initiale, celle de la réciprocité dans les échanges des savoirs. Cette ambition se nourrit d’inflexibilité « pour casser le cercle des échecs au profit de l’engrenage des réussites », selon votre expression. La voie est difficile et vous le savez. Mais que vous le sachiez ne représente que le premier pas. Encore vous faut-il en convaincre tous ceux qui, avec vous et autour de vous, pourraient vouloir brûler les étapes et risquer le désespoir face aux résistances ou aux piétinements rencontrés sur ce chemin. Votre ténacité, votre exhortation à la patience font partie des atouts qui vous ont permis en quelques années de passer le cap d’une expérience locale en plein essor pour créer un véritable mouvement qui depuis 1984 s’est donnée, ici même, à Evry une structure associative nationale. Et ce fut là décision difficile à prendre pour qui sait, comme vous le manifestez en permanence, redouter les pièges de la pesanteur des structures. Elle est cependant aujourd’hui la concrétisation heureuse d’un mouvement qui, parti de l’expérience d’une institutrice dans sa classe à Orly, a pu en quelques années gagner plus de quarante villes et donner à des milliers de personnes l’envie d’apprendre dans le double sens de ce verbe. Chacun sait la part essentielle que vous avez prise dans le développement, calmement maîtrisé, d’un mouvement en plein devenir. En vous remettant maintenant les insignes de chevalier dans l’ordre National du Mérite, j’ai pleinement conscience de distinguer une personne qui sait que le regard tourné vers l’avenir ne peut se teinter d’optimisme qu’en devenant agissant. Vous me permettrez, d’ailleurs, d’illustrer cette volonté de voir résolument l’avenir qui est la vôtre, en notant, avec amusement, que la lettre par laquelle vous m’avez adressé vos projets pour l’année 1990 était audacieusement datée du 22 décembre… 1990. Qui ne saurait y voir un lapsus des plus révélateurs… ?