Gianfranco Vinay

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Gianfranco Vinay
« Un laboratoire permanent de dramaturgie spectaculaire »
Le 2 février 1957, après 73 représentations, le rideau de la première production de
Candide tomba au Martin Beck Theatre. Un échec pour un spectacle mis en scène à
Broadway. Par contre, West Side Story, représenté pour la première fois dix mois plus tard au
Winter Garden Theatre de Broadway, dura dix fois plus : presque deux ans, pour un total de
772 représentations, avant qu’une tournée aux États-Unis, une reprise à Broadway (253
représentations) et surtout la version cinématographique de1961, en consolident le succès.
Depuis ce mauvais départ, Candide devint une espèce de laboratoire permanent de
dramaturgie spectaculaire. Des transformations et des élaborations successives l’amenèrent
d’abord à demeurer longuement sur scène à Broadway, ensuite à être produit par des théâtres
d’opéra (New York City Opera en 1985, Scottish Opera en 1988 et plusieurs autres après la
mort de Bernstein). L’histoire de ces transformations est très instructive et nous permet
d’observer Candide de très près, aussi bien dans le contexte de la société que du théâtre
américain.
Le but principal de notre enquête est de tenter de donner une réponse à une question
cruciale : Candide de Bernstein appartient-il à un genre spécifique du théâtre musical
américain ou est-il une œuvre hors norme, un spectacle protéiforme et polyvalent pouvant
devenir opérette, comédie musicale ou opéra-comique, au gré des producteurs et des metteurs
en scène ?
«A Comic Operetta based on Voltaire’s Satire» est l’appellation donnée à la première
version de l’œuvre par Leonard Bernstein et Lillian Hellman, l’auteur du livret. Dans un
premier moment, ils avaient projeté de collaborer à un opéra sur Eva Peron. Cependant, après
une lecture de Candide, l’écrivain et dramaturge de gauche s’aperçut que la satire voltairienne
de l’optimisme à outrance, de l’intégrisme et de l’intolérance, était un sujet beaucoup plus
intéressant et actuel. C’était l’époque de McCarthy et du HUAC («House Un-American
Activities Committee») le tribunal spécial devant lequel elle avait dû paraître. Il ne fut donc
pas difficile de convaincre le musicien, lui aussi en odeur de gauche, que Candide était le
meilleur des sujets possibles.
Quelques années avant le début de leur collaboration, Marc Blitzstein, un autre artiste
engagé, mit en musique The Little Foxes, la plus célèbre pièce de théâtre de Hellman, la
transformant en un opéra intitulé Regina, qui intègre différents types de musique populaire.
Blitzstein, lui aussi de gauche, était lié d’une très grande amitié avec Bernstein. En 1947 le
1
jeune chef d’orchestre dirigea la création de la version orchestrée de The Cradle Will Rock de
Blitzstein, œuvre devenue un symbole de l’opéra transgressif à cause des escamotages
exploités pour contraster les censures.
Cet engagement, qui se manifeste aussi bien par le choix du sujet exprimant une
critique de la société que par l’utilisation d’une musique communicative et riche en influences
populaires, est une caractéristique du «Broadway Opera», un type d’opéra dont l’ambition
était d’aborder des thèmes pouvant susciter une réflexion auprès d’un public fréquentant
Broadway surtout pour s’amuser. Un idéal populiste et pédagogique à la fois, qui à partir de la
moitié des années trente séduisit musiciens et compositeurs provenant soit du côté populaire
(Gershwin : Porgy and Bess, 1935) mais surtout du côté «cultivé» (Virgil Thompson, Kurt
Weill, Giancarlo Menotti , Blitzstein, Bernstein).
Avant de collaborer avec Lillian Hellman, Bernstein s’était spécialisé dans un genre de
théâtre musical qui, sous forme de ballet (Fancy Free, 1944) ou de comédie musicale (On the
Town, 1944, Wonderful Town, 1953) exprimait la fascination de la métropole par une musique
riche en rythmes syncopés et en atmosphères «blues». West Side Story, Roméo et Juliette en
version new-yorkaise, est l’aboutissement d’un chemin artistique qui avait commencé 13 ans
auparavant.
