Expériences professionnelles et effets de génération en villes

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Expériences professionnelles et effets de génération en villes
MINISTERE DE L’EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS, DU
LOGEMENT, DU TOURISME ET DE LA MER
PROGRAMME INTERMINISTÉRIEL D’HISTOIRE ET
D’ÉVALUATION DES VILLES NOUVELLES FRANCAISES
Expériences professionnelles et effets de génération
en villes nouvelles (1965-2002)
Rapport final
Viviane Claude et Jean-Charles Fredenucci
IUL – Lyon II et LATTS – ENPC /
EZUS – Lyon I - Lumiris
Mai 2004
1
2
« Pour bien labourer, il faut accrocher sa charrue à une étoile »
Citation attribuée à Bernard Hirsch, Directeur général de la MEAVN puis de l’EPAVNCP (19651975) par J.E. Roullier– in Oublier Cergy… L’invention d’une ville, Presses de l’École nationale des
Ponts et Chaussées, 1990, (réédité en 2000) p.7
« On regardait, les étoiles avec des jumelles »
Jean-Luc Nguyen, Directeur général de l’EPAVNCP (1994-1999). Entretien du 27.01.2004
3
4
INTRODUCTION
Les questions de la recherche
Le thème général de la recherche dont les résultats sont ici présentés porte sur la constitution
et l’actualisation de l’expérience professionnelle en urbanisme et plus largement en
aménagement. Elle s’intéresse au cas singulier des villes nouvelles françaises dont la création
est rendue officielle en 1965 et qui, pour certaines d’entre elles, ont encore aujourd’hui un
statut administratif particulier. Deux espaces professionnels nous intéressent, celui des
parcours des praticiens ayant exercé en villes nouvelles (d’où viennent- ils ? où vont- ils ?) et
celui des conditions concrètes dans lesquelles ils travaillent dans les Missions d’études et
d’aménagement (MEA) devenues des Établissements publics d’aménagement (EPA) de ces
villes1 .
Il ne s’agit pas d’un exercice de sociographie exhaustive. À partir de la constitution d’une
base de données, du repérage de parcours professionnels dans cette base, à travers des
entretiens avec des professionnels, à travers aussi ce que recèlent les archives des EPA,
l’étude a été conçue comme une contribution à l’histoire des pratiques de l’aménagement de
ces quarante dernières années. La construction des villes nouvelles constitue un pan
significatif, même s’il est limité, de cette histoire, et l’expérience professionnelle n’est qu’une
entrée parmi d’autres (on aurait pu s’intéresser à d’autres objets, à l’évolution des doctrines ou
des conceptions urbanistiques par exemple ou à la comparaison avec d’autres organismes
d’études ou d’aménagement). L’expérience professionnelle sera regardée dans ses formes et
ses transformations. Elle sera entendue comme pouvant être individuelle autant que collective,
comprise comme accumulation/sélection (phénomène longitudinal) et comme interaction
entre des agents (production du travail collectif avec la question : qu’est ce qui est "produit"
dans cette configuration et par telle ou telle configuration? 2 ). Au croisement de trajectoires et
de configurations, on cherche ainsi à identifier ce que le travail en villes nouvelles recèle de
proprement décisif pour ceux qui y ont été actifs, ceci sur une période de quarante années.
Notre hypothèse de départ s’inspire d’un fait qui semble bien établi : les villes nouvelles ont
constitué une “ expérience ”, au sens large d’une innovation singulière ayant permis de faire
évoluer des manières de faire, des concepts, des outils (juridiques, administratifs, financiers,
urbanistiques, etc.), des dispositifs institutionnels en matière d’urbanisme et d’aménagement
en France 3 . Notre étude sur l’expérience professionnelle ré-interroge de manière indirecte
1
La bibliographie sur les villes nouvelles est considérable. On en veut pour preuve la recension publiée par la
revue Urbanisme, « Villes nouvelles en France, 1968-1998 », supplément du n°301, juillet-août 1998. Dans le
cadre du PHEVN, C. Bruant (dir.), Architectures et formes urbaines en villes nouvelles : enquête
bibliographique sur les sources écrites, LADRHAUS, École d'architecture de Versailles, juin 2003, (Ministère
de la Culture, DAPA-BRA, Ministère de l'Équipement, PHEVN)
2
Nous reprenons ici Norbert Elias pour qui les configurations sont des“ figures globales et toujours changeantes
que forment des personnes dès lors que leurs actes sont interdépendants ”, in Qu’est ce que la sociologie ?, La
Tour d’Aigues, Editions de l’Aube, 1991, (1970), 154-161.
3
Voir en particulier vingt-cinq ans de villes nouvelles en France, GIE villes nouvelles, MELTM – DAEI,
Économica, 1989
5
cette affirmation selon laquelle il y aurait eu à l’occasion de la réalisation des villes nouvelles
des changements durables tant au plan des pratiques que des instruments de l’aménagement.
La question est donc la suivante : dans quelle mesure, les villes nouvelles auraient-elles
constitué des « laboratoires » de l’urbanisme ?
Disons d’emblée que nous cherchons à déceler des pratiques plutôt que des personnalités qui
ont dominé la scène des villes nouvelles. S’il y eut parmi ces figures des hommes
d’exception, des « locomotives » qui ont su tirer dans l’action des équipes de professionnels et
quelle que soit l’admiration qu’on a pu leur porter (à Bernard Hirsch, Serge Goldberg, Michel
Colot, etc.), leur “ tempérament ” ou leur “ personnalité ” ne peuvent pas tout expliquer. Ces
notions ne sont d’ailleurs pas aisément manipulables par le chercheur. Au mieux peut-on y
déceler des catégories utilisées par les contemporains ou leurs représentations au sein de
l’administration dite de « mission ». Ces catégories sont en cohérence avec le grand récit de la
« mission » qui privilégie les “ personnalités charismatiques ”, capables de conduire des
“ opérations commando ”. Probablement ont-ils été nombreux ces “ hommes d’envergure
exceptionnelle ” ayant une vision, le goût du commandement voire le goût du risque 4 . Nos
entretiens avec les professionnels des villes nouvelles en portent témoignage. L’équation
personnelle ne saurait cependant être retenue que comme explication ultime de
“ l’expérience ” des villes nouvelles.
Les politiques les plus fins ne s’y trompent pas, même s’ils semblent parler d’abord pour euxmêmes, comme le nouveau ministre de l’Équipement, Edgar Pisani, en 1966 : « Il y a des
moments, déclare-t- il alors devant la presse professionnelle, où les choses sont telles que
l’occasion peut être saisie par un homme et qu’à partir de cette occasion il peut déclencher le
mouvement. Mais il n’est que l’instrument d’un moment dont il a su profiter. »5
Reste que le passage en ville nouvelle a constitué pour nombre de praticiens que nous avons
rencontrés, lo rs de nos entretiens, un événement biographique dont le sens n’appartient qu’à
eux seuls (et en dépit de toutes les rationalisations a posteriori). Nous nous intéresserons à la
qualité de cet évènement, à son ampleur et à ses conséquences sur l’activité professionnelle
dans le domaine de l’aménagement.
Bien des éléments de nature socio-politique (un contexte, des structures, des décisions, etc.) se
sont combinés pour que se forme le mythe de la ville nouvelle comme « laboratoire ». En
premier lieu le fait qu’en ce début de Vème République, la politique volontariste
d’aménagement du territoire et d’aménagement de la Région parisienne a mis d’emblée les
MEA et EPA en marge de l’administration traditionnelle. Plusieurs conditions ont permis à
cette politique volontariste concernant les villes nouvelles d’être défendue et conduite dans la
durée. Deux d’entre elles sont décisives et ressortent du contexte des années 60 et 70 : la
« honte de l’absence d’urbanisme » (formule du Premier ministre Michel Debré 6 ) et le
renouvellement de la doctrine que cette « honte » a provoqué d’une part, l’indépendance des
structures qui ont été chargées de réaliser les villes nouvelles d’autre part. Ces conditions
doivent être rappelées dans cette introduction car elles donnent le contexte dans lequel les
praticiens évoluent. Elles vont organiser leurs représentations et leurs pratiques de travail.
4
À cet égard, les acteurs ayant directement œuvré à la construction des villes nouvelles ont des souvenirs
précieux : L’aménagement de la région parisienne (1961-1969). Le témoignage de Paul Delouvrier accompagné
par un entretien avec Michel Debré, Paris, Presses de l’École nationale des Ponts et chaussées, 2003
(témoignage de 1984). B. Hirsch, Oublier Cergy… L’invention d’une ville nouvelle. Cergy-Pontoise. 1965-1975,
Paris, Presses de l’École nationale des Ponts et chaussées, 2000 (2ème édition)
5
E. Pisani, « Les problèmes posés au ministère de l’Équipement », Le Moniteur des travaux publics et du
bâtiment, 26.03.1966, p34
6
L’aménagement de la région parisienne… op. cit. Entretien avec Michel Debré, p207
6
1 / Il faut en premier lieu prendre la mesure de l’idéologie- pour reprendre un terme dont
l’usage s’est raréfié - urbaine et urbanistique des années fastes du début de la Vème
République.
Dans les années 60, l’aménagement – que l’on appellera aussi le nouvel urbanisme - se
construit sur de nouveaux fondements et va trouver dans les villes nouvelles un espace de
débats, de pratiques et d’expérimentations. Puis, en une quinzaine d'années, ces forces
initiales s’épuisent, par l’effet combiné des débuts de la crise économique, des élections
municipales de 1977 et des conséquences de la mutation qui est amorcée, dès avant 1981,
dans les relations entre les services de l’État et les collectivités locales, entre les EPA et les
élus locaux. Mais, dans le même temps, les villes nouvelles sont devenues des choses
concrètes et continuent à se construire.
En début de période, entre 1965 et 1969-70, comme on le verra, les agents des villes nouvelles
semblent quelque peu démunis malgré le foisonnement des idées. Ils ont toutes les raisons de
l’être, puisqu’ils ne sont pas préparés à la tâche qui leur est assignée et qui est inédite. Il y a
tout lieu de penser que les professionnels mettent alors en œuvre des conceptions anciennes.
S’ils formulent des idées originales, c’est sans pouvoir toujours en faire immédiatement la
matière de leurs projets. Ces décalages obligent à être attentif à ce autour de quoi s’articule
concrètement le travail – ce que nous chercherons à identifier dans la suite de cette étude - et
pas seulement à ce que l’on retient aujourd’hui des idéologies dominantes des années 60.
Ces idéologies faisaient de la ville une abstraction, en évacuant l’histoire, les spécificités des
cultures locales tout comme les acteurs sociaux7 . Selon les recherches des années 70 qui ont
fait de la critique de cette idéologie leur objet, la conception des villes nouvelles s'est nourrie
de cette réification de la ville et d'une approche qui a permis aux architectes (rêvant de la ville
comme œuvre), aux économistes et planificateurs (fascinés par les projections et les modèles)
et aux géographes (qui découvrent la pensée systémique) de parler le même langa ge 8 . La
réification de la ville, le recours à l’utopie, la distance à l’égard des pratiques et des lieux
existants, la sous-estimation du fait politique auraient signé, selon ces travaux, une alliance
assez large qui apparaît autour des villes nouvelles entre hauts fonctionnaires, ingénieurs,
architectes et certains milieux universitaires. Si tel n’est pas notre objet d’analyse, il faut
rappeler quelques résultats de ces recherches qui nous aident à marquer la distance qui nous
sépare du début des villes nouvelles.
Pour les villes nouvelles de la Région parisienne et, dans une certaine mesure sur les Rives de
l’Étang-de-Berre, cette réification se manifeste autour de deux thèmes : celui du désastre de la
banlieue et celui de la création possible d’un nouveau mode de vie. Les archives des EPA sont
traversées par de tels discours et, entre le milieu des années 60 et le milieu des années 70, les
représentations ne se modifient que lentement. Par exemple sur la réalité du paysage urbain du
jeune département de l’Essonne, qui rassemble le pavillonnaire de l’entre-deux-guerres et les
grands ensembles des années soixante, la “ banlieue ” ou la “ nébuleuse urbaine ” sont
utilisées en 1967 comme des figures repoussoirs, qui appartiennent à une rhétorique
7
Voir la référence aux travaux du philosophe et sociologue Henri Lefebvre tout au long des années 1965 à 198590.
8
C’est notamment la thèse de J.M. Boyer, La programmation urbaine et architecturale. L’expérience des villes
nouvelles, thèse de 3ème cycle, École des hautes études en sciences sociales, 1983, 92-117.
7
urbanistique bien connue 9 . “ Dans ce secteur géographique, déclare le directeur de la Mission
d'Évry en 1967, le mouvement d’urbanisation s’opère à un rythme particulièrement rapide.
En effet aux lotissements pavillonnaires des années 1920-30 a succédé, surtout depuis une
dizaine d’années, une vague de construction de “ grands ensembles ” qui a gagné ViryChatillon, Ris-Orangis, Sainte-Geneviève-des-Bois, Saint-Michel-sur-Orge, Corbeil et qui
atteint maintenant Grigny. […] Dans ce morne paysage de banlieue lointaine qui s’est
étendue de façon considérable ces dernières années, les habitants des “ cités dortoirs ”
ressentent d’autant plus vivement le sous-équipement quasi généralisé que la référence au
“ centre ”, Paris, est pour le plus grand nombre une illusion parfois irritante plutôt qu’une
réalité ” 10 .
Cette vision pessimiste de la banlieue et plus généralement de la ville contemporaine est dans
les années 60 largement partagée. Paul Delouvrier et ses collaborateurs font constamment
allusion au désolant spectacle de la banlieue 11 . Dans la décennie suivante, la même
déploration sert encore à justifier l’importance de la tâche d’aménagement. Ainsi en 1975,
André Darmagnac, en charge de la programmation à l’EPEVRY, écrit : “ Il s’agit du mode de
vie et d’occupation de l’espace issu de l’industrialisation et du développement de
l’automobile […] Ce modèle qui uniformise tout. […] Il faut ressembler à “ Monsieur
express ”. […] On n’est plus des citoyens d’une cité, mais membre de la société
internationale de consommation, […] des usagers revendicatifs et passifs. […] La nébuleuse
urbaine est un milieu répulsif, qu’on fuit dès qu’on en a le temps, si on en a les moyens. Elle
est répulsive par son manque de chaleur humaine et par son paysage désolé, qui reflète bien
la société qui l’a engendrée. Le cadre de vie quotidien exprime avant tout, en effet,
l’individualisme, l’atomisation des composantes de la société, la spécialisation et la
ségrégation des catégories sociales et des fonctions urbaines. […] Aucune collectivité sociale
palpable ne fédère et ne structure la vie des habitants qui s’y trouvent. […] Les habitants
(sont) privés de contact avec la “ vraie nature ” 12 .
En région parisienne, les villes nouvelles sont annoncées dans le PADOG et, à ce titre,
constituent ce que ce plan désigne par « pôles restructurateurs ». De 1965 à 1967-68, les
premiers travaux des ateliers d’urbanisme des Missions portent sur l’élaboration de “ schéma
directeur de structures, définissant le programme et le parti d’aménagement et d’organisation
de l’espace ” et ayant vocation à “ organise(r) les urbanisations nouvelles et à restructure(r)
l’agglomération existante ” 13 . Dans ce cadre, le directeur général de la Mission d’Evry fixe
en 1967 l’ambition du projet : “ C’est dans ce contexte que le projet de “ VILLE
NOUVELLE ” prend toute sa signification : par la création progressive d’une armature
urbaine cohérente le projet tend à substituer le concept de “ ville ” à celui de “ banlieue ” :
par le développement d’un CENTRE, lieu d’échange privilégié doté d’un puissant appareil de
commerces et de services et d’une gamme diversifiée d’équipements administratifs scolaires,
9
De 1962 à 1968, le nouveau département avait absorbé plus de 46% du solde migratoire de l’ensemble de la
région parisienne. J.-P. Laverrière, Et vinrent les bâtisseurs. Histoire de l’EPEVRY, 1991, non publié (AD911523W/1543)
10
André Lalande, Lettre du directeur de la MEAVN d’Evry à Monsieur le Directeur de l’aménagement foncier et
de l’urbanisme, à l’attention de Mr Ribat, comme suite à la lettre du 3 octobre 1967, note sur la VN d’Evry,
destinée au numéro spécial consacré à l’urbanisme dans Équipement, logements, transports, (AD911523W/281).
11
L’aménagement de la région parisienne… op. cit. p70-71
12
André Darmagnac, Objectifs de mode de vie et directives d’aménagement (pourquoi et construire une ville
nouvelle) –Direction d’étude pour Evry III, document de travail, EPEVRY, Juillet 1975, p.1-7 (AD911523W/2223).
13
Exposé de M. Lalande en 1968 (AD91-1523W/286).
8
universitaires, culturels et de loisirs. Par le développement des emplois […]. Par la mise en
place d’un ensemble complémentaire de base de loisirs de plein air et de sports. Par la
création d’infrastructures routières et de transports en commun ” 14 .
Et huit ans plus tard, la ville nouvelle est encore, à l’EPEVRY, “ le dépassement du mythe du
pavillon de lotissement ”. Elle doit venir satisfaire le désir “ d’isolement et d’intimité ” tout en
offrant des “ conditions de vie urbaine autrement plus chaleureuse et enrichissante que les
banlieues actuelles ”. Ainsi“ le dépassement du mythe du pavillon de lotissement […]
rendrait un grand service à l’urbanisme (et) serait peut-être un remède au développement
cancéreux des nébuleuses urbaines, puisqu’il prouverait que les gens ont compris les
dangers de l’isolement déconnecté de toute structure sociale palpable ” 15 .
Ce discours contre la banlieue puis la ville dortoir et mono- fonctionnelle faute de centralité et
d’équipements est ancien et général. On le retrouve sur les Rives de l’Étang-de-Berre où la
croissance urbaine est en 1969 ramenée à une « simple extension » sans la constitution de
« pôles urbains solides […] au rayonnement propre » 16 . Après les évènements de 68, les
représentations sont remodelées pour donner une dimension politique à ce que doit être « la »
ville. Elle apparaît alors comme le lieu d’une conscientisation politique de l’habitant, le foyer
d’un “ nouveau citadin ”. Elle se doit d’être une alternative au “ modèle bourgeois ” de la ville
(en satisfaisant cependant le désir de promotion sociale) et au syndrome de l’isolement
cathodique de la banlieue de la “ France de Guy Lux ”17 .
“ C’est sans doute le sens profond du choix qu’a fait la France pour une politique de villes
nouvelles, de ville au sens citadin du terme, qui soient des foyers de vie citadine, d’échange et
de rencontre, de rapprochement entre pouvoirs et citoyens. On veut “ penser la cité ” de telle
sorte que les “ décideurs en soient les citoyens ” dit M. Granet, secrétaire d’Etat à la
formation professionnelle, dans son récent livre “ Changer la ville ” ” 18 . Et plus loin : “ Si
ces conditions sont remplies (dé-massification des rapports sociaux, articulation vie de
quartier - vie urbaine appuyée d’abord sur le centre, déségrégation sociale et des âges,
déségrégation des fonctions urbaines par abandon du zoning, place pour les exclus, place
pour le corps), la Ville Nouvelle devrait pouvoir devenir un foyer d’un nouveau mode de vie
proprement urbain, au sens de citadin. Si elles ne le sont pas, il ne s’agira que
d’urbanisations peu différentes des autres parties de la nébuleuse urbaine, qui ne mériteront
pas le nom de ville ” 19 .
Ces visions d’une autre ville et d’une autre vie s’accompagnent d’un renouvellement des
approches de l’urbanisme. La naissance des villes nouvelles se place, en effet, pour ce qui est
de la doctrine, de l’organisation et des pratiques profe ssionnelles, sous le signe d’un
changement de fond. Le corps des Ponts et Chaussées fait tout pour prendre le leadership de
l’aménagement urbain et devient le porteur de cette nouvelle approche 20 . La rhétorique que
développent ces ingénieurs et les modalités concrètes de leur action vise à rompre avec le
14
André Lalande, Lettre du directeur de la MEAVN d’Evry à Monsieur le Directeur de l’aménagement foncier et
de l’urbanisme, à l’attention de Mr Ribat, comme suite à la lettre du 3 octobre 1967, note sur la VN d’Evry,
destinée au numéro spécial consacré à l’urbanisme dans Équipement, logements, transports (AD91-1523W/281).
15
André Darmagnac, op.cit. p.29.
16
OREAM, Perspectives d’aménagement de l’aire métropolitaine marseillaise (livre blanc), janvier 1969,
p.125
17
André Darmagnac, op.cit., p.14.
18
idem, p.17.
19
idem, p.22.
20
J.-C. Thoenig, L’ère des technocrates. Le cas des Ponts et chaussées, Paris, Ed. d’Organisation, 1973
9
passé et à imposer l’aménagement comme l’actualisation nécessaire de ce que l’on avait
appelé jusque- là l’urbanisme. De cette époque du milieu des années 1960 date une césure qui
n’est encore que partielleme nt explorée 21 . Une frontière subtile traverse en effet – qui se
prolonge jusqu’à aujourd’hui - le milieu des professionnels entre ceux qui pratiquent
l’urbanisme – qui sont supposés être architectes - et ceux qui pratiquent l’aménagement (ce
que nous appellerons de temps à autre le nouvel urbanisme), qui ont à ce titre d'autres
qualifications et d'autres fonctions.
Ce renouvellement a pris racine dans les années d'après guerre au sein des bureaux d'études,
du Commissariat général au Plan, à la SCIC et à la SCET. Il s'est nourri des nouvelles
expériences de l’ingénieur, devenu maître des techniques de la recherche opérationnelle et, en
même temps, des expériences de l’administrateur qui sait manier les outils tant financiers,
administratifs que politiques et découvre le management. Dans ce renouvellement, il y a
combinaison entre :
•
•
•
un souci pour la stratégie (en termes d’organisation et de méthode) qui est sans
précédent ;
par suite une prise compte plus fine du facteur temps (des plans financiers, des délais
et planning, des comptes à rebours) ;
et une priorité nouvelle donnée au “ contenu ” (la programmation) par rapport au
“ contenant ” (les formes urbaines)22 .
On peut parler de renouveau doctrinal, même si l’exégèse en est lacunaire et que les
manifestatio ns pratiques en sont dispersées. Il participe de la configuration de l’expérience
dans la mesure où est ainsi relancée la croyance dans l’urbanisme et son action. Les pratiques
anciennes doivent composer avec ces nouvelles orientations et manifestent, comme on le
verra, une certaine inertie.
Ce qu’il faut finalement retenir de ce contexte idéologique c’est que les professionnels de la
génération pionnière dans les villes nouvelles pensent leurs pratiques en rupture par rapport à
celles des agents des grands ensembles (soit la génération précédente), même s'ils n'ont pas au
plan pratique tous les moyens de cette rupture et des alternatives à mettre en œuvre. La sortie
des grands ensembles est aussi supposée pouvoir régler l’éternel conflit entre ingénieurs et
architectes 23 . Cette représentation est solidement installée puisque, a posteriori, en 1995, au
bilan des villes nouvelles, le grand ensemble sert encore de repoussoir : “ A côté des grands
ensembles dont l’isolement du système urbain, la situation “ hors marché ” et l’incapacité à
21
Opposition qui recouvre celle que décline P. Merlin, « L’enseignement de l’aménagement et de l’urbanisme »,
Géographie, Économie, Sociétés, vol. I, n°2, 1999, 367-379
22
Pour un bilan voir par exemple les travaux de la Commission ‘urbanisme’ de l’Association générale des
hygiénistes et techniciens municipaux synthétisés dans, F. Parfait, La planification urbaine, alibi ou espoir,
Paris, Eyrolles, 1973 (et les articles du même ingénieur dans la revue Urbanisme, n°38, 1954 ; n°41-42, 1955 ;
n°65, 1959). Dans les années 60 l’Association des ingénieurs des Ponts et chaussées et, par la suite,
l’Association des ingénieurs des villes de France créent leur groupe de travail urbanisme. Au Commissariat
général au Plan, un autre ingénieur des Ponts, André Laure diffuse lui aussi les principes de cette nouvelle
pratique de l’aménagement.
23
Le poids des logiques professionnelles et institutionnelles dans l’habitat et le cadre de vie, Confluences, juin
1980, p27 (Étude réalisée pour le compte du Secrétariat général du Groupe central des villes nouvelles, le
Service technique de l’urbanisme, la Direction de la Construction et la Mission interministérielle pour la qualité
des constructions publiques).
10
s’auto-régénérer expliquent une partie des problèmes qu’ils connaissent, les villes nouvelles
offrent un net contraste ”24 .
Dans les trois ou quatre années qui précèdent l’élection de François Mitterrand à la présidence
de la République, ce terrain idéologique et doctrinal se présente différemment. Dans la haute
fonction publique, on ne parle que de “ décentralisation ”, sans que personne ne prenne la
mesure exacte du changement – et même du bouleversement – qui se manifestera de façon
évidente dans les années ultérieures. Certains responsables comptent déjà sur “ l’éveil des
élus ” pour assurer le succès des villes nouvelles 25 . De manière plus générale dans les années
1978-80, le point de vue sur l’urbanisme et/ou l’aménagement s’est déplacé : on admet que
les villes ne sont plus “ à faire ”, qu’elles “ se font ” de toute façon26 . C’est là un des signes de
la real-politik urbaine, c’est-à-dire du fléchissement des politiques volontaristes et l’amorce
d’approches donnant davantage d’importance au jeu de la négociation politique, du
compromis professionnel et au fonctionnement du marché. C’est aussi l’annonce d’une ère
dite d’“ ingénierie sociale et politique ”, c'est-à-dire de la coordination de techniques
managériales, dont les corps de l’État vont se saisir et se faire les dispensateurs, tout en
préparant leur des-investissement de la fonction publique 27 .
2 / La seconde dimension de cette politique volontariste d'aménagement (à toutes les
échelles) tient dans la revendication constante d’une situation d’extra-territorialité pour les
villes nouvelles.
Le parti pris de l’autonomie est un parti institutionnel autant que politique. Dans les années
1966-69, le choix de la forme à donner à l’organe chargé de l’aménagement des villes
nouvelles n'est pas encore arrêté. Les termes du débat viennent de la double question : audelà des missions d’études et d’aménagement que faut- il mettre en place, une société
d’économie mixte ou un établissement public ? Un syndicat communautaire ou un ensemble
urbain ? Les choix se font finalement pour répondre d'abord à un optimum d’efficacité
technique et ensuite au principe de la légitimité politique. Ce débat dont se saisissent les
directeurs généraux des Missions 28 est en fait de nature politique et s'inscrit, faut- il le
rappeler, dans le contexte de la guerre froide où le PCF et ses bastions font peur. Dès lors, on
tend progressivement vers la formule de « l’extra-territorialité » 29 .
Ce débat pose l’alternative d’un organisme administratif et politique chargé seul de
l’aménagement de la ville nouvelle jusqu’à sa majorité (seuil fixé à 150 000 habitants) ou
d’un organisme politique composé d’élus susceptibles de devenir “ à bref délai les “ têtes
24
Roland Peylet, Rapport du groupe de travail sur la situation et les perspectives des EPA, MELT, le 9 février
1995, p.18. En ce qui concerne le continuum discuté entre grands ensembles et villes nouvelles, voir A.Fourcaut
et L. Vadelorge (sous la dir.), Des grands ensembles aux villes nouvelles, journée d’études du 11 juin 2003,
Centre Malher, Université Paris I, Programme interministériel d’histoire et d’évaluation des villes nouvelles
(actes à paraître)
25
Le poids des logiques professionnelles, op. cit. p 26
26
Ibid. p16. Précisons que, dans ce contexte, “ le poids des logiques professionnelles ” est un empêchement à
“ faire ”.
27
Ibid. p17. Et “ l’aménagement, c’est fini ” (p12).
28
Par exemple M. Lalande à propos de “ l’ensemble urbain ” ; “ organisme (“ politique ” barré) administratif
“ éventuellement ensemble urbain ”) chargé de la réalisation de la VN ” (A.Lalande) Note du 7 mars 1968 de
M. Lalande à M. Astier concernant le périmètre de la VN (AD91- 1523W/282).
29
J.E. Roullier, « Conclusion », L’expérience française des villes nouvelles, Journée d’étude du 19 avril 1969,
Paris, Fondation Nationale des Sciences Politiques, A. Colin, 1970, p212
11
politiques ” des établissements d’aménagement ”, selon Paul Delouvrier30 . Dans ce dernier
cas, “ l’ensemble urbain ” est placé en concurrence avec la solution du “ syndicat
communautaire ”, dans le cadre du “ projet de réforme communale ”. La question qui fait
enjeu est celle du périmètre et donc du territoire, car le périmètre “ englobe l’ensemble des
terrains à aménager et susceptibles de constituer, dans une forme à préciser, une commune
nouvelle ” 31 .
L’autonomie institutionnelle est tout entière dans le choix de la formule de l’EPA. Elle va se
manifester ma lgré les connivences palpables et continues entre EPA et services de l’État.
Ainsi à la fin des années 70, le contrôle du Conseil d’administration de l’EPA d’Évry apparaît
formel aux yeux de l’auteur d’un rapport de l’inspection des Finances. Selon cette source, le
“ manque d’exactitude et de sincérité ” des états financiers présentés aux membres du Conseil
rend toute lisibilité des comptes impossible 32 . Mieux : la représentation de l’État au sein du
Conseil perd de son sens puisqu'il y a “ unité de vue ” entre les représentants des différents
ministères et le directeur de l’EPA33 . En revanche, vis-à-vis des élus, l'autonomie est un fait.
Encore en 1995, un rapport commandé par le Secrétariat général du Groupe central des villes
nouvelles (SGGCVN) reconnaît l’ importance des “ pouvoirs propres ” des EPA qui
expliquerait “ le sentiment des élus (majoritaires au CA) que les leurs se trouvent réduits ”34 .
L’autonomie, vis-à-vis de l’Etat et surtout vis-à-vis des collectivités locales, est donc dès
l’origine au principe des villes nouvelles et justifie le choix de la formule de l’EPA par
rapport à celle de la Société d’économie mixte (SEM). Le directeur général de la SCET,
François Parfait, n’a pourtant pas peu fait pour proposer l'intervention des SEM. Il les
présente comme des opérateurs efficaces (au nom de leurs savoir-faire) et légitimes (au nom
de leur lien avec les élus) des villes nouvelles 35 . A posteriori, et au vu des résultats obtenus, le
succès des villes nouvelles est mis sur le compte de ce choix en fave ur des EPA. Une SEM
n’est en effet qu’un “ maître d’ouvrage délégué ”, qui laisse un large pouvoir aux élus comme
en témoignent notamment “ les pouvoirs prépondérants du président ”; Parce qu'elle est
“ toujours au service d’un maître d’ouvrage ”, une SEM a une “ capacité d’action ” réduite,
ce qui ne permet pas la constitution et “ l’existence d’un véritable pilote ” en raison
notamment de “ la responsabilité personnelle du président et du directeur ”36 . En revanche,
avec le choix de l’EPA, la “ mise en œ uvre du principe d’autonomie ” a permis que s'affirme
une maîtrise d’ouvrage structurée et forte 37 .
De fait, une des caractéristiques retenues pour justifier a posteriori le choix de la formule des
EPA par rapport aux SEM tient aux résultats obtenus et au caractère “ exemplaire” des
opérations réalisées. L’exemplarité se caractérise par l'ampleur des activités d'études et la
volonté d’innovation prospective. Dans cette perspective, les EPA ont réuni “ l’essentiel de la
30
Réunion le 20.10.68 de la Commission mixte des villes nouvelles, District de la Région parisienne (AD911523W 787).
31
Ibid.
32
Note de MM. Patrick Werner et Nicolas Formery, sur l’organisation et la gestion financière des EPA des VN,
octobre 1980, p.29 (AD91-1522W/2092).
33
Ibid.
34
Roland Peylet, Rapport du groupe de travail sur la situation et les perspectives des EPA, MELT, le 9 février
1995, p.27
35
Courrier de la SCET du 1er avril 1968 au directeur de la mission d’aménagement de Trappes S. Goldberg, AD
95, 1424W/235W1a ; V. Claude, "De "l'ensemble" à la ville nouvelle. Les flottements des années soixante",
intervention à la journée d'études organisée par A. Fourcaut et L. Vadelorge, op. cit.
36
Roland Peylet, Rapport du groupe de travail sur la situation et les perspectives des EPA, MELT, le 9 février
1995, p. 7 et 27
37
Ibid p.27
12
matière grise dans le domaine de l’aménagement urbain ” 38 . En 1985, dans un rapport de
l’inspection générale de l’Equipement au ministre concernant le « suivi de la décentralisation
en matière d’urbanisme dans le département des Bouches-du-Rhône sur la décentralisation »,
cette fonction d'études et ces capacités de réflexion permettent de distinguer « 64 agents de
(l’EPAREB) parmi lesquels des urbanistes de talent » 39 .
Cette matière grise n'a pas été toujours complètement employée et les EPA n'ont toujours pu
résister à l'empire de la SCET. Sur les Rives de l’Étang-de-Berre, les coups partis ont été
légion, au cœur même du périmètre d’intérêt national, comme en témoignent les opérations de
la Société d’équipement des Bouches-du-Rhône, aménageur de la ZAC des Pins de Vitrolles
créée en 1967. Le fait est que l’EPAREB, constitué tardivement il est vrai - le 3 mars 1973 -,
a beau revendiquer sa spécificité par rapport aux autres opérateurs de l’aménagement local,
les SEM de la SCET et les OPAC en arguant de la qualité de ses réalisations et de sa
« philosophie de l’aménagement »40 , le contexte plus général et son incapacité à en jouer
nuisent à sa défense. Avec l’arrêt brutal du développement de la Zone industrialo-portuaire
(ZIP) de Fos, il y a remise en cause de ce pourquoi l’EPA a été créé, « l’accompagnement du
pari industriel » 41 . D'où la tentative de redéfinir, courant 76, les bases de sa légitimité, ses
possibilités stratégiques puis la « restructuration » de l'organisme 42 . Si l’EPAREB est
« soumis au système de financement de tout aménageur, il a été créé pour de plus vastes
ambitions que celle d’un aménagement résidentiel ponctuel » 43 . En 1976, il « travaille « en
amont » et en « aval » de(s) simples aménagements résidentiels» 44 . À ces ambitions
urbanistiques plus vastes correspond, à ce moment-là, la réalisation d’ouvrages non
directement indispensables au simple « fonctionnement » des quartiers résidentiels et dont le
financement doit être dégagé : « Qu’il s’agisse de paysagement des voiries primaires,
d’aménagements de parcs urbains, ou simplement des espaces extérieurs résidentiels », c’est
un financement pour un « supplément d’âme ville nouvelle » 45 . Le souci qualitatif s’applique
aussi à l’existant. L’EPA assume en effet un héritage urbanistique et se propose de « terminer
les réalisations engagées, au sens de leur degré de finition qualitative même si l’EPAREB
n’est en pas l’aménageur. Il en va du bien être « minimum » des habitants et de la crédibilité
de l’EPA dans son premier rôle de « société d’équipement ». Les actions proposées
(traitement paysager, signalétique, etc.) « sont plus susceptibles d’être immédiatement
dispendieuses que « rentables » mais indispensables à l’affirmation de la spécificité et la
« responsabilité » de l’EPAREB » 46 . Se démarquant du réseau de la SCET, et malgré une
38
C.Bersani et J.E. Roullier, Note à l’attention de Monsieur le Ministre, Ministère de l’équipement, le 18
septembre 1995, in R. Peylet, Rapport du groupe de travail sur la situation et les perspectives des EPA p.3
39
M. Cumin, ingénieur général des Ponts et chaussées et M. Bosc, ingénieur en chef des Ponts et chaussées,
membres de la mission spécialisée d’inspection générale « Urbanisme », Rapport au Ministre de l’urbanisme,
du logement et des transports concernant le suivi de la décentralisation en matière d’urbanisme dans le
département des Bouches-du-Rhône, 5mars 1985, p.20
40
EPAREB, Pré-maquette, Bilans et propositions, non daté, vraisemblablement 1976 (Archives EPAREB), p.41
41
EPAREB, L’aménagement de l’Ouest de l’Etang de Berre, Bilan-propositions , rapport intermédiaire, 1976,
p.3
42
Roger Damiani, Note à l’attention de Monsieur Jean Sriber, directeur du cabinet de Monsieur le Ministre de
l’Equipement concernant l’évolution et le rôle de la MIAFEB, 2 avril 1976 (archives de la DDE des Bouches-duRhône)
43
EPAREB, L’aménagement de l’Ouest de l’Etang de Berre, Bilan-propositions , rapport intermédiaire, 1976,
p.34
44
EPAREB, Pré-maquette, Bilans et propositions, non daté, vraisemblablement 1976 (Archives EPAREB), p.41
45
EPAREB, L’aménagement de l’Ouest de l’Etang de Berre, Bilan-propositions, rapport intermédiaire, 1976,
p.34
46
Ibid. p.40
13
conjoncture difficile au milieu des années 1970, l'EPA affiche donc une éthique de la
responsabilité.
Dire qu'il y a un mythe des villes nouvelles comme « laboratoires » ne signifie pas, à nos
yeux, qu’il y ait eu illusion. Ce qui importe est de savoir si, au-delà de ces productions
urbaines en villes nouvelles, l’invention et l’innovation ne furent pas en même temps ailleurs
au rendez- vous au cours des années 1964-72, autrement dit si d’autres “ laboratoires ” n’ont
pas été tout aussi productifs (OREAM, CETE, agences d’urbanisme, GEP, etc.), ceci en
raison de l’amorce de politiques urbaines nouvelles et de moyens sans précédents (financiers,
institutionnels notamment) réunis pour les mettre en œuvre. Si le témoignage des
professionnels vient nous aider à replacer l’expérience des villes nouvelles françaises dans un
contexte plus large de forte créativité institutionnelle, juridique et urbanistique et de larges
débats politiques et sociaux, il ne suffira pas à évaluer correctement la part de cette expérience
par rapport à celles qui sont nées en d’autres lieux et autour d'autres pratiques.
Les lieux et les moments de l’expérience
Tout ne fait pas expérience. Notre hypothèse c'est qu'il y a dans les villes nouvelles des
moments, des objets ou des thèmes, des configurations (relations liées à l'organisation, les
générations, la hiérarchie, les compétences, les objectifs du travail…) privilégiés pour la
constitution d'expériences. Par ailleurs toute activité professionnelle n'est pas une expérience.
Celle-ci suppose des processus sociaux et cognitifs de formation et de transformation, avec
des acquisitions de savoir- faire, de compétences, des déplacements de motivations ou de
centres d’intérêt. On prêtera une importance particulière à l’expérience comme une épreuve
de changement vécu, que la mémoire a conservée et que le récit peut transmettre. D’où
l’exercice de comparaison demandé à nos interlocuteurs entre l’avant et l’après ville nouvelle.
Dans cette étude, nous cherchons à identifier les moments d’expérience collective et à en
reconstituer les conditions de formation. La première étape a porté sur les sources écrites et
les données quantitatives. Le deuxième temps de la recherche s'est intéressé à ce qui est dit de
l'expérience comme acquis mobilisé dans des activités ultérieures donnant lieu à des reformulations dans un contexte nouveau. La question de la trace de l’expérience en ville
nouvelle et de son actualisation, aujourd’hui, dans l’activité professionnelle d’anciens cadres
passe alors davantage par des entretiens 47 .
D’un commun accord avec le commanditaire, nous avons porté une attention particulière sur
les archives de trois villes nouvelles, Cergy-Pontoise, Evry et les Rives de l’Étang-de-Berre.
Les traces de cette expérience s’y présentent sous des formes fort variables. Et les contextes
47
Nous nous sommes limités au personnel d’encadrement, en faisant l'hypothèse que pour les agents non-cadres
des EPA, une histoire plus générale de la fonction publique devait être engagée. Cette histoire qui s'intéresserait
davantage au "petit personnel" devrait prendre en compte l'histoire du travail, des techniques et des
bureaucraties. Les changements y ont été très importants, ont fait disparaître certains métiers et ont touché le
personnel cadre (avec par exemple l'introduction de l'informatique, la bureautique, les systèmes d'information
géographique, etc.)
14
socio-politiques locaux que nous ne pourrons évoquer que de manière allusive y sont pour
beaucoup dans cette formation de l’expérience 48 .
De même que la notion de "laboratoire", le concept d’expérience appelle des
éclaircissements. Si la notion renvoie à l’idée d’épreuve, de transformation et d’acquisition,
elle demande aussi une analyse historique critique. Notons que les deux catégories laboratoire et expérience - sont utilisées par les contemporains. Par exemple, au cours des
années 70 et 80, il est question des “ politiques d’essaimage ” du personnel des EPA comme
si les expériences acquises pouvaient se formaliser et se diffuser par simple déplacement des
personnes dans d'autres organismes. Autre exemple significatif concernant l’EPEVRY : au
début des années 80, la direction manifeste le souci de développer non seulement ce qui est
dans sa mission, les activités de maîtrise d’ouvrage déléguée pour le compte des communes
de l’agglomération d’Evry, mais aussi à l' échelle internationale de « conseiller la maîtrise
d’ouvrage publique pour les grands projets de développement urbain » (via les organismes
comme la Banque mondiale) 49 . L'expérience n'est pas tant là dans les parcours individuels que
dans l'organisation d'une diffusion des savoir- faire formalisés et maîtrisés en villes nouvelles.