Mais Candide, l’«opérette comique», de quoi était-elle l’aboutissement ? Bernstein
s’appuyait surtout sur deux modèles : les opérettes «savoyardes» (de : "Savoy", le nom du
théâtre anglais) de Gilbert & Sullivan qu’il connaissait très bien (ayant dirigé The Pirates of
Penzance en 1937), et les trois opérettes satiriques que Gershwin avait composées entre la fin
des années 20 et le début des années 30.
La marque de fabrique de Gilbert & Sullivan est une song en plusieurs strophes basée
sur la répétition de la même formule mélodique-métrique et sur la répétition des mêmes rimes
avec reprise chorale du dernier vers de chaque strophe. Dans Candide, le quintet The Best of
the Possible Worlds, le credo leibnizien de Pangloss, en est une parodie exemplaire. Mais il y
en a d’autres : Auto-da-fé , parodie du HUAC, réalisée parodiant Gilbert & Sullivan, ou la
valse vénitienne What’s the Use ainsi que la gavotte vénitienne (The Venice Gavotte) ou Dear
Boy.
Les opérettes satiriques de Gershwin s'attaquaient à des sujets politiques brûlants : le
militarisme (Strike up the Band), la corruption politique (Of thee I sing), le totalitarisme (Let
'Em eat cake). La parodie stylistique est utilisée pour obtenir un contraste ironique entre les
sujets sérieux et les situations absurdes qui les ridiculisent. Les modèles évidents sont aussi
les opérettes de Gilbert & Sullivan, mais actualisées, adaptées à la civilisation américaine de
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l'époque. Le livret de Of thee I sing, la plus célèbre des trois opérettes, gagna le "Prix
Pulitzer". Après l’«affaire Lewinski», son sujet, concernant l'impeachment d'un président des
États-Unis pour des raisons érotiques-affectives, assume une valeur prophétique.
Afin de comprendre le mécanisme de la parodie, il est nécessaire de résumer brièvement
l'intrigue.
Le candidat du parti national, John P. Wintergreen, décide de baser sa campagne électorale sur un thème pouvant
intéresser toute la nation : l’amour. De ce fait il décerne un prix de beauté et s'engage à épouser la miss gagnante.
Dianne Devereux, une jolie femme d'origine française, gagne le premier prix, mais entretemps Wintergreen
tombe amoureux fou de sa secrétaire, Mary Turner, une des rares femmes qui connaît le véritable art de cuisiner
les "corn-muffins". Wintergreen est donc élu président et épouse Mary Turner, mais Dianne Devereux réclame le
prix qu'elle a gagné. Au tout début, la Cour Suprême laisse courir, mais Diane trouve ensuite un important allié
dans l’ambassadeur français, lequel annonce d'une manière solennelle qu'elle est fille illégitime d'un fils
illégitime d'un neveu illégitime de Napoléon. Si le président ne divorce pas et n'épouse pas Diane
immédiatement, ce sera la guerre entre les Etats-Unis et la France. Le sénat doit se prononcer. Wintergreen
risque l’impeachment, mais - coup de théâtre - Mary Turner annonce publiquement sa grossesse. Comme les
Etats-Unis n'ont jamais accusé un futur père, par conséquent le Sénat déclare Wintergreen non coupable. Mais la
France n'est pas satisfaite, et continue à réclamer le respect des pactes. Étant donné que le président ne peut pas
les respecter, le vice-président épousera Diane Devereux.
Cette scène au sénat, antécédent (plus que modèle) de l’auto-da-fé de Candide, est
structurée par la juxtaposition rapide de plusieurs interventions des protagonistes, chacune
calquée sur un modèle différent : la marche quasi-militaire de l'ambassadeur français
expliquant la lignée de Diane Devereux («She's the illegitimate daughter of an illegitimate
son…») ; la lamentation de Diane seule et lâchée («jilted, jilted») dont le thème, modifié, sera
repris dans Porgy and Bess sur les mots «Porgy, Porgy» ; la valse joyeuse de Mary Turner
exprimant son bonheur de devenir mère («I'm about to be a mother») ; une autre très courte
lamentation de Diane en style blues («I was the most beautiful blossom in all the
Southland») ; un hymne à la postérité («Posterity is just around the corner») encore une fois
calqué sur un modèle de marche.