Une question récurrente préside à la création en 1984-85 du GIE ‘Villes nouvelles’, comme à
la naissance en 2000 du Programme interministériel d’histoire et d’évaluation des villes
nouvelles : « Qu’est ce qui va se passer lorsqu’on va arrêter les villes nouvelles ? Ce savoirfaire que l’on développe depuis quinze, vingt ans, comment le réutiliser intelligemment ?
Comment ne pas gaspiller l’investissement que l’Etat, la puissance publique a fait? »50 .
La notion de génération mérite aussi attention. De manière très générale, pour la société
française de ce dernier tiers du XXème siècle, l’âge de 30 ans est considéré par les sociologues
comme une “ plaque sensible ”. À cet âge, un adulte ne jouit pas d’un “ statut officiel bien
défini, ni ne fait l’objet d’un contrôle social particulier ” et il est “ en marge des grosses
ébullitions qui ont récemment affecté les âges extrêmes ”51 . Cependant entre deux dates, 1968
et 1998, le contexte a profondément changé. Comme on aura l'occasion de le voir, les
modifications concernent les contextes politiques, sociaux et économiques : arriver en ville
nouvelle à 30 ans en 1970, c’est arriver sur le marché du travail dans une période de plein
emploi et bénéficier d’un pouvoir d’achat qui va augmenter vite et fortement. C’est aussi
avoir eu 20 ans au moment la guerre d’Algérie. En revanche avoir trente ans dans les années
90, c’est avoir grandi dans la paix et dans une société complètement urbanisée, salariée et
tertiaire. Concrètement, les relations de l’école à l’emploi ne sauraient être comparées, ceci
pour au moins deux raisons 52 :
•
•
le rallongement du temps des études et l’élévation du niveau de diplômes et
le bouleversement des conditions d’entrée dans la vie active (chômage structurel,
emplois précaires, multiplication des “ stages ”, voire “ allongement de la jeunesse ”).
La différence entre deux générations paraît assez tranchée : “ Les trentenaires de 1968 avaient
connu une jeunesse difficile – guerres, pénurie de l’après-guerre - et une scolarité courte et
peu onéreuse. Les trentenaires de 1998, élevés dans la paix et l’abondance, possèdent un
48
Nous ne pouvons que renvoyer à d'autres travaux du Programme, tant ceux qui portent sur telle ou telle ville
nouvelle que ceux qui ont trait aux évolutions institutionnelles (les formes de l'intercommunalité par exemple)
49
Comité d’entreprise de l’EPEVRY du 18.12.1982 (AD 91 1522W/8)
50
Entretien avec C. Guary
51
C. Baudelot et R. Establet, Avoir 30 ans en 1968 et en 1998, Paris, Seuil, 2000, p15.
52
A.-M. Sohn, Age tendre et tête de bois. Histoire des jeunes des années 60, Paris, Hachette, Littératures, 2001 ;
J.-F. Sirinelli, Les baby-boomers. Une génération, 1945-1969, Paris, Fayard, 2003.
15
niveau scolaire sans précédent ” 53 . Ils auraient alors moins d'opportunités professionnelles et
davantage d'inquiétudes.
Nos entretiens devaient par conséquent s’attacher particulièrement à ce moment d’entrée en
ville nouvelle et aux jeunes entrants du moment (années 60, 70, 80 ou 90), le parcours qu’ils
ont suivi jusque- là (diplômes), avec les vraies et les “ fausses ” expériences professionnelles –
“ fausses ” du fait de la situation du marché du travail qui rend ces premières expériences plus
ou moins “ formatrices ” - et les écarts que, de ce point de vue, ils ont pu percevoir avec des
entrants plus âgés comme avec des entrants plus jeunes. Nous devions aussi vérifier auprès
d’eux ce qui a pu définir leur “ génération ”, en identifiant les événements historiques majeurs
qui ont pu, à leurs yeux, la constituer et qui participent de leur expérience 54 .
Pour cerner les moments de l’expérience qui se cristallise sur une ville nouvelle, on a
reconstitué des configurations. Celles-ci incluent non seulement des positions – dans un
organigramme par exemple - mais aussi l’intellect et toute la personne (que révèlent par
exemple les métiers de base), les actions et relations réciproques quelle que soit la nature de
ces relations (alliances, coalitions, conflits, etc.). Elles incluent notamment les cas particuliers
dont nous aurons à discuter, de l’organisation et de la division du travail. Quatre ou cinq
moments - 1967-68, 1969-1970, 1976-77, 1982-83 et 1991-1992, paraissaient offrir des
contextes évidents de changements pour ces configurations professionnelles. Encore fallait- il,
pour pouvoir les reconstituer, retrouver les organigrammes mais aussi les modalités effectives
d'organisation et de division du travail (la "vie" des organigrammes) et les processus concrets
de production urbaine (qui, avec quoi, comment se monte telle ou telle opération ?).
Faute de temps, nous avons dû réduire notre ambition, conformément à l’hypothèse des lieux
et moments de l’expérience, en procédant à des “ coupes ” dans l’évolution des personnels des
trois villes nouvelles, en 1970, 1976-1977, 1982-1983 et 1991-1992. Il ne faut pas prendre
cette division au sens strict, car l’exploration des archives ne donne pas toujours les fruits
escomptés. Il s’est plutôt agi de faire des « sondages » à ces moments charnières.
Le choix de “ coupes ” s’est effectué à partir de différents indices :
•
•
•
•
•
La création des EPA
Les changements des directeurs généraux des EPA,
La connaissance que nous avions par ailleurs concernant les transformations de
l’organisation interne (traces dans les archives écrites),
Les évènements extérieurs susceptibles d’influer sur le fonctionnement des organismes
(Mai 1968, entrée dans la “ crise ” après 1973, élections municipales de 1977, lois de
décentralisation de 1982-83, dégradation de la situation économique, etc…). On pouvait
penser que ces changements ont eu des conséquences sur les objets de travail, les
conditions et les attentes des personnels des villes nouvelles. Ces évènements ont eu des
effets sur les formes du travail et dans des délais (sur le coup ou plus tard) qui restent à
identifier EPA par EPA.
Les grandes phases d’entrées et de sorties permettant d’individualiser les moments de
renouvellement du personnel d’encadrement et l’évolution de la politique de recrutement
de la direction générale 55 .
53
C. Baudelot et R. Establet, op. cit., 30-31
K. Mannheim, Le problème des générations, Paris, Nathan, 1990
55
Voir dans le volume d’annexes les tableaux synthétisant les entrées et sorties du personnel cadre des trois
villes nouvelles (Tableaux 1.1.1, 2.1.1. et 3.1.1.)
54
16
Ce choix découle aussi des contraintes pratiques dans le traitement de ces informations :
•
•
Des “ coupes ” communes peuvent permettre d’effectuer des mises en parallèle entre les
villes nouvelles (à une année près dans le cas des combinaisons de type 76-77 ou 82-83),
Des “ coupes ” assez espacées assurent une "couverture" à peu près homogène sur
l’ensemble de la période 1965-2001.
Quelques faits ont permis d'organiser une première chronologie commune aux trois villes
nouvelles 56 :
1967-68
• Cergy (1968) ; grèves du personnel et mise en place de nouvelles instances au sein de la
mission
• Évry (1968) : premiers départs (au nombre de 2)
1969-1970 : Pour l’ensemble des trois villes nouvelles étudiées :
• création des EPA d’Evry et de Cergy
• création de la MAEB et décision gouvernementale d'implantation du complexe
sidérurgique de Fos
• mise en place d’organigrammes
• projet de règlement du personnel (1969)
• départ de certains agents des Missions qui refusent l’intégration dans les EPA (notamment
des architectes)
1976-77
• à Cergy (1975): nomination d’un nouveau Directeur général,
• à Cergy (1976); reprise du recrutement (11 entrants en 1976 et 9 entrants en 1977) après
de grandes années de départs en 1973 (16) et 1975 (9)
• à Evry (1976) ; recrutement constant de quatre cadres par an de 1975 à 1978
• sur les Rives de l’Étang-de-Berre (1977) ; les départs de cadres sont pour la première fois
supérieurs aux entrées, vaste vague de départs amorcée en 1976 qui donne lieu entre 1978
et 1979, à 23 licenciements économiques.
1982-83
• Évry (1980) et Cergy (1981) : nomination de nouveaux Directeurs généraux
• à Cergy (1982) ; reprise du recrutement (10 en 1981, 15 en 1982, 8 en 1983) après
tarissement de 1978 et forte année de départ en 1983 (8)
• à Evry (1981) ; reprise du recrutement (4 en 1980 et 7 en 1981) après deux années de
départs (5 en 1979 et 4 en 1980) et réorganisation des services (1981-82)
• sur les Rives de l’Étang-de-Berre (1983); nouvel organigramme ; entre 1982 et 1983 12
nouveaux agents cadres dont 6 promotions internes d’agents de maîtrise.
1992
56
Chronologie qui pourrait être enrichie grâce à d'autres études du Programme, par exemple M. Rautenberg et J.S. Bordreuil, (sous la dir.), L'apport des villes nouvelles à la compréhension de la notion d'espace public, rapport
intermédiaire, CLERSE-IFRESI, Lille, décembre 2003. Pour le contexte, voir en fin de volume le tableau
concernant la "créativité institutionnelle et législative" des années 1960-85.
17
•
•
•
•
à Cergy (1990) et Evry (1991) : nomination de nouveaux Directeurs généraux
à Cergy (1990) ; fin de la dernière grande phase de recrutement (18 en 1990, 12 en 1991 et
11 en 1992) après les gros contingents de départs (20 départs en 1987 et 45 en 1989)
à Evry (1992) ; dernière année de recrutement (5) et fin d’une longue période de départs
(15 en 1987, 11 en 1989 et 1991 et 13 en 1992)
sur les Rives de l’Étang-de-Berre (1990) : relance du recrutement et de la promotion
interne (total de 15 entre 1990 et 1992) et formalisation, suite au projet d’entreprise de
novembre de 1989 élaboré par le bureau d’études CAP SESA REGIONS, d’un plan
stratégique pour les années 1991-199557 .
On a porté une attention particulière à ces premiers noyaux et à la période initiale que nous
qualifierons de militante. Elle semble plus propice à la constitution d’expérience du fait des
conditions :
•
•
•
•
•
•
d’homogénéité des tranches d’âges (homogénéité relative mais plus importante que par la
suite)
de concentration des recrutements,
d’éventuels “ collectifs ” de travail (ou de divisions) durables ayant des effets structurants
sur l’activité,
du contexte d’expansion rapide des missions avant la phase de stabilisation
institutionnelle (EPA) et des premières réalisations sur le terrain,
du contexte historique général (de croissance économique et de développement urbain),
et de la situation des Missions où "tout" est encore à faire.
Sur ces cinq moments d’expérience identifiés, trois sont plus particulièrement explorés dans
ce rapport et concernent les trois villes nouvelles :1969-70, 1982-83 et 1990-1992.
Les informations pour reconstituer des parcours : une base de données, des archives, des
entretiens
° Une base de données 58
Les informations dont nous disposons sur ces professionnels permettent de connaître avec
précision leur identité et d’esquisser leur parcours. D’emblée, il nous faut préciser la nature de
ce que nous appelons “informations”, présenter les sources exploitables et les sources
effectivement exploitées et qui ont été réunies dans ce que nous avons désigné par “ base de
données ”. Le travail sur les archives des villes nouvelles a permis quant à lui d’engager
l’exploration de ce que nous avons appelé le “ travail concret ”, c’est-à-dire ce qui fait le
cadre de l'expérience et qui a nourri nos entretiens. Nous avons en effet repéré des dispositifs
qui dans ces trois villes nouvelles se présentent comme des “ indices d’expériences ” qui ont
ensuite été testés auprès de nos interlocuteurs. Certains sont spécifiques à telle ou telle ville.
D’autres sont communs aux villes nouvelles et peut être à l’urbanisme des années 60-70.
57
EPAREB, Plan stratégique 1991-1995, document interne élaboré sur la base des données au 31.12.90, non
daté (archives privées de M. Lucien Gallas)
58
Les résultats d’une première exploitation sont réunis dans le volume annexe. Elle nous a surtout servi à
identifier des parcours pour mener nos entretiens (cf. infra) et à repérer quelques particularités d’une ville
nouvelle à l’autre. Ne représentant que trois EPA, cette exploitation ne pouvait être que partielle (cf. infra). On a
fait de temps à autre référence à des données précises dans le corps de ce texte.
18
Pour les trois villes nouvelles de Cergy, d'Evry et de l’Étang de Berre, les sources ayant
permis l’élaboration de la base de données ont pour partie des origines différentes (en raison
du statut distinct des EPAVN d’Ile de France et de l’EPAREB) mais aussi un fond commun :
Pour l’EPEVRY et l’EPAVNCP :
• Concernant strictement la période EPA, les dossiers des agents cadres ou promus cadres
au cours de leur exercice au sein des deux EP :
1. les archives du personnel de l’EPAVNCP (mises à disposition par Mme Christiane Gelin,
directrice du personnel de l’EP en 2001)
2. les archives départementales de l’Essonne 1522W 1 à 43, 73 à 84 (avec l’accord de la
Direction des Archives de France)
• concernant la période MEAVN, les dossiers des agents administratifs et techniques, cadres
ou promus cadres au cours de leur exercice dans les Missions d’aménagement d’Évry et
de Cergy-Pontoise : les archives du personnel de l’AFTRP (mises à disposition par M.
Giacopelli, employé de la direction du personnel de l’agence)
Pour l’EPAREB :
• concernant la période EPA et MEAVN (MAEB), les dossiers des agents cadres ou promus
cadres au cours de leur exercice : les archives du personnel de l’EPAREB mises à
disposition par le directeur de la mission de liquidation de l’EPAREB.
Nous avons par ailleurs tiré parti des “ livres des entrées et sorties ” quand ils existent, comme
à Cergy et sur les Rives de l’Étang-de-Berre. Ils fournissent, comme leur nom l'indique, les
mouvements des personnels.
Pour les trois villes nouvelles, des éléments d’informations complémentaires ont été recueillis
dans la première édition de l’Annuaire des villes nouvelles (1995) mais aussi dans les
réponses à la campagne de consultation des agents des EPAVN effectuée par l’AFVN entre
2000 et 2002, en vue de l’élaboration de la nouvelle édition 2003 de l’Annuaire des Villes
nouvelles et de notre base présentée comme « la base de données des acteurs des Villes
nouvelles » 59 .
Notre base de données est donc un "construit" qu'il faut utiliser avec beaucoup de précautions.
On verra plus loin un exemple de pièges qu'elle recèle. Elle est notamment incomplète pour ce
qui concerne deux groupes.
•
Pour le personnel « études » des Missions des villes nouvelles de la Région parisienne, les
dossiers du personnel rattaché à l’IAURP, déposés aux archives régionales d’Ile-deFrance, n'ont pu être consultés suite au refus de l’organisme versant (IAURIF 60 ).
59
La consultation du personnel cadre des EPAVN (SGGCVN compris) a concerné 917 personnes à qui a été
envoyé un questionnaire de 12 pages composé de deux feuillets distincts ; l’un destiné à l’élaboration de
l’annuaire et l’autre « facultatif » affecté à la constitution de la base de données des professionnels. Sur les 917
envois, on compte 20 retours à l’envoyeur. Sur ces 897 envois effectifs, 321 retours ont été enregistrés (dont un
refus de répondre). Soit un taux général de réponses de 36% avec des différences fortes suivant les VN (38%
pour l’EPAREB sur un total de 47 envois, 39% pour l’EPEVRY sur un total de 110 envois et 55% sur un total
de 95 envois pour l’EPAVNCP). Voir à la fin du volume des annexes, les rubriques du questionnaire réalisé pour
cet Annuaire des villes nouvelles. Les acteurs d’hier et d’aujourd’hui, Lieusaint, AFVN, 2ème édition, 2003.
60
On doit regretter que l’accès aux archives de l’IAURP nous ait été interdit. La période des Missions en région
parisienne (1965-69) reste donc à explorer.
19
•
Les personnels détachés au sein de la mission ou de l’EPA qui sont issus d’autres
organismes aménageurs (comme l’architecte Pierre Schimidlin, détaché de l’EPA de la
Défense au sein de l’EPACP dans la deuxième moitié des années 70) ou les personnels
ayant un statut libéral travaillant à temps plein ou partiel pour l’EPA, ou encore les
personnels "tas de cailloux" (embauches sur CDD par des bureaux d'études, financés par
des contrats passés par les EPA, dans des moments où les organismes ne peuvent
recruter).
Au final, la synthèse opérée à partir de ces sources donne pour chaque individu les
caractéristiques suivantes :
•
•
•
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le nom, (mais la règle de l’anonymat le fera disparaître de nos résultats)
le genre,
les date et lieu de naissance,
la formation initiale et la formation continue,
le type, la date et le lieu du service national
le métier à l’entrée en ville nouvelle,
les activités antérieures à cette entrée,
la date d’entrée et de sortie de la ville nouvelle,
les fonctions et le statut en ville nouvelle,
les activités ultérieures
les décorations et distinctions honorifiques
la participation à des conflits armés (deuxième guerre mondiale et guerres coloniales)
Concernant les agents ayant bien voulu répondre à la consultation en vue de l’élaboration de
la nouvelle édition de l’Annuaire des villes nouvelles, il faut ajouter à ces douze critères
d'identification, des informations concernant :
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la participation à un ou des mouvements d’éducation pour la jeunesse (scouts de France,
éclaireurs de France, Jeunesse étudiante chrétienne, etc.),
les voyages effectués au cours de la carrière à titre professionnel ou privé,
la participation à un ou des mouvements associatifs,
l’exercice de responsabilités politiques,
les expériences d’enseignement,
les principales publications,
le parcours résidentiel au cours de la carrière,
le statut professionnel en ville nouvelle.
Précisons que la base de données ainsi constituée concerne uniquement le personnel cadre des
Missions et des EPA. Ont donc été pris en considération les agents intégrés au niveau III et
au-delà ou promus au cours de leur exercice en Ville nouvelle à ce niveau III et ayant été en
activité pendant au moins une année. Les Missions et EPA, en tant qu’administration de
mission au même titre que les OREAM par exemple 61 , ont pour caractéristique au moment de
leur création d’être constitués majoritairement de cadres. Le taux d'encadrement y est donc
relativement élevé mais avec des différences d'un cas à l'autre. Pour l’année 1972, ce taux
61
La création des Organisations d’études d’aménagement des aires métropolitaines (OREAM) a été décidée lors
de la délibération du Comité interministériel d’aménagement du territoire (CIAT) du 24 février1966 et leur
fonctionnement fait l’objet d’une lettre circulaire des Finances du 18 mai 66. Voir Direction de l’aménagement
foncier et de l’urbanisme (DAFU), Études d’urbanisme, Paris, La Documentation française, juin 1975
20
s'élève (directeur compris) à 62% à Saint-Quentin, 54,5% au Vaudreuil, 53% à Evry, 51% à
L'Isle d'Abeau, 46% à Cergy, mais à seulement 36% à Lille Est 62 .
Les résultats d’une exploitation générale voire banale de la base de données sont fournis dans
le volume annexe. Cette exploitation appellerait de plus amples commentaires. Nous nous en
abstiendrons ici et pour divers motifs. D’abord il y a la difficulté qu’il y a à tirer des
enseignements de trois EPAVN seulement. Nous avons dû ensuite nous incliner devant des
chiffres si réduits que le commentaire général en est impossible 63 .
Rappelons que cette base de données visait à objectiver un tant soit peu à la fois les conditions
dans lesquelles les agents des villes nouvelles ont travaillé et parfois travaillent encore, et par
ailleurs à objectiver nos choix concernant les profils des agents qui paraissaient répondre
directement à notre questionnement sur l’expérience professionnelle. Cela signifiait, pour
nous, de retenir des facteurs tels que : l’âge d’entrée, la date d’entrée en ville nouvelle, la
durée d’activité au sein de l’EPA, le profil d’origine, la rareté ou l’excès de profils semblables
au moment de l’embauche, la fonction exercée en ville nouvelle, le domaine ou le secteur
d’activité choisis à la sortie, etc.
Quelques résultats très généraux de cette base donnent à voir :
-
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-
l’impossibilité qu’il y a à envisager les villes nouvelles comme relevant d’une même
histoire ; les décalages entre EPA sont nombreux et de nature trop diverse pour que
l’idée d’une histoire identique pour tous les EPA puisse être ici défendue ; nous aurons
à y revenir ;
l’histoire de l’EPAREB appelle une remarque encore plus précise, dans la mesure où
elle touche à ce qui fait la singularité de la temporalité et les particularités de la
structure politico-administrative tout comme du marché local de l’emploi des métiers
de l’urbanisme pour ces villes nouvelles de province qui sont, géographiquement au
moins, à distance du giron de l’État central ; cette différence entre Région parisienne
et province a déjà pour partie été illustrée 64 (peut être faut- il étendre ce point de vue
aux autres villes nouvelles de province) ;
l’hypothèse concernant la périodisation envisagée au début du travail de recherche a
été pour l’essentiel étayée et avec elle le retournement de tendance qui se dessine en
1983-85 en matière d’entrées et de sorties des agents des EPA ; ce retournement a son
pendant cinq ou huit ans plus tard lorsque est annoncée la probable fermeture des EPA
(une décision qui néanmoins demande parfois quinze ans pour devenir une réalité)
la féminisation progressive du personnel (qui s’étend notamment à partir des noncadres vers les cadres, en particulier par la voie de la promotion interne) et le
vieillissement « sur place » de ce même personnel ; ce résultat devrait probablement
être interprété à la lumière de l’évolution générale de l’emploi des années 1970 à
aujourd’hui.
62
J. Werquin, Les problèmes de personnel dans les établissements publics d’aménagement des villes nouvelles,
SGGCVN-Ministère de l’aménagement du territoire, de l’équipement, du logement et du tourisme, 20 juin 1973chap. 1.2. tableau n°1 « Effectifs et âges moyens par indices en 1973 » (archives de l’EPASQY).
Malheureusement ce rapport ne fournit pas d'informations sur l'Étang de Berre qui en 1972 n'est pas encore un
EPA.
63
C’est ainsi que, pour ce qui concerne les parcours à la sortie des villes nouvelles, on s’est davantage appuyé
sur des témoignages significatifs que sur les résultats objectifs mais très dispersés de l’exploitation de la base de
données (cf. infra en conclusion)
64
Quelle appropriation des villes nouvelles par les acteurs locaux ? Actes de la Journée d’étude du 26
septembre 2002 à Lyon, CERTU, Cahiers n°5, 2003
21
De façon plus circonstanciée, les résultats de l’exploitation de cette base sont livrés au fur et à
mesure de l’avancement de ce rapport, en particulier lorsqu’il s’agit de mieux faire
comprendre les conditions de travail des agents et les choix qui se sont imposés quant à nos
entretiens.
° Des archives
Nous avons eu recours à plusieurs types d’archives écrites :
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•
archives nationales de Fontainebleau en ce qui concerne les archives du SGGCVN
archives départementales de l’Essonne pour ce qui concerne les archives de l’EPEVRY
archives départementales du Val d’Oise pour ce qui concerne les archives de
l’EPAVNCP ; le dépôt de ces archives était en cours lors de notre enquête, ce qui a
conduit concernant Cergy-Pontoise à une double démarche : tirer parti des sources encore
vivantes au sein de l’EPA (archives du personnel de l’EPAVNCP cf. supra) et explorer les
archives déjà déposées (en fonction des intitulés des bordereaux provenant tout à la fois de
la Direction générale, du Secrétariat général, du Service opérationnel, de la Direction du
développement urbain)
archives de la direction du personnel de l’EPAVNCP pour ce qui est des dossiers du
personnel des agents cadres de cet EPA (archives encore à l'EPA au moment de notre
enquête)
archives de l’EPAREB (cf. infra)
archives de la mission de liquidation de l’EPAREB pour ce qui concerne les dossiers du
personnel des agents cadres de la MAEB et de l’EPAREB
archives de l’AFTRP pour ce qui concerne les dossiers du personnel des agent s techniques
et administratifs des missions d’études et d’aménagement d’Evry et de Cergy-Pontoise
archives privées d’agents cadres des trois EPAVN (notamment M. Lucien Gallas
Directeur général de l’EPAREB de 1978-1994) ou du premier Secrétaire général du
GCVN, M. Jean-Eudes Roullier.
archives de la DDE 13 en ce qui concerne un dossier intitulé « enquêtes sur les personnels
de l’ex-MIDAM/MIAFEB » récupéré dans les locaux des archives dans la pile des
documents à détruire.
Précisons tout d’abord, la relative pauvreté des archives des EPAVN qui nous intéressent
directement, au regard de la masse de documents conservés notamment dans les archives
départementales de l’Essonne (2423 cartons) et du Val d’Oise (plusieurs milliers de cartons en
cours de versement).
Ensuite à la différence des jeunes départements de l’Ile-de-France, les archives
départementales des Bouches-du-Rhône n’ont pas le même souci de conservation de
documents contemporains. Pour pallier l’indigence des archives de l’EPAREB (521 cartons)
notamment en matière de personnel et d’organisation, nous avons dû constituer nos propres
archives écrites en recueillant, au cours du mois de juillet 2002, des documents de l’EPA
destinés à être jetés suite au transfert aux archives départementales des Bouches-du-Rhône.
Ces écrits précieux sur lesquels nous nous sommes appuyés pour rédiger ce rapport et qui
apparaissant dans les pages suivantes sous la mention « archives de l’EPAREB » vont
prochainement être versés aux archives départementales des Bouches-du-Rhône.
22
Dans la masse des documents consultés, les dossiers du personnel et les surprises qu’ils
peuvent parfois réserver (correspondance, rapports, etc.) ont constitué une des sources les plus
riches pour l’élaboration de ce rapport.
° Des entretiens
Le choix des personnes avec lesquelles un entretien a été réalisé découle d’une série de
considérations, conduisant à des arbitrages et parfois à des renoncements. Leur nombre avait
été fixé au départ, de même que les trois villes nouvelles où l’expérience professionnelle
(constitution et transformation de cette expérience) pouvait présenter un intérêt pour la
recherche (trente entretiens à Cergy, Évry, Étang-de-Berre). Au cours du travail, ces positions,
prises avant même de l’engager, se sont avéré n’avoir pas beaucoup de sens. Aux inévitables
effets de redondances s’ajoutent des découvertes faites tout au long de l’investigation. Bien
que l’intuition ait joué un rôle non négligeable, ces choix d’entretiens ont été effectués de
manière raisonnée. On a en effet toujours gardé à l’esprit le cadre de références que donnent à
la fois la base de données et les archives écrites des trois EPA.
En procédant à ces choix, nous ne visions pas la représentativité des professionnels rencontrés
(qui elle- même pose question : représentatifs de quoi ont- ils été ou sont-ils aujourd’hui?).
L’objectif est bien d’exploiter les souvenirs du « métier » en villes nouvelles pour éclairer les
transformations dans les pratiques de l’aménagement depuis quatre décennies.
Finalement ces choix découlent des considérations suivantes.
1/ L’exploitation de la base de données a permis une pré-sélection des professionnels pour
lesquels un entretien pouvait s’avérer fructueux. Le temps qu’il a fallu pour constituer cette
base a obligé d’abord à la traiter de manière « manuelle » par la lecture intensive des fiches
biographiques. Après coup, on a procédé à des vérifications plus systématiques en croisant
des critères qui ont en commun de contribuer à la construction de l’expérience professionnelle
dans les champs de l’aménagement. L’expérience est saisie au travers de ce qui relève de
l’épreuve, de l’acquisition et de la transformation (dans le travail en ville nouvelle et dans le
parcours amont ou aval) et les éléments contextuels qui peuvent y contribuer (période riche en
évènements, tranches d’âges de l’agent). Six critères ont été retenus :
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•
Le passage en mission ou EPA de ville nouvelle à un moment qui peut s’avérer « riche
d’expériences »,
Avoir trente ans ou moins à l’entrée en ville nouvelle (la notion d’expérience reste liée à
un certain "jeunisme" que l'on retrouve dans la revendication de rupture et d’innovation) 65 ,
Changement de fonctions au cours du passage en ville nouvelle,
Nature du parcours antérieur qui peut surprendre ou éclairer les fonctions en ville
nouvelle,
Nature du parcours aval dans les champs de l’aménagement,
Rareté de certains profils (femme, double formation…) ou profils supposés être
« recherchés » (nouveaux métiers de l’urbanisme opérationnel)
65
Les trentenaires constituent le gros des contingents des recrues des trois villes nouvelles étudiées au cours des
années soixante et soixante et dix, et dans une moindre mesure, de manière plus irrégulière au cours des années
quatre-vingt et quatre-vingt dix (voir en annexes les tableaux déjà cités des entrées et des sorties des personnels
cadres)
23
Ce souci général a été de faire varier les cas de figures que ce soit sur la période et la durée
d’activités en villes nouvelles, les formations initiales ou les parcours amont et aval.
Notons que ces critères qui faisaient office d’hypothèses ne sont pas sans conséquence sur
l’échantillon constitué par rapport à l’ensemble des agents ayant travaillé en villes nouvelles.
Puisque nous ne cherchions pas la représentativité, nous avons rencontré relativement peu de
fonctionnaires (administrateurs sortis de l’ENA, ingénieurs IPC ou ITPE) qui font un passage
rapide dans les EPA et assez peu d’architectes66 .
2/ Deuxième moyen pour procéder à ces choix : l’exploitation des archives écrites des trois
EPA (Cergy, Evry, Etang de Berre). Cette exploitation a invité à rencontrer tel ou tel agent
pour la position qu’il a tenue au sein de l’organisme, les fonctions remplies (et les
changements éventuels de fonctions), son action, les difficultés apparentes dans son activité,
les transformations dont il a pu être le témoin (dans l’orga nisme ou dans son environnement).
Par ailleurs, le croisement des informations tirées des archives avec les données de la base a
permis de poser des hypothèses, par exemple sur le lien « mécanique » ou non entre l’activité
en ville nouvelle et l’activité ultérieure.
3/ Une troisième ressource : les archives orales collectées et conservées par l’Écomusée de
Saint-Quentin-en-Yvelines. Cette campagne d’entretiens concernant les acteurs de cette ville
nouvelle, a été réalisée au cours du printemps et de l’été 2002 par Jean-Charles Fredenucci
grâce à la même base de données que notre recherche. L’existence de ces entretiens a permis
d’éviter un certain nombre de doubles emplois. Il faut souligner que le guide d’entretien n’est
pas tout à fait identique, le récit de la trajectoire professionnelle n’étant, pour notre recherche,
que l’un des moyens de faire apparaître ce qui a fait le travail et l’expérience en ville
nouvelle 67 .
4/ De manière générale, les acteurs de « second rang » ont été privilégiés. Il s’agit de
professionnels qui n’ayant pas déjà été invités à retracer leurs parcours et à faire part de leurs
expériences, ne sont pas tentés par un discours plus ou moins pré-établi qui demande pour être
déconstruit de plus longs entretiens. Rares ont été les refus ou les réticences de la part des
personnes sollicitées.
66
Voir dans le volume d'annexes, la part prise par les fonctionnaires et les architectes.
Pour les entretiens, le guide suivant a été adopté :
- Pouvez-vous nous raconter votre parcours professionnel du lycée à aujourd’hui ?
- Retour sur l’entrée en ville nouvelle
Dans quelles circonstances avez-vous intégré un établissement public (ou une mission) de ville nouvelle ?…
- Retour sur le travail en ville nouvelle
Quelles étaient vos activités ? Pouvez-vous décrire le plus complètement possible votre travail (au début, au
cours et vers la fin de votre présence en ville nouvelle) ? …
- Retour sur la ville nouvelle comme expérience
À quel bilan personnel êtes-vous arrivé concernant cette période de votre vie professionnelle ? Les réussites,
vous les mettez sur le compte de quoi ? Les échecs éventuels… ? En quoi votre parcours antérieur à cette période
vous a-t-il aidé en ville nouvelle ? Votre parcours ultérieur garde-t-il trace de ce que vous y avez appris (réussi
ou raté) ? …Qu’est ce qui vous a le plus surpris ? Gêné ? Déçu ? Fait plaisir ? …
- Conclusion
Votre parcours professionnel vous semble-t-il singulier par rapport à ceux qui ont suivi la même formation que
vous à …(selon le cas : université, École des beaux-Arts, École des Ponts, École de la France d’Outre -Mer,
ENA…)…Quelle importance a cette période en ville nouvelle dans votre parcours, par rapport à ce que vous
avez fait avant ? Après ?…
67
24
5/ Enfin quelques entretiens ont été effectués avec des personnes qui ont été dans une position
d’observateur et d’analyste des situations de travail en ville nouvelle, que ce soit des
interlocuteurs de l’EPA ou des agents ayant une mission particulière au sein de l’organisme.
On a fait le choix de faire figurer des extraits de ces entretiens dans le corps du rapport en
fonction des thèmes que la recherche archivistique a pu dégager. Ces trajectoires sont donc
« exploitées » en fonction de notre questionnement, au détriment de l’approche biographique.
Rappelons que notre propos n’était pas de multiplier des récits de vie mais d’identifier dans
ces récits des formes, moments et lieux d’expérience professionnelle dans le domaine de
l’aménagement. Les faits relatés par les acteurs doivent être abordés avec circonspection.
L’entretien, en effet, lorsqu’il porte sur le déroulement d’un historique ne peut être envisagé
que comme un matériau permettant de formuler des hypothèses sur des faits dont la véracité
est à rechercher dans les archives écrites lorsqu’elle existe. Nous envisageons le recours à
l’entretien pour l’historien dans un aller-retour entre sources orales et archives écrites. Aussi
certaines informations issues d’interviews citées dans notre rapport, lorsqu’elles n’ont pas
trouvé de confirmation écrite faute de temps ou d’existence d’archives, doivent être
envisagées comme des hypothèses de travail 68 .
Il en va autrement pour ce qui est de l’« expérience » où l’entretien révèle tout son intérêt.
Intérêt redoublé lorsqu'il est possible de s'appuyer sur des documents d’archives parfois
produits par l’agent lui- même, comme cela a été possible dans certains cas. L’acteur sort alors
du récit biographique et de ses illusions éventuelles pour revenir sur des moments précis
faisant parfois « événement » et dont il garde une mémoire vive. La connaissance préalable
par le chercheur du contexte et de la configuration dans laquelle se trouve l’agent donne un
premier support. Les documents d’archives écrites servent d’appui au travail de remémoration
de la situation passée et permettent d’accéder à un effet de réel prenant la forme de « flashback ». Enfin un autre type d’information fait exception aux réserves pesant sur les archives
orales : l’évaluation a posteriori par l’agent des différences, des changements de pratiques
entre deux périodes identifiées comme distinctes qui sont pour ce qui nous occupe l’avant et
l’après ville nouvelle. L’entretien permet de qualifier, de dire le faire à partir de la différence
de situations.
Tous les entretiens réalisés n’ont pas été retenus pour ce rapport69 . On a principalement tiré
parti des interviews de (par ordre alphabétique) :
Jean-Paul Alduy (EPASQY, 1988-93) ; Bertrand Avril (Mission SQY, 1969-72 ; EPAMS,
1985-1987) ; EPA-Senart, 1985-87) ; Marcel Bajard (EPACP, 1969-78) ; Dominique Becker
(MAEB-EPAREB, 1970-77) ; Maurice Bloch (Mission puis EPASQY, 1968-91) ; Yves
Boucly (SGGCVN, 1973-76 ; EPALE, 1980-83 ; EPEVRY, 1987-90) ; Elio-Cohen Boulakia
(EPEVRY, 1967-91) ; Michel Clementi (EPASQY, 1981-91) ; Michel Colot (EPALEEPEVRY-GIEVilles nouvelles, 1973-90) ; Gérard Cousson (EPASQY, 1975-82 ; SGGCVN,
1982-85) ; Roger Damiani (MAEB-MIAFEB-MIDAM, 1968-76) ; Jean-Yves Debost
(EPALE, 1975-80 ; EPASQY 1982-84 ; SGGCVN 1984-88 ; EPASQY 1988-2002) ; Bruno
Depresle (EPEVRY, 1992-95) ; Jean-Claude Douvry (Mission puis EPA Basse Seine 68
Rappelons la controverse agitant les historiens à l’occasion de la journée d’études de l’Atelier I du PHEVN du
15 décembre 2004 autour de la « véracité » des sources orales.
69
Un autre parti en sera tiré dans la thèse en cours de Jean-Charles Fredenucci, « Le temps du commencement.
Contribution à une socio-histoire des pratiques de l’aménagement dans la France des années soixante et
soixante et dix »
25
EPACP, 1971-81) ; Yves Draussin (EPASQY, 1974-1989) ; Michel Ecochard (MAEB 197073; MIAFEB-MIDAM ; 1973-1979, EPAREB 1980-1996), Alain Fourest (EPAREB, 197174) ; Yvette François (EPASQY, 1967-2003) ; Michel Gaillard (EPACP, 1972-87 ;
EPAMarne, 1992-2000) ; Lucien Gallas (EPAREB, 1979-94) ; Franck Gaston (MAEB,
MIAFEB, EPAREB 1970-1979) ; Serge Goldberg (IAURP-EPASQY, 1964-80) ; Claude
Guary (EPAREB-SGGCVN, 1975-1988) ; Jean Guillaume (EPASQY, 1971-86) ; Stéphane
Lecornu (EPEVRY, 1975-1988) ; Claude Lecorps (Mission SQY, 1968-72) ; Jean Le Guillou
(EPASQY, 1970-1986) : Pascal Lelarge (EPASQY-EPA Mantois, 1994-2000) ; Jean-Jacques
Liard (EPASQY ; 1988-1991), Pierre Linden (EPASQY, 1971-83) ; Jean-Paul Loevenbruck
(EPACP, 1973-81) ; Mireille Lucas (EPASQY, 1974-2002) ; Jean-Michel Malerba
(EPASQY, 1996-2002) ; André Mathieu (EPACP, 1965-70 ; MAEB-EPREB, 1970-1979) ;
Jean-Claude Menighetti (EPACP, 1970-79) ; Jean-Luc Nguyen (EPACP,1994-1999) ; JeanMichel Nicolaïdis (EPASQY, 1972-81) ; Gérard Plaisant (MAEB, MIAFEB, EPAREB, 197186) ; Marie Redor (EPASQY, 1973-77) ; Denis Roger-Machart (EPASQY, 1970-83) ; André
Sallez (IAURP–Mission Basse Seine 1966-69) ; Daniel Simon (EPASQY, 1974-89) ; MarieOdile Terrenoire (EPASQY, 1972-76) ; Pascal Thiout (EPASQY, 1991-2002) ; Robert Varret
(EPAREB, 1972-77) ; Jean-Renaud Vidal (EPAREB, 1971-1979)
Enfin on a pu tirer profit d'une dizaine d'entretiens réalisés par Nadia Arab (doctorante au
LATTS) dans les divers services et auprès des interlocuteurs extérieurs de l'EPA de Cergy.
Ces entretiens effectués dans le cadre d'une étude pour le compte du Club des maîtres
d'ouvrages d'opérations complexes remontent à 1996, alors que l'EPA était encore en pleine
activité 70 .
Compte tenu du caractère fortement personnalisé de ces expériences et de ces entretiens, la
règle de l’anonymat a souvent paru dérisoire et, sauf exception en principe non décelable, n’a
pas été respectée. Il en est de même pour les archives écrites. Que celles et ceux qui ne
retrouveraient pas leur pensée dans cette transcription- interprétation en soient ici excusés.
Insistons sur le fait que, de ma nière très générale, les contradictions entre sources orales et
sources écrites sont fréquentes et banales, que la subjectivité ne peut être réduite 71 . Bien plus,
pour mettre en évidence le vécu de l’expérience, nous avons cherché à la solliciter. Quand de
telles contradictions sont apparues et n’ont pu être réduites, nous avons essayé de faire parler
les deux voix, écrite et orale.
70
A. Bourdin et N. Arab-Rochette, Organisation et fonctions du métier d'aménageur, rapport pour le Club des
maîtres d'ouvrage d'opérations complexes, 1997.
71
Sur les questions que posent la constitution et l’analyse des sources orales, D. Voldman (sous la dir.), « La
bouche de la vérité ? La recherche historique et les sources orales », Les cahiers de l’Institut d’Histoire du
Temps Présent, n°21, novembre 1992. Ainsi que les séminaires organisés depuis 2001 à l’Institut français
d’architecture.
26
CHAPITRE
I
EVOLUTION
GENERALE
DES
ORGANISATIONS. DES MISSIONS AUX EPA (DE 1965 À LA
FIN DES ANNÉES 1990)
Les Établissements publics chargés de l’aménagement des villes nouvelles (EPA) ont été
créés entre 1969 (décret du 11 avril pour Lille-Est) et 1973 (décret du 15 octobre pour MelunSenart). Les Missions d’études et d’aménagement (MEA) qui ont précédé ces Établissements,
ont été quant à elles constituées entre juillet 1966 (Evry et Cergy72 ) et juin 1969 (Étang de
Berre) 73 . Dès le départ, les conditions générales d’organisation du travail sont très différentes
d’une Mission à l’autre. En 1969, les témoignages des directeurs dont les parcours et les
expériences diffèrent assez largement sont éloquents : la situation initiale varie complètement
d’une Mission à l’autre, alors que les premières équipes réunissent les mêmes types de
compétences (architecte-urbaniste, ingénieur, administrateur). Les différences viennent à la
fois de la manière de concevoir et d’organiser le travail et des particularités du cont exte
géographique et politique local74 .
On relève en effet plusieurs conceptions de l’organisation, conceptions que les premiers
directeurs des Missions ont mises concrètement en oeuvre. Ce sont des façons diverses de
comprendre ce que l’on appelle une “ administration de mission ”. Et elles marquent
durablement le travail dans les Missions puis dans les EPA. Jusqu’à la fin des années 1970,
Evry est dirigé par un inspecteur de la Construction, fort de l’expérience d’un cabinet
ministériel et de la directio n d’une Société d’économie mixte. Il en va tout autrement à CergyPontoise, qui en 1966 fait figure de terre de mission pour le nouveau ministère de
l’Équipement et ses ingénieurs. Bernard Hirsch vient de l’arrondissement territorial des Ponts
et chaussées de Pontoise. Sur les Rives de l’Étang-de-Berre, ce sont les méthodes de la
« coopération » ou de l’« assistance technique » développées dès 1956 par le Ministère de la
France d’Outre- mer puis de la Coopération qui sont appliquées par le premier chef de la
MAEB, Jacques Girardet (1968-1972)75 . Ancien administrateur en chef de la France d’Outremer, il a été successivement directeur de la Mission d’aménagement régional de la Guinée
(MARG) puis, comme cadre permanent de l’OCDE, directeur du Projet Sardaigne et enfin à
partir de 1965, responsable de la commercialisation et du développement économique de la
Mission interministérielle pour l'aménagement touristique du littoral du LanguedocRoussillon. À partir de 1972, le corps des Ponts et chaussées reprend la direction de la ville
nouvelle avec deux ingénieurs des Ponts et chaussées successifs, tout deux « routiers »,
venant pour le premier de la Direction des Travaux publics de Madagascar et pour le second
de l’Organisme technique de mise en valeur des richesses du sous-sol saharien.
Du seul fait du profil et du passé professionnels des premiers directeurs, les villes nouvelles
ne peuvent relever d’une même histoire. Comme plusieurs travaux ont déjà pu le constater, de
72
On parlera de Cergy à la place de Pontoise-Cergy, dénomination employée au début de la Mission et CergyPontoise utilisée après la création de l’Etablissement Public.
73
P. Merlin, L’aménagement de la Région parisienne et les villes nouvelles, Paris, La Documentation française,
1982, p126
74
Pour un premier bilan, L’expérience française des villes nouvelles, Journée d’étude sur les villes nouvelles du
19 avril 1969 à la Fondation nationale des sciences politiques, Paris, A. Colin, 1970
75
Sur les pratiques de l’assistance technique du Ministère de la France d’Outre Mer, nous renvoyons à l’article
de Jean-Charles Fredenucci, « L’entregent colonial des ingénieurs des Ponts et Chaussées dans l’urbanisme des
années 1950-1970 », in Vingtième Siècle, Revue d’histoire, 79, juillet-septembre 2003, p.79-91
27
grandes différences séparent les Missions au plan des compétences, de l’organisation du
travail et des idées76 . Ces différences sont notables tant dans les origines et que dans les
évolutions des EPA. Avec la création en 1970 du Groupe central des villes nouvelles, son
cadre technique et financier77 , avec aussi les effets de la crise économique (perçue par certains
professionnels dès le mois de décembre 1973), les élections municipales de 1977 et l’arrivée
de nouveaux directeurs à la tête des EPA, les pratiques sont–elles devenues plus uniformes ?
Dans une seconde période, au cours des années 1980, avec l’affaiblissement de l’État et la
vague libérale, la nécessité d’une “ commercialisation ” accélérée des villes nouvelles oblige
les EPA à se réorganiser. Ce tournant est- il identique pour les différent s établissements ?
Autrement dit, si le choix des premiers directeurs semble décisif et distingue les Missions les
unes des autres, les différences initiales s’estompent-elles avec le temps ?
Cette partie présente à grands traits les formes initiales d’organisation et les modifications
qu’elles ont subies. Elle s’appuie sur une analyse des archives de trois Missions et EPA (Evry,
Cergy et les Rives de l’Étang-de-Berre) sans que l’on se soit interdit des références à d’autres
cas et à des diagnostics plus généraux (rapports des Finances, rapports pour le SGGCVN,
etc.). L’objectif est de montrer sur quelles questions et sous quels effets les Missions et EPA
ont pu configurer des expériences professionnelles différentes et dans quelles circonstances ils
donnent au contraire à voir un “ milieu ” sinon homogène, du moins lié à une expérience
semblable de l’aménagement. À cette exploration des organisations échappent des
changements plus subtils que les entretiens avec des professionnels ont laissé deviner. Mais
seules des monographies, établissement par établissement, pourraient restituer ces
changements et le vécu qu’en ont eu les acteurs.
I - 1. Fragilité des débuts : les problèmes d’organisation.
Dans le cadre de la déconcentration des services de l’Etat amorcée par le Ministère de
l’Equipement en 1966, les villes nouvelles sont présentées comme “un des endroits où
apparaissent le mieux les problèmes posés par l’adaptation de l’administration à ses tâches
nouvelles ” 78 . À ce titre, elles appartiennent à ce que les contemporains désignent par
“ administrations de mission ” pour les opposer aux “ administrations de gestion ” et souligner
l’originalité de leur organisation et de leurs méthodes de travail 79 .
Les stagiaires de l’ENA qui passent deux à trois mois dans les EPA sont des
observateurs d’autant plus fins du fonctionnement de ces structures que les comparaisons avec
une administration classique sont nettes et que le domaine de l’urbanisme et l’aménagement
est pour eux à découvrir. À leurs yeux en 1971, les EPA sont conformes à l’idée que l’on se
fait d’une administration de mission, capable de conduire des « actions d’innovation et de
création » pour une « urbanisation concertée et rationnelle ». Dans de tels organismes,
76
Par exemple J.M. Boyer, La programmation urbaine… op. cit
Un discours de la méthode est progressivement élaboré par le Groupe interministériel des villes nouvelles (le
Groupe central des villes nouvelles est créé en 1970) et par la Direction de l’aménagement foncier et de
l’urbanisme (DAFU avec le Bureau des villes nouvelles constitué en 1967).
78
Gérard de Senneville, Discours d’accueil des stagiaires de l’ENA, SGGCVN, juin 1970, Archives nationales
(AN), CAC 910585/9.
79
J.-E. Roullier, Note à l’attention des messieurs les directeurs des EPA et des Missions d’études et
d’aménagement des villes nouvelles, 19 octobre 1971, A.N. CAC 910585/9
77
28
«‘ l’exigence de pluridisciplinarité et de travail en commun s’impose à tous et modifie les
relations de travail et de hiérarchie » 80 . Le souci de méthode y est aussi très présent.
Un bureau de la méthode, attaché directement au chef de la Mission de la ville nouvelle de
Trappes apparaît de manière furtive dans un organigramme de 1969 81 . Il en est de même à
Cergy où une note sur “ l’organisation de la mission ” prévoit en 1969 une cellule
“ Organisation- méthodes ”, attachée elle aussi au directeur, mais qui ne semble pas avoir eu
d’existence effective 82 . L’impératif de méthode est alors diffus dans l’administration en
général et dans les milieux de l’urbanisme et de l’aménagement en particulier. C’est le cas
dans des organismes créés par le jeune ministère de l’Équipement, comme le Service
Technique Central d’Aménagement et d’Urbanisme (STCAU, créé en 1966 et disparu peu
après les évènements de mai 1968)83 .
Au-delà de tels affichages, « tout est à faire » dans les villes nouvelles au cours de la
deuxième moitié des années 60 84 . Les temps sont encore incertains, du fait notamment des
attaques lancées contre l’idée et la manière de conduire la politique des villes nouvelles (des
critiques feutrées de E. Pisani aux charges féroces de A. Chalendon85 ). Chacun dans les
Missions perçoit par ailleurs que cette politique est un « défi » ou un « pari » 86 que les divers
moyens nécessaires à la conception comme à la construction de ces villes sont encore à penser
et à réunir. Les difficultés sont d’ordre pratique et d’ordre intellectuel. Le travail souffre
d’abord de conditions matérielles précaires (locaux provisoires, difficultés d’accès aux lieux
de travail). Dans sa thèse, J.-M. Boyer a ensuite fort utilement souligné les difficultés
conceptuelles auxquelles sont confrontées les premières équipes des Missions d’études 87 .
Leurs questions sont épineuses : Comment transformer des projets régionaux en projets
urbains ? Comment traduire en termes d’aménagement des « pôles de croissance » ou des
« centres urbains régionaux » tels qu’ils sont envisagés dans les schémas d’armature urbaine
ou schémas directeurs? 88 Les références sont limitées au monde anglo-saxon ou à ce que l’on
croit en savoir. Sur les centres urbains, les ressources documentaires sont faibles ou d’origine
administrative ; les études sont « quantitatives et redondantes », affirme J.-M. Boyer.
Autrement dit, l’outillage conceptuel, culturel et méthodologique reste à constituer.
D’un autre côté, les organes susceptibles de mener à bien ces tâches sont en germe. Les
équipes sont constituées quatre à cinq ans avant la création officielle des EPA ; ce sont quatre
ou cinq ans de débat sur les institutions, d’“ évènements ” qui provoquent nombre de
80
Rapport de D. Hangard, stage d’octobre à décembre 1971. Plusieurs rapports de stage sont réunis dans AD 95,
1072W/288W3C.
81
Organigramme de la mission d’études et d’aménagement de la ville nouvelle de Trappes, 1969 (archives de
l’EPASQY)
82
Note du 8 avril 1969, AD 95, 1315W/67W71
83
D. Moucias, « Organisation et méthodes », in J.-M. Auby et alii, Traité de science administrative, Paris -La
Haye, Mouton, 1966, 531-584 ; Claude V., Les fonctions “études” et l’administration de l’urbanisme : fonction
centrale contre fonction diffuse (1954-1969), École d’Architecture de Strasbourg, ENSAIS, (pour le compte du
Plan Construction et Architecture et de la Direction de la Recherche et des Affaires Scientifiques et Techniques),
Paris, MELT, juin 1994.
84
Sur ce point, le témoignage de Bernard Hirsch est particulièrement éclairant.
85
Discours de E. Pisani présentant le projet de budget 1967 du ministère de l'Équipement à l'Assemblée
nationale, Le Moniteur des travaux publics et du bâtiment, 12.11.1966, 24-27. Et les témoignages de P.
Delouvrier, B. Hirsch, etc.
86
Entretien avec D. Becker en particulier.
87
J.M. Boyer, La programmation urbaine…op.cit p19-43
88
À partir du succès rencontré par les recherches de François Perroux, F. Perroux, « Note sur la théorie des pôles
de croissance », Économie appliquée, n°1-2, 1955, 307-320
29
perturbations et de remises en cause dans les organisations, les relations hiérarchiques, les
conditions de travail. Le milieu de l’aménagement – c’est-à-dire l’ensemble du personnel
d’études, de conception et de mise en œuvre opérationnelle comprenant les agents ayant une
formation universitaire de type sciences humaines et sociales, les architectes, tout comme les
géomètres, ingénieurs, administrateurs et financiers -, a été, en villes nouvelles comme
ailleurs, particulièrement agité en mai 68 89 . Au cours des cinq premières années,
l’environnement qui était tout d’abord favorable à la création de villes nouvelles (grâce à
l’appui du chef du gouvernement Michel Debré) devient plus hostile, surtout après 1968. On
le devine dans les décisions prises au plus haut niveau, suite aux confrontations et désaccords
entre ministres sur la “ force contraignante ” du Schéma directeur de la Région parisienne,
désaccords qui sont arbitrés par Matignon en 1969. On le devine aussi dans l’affaiblissement
de la légitimité de l’administration par rapport au Parlement. En 1969, un haut fonctionnaire
des Finances pose crûment la question : “ Est-il opportun vis-à -vis des élus des
agglomérations existantes de mettre en évidence les crédits affectés aux villes nouvelles, que
personne en dehors de l’administration, n’estime devoir défendre ?” 90 . On le perçoit enfin sur
le terrain local, che z les élus et les agriculteurs directement concernés (longues manifestations
à Cergy, lenteur de l’administration pour décider des indemnisations) comme dans les
relations tendues des Missions avec les Préfectures et avec les jeunes DDE, avides de travaux
neufs et d’honoraires 91 . Ces difficultés minent le travail. Ainsi Bernard Hirsch, directeur de la
Mission de Cergy souligne, dans une note d’octobre 1968 soit deux ans après le début des
études, que l’officialisation des Missions n’est pas encore assurée : “ Sans vouloir insister sur
les problèmes posés par la construction de la ville nouvelle de Pontoise-Cergy, il convient de
rappeler sans commentaires les principales actions à mener, la première étant la
reconnaissance officielle de la ville nouvelle ” 92 . Au printemps 69, ce même directeur est
tenté de démissionner. Au début du processus de réalisation des villes nouvelles, le projet est
donc, comme dans tout projet, entouré de multiples et nombreuses incertitudes. Elles
concernent autant les moyens matériels et intellectuels à mobiliser pour faire ces villes que le
cadre institutionnel et fonctionnel.
Sur les Rives de l’Étang-de-Berre, la situation est particulièrement complexe. D’abord la
constitution effective des Syndicats communautaires d’agglomération (SCA), préalable à la
création de l’Etablissement public s’est fait attendre. En mai 1972, la ville de Fos et le Conseil
Général refusent d’y prendre part. On assiste alors à la « décomposition de la MAEB » 93 .
Parallèlement, des opérateurs privés multiplient sur les franges du périmètre d’intérêt national
des opérations immobilières avec l’accord de la Préfecture de Région, pressée de régler la
question de la pénurie de logements. « Le personnel (de la Mission) mal dirigé, sans moyen et
surtout sans objectif, ressentait de plus en plus cette situation inconfortable. Il perdait de
l’intérêt pour un travail dont il mesurait toute l’inefficacité. En contact avec les problèmes
locaux, il ressentait profondément tous les risques inhérents à la fermeté gouvernementale.
[…] Une bonne partie du personnel se mit en grève réclamant un statut et une résolution
rapide des problèmes en cause » 94 . Devant cette situation, un accord est trouvé entre le
89
Pour Cergy, AD 95, 1461W/294W6D. De façon plus générale pour le milieu des aménageurs, J. VerdesLeroux, Les ‘candidats aménageurs’ dans une organisation en quête de finalité : le Service technique central
d’aménagement et d’urbanisme, Paris, Copédith, 1972.
90
Procès-verbal de la réunion tenue à Matignon le 13.10.1969, AD 95, 1461W/294W8D
91
Dossier “ crise ”, 1969-71, AD 95, 1461W/294W8D
92
L’expérience française des villes nouvelles, op. cit. p39.
93
C. Fischler et B. Paillard, Tendance et contre tendance en Milieu urbain. Le cas du complexe industrialoportuaire de Fos-sur-mer, T II, Fondation Royaumont, Groupe de diagnostic Sociologique, EHESS/CNRS DGRST, décembre 1977, p.82
94
idem, p.83
30
gouvernement et les élus locaux aboutissant à la création d’un SCA ne regroupant que trois
communes : Fos, Istres et Miramas mais rendant possible la mise en place de l’EPAREB, le 6
mars 1973. Celui-ci intervient sur un périmètre non plus composé de sept communes comme
il était prévu à l’origine mais seulement de quatre. Le territoire est éclaté entre deux secteurs
géographiques distant d’une trentaine de kilomètres : le secteur Ouest pour Istres, Fos et
Miramas et le secteur Est pour Vitrolles. La création de la Mission interministérielle pour
l’aménagement de la Région Fos-Etang de Berre (MIAFEB), le 28 mars 1973, doit suppléer
aux carences venues de cet état de choses et prendre en charge les autres communes
concernées par l’impact du projet industrialo-portuaire 95 . Elle découle aussi des ambitions de
certains services de l’Etat comme la puissante DDE des Bouches-du-Rhône et la Mission
Régionale engagées, avec la MAEB, depuis la fin des années soixante dans une « lutte intraadministrative » ayant pour enjeu, la domination d’un territoire et la conservation des
prérogatives en matière d’élaboration de documents de planification96 .
Avec ce conflit, le personnel de la MAEB longtemps frustré de tout passage à l’action
opérationnelle, se trouve réduit à un rôle de conseil, selon Michel Ecochard ; il aurait perdu
pour longtemps sa crédibilité vis-à-vis de l’extérieur et notamment vis-à-vis des élus 97 . La
difficile genèse de l’EPA a pour autre conséquence, l’entrée en force des débats et questions
politiques au sein du personnel. Or ce phénomène distingue la situation des Rives de l’Étangde-Berre des villes nouvelles de la Région parisienne. En effet plus que les atermoiements de
l’administration centrale, c’est la forte politisation d’un territoire local tendu entre les mairies
communistes de l’ouest, les villes de la « majorité » à l’est et le puissant parti socialiste via le
Conseil Général et le maire de Marseille qui s’invite au sein de la mission. En 1973, un des
cadres de la MAEB divulgue dans la presse régionale des informations confidentielles sur les
opérations d’urbanisations prévues. La même année un groupe d’agents de la MAEB informe
le chef de cabinet du Maire de Marseille des tractations politiques en cours entre les services
de l’Etat et les collectivités locales des rives de l’étang de Berre 98 . Cette implication politique
du personnel, gagnée aux contacts des élus, est telle qu’au moment de la création de
l’EPAREB et de la MIAFEB, le personnel de la MAEB se distribue entre ces deux
organismes en fonction de l’étiquette politique des Directeurs généraux respectifs et de celle
des communes avec lesquelles ces organismes vont travailler. Ces péripéties et la structuration
du champ politique local qu’elles révèlent - et réveillent – ne se retrouvent pas en région
parisienne. Elles prennent des formes encore différentes dans les autres villes nouvelles.
I – 1.1. Les recrutements : origines et difficultés. Des réinsertions anticipées
Au cours de la période 1965-1972, les Missions puis les Établissements publics recrutent
beaucoup. Constituer une première « équipe » et la diriger – l’animer, la faire vivre, la
95
« La MIAFEB est chargée, sur le territoire de 33 communes de l’Ouest du département, de deux missions
principales : 1/ Programmation sous l’égide du Préfet de Région de toutes les actions interministérielles à
mener dans cette zone et suivi des actions entreprises ; 2/ Production sous l’égide du directeur départemental de
l’équipement des études d’aménagement et d’urbanisme (SDAU et POS) concernant cette zone. Autrement dit la
MIAFEB, mission interministérielle auprès du Préfet de région, prête son concours à la DDE et remplit le rôle
du groupe d’études et de programmation traditionnel sur 33 communes de l’Ouest du département », in DDE
des Bouches du Rhône, Note sur la MIAFEB, Marseille le 2 mars 1976 (archives DDE 13)
96
A. Fourest, Fos, reflet de la civilisation en crise, ronéoté 1973, 166 p. (cité par B. Paillard et C. Fischler,
op.cit., p.56-57)
97
Entretien avec J. Ecochard
98
Entretien avec A. Fourest
31
« manager « - est une tâche à plusieurs égards délicate pour les responsables des Missions. Ils
soupçonnent que les choix seront lourds de conséquences. « Il y a un pari quand on recrute…
sur les hommes, sur les compétences, le caractère, la capacité de travail en équipe, la
capacité de dialogue. Mais c’était une bonne école… Il y avait des tempéraments mais aussi
des convictions qui étaient parfois politiques. Il a fallu maîtriser un peu tout ça pour que
chacun reste un petit peu à sa place dans le dispositif d’ensemble », se rappelle Dominique
Becker (33 ans en 1970) 99 . Pour les personnes recrutées, il en est de même : nombre d’entre
elles pressentent qu’ils vont devoir tout apprendre et, si ce n’est pas le cas, ils découvrent vite
qu’ils doivent faire leur preuve. De ce point de vue, intégrer avec souvent beaucoup
d’enthousiasme, une équipe en voie de constitution dans les années 65-70, n’est guère
comparable avec l’expérience de celui, ou celle, qui prend ses fonctions dans les années 80 ou
90 et qui peut avoir l’impression de rentrer dans un « cocon »100 . Dans les Missions, le
processus « d’acculturation » et « d’appropriation collective du projet » demandera du temps
et rencontrera parfois des difficultés, par exemple à la MAEB101 . Qui plus est, le contexte de
la fin des années 60 et du début des années 70 favorise les discussions tous azimuts, parfois
des amitiés durables. De cette époque, la mémoire est souvent heureuse, car c’était aussi « la
bande de copains qui travaillaient ensemble… qui apprenaient à travailler ensemble » 102 .
Les origines
Qu’est ce qui réunit ces hommes (et quelques femmes) qui se trouvent engagés dans les
Missions ? Les premiers recrutements passent par des voies très diverses : petites annonces
dans les revues professionnelles (pour des profils rares de sociologues ou de paysagistes que
l’on suppose plus difficiles à repérer pour les responsables), candidatures spontanées pour
ceux qui sont quelque peu informés des projets, relais amicaux et/ou familiaux, réseaux
professionnels. Sur ce versant professionnel, les entretiens ont fait apparaître d’un côté des
filières (de formation ou d’activité professionnelle), de l’autre ce que l’on appellerait plutôt
des affinités qui dépassent les qualifications ou compétences professionnelles :
•
•
•
Une filière américaine qui se constitue autour de jeunes diplômés partis Outre-atlantique
se former au « planning » ou à l’économie spatiale. Ils découvrent des « méthodes » et
font l’apprentissage de « pratiques concrètes sur le terrain » 103 . « C’est là -bas où on
apprend vraiment », nous dit l’un de ces anciens étudiants parti à l’Université de
Pennsylvanie, après un passage décevant à l’Institut d’urbanisme de l’Université de
Paris 104 .
Une filière plus classique qui passe par les établissements de formation (ENPC, ESSEC,
École des Beaux-Arts, ENSAIStrasbourg) ; on peut relever que l’origine d’une
candidature dans les Missions n’est jamais l’université et les rares institutions dispensant
des cours en urbanisme (IUUP, ASTG) sont très rarement citées.
Une filière à caractère plus professionnel qui passe par le milieu qui gravite autour de
l’IAURP et par les études qui en sortent, car le SDAU de la Région Parisienne est
disponible en librairie et a suscité quelques candidatures.
99
Entretien avec D. Becker
Entretiens avec P. Clementi et P.Lelarge
101
Entretien avec D. Becker
102
Entretien avec G. Plaisant
103
Entretien avec S. Goldberg
104
Entretien avec J.-P. Loevenbruck. Sur les formations en urbanisme, voir en fin de volume, les tableaux
regroupant les données chiffrées pour les trois villes nouvelles et sur toute la période.
100
32
•
Dans un second temps, au début des années 70, le réseau des villes nouvelles lui- même
(Bureau des villes nouvelles de la DAFU, SGGCVN) jouera ce rôle de source de
recrutement en permettant par exemple de compléter l’équipe de la MAEB et de
l’EPAREB.
Au-delà de cette géographie qui fournit les divers chemins empruntés par les candidats pour
intégrer les Missions, le recrutement passe aussi par des points communs : pour les hommes
de 30 ans (puisque les femmes sont très rares), l’expérience de l’Algérie avant et après
l’indépendance ou de la coopération en Afrique n’est pas rare dans les années 60. La part du
personnel cadre ayant effectué un passage Outre-Mer au sein de l’administration coloniale ou
dans le cadre de la coopération technique, notamment comme volontaire du service national
(VSN) représente au cours des années soixante et soixante et dix, 22% à l’EPEVRY, 24% à
l’EPAREB, et 30% à l’EPAVNCP105 . Le détour Outre-mer pèse fortement sur la sélection des
hommes à la Mission de Trappes, mais aussi à Cergy où ce type d’expérience est recherché.
Les chefs des Missions cherchent à tirer parti du fait que ces hommes « savent se débrouiller
avec rien », « gérer la précarité », « prendre des responsabilités » qui vont au-delà de ce
qu’ils sont censés savoir faire 106 . Leur activité en brousse est d’ailleurs évoquée comme une
période de formation intense dont ils ne mesurent l’importance qu’après coup 107 .
Autre caractéristique qui traverse bien des propos et qui explique les motivations : ces
candidats ont eu « envie de faire », de « créer », d’être « dans l’action », d’être « là où il se
passe quelque chose », de « faire des études qui servent » et pas seulement du « papier », ou
encore de pouvoir « maîtriser la totalité du processus de production » d’une ville. Les plus
universitaires d’entre eux – certains sont engagés dans des thèses, mais ne se sentent pas
l’âme suffisamment universitaire -, veulent « être en prise avec la réalité ». De leur côté, les
candidats qui sont fonctionnaires répugnent à l’idée de se retrouver dans des bureaux et de
subir les lourdeurs administratives tandis que les architectes et les géomètres sont, soit trop
jeunes ou trop peu fortunés pour monter leur propre agence, soit hostiles au statut de la
profession libérale. Au moins pour les architectes, cette hostilité n’est pas générale, le secteur
public et le salariat étant généralement regardés par la profession avec quelque mépris 108 .
Pour ce qui est des expériences antérieures, on distingue deux groupes avec entre les deux une
série de situations intermédiaires. D’un côté ceux qui ignorent tout de l’urbanisme et de
l’aménagement. De l’autre ceux qui en ont déjà une connaissance parfois une première
pratique.
Dans le premier groupe, les personnes disent avoir eu « tout à apprendre » dans les Missions
et les EPA, même si elles ont d’autres expériences qui vont leur être utiles : certains
connaissent le monde agricole et ses « préoccupations » et sauront plus tard mener « d’âpres
négociations » dans les acquisitions foncières, d’autres apprennent les aspects pratiques de
leur formation initiale sur des chantiers ou dans des bureaux d’études techniques, dans des
agences d’architecture où sont intégrés des ingénieurs, d’autres encore ont acquis quelques
compétences dans la recherche, l’enseignement supérieur ou l’animation socioculturelle
prenant goût au travail d’études, à la « pédagogie » voire à la « concertation ». Quelques-uns
105
Base de données des parcours professionnels des agents cadres des MEAVN et EPAVN.
Entretien avec M. Colot, M. Bloch, R. Varret.
107
Entretiens avec M. Bloch et G. Plaisant en particulier. Pour l’expérience de la brousse chez les
administrateurs et ingénieurs d’Outre-mer, voir J.-C. Fredenucci, art.cit.
108
Entretien avec A. Mathieu. Sur l’habitus professionnel des architectes, on peut rappeler une étude réalisée au
début des années 1970, B. Lamy et M.Robirosa, Evolution de la profession d’architecte, Paris, CSU, 1976.
106
33
signalent que leurs engagements politiques ou associatifs ont marqué leur adolescence ou
entrée dans la vie professionne lle. L’apprentissage passe par une phase d’observation. C’est à
l’EPASQY que Gérard Cousson (formation d’économiste « économètre », 27 ans en 1975)
découvre l’aménagement : « Au début j’apprends mon métier d’aménageur, comment on
réfléchit, d’où viennent les sous, les flux financiers, comment on convainc…». À l’EPALE,
Jean-Yves Debost (formation d’économiste « littéraire », 31 ans en 1975) prend un poste de
chargé d’études sans savoir ce qui l’attend : « la mise en œ uvre d’un projet avec des objectifs
et des moyens », « la dimension opérationnelle », « le travail avec des architectes et des
ingénieurs », « l’équipe pluridisciplinaire ».
À côté de ceux qui disent ne « rien y connaître », le groupe des praticiens avertis est composé
de personnes ayant eu des activités dans l’administration du jeune ministère de l’Equipement,
en bureau d’études, en agence d’urbanisme, à l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR) ou dans
des SEM du réseau de la SCET. Peu nombreux sont les anciens étudiants – ou simples
auditeurs - de l’Institut d’urbanisme de Paris qui attire surtout des architectes et tout aussi
rares les anciens élèves de l’Atelier et séminaire Tony Garnier, Atelier qui pourtant « fait
découvrir le travail pluridisciplinaire, ce qui en 1967-68, n’était pas courant »109 . Par
ailleurs, si dans la région parisienne, « les recrutés venaient rarement des sociétés
d’aménagement, comme le groupe de la SCET »110 , on en compte quelques-uns à Evry (8%)
et à Cergy (4%) 111 . Sur les Rives de l’Étang-de-Berre, la situation est différente. Le chef de
mission ne bénéficie pas d’une pépinière du type de l’IAURP qui essaime alors jusqu’à Rouen
(à la Mission Basse-Seine). Fort de son expérience à la Mission interministérielle pour
l'aménagement touristique du littoral du Languedoc-Roussillon, notamment dans « la
coordination de l'action des SEM en matière de commercialisation de terrains » 112 , J.
Girardet recrute une part de son personnel dans les réseaux de la SCET. Dès lors sur
l’ensemble de la décennie soixante et dix, 14% des agents cadres de l’organisme viennent de
ce réseau113 .
Ce faisant, ceux qui ont déjà certaines qualifications sont tout comme les néophytes en
apprentissage. Certains procèdent d’ailleurs par imitation. À la Mission Basse Seine, Alain
Sallez (formation d’économiste, 30 ans en arrivant à la Mission) nouveau responsable des
études générales reproduit ce qu’il a vu à l’IAURP : « Je m’étais mis dans la peau de Serge
Goldberg », dit- il aujourd’hui114 .
Les difficultés de recrutement
Les organismes rencontrent de “ très sérieuses difficultés ” d’abord à trouver les personnes
qualifiées nécessaires, et ensuite à les conserver, le personnel n’étant pas aussi « stable »
qu’on a pu le croire 115 . Ainsi note-t-on un turn-over important à la MEAVN d’Evry : sur 64
agents (toute catégories confondues) ayant travaillé à la mission au cours de la période 1965-
109
Entretien avec M. Redor
Entretien avec P. Linden
111
Base de données des parcours professionnels des agents cadres des MEAVN et EPAVN.
112
Dossier du personnel de Jacques Girardet (archives du personnel de la MEAVN de Marne la Vallée- Archives
de l’AFTRP)
113
Base de données des parcours professionnels des agents cadres des MEAVN et EPAVN
114
Entretien avec A. Sallez. S. Goldberg est responsable des études à l’IAURP de 1960 à 1968
115
Rapport d’activité de la mission d’Évry pour l’année 1968 AD 95 1086W/60W86C. La stabilité du personnel
est qualifiée de « remarquable » par J.M. Boyer, La programmation … op.cit. p105
110
34
1970, on compte 17 départs (38%), qui concernent d’ailleurs exclusivement le personnel
détaché de l’IAURP.
De manière générale, les compétences sont difficiles à attirer. Les Missions manquent
constamment par exemple de dessinateurs. À Cergy comme à Evry, les directeurs généraux
s’alarment aussi du défaut de rédacteurs et font appel aux retraités de l’armée. Certains postes
sont donc difficiles à pourvoir. Si “ les candidatures se manifestent plutôt pour les emplois de
cadres ”, le recrutement du personnel d’exécution se fait par voie d’annonces ou d’offres
d’emploi116 . Le rapport de Jean Werquin fait état de la difficulté à trouver des ingénieurs des
Travaux publics de l'État, des conducteurs de travaux et des économistes. Il n’en est pas de
même pour les architectes dont “les candidatures sont nombreuses ”. Toujours selon J.
Werquin, les villes nouvelles de la Région parisienne rencontrent moins de difficultés car
elles bénéficient d’un bassin d’emploi plus large à la différence des Rives de l’Etang-de-Berre
ou du Vaudreuil. Pourtant, même en région parisienne, les problèmes de recrutement sont
épineux. Les Directeurs généraux les expliquent par les mauvais moyens de communication
avec la capitale ou par la réticence de certains candidats à venir vivre au milieu des champs ou
des chantiers.
Les difficultés de recrutement touchent donc dans cette période initiale tous les métiers,
exception faite des architectes. D’autres questions restent longtemps non résolues (règlement
du personnel, mobilité, promotion). L’hétérogénéité du personnel (origines et statuts) ne
facilite pas les choses.
En ce qui concerne la mobilité du personnel, elle est souhaitée en 1974 tant par les directeurs
des EPA, que par les représentants du personnel qui désirent la voir s’étendre au plus grand
nombre d’organismes. Depuis avril 1969, on attend à Cergy la rédaction définitive du
règlement des personnels qui prévoit la possibilité de passer d’un établissement public à
l’autre et qui est alors annoncée comme “ probable ”. La mobilité est en outre un enjeu
interne, une promesse d’ascension professionnelle, l’ouverture de nouveaux postes devant être
aux yeux du personnel l’occasion de “ promotion sociale interne ” 117 . Elle l’est encore à Évry
au début des années 80 118 . J. Werquin traite, en 1974, la question du devenir des agents – ou
de la fin des établissements - en préconisant la mobilité119 . Selon lui, celle-ci devrait être
favorisée du fait “ du statut entre organismes similaires ” et grâce “ au maintien des
avantages acquis en ancienneté et en rémunération ”. La mobilité n’est pas seulement une
solution pour l’avenir professionnel individuel. C’est aussi un gage de renouvellement pour
les organismes, un moyen de faire avancer les pratiques et les idées. C’est notamment vrai
pour les architectes- urbanistes qui sont supposés perdre leur capacité créative avec l'âge et la
sédentarisation120 . Par ailleurs, il est important de “ prévoir la période encore lointaine où
certains EPA auront réalisé l’essentiel de leur programme ”. En 1974, la fermeture de l’EPA
de Lille est déjà envisagée et fixée pour 1984.
116
A l’aune de son expérience ultérieure en collectivité locale, Michel Gaillard note la difficulté au sein de
l’EPAVNCP au cours des années soixante et dix à motiver un personnel d’exécution et de maîtrise peu valorisé
dans des organismes composés en majorité de cadres. Entretien avec M. Gaillard.
117
Assemblées générales du personnel, période 1968-1974 AD 95, 1086W/60W86D
118
Comité d’entreprise de l’EPEVRY du 16.12.1982, AD 91, 1522W/34
119
J. Werquin , op.cit., p.p. 31-32
120
Ibid.
35
Des réinsertions anticipées
La question du devenir du personnel est constamment posée au sein des EPA. Dès leur arrivée
à la Mission de Trappes, les agents sont prévenus par le Directeur que la Mission puis l’EPA
n’auront qu’un temps 121 . Si cette question de la précarité agite les syndicats, elle devient
cruciale au début des années 80. À Evry, suite à la loi du 13 juillet 1983, la question est posée
en termes concrets. Dans l’accord d’entreprise du 4 juillet 1984 122 , la fermeture de
l’Établissement est prévue aux environs de 1990 et, dans le plan social, il est question de la
mise en œuvre d’une “ politique d’essaimage ” du personnel. Cette formule, utilisée dans les
années 60 par l’Association des Ingénieurs des Ponts et des Mines, désignait la mise à
disposition des ingénieurs dans les organismes internationaux123 . En reprenant ce terme, le
directeur général de l’EPEVRY invite le personnel à reconquérir le paysage professionnel de
l’aménagement. Cette politique comporte trois volets : la possibilité de mise en disponibilité
de 6 mois pour exercer une activité professionnelle de manière expérimentale, la formation
permanente et une réforme des niveaux d’indemnités. Cette politique d’essaimage n’a guère
produit les effets escomptés, si on en croit le rapport de Roland Peylet en 1995, où il est
encore question d’activer la mobilité pour le personnel, notamment d’un EPA à l’autre 124 .
L’indépendance des EPA les uns par rapport aux autres est patente tant en ce qui concerne les
styles de direction, les idées débattues, les organisations mises en place qu’en ce qui concerne
le mode de recrutement et la gestion des personnels. En 1968-70, les discussions qui se
tiennent autour des statuts des établissements et du règlement des personnels ne laissaient pas
prévoir des fonctionnements aussi distincts. Cet état de choses a rendu la mobilité du
personnel entre EPA impossible.
I – 1.2. Un chantier incessant : les organigrammes
Cergy : « L’impossible organigramme »
° Une administration de “ mission ” telle que prônée par E. Pisani….
En juin 1968, la “ philosophie opérationnelle ” sur les structures distingue à la MAE de Cergy
le provisoire et le moyen terme 125 . Cette philosophie qui est manifestement imprégnée des
premières leçons de management et du "modèle de l’état- major" très en vogue au sein du
ministère de l’Équipement, a pour auteur soit le Directeur général qui a été directement visé
par les “ critiques de l’organisation de la mission ”, soit le responsable du “ service
opérationnel ” qui est, comme le précédent, ingénieur des Ponts et chaussées. L’auteur
121
Entretien avec G. Cousson.
Dossier du personnel de H.M., AD 91, 1522W/8
123
PCM - Groupe d’études générales, Modifications éventuelles à apporter à notre organisation générale, Paris
24 mai 1956 (CAC 9930150/29)
124
R. Peylet, Rapport du groupe de travail sur la situation et les perspectives des établissements publics
d'aménagement, ministère de l'équipement, 9 février 1995, p22
125
Le Bilan des travaux de l’Assemblée générale de la Mission du 20 mai au 5 juin 1968 a fait l’objet d’un
document en date du 7.06.1968 qui fait la synthèse des thèmes abordés durant cette période. Ce bilan annonce
dans son point 3 le thème de la “ critique de l’organisation passée de la mission ”, sans qu’il y ait d’autres
développements. Peut être le bilan ne fut-il pas établi, peut être ce chapitre fut-il mis à l’écart dans la source que
nous avons pu consulter qui constitue une part des archives personnelles du directeur général versées aux
archives départementales, AD 95, 1072W-288W6B. Le directeur général a laissé dans ces archives des
“ brouillons ” d’organigramme, dessinés peut être lors de ces assemblées générales. Ils sont très similaires à ce
que l’on trouve dans la note suivante. La formule « philosophie opérationnelle » est utilisée dans ce bilan.
122
36
expose à cette date à la fois les incertitudes du moment – les débuts de la ville nouvelle et les
“ évènements ” de mai – en même temps qu’il envisage une stratégie d’action126 .
Selon ce responsable, le travail de la Mission consiste à “ effectuer des études
opérationnelles, c’est-à -dire susceptibles d’être mises en œ uvre et d’aider à cette
réalisation ”. Deux aspects sont alors à prendre en compte : l’élaboration des études et la
commercialisation de la ville nouvelle. Dans le premier cas, cela touche : “ la planification et
l’ordonnancement, l’urbanisme, les infrastructures et les transports, la programmation, les
études juridiques et financières, les études de mise en forme ”. Quant à la commercialisation,
elle consiste dans “ la recherche des emplois (administration, industrie, les bureaux, les
artisans), la recherche de promoteurs (logements, bureaux, commerces, loisirs) et la
recherche des habitants ”.
Pour mener à bien ces tâches, la structure interne de la mission doit reposer sur “ des
principes d’organisation ” qui sont :
•
•
•
•
•
•
•
“ nécessité d’une structure interne claire et simple,
adaptation de la structure aux tâches à accomplir et aux interlocuteurs probables,
nécessité de réunions de coordination (par créations de divers comités) et de rapports de
contrôle : car la structure étant simple, certaines liaisons manquent et donc l’information
ne peut s’échanger qu’au cours de réunions,
décider entre structure fonctionnelle et structure territoriale,
un responsable unique par affaire : unité d’interlocuteur,
principe de hiérarchie : c’est-à -dire pas de court-circuitage,
connaissance globale et responsable de l’ensemble de la VN pour chaque individu ”.
Mais “ considérant le caractère difficile et incertain de l’entreprise (cf. situation politique) ”,
les concepts habituels d’organisation ne peuvent être appliqués tels quels, il faut les “ adapter
à la situation ”. Dès lors il est proposé de procéder en deux temps, “ de créer une structure
provisoire dans un premier temps (durant 1 ou 2 ans, alors que le schéma directeur sera
révisé et que des décisions enfin effectives seront prises) avant d’établir une structure à la
taille d’une ville nouvelle de 400 000 habitants ”.
Les deux structures sont présentées ainsi :
“ St ruct ure prov isoire
La situation politique actuelle, l’inexpérience de la plupart des membres de la mission, le
plan de charge effectif des membres de la mission, mettent en évidence la nécessité et l’intérêt
de concentrer l’effort sur un objet limité et qui a déjà démarré (situation donc irréversible, cf.
acquisitions foncières) : le quartier de la Préfecture. On est conduit à préconiser une
structure territoriale dont une cellule est hypertrophiée 127 :
126
Note du responsable du service opérationnel en date du 17.6.68 AD 95, 1382W/174W40B. Nous
reproduisons dans ces détails cette note car, outre son intérêt intrinsèque, la formalisation faite par l'auteur peut
servir de "référence" pour l'analyse d'autres cas de figure (les mots soulignés le sont dans la note). Les schémas
reprennent ceux de la note.
127
Le sens des abréviations est (en principe) le suivant : D. : Direction ; Q. de P. : quartier de la Préfecture ; B.L.
Base de loisirs ; Z.I. : Zone industrielle. Les pourcentages correspondent probablement à la répartition des
effectifs
37
(administration, finance, foncier, juridique,
études générales, planific.)
État-major
D.
Q. de
P.
70%
B. L.
Z.I.
10%
Éragny
10%
5%
St ruct ure à moyen t erme
On suppose maintenant que la ville nouvelle dans son ensemble peut être lancée avec des
chances égales dans toutes ses parties. Une structure fonctionnelle paraît alors la meilleure
solution. Ceci pour deux raisons principales :
•
il convient que la planification et la “commercialisation” de sections comme les emplois,
les commerces, les logements se fassent de façon cohérente et continue sur l’ensemble de
la ville : il faut donc un responsable unique par fonction ;
•
chaque chef de fonction a une vue globale de la ville et se sent responsable de son
ensemble. Il n’y a donc pas abandon de certains secteurs au profit d’autres (cette
responsabilité fonctionnelle ne saurait être doublée par une responsabilité territoriale qui
divise l’autorité et donc l’unité de vue et surtout l’efficacité) ”
politique d’ensemble
planification générale
État
major
D.