La différence plus marquante entre la scène du tribunal dans Of thee I sing et celle
dans Candide, c’est que dans Gershwin, selon la formule gagnante des comédies musicale,
cette scène est aussi un prétexte pour répéter des thèmes déjà entendus, tandis que dans
Bernstein les thèmes sont nouveaux.
En ce qui concerne la parodie stylistique, Bernstein eut le coup de génie d’associer
presque tous les numéros de Candide à une danse historique européenne (gavotte, hornpipe,
boléro, tango, polka, valse, all’Ungarese, barcarolle). À Broadway, où les modèles de danse
utilisés dans les comédies musicales étaient surtout le jazz, le blues et les danses sud3
américaines, l’emploi de danses historiques donnait immédiatement à l’opérette comique une
connotation exotique et européenne. Selon les cas, le caractère de la danse contribue à mettre
en relief le caractère du personnage (par exemple, le tango de la vieille dame dans I am Easily
Assimilated) ou à créer un contraste ironique entre danse et situation dramatique : la valse
lente qui relève le côté surréaliste du duo «You Were Dead, You Know» entre Candide et
Cunegonde, ou l’impulsion épique du rythme «all’Ungarese» dans Dear Boy, le numéro où
Pangloss défend la nécessité de la syphilis dans le meilleur des mondes possibles, parce que
«sans le petit spirochète» nous ne pourrions pas goûter le chocolat ou fumer du tabac. Bien
entendu, le jeu parodique de Bernstein ne se borne pas aux différents types de danse. D’autres
modèles sont également assumés : des modèles vocaux, comme le style «largamente
all’italiana» du duo entre le gouverneur et Cunegonde (My Love) ou les vocalises de la reine
de la nuit parodiées par Cunegonde à la fin de Glitter and be gay ; des modèles suggérés par
les couleurs locales et même la dodécaphonie, parodiée à un moment donné dans Auto-da-fé.
Mais c’est surtout la présence constante des rythmes de danse qui donne à l’opérette comique
sa verve spéciale.
Candide, sous forme d’opérette comique gagna la faveur d’un certain nombre de
critiques, mais pas celle du public. À la différence des opérettes satiriques de Gershwin, les
allusions avec la situation politique n’étaient pas si évidentes. Très peu de monde connaissait
Candide de Voltaire et était donc capable de comprendre les finesses de la parodie musicale
ou, tout simplement, le sens d’une histoire où les morts ressuscitent tout le temps et où
l’action est constamment déplacée d’un continent à l’autre. Tout en gardant la variété des
lieux où Voltaire avait placé les aventures de Candide, Lillian Hellman prend la liberté de
changer l’enchaînement des épisodes, de placer dans un lieu des circonstances qui dans le
roman d’apprentissage se passent dans un autre, d’écourter les épisodes et de changer le
déroulement des actions.
La suite des scènes et des numéros de la première version de Candide (Martin Beck
Theatre, New York : 1 décembre 1956 – 2 février 1957) est la suivante :
Ouverture-Orchestre
Première Acte
Scène 1 : Westphalia
1. The Best of All Possible Worlds –(Ensemble : Pangloss, Cunegonde, Candide, chœur)
2. Oh, Happy We –(Duo : Candide et Cunegonde)
2a. Wedding Procession, Chorale and Battle Scene (Chœur et épisode instrumental)
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3. Candide Begins His Travels (Episode instrumental)
3a. It Must Be So –(Candide)
3b. Candide Continues His Travels (Episode instrumental)
Scène 2 : Lisbonne
4. Lisbon Sequence – (Ensemble : Infant Casimira, Conjuror et Chœur)
4a. Fanfares (Episode instrumental)
4b. Tremblement de terre (Episode instrumental)
Scène 2A : Voyage de Candide à Paris
5. It Must Be Me (Candide)
Scène 3 : Paris
6. Paris Waltz Scene (Episode instrumental)
7. Glitter and Be Gay (Aria : Cunegonde)
7a. Paris Waltz Reprise (Episode instrumental et Vieille Dame)
8. You Were Dead, You Know – (Duo : Candide et Cunegonde)
Scène 3A : Voyage à Buenos Aires
9. Pilgrims’Procession – (Pilgrim Mother, Pilgrim Father, Cunegonde, Vieille Dame,
Candide, chœur).