Départements opérationnels
Emplois
Logements
Commerce
Adm. contrôle de
l’État et
avancement des
projets
Finance,
juridique, études
générales
Equipements
Infra
Architectes
Transports
Composition urbaine
Circulation
Engineering
Construction
38
Cette “ philosophie opérationnelle ” - la transformation d’une organisation territoriale en une
organisation fonctionnelle - semble avoir pris cette forme dans les grandes lignes. Si en 196869, l’organisation de la mission repose sur la division du territoire 128 , deux changements ont
lieu après 1970 (création de l’EPA) stabilisant durablement l’organigramme : d’abord
l’intégration de l’organisation territoriale dans une organisation fonctionnelle, ensuite un
accroissement progressif de la part du personnel en charge des questions administratives,
juridiques et financières.
° … mais qui reste informelle ou implicite,
Si l’on en croit les stagiaires de l’ENA qui passent quelques semaines à l’EPA dans les années
70, Cergy est un “ modèle ” d’administration de mission. Le sens de ce type d’administration
tient selon l’un d’eux à ce qu’elle a “ pour première fonction de penser ”129 . Comparant cette
expérience avec leur premier stage en Préfecture, ils ont souvent quelque mal à comprendre le
fonctionnement de l’EPA. En même temps qu’ils découvrent, souvent avec enthousiasme, la
pluridisciplinarité, le travail en commun et de nouvelles relations de travail et de hiérarchie,
ils découvrent aussi, comme l’un d’entre eux en 1972, qu’il “ n’existe, intentionnellement,
aucun organigramme officiel ” 130 . Dès lors, le nouveau venu a une “ curieuse impression de
flou et d’imprécision ”. Et le contraste avec l’administration préfectorale quant aux liaisons
hiérarchiques et à la circulation de l’information apparaît immédiatement. Le schéma du
même stagiaire témoigne de cette découverte de la complexité organisationnelle :
PRÉFECTURE
Secrétaire général
ÉTABLISSEMENT PUBLIC
x
Directeur général
x
Directeurs
x
x
Chef de service
x
x
Chefs de bureau
x
x
Chef de bureau
x
x
Agent
x
x
Agent
x
x
“ Dans le premier cas, lit-on en commentaire, les structures sont cloisonnées et aucune
relation horizontale n’existe. Dans le second cas, il n’y a pas en principe de cloison, mais du
fait de la multitude des liaisons, il peut y avoir des oublis et en définitive il n’existe aucune
certitude que des liaisons verticales s’établissent effectivement. La cause du mal pourrait bien
être le manque d’esprit administratif dont l’instauration, si elle était possible, est très
redoutée à l’intérieur de l’établissement ”131 . Même si ce manque d’esprit administratif a
aussi ses avantages, ce stagiaire pronostique que cet état de choses va changer avec la
croissance des effectifs et le développement des tâches de gestion. Selon lui, ces tendances
conduiront à “ éliminer une grande partie des relations informelles et l’esprit d’équipe qui
128
Voir les comités de coordination (ou équipe de direction) depuis le 25.03.1968 AD 95, 1382W/174W40 et les
assemblées générales du personnel depuis le 7.10.1968 ibid. 1086W/60W86D
129
Rapport de A. Deniel sur le stage effectué d’octobre à décembre 1972, p6. AD 95, 1072W/288W3C.
130
Ibid.p1
131
Ibid. p2.
39
règne actuellement, à mieux définir les tâches de chacun. Cette évolution est vivement
ressentie par le personnel pour qui le développement des tâches de gestion signifie
l’instauration de la routine ”. D’autres expriment davantage de scepticisme : “ Un
observateur sans information préalable suffisante pourrait avoir le sentiment de se trouver en
face d’une entreprise ayant en elle-même sa finalité propre ” 132 .
Cette impossibilité d’une organisation stable et formalisée étonne longtemps les regards
administratifs extérieurs. En 1981, il est encore question de “ l’impossible organigramme ” :
“ On est jamais parvenu à l’EPA à dresser un organigramme clair et précis, tant les
recoupements sont fréquents et tant la construction est hétéroclite avec des structures tantôt
verticales, tantôt horizontales, tantôt géographiques, une hiérarchie très floue, des services
réduits à leur plus simple expression (deux ou trois personnes) alors que d’autres sont très
nombreux. Cela ne fait nullement obstacle à l’efficacité du travail, mais au début cela
déconcerte l’observateur. On finit cependant par en comprendre la raison. Depuis l’origine
en effet, l’EPA a connu une év olution très marquée de ses activités ; à mesure que ses tâches
croissaient en étendue et en complexité, ou que leur nature changeait, l’entreprise créait de
nouveaux services et de nouveaux postes, modifiait les anciens, sans jamais opérer de réforme
d’ensemble. D’où l’impression de bric-à -brac. Mais tout le monde s’y retrouve très bien, dans
la mesure où le personnel, étant souvent en fonction depuis plusieurs années, a assisté et
participé à cette évolution ”133 .
Ce « bric-à-brac » est couramment constaté dans les Missions et les EPA. Il faut attendre la
fin des années 70 et surtout le début des années 80 pour voir des changements s’opérer, avec
un objectif affiché de rentabilité, alignant les organigrammes sur un modèle assez semblable.
Ces changements ne sont pas toujours effectués contre les vœux du personnel. En 1984, sur
les Rives de l’Étang-de-Berre, la réorganisation de l’EPAREB doit venir répondre à « ceux
qui souhaitent une définition plus précise de leurs responsabilités », notamment au sein du
service études et programmation134 .
Évry : un déficit organisationnel
° Un fonctionnement de type “ cabinet ministériel ”…
Selon le souvenir des agents ayant travaillé à Evry, la Mission est dès l’origine conforme à ce
qui se passe dans les cabinets ministériels. C’est un mode de fonctionnement qu’a bien connu
le directeur général de cette MEA, ancien conseiller technique au cabinet d’un Ministre de la
Construction (Maziol) puis d’un Secrétaire d’État au Logement (Nungesser), en même temps
qu’il assurait la direction de la Société d’économie mixte d’Etat Massy-Antony : “ La
méthode de commandement était plus proche de celle d’un cabinet que de celle d’une
entreprise. Il n’y avait pas de comité de direction. Notre directeur convoquait dans son
bureau les collaborateurs de son choix, en fonction du sujet qu’il voulait traiter. Il savait
nous mettre en compétition voire en opposition. Il était chaleureux et bon diplomate, donc on
s’en accommodait ”135 .
132
Rapport de A. Collot d’octobre 1973, ibid.
Rapport de stage de B. Ve rlon, janvier-février 1981 ibid.
134
L’organisation générale de l’EPA, 09.01.1984 (archives de l’EPAREB)
135
M.Mottez, Carnets de campagne Evry 1965-2007, Paris, L'Harmattan, 2003, p.28.
133
40
Certes la mission d’Evry comme toutes les MEA n’est pas une administration “ classique ”.
Mais elle se distingue aussi de la version mise en place à la MEA de Cergy-Pontoise. Cette
différence découle peut-être du contexte local ou des directives du SDAU sur ces secteurs.
Elle tient surtout aux profils et expériences des deux directeurs généraux et de leurs adjoints
respectifs. À Evry, on a affaire en effet à deux inspecteurs généraux de la Construction et à la
culture qui s’est développée dans cette administration depuis la Reconstruction. Elle est
percevable dans le soutien appuyé et continu apporté aux architectes au sein de l’EPA, ce dont
témoigne M. Mottez : “ Il respectait les urbanistes et les architectes. Il en avait rencontré,
tout au long de sa carrière, un certain nombre pour lesquels il avait une grande estime.
Probablement de tous les directeurs de villes nouvelles, il était le seul qui arrivait avec un a
priori favorable par rapport à l’équipe d’architectes et d’urbanistes qu’il devait prendre en
main ”136 . D’autres agents soulignent sa « grande sensibilité à la vie urbaine » 137 .
Cette culture de la Construction se perçoit dans les capacités d’écoute et l’art de la
négociation avec les élus. Le Directeur général est vu par ses collaborateurs comme un
“ radical-socialiste d’esprit”138 . Dominée par les architectes et urbanistes en chef, cette
administration de la Construction a été habituée aux rapports avec les élus locaux par le biais
des SEM, pour répondre aux besoins massifs de logements, de la même façon qu’elle a dû
apprendre auparavant à traiter la douloureuse question des dommages de guerre. Cette culture
de l’échange avec les politiques a installé des rapports particulièrement étroits entre la MAE
puis l’EPEVRY et les élus locaux. En témoigne le soin particulier que le Directeur général
André Lalande apporte très tôt (en 1966) à la création du Syndicat intercommunal d’études et
d’aménagement de la région d’Evry (SIARE) regroupant les quatre communes centrales ;
Bondoufle, Ris-Orangis, Evry et Courcouronnes. Ce syndicat est présidé par M. Boscher qui
donnera son nom à la loi sur la création des agglomérations nouvelles (1970).
En 1968 devant l’assemblée des maires de la future ville nouvelle, le directeur de la MEA
d’Evry présente l’organisation de la Mission. Les trois secteurs qu’il distingue sont ceux que
l’on retrouve dans les autres Missions. Ce sont :
•
•
•
“ un atelier d’urbanisme composé d’une dizaine d’architectes urbanistes, de deux
géographes, d’un sociologue et de dessinateurs,
une division technique dont la mission essentielle est de préparer les avant-projets
techniques en liaison étroite avec les urbanistes et, bien entendu, avec la DDE, les
services régionaux et nationaux,
une division administrative composée de fonctionnaires en détachement en général du
MELT et qui a pour but de poursuivre les opérations foncières en liaison avec l’AFTRP et
de prévoir les cahiers des charges et les différents documents administratifs nécessaires à
une opération de cette nature ”139 .
136
J.-P. Laverrière, Et vinrent les bâtisseurs. Histoire de l’EPEVRY, 1991, non publié (AD91-1523W/1543).
Témoignage de André Darmagnac in A. Korganow, P. Mehan et C. Orillard, L’équipement socio-culturel en
ville nouvelle. Les déclinaisons de la formule innovante de l’intégration, Paris, Ecole d’architecture de Paris Malaquais, Laboratoire ACS, rapport intermédiaire, février 2004 (pour le Programme interministériel d’histoire
et d’évaluation des villes nouvelles)
138
J.-P. Laverrière, Et vinrent les bâtisseurs. Histoire de l’EPEVRY, 1991, non publié (AD91-1523W/1543).
139
A. Lalande, séance du 24.06.1968 devant les maires (AD91-1523W/1543).
137
41
Au-delà de son apparence assez simple, cette organisation va dans la pratique quotidienne
subir certaines turbulences. Le fonctionnement général de l’EPA en sera affecté tout au long
des années 70.
°… présentant des carences durables
En 1975 l’organisation de l’EPEVRY a peu évolué malgré la charge croissante de travail et
l’augmentation du personnel. L’organisme fonctionne mal, au point qu’une enquête interne
est menée et que sont mises à plat les « conditions de travail » dans les différents services140 .
Est principalement en cause le système mis en place par son directeur : un atelier d’urbanisme
jeune et puissant, une administration générale traditionnelle et lourde, fonctionnant à l’image
de l’ancienne SEM de Massy-Antony, une pratique de la décision centralisée, obscure et
parfois désuète. Rappelons qu’au cours des années soixante et soixante et dix la part des
agents issus du Ministère de la Construction représente 7% des cadres identifiés à Evry,
contre 2% à Cergy et 3% sur les Rives de l’Etang de Berre141 . Ils occupent plus spécialement
des postes appelant une compétence juridique et réglementaire (« gestion foncière et
réglementaire », « mise au points des règlements d’urbanisme », « gestions des plans »,
« contrôle des permis de construire, etc.) ou administrative (administration générale et
financière, rapports avec les élus).
À Evry, comme l’atteste le “ chrono ” des courriers, le Directeur répond lui- même aux
demandes d’entrepreneurs mais aussi de professions libérales ou de simples commerçants qui
souhaitent s’installer dans la ville nouvelle. De même, son adjoint, R. Baÿ traite directement
avec les opérateurs immobiliers. Le Directeur et son adjoint apparaissent plus âgés et plus
posés que le reste du personnel. Ils donnent de la ville nouvelle une image moins innovante
que celle que l’on pourrait attendre. R. Baÿ dit “ Tonton ” pour les gens de l’EPEVRY …
« était le voisin de quartier d’André Lalande avec lequel il formait une sorte de couple qui se
voyait très souvent. […] Baÿ était son gardien, la personne qui passait son temps à lui éviter
les bourdes qu’il pourrait faire. Chaque fois que nous avancions une idée, il lui disait :
“ Cela ne va pas coller. Tu ne te rends pas compte … ”. Baÿ était donc son collaborateur
direct qui le cadrait et qui lui évitait de se faire emmener trop loin en suivant son instinct
naturel qui le portait à croire en ce que lui disaient la jeunesse, la fougue et la pression que
Delouvrier nous insufflait… […] Il était donc en éternel conflit avec nous par rapport au
combat que nous menions pour un renouvellement de l’urbanisme. Ainsi pour Evry I, … le
jugement de ce concours a été, pour lui un chemin de croix et un calvaire épouvantable, car il
sentait bien que ce projet était contre nature[…]. Comme autre partenaire de son dispositif,
André Lalande a choisi Roger Delmotte, un fonctionnaire de base qu’il avait connu dans le
nord et dont il appréciait la capacité de travail et le dynamisme : il lui confie les services
financiers. Delmotte a monté son service d’une manière très administrative en choisissant
des personnels très différents de nous et qui, donc, ne se sont guère sentis concernés par
l’aventure ” 142 .
140
Nous avons interrogé E.C. Boulakia, sur les raisons de cette campagne d’enquêtes sur l’organisation et les
conditions de travail. Qui en était l’initiateur ? Dans quel contexte ? Pour quelles raisons ? Il n’en garde aucun
souvenir. C’est une illustration des limites et parfois des vides de la mémoire orale.
141
Base de données des parcours professionnels des agents cadres des MEAVN et EPAVN
142
Selon M. Mottez in J.-P. Laverrière, Et vinrent les bâtisseurs. Histoire de l’EPEVRY, 1991, non publié
(AD91-1523W/1543).
42
En 1970, une lettre d’un architecte de l’atelier comme les notes adressées au Directeur par
l’agent comptable en 1974 et signalent les défauts constants de l’organisation de la mission
puis de l’établissement public. Le critique porte sur :
•
•
•
“ un cloisonnement entre les divers services avec des conséquences sur l’efficacité du
travail,
une absence d’un organisateur des études avec pour seule mission de planifier les études,
faire respecter les échéanciers et options afin d’éviter l’improvisation et le coup par coup,
une méthode de travail et d’approche des problèmes qui a vite trouvé sa limite devant la
complexité des problèmes pour laquelle elle n’était pas préparée ” 143 .
En 1980, l’arrivée d’un ingénieur des Ponts et chaussées donnera lieu à une réorganisation
générale de l’EPEVRY sans doute inédite dans l’histoire de l’établissement, après plusieurs
années de dysfonctionnements et dont il restera des séquelles. En 1984, on relève encore « un
fonctionnement administratif […] particulièrement déficient, où les circuits et les liaisons
entre services n’ont jamais été organisés ” 144 .
Ce type de difficultés se retrouve dans d’autres Missions et EPA. En 1970, suite à la demande
d’une jeune diplômée de sciences politiques s’apprêtant à la rentrée 71, à être intégrée à la
MAEB et souhaitant connaître « les tâches qui (lui) seraient réservées », le secrétaire général
lui répond qu’« étant donné le caractère peu structuré de la Mission il est très difficile de (lui)
fixer dès à présent un programme précis » 145 . Au milieu des années 70, Jean Werquin relève
que “ les personnels des EPA réclament des organigrammes ” et qu’ils veulent connaître “ la
définition précise des tâches de chaque poste ”. Il souligne en fait une caractéristique des
Missions et des EPA, soit “ l’inadéquation chronique entre la qualification jugée à la fois
trop précise et inexacte, les statuts du personnel et les tâches effectives des agents”146 . De
manière générale, administration de mission oblige, les organisations et les personnels ont eu
du mal à se stabiliser.
I – 2. Les années 70 : expansion et crise
La décennie 70 est marquée par des évolutions qui paraissent contradictoires. D’un côté les
prolongements de mai 68 et ses libertés se font sentir un certain temps. Il semble par exemple
que la Mission de Cergy ait été fortement ébranlée par les débats de mai et que l’organisation
du travail en ait été durablement modifiée. Ensuite les premiers effets sensibles de la crise
économique sont perçus dès décembre 73. En 1968 il est question à Cergy de tout faire “ pour
rendre la ville nouvelle irréversible dans les mois à venir ”, mais la crise économique de 7374 installe un doute sur cette irréversibilité 147 . C’est vrai à Cergy qui vend des charges
foncières au même prix que La Défense ; c’est vrai aussi autour de l’Étang de Berre où Fos
connaît un coup d’arrêt immédiat 148 . Mais ces changements – voire ces ruptures – ne sont pas
perçus de la même façon. De nos entretiens, il ressort que selon les profils professionnels, les
positions dans les EPA et les sensibilités, cette crise n’a été ni datée ni vécue de manière
143
Lettre de M.L. du 7.06.1970, AD 91, 1522W/15
Note de J.M. du 28.08.1984, AD 91, 1522W/11
145
Lettre du 8 juillet 1970 de M. F. Gaston à Mlle J. Schroeder (archives du personnel de l’EPAREB)
146
J. Werquin, op.cit., p.25
147
Assemblée générale du personnel, 7.10.1968, AD 95 1086W/60W86D
148
Entretien avec J. –P. Loevenbruck pour Cergy et R. Varret pour l’Étang-de-Berre
144
43
identique et les analyses en sont très diverses. De ce point de vue, la date de 1973 n’est pas
aussi pertinente qu’on pourrait le croire dans la périodisation des pratiques des professionnels.
La chronologie “ locale ” a des effets prégnants sur la vie quotidienne. Les agents y sont
immédiatement sensibles. Dans cette chronologie, on trouve des évènements comme la
création officielle des EPA, l'arrivée des autoroutes et du téléphone (en 1969 à Cergy), le
début des premiers gros chantiers (en 1970 à Cergy), la mise en service des premières lignes
de transports en commun, les grands concours (Evry, Cergy), l’arrêt brutal du projet
d’aérotrain vers Cergy (1974) ou l’extinction du deuxième haut- fourneau de l’usine Solmer à
Fos (1976). Il y a aussi de façon très générale, aussi bien en Ile de France que dans le Midi,
les élections municipales de 1977. Dans les mémoires, ces élections marquent le début de la
prise en main des villes nouvelles par les élus locaux. Les licenciements collectifs à
l’EPAREB entre 1978 et 1979, l’annonce de la fermeture des EPA du Vaudreuil et de LilleEst donnent lieu au début des années quatre-vingt à une série d’appels à la grève lancée par
l’intersyndicale CGT-CFDT des EPAVN 149 .
Dans le même temps, cette décennie 70 est celle où tous les EPA sont entrés dans une phase
dite opérationnelle. Il s’agit de construire et donc pour les organismes de se constituer en
aménageurs et en maîtres d’ouvrage. C’est à ce moment-là, lorsque les Missions ne sont plus
des Missions mais des Établissements publics, que les preuves doivent être données des vertus
opérationnelles de l’administration de mission.
I. – 2.1. La perception du retournement des années 70
En décembre 1973, pour le Directeur général de Cergy, il faut “ rester optimiste malgré les
signes défavorables du moment ”150 . L’Établissement doit “ continuer d’acquérir et
d’aménager des terrains et être prêt à l’expansion et non à la récession ”. Dans un premier
temps, la direction générale de l’EPAREB fait la même analyse de la situation. Puis on
observe une série d’inflexions dans la perception du contexte.
Jean-Claude Droin, Directeur général de l’EPAREB annonce en décembre 1973, lors de la
discussion sur l’adoption du budget de 1975 au Conseil d’administration, « une augmentation
des effectifs de plus de 20 unités ». Il pense alors «que les effectifs ainsi portés à 93
correspondent à la « vitesse de croisière » de l’EPAREB » et « envisage en 1976 l’ouverture
de 5 ou 6 postes pour arriver au plafond des besoins » de l’EPA151 . Un an plus tard,
l’optimisme est encore de mise pour le Directeur général qui conclut que « sauf catastrophe
économique, les chiffres des comptes d’aménagement sont fiables. En recettes, les
négociations sont suffisamment avancées dans tous les secteurs pour que les chances de
succès soient possibles à 90% » 152 . En 1975, il affirme dans le préambule à la présentation
des prévisions pour 1976 qu’« il est apparu impensable, compte tenu de la masse des
investissements déjà engagés et des nombreux atouts de la région que le développement
industriel s’arrête brutalement ». En 1976, les mille logements encore vacants du fait de
149
Note de l’intersyndicale CGT-CFDT EPAREB, « EPAREB les licenciements continuent », mai 1979, Lettre
du 31.01.1983 au DG de la section CFDT de l’EPAREB en vue d’un appel à la grève en solidarité avec le
personnel de l’EPALE à la suite de l’appel de l’intersyndicale CGT/CFDT des EPAVN (archives de l’EPAREB)
150
Comité de coordination du 17.12.1973 AD 95, 1086W/60W86C
151
CA du 18.12.1973 de l’EPAREB (archives de l’EPAREB)
152
CA du 18.12.1974 de l’EPAREB (archives de l’EPAREB)
44
l’arrêt de la deuxième tranche de l’usine SOLMER n’inquiètent toujours pas la direction
générale : « M. Droin se montre assez optimiste à ce sujet. Si la reprise économique générale
se confirme, les logements vacants constitueront une sorte de « parc de transit » ». Plus loin il
estime que « le creux de la vague (est) passé en ce qui concerne les industries primaires
installées sur la zone industrialo-portuaire de Fos (avec) la remise en marche du second
haut-fourneau de l’usine SOLMER (qui) reste prévue pour le mois de septembre […] et un
redémarrage (à l’Est) dans le secteur de la chimie» 153 . Il est vrai que les interventions du
directeur général de l’EPA aux séances du CA visent à rassurer les élus des collectivités
locales et territoriales tout comme les financeurs des différent s ministères. Un document de
1976 produit par l’EPAREB, cette fois « à usage interne » 154 , ne désespère pas de l’opération
de Fos dont le développement est dans l’immédiat –VIIème Plan – seulement « ralentie, […]
(mais dont) le caractère du processus […] sera très probablement cyclique »155 . Cette
nouvelle période est perçue comme la « pause » qui suit « la première phase de croissance »,
une « pause qui aurait probablement eu lieu quand même ». Il convient dès lors « de ne pas
exagérer le pessimisme, autant que l’optimisme … dans la période précédente ». En fait « la
crise ne fait qu’accentuer le caractère de « digestion » de la période actuelle ». Pour
l’EPAREB, « le pari à prendre est de faire de cette période, une période de consolidation et
de préparation des structures d’accueil pour faire face à la deuxième vague de
développement de Fos dans des meilleures conditions que la première » 156 . Si les effets
d’entraînement économique tels qu’ils sont quantifiés dans le Schéma directeur
d’aménagement de Marseille de 1969 sont revus à la baisse, l’heure reste à l’attente d’une
inflexion de la conjoncture. À son arrivée en 1979, le nouveau Directeur de l’EPAREB
Lucien Gallas est surpris de la croyance encore forte chez les élus au « séisme de Fos » 157 .
Dans les trois EPA étudiés, le changement de conjoncture ne s’est concrètement traduit que
vers la fin des années 70. Il y a d’abord, recours « systématique à du personnel non budgété
(intérimaire, vacataire, CDD) », ensuite arrêt du recrutement en 1977, et enfin amorce à
l’EPAREB, la même année, d’une vague de départs158 . Ces derniers sont dans un premier
temps, volontaires puis, un an plus tard, prennent la forme d’un licenciement collectif pour
motif économique de 23 agents 159 . En 1977, à Cergy, un licenciement pour cause économique
touche un agent commercial. « Devant l’impossibilité d’atteindre les objectifs fixés (par le
VIIème Plan) en matière de bureaux […] et dans une telle conjoncture, il apparaît que les
perspectives qui avaient conduit au recrutement de M. (assistant d’études à la division
emplois-logements chargé de la commercialisation des bureaux) n’existent plus »160 . Le
basculement du rapport entre entrées et sorties du personnel s’opère ainsi pour les trois EPA
en 1978. Dans nos entretiens, la peur du chômage apparaît à partir de cette période. Le turnover antérieur se trouve ainsi limité. On entre dans une période de repli et de fonctionnement
en « vase clos » pour le personnel des EPA161 .
153
154
CA du 30.06.1976 de l’EPAREB (archives de l’EPAREB)
EPAREB, L’aménagement de l’Ouest de l’Etang de Berre, Bilan-propositions, rapport intermédiaire, 1976,
p.1
155
idem, p.5
idem, p.45
157
Entretien avec L. Gallas
158
Assemblée générale du comité d’établissement de l’EPEVRY du 24.11. 1981 (AD91-1523W/1788)
159
Livre des entrées et des sorties du personnel de l’EPAREB
160
Note de M. Bré concernant le licenciement pour cause économique de M., non daté, probablement 1977
(archives du personnel de l’EPAVNCP)
161
Note du 15.01.1976 d’E.C. Boulakia sur la synthèse des réflexions sur les “ conditions de travail ”,
confidentiel (AD91-1523/787).
156
45
Sur le moment, les contemporains ne sont pas pessimistes. Mais les visions du monde se
déplacent. En 1975, au moment du lancement du projet d’Evry III, le programmateur de
l’EPEVRY évoque de manière optimiste une “ période confuse de transition […] (où) toutes
les possibilités doivent rester ouvertes, car on ne sait pas quelle tendance l’emportera ”162 .
Les “ difficultés du système économique ” sont perçues comme un des éléments
supplémentaires du “ travail de sape interne effectué par la contestation […] face au modèle
bourgeois ” 163 . Il y voit la possibilité d’un nouveau scénario pour l’urbanisme : “ Les
problèmes de la construction et de l’urbanisme n’y seront plus dominés par le quantitatif,
dans un contexte de crise du logement, de reconstruction, de recherche de la spécialisation et
de l’industrialisation, de développement économique et démographique rapide, d’exode rural,
comme ce fut le cas pour la première génération (de l’après-guerre). Le qualitatif devrait y
prendre la première place, dans un contexte de stagnation économique, de chute de la
natalité, d’intérêt pour l’agrément du cadre de vie et d’intolérance progressive à l’égard des
conditions de vie et de travail épuisantes, desséchantes et froides, de défense de
l’environnement et des milieux naturels ” 164 .
Il semble en être différemment deux années plus tard. En 1976, “ la crise est ressentie ” par
l’Atelier au moment de la construction de la Troisième pyramide d’Evry. Celle-ci ne
correspond plus au schéma de départ du fait de la crise immobilière 165 . Les perspectives sont
aussi peu réjouissantes pour le service Promo tion-Emplois chargé de la commercialisation de
terrains à des industriels 166 . En 1979, un rapport d’enquête de l’Inspection des Finances dresse
un tableau sombre de la situation de l’EPEVRY et du développement de la ville nouvelle :
“ Au cours des trois dernières années, la vision que l’établissement avait de son avenir a été
complètement bouleversée. La non-réalisation des prévisions à court terme a conduit à revoir
en baisse les objectifs physiques tandis que la perspective d’un retour à l’équilibre pour 1988
a été définitivement abandonnée, l’activité devant désormais se poursuivre bien au-delà de
cette date ”167 .
Ensuite, même dans la région Ile-de-France, tous les professionnels découvrent « l’intrusion »
du politique. Avec le changement de majorité municipale à Evry et à Courcouronnes en 1977,
porté par des associations locales s’affirme, deux à trois ans plus tard, une nouvelle volonté
politique au sein de l’ÉPEVRY. L’Établissement voit alors son pouvoir se réduire et se
politiser. Un nouveau Directeur gé néral, ayant longtemps appartenu au PSU, est nommé. Il
travaille notamment avec les associations locales avant d’être évincé au moment du
changement de majorité aux élections législatives de 1986. Ce fut une nomination
éminemment « politique » car le départ de M. Colot donnera lieu, si l’on en croit certains
témoins, à “ une chasse aux sorcières après les élections ” 168 . Dès 1976, à Cergy, les
premières expériences des architectes urbanistes sont « mises en cause » dans la nouvelle
Charte du Syndicat communautaire. Celui- ci cherche à limiter le pouvoir de l’EPA et ouvrir
des espaces de « négociation ». « La conséquence (de cet acte politique) fut la remise à zéro
162
A. Darmagnac, Objectifs de mode de vie et directives d’aménagement (pourquoi et construire une ville
nouvelle) –Direction d’étude pour Evry III, document de travail, EPEVRY, Juillet 1975, p.20 (AD911523W/2223).
163
idem, p.23.
164
idem.
165
J.-P. Laverrière, Et vinrent les bâtisseurs. Histoire de l’EPEVRY, 1991, non publié (AD91-1523W/1543).
166
Ibid.
167
F.Jaclot, inspecteur des finances, rapport d’enquête sur l’EPEVRY (instruments de prévision et de contrôle),
juin 1979, p.7 ( AD91-1523W/598).
168
J.-P. Laverrière, Et vinrent les bâtisseurs. Histoire de l’EPEVRY, 1991, non publié (AD91-1523W/1543).
46
de toutes les études générales en cours. » 169 Au remodelage du champ politique vont s’ajouter
les conséquences de la réforme du logement (loi de 1977), notamment la « fragilisation » des
populations accueillies dans le parc social des villes nouvelles 170 .
1.2.2 . L’EPAREB : le renversement de perspective
La crise pétrolière est donc perçue diversement et affecte de plusieurs manières des EPA et
leur territoire. Après 1976-77, c’est autour de l’Étang de Berre que les effets de rupture sont
les plus importants et les plus manifestes. À cette date, on entreprend de « dresser un bilan
critique de six ans d’aménagement à l’Ouest de l’étang de Berre pour dégager les lignes
directrices de la poursuite de cette action » 171 . Le projet industriel qui constituait « la toile de
fond » 172 de l’action de la MAEB puis de l’EPAREB marque « une pause ». Les « effets
d’activation économique » de Fos ont conduit « à une très forte individualisation de la zone
Fos-Etang de Berre comme une région industrielle, aux activités peu diversifiées et au niveau
de service bas » 173 . L’engagement de la deuxième tranche de l’usine Solmer est reporté de
1976 à 1979. Ce différé est considéré comme l’occasion « de sortir l’EPAREB de la sujétion
que représentait l’urgence quantitative découlant des besoins à satisfaire» 174 . Jusque- là,
l’action de l’EPA se traduisait par une entreprise périlleuse de « conciliation (ou
réconciliation) de l’impératif industriel » avec « l’impératif résidentiel » 175 , où les
« contraintes imposées par la distorsion entre l’aménagement industriel, propre à la zone
industrialo-portuaire et l’aménagement résidentiel (urbain et régional), […] (donnaient lieu)
parfois à la conduite hâtive de certaines opérations » 176 . La possibilité est offerte pour l’EPA
de « passer d’une attitude d’accompagnement (du pétrole, de l’acier et pas d’idées) à une
attitude beaucoup plus volontariste »177 , par un repositionnement géographique mais aussi
idéologique.
Reprenant le discours des travaux de l’OREAM sur la « symbiose nécessaire» entre l’Est et
l’Ouest de l’étang de Berre 178 , l’organisme appelle en 1976 à une « approche globale, réaliste
et « désenclavée » de ce problème d’aménagement »179 visant « l’intégration de la ville
nouvelle de Fos dans l’aire métropolitaine marseillaise » 180 . L’avenir n’est plus à l’Ouest et
dans les 20 000 hectares de la deuxième et de la troisième tranche de la zone industrialoportuaire mais à l’Est dans l’expansion de l’agglomération Marseillaise vers les rives de
l’étang de Berre. Dès lors, « il appartient aux aménageurs (comme l’EPAREB) de […]
169
Ce fait est relaté dans M. Gaillard, Les conditions d’exercice de la maîtrise d’œuvre urbaine à Cergy
Pontoise, EPA Cergy-Pontoise, janvier 1986, p29-37
170
Témoignages convergents provenant de divers entretiens en particulier de J.-C. Douvry, M. Gaillard et M.
Lucas.
171
EPAREB, L’aménagement de l’Ouest de l’Etang de Berre, Bilan-propositions, rapport intermédiaire, 1976,
p.2
172
idem, p.5
173
idem.
174
EPAREB, Pré-maquette, Bilans et propositions, non daté, vraisemblablement 1976 (Archives EPAREB),
p.31
175
idem, p.3
176
idem p.1
177
idem, p.42
178
OREAM, Perspectives d’aménagement de l’aire métropolitaine marseillaise (livre blanc), janvier 1969,
p.123
179
idem, p.51
180
EPAREB, Pré-maquette, Bilans et propositions, non daté, vraisemblablement 1976 (Archives EPAREB), p.9
47
faciliter et accélérer les processus autrement très longs » 181 . L’organisation du
développement de « l’aire métropolitaine marseillaise » telle qu’elle est définie dans les
documents de préparation du VIème Plan « autour de deux pôles - l’agglomération
marseillaise et la ZIP de Fos- et qui rendait nécessaire l’urbanisation des Rives de l’étang de
Berre » n’est plus d’actualité 182 . En 1976, « le développement de Fos-Étang de Berre ne
viendra pas par miracle de la ZIP et ne se produira pas sans un sérieux effort de la part de
l’ensemble de l’aire métropolitaine marseillaise à la rencontre de Fos » 183 . La fonction
d’aménagement du territoire de l’EPA ne se définit plus par rapport à un projet industriel qu’il
doit accompagner mais par rapport aux grandes villes de l’Est : Marseille et plus tard Aix-enProvence. Le Directeur général de l’EPAREB lors d’une séance du Conseil d’administration
de l’EPA la même année, répond aux inquiétudes du maire d’Istres sur le « déséquilibre entre
les zones Est et Ouest », et reconnaît que « la Zone Est est plus demandée ». Selon lui, « la
priorité de fait dont a bénéficié le secteur, (vient du) développement par zones concentriques
successives autour de Marseille ». Les communes comme Istres sont orphelines de la ZIP de
Fos et présentées comme participant d’une « troisième couronne » marseillaise 184 . Concernant
ce retournement vers l’Est, rappelons que le 14 février 1977, le préfet des Bouches-du-Rhône
décide de regrouper la MIAFEB et le Groupe d’études et de programmation de la DDE dans
une Mission interministérielle d’aménagement (MIDAM) « intégrée organiquement à la
DDE » et intervenant désormais sur l’ensemble du département 185 . Son directeur, Roger
Damiani, soulignait un an plus tôt dans une note sur l’évolution et le rôle de la MIAFEB : « la
nécessité de renforcer les structures d’études à l’Est du département » en pensant au SDAU
d’Aix186 . Ce déplacement vers l’Est se double d’une réduction des crédits du ministère de
l’Equipement affectés aux études. Cette baisse est amorcée dès 1973 pour la MIAFEB qui
voit ses moyens financiers fondre de 40% entre 1973 et 1976 187 . En fait, le phénomène est
général entre 1975 et 1978, comme a pu l’observer le futur Directeur général de l’EPAREB,
Lucien Gallas qui est alors à la tête de l’agence d’urbanisme de Marseille 188 . Une note en
1976 de la DDE évoque la réintégration de la MIAFEB au sein de la DDE avec l’argument
suivant : « Les charges de la MIAFEB vont décroissantes sur le secteur Ouest […] où les
missions d’études qu’elle assure paraissent maintenant quelque peu ésotériques » 189 .
Renoncer à l’ouest, c’est renoncer au quantitatif, à ces « chiffres aux grandeurs irréalistes du
SDAMM » de 1969 190 . Le point de vue est assez proche de celui de Darmagnac au même
moment à Evry : les actions qualitatives doivent prendre acte des nouvelles populations
concernées. À l’EPAREB, la « rurbanisation » » est présentée comme « un phénomène
structurel avec lequel il faut compter, qui correspond à la fin de la « crise du logement » et
aux nouvelles exigences en matière d’appropriation de l’espace du logement et dont les
181
idem, p.5
VIe Plan, Programme finalisé des VN, sous-programme de la région PACA, décembre 1971 (archives
EPAREB)
183
EPAREB, L’aménagement de l’Ouest de l’Etang de Berre, Bilan-propositions, rapport intermédiaire, 1976,
p.17
184
CA du 30.06.1976 de l’EPAREB
185
La MIDAM à la demande du préfet disparaît effectivement en 1984 par intégration aux services de la DDE.
186
Roger Damiani, Note à l’attention de Monsieur Jean Sriber, directeur du cabinet de Monsieur le Ministre de
l’Equipement, 2 avril 1976 (archives de l’EPAREB)
187
Réflexion sur les organismes d’études et d’aménagement des Bouches -du-Rhône, 16.1.1976, (archives DDE
13)
188
Entretien avec L. Gallas
189
DDE des Bouches du Rhône, Note sur la MIAFEB, Marseille, le 2 mars 1976 (archives DDE 13)
190
EPAREB, L’aménagement de l’Ouest de l’Etang de Berre, Bilan-propositions , rapport intermédiaire, 1976,
p.5
182
48
conséquences urbaines peuvent être tempérées » 191 . Il s’agit à présent « de tenir compte des
désirs qualitatifs des demandeurs », en matière de logements 192 , en « développant
(notamment) des programmes de logements individuels », de promouvoir la « réhabilitation
du patrimoine ancien », d’améliorer aussi « la connaissance du marché du logement », ou, en
matière d’équipements, de donner la priorité de la « gestion » sur « l’investissement ». Ces
nouvelles orientations «impliquent de nouvelles relations, une mentalité nouvelle présidant
aux contacts entre le SCA et l’EPAREB » 193 . La conclusion du bilan appelle donc à une
« mutation qui transformerait l’EPA de l’état d’« aménageur bétonneur » à celui
d’« aménageur gestionnaire » 194 , gagnant la confiance des collectivités encore sous le choc de
la violence de ce qui fait figure d’« opération coloniale » inaboutie 195 . Moins constructeurs et
davantage gestionnaires, les EPA entrent ainsi dans une nouvelle ère de leur histoire.
I. – 2. 3. Des effectifs fluctuants qui sont source d'instabilité
En début de période, on a constaté pour tous les organismes un turn over du personnel
important. À Cergy-Pontoise, les effets sont d'ordre quantitatif (de 1968 à 1971, 1/3 du
personnel est plus ou moins "en partance", de 1969 à 1970 on compte 23 arrivées mais 15
départs) et qualitatif, du fait du départ des premiers "piliers" de la mission, ayant des tâches de
conception, d’assistance technique ou d’interface entre plusieurs “ cellules ”. Si les arrivées
apportent des perturbations, les départs mettent en péril la mémoire du travail parfois son
organisation. Ainsi les liens entre cellules – qu'elles soient territoriales ou fonctionnelles –
sont-ils souvent à recomposer. Ces transformations mettent en relief des positions singulières,
comme celle d’un assistant d’études en 1969, qui est à la fois dans la cellule économie pour
travailler sur le commerce et dans le service opérationnel sur le quartier de la Préfecture à
Cergy-Pontoise.
Pour la fin de l’année 70, on dispose concernant Cergy, de la répartition des personnels selon
les catégories (de I à IV) les âges et les origines 196 . L’EPA compte alors 52 personnes, dont 14
femmes relevant des catégories les plus basses, I et II. L’âge moyen du personnel est de 35
ans. Les quatre personnes détachées sont classées en IIIème et IVème catégories, tandis que les
25 personnes ayant un contrat IAURP et les 14 personnes relevant de l’AFTRP se répartissent
de la Ière à la IVème catégories. En cette fin 70, tous les postes relevant de ces deux organismes
ne sont pas pourvus : en octobre 1968, la mission avait 46 postes relevant des deux
organismes AFTRP et IAURP dont “ 35 occupés ou en instance de l’être ” et allait en obtenir
54 pour la fin 1969 197 .
Catégories
Nombre de Dont
personnes
Femmes
Age
moyen
IAURP
AFTRP
Détachemen
t
Autres
(extérie.)
191
Ibid. p.30
EPAREB, Pré-maquette, Bilans et propositions, non daté, vraisemblablement 1976 (Archives EPAREB),
p.25
193
Idem, p.45
194
Idem p.41
195
Ibid.p.8
196
Tableau d’avancement au 1.01.1971, AD 95 1315W/67W71 (le Directeur général ne figure pas dans ce
tableau, ce qui fait une personne détachée de plus)
197
Assemblée générale du personnel, 7.10.1968, AD 95, 1086W/60W86D
192
49
IV
IV
III
III
II
II
I
I
2ème niveau
1er niv.
2ème niv.
1er niv.
2ème niv.
1er niv.
2ème niv.
1er niv.
1
10
6
11
7
9
5
2
2
2
6
3
1
(41 ans)
38
37
37
31
33
25
31
5
4
7
4
4
1
4
2
1
1
1
2
3
2
1
3
1
2
2
1
On note quelques décalages temporels prévisibles entre la politique de recrutement et la
situation économique générale. Si l’on s’en tient au tableau des entrées et des sorties de
l’EPEVRY198 , c’est en 1973 que l’on atteint à la fois un pic en matière de recrutement avec 16
nouveaux agents et une première année de relatifs grands départs (6) aussitôt équilibré en
1974 (6 entrées). Mais les effets de la crise ne sont pas immédiatement perceptibles dans la
deuxième moitié des années 70. Les effectifs croissent de 8 nouveaux cadres de 1974 à 1978,
départs compris (soit un accroissement de 20,5% par rapport à l’effectif total des cadres de
l’année 1973).
Le rapport de Jean Werquin sur le personnel des villes nouvelles a été effectué pour le
SGGCVN à partir d’une large consultation des agents et des directeurs généraux des missions
et EP et suite aux demandes réitérées des EPA de pouvoir augmenter leurs effectifs. L'auteur
du rapport note en 1974 : “ Les EPAVN n’ont pas atteint leurs effectifs “ de croisière ”199 .
Même pour ceux qui les ont atteints, le nombre annuel de mouvements – entrées et départs –
reste important. Il en résulte que les EP recrutent de manière fréquente”. Il justifie d’autre
part le turn-over du personnel, au “ nom du dynamisme et de l’esprit créateur […]. Sauf dans
certaines fonctions de gestion, ils (les agents des villes nouvelles) ne sont pas destinés à
“ faire carrière ” ” 200 . Pour expliquer le nombre qui demeure élevé de départs, le même
auteur invoque le fait que les agents arrivent trop vite au sommet de l’échelle indiciaire. Selon
des agents interrogés, ce fait constitue effectivement un des motifs de départs dans la première
moitié des années quatre-vingt 201 .
Dès 1971, la part des personnels relevant de l’AFTRP s’accroît. Dans les budgets de
fonctionnement des EPA en Région parisienne, l’augmentation des dépenses de l’AFTRP
provient de “ l’accroissement du personnel à compétence administrative, technique et
financière nécessaire pour faire face aux tâches résultant du caractère de plus en plus
opérationnel des missions et de leurs relations accrues avec les collectivités locales, maîtres
d’ouvrage et avec les constructeurs (entrée en vigueur de la loi Boscher) ” 202 . En 1973, à la
suite de l’intervention du ministère des Finances auprès du ministère de l’Équipement (23
mars 1973), les EPA recherchent activement des compétences administratives et financières et
comptent sur la mobilité pour les obtenir et pouvoir mettre en place “ la politique financière
d’ensemble pour les villes nouvelles ” 203 . Le développement de cette part du personnel des
198
Cf. Volume d’annexes
Cette formule désigne, semble-t-il, l’effectif budgétaire autorisé. Il est par exemple de 100 à Cergy en 1972.
200
Jean Werquin, op.cit., p.3
201
Entretiens avec J.-P. Loevenbruck, C. Guary,etc.
202
Note du 14 février 1972 du préfet de la Région parisienne (Doublet) à la DAFU (MEL) concernant les
budgets des villes nouvelles AD 91 1522W/1
203
Lettre du 23 mars 1973 du ministère des Finances, Lettre du président du GCVN du 13 avril 1973, ibid.
199
50
EPA vient donc à la fois de l'entrée dans la mise en oeuvre effective des projets, du contrôle
plus serré de l’action et de la recherche d’une harmonisation entre villes nouvelles.
I. – 2.4. Quelques autres indices de la crise de “ croissance ” des EPA
Entre 1965 et 69-70, l’incertitude qui plane sur le devenir des missions et la lenteur des
décisions quant au statut des personnels 204 provoquent quelques spéculations chez les
nouvelles recrues (en termes d’horizon de carrières, de revendications des corps). Cette
instabilité est percevable notamment chez les architectes qui multiplient les requêtes ou les
plaintes et qui manifestent ainsi leurs besoins de reconnaissance. Les archives les concernant
sont plus riches que pour d'autres agents du personnel, ce qui donne peut-être une image
déformée de leur place effective dans les missions et les EPA, et peut être plus largement dans
l’histoire de l’urbanisme au cours de cette deuxième moitié du XXème siècle.
Les tensions internes aux missions devenues établissements publics peuvent pour partie être
mises sur le compte du contexte d’ébullition de cette période et sur celui de ces incertitudes.
En Région parisienne, un autre facteur joue : les écarts de statuts et de rémunérations entre les
agents IAURP et AFTRP. De là les grèves qui émaillent le début des années 70 205 . Ainsi au
cours de l'automne 1970, 21 personnes sont en grève sur un total de 46 personnes à Cergy – le
personnel comprend 9 stagiaires et 4 personnes de la direction - : le conflit porte alors sur le
problème des contrats à durée déterminée, la “ politique d’embauche et de licenciement ”, la
“ formation et l’information" ou sur le fait que "les réunions le jeudi à 18h sont anormales".
Les grèves d'octobre 1971, et surtout de juin 1973, sont lancées par solidarité avec le
personnel de l’EPA de Melun-Senart où la “ direction a joué sur la différence de statut
IAURP et AFTRP… ”206 . Cette différence de statuts au sein du personnel a des effets sur
l’organisation et les pratiques professionnelles.
Ces tensions sont aussi le produit des fluctuations et de la croissance des effectifs tout comme
le produit des problèmes d'organisation qui ne facilitent pas le travail quotidien. En 1972, le
directeur du service développement économique de l’EPEVRY évoque dans une note destinée
au Directeur général concernant le recrutement d’un nouvel agent les “ difficultés objectives
de l’entreprise face à la crise de croissance (non encore surmontée) qui est depuis 2 ans le
fait de l’EPEVRY ” 207
Dans son rapport sur le personnel, Jean Werquin est inquiet de l’avancement trop rapide des
professionnels des villes nouvelles. Il propose de réformer le système en vigueur de manière
restrictive afin d’éviter le départ des professionnels arrivés trop vite au sommet de l’échelle.
“ La principale difficulté, et de très loin, réside dans les salaires (moins par le niveau que par
la crainte d’un plafonnement très rapide, eu égard au rythme de l’avancement et à la jeunesse
moyenne des agents) et les perspectives de carrière.[…]. Le rapport propose de définir des
“ filières professionnelles ” par nature de fonctions, et des niveaux dont le franchissement
serait assorti de conditions strictes, chaque niveau étant doté d’un indice plancher et d’un
204
La question du statut du personnel n’est pas réglée lorsque s’installe le premier Conseil d'administration à
Cergy, le 23 octobre 1969, Comité de coordination du 15.4.1969 AD 95, 1086W/60W86C
205
Comité de coordination du 19.11.1970 AD 95, 1382W/174W40
206
Comité de coordination du 25.10.1971 et assemblée générale du personnel du 15.06.1973, AD 95,
1086W60W86C
207
Note du 8.02.1972 de C.B. AD 91, 1522W/37
51
indice plafond. Le salaire brut serait exclusif de toutes primes à taux fixe, les avancements
seraient discrétionnaires et leur rythme actuel ralenti. En compensation, une prime
automatique d’ancienneté majorerait périodiquement le salaire, au moins dans les filières où
on attacherait du prix à l’expérience et à l’ancienneté”.
La proposition de J. Werquin enregistre les changements qui ont affecté la vision du travail en
ville nouvelle et le travail lui- même. L’expérience professionnelle est reconnue, une prime
d’ancienneté est instaurée, au moment où les EPA entrent dans une phase active de
construction opérationnelle. On peut noter que la direction de l’EPEVRY recrute au début des
années 80 des agents plus âgés, forts d’une longue expérience dans leur spécialité (pour la
conception des espaces publics par exemple). Ce changement souhaité en 1974 est un indice
de l'entrée des villes nouvelles dans une nouvelle période de leur histoire. En 1970, Gérard
Planchenault, architecte-urbaniste d’Evry souhaitant rejoindre la MAEB, se voit contraint de
différer son départ d’une année du fait de l’entrée du jeune EPA en phase opérationnelle. Il
s’étonne dans un courrier au directeur de la MAEB du changement d’attitude du Directeur
général André Lalande qui manifestait jusqu’ici « son désir de voir l’équipe se renouveler
périodiquement »208 . Après la phase d’études et de choix de conceptions urbanistiques où la
mobilité du personnel et le flou organisationnel étaient censés stimuler les équipes, vient la
phase de mise en œuvre qui appelle une organisation de production et une stabilisation des
dispositifs. Ce sont les gages de l’efficacité.
Cet état de crise de croissance qui persiste jusqu’en 1978 à Evry se manifeste dans le plan de
charge des agents et la politique de recrutement des établissements. Plusieurs facteurs ont joué
dans le travail quotidien et la constitution des expériences : diversité d’origines des membres
du personnel, distinction formelle entre des âges et des corps de métiers ayant des incidences
sur les salaires, incertitude de l'avenir et des statuts, taux élevé d'arrivées et de départs, sans
parler du contexte politique et économique ou des conditions matérielles difficiles au début
(locaux provisoires, difficultés de communication, etc.) En ce sens, les EPA ont été des
laboratoires sociaux.
I.- 2.5 La crise d’Evry : un révélateur des conditions de travail
La consultation de l’ensemble des services sur les conditions de travail des agents de
l’EPEVRY se déroule entre 1975 et 1976. Si elle révèle l’ampleur de la crise dans cet EPA et
sa principale cause, le recrutement massif de personnel après 1974 qui conduit au doublement
des effectifs, elle donne en même temps à voir les formes concrètes dans lesquelles les agents
travaillent et la difficulté qu’il y a, au-delà du cas de cet EPA à trouver les relais entre des
fonctions, notamment entre les activités d’études et les activités de production de la ville.
C’est peut-être le lot des administrations de mission.
À l’EPEVRY, le cloisonnement des services, la rétention d’information, le défaut de stratégie
et plus largement d’organisation et de méthode sont tour à tour dénoncés dans les comptesrendus et notes issus des différentes directions. Les difficultés viennent d’un déficit
organisationnel ancien et dont témoigne, en 1975, la tardive “ ébauche d’(un)
organigramme ”209 . Face à la croissance des effectifs, “ la solution trouvée pour structurer le
208
Lettre du 22.02.1970 de G. Planchenault à J. Girardet. (archives du personnel de l’EPAREB)
Note de synthèse sur les conditions de travail du service financier et foncier du 05 et 12.12.1975, p.3 (AD911523W/787).
209
52
nouvel ensemble passait par l’affirmation d’une hiérarchie, qui jusqu’alors, avait été
masquée par un réel travail de groupe. […] Aucune étude n’a été faite pour structurer l’EP.
Une hiérarchie a été plaquée sur l’ancien système beaucoup plus libre, et personne n’a voulu
vraiment l’assumer : les nouveaux chefs de service, pas plus que l’équipe qu’ils sont censés
diriger” 210 . La centralisation du pouvoir au sein de la direction générale et une pratique
obscure de la décision freinent l’esprit d’initiative des services : “ Il n’existe pas de
délégation, donc pas de vraie responsable : de ce point de vue, le cas du courrier est très
révélateur. Tout est vu par la direction générale puis passe par le chef de service. Entre la
date d’arrivée à l’EP et le moment où les lettres arrivent chez les personnes qui suivent une
affaire, il se passe parfois des délais surprenants. Dans certains cas même, le courrier
n’arrive jamais. De plus, même lorsqu’une personne assume le suivi d’un dossier ce n’est pas
elle qui reçoit les informations concernant son travail, mais son chef de service qui, parfois,
par faute de temps, ne retransmet pas les éléments. […] Toute décision importante doit passer
par la direction générale, mais il est parfois impossible d’obtenir à temps l’entrevue d’une
minute ou la décision dont l’urgence s’impose, bloquant ainsi tout travail. D’autre part, il est
parfois difficile de connaître les motifs qui ont fait préférer telle solution ou ont amené un
refus ”211 . Le service technique s’inquiète quant à lui du cheminement de la décision “ lourde,
inopérante et parcellisante ”, engendrant “ une limitation assez précise des responsabilités de
chacun” et une “ déqualification dans le travail ” 212 .
On découvre ainsi que, contre toute attente, l’EPA souffre des maux attachés aux
administrations classiques, tels que le “ phénomène bureaucratique ” les a repérés. C’est-àdire :
•
•
des services isolés: une organisation verticale et l’absence de “ structure de concertation
horizontale ” entraînent un cloisonnement entre les services, “ chacun conserv(ant)
jalousement les parcelles de savoir qu’il détient ”. Le service foncier et financier se plaint
en 1975 de “ l’absence de concertation et d’information dans l’étude d’un projet et le
montage des opérations par l’Atelier et le service technique ” 213 . Au sein d’un même
service, comme le service “promotion-emplois ”, ce phénomène d’autonomisation se
produit entre les différentes cellules entraînant des comportements de mauvais gré entre la
cellule commerciale “ promotion ” vis-à-vis de la cellule “ emplois ” 214 . Une note de 1976
d’E.C. Boulakia dénonce “ l’absence de communication inter-services ”. Le problème de
l’information “ demeure le scandale et le problème numéro 1 de la maison ”. Il fait la
“ proposition de réunions de chefs de services qui ne seraient pas un long monologue du
Directeur général entrecoupé des réponses apportées à ses questions. Ces réunions
seraient des “ CARREFOURS ” destinés à :1/l’information inter-services par des
communications brèves sur les aspects dominants des problèmes et des difficultés du
“ mois ” pour chacun des services, 2/la confrontation des objectifs et des réalités ” 215 ;
une absence de traitement rationnel de l’information qui n’est pas propre à cette structure :
Michel Mottez, chef de l’Atelier se plaint en 1976 de l’absence de “ fonds de plan à jour ”
210
Ibid p.1-3.
Ibid. p3.
212
Note du groupe “ ingénieurs et assimilés ” sur les conditions de travail, 12.02.1976, p.1-2 (AD911523W/787).
213
Note de synthèse sur les conditions de travail du service financier et foncier du 05 et 12.12.1975 (AD911523W/787).
214
Note du 15.01.1976 d’E.C. Boulakia sur la synthèse des réflexions sur les “ conditions de travail ”,
confidentiel (AD91-1523/787).
215
Ibid.
211
53
•
au sein du service technique contraignant les dessinateurs de l’Atelier à passer “ troisquarts de leur temps à glaner les renseignements ”216 ;
une perte de contrôle du fait de l’absence de pilotage et de vision stratégique : “ Il n’est
pas possible, actuellement, de tenir un planning de travail, qui permette à la fois une
meilleure réflexion globale, une coordination de divers éléments complémentaires ; en
bref, il n’est pas possible de maîtriser son propre travail ” 217 . Les agents du même atelier
se plaignent en 1975 de l’absence de pilotage sous la forme d’un planning imposé donnant
lieu à une “ succession de tâches décousues qui empêchent certains agents de prendre la
moindre initiative ”218 .
Cette crise qui a deux causes principales (défaut de management et croissance des effectifs) a
lieu à un moment important pour l’établissement (lancement du concours d’Evry I). En dépit
de cette activité de production urbaine, l’esprit de mission semble s’être essoufflé. C’est que
confie E.C. Boulakia en 1976 219 : “ J’avoue, à ma honte, avoir un peu découvert à cette
occasion qu’une majorité de membres du service Promotion-Emplois partageait ma
lassitude, mon désespoir (sinon mon angoisse) face à la situation ”. Il constate concernant la
cellule promotion un “ retard dans la mise en pratique de l’idée de commandos
commerciaux ” chargés de relancer le dynamisme du service. Il souhaite retrouver l’esprit
initial de la mission et propose des réunions mensuelles de chefs de services : “ A l’issue de
ces réunions (qui devraient pouvoir durer trois heures), chaque chef de service pourra
“ réinjecter ” les informations, associer le personnel aux préoccupations, “ dynamiser ” ses
collaborateurs par le “ sentiment d’appartenance ” à un destin commun : celui de l’aventure
passionnante de la VILLE NOUVELLE, au-delà de son bout de tuyau, de son bout d’espace
vert, de ses “ contacts ” si souvent infructueux ! Plus que jamais, la maison a besoin
d’échapper à la routine, à l’encrassement, à la morosité. Je voudrais tellement que ce soit
POSSIBLE ”.
Le même bilan est dressé d’une “ organisation hiérarchique et peu communicante”, par un
représentant du Comité d’entreprise, lors de la présentation d’un projet de réorganisation et de
“ décloisonnement ” de l’EPEVRY, dix ans plus tard, 220 . Une des lignes directrices de
l’action d’Yves Boucly, troisième Directeur général, est, à son arrivée en 1987,
“ l’ouverture ” : “ L’EPEVRY m’est apparu comme une collectivité, ou plutôt une collection
d’individualités, trop repliée sur elle-même, autosuffisante, peu perméable aux influences
extérieures ou aux apports nouveaux »221
216
M.Mottez, Observations concernant les conditions de travail de l’atelier ayant rapport avec le service
technique, 20.01.1976 (AD91-1523W/787).
217
Note de synthèse sur les conditions de travail du service financier et foncier du 05 et 12.12.1975, p.6 (AD911523W/787).
218
Synthèse des réponses des agents de l’atelier au questionnaire “ organisation du travail ”, décembre 1975
(AD91-1523W/787).
219
Note du 15.01.1976 d’E.C. Boulakia sur la synthèse des réflexions sur les “ conditions de travail ”,
confidentiel (AD91-1523/787)
220
Perperot dans le compte rendu de la réunion du comité d’entreprise du 27 juin 1986, (AD91-1523W/1795).
221
Entretien avec Yves Boucly in J.-P. Laverrière, Et vinrent les bâtisseurs. Histoire de l’EPEVRY, 1991, non
publié (AD91-1523W/1543).
54
I.- 2.6 La réorganisation « économique » de l’EPAREB
L’EPAREB se transforme selon d’autres modalités et d’autres rythmes que les EPAVN de la
région parisienne. Passé plus tardivement à la phase opérationnelle, l’EPA se réorganise en
revanche plus tôt. Et les transformations de 1979 sont réactualisées en 1982 et 1984, avant
celles que connaît Evry par exemple, notamment en matière de développement des études. Par
rapport aux expériences organisationnelles d’Evry ou de Cergy-Pontoise, l’EPAREB est aussi
original. L’organisation y est à la fois géographique et fonctionnelle. Cela tient à des motifs
d’ordre économique (pénurie de personnel) et politique (revendications des collectivités
locales en matière d’urbanisme) mais cela tient aussi aux cultures professionnelles présentes.
En 1979, Lucien Gallas, ingénieur des Ponts et Chaussées prend la direction de l’EPA après
deux années noires et 23 licenciements économiques. L’organisme a perdu près du tiers de ses
effectifs et avec eux ses principaux cadres. En moins d’un an, de nouveaux schémas généraux
urbains sont élaborés pour chaque secteur notamment pour Vitrolles où « la ville partait dans
tous les sens » 222 . Chaque schéma se présente comme un « plan physico-financier mais sans
la dimension chiffrée des opérations ». Il donne lieu à une délibération municipale et une
convention pluri-annuelle lui est jointe 223 . Par ailleurs, une nouvelle organisation est mise en
place pour répondre à la pénurie de personnel : le directeur est dans l’impossibilité
d’embaucher en raison de la situation financière de l’EPA224 . Le choix d’une structure
territoriale, justifiée en 1970 par l’étendue du périmètre de la MAEB et la division politique
entre les communes entre l’Ouest et l’Est, est remis à l’ordre du jour. Dans une note
manuscrite de 1979, le Directeur présente les raisons qui ont présidé à l’élaboration d’une
« structure mixte » à la fois « fonctionnelle pour la conception, la commercialisation, les
finances et la comptabilité et le foncier » et « territoriale pour la réalisation », et « plus ou
moins croisée » entre concepteurs et réalisateurs. Cette structure prend la forme d’une matrice
à double entrée 225 .
Équipes géographiques Secteur de Miramas Secteur de Fos
Services
fonctionnels
Comité de direction Coordination
(DG,
conseiller CO*
technique et CO)
des Coordination
CO
Service des études et de Équipes
la programmation
pluridisciplinaires
Service financier et CO/assistance
foncier
financière
Service commercial
CO/CA**
Secteur d’Istres
des Coordination
CO
Équipes
pluridisciplinaires
CO/assistance
financière
CO/CA
Secteur de Vitrolles
des Coordination
CO
Équipes
pluridisciplinaires
CO/assistance
financière
CO/CA
des
Équipes
pluridisciplinaires
CO/assistance
financière
CO/CA
* CO : chargé d’opérations
** CA : chargé d’affaires
222
Entretien avec L. Gallas
Ibid.
224
Ibid.
225
Objectifs et fonctionnement 1979, in annexes II (réunion du 07.11.1983), organigramme au 1er mars 1984.
(archives de l’EPAREB)
223
55
Le premier objectif est de « travailler au plus près des collectivités locales ». Les chargés
d’opérations (CO) ont pour fonction de « « personnaliser » et renforcer la notion d’unité
d’aménagement. […] Les CO sont déchargés de la fonction « étude » pour être disponibles
en temps réel » 226 . Outre l’établissement et le contrôle des bilans des différentes unités
d’aménagement sur un même périmètre, la coordination de l’intervention de tous les autres
intervenants de l’EP (chargés d’études, architectes-urbanistes, paysagistes, du service études
et programmation, chargé d’affaires du service commercial, etc.) et des bureaux d’études
privés en charge notamment des études de VRD, il assure la relation avec les services
techniques des villes 227 . Désormais « les communes ont un interlocuteur qui est toujours le
même »228 . À toutes les étapes du processus, l’EPA gagne ainsi en « lisibilité » vis-à-vis de
l’extérieur, lisibilité qui faisait défaut en 1979 : « Ce que j’ai entendu dire c’est qu’à
l’EPAREB, on sait jamais trop qui est responsable de quoi » 229 . Le rôle de référent joué par
les chargés d’opérations répond par ailleurs à la montée des revendications des collectivités
locales quant à leurs prérogatives en matière d’urbanisme : « Les collectivités poussaient à la
roue pour les lois de décentralisation » 230 . Le chargé d’opérations vient ainsi incarner pour les
élus et les agents des services municipaux la fonction d’aménageur.
Le deuxième objectif fixé par le Directeur est d’« assurer l’achèvement des opérations de
l’EP » par un « développement de la politique de qualité ». Cela passe par la présence des
chargés d’opérations sur certains projets, le « suivi de la réalisation par l’ « urbaniste » », le
« renforcement du contrôle de gestion »231 . Enfin le troisième objectif est de « préparer le
renouvellement des missions », notamment à travers « l’assistance aux collectivités locales »
permettant de « relancer la fonction études ». Restructurée en 1979, cette fonction se retrouve
au sein d’un « service études et programmation » entre « les études d’urbanisme et de
planification, la programmation physique des équipements, les dossiers création/ réalisation,
les études sectorielles et l’assistance aux collectivités locales » 232 . Cinq ans plus tard,
l’organigramme est réactualisé pour que, « à travers les structures fonctionnelles », puissent
«se développer des réflexions à caractère stratégique dans un système de référence
élargi » 233 . Mais à cette époque, les attentes en matière de diversification des actions de l’EPA
restent relatives. Elles portent essentiellement sur le recyclage du personnel, dans des
interventions hors du périmètre de la ville nouvelle. Cet élargissement géographique est censé
permettre à l’EPA de survivre sans rien sacrifier de sa mission initiale. « Les ouvertures vers
l’exportation et l’assistance aux petites communes de la région PACA ainsi que certaines
interventions extérieures ponctuelles, constituent un encouragement à poursuivre. Mais il est
aujourd’hui bien établi que c’est l’action d’aménagement et d’équipement sur le périmètre de
l’EPAREB et les communes les plus proches qui est seule susceptible d’assurer l’équilibre
financier de l’EP, objectif vital à rappeler » 234 .
Car un autre élément a présidé à cette réorganisation, qui ne figure pas dans la note
manuscrite du Directeur : la situation financière difficile dans laquelle se trouve l’EPA à la fin
des années soixante et dix. La réduction des grands services fonctionnels répond à un souci
226
Note manuscrite du 14.05.1979 de Lucien Gallas sur l’organigramme de l’EPAREB (archives de l’EPAREB)
Entretien avec L. Gallas
228
Note manuscrite du 14.05.1979 de Lucien Gallas sur l’organigramme de l’EPAREB (archives de l’EPAREB)
229
Entretien avec L. Gallas
230
Ibid.
231
Note manuscrite du 14.05.1979 de Lucien Gallas sur l’organigramme de l’EPAREB (archives de l’EPAREB)
232
Objectifs et fonctionnement 1979, in annexes II (réunion du 07.11.1983), organigramme au 1er mars 1984.
(archives de l’EPAREB)
233
Organisation de l’établissement, 21.03.1984 (archives de l’EPAREB)
234
Ibid.
227
56
économique, et la question est posée au sein de l’administration centrale de les maintenir ou
non235 . Le service technique qui est vu comme un « luxe » que ne pourrait plus se permettre
l’EPA est dissout et l’on fait appel à des bureaux d’études privés pour les études techniques
de VRD et de détails. Le recours à la sous-traitance pour la préparation des marchés de
travaux puis la maîtrise d’œuvre apparaît à long terme comme plus économique, car il permet
« d’adapter les moyens au rythme » dans une conjoncture qui reste difficile 236 . Le directeur
des services techniques est remplacé par un conseiller technique qui est présenté comme un
« super-chargé d’opérations » 237 ayant « rang de chef de service »238 , à la fois assistant le
Directeur général dans le pilotage des chargés d’opérations et interlocuteur technique des
différents chefs des services fonctionnels. De même, faute de responsable disponible, le
service financier et le service foncier sont réunis. Le service urbanisme et architecture qui
était jusque- là dirigé par un architecte fusionne avec le service des équipements. Le nouvel
ensemble devient le service des études et de la programmation à la tête duquel est placé un
géographe, ancien programmateur de l’EPA. Si la réduction du poids des services
fonctionnels répond au souci d’économie budgétaire, un dernier élément contribue à
privilégier une organisation territoriale : la découverte des vertus structurantes du plan
financier 239 . L’éclatement des responsabilités entre un grand nombre de services fonctionnels
avait jusque- là rendu difficile son actualisation régulière. Or la création d’une nouvelle
fonction de chargé d’opérations par unité d’aménagement va permettre de faciliter la gestion
des bilans financiers en affectant un unique responsable à chaque unité urbaine (comprenant
un ensemble d’unités d’aménagement)240 .
Dans la conception de cette organisation, Lucien Gallas s’appuie sur son expérience passée de
directeur de l’agence d’urbanisme de Marseille (AGAM) : « Quand je suis arrivé, je me suis
dit : « Il faut que je resserre l’équipe ». J’ai plus beaucoup de gens susceptibles d’assurer une
véritable responsabilité des services. […] Par ailleurs on n’avait pas assez de représentants
des différentes disciplines (paysagistes, ingénieurs, économistes, architectes-urbanistes) pour
constituer autant d’équipes complètes sur chaque entité géographique. Alors je me suis
appuyé sur l’expérience que j’avais de la direction de l’agence d’urbanisme de Marseille où
j’avais été amené à gérer des relations entre les études amont, qui étaient faites par l’agence
d’urbanisme, et la réalisation qui était faite par la société d’économie mixte de Marseille ou
d’autres aménageurs sur les autres communes de l’agglomération de l’agence. Et c’est
comme ça que j’ai été amené à imaginer un service étude et programmation […] J’ai
introduit un concept qui était tout à fait classique dans les sociétés d’aménagement qui était
celui de chargé d’opérations. […] On n’avait pas les moyens de la mettre en place (une
direction technique) et en même temps la fonction de CO était conçue pour assumer assez
complètement ce qui aurait pu apporter une direction technique. Ils étaient assez polyvalents
et appelés à le devenir » 241.
Mais l’organisation mise en place va au-delà de l’expérience de Lucien Gallas à l’AGAM et
aboutit à quelque chose de nouveau. Définie comme une « structure matricielle », elle évite
« les entités complètement fermées » et offre une plus grande adaptabilité à la conjoncture242 ,
les agents des différents services fonctionnels circulant d’un secteur géographique à un autre.
235
Entretien avec L.Gallas
Ibid.
237
Ibid
238
Organisation de l’établissement, 21.03.1984 (archives de l’EPAREB)
239
Sur les plans financiers, voir infra III.3.
240
Entretien avec L. Gallas
241
Ibid.
242
Ibid
236
57
Par ailleurs à la différence des SEM intervenant sur Marseille de manière relativement
indépendante de l’AGAM, les chargés d’opération de l’EPA sont placés sous le contrôle
direct du Directeur général, via un comité de direction mensuel. La mise en place d’une telle
organisation a été soutenue par le personnel qui refusait de voir s’appliquer sur les rives de
l’étang de Berre les logiques de corps, telles qu’elles sont à l’oeuvre dans bien des grands
services fonctionnels des EPA, comme le Service technique ou opérationnel ou l’Atelier
d’urbanisme. C’est probablement la raison pour laquelle l’architecte André Mathieu qui dirige
le service urbanisme et architecture et qui vient de la Mission de Cergy n’a pas réussi à
imposer son autorité. On retrouve un phénomène similaire à Saint-Quentin-en-Yvelines au
même moment, à la fin des années soixante et dix. De même, l’expérience de l’Atelier
d’urbanisme d’Evry est présentée comme un contre- modèle qu’il faut éviter 243 . Dans
l’organisation de l’EPAREB, l’échelle du périmètre et l’existence d’antennes locales dans les
différents secteurs géographiques encouragent les agents à se passer des services fonctionnels.
On retrouve un semblable souci de dépasser les stratégies de corps dans la valorisation de la
fonction de chargé d’opérations qui doit permettre pour Lucien Gallas de « sortir d’une
certaine confusion entre la formation d’ « ingénieur » et celle de réalisateur de
l’aménagement »244 . Dans les faits, au début la plupart des chargés d’opérations ont des
formations d’ingénieurs. Il faudra attendre la réorganisation de la fin des années quatre-vingt
pour voir des architectes assurer de telles fonctions opérationnelles. Il reste que le personnel
dans cette nouvelle configuration a gagné en mobilité interne, a vu ses tâches se diversifier et
a pu prendre davantage de responsabilités 245 . C’est ce qu’évoque Gérard Plaisant alors
conseiller technique de l’EPA : « En fait ça fonctionnait bien sous la forme «objectifsautonomie » avec un contrôle qui était le contrôle de la commercialisation, de l’avancement
des opérations. On était très libre » 246 . Ainsi, à la fin des années soixante et dix, au moment
où les conditions sont particulièrement difficiles, l’EPAREB peut, grâce à cette nouvelle
organisation, s’ouvrir sur l’extérieur en se rapprochant des collectivités locales et renouveler à
la fois les compétences du personnel, ses rapports au territoire et ses modes de division du
travail.
I - 3. Les nouvelles organisations des années 80 pour affronter l’ouverture sur
l’extérieur
Les questions que l’on se pose au début de la décennie 1980 tournent autour de trois thèmes.
Au ministère de l’Équipement et au Secrétariat général du Groupe central des villes nouvelles
on s’interroge sur les « effets négatifs des logiques professionnelles », les logiques de corps,
de carrière, les logiques sectorielles, les normes qui pèsent sur les processus de décision et de
projet 247 . Cette inquiétude porte sur « le bon exercice de la maîtrise d’ouvrage », la loi sur la
maîtrise d’ouvrage publique – ou loi MOP – qui sera votée en 1985. Elle enregistre aussi, sans
pouvoir encore en mesurer tous les effets, les changements dans les pratiques que commence
à provoquer la décentralisation. Cette inquiétude est à associer à ce qui se prépare en même
temps du côté des logiques des grands corps de l’État et des déplacements professionnels que
ces logiques provoquent. D’un côté : « L’aménagement, c’est fini pour les ingénieurs des
Ponts et chaussées » entend-t-on en 1979-80. De l’autre, en tout premier lieu pour les
243
Entretien C. Guary et M. Lucas
Note manuscrite du 14.05.1979 de Lucien Gallas sur l’organigramme de l’EPAREB (archives de l’EPAREB)
245
Entretien avec L. Gallas
246
Entretien avec G. Plaisant
247
Le poids des logiques professionnelles… op.cit.
244
58
ingénieurs des Travaux publics de l’État, les relations avec les interlocuteurs locaux sont
supposées devoir changer. Ainsi « la qualité des relations avec le milieu environnant,
spécialement les collectivités locales et les milieux économiques » devient le premier critère
d’évaluation de ces ingénieurs en 1981 248 .
Le contexte politique et économique joue dans plusieurs sens pour les professionnels des
villes nouvelles. La situation d’austérité en matière de recrutement de personnel se prolonge
avec un recours plus large aux agents temporaires ou à des contrats à durée déterminée
(CDD) 249 . En 1985, une lettre du Ministre de l’Équipement aux Directeurs généraux des
EPAVN rappelle « que sauf cas tout à fait exceptionnel, les effectifs de votre établissement ne
doivent plus augmenter, même si les créations de postes se révèlent indispensables pour
renforcer un service. En outre, le départ d’un agent ne doit pas entraîner automatiquement
son remplacement »250 .
Ensuite l’intrusion de la démocratie locale et ses nouvelles exigences se font plus largement
sentir. Cette emprise du politique devient une réalité tangible et non plus du ressenti. Une note
de 1982 du Directeur de l’EPAREB sur l’évolution du contexte depuis trois ans décrit la
situation à travers une formule introductive lapidaire : « Le fond du tableau = la
DECENTRALISATION et la diminution du poids de l’Etat »251 . Les collectivités locales se
dotent de compétences professionnelles qui concurrencent celles des villes no uvelles, ce
qu’observent, non sans inquiétude parfois, les professionnels des EPA. Si dans la décennie
précédente, les services techniques des communes étaient décrits comme sous-développés, « quand on débarquait dans une municipalité, c’était le Tiers-monde », se rappelle un
programmateur 252 -, au cours des années quatre- vingt, les professionnels des EPAVN
prennent conscience que de nouveaux espaces professionnels ont émergé du côté des
collectivités locales 253 . Certains d’entre eux tentent d’ailleurs d’y trouver une place, ceci non
sans mal car ils découvrent avec étonnement que les villes nouvelles ont perdu leur aura et
que leur offre de services ne séduit pas 254 .
En fait la décentralisation et le contexte économique conjuguent leurs effets pour relancer la
réflexion sur l’aménagement et les pratiques qui en relèvent. En 1981 naît à l’initiative des
urbanistes de Cergy le projet de l’Association ‘Architecture, Urbanisme, Service Public’
censée réunir l’ensemble des professionnels de la « maîtrise d’œuvre urbaine ». La taille des
opérations de construction est plus réduite et oblige à inventer une autre façon de travailler :
« La conjoncture nous sert », se rappelle Michel Gaillard 255 . En même temps, les
conséquences sociales des politiques concernant les prêts en accession à la propriété
inquiètent les professionnels, aussi bien à Cergy qu’à Saint-Quentin-en-Yvelines. Pour
beaucoup d’entre eux, les années 1983-85 marquent la fin de la « grande époque » et la
nécessité de travailler ailleurs ou tout autrement.
248
Note du 17. 07.1981 du ministre de l’équipement aux Directeurs généraux des EPAVN concernant le
concours professionnel de 1982 pour l’accession au grade d’Ingénieur des Ponts et Chaussées (archives
EPAREB)
249
Lettre du personnel de l’EPIDA à Monsieur le Ministre de l’environnement et du cadre de vie, 13.09.1979
(archives EPAREB)
250
Lettre du Ministre de l’Equipement aux DG des EPAVN concernant le recrutement par voie interne dans les
EPAVN, 19.09.1985 (archives EPAREB)
251
Evolution 79/82 in annexes II, organigramme au 1er mars 1984 (archives EPAREB)
252
Entretien avec J.-C. Menighetti
253
Entretien avec M. Gaillard
254
Entretiens avec M. Gaillard et J. Guillaume
255
Entretien avec M. Gaillard.
59
I – 3.1. Le vieillissement relatif des structures et les projets de relance
En 1985, selon le rapport du ministère des Finances, l’EPEVRY connaît un “ vieillissement de
la structure ” du fait d’une “ insuffisante politique de renouvellement ” auquel s’ajoute un
nombre important de promotions internes ayant eu lieu entre 1979 et 1985 256 . Par la suite, le
phénomène de vieillissement s’accentue. En 1995, l’ancienneté médiane des cadres sur
l’ensemble des EPAVN est en moyenne de 21 ans sur les trois villes nouvelles étudiées avec
des différences notables (16 ans à l’EPAREB, 24 ans à Cergy-Pontoise et 25 ans à
l’EPEVRY) 257 . Néanmoins ce phénomène est à nuancer : il est à la fois relatif et fortement
inscrit dans la structure. À Cergy en 1981, vu de l’extérieur, le personnel des EPA reste jeune
comparé avec l’administration traditionnelle. Si on en croit un rapport d’une stagiaire de
l’ENA : « La majorité de ce personnel vient du secteur privé et est engagé sous contrat à
durée déterminée. Pour la plupart, la durée de séjour dans l’entreprise est déjà longue ;
plusieurs même sont là depuis l’origine et beaucoup comptent y rester jusqu’à la dissolution.
Ce qui fait que l’âge moyen du personnel a augmenté en même temps que vieillissait
l’entreprise. Mais aujourd’hui encore, l’EPA est très jeune : la moyenne d’âge est à 38 ans, le
directeur général a une quarantaine d’années, plusieurs postes de responsabilités sont
occupés par des personnes de 30-35 ans » 258 . Cette jeunesse relative ne signifie pas pour
autant mélange des statuts. Dans son rapport, la même stagiaire souligne : « Le premier fait
qui m’a frappée est le fossé qui sépare cadres et non-cadres. Malgré l’ambiance chaleureuse
et décontractée, la distance existe… ». Signe qu’il convient de se garder de ne s’en tenir qu’à
la moyenne d’âge d’une structure et s’intéresser aussi au rapport âge/statut et aux relations
entre les agents, relations qui, à Cergy, ont manifestement vieilli. La baisse des effectifs à la
fin des années soixante et dix à l’EPAREB et dans les années 1985-90 à Evry et Cergy
contribuent à ce vieillissement. Ce qui fait dire à Gérard Plaisant que sur les rives de l’étang
de Berre du fait de l’absence de « roulement » : « Après 1982-83 […] c’est un peu la
stagnation parce que c’est toujours les mêmes.[…] On vieillissait sur place » 259 . Les
restrictions du Ministère de l’Équipement pèsent sur le recrutement de nouveaux agents tout
au long des années quatre- vingt. Il est pour partie compensé au cours de ces deux dernières
décennies par un mouvement de promotions internes d’agents d’exécution et de maîtrise,
venus en particulier des services administratifs et techniques, qui accèdent au statut de cadre.
Ce mouvement n’est pas de petite ampleur. Il concerne 21% du total du personnel cadre pour
l’ensemble de la période à l’EPAREB et respectivement 15% et 16% à Cergy et Evry260 .
Tableau de l’évolution de l’ancienneté des agents cadres des trois EPAVN
Source : base de données des agents cadres des MEAVN et EPAVN
256
M. Severino, inspecteur des finances, rapport d’enquête sur l’EPEVRY, Ministère de l’économie et des
finances et du budget, août 1985, p.3 (AD91, 1523 W / 598)
257
Base de données des agents cadres des MEAVN et EPAVN
258
Rapport de stage de B. Verlon, janvier-février 1981, p15, AD95, 1072W/288W3C
259
Entretien avec G. Plaisant
260
Base de données des agents cadres des MEAVN et EPAVN
60
Evry
Moyenne
d’âges
médiane des
agents
cadres
identifiés en
1985
43 ans
Cergy-Pontoise
41 ans
Rives de l’étang 39,5 ans
de Berre
Ancienneté
médiane
des
agents
cadres en
1985
18
années
19,5
années
21
années
Total des
agents
cadres
identifiés
en 1985
73
Moyenne
d’âges
médiane
des agents
cadres
identifiés
en 1995
48 ans
44
48 ans
42
46 ans
Ancienneté
médiane
des
agents
cadres en
1995
25
années
24
années
16
années
Total des
agents
cadres
identifiés
en 1995
31
35
25
I.3.2. À Evry
° Une organisation qui demeure verticale
Le rapport d’enquê te du Ministère des finances de 1985 constate une organisation
“ extrêmement verticale […] marquée par la lourdeur des services administratifs […] (et) qui
concentre excessivement les conflits sur le Directeur général” 261 .
L’organigramme distingue :
• Le secrétariat général,
• Deux services commerciaux (Logements et Activités),
• Les services opérationnels groupant Atelier d’urbanisme et Service technique.
De multiples problèmes surgissent entre des services “ organisés suivant des logiques souvent
conflictuelles ”. Ils sont réglés par le directeur qui se trouve “ seul à pouvoir assumer la
synthèse même pour les détails ” 262 . L’organe mis en place pour construire la ville nouvelle
d’Évry se trouve ainsi confronté à des difficultés identiques de direction, d’organisation et de
concentration des pouvoirs qu’aux premières années de son existence. Or la moitié des agents
cadres de l’EPEVRY identifiés en 1985, soit 39 sur un total de 73, est là depuis au moins 18
ans, ayant vécu ces deux décennies tumultueuses 263 . Ainsi se confirment à la fois
l’importance des effets de structure, la pérennité des configurations de travail et la singularité,
de ce point de vue, de la situation de l’EPEVRY.
° Le projet de réorganisation
261
M. Severino, inspecteur des finances, rapport d’enquête sur l’EPEVRY, Ministère de l’économie et des
finances et du budget, août 1985, p.4 (AD 91, 1523 W / 598).
262
Ibid.