9a. Pilgrims’ Exit - (Chœur)
Scène 4 : Buenos Aires
9b. Governor’s Fanfare (Episode instrumental)
10. My Love –(Serenade : Gouverneur)
11. I Am Easily Assimilated – (Tango : Vieille Dame, Cunegonde et chœur)
12. Finale – (Quatuor : Candide, Cunegonde, Gouverneur de Buenos Aires, Vieille Dame)
Deuxième acte
Scène 1 : Buenos Aires
13. Quiet –(Trio : Vieille Dame,Cunegonde, Gouverneur de Buenos Aires)
14. Candide’s Return from Eldorado – (Episode instrumental)
14a. The Ballad of Eldorado –(Ballade : Candide et chœur)
15. Bon Voyage –(Schottische : Gouverneur de Buenos Aires, chœur)
Scène 1A : Voyage de Candide à Venise
15a. Into the Raft (Episode instrumental)
15b. Raft to Venice (Episode instrumental)
Scène 2 : Venise
15c. Money, Money, Money– (Ensemble ; croupier et chœur)
16. What’s the Use ? –(Madama Sofronia, Ferone, Prefecte de Police, Prince Ivan, chœur)
16a. Venice continued (Episode instrumental)
17. The Venice Gavotte (Ensemble : – Madame Sofronia, Candide, Pangloss, Cunegonde)
Scène 3 : Westphalia
17a. Return to Westphalia (Episode instrumental)
18. Make Our Garden Grow – (Toute la Compagnie)
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Mais la complexité de l’intrigue n’est pas la seule cause de l’échec de la première
version de Candide. Pour le public fréquentant les théâtres de Broadway et assistant à des
comédies musicales, il était difficile de repérer dans l’opérette comique de Hellman et
Bernstein les codes de communication auxquels il était habitué.
De quel système de communication spectaculaire s'agit-il ? Évidemment, au cours
d’un demi-siècle de vie, la comédie musicale s'était transformée, mais sur la base de quelques
principes qui demeuraient toujours les mêmes, et qu’on peut résumer en six points :
1) l'introduction de comptines, de jeux de mots ou de non-sens dans les "lyrics" afin de
créer dans le public une régression à l'enfance des "nursery rhythms" ;
2) le chœur, utilisé non seulement pour donner la parole à des personnages collectifs,
mais aussi pour introduire des numéros fondés sur la formule "call and response",
formule typique de la tradition liturgique et civique anglo-saxonne ;
3) la parodie stylistique, utilisée afin d'ancrer la mémoire musicale dans des modèles
reconnaissables et de créer des situations ironiques ;
4) l'utilisation du rythme stimulant une constante excitation nerveuse et motrice ;
5) le recours à des thèmes séduisants, qui s'attachent aisément à la mémoire musicale,
et qui, amplifiés par les médias, tissent une espèce de toile sonore de la vie
quotidienne ;
6) la répétition.
La première version de Candide répondait sans aucun doute aux quatre premiers
points, mais pas aux deux derniers, très importants pour le succès d’une comédie musicale.
Une ouverture éblouissante (qui devint tout de suite une des pièces les plus populaires de
Bernstein) promettait des merveilles, mais ensuite manquait à ses promesses. L’absence de
répétitions, de reprises, faisait que le public avait juste un avant-goût de ces thèmes, mais ne
pouvait les fixer dans la mémoire. Le seul lien thématique était la reprise de l’incipit du
Lament de Candide dans les ensembles finals des deux actes (le quatuor entre Candide,
Cunégonde, la vieille Femme, le capitaine et le chœur, et Make Our Garden Grow). Un thème
très touchant, mais qui n’avait pas la verve du motif de Oh, Happy We, qui se fixe
immédiatement dans la mémoire musicale.