263
Base de données des agents cadres des MEAVN et EPAVN
61
En 1986, le directeur général envisage le cha ngement de situation à l’horizon 1990 : “ Il
s’agira alors, dit- il, de traiter une opération régionale de développement concerté d’une
agglomération étendue après avoir achevé une opération d’Etat de création volontariste
d’une ville centre ” 264 . Cette perspective appelle une “transformation de l’entreprise par
le redéploiement des moyens et la redéfinition des postes de travail ”. Est alors discutée au
sein de la structure, au long de l’année 1986, une nouvelle organisation qui est envisagée pour
le 1er janvier 1987. Mais les élections législatives la même année entraînent le départ du
directeur, Michel Colot, et le nouvel organigramme ne sera qu’en partie appliqué 265 .
L’argumentaire de cette réforme – qui précède la « modernisation des services publics »
prônée par Michel Rocard, futur Premier ministre, dont M. Colot est proche - tient en trois
points : une nouvelle situation (ou « mission ») provoque une nouvelle philosophie qui ellemême entraîne une nouvelle organisation.
D’abord il s’agit de “ passer d’une situation de monopole à une économie de marché ”. Par
suite la “ nouvelle mission […] nous oblige à répondre à la demande et non plus imposer
notre projet ”266 . L’objectif est de “ mettre (l’EP) en situation de répondre plus directement
aux demandes qui seront exprimées de manière ponctuelle et sélective par les différentes
collectivités intéressées au développement de l’agglomération d’Evry, alors que jusqu’à
présent nous avions à répondre à une demande globale de l’Etat ”267 . Il y aurait là à assumer
un choc quasi culturel : “ Il convient dès aujourd’hui d’intégrer les perspectives de ce
changement (radical de la situation de la ville nouvelle vers 1990) : nouveau statut de
l’entreprise, disparition de la situation de monopole d’aménageur, remise en cause des
privilèges accordés par l’Etat (suppression des subventions d’équilibre, suppression des
emprunts privilégiés et de la prise en charge des annuités d’emprunt, arrêt des acquisitions
foncières sur fonds d’Etat, suppression des clauses de non-agréments pour l’implantation des
entreprises, suppression du remboursement du versement transports, …), disparition du lobby
Villes nouvelles ” 268 . En résumé, il s’agit de passer de “ tâches d’équipement ” à des “ tâches
de développement de l’agglomération de la ville nouvelle ” 269 .
Il en ressort un changement de philosophie dans l’organisation :
•
Proposition est faite d’“ instaurer un système par produit et (d’)abandonner un
système de production devenu archaïque ”270 . La “ recherche des marchés ” devient
l’une des “ deux actions importantes ” de l’Établissement 271 .
•
“ Le management des hommes ” devient après “la recherche des marchés ” la seconde
priorité 272 .
264
Note du directeur général de l’EPAVN d’Evry à MM. Cussac, Joucdar, Lamarche, Muzeau, Raymond,
Mission de réflexion sur la création d’un centre de compétence pour le développement urbain, 12.09.1986, p.2
(AD91-1523W/911)
265
Compte rendu de la réunion du comité d’entreprise du 27.06.1986 “ en vue de préciser la mise en place de la
réorganisation générale proposée par la Direction Générale ” (AD91 1523W/1795).
266
Ibid..
267
Note du directeur général de l’EPAVN d’Evry à MM. Cussac, Joucdar, Lamarche, Muzeau, Raymond,
Mission de réflexion sur la création d’un centre de compétence pour le développement urbain, 12.09.1986, p.3
(AD91-1523W/911)
268
Ibid..
269
Compte rendu de la réunion du comité d’entreprise du 27.06.1986 (AD91 1523W/1795).
270
Assemblée générale du comité d’établissement de l’EPEVRY du 26.10.1986 (AD91-1523W/1788)
271
Ibid.
62
•
Cette organisation dont on a vu qu’elle était “ hiérarchique et peu communiquante”,
“ verticale et séquentielle ” (“ 4 divisions U (Urbanisme)-T (Technique)-AE (activitésemplois)-L (Logement) ”) doit devenir une “organisation horizontale intégrée par
centres de compétences afin de répondre à de nouveaux besoins”, ceci sur le modèle
de l’entreprise privée: “ L’objectif est de construire des centres de compétence
(autonomes) comme des mini-entreprises (aux budgets propres) appartenant à une
même holding” 273 . “Actuellement, l’EPEVRY forme une équipe trop vaste.
L’aménagement est fait au niveau de l’équipe dans sa globalité. Il nous faut nous
décloisonner et créer des équipes pluridisciplinaires capables de performances
urbanistiques à leur niveau, sans qu’il soit nécessaire de faire appel à l’ensemble de
l’entreprise ” 274 . On passerait d’“ une structure par fonctions à une structure par
divisions centrée sur les marchés et sur des périmètres géographiques spécifiques et
distincts ”275 .
Cette nouvelle philosophie doit conduire à des transformations concrètes. Elle prend plusieurs
formes.
•
“ Deux nouvelles instances de management ”sont mises en place 276 : d’une part un
directoire regroupant autour de la Direction quatre secrétaires généraux (à
l’aménagement, au développement économique, à l’équipement, à l’administration
générale), en charge de la “ planification ” (“ stratégie de production ”) et de
l’“ exploration de nouveaux marchés ”277 et d’autre part un comité de direction
constitué du directoire et des responsables de divisions et de services.
•
Trois nouvelles divisions sont créées qui conservent des attributions thématiques et
géographiques : “ habitat urbain ” (développement des quartiers urbains dans
l’agglomération), “ centralité et services ” (développement des services centraux de
l’agglomération), “ développement économique ” (accueil des entreprises et expansion
des entreprises existantes dans l’agglomération) 278 . Ces trois types de
“ compétences en matière d’aménagement urbain” 279 sont présentés comme
fournisseurs de “ produits ” susceptibles de rencontrer une demande auprès des
commanditaires de l’agglomération d’Evry. Le principe de l’autonomie financière de
ces centres de compétences est aussi posé : “ Le budget de l’EPEVRY sera décomposé
en quatre budgets et attribué aux services généraux et aux centres de compétences
qui, à terme, devront avoir les moyens de les gérer ”. Le service des marchés
dépendant précédemment du Service technique est rattaché au service financier 280 . Le
272
Compte rendu de la réunion du comité d’entreprise du 27.06.1986 “ en vue de préciser la mise en place de la
réorganisation générale proposée par la Direction Générale ” (AD91 1523W/1795).
273
Ibid.
274
Ibid.
275
P. Constantin (CEGOS), proposition d’une étude diagnostic de l’EPEVRY, mai 1987 (AD91 1523W/91).
276
Note sur l’organisation de la cellule rattachée au directeur technique, 21.09.1987 (AD91-1523/1788)
277
Compte rendu de la réunion du comité d’entreprise de l’EPEVRY du 26.10.1986 (AD91-1523W/1788).
278
Décision n°166/86 de l’EPEVRY (AD91-1523/1788)
279
Note du DG de l’EPEVRY à M. Cussac, Joucdar, Lamarci, Muzeau et Raymond concernant la mission de
réflexion sur la création d’un centre de compétence pour le développement de l’Habitat urbain, 12.09.1986, p.3
(AD91, 1523W/91).
280
Décision n°166/86 de l’EPEVRY (AD91, 1523/1788)
63
directeur du Service technique reste membre du directoire responsable du bureau des
marchés 281 .
•
Une place sans précédent est faite aux “ commerciaux ”. Ils incarnent la nouvelle
vocation de l’organisme :
o son écoute du marché (“ Ils sont en situation d’intermédiaires entre les
concepteurs et les acheteurs ”),
o son ouverture sur l’extérieur (“ Ils assurent notre contact avec l’extérieur”)
o son entrée dans la concurrence avec une figure de professionnel,
généraliste et polyvalente (nouvelle forme de la “ pluridisciplinarité ”)
ayant “ une vision globale de (sa) mission ” .
Selon le directeur général, la “ prépondérance des “ commerciaux ” nous est imposée
par notre nouvelle mission qui nous oblige à répondre à une demande et non plus à
imposer notre projet ”282 . D’où la priorité donnée au service commercial dans la
nouvelle organisation : “ Globalement et physiquement, on s’appuie sur les moyens
commerciaux de l’Etablissement pour créer les centres de compétences. […] La
coordination de ces équipes reposera sur un agent capable d’en être l’animateur et
qui saura être un communicateur et un médiateur, animé d’un esprit de polyvalence et
faisant preuve de vitalité. […] Les agents des services U (urbanisme) et T (technique)
[…] pourront élargir leurs compétences au sein d’une équipe pluridisciplinaire. En
globalisant ainsi leur fonction, ils deviendront des aménageurs et pourront être les
acteurs de notre mission, alors que ceux qui préféreront approfondir leur technicité ne
pourront en être que les auxiliaires ” . Dans cette perspective, la pluridisciplinarité
envisagée prend un nouveau sens en s’appuyant sur la polyvalence des agents : “ La
pluridisciplinarité des équipes […] permettra à chacun d’être polyvalent dans son
travail ”.
•
Cette nouvelle organisation signe la fin du “ service technique ”, de “ l’atelier
d’urbanisme ” et de l’équipe Maîtrise d’Ouvrage Déléguée (MOD pour les
équipements de superstructures) du fait d’une activité orientée sur “ la maintenance et
la gestion du patrimoine plus que vers la construction ”283 . Dans les faits, le directeur
du service technique en tant que membre du directoire garde la tutelle de la cellule
MOD des constructions et des superstructures 284 .
Notons qu’en 1987, le département « activités » de l’EPEVRY constitue avec la direction
générale, un des services où le personnel cadre est le plus jeune et le plus récent, avec une
moyenne d’âge de 35 ans contre des services fo nctionnels classiques au personnel vieillissant
(43 ans pour l’Atelier d’urbanisme et 45 ans pour les services techniques) et plus ancien285 .
281
Projet d’ajustement de la réorganisation de l’établissement public, direction générale, 09.07.1987 (AD911523/1788)
282
Compte rendu de la réunion du comité d’entreprise du 27 juin 1986, p.2 (AD91-1523W/1795).
283
Ibid..
284
Note sur l’organisation de la cellule rattachée au directeur technique, 21.09.1987 (AD91-1523/1788)
285
Liste du personnel de l’EPEVRY en 1984, AD91, 1523W/911
64
Tableau de l’ancienneté du personnel cadre de l’EPEVRY par services en 1984
Source : Récapitulation au 1er janvier 1987 (AD91 1523W/911)
Effectif Personnel
total
cadre
Direction générale
21
7
Agence comptable
Administration
générale et personnel
5
9
4
1
Moyenne d’âges du Date
moyenne
de
personnel cadre
recrutement du personnel
cadre
33 ans
1982
24 ans (hors DG)
41ans
1981
56 ans
1970
Service administratif et 8
financier
4
39 ans
1975
Département juridique 4
3
43 ans
1977
Département logement 6
5
41 ans
1972
Département activités 8
6
35 ans
1977
Direction technique
31
24
43 ans
1974
Atelier d’urbanisme
26
20
45 ans
1972
Total EPEVRY
118
74
42 ans
Cette réorganisation devait permettre de redonner de la vitalité à un organisme en fin de vie,
d’anticiper la fermeture prévue pour 1990 et de préfigurer sa reconversion en Société
d’économie mixte. Mais le projet de transformation de l’EPEVRY n’aboutira pas faute
d’engagement de l’Etat. Il n’en est pas moins révélateur d’un moment de réflexion sur
l’ajustement optimal d’un EPA à son contexte politique et économique. L’alternative entre
structure territoriale et structure fonctionnelle ou le choix de les combiner ne sont plus du tout
d’actualité. Avec cette organisation par compétences, l’EPA devient une société de services
conçue pour s’adapter à une variété de demandes.
Ce nouveau discours qui emprunte au langage et aux pratiques de l’entreprise privée pour
asseoir un nouveau “ management ” est très répandu dans les années 80. S’il reprend la vieille
rhétorique militaire de la stratégie, c’est sous une forme remaniée (une direction générale
ayant une vision d’ensemble et jouant en équipe le rôle de pilote) et dans un esprit où la
gestion du personnel passe par des “ plans de formation ” ou l’évaluation des “ besoins en
formation liés au nouveau style de management que les uns et les autres auront à acquérir
dans cette nouvelle façon d’intervenir pour l’entreprise ” 286 . Ce nouvel esprit de la
« mission » est patent à Saint-Quentin ou Jean-Paul Alduy donne un nouveau souffle à l’EPA.
Il est tout aussi sensible à Cergy-Pontoise. S’il est percevable plus tôt à l’EPAREB, c’est dans
une version où l’organisme doit constamment s’ajuster au territoire.
286
Note du DG de l’EPEVRY à M. Cussac, Joucdar, Lamarci, Muzeau et Raymond concernant la mission de
réflexion sur la création d’un centre de compétence pour le développement de l’Habitat urbain, 12 septembre
1986, p.5 (AD91 1523W/91).
65
I.3.3. À Cergy
En 1984, la “réorganisation interne ” de l’EPA de Cergy est engagée sur le terrain de
l’efficacité et des « préoccupations commerciales ». Il s’ensuit un remaniement apparemment
léger de l’organigramme 287 . Deux services sont concernés par cette redistribution des tâches :
le Service opérationnel et la Division emplois- logements. Ce sont deux services
“ historiques ”, figurant déjà dans l’organigramme de la Mission en 1967-68. Les
transformations envisagées sont justifiées par la “ conjoncture ” et par l’application du
principe de “ l’intégration des fonctions ”. Selon le Directeur général, ce principe a pour
premier avantage d’introduire “ une excellente discipline de gestion interne ”, en obligeant
chaque service à gérer au mieux toutes les étapes par lesquelles passent les activités de l’EPA,
c’est-à-dire “ la conception, la production et la vente ”. Il s’agit alors de trouver le “ meilleur
point d’équilibre entre tous les aspects des affaires traitées (aspects techniques, financiers et
commerciaux) ”. Ce principe permet par ailleurs “ d’aligner vis-à -vis des partenaires
extérieurs (de l’EPA) un interlocuteur unique et plénipotentiaire, ce qui est toujours très
apprécié ”.
Concrètement, les changements se présentent de la manière suivante :
•
Le Service opérationnel prend en charge la promotion commerciale des logements.
Cette nouvelle responsabilité a la “ vertu pédagogique ” de faire “ passer les
préoccupations commerciales dans un service jusqu’ici exclusivement tourné vers la
production ”. Il est donc entendu que le directeur technique devra, à l’avenir, “ autant
se préoccuper de “ gestion ” et de “ vente ” que de technique d’aménagement ”. Ce
service sera par la suite dénommé Direction du développement urbain (DDU).
•
De son côté, la Division emplois- logements devra se consacrer entièrement au
développement économique et donc aux zones d’activités. Dégagée de tout ce qui
concerne les relations avec les promoteurs de logements, mais aussi des activités
commerciales du centre de la ville nouvelle (laissées à la Direction du développement
urbain et au Service administratif et financier) elle sera rebaptisée Direction du
développement économique (DDE). Cependant ce nouveau service gardera une
autorité fonctionnelle et “ non hiérarchique ” sur les équipes de quartier, en charge
dans la direction précédente de la réalisation des quartiers.
Cette réorganisation est symptomatique de l’orientation commerciale donnée aux EPA au
cours de ces années 80. Elle prépare une autre transformation qui voit la création en 1992-93,
d’une troisième direction opérationnelle (à côté de la DDU et de la DDE) : la Direction des
équipements publics. Au milieu des années 80, on est dans une étape particulière de la
construction des villes nouvelles.
D’un côté on s’achemine vers la fermeture des EPA et bien des agents la pressentent. Il s’agit
d’accélérer la vente des charges foncières et de préparer la remise des équipements au
Syndicat d’agglomération nouvelle. Les représentations du monde finissant des villes
nouvelles sont inscrites dans les bilans des EPA. On évoque alors leur « productivité », c’està-dire l’évolution du ratio entre le chiffre d’affaires des établissements et le nombre moyen
287
Courrier du directeur général du 18.07.1984, AD 95, 1072W-288W3E
66
d’agents qui y travaillent. À Cergy, ce ratio tend à diminuer sous l’effet de l’évolution des
deux facteurs, à la fois le départ progressif des agents (en 1986 ils sont 103, en 1987, 91 et en
1988, ils ne sont plus que 87) et surtout l’augmentation du chiffre d’affaires (1986 : 2209MF,
1987 : 2855MF, 1988 : 3240MF)288 .
D’un autre côté, on est dans une conjoncture économique perçue comme peu favorable. À
Cergy, le raisonnement général qui s’impose est celui de « l’intégration des fonctions » dans
des « filières de production » de la ville. Au milieu des années 80, celles-ci sont au nombre de
deux, l’habitat d’un côté, les activités économiques de l’autre. La division fonctionnelle de
l’espace, supposée être plus économe, s’impose ainsi au cœur même de l’EPA à un des
moments les plus forts de la vague néo- libérale et dégage les secteurs “ nobles ” (les activités
économiques) de ce qui n’est que l’accompagnement “ social ” ou “ urbain ”, c’est-à-dire
l’habitat (celui-ci étant de plus en plus « social »). Ces déplacements dans l’organisation des
compétences ont constitué pour les personnes concernées – les plus anciennes dans les EPA comme pour les organismes des expériences sinon de reconversion du moins de déplacement
des objectifs. Cela est aussi apparu aux yeux des professionnels comme la dernière étape
avant la fermeture des établissements.
I.3.4. À l’EPAREB : un projet d’entreprise et un plan stratégique
Confronté en 1988 à une prévisible diminution des opérations d’ici à 1993 sur le périmètre de
la ville nouvelle et au retrait croissant de l’Etat, l’EPAREB prépare sa reconversion avec un
nouveau projet d’entreprise (en 1989) qui est formalisé deux ans plus tard et devient un « plan
stratégique» 289 .
Plus qu’une véritable relance de l’activité de l’EPA comme aménageur qui a déjà su sortir de
son périmètre initial et diversifier ses prestations, la réorganisation est présentée a posteriori
par le Directeur général comme ayant été l’occasion de « remobiliser le personnel », d’offrir à
chacun la possibilité d’acquérir, par la promotion de la « polyvalence », un véritable métier et
de faciliter ainsi la future réinsertion des agents après la fermeture de l’EPA290 . Comme à
Evry, le Directeur propose de « revoir la logique ville nouvelle, qui est une logique où on a un
périmètre, on fait un certain nombre de choses dessus et on disparaît ». La démarché engagée
en 1988 cherche à compléter cette « logique », à l’articuler à une autre logique, celle du
compte d’exploitation291 . Au Plan financier se substitue comme instrument de pilotage un
« plan stratégique à cinq ans», qui fixe « à l’horizon 1995 les objectifs à atteindre aussi bien
en matière de développement que d’activités de production »292 . L’objectif de « production »
est l’objectif fondamental de ce plan car « les moyens (de l’EPAREB en 1991) ne peuvent être
maintenus au-delà de 1995 que si les activités nouvelles peuvent être développées sur de
nouveaux territoires et viennent progressivement prendre le relais à partir de 1993 » 293 .
288
Questionnaire relatif à l’EPA de Cergy, du 16.03.1989, (par d’origine, peut être le Groupe central des villes
nouvelles) AD 95, 1424W/235W2d
289
EPAREB, Plan stratégique 1991-1995, document interne élaboré sur la base des données au 31.12.90
(archives privées de Lucien Gallas)
290
Entretien avec L. Gallas
291
EPAREB, Plan stratégique 1991-1995, document interne élaboré sur la base des données au 31.12.90, p.3
(archives privées de Lucien Gallas)
292
Ibid.
293
Ibid.
67
En 1979 la réorganisation avait réduit le poids des services fonctionnels au profit d’une
division territoriale pour faciliter la gestion à la fois financière (des unités urbaines),
économique (pénurie de personnel) et politique (rapports avec les communes). Moins de dix
ans plus tard, le nouvel organigramme proposé par le bureau d’études CAP SESA REGIONS
privilégie une organisation par « domaines de gestion », qui met en évidence « les activités
fortement liées entre elles, pour des raisons pratiques ou pour des nécessités de
cohérence » 294 . Une distinction est ainsi faite entre trois secteurs :
-
-
-
« L’OPERATEUR, qui est représentatif de l’autonomie financière de l’EPIC […]. Ce
secteur se décompose en trois domaines de gestion :
o la prospection
o la gestion financière
o la gestion du développement
LA GESTION DE PROJET, qui rassemble les moyens de conception et de réalisation
des aménagements et des équipements qu’il s’agisse ou non de compte propre de
l’EPA.
L’INFRASTRUCTURE ADMINISTRATIVE ET FINANCIERE, qui regroupe les
moyens de gestion communs de l’entreprise et assure le fonctionnement
administratif »295 .
À partir de là, l’organigramme se structure autour de quatre « directions » qui correspondent
aux domaines de gestion spécifiques :
1.
2.
3.
4.
La direction de projet
La direction de l’investissement (prospection)
La direction financière
La direction du développement
et un service administratif et logistique qui regroupe les moyens généraux.
Une des caractéristiques de cette distinction en domaines de gestion est de donner une plus
grande autonomie et de larges responsabilités aux agents. Les responsables dits « managers »
des quatre directions obtiennent ainsi des « délégations » qu’ils reçoivent du Directeur. Leur
fonction est notamment « d’adapter l’organisation opérationnelle aux besoins des
projets »296 . Et « leurs relations directes avec le DG s’expriment en termes d’objectifs, de
résultats et d’évaluation »297 . La réorganisation opérée en 1989 répond comme en 1979 à la
pénurie de personnel, c’est-à-dire à la question : comment « avec un nombre de personnes
limité on assure un très grand nombre de fonctions ? » 298 . Elle se traduit pour les agents par
un mouvement de promotion interne et de changement de métiers, qui permet de résoudre le
problème de « l’existence des personnels bloqués » dans leur carrière au sein des EPAVN299 .
Une autre raison de cette organisation est « la possibilité d’ouvrir plus vite des perspectives
d’évolution de carrières plus diversifiées, et d’aller plus vite vers une plus grande
polyvalence »300 . Ainsi certains architectes, qui jusque- là travaillaient au service études et
294
EPAREB, Projet d’entreprise, organisation des services, novembre 1989, p.2
Ibid.
296
Ibid. p.9
297
Ibid.p 6
298
Entretien avec L.Gallas
299
Compte-rendu de la réunion SGGCVN/Intersyndicale CGT -CFDT des EPAVN du 19.10.90 (archives
EPAREB)
300
Ibid. p.6
295
68
programmation et qui ne faisaient qu’assister les chargés d’opérations, deviennent chefs de
projet. Ils reçoivent à ce titre une « subdélégation pour l’ensemble de (leurs) activités »301 .
Héritiers des chargés d’opérations, les chefs de projets ont sous leur responsabilité des
équipes chargées de réaliser « l’ensemble des prestations du processus de production »302
(étude et programmation, commercialisation, gestion de marché, suivi technique, foncier,
etc.). Le souci de la formation du personnel est présent, par ailleurs, dans les prérogatives de
la direction du développement dont les fonctions en matière de « gestion des compétences »
incluent « l’évaluation des besoins, la recherche et la programmation de la formation » et la
« gestion du savoir-faire » 303 . Ce souci fait écho aux inquiétudes de l’inter-syndicale CGTCFDT des EPAVN concernant un personnel « formé sur le tas » et à l’absence de
correspondance entre « les fonctions assumées et le niveau de formation initiale », décalage
qui appelle des formes de « réajustement »304 . Mais c’est dans la circulation des agents que
réside l’intérêt de la nouvelle structure comme le rappelle le Directeur général adjoint à
l’occasion de la réorganisation de 1995 : « Dans l’organisation précédente, une certaine
polyvalence était obtenue dans le sens où des personnes étaient à la fois dans la direction
du développement et à la gestion de projet. Cela semble important à garder. Je proposerais
qu’il y ait, hors le noyau dur de chaque boîte, des personnes, qui en fonction de la nature de
la tâche, puissent circuler entre les boîtes » 305 .
L’organisation variera peu jusqu’en 1996. Lorsque Henri Chabert prend la direction de
l’EPAREB en 1995 et pour une année, il jugera la « fonction commerciale et marketing trop
dispersée (entre la direction investissement et la direction développement) et donc
insuffisamment percutante ». Cette fonction prendra dès lors de l’ampleur, ce qui donnera lieu
à un nouvel organigramme assez classique, avec :
-
une direction (Directeur général, Directeur général adjoint, Direction foncière)
et quatre pôles :
o « études et prospective »
o « production / aménagement » (ce qui était anciennement la direction des
projets)
o « administratif » (incluant les marchés)
o « commercial » 306 .
I.3.5. La création du GIE ‘Villes nouvelles de France’
Pour les hommes des EPAVN, de nouveaux espaces d’action ont paru s’ouvrir dans les
années 80, avec la création en 1983 de la Mission de préfiguration pour l’Exposition
universelle à Paris de 1989, celle de l’EPA de la Villette ou celle du Secrétariat aux Grands
Travaux. Certains ont envisagé de poursuivre ainsi leur carrière. Mais le contexte s’assombrit
dans la deuxième moitié de la décennie. La mission de préfiguration est rapidement
abandonnée. Les crédits destinés aux villes nouvelles s’amenuisent et le GCVN voit son
301
Ibid.p.11
Ibid.
303
Ibid., p.14
304
Compte-rendu de la réunion SGGCVN/Intersyndicale CGT -CFDT des EPAVN du 19.10.90 (archives
EPAREB)
305
Note du 12.09.1995 de Jean Ecochard à H. Chabert et D. Orsolini, questions et idées sur l’organisation de
l’EP (archives de l’EPAREB)
306
Note du 08.09.1995 d’Henri Chabert concernant l’organisation de l’EP (archives de l’EPAREB)
302
69
personnel se réduire à des fonctions de gestion administrative, à des tâches traditionnelles de
programmation financière (ou à des reconversions plus ou moins difficiles après le retour dans
le droit commun des villes nouvelles du Vaudreuil et de Lille- Est)307 . Sont ainsi menacées de
disparaître des capacités d’innovation méthodologique en matière d’études urbaines,
d’analyses financières et de techniques opérationnelles qui étaient considérées comme
particulièrement performantes dans la décennie précédente. Pour Claude Guary, chargé de
mission « urbanisme, équipements et architecture » en 1983 au GCVN : « C’était une période
où on rêvait moins. On gérait plus » 308 .
Au sein de l’INTA (Association internationale des villes nouvelles), le débat sur la forme
temporaire ou non des organismes d’aménagement des villes nouvelles oppose dans les
années 1983-1985 les Anglo-saxons et les Français, au moment où le gouvernement Thatcher
décide la fermeture des organismes Outre-Manche. Cet état de choses pèse sur les esprits et
les choix, malgré les espoirs suscités dans le milieu professionnel des villes nouvelles par le
soutien du candidat aux élections présidentielles, Michel Rocard 309 . Avec la perspective de la
fermeture inéluctable des EPAVN, se dessine alors plus nettement la nécessité de « préparer
l’essaimage de manière opérationnelle» 310 . Il s’agit aussi, pour les plus militants de la cause
ville nouvelle, de sortir d’une culture défensive et isolationniste entretenue par le statut
d’extraterritorialité des EPA et de plus en plus entamée par la pression des SCA devenus
SAN.
Initiée de manière isolée dans de nombreuses villes nouvelles, comme à l’EPAREB ou à
l’EPEVRY, l’ouverture vers l’extérieur devient systématique en 1985 avec la création à
l’initiative du GCVN, du Groupement d’intérêt économique (GIE) ‘Villes nouvelles’, bureau
d’études public qui associe différents EPA (ceux des villes nouvelles mais aussi celui des
Halles et celui de l’EPAD par exemple). Suite aux oppositions de divers organismes comme
les SEM, les bureaux d’études de la Caisse des Dépôts et Consignations ou l’AFTRP, qui
dénoncent une concurrence déloyale, le GIE s’associe avec d’autres intervenants comme le
Bureau central d’équipement d’Outre- mer (BCEOM), la SCET internationale ou l’IAURP et
s’engage dans des interventions à l’échelle internationale. Il est d’abord présidé par Michel
Colot, Directeur de l’EPEVRY. Selon ses promoteurs, le GIE ‘Villes nouvelles’ ne répond
pas à une nécessité économique mais à une fonction sociale de formation du personnel. Son
premier directeur Claude Guary avait effectué à l’EPAREB des missions d’assistance aux
collectivités locales hors du périmètre de la ville nouvelle. Il rappelle sa mission au GIE :
« Faire sortir les gens » 311 . Cela n’a pas été sans mal. Les difficultés qu’il a rencontrées
signalent l’ambiguïté des expériences professionnelles constituées en villes nouvelles. Les
EPA sont certes des lieux d’innovation, d’expérimentations, de mises à l’épreuve dans la
production urbaine mais ce sont aussi des organismes où, avec le temps, la routine s’est
installée : « Pour des urbanistes aménageurs, les villes nouvelles c’était un endroit
merveilleux. Les mecs étaient mieux payés que dans le public. […] Il faut que j’aille les
chercher. Au début ce que je fais, je me constitue un réseau de correspondants avec les plus
dynamiques, les plus motivés, des volontaires. […] Les volontaires, vous les retrouvez à des
postes importants. […] Il y a ceux qui ont réagi et qui sont allés à l’extérieur. […] J’ai bien
fait sortir 40 ou 50 personnes sur des missions plus ou moins longues de 15 jours à 3 ans »..
La tâche est apparue à C. Guary comme « énormément difficile ». Preuve que l’ouverture des
307
Entretien avec C. Guary
Ibid.
309
Ibid.
310
Ibid.
311
Entretien avec C. Guary
308
70
EPAVN sur l’extérieur n’a pas trouvé une institution pour la porter et que bien des
expériences n’ont eu aucune répercussion sur le milieu professionnel de l’aménagement.
I.4. Le « sentiment d’insécurité » des années 90 312
Au milieu des années 1990, le personnel des EPA se sent menacé. Dans son rapport de 1995
sur la situation des EPAVN, R. Peylet s’inquiète des effets qu’ont pu produire sur le moral de
ce personnel les critiques portant sur les pratiques de l’Etat aménageur et l’administration de
l’Équipement. “En permanence, flotte un sentiment d’insécurité […] . L’Etat aménageur
mérite une meilleure image de marque. Mais existe-t-il toujours ? Pour de nombreux
observateurs, il a perdu de vue sa légitimité ” 313 . Le personnel souffre d’un “ sentiment
d’insécurité ” mais aussi d’un “ sentiment d’isolement ”314 vis-à-vis de l’administration
déconcentrée du Ministère de l’Equipement. Les fonctionnaires des DDE “ reprochent (aux
EPA) une attitude ambiguë faite à la fois d’un souhait d’autonomie au demeurant légitime et
d’un besoin de soutien permanent ”315 . Concernant le domaine du logement, les EPA
mèneraient une “ politique du logement indépendante de celle conduite dans le département
où elles sont situées ” 316 , ce qui confirme la distance qu’il y a alors entre les EPA et les
services de l’État. Le sentiment d’abandon est accentué par l’absence “ des avantages que
peut procurer le réseau du Ministère de l’Équipement, qu’il s’agisse de recrutement, de
mobilité, de formation, d’expertise, de recherche ”.
Alors que Michel Cantal- Dupart cherche aussi du côté de l’État un nouveau souffle pour
l’aménagement urbain, R. Peylet appelle, dans la conclusion de son rapport, à une restauration
du volontarisme de l’administration centrale 317 . Il remet au goût du jour la vieille rhétorique
militaire de l’administration de mission : “ Il est capital de retrouver une organisation qui
permette à l’Etat d’agir avec efficacité et cohérence dans les opérations où il s’engage
comme ce fut autrefois le cas lors du lancement des villes nouvelles ” 318 . Et plus loin : “ A lui
de se mettre, à leurs côtés (les villes nouvelles), en ordre de bataille pour affronter (les
défis) ” 319 .
Dans le contexte de la première moitié des années 90, les difficultés sont nombreuses. Du fait
de :
•
•
La crise immobilière (de nombreuses SEM sont menacées et fragilisées) entraînant de
nouveaux besoins d’emprunts ;
Des hésitations des collectivités locales inquiètes ou en difficulté ;
312
Roland Peylet, Rapport du groupe de travail sur la situation et les perspectives des EPA, MELT, le 9 février
1995, p.15
313
Ibid.
314
Ibid. p17
315
Ibid. p16
316
Ibid.
317
M. Cantal-Dupart, Les hommes dans la ville. L’état de l’urbanisme en France et des professions concernées,
Paris, MELT, 1992, 2 tomes (rapport pour le compte du Ministre de l’équipemennt, du logement et des
transports)
318
Roland Peylet, Rapport du groupe de travail sur la situation et les perspectives des EPA, MELT, le 9 février
1995, p.28
319
Ibid. p.30
71
•
•
•
De la montée du contentieux (problème de la sécurité juridique qui est ol urde de
conséquences pour les EPA avec des retards dans les programmes, des hésitations
chez les investisseurs, des versements d’indemnités) 320 ;
Une difficulté d’adaptation récurrente des EPA face à de nouveaux besoins de gestion
sociale et urbaine, difficulté perçue au milieu des années 70 comme dix ans plus tard à
Évry et que des témoins soulignent à Saint-Quentin au milieu des années 90 321 ;
La nécessité concrète de se préparer à la fermeture effective des EPA.
Les années quatre- vingt dix sont aussi des années d’attentes et de faux espoirs. En 1990,
l’idée est lancée que les villes nouvelles pourraient repartir pour constituer et préserver des
réserves foncières. Les préfets sont ainsi encouragés à soutenir la création de SIEP (Syndicats
intercommunaux d’études et de programmation) et à proposer une politique de
contractualisation avec une « mise à disposition des EPA des villes nouvelles » 322 . En 1991, le
Livre Blanc de la région Ile-de-France appelle à un « plan d’urgence » en cette matière pour la
région323 . Dans les faits, le personnel des EPA voit son avenir devenir de plus en plus flou.
Cela a pour effet de « créer de l’incertitude (et) de faire partir les meilleurs agents », se
rappelle Jean-Luc Nguyen qui travaille alors à Cergy324 .
I.4.1. À Cergy : une refonte générale
L’organigramme de 1992 montre les transformations opérées depuis le milieu des années
1970. Les changements ont eu lieu alors que le nombre total de personnes travaillant à l’EPA
n’a pas bougé : elles sont 101 en 1975 comme en 1992. Mais à cette dernière date, seulement
un tiers d’entre elles y travaillent depuis plus de 17 ans.
Outre le fait que l’on ne parle plus de “ Division ” ou de “ Service ” mais de “ Direction ”, on
distingue 325 :
320
Ibid. p7
Synthèse des réponses des agents de l’atelier au questionnaire “ organisation du travail ”, décembre 1975
(AD91, 1523W/787) ; Note du DG de l’EPEVRY à M. Cussac, Joucdar, Lamarci, Muzeau et Raymond
concernant la mission de réflexion sur la création d’un centre de compétence pour le développement de l’Habitat
urbain, 12 septembre 1986, p.4 (AD91, 1523W/91). Pour Saint-Quentin voir infra l’analyse de P. Lelarge (III.4)
322
Lettre du 20 juillet 1990 du Premier Ministre au préfet de région pour la relance des villes nouvelles (archives
EPAREB)
323
Cité par Anne Marie Idrac in, Cergy-Pontoise Managers, 1991
324
Entretien avec J.-L. Nguyen
325
Comp araison entre deux organigrammes : Organigramme à la date du 1.03.1975, Directeur général Bernard
Hirsch, AD 95, 1461W/294W6F, et Organigramme de l’EPA de la ville nouvelle de Cergy Pontoise, novembre
1992, Directrice générale Anne-Marie Idrac, AD 95, 1072W/288W3D. Le directeur général suivant Bouchard
créera une nouvelle direction (Direction des équipements publics) à partir des compétences réunies dans la
Direction du développement urbain.
321
72
Les divers services en Nombre
1992
d’agents
Directeur
adjoint
15
5
14
Nombre
Agents ayant les mêmes fonctions en
d’agents
de 1975 et 1992
l’EPA présents
en 1975
5
3-4 (dont le chef de service,
anciennement directeur du Service
administratif et financier)
4
3-4
0
4
2 (dont le chef de service)
30
10
9
10
3
2
11
3
2-3
général 14
Secrétariat général
Agence comptable
Direction des études
générales
Direction
du
développement urbain
Direction
du
développement
économique
Direction
de
l’Information foncière et
urbaine
Ce nouvel organigramme fait apparaître :
•
Renforcement des fonctions de la direction générale. Le Service administratif et
financier a été largement pris en main par le nouveau directeur général adjoint qui a
pris auprès du directeur général un rôle “politique ” actif en matière financière,
foncière, d’implantation des établissements commerciaux et d’opération de
lotissements. De lui dépend un service financier, un bureau des acquisitions foncières,
une “ mission ” pour les implantations commerciales, une équipe chargée du
contentieux et des assurances et une autre de la promotion des lotissements. Le
Service administratif et financier de 1975 était apparemment plus étoffé puisque l’on y
comptait 29 personnes. Cette décroissance quantitative s’explique par l’autonomie
acquise des activités liées à l’information foncière urbaine et par le déplacement au
secrétariat général du bureau du personnel ainsi que du bureau du matériel et du
service intérieur. Le Secrétariat général qui comptait neuf personnes en 1975 a donc
été quelque peu élargi.
Cette fonction de Directeur général adjoint a été tenue par un ingénieur des Ponts et
Chaussées, nommé en 1971 alors qu’il était responsable du Service opérationnel (un
ingénieur des Eaux et forêts connaît la même promotion à Saint-Quentin).
•
Innovation avec la création d’une nouvelle direction à caractère technique. Il s’agit à
la fois de l’élargissement d’une fonction et de son autonomisation. En effet, les
questions foncières étaient traitées par l’ancien Bureau topométrique et foncier, qui
dans l’organigramme de 1975 dépendait du Service administratif et financier et deux
personnes de l’ancien bureau se sont retrouvées dans la nouvelle direction. Cette
nouvelle direction qui compte 11 personnes a des missions étendues qui tiennent à la
mise en place et à la gestion des données urbaines et du système d’information
géographique.
•
Première place donnée au développement urbain. L’ancien Service opérationnel
devenu Direction du développement urbain est encore le service le plus important en
73
nombre d’agents (ils étaient 37 dans le Service opérationnel de 1975). Ce qui était
organisé en “ cellules ” identifiées par secteur géographique en 1975 devient “ équipes
de quartiers ” dix-sept ans plus tard. Mais le principe est identique : faire travailler
ensemble sur un quartier donné un architecte, un ingénieur et un assistant technique
(dessinateur ou agent de travaux). Surtout trois des quatre “équipes de quartier ”
comptent six agents présents dès 1975 et qui ont pour la moitié d’entre eux bénéficié
d’une promotion.
•
Deux dimensions relativement stables : le développement économique et les études
générales. Entre 1975 et 1992, les directions qui coiffent ces domaines ont vu leur
effectif croître légèrement (de 7 à 10 personnes pour la première, de 12 à 14 pour la
seconde). Mais les frontières de compétences ont été modifiées depuis la
réorganisation de 1984 (disparition des questions liées au logement mettant la
Direction du développement économique sur la seule fonction d’accueil des
entreprises industrielles et de services). Dans les deux cas, on peut noter l’importance
des promotions internes (anciens dessinateurs devenus chargés d’études, assistant
d’études devenu directeur commercial, hôtesse d’accueil ayant pris des responsabilités
administratives)
•
L’agence comptable, une fonction toujours autonome. C’est la seule fonction qui est
restée totalement imperméable aux mouvements internes de l’EPA et en même temps
c’est la seule qui se soit complètement renouvelée.
L’évolution des titres et fonctions précises est en fait très difficile à apprécier. En 1975, les
titres sont mentionnés. On sait par exemple que l’EPA compte au moins 9 ingénieurs et 6
architectes. En 1992, si on s’en tient aux mentions de l’organigramme, il y aurait 5 ingénieurs
et 3 architectes. Cette “ dé-technicisation ” n’est pas impossible. Mais c’est peut-être une
autre conception du rôle donné à l’organigramme et à sa visibilité qui peut expliquer cette
différence. Autrement dit, on ne sait plus ce que cache une fonction en termes de qualification
et les titres importent moins que le domaine de responsabilité et la position hiérarchique.
L’organigramme de 1992 ne fait pas apparaître certains changements introduits par AnneMarie Idrac, Directrice générale entre 1990 et 1994. Anne Delaunne explique ainsi
l’originalité de la fonction de chef de projet qu’elle a tenu un moment 326 : « Anne-Marie Idrac
avait instauré un système de gestion de chef de projet. Elle voulait que là où il y a un projet, il
y ait un individu. Aujourd’hui (en 1996) on est revenu en arrière par rapport à ce schéma-là.
Les chefs de projets c’étaient des gens qui étaient transversaux. Moi j’étais sur l’université,
ça allait aussi bien de la planification, la programmation très en amont, jusqu’à vérifier en
aval avec ceux qui sont à la DEP (Direction des équipements publics) aujourd’hui et qui
s’occupent de conduire les mandats pour les collectivités et pour l’université. Donc pour
construire l’université, d’un bout à l’autre de la chaîne j’étais responsable. C’est moi qui
devait faire communiquer l’information, regarder si ces gens-là travaillaient bien ensemble,
s’il n’y avait pas de problèmes, et c’était ce qu’elle (A.-M. Idrac) appelait les chefs de projets.
Aujourd’hui on est revenu en arrière, il n’y a plus de gens très transversaux, c’est plutôt une
organisation hiérarchique avec le responsable d’un secteur. C’est-à -dire qu’aujourd’hui
l’université est beaucoup plus gérée par des gens qui constituent l’équipe de quartier». Cette
fonction de chef de projet a été conçue comme une mission sur un projet identifié (en
l’occurrence tout ce qui concerne l’université).
326
Entretien avec A. Delaunne (par N. Arab en 1996)
74
En ce milieu des années 90, l’EPA n’est pas sans mémoire, malgré la vague de licenciements
de 1990, qui fut un « coup dur pour la grande famille » 327 . En 1992, quatre personnes qui
travaillent à l’EPA ont connu la MEA de Pontoise-Cergy : deux directeurs (directeur général
adjoint et directeur des études générales), un agent du service des travaux, qui fit une partie de
sa carrière comme projeteur au service des études générales, et une femme agent administratif
à la Direction du développement économique (ayant commencé sa carrière comme hôtesse
d’accueil). Mais si on ajoute ceux qui ont connu les débuts de l’EPA :
•
•
•
•
•
•
un chargé de mission sur le contentieux (ancien inspecteur foncier)
un chargé d’études (ancien dessinateur du service opérationnel)
un architecte- urbaniste d’une équipe de quartier (ancien du service opérationnel)
la personne chargée des relations publiques
un agent du service des travaux (ancien chef de bureau du service opérationnel)
une secrétaire,
une dizaine de personnes ont, à des titres très divers, une connaissance approfondie de
l’organisme, de ses réseaux et de ses réalisations. Ils ont vu la ville nouvelle se construire
dans les champs et l’EPA se transformer. Cette mémoire a cependant un statut ambigu. D’un
côté, au nom du renouvellement du personnel, les promotions internes et l’expérience ne sont
pas toujours valorisées. « Aujourd’hui, déclare l’adjoint au directeur du développement
urbain 328 , lorsque les gens se présentent, ils déclinent toujours leur école, X ponts, ESSEC,
HEC. En plaisantant je dis que moi j’ai fait HET, les Hautes Etudes du Terrain, parce que
c’est ça, c’est l’expérience. J’ai touché à toute la panoplie de l’équipement et à l’EPA j’ai fait
trois postes différents et je connais tous les gens de la maison ». D’un autre côté, certains
nouveaux venus sont étonnés de voir des agents relativement peu qualifiés avoir de lourdes
responsabilités ou notent que d’autres sont installés dans la routine.
À propos de la mémoire de la construction de la ville nouvelle de Cergy, notons qu’au cours
des années quatre- vingt, si on exclut le personnel technique et les agents de bureaux ce sont
les architectes qui constituent, chez les cadres, le groupe majoritaire des anciens détenant a
priori cette mémoire et c’est sur eux que l’on compte. Sur les Rives de l’Étang-de-Berre en
1985, on dénombre 6 architectes et 1 paysagiste travaillant sur ce territoire depuis plus de 19
ans sur 11 agents identifiés (en dehors du personnel technique et des agents de bureau). À
Cergy, la même année, les architectes et paysagistes présents depuis plus de 21 ans sont au
nombre de 6 sur un total de 15 agents identifiés. À Evry le rapport est de 9 architectes et 1
paysagiste sur un total de 22 agents (toujours hors personnel technique et agents de bureau).
Ainsi, quand, en 1979, le nouveau Directeur général de l’EPAREB cherche à s’attacher un
adjoint ayant une mémoire de la ville nouvelle, il s’adresse à un architecte- urbaniste, Jean
Ecochard, qui connaît depuis longtemps le territoire. Lucien Gallas justifie ce choix par la
situation d’amnésie dans laquelle se trouve alors l’EPA, après la départ du tiers de son
effectif, départ qui concerne surtout des cadres supérieurs ; « Il va me servir parce qu’il
connaît bien le périmètre. Il a l’historique que je n’ai pas » 329 . Intervenant sur le secteur
depuis 1966 au sein de l’OREAM de Marseille puis à la MAEB, à la MIAFEB et à la
MIDAM, Jean Ecochard a, selon Lucien Gallas, « une vision de l’aménagement du
territoire,( et) une vision cohérente sur l’aire métropolitaine » 330 .
327
Entretien avec A. Delaunne (par N. Arab en 1996)
Entretien avec M. Cosqueric (par N. Arab en 1996)
329
Entretien avec L.Gallas.
330
Ibid.
328
75
I.4.2. L’horizon d’un urbanisme d’études et de conseil
Au fur et à mesure de l’avancement dans la construction des villes nouvelles, les activités des
agents des EPA se sont remodelées. Dans son rapport de 1995, Roland Peylet observe le
déclin des « études générales […] au profit de l’opérationnel » (exception faite de Marne- laVallée et de Cergy-Pontoise qui ont encore un “ nombre appréciable d’architectesurbanistes) ” 331 . Ce qui vaut à nombre d’architectes des services d’urbanisme de “ se
consacrer de plus en plus à l’opérationnel ”. En même temps, les études changent de contenu.
Suivant la politique de diversification des activités des EPAVN et l’éventualité de leur
transformation en agences d’agglomération, les “ études générales ” ont été relancées à la fin
des années 80, notamment à Evry et Cergy sous une forme nouvelle, relativement autonome
par rapport aux fonctions directement opérationnelles. Il s’agit d’une fonction de conseil et
d’orientation, d’une assistance à la maîtrise d’ouvrage ou de tâches d’observation, - comme
cela devient le cas fréquent dans les Agences d’urbanisme -, ou encore d’un accompagnement
à la conception de projet. Roland Peylet affiche une ambition “ prospective ”, c’est-à-dire une
“ capacité d’adaptation à un marché en pleine évolution ”, et propose de “ reconstituer une
capacité d’études et de prévision ” tant dans les EPA qu’au niveau central (projet de
transformer le SGGCVN)332 . En matière d’études, les EPA semblent avoir développé une
expertise qui leur est propre, fondée sur leurs territoires et leurs acquis. C’est un versant de
l’expérience professionnelle que de trouver sous le même terme - le travail d’études - mais à
trente ans d’écart, des finalités, des pratiques et des méthodes très différentes.
Dans le cas de l’EPEVRY, dès 1971 et jusqu’à la fin des années 80, l’observation des
changements du territoire urbain est un souci constant. En 1971, on relève la proposition d’un
“ observatoire économique ”, dont l’objet serait de “ suivre l’évolution démographique et
économique au niveau de chacune des quatorze communes et autant que possible au niveau
de chaque opération de logement (+ de 500) et de chaque entreprise […] (afin de) faciliter
l’équilibre habitat/travail et l’ajustement des types de logements aux besoins ”333 . En 1978,
apparaît effectivement dans l’organigramme le projet d’un observatoire économique. Celui-ci
est rattaché au service « Emplois » et a pour objet l’exploration et l’orientation
(programmation) des activités opérationnelles : “ 1/Il recueille et analyse toutes les données
concernant l’évolution de la ville nouvelle (logements, populations nouvelles, emplois,
fréquentation des équipements, nécessité de connaître toutes les statistiques disponibles, de
disposer des sources statistiques départementales, régionales et nationales). 2/ Il participe à
la programmation qualitative des logements, des équipements et des activités ”334 . En 1982
est créé un observatoire de l’environnement qui est quant à lui rattaché directement à la
Direction générale 335 . Puis cinq ans plus tard, en 1987 est mise en place une mission d’études
de documentation et d’observation pour la région d’Evry (OMERE) qui reprend et développe
les attributions de l’observatoire de l’environnement. Sa fonction se situe en amont, puisqu’il
s’agit d’observer l’évolution économique et sociale de l’agglomération nouvelle (avec la mise
331
Roland Peylet, Rapport du groupe de travail sur la situation et les perspectives des EPA, MELT, le 9 février
1995
332
Ibid. p7
333
Notes du 06.07.1971 d’Yves Damoiseau à Monsieur Lalande concernant les expériences pilotes en matière
d’informations sur le logement, menées à Saint-Quentin-en-Yvelines, Cergy et Rennes. Propositions pour la ville
nouvelle d’Evry et projet d’observatoire économique (AD91-1523W/787).
334
Note du 31.01.1978 sur le service emplois (AD91-1523W/787).
335
Décision n° 27-82 du 01. 04.19 82, création d’un observatoire de l’environnement (AD91-1523W/787).
76
en place d’indicateurs). Il vient alimenter les “ réflexions qui pourront aider ceux qui les
auront commandées (Etat, communes, département, région)”, afin de “ maîtriser leurs
propres développements et assurer les harmonies souhaitables ”. Il est précisé qu’il
n’appartient pas à OMERE de procéder à des études ayant un caractère opérationnel336 . Le
chef de la cellule OMERE est par ailleurs le chef de l’Atelier d’urbanisme.
Au-delà de ces activités d’observation qui prennent de plus en plus d’ampleur, les fonctions
d’études n’ont pas tout à fait la même histoire d’un EPA à l’autre. À Cergy, la direction des
études générales a développé des savoir- faire autour des directives d’aménagement et de la
maîtrise d’œuvre urbaine depuis le début des années 70. Les « Ateliers d’été de Cergy » créés
en 1981-82 sont une des manifestations de ces savoir- faire accumulés par les architectesurbanistes et de leur souci de réflexivité autour du contrôle du « projet ». Au début des années
90, la Direction des études générales et par suite Bertrand Warnier sont en charge non
seulement de ces Ateliers, mais aussi de l’association « Axe majeur », du GIE Exportation,
etc 337 . Alors que les villes nouvelles sont devenues des villes « ordinaires », elles restent donc
pour les architectes un objet de débat et un lieu d’expérimentation. Les études ont plus que
jamais une fonction critique et les prestataires extérieurs sont précisément invités à tenir ce
rôle : « L’EPA a toujours payé des gens pour être critiqué » explique Michel Jaouen qui après
avoir travaillé à Cergy a repris une activité libérale 338 . C’est aussi sur les interlocuteurs
extérieurs, leur expérience, leur « matière grise » que compte le Directeur des études
générales de Cergy pour à la fois faire passer des idées au sein de l’EPA et former les
urbanistes les plus jeunes 339 . On pourrait alors s’attendre à voir les EPA devenir des agences
d’urbanisme. Ce serait oublier que les EPA sont vus au milieu des années 90 comme des
« structures fortes capables de porter des projets, alors que dans les agences on voit partir
les études aux placards, parce que derrière il n’y a pas l’outil qui permet de transformer les
intentions en réalisations » 340 .
336
Note d’orientation pour la mise en place d’OMERE, 29.09.1987 (AD91-1523W/787).
Organigramme de l’EPA de la ville nouvelle de Cergy-Pontoise, novembre 1992, AD 95, 288W3D
338
Entretien avec M. Jaouen (par N. Arab en 1996)
339
Entretien avec B. Warnier (par N. Arab en 1996)
340
Entretien avec A. Delaunne (par N. Arab en 1996)
337
77
78
CHAPITRE II – UNE ADMINISTRATION DE MISSION
LESTÉE PAR LES CULTURES PROFESSIONNELLES
Les Missions sont fréquemment présentées comme des organismes relativement légers et
évolutifs, qui auraient été capables à ce titre de s’adapter aux circonstances, de faire preuve
d’efficacité et par ricochet de renouveler les méthodes et métiers de l’urbanisme. Cette
représentation qui vaut aussi pour les premiers temps des EPA a le défaut d’être lisse et
statique, de faire croire que ces structures ont été stables et douées de raison, que les
compétences réunies avaient à composer en fonction d’une seule et heureuse direction.
Dans les faits, on constate deux phénomènes. D’abord, comme le chapitre précédent l’a mis
en évidence, le sens de la “ mission ” et son organisation changent au fur et à mesure de
l’avancement de la construction de la ville nouvelle. C’est l’écart entre les fonctions d’étude
et les fonctions opérationnelles qui se creuse, la place des fonctions d’administration et de
“ commercialisation ” qui s’étend. La Mission puis l’EPA se déforme ainsi sous l’effet d’une
répartition des tâches qui se renouvelle en permanence, ce qui n’est pas sans conséquence sur
le travail de chacun comme sur le travail collectif. Et chacune de ces fonctions est elle-même
en transformation continue et appelle des redéfinitions quant à ses objets et ses finalités
(l’étude, la construction, la vente, la remise d’ouvrage).
Ensuite la Mission devenue l’EPA est doublement tiraillée. Elle l’est d’une part entre des
cultures professionnelles préexistantes et qui sont parfois en conflit, en particulier des cultures
qui font “ corps ” comme chez les architectes ou les ingénieurs qui ont par ailleurs des
pratiques de travail et des conceptions de l’organisation assez différentes. Elle l’est aussi en
raison de nouvelles formes de savoirs et de savoir- faire qui non seulement ne peuvent pas
faire référence à des métiers constitués de très longue date mais qui sont qui plus est pour
certains en train de s’inventer, là, en villes nouvelles. Ainsi l’urbanisme donne-t- il lieu dans
ces « laboratoires » à la fois :
•
•
à des collaborations sans précédent entre savoirs et savoir- faire, collaborations dont les
formes sont plus ou moins volatiles et qui peuvent faire émerger des compétences
nouvelles ;
et en même temps à des effets de différenciation, du fait à la fois des générations et
des métiers en présence, car on a d'un côté les anciens, de l'autre les nouveaux, d’un
côté des métiers bien identifiés et de l’autre des métiers pour lesquels les mots font
souvent défaut ou pour lesquels il y a des luttes de désignations. La question se pose
avec une acuité particulière pour ceux que l’on appelle les “ aménageurs ” et dont on
ne sait pas bien s’ils ont un métier particulier ou s’ils contribuent à une fo nction
singulière 341 .
Cette seconde partie plus thématique que chronologique est consacrée aux métiers, aux
collaborations que les Missions et EPA ont imposées aux agents qui y travaillaient et aux
limites que de telles collaborations ont rencontrées. Davantage que dans le chapitre précédent,
nous aurons ici recours aux entretiens.
341
Autour de la différence entre urbanisme et aménagement, P. Merlin, « L’enseignement de l’aménagement et
de l’urbanisme », Géographie, Économie, Sociétés, vol. I, n°2, 1999, 367-379
79
Le travail en commun peut prendre des formes fort différentes, selon les modalités
d’organisation mais aussi selon l’étape du processus de réalisation des villes nouvelles, c’està-dire selon que l’on est dans la phase de conception, dans la construction ou si l’on se trouve
dans au moment où la fermeture des EPA est plus ou moins imminente. En première
approche, ce travail supposé être commun, ou à la rencontre de plusieurs métie rs, est dominé
par les architectes-urbanistes vis-à-vis desquels s’organisent les jeux de proximité et souvent
de distance de la part des autres membres des Missions et EPA. En réalité, cette domination
est très relative. Elle dépend du contexte, tout à la fois du lieu et du moment.
II.1. Formes et déformations de la “ pluridisciplinarité ”
La mémoire des professionnels rencontrés est marquée par le « bonheur » du travail en
équipe. Lui est toujours associé le terme de pluridisciplinarité (ou multi-, ou inter-) qui est un
thème récurrent de l’urbanisme depuis au moins la seconde guerre mondiale 342 . Les villes
nouvelles en proposent une version particulière et évolutive du fait de leur nature
d’administration de mission, où coexistent et se croisent diverses compétences et deux genres
d’activités : l’urbanisme d’études et l’urbanisme opérationnel. Plusieurs conceptions et
pratiques de la pluridisciplinarité se succèdent.
II.1.1. La pluridisciplinarité dans l’urbanisme d’études
La pluridisciplinarité est un terme magique. Invoquée de manière incantatoire par les
professionnels, elle prend souvent la forme d’un récit enchanté d’une réconciliation autour de
l’urbanisme. Le plaisir de travailler en équipe est largement partagé et perçu comme d’autant
plus précieux que, sortis des villes nouvelles, les professionnels peuvent se retrouver à devoir
travailler seuls. Au-delà des réseaux que ce travail a pu tisser, « les villes nouvelles, cela
forme à la pluridisciplinarité », reconnaît aujourd’hui l’ingénieur-urbaniste Gérard
Plaisant 343 . Un ingénieur des Ponts et chaussées quant à lui souligne que, après avoir appris
dans un service des Ponts et chaussées à commander des subalternes et à négocier avec des
élus, puis après être passé quelques années à la Mission Basse-Seine, il était devenu pour lui
« banal de travailler avec des gens qui ne sont pas ingénieurs » 344 . Un autre ingénieur
compare sa façon de travailler en SEM (« c’est pas un travail collectif c’est un travail qu’on
paye ») et ce qu’il pratique ensuite en EPA (« c’est plus satisfaisant d’avoir des collègues que
des sous-traitants »)345 . On découvre au fil des entretiens et des archives, des pratiques et des
conditions très différentes de ce travail en équipe. De ce point de vue, la phase des études en
Missions se distingue de la phase suivante où les organismes sont mobilisés pour faire sortir
de terre des infrastructures, des logements, des équipements, des espaces verts.
Dans les années 1965-70, l’urbanisme d’études se développe dans « l’atelier ». Il n’est pas
nécessairement pluridisciplinaire. Constitué d’architectes et directement piloté par le directeur
général, l’atelier de la Mission de Trappes vit un peu à part (même dans sa localisation
342
Nous nous permettons de renvoyer à l’ouvrage, V. Claude, La ville travaillée. Les métiers de l’urbanisme au
XXème siècle (à paraître)
343
Entretien avec G. Plaisant.
344
Entretien avec J.-C. Douvry
345
Entretien avec R. Varret
80
spatiale) et recourt aux autres services de manière ponctuelle. En revanche, à la Mission de
l’Étang de Berre, dans le souvenir de D. Becker, ingénieur des Ponts et chaussées, les
échanges internes sont intenses et le temps passé dans les discussions lui paraît a posteriori
énorme : « C’est vrai qu’il fallait que l’on se forge une vision des choses. Et c’est quand
même pas facile. Et puis il y a des conflits de personnes. Les architectes qui travaillent
ensemble, c’est extrêmement difficile. Parce que chacun s’approprie sa vision de la ville.
Faire échanger deux architectes sur un sujet de ville, c’est quelque chose d’épouvantable.
[…] L’économiste, il a une approche beaucoup plus rationnelle. C’est quelqu’un avec qui on
peut discuter plus facilement. Ce qui est difficile, c’est quand le passionnel l’emporte sur le
rationnel. Et quand vous touchez au fondement même d’un métier qui est chargé de concevoir
quelque chose. Et ce que l’on conçoit, c’est son projet à soi sur lequel on veut mettre son
nom. Donc c’est très difficile. […] Le sociologue n’intervenait pas trop dans le débat interne.
Le rôle du sociologue, il était plutôt d’approcher le problème de la population. Ces villes sont
faites pour être habitées. Comment on intègre dans la démarche, les problèmes de
population ?[…] Les sociologues ne faisaient pas de la sociologie universitaire. C’était des
gens qui avaient une approche beaucoup plus pragmatique sur les problèmes des
équipements, sur les problèmes de vie collective, sur la vie des associations, à la limite
presque la communication. » 346 .
Par rapport à ce qui est promu dans les années 60, dans les services d’études, que ce soit au
sein du STCAU en 1967-69, dans les Groupes d’études et de programmation (GEP) des DDE
ou dans les agences d’agglomération, la notion de pluridisciplinarité a pris dans les Missions
et EPA des villes nouvelles un sens singulier347 . Les études ont en effet dans ce cas un but
précis : proposer une image, ensuite mettre en place un processus, puis faire en sorte que
fonctionne un système de production de la ville. Il s'agit pour les Missions de fixer des
objectifs d'aménagement qui puissent trouver les moyens correspondants, de manière à ce
que, concrètement, la ville se matérialise sans que l’on s’attache à des scénarios ou à des
« horizons » trop lointains. La pluridisciplinarité des études est alors tirée par l’objectif de
construire et les EPA sont organisés de telle sorte que les compétences opérationnelles sont à
proximité des hommes d’études pour vérifier – ou s’assurer - qu’une idée peut devenir une
réalité techniquement et économiquement viable, la question de sa recevabilité politique et
sociale restant dans les premières années largement ouverte.
Arrivé en 1969 à l’agence d’urbanisme de Marseille (AGAM), Lucien Gallas organise les
études à partir de l’expérience qu’il a eue au STCAU, où il s’agissait de « travailler sur les
grandes méthodes ». Il précise : « Moi-même j’étais ingénieur et j’ai essayé de la faire un peu
oublier et de jouer un rôle de pilote et de synthèse ». Appliquant l’analyse de système aux
démarches de l’aménagement 348 , il cherche au sein de l’agence à « articuler les points de vue
des sciences humaines et ceux des gens chargés d’imaginer comment pourraient se
développer progressivement des infrastructures de transport » 349 . Mais en même temps,
comme on l’a vu, la nouve lle organisation qu’il conçoit pour l’EPAREB doit beaucoup à son
expérience du couple formé par l’AGAM et la SEM locale.
346
Entretien avec D. Becker.
Sur les fonctions études et le STCAU, V. Claude, Les fonctions “études” et l’administration de l’urbanisme :
fonction centrale contre fonction diffuse (1954-1969), École d’Architecture de Strasbourg, ENSAIS, (pour le
compte du Plan Construction et Architecture et de la Direction de la Recherche et des Affaires Scientifiques et
Techniques), Paris, MELT, juin 1994.
348
J. Brian Mac Laughlin, Planification urbaine et régionale, Paris, Dunod, 1972
349
Entretien avec L. Gallas
347
81
Ailleurs, comme à l’agence de Grenoble, Mireille Lucas voit des démographes, des
sociologues, des urbanistes, des spécialistes des transports travailler ensemble. Mais, après
pas loin de trente années passées à l'EPASQY, elle mesure la différence : « C’était au niveau
des réflexions que c’était pluridisciplinaire… c’est plutôt le travail d’observatoire, d’études et
de préconisations… ça n'allait pas jusqu’à l’opérationnel ». Dans un EPAVN, il en est
autrement : « C’est une pluridisciplinarité de réalisation. […] Un EPAVN c’est pas fait pour
faire des études, c’est fait pour que sur le terrain se traduise un projet de ville, un projet
urbain. Tout est tendu vers ça»350 .
Des études sont aussi réalisées plus en amont de cette finalité constructive. C’est le cas pour la
commune de Miramas sur les Rives de l’Étang-de-Berre au cours des années quatre-vingt.
Ces études semblent alors ponctuelles, très ciblées et s’apparentent davantage au diagnostic
social dans une relation empathique avec le terrain : « Miramas qui était une ville un peu
sinistrée avant que l’EPA existe, avait eu une programmation de logements monstrueuse en
quantité par rapport à ce que pouvaient être les véritables besoins. Donc on s’est penché sur
cette ville en regardant les gens présents dans les opérations qui avaient plus ou moins
avorté, en cherchant comment recoller les morceaux, comment redémarrer des démarches
nouvelles mais sans brutaliser la ville. C’était une démarche très proche du terrain. […] Il y
avait des gens, comme Anne-Marie Henriot, qui ont des profils très sciences humaines qui
sont très importants dans la manière d’approcher les opérations notamment sur un espace en
difficulté comme Miramas. […] Je ne sais pas si elle se serait trouvée mieux (dans une agence
d’urbanisme). Elle était très en quête de terrain, très proche du terrain » 351 . De telles postures
vont bien au-delà du travail d’études – entendu comme un travail en chambre - mais
apparaissent largement en deçà de toute visée opérationnelle.
Selon le responsable de l’EPAREB dans les années 80, la pratique de la pluridisciplinarité est
à ce moment- là fortement territorialisée, à la différence de ce qui se fait à l’agence
d’urbanisme de Marseille. Conjuguant les affinités de différents professionnels, cette pratique
prend un nouveau sens lorsqu’un autre objectif s’impose, celui de construire. C’est vrai à
l’EPAREB comme ailleurs.
II. 1.2. La pluridisciplinarité comme outil de production
La représentation des interdépendances est une autre façon de parler de la pluridisciplinarité.
« Ils avaient tous besoin de nous » est une phrase que l’on a entendue, aussi bien de la part
des agents du service foncier, du service financier ou de la programmation. Cela se traduit par
une certitude : chacun sait qu’il est indispensable et en même temps que, sans les autres, il n’y
arrivera pas. Un ancien directeur général définit ainsi l’équipe : « Des gens individuellement
incompétents, mais qui globalement apportent des réponses » 352 . Cette représentation
organique s'accompagne d’une proximité continue et d'échanges incessants entre les membres
du personnel. Certains agents doivent au quotidien informer, s’informer, recue illir un avis
auprès de leurs collègues, leurs rappeler leurs propres contraintes (le temps, le budget, les
possibilités et impossibilités techniques, les demandes et engagements vis-à-vis de
l’extérieur). À cet égard, les personnes chargées de la communication, de la
commercialisation ou du contrôle de gestion ont la vision la plus globale mais aussi la plus
350
Ibid.
Ibid.
352
Entretien avec P. Linden
351
82
superficielle de ces interdépendances. De la contrainte, les agents placés dans les fonctions les
plus techniques (au sens de l’ingénieur) en ont à l’inverse une représentation plus sectorielle
et plus prégnante.
Au plus près du terrain, cette interdépendance prend un caractère opérationnel. À CergyPontoise, la réalisation du centre et du quartier de la Préfecture fait l'objet en 1969 d'une
réflexion approfondie : cette réalisation est vue comme une opération névralgique et
susceptible à la fois de préfigurer le centre de la ville nouvelle et d’inaugurer une manière de
fabriquer celle-ci. Cette réflexion met en relief la complexité des interdépendances qu'il faut
concevoir 353 . Dans l’explication qu’en donne le chef du Service opérationnel, Pierre Richard,
cette complexité vient de la nécessité qu'il y a de distinguer et de relier à la fois des temps, des
tâches, des échelles. Son discours de la méthode s’articule autour de quatre opérations :
•
•
•
•
Distinguer la part des études (avant et en interne à la Mision-EPA) et celle de la
réalisation (après l'apparition du maître d'ouvrage externe) et en même temps les
articuler.
Distinguer les échelles : si le quartier est considéré comme un projet d’ensemble, il est
aussi composé de "projets élémentaires" (ou "opérations") ce qui oblige à distinguer des
"secteurs" au sein du quartier tout en pensant leurs relations.
Distinguer des niveaux de responsabilités :
•
chaque projet est "géographiquement identifiable" et placé sous la
responsabilité d'un architecte ("car chaque projet se traduit in fine par une
esquisse architecturale") ;
•
en même temps, chaque projet a son substratum qui déborde de ses limites
(VRD, foncier, dimensions financière et administrative) et qui demande la
participation d'autres compétences avec un responsable fonctionnel.
Chaque maître d'ouvrage a donc deux interlocuteurs au sein de l'EPA (responsabilité
architecturale et responsabilité fonctionnelle) et ces deux interlocuteurs doivent organiser
cette relation.
Agréger les projets élémentaires autour de problèmes types qui sont pris en charge par des
coordinateurs internes à l'organisme.
Cette réflexion dessine des interdépendances fonctionnelles multiples et fines. En plus de
l'éventail des compétences techniques, elle distribue trois rôles autour des projets :
responsable, participant, coordinateur. Comme on le verra plus loin, dans le témoignage de
Michel Gaillard, le coordinateur acquiert progressivement une vision générale et intégrée des
différentes échelles, des différentes étapes et des différentes compétences d’une opération,
cette vision restant pourtant limitée à cette opération.
À Cergy, le Service opérationnel de la Mission se compose de “ cellules ”. En 1968-69, sur le
modèle du quartier de la Préfecture, on en retrouve le principe pour le quartier d’Éragny.
Deux ou trois compétences différentes composent une “ cellule ”. Il en est de même pour la
base de loisirs et la zone industrielle. En 1975, dans les cellules du même Service opérationnel
de l’EPA (dénommées “ Centre ville nouvelle ”, “ Logements quartier préfecture ”,
“ Éragny ”) on trouve un architecte, un ingénieur et un dessinateur, plus souvent un architecte
accompagné d’un ou deux dessinateurs. En 1992, cette façon de faire s’est clarifiée et
stabilisée. Le Service opérationnel rebaptisé Direction du développement urbain est, à cette
date, composé de quatre “ équipes de quartier ”. Chacune d’entre elles est censée assurer les
353
Note du 19.03.1969 de P. Richard AD 95, 1315W/67W71
83
fonctions suivantes : “ Conception des quartiers, urbanisme opérationnel, aménagement des
espaces publics, architecture, directives d’opérations. Assistance aux constructeurs pour la
mise au point des opérations ”. 354
L’équipe de quartier intervient :
•
•
“ pour les travaux dont l’établissement public assure la maîtrise d’ouvrage, depuis les
premières études de conception jusqu’au dossier d’appel d’offres,
pour les réalisations qui font l’objet d’une maîtrise d’ouvrage extérieure depuis les
premières études et la remise des directives d’aménagement jusqu’au permis de
construire ”.
Selon les énoncés de l’organigramme, chaque équipe se compose 355 :
• d’un “ ingénieur plus spécialement chargé des projets d’infrastructures, du bilan des
ZAC, de la gestion technique des opérations ”,
• d’un “ urbaniste plus spécialement chargé de la conception des quartiers (urbanisme,
aménagement des espaces publics) et du suivi de projets sur les plans de l’urbanisme, de
l’architecture, de l’environnement ”,
• d’un “ assistant technique ” qui suit les études, réalise les documents écrits et graphiques
et seconde l’ingénieur et l’urbaniste,
• et d’un “ dessinateur ” qui procède à l’exécution de l’ensemble des documents
graphiques.
Quatre secteurs sont à ce moment- là identifiés : Cergy-Préfecture, l’Hautil, la Rive gauche de
l’Oise et l’ensemble alors en chantier, composé des quartiers de Courdimanche, Cergy SaintChristophe et Cergy- le-Haut. Il est alors entendu que ces “ secteurs d’intervention sont
susceptibles d’évoluer en fonction des nouveaux quartiers à urbaniser ”. Les agents
travaillant dans ces équipes ont pour plus de la moitié d’entre eux plus de vingt ans
d’ancienneté dans l’EPA et notamment dans le même service opérationnel (ancêtre de la
Direction du développement urbain). Leur activité s’appuie sur une bonne connaissance de la
construction de la ville nouvelle et sur une expérience du travail en commun.
Le passage à la phase opérationnelle et à sa logique de production rend par conséquent
l’interdépendance particulièrement impérative. En témoigne Michel Gaillard, architecte à
Cergy, qui donne à voir comment les choses se passent concrètement 356 : « Mon travail
consiste à faire des directives d’urbanisme des opérations, suivre leur réalisation, accueillir
les habitants. J’affine le programme et je définis le type de maîtrise d’ouvrage qu’il faut
chercher. Je découpe le secteur entre HLM locatifs, HLM en accession à la propriété,
activités. Il faut déterminer la position du marché, des commerces, de l’école, du LCR. Il faut
organiser leur cohabitation, déterminer les espaces de stationnement, figer le périmètre des
terrains à céder et les desservir en réseaux. Les directives d’aménagement précisent ces
354
Organigramme à la date du 1.03.1975, Directeur général Bernard Hirsch, AD 95 1461W-294W6F ;
organigramme de l’EPA de la ville nouvelle de Cergy-Pontoise, novembre 1992, Directrice générale Anne-Marie
Idrac, AD 95 1072W-288W3D
355
En 1996, les équipes « généralement constituées d’un architecte-urbaniste, d’un ingénieur d’études pour les
réseaux en particulier et en général un projeteur et à l’époque un dessinateur. Maintenant c’est l’informatique
qui fait tout ça, on n’a plus besoin de dessinateur... Donc une équipe par quartier qui est à l’origine un peu de
tout ce qui se passe, ce sont eux qui donnent les directives pour les opérations qui doivent être réalisées sur leur
territoire ». Entretien avec M. Cosqueric (réalisé par N.Arab en 1996)
356
Entretien avec M. Gaillard
84
frictions (…). Je trace les plans, les dessins d’atmosphères recherchées, je gère mon quartier
sur maquette. Claude Lancelle (directeur du service opérationnel) coordonne l’activité des
différents spécialistes impliqués : foncier, contrats de vente, réseaux, programmation,
chantier. Lancelle veille à ce que Fauchey (ingénieur infrastructure) fasse son boulot (les
prestations BET), à ce que moi je fasse le mien, à ce que les types achètent les terrains (« Est
ce qu’on les a ? Est ce qu’on peut les vendre ? »)… Odile Jourdan, sociologue assure le lien
entre les logements à construire et les entreprises : « L’année prochaine, disait-elle, on va
recevoir telle entreprise. Le chantier démarre à telle époque. Il faut 350 logements machins,
150 logements trucs ». Lancelle cherche les promoteurs. En haute conjoncture, c’est nous qui
désignons les architectes. En basse conjoncture : « Vous pouvez choisir, Messieurs ». C’est
ça le boulot en EPA, tout doit se coordonner en même temps : logements, commerces,
équipements, transports ».
L’architecte dès lors qu’il est coordinateur est pris dans ce système de production au point
d’être parfois considéré comme un « ingénieur des travaux »357 . Il acquiert une conscience
aigue de ses responsabilités et de celles de l’organisme. Car non seulement il assure « la
qualité de l’espace public, les ramifications privées, les liens fonctionnels, plastiques,
architecturaux, paysagers qui doivent se tisser entre tous les éléments des programmes
individualisés » 358 . Il est aussi conscient que le système de production urbaine crée des
solidarités fonctionnelles : « La compétence que les autres devaient me reconnaître, c’était
celle-là. Je devais mettre sur le terrain, dans l’espace, ce que les autres spécialistes me
donnaient. Chaque spécialiste était un moyen de mieux travailler. Je savais que les tubes que
faisaient Fauchey, c’étaient nous, l’EPA qui les payons, c’était dans l’équation de nos
salaires, de la vie de la boutique. Quand Fauchey me demandait de raccourcir ou de mettre
tel tuyau à tel endroit, pour améliorer son bilan, c’était important. C’était un problème que je
prenais en compte, (même si) je pouvais faire valoir d’autres arguments ». Cette mise en
commun des contraintes est un fait que d’autres, dans de tout autres fonctions, ont aussi perçu.
Au service financier de l’EPASQY Gérard Cousson (économiste, 27 ans à son entrée à l’EPA)
se souvient que la circulation des fiches navettes qui donnaient des coûts d’objectifs des
ouvrages a permis que « le service travaux s’acculture à la question financière… qu’il intègre
la contrainte »359 .
Cette interdépendance est perçue comme d’autant plus forte que s'impose la logique des
périmètres d’études et d’intervention, comme à l’EPAREB où les services techniques sont
faibles pour ne pas dire absents. Dans cet EPA, au début des années 1980, les services étant
organisés par secteurs géographiques, l’interdisciplinarité se définit comme un ensemble
d’interactions multiples et permanentes, une discipline commune sur un territoire qui est au
centre du projet. Gérard Plaisant y travaillait en petite équipe avec « une architecte (Nicole
Chalain), un paysagiste (Georges Demouchy), un ingénieur (GP), une sociologue (AnneMarie Henriot). Ça c’était formidable comme organisation. C’était très moderne et ça a
produit vraiment… D’abord la qualité des relations des gens, tout le monde avait vraiment
cet objectif. Et l’on se jugeait par rapport à ce que l’on produisait. C’était très riche et j’étais
avec des gens d’une énorme qualité. Là on s’est vraiment fait plaisir » 360 . Les situations de
travail sont ici vécues comme quasi fusionnelles.
357
Entretien avec R. Hornberg (réalisé par N. Arab en 1996)
Ibid.
359
Entretien avec G. Cousson
360
Entretien avec G. Plaisant
358
85
II.1.3. La pluridisciplinarité comme outil de management
Jusqu’au milieu des années 80, au sein de l’EPEVRY, la pluridisciplinarité se pratique
essentiellement dans des “ groupes de travail ”. Ces derniers réunissent des professionnels de
formation et de services différents et doivent compenser les défauts d’une organisation décrite
comme trop verticale. On retrouve le même phénomène au sein de l’EPASQY comme le
confirme la campagne d’entretiens effectués auprès de son personnel d’encadrement. À la
question : “ Comment se traduisait dans le travail concret le souci de la pluridisciplinarité au
sein de l’Établissement public ? ”, les professionnels de Saint-Quentin répondent en évoquant
la constitution de “ groupes de travail interdisciplinaires ”. À Evry, le groupe de travail
pluridisciplinaire équivaut en réalité à un groupe de travail inter-services. En 1978, dans le
cadre des travaux de la commission “ conditions de travail ”, on espère par ce moyen assurer
des liaisons organiques et une coordination entre les services qui fait alors cruellement défaut.
Sont alors proposées à la fois la “ constitution de groupes de travail sur un thème donné (la
programmation) constitués d’un membre de chaque service concerné - ce groupe n’ayant
aucune responsabilité particulière si ce n’est de coordonner l’action des différents
intervenants, les chefs de service restant responsables, chacun dans son domaine, et sans
aucune préséance de service ” - et la mise en place de “ réunions systématiques entre des
services ou des parties de service dans des domaines où une réflexion élargie est souhaitable
(participation du service promotion lors des réunions de l’atelier sur tel ou tel secteur
opérationnel par exemple) ”361 . Ces groupes ont eu plus ou moins de succès. Ainsi au cours
des années 1980, à Evry : “ Certains (de ces groupes) ont bien fonctionné (logement des
jeunes, câble, St Michel). D’autres comme le groupe projet “ Centre ” dont j’ai proposé
plusieurs fois la création, n’ont jamais pu être opérationnels ” 362 .
En 1985, un rapport d’enquête de l’inspection des Finances sur l'EPEVRY, soulignant le
caractère cloisonné de son organisation, propose que cette “ organisation verticale ”, source de
blocages et de conflits, soit remplacée par une organisation horizontale, “ pluridisciplinaire
par zone géographique […] regroupant commerciaux, urbanistes, techniciens ”. Cette
formule aurait le mérite de permettre la constitution par secteurs d’équipes de professionnels
“ responsables de leurs décisions communes (et ainsi) jugés et sanctionnés dans la procédure
de contrôle de gestion ”, mais aussi capables comme “ intermédiaires, de filtrer les
conflits ”363 . Si la diversité disciplinaire existe dans les EPA du simple fait de la variété des
origines et des profils professionnels des agents, elle a été utilisée à Évry d’abord comme un
outil d’aménagement, ensuite comme un outil de régulation et de management. Les groupes
de travail qu'ils soient thématiques ou géographiques ont pour but de sortir les services de leur
isolement et d’éviter la confrontation entre logiques différentes.
Le projet d’organisation de la division “ Habitat ” dans la nouvelle formule prévue à
l’EPEVRY pour 1987 propose effectivement un “ système croisé permettant des
regroupements sous deux aspects :
361
Compte-rendu de la réunion du 23.12.77 entre MM Lalande et les chefs de service et la commission
« conditions de travail » (AD91 1523W/787)
362
Compte-rendu de Colot de la réunion du comité d’entreprise du 27. 06. 1986 “ en vue de préciser la mise en
place de la réorganisation générale proposée par la Direction Générale ”, p.2 (AD91 1523W/1795).
363
M. Severino, inspecteur des finances, rapport d’enquête sur l’EPEVRY, Ministère de l’économie et des
finances et du budget, août 1985, p.4 (AD91, 1523 W / 598).
86
•
•
verticalement pour rassembler les compétences dans deux unités (marketing
développement commercialisation d’une part, étude et production de l’espace urbain de
l’autre)
horizontalement pour rassembler les professionnels dans une équipe de travail ayant
pour objectif la réalisation d’un secteur ou d’un îlot ”364 .
Au fil du temps, ce que l’on appelle pluridisciplinarité est dans ce cas devenu un moyen
d’activer un organigramme qui sommeille ou qui risque la sclérose. Cette utilisation du
groupe de travail est assez habituelle même dans les établissements qui n'ont pas rencontré les
difficultés et la crise de l'EPEVRY. À Saint-Quentin-en-Yvelines, par exemple, Jean-Paul
Alduy réintroduit à son arrivée la formule du groupe de travail pour "relancer" l'EPA365 .
II.1.4. La pluridisciplinarité comme polyvalence
Avec les réorganisations des EPA, comme celle de l'EPEVRY en 1987 ou celle de l’EPAREB
en 1989, une nouvelle acception de la pluridisciplinarité se diffuse. Elle prend la figure de
l’“ aménageur ” et celui-ci devient un mé tier qui n’est plus seulement celui de l’ingénieur.
La pluridisciplinarité est alors envisagée au niveau non plus du groupe mais individuellement
comme “ une polyvalence des agents ” 366 . Sont définis comme “ aménageurs ”, les agents qui
auront pu “ globalis(er) leur fonction ”. Ils “ pourront être les acteurs de notre mission, alors
que ce qui préféreront approfondir leur technicité ne pourront en être que les auxiliaires ” 367 .
L’aménageur est ainsi censé être capable d'intégrer toutes les échelles, finalités et contraintes.
C’est un professionnel polyvalent (pluridisciplinaire) qui a une vision d’ensemble et une
maîtrise complète de la situation ; il a quelque chose à dire sur tout. Selon le directeur général
de l’EPEVRY, “ pour remplir leur mission d’aménageur, les centres de compétence devront
assurer des fonctions diverses : urbanisme, technique, commercial, financier, publicité,… ”.
Selon ce point de vue, la figure la plus achevée de l’aménageur, c’est celle du chargé de la
commercialisation, situé au plus près de la demande. Les “ commerciaux ” sont ces nouveaux
“ généralistes ayant une vue globale de leur mission ”. Issus en priorité des services L
(Logement) et AE (Activités-Emplois), ils sont destinés à occuper des postes de direction
(“ coordinateur ”) des centres de compétences dans la nouvelle organisation.