Après plusieurs reprises de l’opérette légèrement modifiée en version de concert
(1958, 1968) ou en version théâtrale (Saville theatre de Londres, 1959, Université de
Californie, Los Angeles, 1966, Curran Theatre de Saint Francisco, Doothy Chandler, Pavilion
de Los Angeles et Kennedy Center de Washington en 1971), une mise en scène de Harold
6
Prince pour une production du théâtre de Chelsea en 1973 marqua un tournant de l’histoire et
de la fortune de Candide. Les choix de Harold Prince furent radicaux : réécriture du livret ;
réduction de l’opérette en deux actes à un spectacle de la durée d’1 heure 45 sans entracte ;
réduction de l’orchestre ; mise en scène polycentrique entourant les spectateurs.
Dans le nouveau livret écrit par Hugh Wheeler c’est Voltaire même qui, représenté sur
scène par un acteur interprétant aussi d’autres rôles, raconte l’histoire. De cette manière, le
public moins cultivé pouvait suivre l’action sans problème. Le livret de Wheeler met en
évidence surtout le caractère romanesque de l’intrigue, insistant beaucoup sur les aspects
érotiques : d’où une mise en relief du personnage de Paquette et du beau Maximilien. Le
gouverneur s’enflamme pour ce dernier déguisé en femme. De nouveaux gags, qui ajoutent du
piment au spectacle, sont équilibrés par une fidélité au roman dans d’autres scènes : par
exemple, comme dans le roman, Candide, chassé du château, est ensuite engagé à force dans
l’armée bulgare ; et aussi comme dans le roman, c’est à Constantinople que se termine
l’action. Un coup de théâtre final permet d’échapper à la rhétorique de la fin heureuse et
rappelle qu’on vit toujours sous menace : une vache qui s’est unie aux personnages pour
chanter le chœur final (Make our garden grow) tombe raide sur scène. La Vieille Dame
hurle : «The Pox ! The Pox !» et Voltaire, tourné vers le public, conclut en disant «The end.
Thank you». À notre époque de vache folle, nous pouvons bien apprécier la valeur
prophétique de ce message.
Wheeler avait rédigé son livret en tenant compte d’une transformation, également
radicale, de l’enchaînement des numéros musicaux. En outre, Stephen Sondheim, auteur des
textes des songs de West Side story, en train de s’affirmer comme compositeur de comédies
musicales, transforma des numéros et en élabora de nouveaux à partir de la musique de
Bernstein (par exemple, Life is Happiness Indeed»). Par rapport à la première version,
plusieurs numéros avaient été éliminés, non seulement à cause de la réduction de la durée du
spectacle, mais pour permettre que les thèmes les plus marquants (The Best of All Possible
Words, Oh, Happy We, You Were Dead, You Know, I Am Easily Assimilated) soient repris une
deuxième fois. C’est justement le principe de la comédie musicale, l’application des points 5
et 6 de la formule gagnante. Une mise en scène inspirée du happening et du cirque,
immergeant le public dans le spectacle, relevait la sauce. Lorsque la production de Candide
du Chelsea Theatre (d’abord représentée à la Brooklyn Academy of Music) fut reprise au
Broadway Theatre, elle demeura sur scène du 10 mars 1974 au 4 janvier 1976 pour un total de
740 répliques.
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Dans cette nouvelle version, la suite des numéros est la suivante :
Ouverture-Orchestre
1) Life is Happiness Indeed (Candide, Cunegonde, Maximilien, Paquette)
2) Parade (Orchestre)
3) The Best of All Possible Worlds (Pangloss, Candide, Cunegonde, Maximilien,
Paquette).
4) Oh, Happy We (Candide, Cunegonde)
5) It Must Be So (Candide)
6) O Miserere (Penitents)
7) Oh, Happy We (Reprise ; Candide, Cunegonde)
8) Glitter and Be Gay (Cunegonde)
9) Auto-da-fé (What a Day) (Compagnie)
10) This World (Candide)
11) You Were Dead, You Know (Candide, Cunegonde)
12) I Am Easily Assimilated (Vieille Dame, Dons espagnols)
13) I Am Easily Assimilated (Reprise ; Candide, Cunegonde, Vieille Dame)
14) My Love (Gouverneur, Maximilien)
15) Barcarolle (Upon a Ship at Sea) – Orchestre
16) Alleluja – (Compagnie)
17) Sheep’s Song (Mouton, Lyon, Paquette, Candide)
18) Bon Voyage (Gouverneur et Compagnie)
19) The Best of All Possible Worlds (Reprise ; Vieille Dame, Candide, Paquette, Mouton)
20) Constantinople (Orchestre)
21) You Were Dead, You Know (Reprise ; Candide, Cunegonde)
22) Barcarolle (Reprise ; Orchestre)
23) Make Our Garden Grow (Candide, Cunegonde, Toute la Compagnie).
Un autre élément mettant en évidence combien ce Candide-ci correspond à la formule de la
comédie musicale, est l’orchestration pour un ensemble réduit (13 instruments y compris trois
pianos) adapté aux exigences de la mise en scène et de l’espace théâtral. Elle ne fut pas
réalisée par Bernstein mais par Hershy Kay : comme dans la plupart des comédies musicales,
ce n’est pas l’auteur de la musique, mais l’arrangeur, qui s’occupe de l’orchestration. En tout
cas, Bernstein avait bien apprécié cette nouvelle version. John Mauceri, qui avait assumé la
direction de l’orchestre au début, sera le principal responsable de la transformation de
Candide pour l’adapter à l’échelle des maisons d’opéra.
À l’occasion d’un concert à Tel Aviv, en avril 1977, Mauceri élabora une Candide
Suite qui englobait une bonne partie de la partition de la première version, de l’«opérette
comique» de 1956, y compris des numéros pas représentés à l’époque. Ce fut le début d’un
travail de restauration de la partition originale enrichie d’apports importants des versions
successives. Cette version en deux actes fut produite par le New York City Opera en 1982 sur
la base d’un nouveau livret de Hugh Wheeler et mise en scène par Harold Prince lequel, sans
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renoncer complètement à sa verve et à ses gags, fut obligé de tenir compte des caractéristiques
spécifiques d’une maison d’opéra, le New York State Theater.
Même si quelques critiques écrivirent que Candide avait finalement acquis un statut
d’opéra, Bernstein, plus prudemment, affirma : « En 1956, nous [Bernstein et Lillian
Hellman] lui avions donné l’appellation d’opérette, qui semble être plus appropriée. Je crois
qu’il faudrait la garder. Ce serait prétentieux de lui donner l’appellation d’opéra, mais je
pense et j’espère que Candide s’adapte aux maisons d’opéra 1».
En 1988, une production de Candide mis en scène par le Scottish Opera à Glasgow et
à Londres, donna l’occasion à Mauceri et à ses collaborateurs d’élaborer une version encore
plus fidèle au texte de Voltaire. Wheeler étant mort entre-temps, son livret fut révisé par John
Wells, qui réalisa la mise en scène en collaboration avec Jonathan Miller. Cette version,
enrichie de numéros extraits de versions précédentes, confluera dans une version révisée par
Bernstein qui sera appelée «final revised version». En décembre 1989, dix mois avant la mort
du compositeur, elle fut exécutée au Barbican Centre par le London Symphony Orchestra
sous la direction de l’auteur, enregistrée dans un studio londonien et éditée par Deutsche
Grammophon.
Dans cette version, la suite des numéros est la suivante2 :
Ouverture – Orchestre
Premier Acte
1) Westphalia Chorale (Chœur - 1956)
2) Life is Happiness Indeed (Candide, Maximilien, Cunegonde, Paquette - 1973)
3) The Best of All Possible Worlds (Pangloss, Candide, Cunegonde, Maximilien,
Paquette - 1956)
4) Universal Good (Cunegonde, Paquette, Candide, Maximilien - 1988)
5) Oh, Happy We (Candide, Cunegonde - 1956)
6) It Must Be So (Candide’s Meditation - Candide, 1956)
7) Westphalia (Chœur - 1988)
8) Battle Music (Orchestre - 1982)
9) Candide’s Lament (Candide - 1956)
10) Dear Boy (Pangloss, Chœur - 1956)
11) Auto-da-fé (What a Day) (Candide, Pangloss, marchands, inquisiteurs, juges et
chœur - 1956)
12) Candide Begins His Travels (Orchestre - 1956)
13) It Must Be Me (Candide’s Second Meditation) (Candide - 1956)
14) The Paris Waltz (Orchestre - 1956)
1
cit. dans un article de John Rockwell publié dans le «New York Times» (le 10 octobre 1982)
à l’occasion de la première représentation de Candide au New York City Opera.
2
l’année où le numéro fut intégré pour la première fois à une des différentes versions, est
marquée à la fin de chaque parenthèse.
9
15) Glitter and Be Gay (Cunegonde - 1956)
16) You Were Dead, You Know (Candide, Cunegonde - 1956)
17) You Were Dead, You Know (Candide, Cunegonde - 1956)
18) I Am Easily Assimilated (The Old Lady’s Tango) (Vieille Dame, Chœur - 1956)
19) Quartet Finale (Candide, Cunegonde, Vieille Dame, Capitaine, chœur - 1956)
Deuxième acte
20) Universal Good (chœur - 1988)
21) My Love(the Governor’s Serenade) (Gouverneur, Vieille dame - 1956)
22) We Are Women (Polka ; Cunegonde, Vieille dame - 1959)
23) The Pilgrims’ Procession / Alleluja (Maximilien, Paquette, Candide, chœur - 1956)
24) Quiet (Vieille dame, Gouverneur, Cunegonde - 1956 - 1973)
25) Introduction to Eldorado (orchestre - 1956)
26) The Ballad of Eldorado (Candide, chœur - 1956)
27) Words, Words, Words (Martin’s Laughing Song) (Martin - 1971)
28) Bon Voyage (Vanderdendur, chœur - 1956)
29) The Kings’ Barcarolle (Charles Edward, Candide, Hermann Augustus, Pangloss,
Sultan Achmet, Tsar Ivan, Stanislaus - 1971)
30) Money, Money, Money (Venice Gambling Scene) (Croupier Ferone, chœur - 1956)
31) What’s the Use ? (Vieille dame, Ragotski, Maximilien, Crook, chœur - 1956)
32) The Venice Gavotte (Croupier, Pangloss, Vieille dame, Candide, Cunegonde 1956)
33) Nothing More Than This (Candide - 1966)
34) Universal Good (Life is Neither) (chœur - 1989)
35) Make Our Garden Grow (Candide, Cunegonde, Vieille dame, Paquette,
Gouverneur, Maximilien, Pangloss, chœur - 1956).
Peut-on considérer cette version supervisée par Bernstein comme «le meilleur des
Candides possibles» ? Depuis la création de l’opérette comique, en 1956, c’était la première
fois que le musicien regardait Candide de très près. Les autres fois il avait collaboré, souvent
de loin, en tournée, donnant son avis et son consentement à des collaborateurs qui
s’occupaient de l’affaire. Quel est-il donc le meilleur des Candides possibles ? Peut-on
répondre à une question pareille ? Chaque mise en scène, chaque production d’une œuvre
théâtrale est une manifestation nouvelle de l’œuvre. Ceci est d’autant plus vrai pour des
œuvres théâtrales comme Candide, conjuguant le raffinement formel de la musique «cultivée»
et l’adaptabilité à des usages variés, typique des genres «spectaculaires». Dans la mesure où
une version de Candide actualise le contenu de l’œuvre mettant en valeur les éléments
essentiels de la dramaturgie musicale de Bernstein, elle est une version valable. Les
différentes appellations (opérette comique, comédie musicale, opéra ou autres) ne sont que
des paravents. Ce qui importe vraiment est que ces éléments soient valorisés. Je ne me réfère
pas seulement au message philosophique ou politique de la pièce par rapport au roman de
Voltaire, mais à la substance de la musique de Bernstein. Une substance qui dérive d’une
10
extraordinaire capacité de transformer le rythme et le mouvement en énergie dramatique.
Même si Bernstein nous a légué des mélodies mémorables, sa force créatrice résidait surtout
dans cette énergie. C’est cette énergie qui a fait que Candide au cours d’un demi-siècle est
devenu un laboratoire permanent de dramaturgie spectaculaire, s’adaptant chaque fois à des
contextes différents et demeurant néanmoins, dans sa substance, toujours le même.
© Gianfranco Vinay
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