Avec cette nouvelle modalité managériale, les contours d’une autre culture professionnelle se
dessinent. À la différence de l’urbanisme d’études qui juxtapose ou fait discuter entre eux
divers spécialistes, à la différence de l’urbanisme opérationnel où le travail de production de
la ville passe par l'équipe de projet et une activité qui garde un caractère collectif,
l’aménageur est devenu dans cette dernière étape un généraliste, hybride, pouva nt déployer
ses capacités de créativité, d’analyse et de synthèse, à l'image des ingénieurs de l’Équipement,
notamment les ingénieurs des Travaux publics de l’État que l’on qualifie volontiers de
techniciens polyvalents. Cette tendance s'accompagne, chez les agents qui ont le plus
d'ancienneté, d'une représentation nostalgique de la pluridisciplinarité d'hier. Ils observent
364
Centre de compétence “ habitat urbain ”, non daté (sans doute 1986), p.8 (AD91-1523W/911)
Entretien avec M. Lucas.
366
Propos de Muzeau, Compte rendu de la réunion du comité d’entreprise du 27 juin 1986 “ en vue de préciser la
mise en place de la réorganisation générale proposée par la Direction Générale ”, p.3 (AD91 1523W/1795).
367
Propos de Colot, ibid.
365
87
comme à Cergy au milieu des années 90 que l'EPA n'est plus une "équipe" mais une
"juxtaposition de métiers"368 .
II.2. Spéculations entre administrateurs, ingénieurs et architectes
Si les métiers font différence, les statuts renforcent les écarts. Le clivage qui apparaît au sein
des Missions de la Région parisienne touche au statut entre les personnels administratif et
technique détachés de l’AFTRP d’une part et les “ ateliers décentralisés ” de l’IAURP de
l’autre. C’est en 1966 dans une réunion du groupe de travail interministériel des villes
nouvelles de la Région parisienne, que le chef de la MEAVN d’Evry, A. Lalande distingue
deux profils 369 :
-
“ l’équipe d’urbanistes (qu’il faut renforcer) au moyen de contrats d’études avec IAURP
et
l’équipe ‘d’aménageurs’ (qui est à créer et) qui pourrait être prise en charge par l’Agence
foncière ”.
Dans cette première approche des années 1965-70, les architectes- urbanistes paraissent devoir
rester cantonnés dans des rôles d’hommes d’études, tandis que ce que l’on nomme
“ opérationnel ” pourrait être une activité réservée aux “ aménageurs ”. Ces dernières figures
sont encore incarnées par des ingénieurs (leur employeur est l’AFTRP) mais restent dans ces
années 60 mal identifiées et largement à inventer. Reste que les services opérationnels des
EPA vont être dirigés à Cergy comme à Évry par des ingénieurs, et dans un premier temps par
des ingénieurs des Ponts et chaussées, capables de réunir compétences techniques,
compétences administratives et compétences financières.
En 1974, dans son rapport sur le personnel des EPA, Jean Werquin fait mention de ce clivage
entre les deux statuts à propos des niveaux de rémunération et des conditions d’avancement
plus favorables pour les agents techniques et administratifs de l’AFTRP 370 . Cette différence
concernant les organismes de rattachement s’est traduite dans les Missions et les EPA, par la
séparation entre service opérationnel et atelier d’urbanisme. Cette distinction entre
architectes- urbanistes et ingénieurs-aménageurs s’appuie sur les qualités supposées des uns et
des autres, la créativité pour les premiers, la capacité de mise en œuvre pour les
seconds. Selon J. Werquin, les uns et les autres se côtoieraient peu, puisqu'ils interviennent
dans des temps différents, d’abord celui de la conception pour les architectes-urbanistes
ensuite celui des opérations pour les ingénieurs supposés être les nouveaux « aménageurs ».
Mais dans les faits, cette division du travail ne fut pas aussi nette, comme on vient de le voir ;
la constitution d’équipe par projet ou par territoire comme le développement des activités
opérationnelles ont créé des interdépendances, les architectes travaillant alors hors de l’atelier.
C’est donc à partir de représentations stéréotypées des métiers et de leur dualité, que J.
Werquin propose pour assurer une gestion optimale du personnel le double découpage
suivant :
368
Entretiens réalisés par N. Arab en 1996.
Groupe de travail interministériel des villes nouvelles de la Région parisienne du 28.6.1966 AN CAC
910585/2
370
Jean Werquin, op. cit., p.19
369
88
-
“ En Région parisienne, les directeurs généraux pensent que les agents, soit d’exécution,
soit d’ordre administratif, peuvent fort bien travailler sur place jusqu’à leur retraite, mais
que ce serait avec les fonctions de conception, que la mobilité est au contraire souhaitée.
Le cas particulier des architectes et des urbanistes est souvent évoqué. Plusieurs
directeurs estiment qu’il leur faut des architectes jeunes et dynamiques, dont le trait
essentiel soit la créativité. Mais celle-ci s’émousse, et rares sont les postes où un
architecte en chef (sic) peut continuer sur place, en prenant la direction d’une équipe plus
jeune. Aussi cherche-t-on à valoriser, en les mettant en contact avec les conditions
courantes de la profession (concurrence et responsabilités) sans les priver de l’appui par
lequel l’EPAVN compense leur relative inexpérience, et leur confère son image de
marque. Les formules varient selon les établissements, mais tous les directeurs
s’accordent à déclarer qu’un architecte devenant routinier perdrait une grande partie de
sa valeur, et nuirait à la réputation de l’EPA ” 371 . L’auteur propose d'embaucher les
architectes- urbanistes sur des contrats à temps partiel, suivant l’exemple de la ville
nouvelle, dite alors de la vallée de la Marne.
-
En même temps ajoute l’auteur : « Toutes les fonctions ne gagnent pas à changer trop
fréquemment de titulaire ; l’expérience vaut mieux que la créativité quand il faut étudier
une affaire ou gérer des ressources ”. Plus loin, concernant la proposition d’introduire
une prime d’ancienneté, l’auteur ajoute : “ On peut aussi décider de n’attribuer de primes
d’ancienneté qu’à l’intérieur de certaines “ filières ”, celles où il est normal et même
souhaitable que les agents fassent carrière”.
Les conséquences pratiques sont tirées des qualités prêtées a priori aux uns et aux autres.
Elles concernent le fonctionnement de la structure, l’age optimal lors de l’embauche, les
statuts, les formes de gratification. Autrement dit, ce rapport esquisse pour les années 70, les
grandes lignes d’un « management » raisonné des ressources humaines dans les EPA.
II.2.1 L’évolution de la part prise par les architectes-urbanistes : signe des mutations
Dès le moment où se sont constituées les Missions, les architectes prennent la première place
et le modèle de la profession libérale, la référence à l’agence d’architecture, hantent les
ateliers tant dans les Missions que dans les EPA372 . C’est de ce côté, de l’architecture et de la
maîtrise d’œuvre, que l’inventivité est censée se loger. Bien des organismes font appel à des
professionnels réputés, quitte à limiter le rôle des architectes en interne et à courir le risque de
fronde de la part des plus jeunes et des plus ambitieux d’entre eux.
Pour les architectes travaillant dans les Missions et les EPA, la maîtrise d’œuvre reste
extrêmement attractive. En 1968, lors des assemblées générales des salariés qui jalonnent le
mois de mai, les architectes de la Mission de Cergy souhaitent que "la possibilité de
construire" leur soit offerte, "sous réserve de la bonne marche du service"373 . En 1970, à Evry
à l’occasion du passage de la Mission au statut d’EPA, une note adressée par chacun des
architectes- urbanistes, chargés d’études, au directeur général annonce le “ projet de création
par les membres de l’atelier d’urbanisme d’Evry d’une société professionnelle ayant vocation
371
Ibid.
Sur la culture professionnelle des architectes en villes nouvelles telle qu’elle perçue à la fin des années 1970,
J.-C. Boyer, La programmation… op. cit 68-90
373
Bilan des travaux du 20.05 au 6.06.1968, AD 95 1072W/288W6B
372
89
à construire ” 374 . Ce souhait de passer à la maîtrise d’œuvre tout en participant à la
conception de la ville nouvelle rencontre les réticences de la part du directeur général de
l’EPEVRY, comme le rappelle une note de Jean-Eudes Roullier concernant l’Atelier
d’urbanisme d’Evry : « Ils (les architectes) auraient sans doute, souhaité y être intégrés (à
l’EPA), mais ils ont conscience que ce n’est pas désiré par M. Lalande, et que d’ailleurs ce
serait peut-être pour eux une fausse solution, qui n’aurait de valeur que provisoire » 375 . On
cherche alors à s’inspirer de l’organisation mise en place à la Mission interministérielle du
Languedoc-Roussillon où il y a d’un côté une agence d’architecture et d’urbanisme et de
l’autre un organisme aménageur : « Un de leurs souhaits aurait été de devenir peu à peu
l’agence d’urbanisme de la « ville nouvelle » au sens large (quatorze communes) » 376 .
Ce désir de construire devient réalité à Cergy où plusieurs architectes travaillent dès 1969 à la
fois pour l’EPA et pour des maîtres d’ouvrage dont certains sont privés. Le Directeur général
justifie cet état de choses et même l’encourage, en affirmant que les orientations
d’aménagement de la Mission seront d’autant mieux respectées que le maître d’œuvre a pris
part à leur définition377 . Toujours à Cergy, les conflits autour du choix du maître d’œuvre pour
le projet d’extension de la Mission (un praticien de la structure ou un prestataire extérieur)
comme l’opposition des architectes de la même Mission aux intentions du directeur de faire
appel aux services d’un “ architecte conseil ” – ce qui est alors le cas à Evry378 et à SaintQuentin - montrent que certains architectes- urbanistes accordent une grande importance au
fait qu’ils sont d’abord architectes et que leur vocation est de bâtir. Ils ne ratent pas une
occasion de le rappeler. L’architecte André Mathieu qui est à Cergy à la fin des années
soixante, se souvient de sa « croyance dans l’architecture publique » et de l’espoir vite déçu,
chez un certain nombre d’architectes à leur entrée à la ville nouvelle, de « pouvoir monter un
atelier public d’architecture » 379 . À son arrivée à l’EPAREB dans la décennie suivante, il
devient directeur de l’urbanisme et de l’architecture du secteur Est, a alors quelque mal à se
faire reconnaître comme tel et obtient du Directeur général la possibilité d’exercer comme
architecte libéral dans le Vaucluse380 .
Pour ce qui est de la place prise par l’Atelier d’urbanisme dans la vie de l’organisme, Evry
constitue un cas d’école : le responsable de l’atelier se préserve à la fois des concurrents
extérieurs (architectes) et des rivaux à l’intérieur (ingénieurs). L’expérience et la culture du
Directeur général, très lié au milieu des architectes, donnent souvent l’avantage au chef de
l’Atelier, par exemple dans son conflit avec le directeur du service technique qui est ingénieur
des Ponts et chaussées. Au milieu des années 70, l’enjeu de ce conflit tourne autour du
contrôle de l’urbanisme : “ Mr X, ingénieur des Ponts, devait prendre progressivement du
poids. Ce qu’il a fait. Mais à un moment donné, il y a eu une sorte de conflit entre l’atelier
d’urbanisme que je dirigeais et le service technique qui avait pris la maîtrise des communes.
À l’époque, je n’avais pas pris en compte cette situation, alors que je continuais à me battre
sur les idées. Mr X a déclaré qu’il voulait tout diriger, l’urbanisme comme les services
374
Courrier du 15.10.1970, AD 91, 1522/23
Note de Jean-Eudes Roullier, Atelier d’urbanisme d’Evry. Entretien du 31 janvier 1970 avec MM. Mottez,
Desebraux ( ?) et Thomas, le 2 février 1970, p.1 (archives personnelles de Jean-Eudes Roullier)
376
idem, p.2. En ce qui concerne la Mission Languedoc-Roussillon, A. Lyonnet et L.-A. Ménard, Recherches
sur l’administration de mission dans la vie locale, Paris, PUF, 1969
377
Courrier du 10.9.1969 au directeur de l’IAURP sur le choix du concepteur du centre commercial de Cergy
AD 95, 1382W/174W40B
378
C’est l’occasion d’une véritable compétition entre confrères M. Mottez, Carnets de Campagne… op. cit. 5158
379
Entretien avec A. Mathieu
380
idem
375
90
techniques. André Lalande lui a répondu qu’il devait s’arranger avec moi. Je l’ai envoyé
promener. Lalande ne l’a pas aidé et je suis resté le “ champion ” de l’urbanisme. Il ne lui
restait plus qu’à partir ”381 . L’influence de l’Atelier s’étend plus loin, jusqu’aux affaires
commerciales, à la faveur d’une vacance de responsabilité dans ce domaine : “ Cet Atelier,
avec Baÿ vieillissant, (DGA, responsable de la commercialisation des terrains destinés à
accueillir du logement) a pris de plus en plus de poids dans les tractations commerciales avec
les promoteurs ”.
Par la suite, au début des années 80, le Directeur général de l’EPEVRY relève à plusieurs
reprises, la place exorbitante qu’occupe l’Atelier au sein de l’organisme. “ Les architectes
mettaient leur veto quand ils pensaient qu’on voulait abîmer “ leur ” territoire ”, déclare M.
Colot a posteriori. Ce fut en particulier le cas autour du projet d’implantation d’entreprises
(Helwett Packard, groupe Accor)382 . Si le Directeur général affiche la volonté de réduire les
pouvoirs de l’Atelier, son principal responsable arrivera néanmoins à être nommé en 1984
secrétaire général à l’aménagement et sera placé à ce titre auprès de la direction générale. Il
aura alors pour mission “ de coordonner les actions de l’Etablissement public, notamment de
l’Atelier d’urbanisme et du Service technique ”383 .
II.2.2. Caractéristiques d’une culture professionnelle apparemment dominante
° Le recours à des architectes d’agences
Les Missions puis les EPA ont souvent eu recours à la collaboration d’architectes libéraux
pour mener à bien les études urbaines. La MEAVN de Lille-Est a ainsi fait appel à une agence
d’architectes avec qui elle a passé une convention pour la définition des grandes orientations.
Dans le cas de l’EPASQY ou de l’EPAREB, ces architectes – que l’on appelle architectesurbanistes - s’installent sur place dans les locaux de l’Etablissement afin d’épauler l’atelier
d’urbanisme. À Cergy, des architectes-urbanistes britanniques sont sollicités en 1967 et 1968
et font de longs séjours au sein de la Mission.
D’autres formules ont été utilisées. Ainsi la Mission interministérielle d’aménagement du
Languedoc-Roussillon fonctionne avec une agence en charge des études d’urbanisme (pour le
plan régional et les plans locaux) regroupant huit architectes, agence créée pour l’occasion, et
liée à la Mission par une convention générale et différents contrats passés au fur et à mesure
des besoins (décret du 18 juin 1963) 384 .
Quel sens donner à cette pratique qui est habituelle dans l’administration de gestion comme
au MRU dans les années 50? Pourquoi au sein d’une administration de mission avoir recours
aux agences privées? Il est un fait qu’au début du processus de production des villes
nouvelles, comme nous l’avons vu, « tout est à faire ». Dès lors la moindre petite compétence
est précieuse. Il y a par conséquent plusieurs motifs à ce recours systématique à des
architectes libéraux :
381
Entretien avec M. Mottez in J.-P. Laverrière, Et vinrent les bâtisseurs. Histoire de l’EPEVRY, 1991, non
publié (AD91-1523W/1543). M. Mottez, Carnets de campagne, op. cit. p28, 50
382
Entretien avec M. Colot in J.-P. Laverrière, Et vinrent les bâtisseurs. Histoire de l’EPEVRY, 1991, non publié
(AD91-1523W/1543).
383
Assemblée générale du comité d’établissement de l’EPEVRY pour l’année 1984 (AD91-1523W/1788).
384
A. Lyonnet et L .-A. Ménard, Recherches sur l’administration de mission dans la vie locale, op.cit
91
-
-
-
Concernant Lille-Est ou l’EPASQY, le recours à des personnalités extérieures pourrait
être une manière de contrôler l’atelier d’urbanisme, de faire contrepoids aux pouvoirs des
architectes- urbanistes de l’établissement public, de créer en même temps les conditions
d’une plus grande émulation.
Il y a en outre le souci de s’attacher des architectes ayant des expériences dans des
domaines spécialisés (les villes nouvelles anglaises, l’étude de grands projets à l’étranger)
comme à Cergy ou Saint-Quentin.
Faire appel à un “ architecte de renom ” comme Lamache à Evry devenu architecteconseil de l’EPA, peut être aussi le moyen de non seulement compenser l’inexpérience
d’une équipe de jeunes architectes mais aussi de parer à de possibles critiques (on peut
craindre les foudres du Conseil de l’Ordre des architectes ou les obstacles internes à
l’établissement). En fin de période, les concepteurs extérieurs jouent encore ce rôle de
garants, si l’on en croit M. Jaouen architecte-urbaniste ayant travaillé à Cergy avant d’en
devenir un prestataire : « L’EPA a des urbanistes, mais il connaît ses limites et se dit que
ce serait bien d’avoir des apports extérieurs, qui soient différents… Un bon maître
d’ouvrage doit faire et faire-faire des études pour être sûr de sa ligne, pour alimenter sa
réflexion »385 .
Au sein des EPA, les architectes défendent leur capacité de création et savent la mettre en
scène au moment des “ charrettes ” ou dans l’usage très libre qu’ils font de l’écrit, à la
différence des diplômés de l’université qui « savent rédiger » 386 . S’ils sont surtout absorbés
par les activités d’études dites “ générales ”, qui les font passer pour les intellectuels des villes
nouvelles, les architectes se présentent comme les garants de la qualité et de la continuité du
projet général sur la ville nouvelle. Dans les activités opérationnelles, ils sont amenés à
travailler au plus près des réalisations comme à Cergy ou sur les Rives de l’Étang-de-Berre.
Là aussi ils se disent garants de la qualité et de la continuité entre les intentions et les
réalisations.
° Faiblesse de la rationalisation et de la planification du travail de l’Atelier:
En 1975, à l’occasion de l’enquête sur “ l’organisation du travail ” menée auprès des agents
de l’Atelier de l’EPEVRY, les critiques portent sur l’absence de planning des activités, sur la
faiblesse des directives et de la communication interne : “ 1/Les directives s’accumulent avec
des ordres de priorité changeants et contradictoires, sans jamais faire référence à un
planning atelier... 2/ La formulation des directives par le chef de service (apparaît) sous la
forme de notes peu lisibles, incomplètes (et) tardives ”387 . Les architectes sont aussi rétifs à
une division trop stricte du trava il où sont en cause la gestion du temps, le calcul financier et
la qualité des études. Sur le caractère trop formel de cette division du travail et les risques
qu’elle comporte, le chef de l’Atelier d’Evry est très clair : “ La responsabilité des études
pour l’atelier et la responsabilité des travaux pour le technique est un principe clair, et dans
385
Entretien avec M. Jaouen (réalisé par N. Arab en 1996). En interne B. Warnier tient des propos identiques.
Synthèse des réponses des agents de l’atelier au questionnaire “ organisation du travail ”, décembre 1975
(AD91, 1523W/787) ; “ Tout est toujours plus qu’urgent, bien qu’on donne toujours des minutes
“ torchonnées ” et bourrées de fautes d’orthographe ” (une secrétaire d’architecte, 1976) Lettre de J. Ecorce,
secrétaire d’architecte à M.Mottez, 1976 (AD91, 1523W/787). En 1996, Anne Delaunne en poste à Cergy
souligne qu’elle fut la première non-architecte à la Direction des études générales et qu’elle « savait écrire »,
(entretien réalisé par N. Arab)
387
Synthèse des réponses… Ibid.
386
92
l’ensemble cela ne fonctionne pas trop mal. Toutefois un comportement trop rigide consiste à
rendre l’ingénieur responsable des délais et du budget et l’architecte responsable de la
qualité ; les deux sont liés ” 388 .
Les propositions en vue de l’amélioration de l’organisation et du fonctionnement de l’Atelier
portent sur les relations avec le Service technique et visent à “ associer plus les architectes à
l’élaboration des dossiers de marchés (surtout pour les espaces publics) ” 389 . Pour le
directeur du Service technique, l’Atelier d’urbanisme doit rester limité à “ un service
“ architecture ” ”, c’est-à-dire n’ayant aucune prise sur les questions financières et les
plannings qui forment les nouvelles dimensions de l’aménagement et dont il dit être
spécialiste. Le directeur du Service technique revendique alors son rôle de patron de
l’urbanisme. On a vu que dans cette confrontation, à Évry à ce moment- là, il n’aura pas gain
de cause.
° L’espace public : le dernier carré de maîtrise d’œuvre pour les architectes et l’entrée en
scène des paysagistes
Au cours des années 80, dans un contexte où les réalisations de Marne- la-Vallée en matière
d’espace public sont jugées comme les plus innovantes, les architectes- urbanistes des villes
nouvelles se découvrent une nouvelle vocation. À Evry, leurs activités vont se resserrer sur la
conception et plus largement sur la maîtrise d’œuvre des espaces publics. À l’EPAREB, au
milieu des années 1980, le domaine des espaces publics qui est dans la compétence du service
des études et de la programmation, est le seul où la maîtrise d'oeuvre est
« exceptionnellement » tolérée 390 . En 1986, dans le cadre de la réorganisation de l’EPEVRY,
Luc Thomas, architecte–urbaniste, responsable de l’Atelier d’urbanisme, constatant
l’éclatement de l’Atelier entre les trois nouveaux “ centres de compétences ”, demande la
création d’“ une cellule relativement autonome regroupant des compétences qui existent chez
T (service technique) et U (atelier d’urbanisme) ” concernant les espaces publics. Naît ainsi
“ une cellule espace public ” qui devrait prendre en charge outre la Maîtrise d’ouvrage
déléguée, la maîtrise d’œuvre. Il s’agit de “ re-responsabiliser = confier à cette équipe la
responsabilité de la conception et des coûts. Ce qui veut dire retourner à la planche, faire des
détails, des métrés, préparer les marchés, etc… (ce que font les paysagistes quotidiennement),
suivre les travaux ce que les adjoints techniques et les types de la Maîtrise d’ouvrage
déléguée savent faire ”391 .
Les paysagistes prennent leur part dans la conception et la réalisation des espaces publics,
notamment à partir des années 80. Ils contribuent à concilier, non sans difficultés parfois, les
attentes des architectes et les impératifs des ingénieurs. À Evry, un projet d’organisation du
centre de compétence “ habitat ” de 1986 intègre dans son unité “ habitat urbain étude et
production de l’espace urbain ” un « architecte paysagiste ». S’il “ participe à la conception
spatiale des sites urbains ”, il est plus spécifiquement “ responsable de la conception des
388
Michel Mottez, Observations concernant les conditions de travail de l’atelier ayant rapport avec le service
technique, 20.01.1976 (AD91, 1523/787)
389
Conclusions de la réunion restreinte de l’atelier du 28.11.1975, sur les réponses au questionnaire
“ organisation du travail ”, 09.02.1976 (AD91, 1523/787).
390
Organisation de l’Établissement, le 21.03.1984 (archives EPAREB)
391
Note de Luc Thomas pour Charles Raymond, 2.10.86 (AD91 1523W/911).
93
espaces urbains ” 392 . Dans ce centre de compétence “ habitat urbain ”, les architectes
interviennent en phase pré-opérationnelle (avec la réalisation du dossier de faisabilité), mais
sous le contrôle des chargés d’affaires, c’est-à-dire des « commerciaux » 393 . En fait, les
paysagistes ont tenu une place très variable selon les EPA, en fonction des rapports de force
internes entre métiers. Arrivés après que ces rapports se soient cristallisés dans des
organigrammes, ils ont été associés soit aux architectes, soit aux ingénieurs, passant parfois
des uns aux autres comme à l’EPAMarne 394 .
II. 2.3. Le service technique et les ingénieurs
Comme on l’a perçu, les relations entre le service technique et l’atelier d’urbanisme sont
souvent délicates. Cela tient pour partie aux cultures professionnelles et aux représentations
réciproques que celles-ci véhiculent. Cela tient aussi à la façon dont se sont organisés les
services. À Cergy, au début des années 80, un observateur extérieur note que l’une des
conséquences de l’absence d’organigramme formalisé est de provoquer des « conflits
d’attributions entre services ». Ces conflits creusent la distance entre ingénieurs et
architectes : « Tout l’EPA suit au jour le jour les péripéties de cette petite guerre (entre
architectes et ingénieurs) arbitrée par les chefs de service et le directeur général »395 . En
1995, le directeur des études se souvient des relations difficiles entre urbanistes et ingénieurs
routiers dans les années 1970 : « La cellule « infrastructures » de l’EPA était une forteresse
défendue par un MOINE MILITAIRE... Celui-ci avait eu, d’une part la REVELATION (en
dehors de ce que je pense point de salut), d’autre part la FORCE (l’oreille et la confiance de
B.H., et une très grande gueule). […] Les urbanistes n’avaient de contact qu’avec le CHEF et
la plupart du temps avec le SUPERCHEF (B.H.) pour arbitrages. Cela faisait de temps à
autre une bonne ambiance »396 . À Evry, les ingénieurs regrettent dans ces mêmes années
1970, que “ la participation aux études de l’atelier d’architecture (sic) (soit) insuffisante et
formelle ». En fait, ce regret se mêle à leur désir d’intervenir davantage : « Les problèmes
techniques et financiers ne sont pas abordés suffisamment tôt ”397 . À leurs yeux, leur
intervention au sein des Missions doit aller au-delà des questions de circulation ou
d’infrastructure et englober les questions d’organisation. De ce point de vue, les compétences
des ingénieurs sont probablement mieux utilisées à Cergy qu’à Evry. Néanmoins, la recherche
d’accord se fait toujours dans un cadre imposé autant par les organigrammes que par les
professions constituées (par les corps, ordres, écoles…).
Les Missions comme les EPA ont attiré nombre d’ingénieurs. Qu’ils soient fonctionnaires ou
non, ils sont séduits par la perspective de « gros chantiers » de bâtiment et surtout de travaux
publics. « Gros chantiers », cela veut dire pour eux : gros budgets, complexité des ouvrages,
392
Centre de compétence “ habitat urbain ”, non daté (sans doute 1986), p.13 (AD91-1523W/911)
Ibid.
394
« Les architectes ne sont plus intégrés à la Direction de l’urbanisme et de la planification (composée
majoritairement d’architectes) mais sont rattachés à la Direction des infrastructures », in « Les architectes au
sein de l’EPA de Marne-la -Vallée », Compte-rendu de la réunion du 14.09.1994 à l’EPAMarne, DH/PO, MELT
21.09.1994 (archives J.-E. Roullier). Plus généralement Eleb-Harlé N. et S. Barles (sous la dir.), Hydrologie et
composition urbaine en ville nouvelle, note d’avancement de la recherche, Paris, Ecole d’architecture Paris Belleville/Institut français d’urbanisme, Université Paris VIII, IPRAUS, novembre 2003 (recherche pour le
Programme interministériel d’histoire et d’évaluation des villes nouvelles)
395
Rapport de stage de B.Verlon, 1981, p 15-16, AD95, 1072W/288W3C
396
Note de Bertrand Warnier à François Bertault, 18.11.1995 (AD91- archives du personnel de l’EPAVNCP)
397
Note du groupe “ ingénieurs et assimilés ” sur les conditions de travail, 12.02.1976, p.6 (AD91-1523W/787).
393
94
défi des contraintes (prouesses techniques, pression des délais, limites financières). Les
ingénieurs en poste dans les DDE y trouvent un semblable intérêt, puisqu’à Cergy comme à
Evry, les études d’infrastructures sont effectuées “ en étroite liaison avec la Direction de
l’Equipement ”398 . Ce qui ne veut pas dire que, des EPA aux DDE, les relations soient
toujours tranquilles. Mais les contextes sont variables. Au cours des années 1965-75, au
lendemain de la réforme administrative et la création de nouveaux départements, les
organismes des villes nouvelles de la Région parisienne interviennent dans un paysage
administratif en plein renouvellement. Ils dialoguent avec des directions départementales
jeunes pour qui, comme pour les Missions, tout est à faire. Il en va différemment en Province
où les DDE participent d’un territoire local avec ses inerties et ses dynamiques propres même si ces DDE sont elles- mêmes en chantier car la fusion entre les deux ministères est
récente et parfois difficile -. Les DDE se sont souvent senties agressées par des organismes
perçus comme concurrents, car susceptibles de capter des commandes, et travaillant sur des
périmètres d’intérêt national échappant à leurs prérogatives. Ce fut particulièrement vrai sur
les Rives de l’Étang-de-Berre.
Ce qui attire les ingénieurs, c’est aussi la possibilité de « réfléchir à des processus de
production », comme Gérard Plaisant à l’EPAREB au début des années 1970. Cet appétit
traverse les trois décennies de notre histoire. En 1994, Jean-Luc Nguyen, jeune ingénieur des
Ponts et chaussées arrive à Cergy. Il a 33 ans et pour lui « faire de l’urbanisme » opérationnel,
c’est la possibilité de « faire des choses plus complexes » que ce qu’il vient de connaître
pendant trois ans en DDE. Il a alors une forte « attente de connaissances » et une grande
curiosité : « Comment on fabrique une ville ? Comment on fait ? Il faut (certes) mettre les
voiries, les réseaux, etc. C’était une vision d’ingénieur. Mais l’urbanisme, c’est plus que
ça ».399
Dans la période initiale, c’est aussi pour les jeunes ingénieurs l’occasion d’innover. En
arrivant dans les organismes, ils ne savent pas trop ce que signifie « aménager » ; ils
soupçonnent qu’il s’agit d’une manière plus étendue et plus globale de réaliser des
infrastructures et faire œuvre d’ingénieur. Les débuts des Missions leur laissent entrevoir la
possibilité d’inventer et de déployer des capacités de création : par exemple sur le aérotrain,
un projet qu’on attend aussi bien à l’EPA de Cergy qu’à la Mission de l’Etang de Berre et qui
en fait rêver plus d’un. D’autres réalisations appellent de la part des ingénieurs de l’invention,
par exemple les bassins de rétention des eaux pluviales à Lille- Est, à Vitrolles et dans les
villes nouvelles de la Région parisienne, où ingénieurs et paysagistes ont été amenés à
composer ensemble autour de multiples contraintes400 .
Les services techniques dans lesquels les ingénieurs sont les plus présents ont pour tâche la
mise en œuvre concrète des villes no uvelles. Ce qui leur donne un pouvoir considérable et les
place au front des EPA. Ils font valoir une série de contraintes techniques contre lesquelles les
autres agents des EPA ont souvent du mal à argumenter : la qualité urbaine, la demande
sociale pèsent peu face aux lois physiques, aux difficultés pratiques, aux exigences de délais
et aux limites financières. Mais cette situation apparemment avantageuse ne les dégage pas de
la nécessité de devoir rendre compte dans le détail de leurs activités.
398
Les principales étapes des études d’aménagement sur Evry (vers la réalisation), non daté (probablement 1968)
(AD91-1523W/2223).
399
Entretien avec J.-L. Nguyen
400
Entretien avec G. Plaisant. Voir aussi la recherche conduite par N. Eleb-Harlé et S. Barles, op.cit.
95
Les services techniques se plaignent des tracas bureaucratiques. Le système comptable de
l’engagement offre une grande autonomie aux différents services de l’EPEVRY et notamment
au service technique auquel est rattaché par ailleurs le service des marchés jusqu’en 1987
(élaboration des dossiers de marchés et gestion des contrats d’études d’exécution). En 1976, le
chef du service technique de l’EPEVRY s’inquiète des innovations mises en place à la suite
du plan financier introduit un an plus tôt 401 . Il “ refuse la procédure du formulaire
(d’engagement) selon laquelle un pilote ne peut engager la moindre dépense sans y avoir été
autorisé par le retour du formulaire ad hoc ”. Le nouveau formulaire d’engagement ne serait
pas “ dans son principe adapté aux problèmes de l’EPEVRY ” et serait “ contraire à
l’affirmation de la responsabilité du pilote ”402 . L’obligation d’une autorisation pour engager
une dépense limite la responsabilité de l’ingénieur dans la conduite de l’exécution des
travaux. La procédure d’engagement en permettant de “ revenir sur une décision (qui
perd) son caractère définitif ” et en multipliant “ les intervenants dont la responsabilité est
mal définie et se chevauche ”, devient pour les agents du service technique une source de
“ traumatisme psychologique qui se traduit par le découragement, le mensonge, les querelles
entre services,…. ” 403 . C’est pourquoi les ingénieurs du service technique proposent de donner
“ un caractère uniquement d’information comptable à l’engagement. […] La signature de
contrats et marchés ne doit avoir qu’un caractère formel et non pas être considérée comme
un niveau de décision ” 404 . “ L’existence de formulaires d’engagement est certainement
indispensable pour une tenue précise de la comptabilité, mais elle ne devrait à mon avis avoir
aucun rôle dans l’autorisation d’engagement des travaux ”405 . L’ingénieur souhaite redevenir
“ responsable de l’application des décisions précises ” 406 . Réduit à un “ rôle
d’enregistrement ”, le service financier s’inquiète quant à lui de l’absence de rigueur dans la
rédaction des engagements de dépense par les différents services, notamment le service
technique, et du recours abusif aux engagements sur facture 407 .
Les enquêtes successives de l’inspection des finances sur l’EPEVRY critiquent les procédures
d’engagement pratiquées par les différents services parce qu’elles rendent difficile voire
impossible le contrôle budgétaire. On relève constamment le manque de “ suivi assez fin des
engagements ”408 , même si en 1985, la mise en place d’une “ nouvelle organisation comptable
des engagements ” permet “ de simplifier le circuit de signature ” 409 .
Il n’y a pas que le suivi financier qui vienne contraindre les ingénieurs dans les services
techniques. Il y a aussi la conjoncture. Dans l’évolution des objectifs des Missions et des
EPA, les activités des ingénieurs sont passées d’abord par des études de schémas de
structures, notamment de transport, puis par les fonctions plus opérationnelles de production
urbaine. Dans la dernière période, lorsque la commercialisation des villes nouvelles devient la
401
Sur le plan financier, cf. infra III.3
Note du 27.02.1976, de Ph. Rousselle à A.Lalande (AD91-1523W/787).
403
Note du groupe “ ingénieurs et assimilés ” sur les conditions de travail, 12.02.1976, p.3 (AD91-1523W/787).
404
Ibid.
405
Note du 27.02.1976, de Ph. Rousselle à A.Lalande (AD91-1523W/787).
406
Note du groupe “ ingénieurs et assimilés ” sur les conditions de travail, 12.02.1976, p.3 (AD91-1523W/787).
407
Note de synthèse sur les conditions de travail du service financier et foncier du 05 et 12.12.1975 (AD911523W/787).
408
F.Jaclot, inspecteur des finances, rapport d’enquête sur l’EPEVRY (instruments de prévision et de contrôle),
juin 1979, p.15 ( AD91-1523W/598)
409
Est mis en place “ un système d’engagements provisionnels sur six mois établi à partir du budget ”. Chaque
“ service dispose en effet de la liberté d’engager les dépenses dans le montant de 500 000 F sur sa ligne
budgétaire ”. M. Severino, inspecteur des finances, rapport d’enquête sur l’EPEVRY, Minis tère de l’économie
et des finances et du budget, août 1985, p.8 (AD91, 1523 W / 598)
402
96
priorité, leurs compétences sont alignées sur cette priorité. Certains quittent les EPA, et vont
jusqu’à faire le « saut dans le privé ».
Dans le projet d’organisation du centre de compétence “ habitat ” de l’EPEVRY en 1986,
l’ingénieur intervient à plusieurs titres dans la réalisation d’une opération. Deux rôles lui sont
confiés en particulier :
« (Un) rôle fonctionnel :
- De conception urbaine,
- De suivi physico-financier des réalisations et du planning de quartier
- Et de préparation de la remise des ouvrages »
et
« (Un) rôle opérationnel :
- Il est responsable de la conception technique des VRD et encadre BET extérieurs,
- Il élabore la partie technique des cahiers des charges,
- Il est responsable de la remise des terrains aux promoteurs,
- Il assure la coordination et la police des chantiers
- Il vérifie la conformité des réalisations vis-à -vis du cahier des charges » 410
L’ingénieur est ici plus spécifiquement attaché aux tâches techniques traditionnelles qui font
son métier, l’organisation de la phase opérationnelle (suivi de chantier, VRD, relations avec
les BET) mais aussi les questions qui touchent de plus près la commercialisation (suivi
physico-financier des réalisations, planning de quartier) et qui sont devenues essentielles au
cours des années 80. L’objectif de commercialisation commande alors toute la chaîne de
production urbaine, toutes les fonctions et tous les métiers.
En 1999, dans le recueil des curriculum vitae du personnel réalisé à Evry dans le cadre de la
fermeture de l’EPA411 , le descriptif des tâches des ingénieurs ne varie pas fondamentalement
par rapport à ce qui est énoncé en 1986, sinon qu’il paraît encore plus étendu : « Études et
travaux (ZAC), établissement et gestion de budgets, application du code des marchés,
relations avec les partenaires (architectes, concessionnaires, entreprises, bureaux d’études,
promoteurs, élus), élaboration du bilan de ZAC, suivi financier et suivi des travaux ». Il en va
de même en 2001 sur les Rives de l’Étang-de-Berre où un bilan de compétences est établi
dans le cadre du plan social, bilan qui concerne 24 agents encore en activité 412 . Si la direction
des équipes de chefs de projets est laissée aux architectes, l’ingénieur s’avère compétent pour
presque tout le reste.
Les EPA sont en effet pour l’ingénieur des révélateurs de la grande diversité des métiers qu’il
peut exercer. Cette diversité s’accentue avec le temps. Dans le bilan de 2001 de l’EPAREB,
l’ingénieur définit sa compétence en termes de « maîtrise » technique et financière comme de
« maîtrise » des procédures administratives. Il peut rappeler ses « capacités de compréhension
et d’analyse en urbanisme opérationnel et en architecture (comme sa) maîtrise des techniques
en ingénierie urbaine», en matière de « direction de projets ». Son apport spécifique est
d’ordre opérationnel et surtout organisationnel (« montage financier, dossiers de subvention,
organisation de concours de maîtrise d’œ uvre et des appels d’offres »). Il maîtrise alors non
seulement les domaines traditionnels de la maîtrise d’œuvre (« direction et suivi des études et
410
Centre de compétence “ habitat urbain ”, non daté (sans doute 1986), p.13 (AD91-1523W/911)
Comité d’entreprise de l’EPEVRY, recueil des curriculum Vitae du personnel, septembre 1999 (archives
AFTRP)
412
EPAREB, Notre patrimoine de compétences, octobre 2001 (archives EPAREB)
411
97
exécution des travaux, coordination des intervenants extérieurs, gestion administrative des
marchés, réalisation des opérations de réception, parfait achèvement, dommages d’ouvrage»)
et mais aussi ceux, plus nouveaux, de la gestion (« maîtrise des coûts-bilans prévisionnels,
des prévisions budgétaires des opérations d’aménagement, gestion financière de projets,
ordonnancement et pilotage »)413 . Sous la houlette des ingénieurs, qui ne sont plus seulement
de simples maîtres d’œuvre, plusieurs techniques se composent autour d’une activité complète
de gestion de projet.
II. 3. Sur les rapports de forces internes
La crise de croissance comme les impératifs commerciaux des EPA pèsent sur les orientations
données à l’aménagement et sur la conception que, dans les cas étudiés, on a de la ville à
venir. Ces facteurs pèsent en outre sur les positions relatives des membres des Missions les
uns par rapport aux autres. En fait, malgré la prégnance (pour partie réelle et pour partie
fantasmée) des architectes, le poids des professions constituées s’est trouvé constamment
relativisé. Là encore lieux et moments ont modelé des expériences
II.3.1. Sur les difficultés à se dégager de l’architecture
Au printemps 1968, Michael Welbank, expert de l’agence britannique chargée d’évaluer la
conception de la programmation de la Préfecture à Cergy critique violemment une approche
trop architecturale 414 . Il note d’abord la distance entre deux tendances : le schéma de
septembre 1967 et celui de juin 1968 : “ Ce qui me trouble un peu c’est le désir apparent à
l’intérieur de la mission de choisir et de décider qu’un projet est le meilleur que l’autre en
termes d’architecture… Ceci ne me semble pas être une réelle approche d’urbaniste qui
devrait plutôt s’efforcer de sélectionner un projet qui répond le mieux possible à tous les
impératifs ”.
Ce “ trouble ” et cette critique d’un manque de flexibilité vont plus loin, lorsque l’expert
britannique sous-entend que les techniciens de la Mission manquent de culture urbaine et
urbanistique. Dans une ville, dit- il “ il doit y avoir par endroits des franges un peu sordides
où des services ou activités très importantes mais payant de très faibles loyers peuvent
s’implanter. Où peuvent aller les bouquinistes, le naturaliste, le magasin de papillons, le
studio du professeur de musique, le magasin philanthropique, la personne qui fait des
cuillères en bois, le dessinateur de lettres, le marchand de pommes et de caramels, le
réparateur de trombones, la clinique alcoolique, la librairie pornographique, le marchand de
haschich. C’est tout ça qui fait qu’une ville est une ville au moins autant que cette maudite
architecture ”
Le directeur général est lui- même da ns le doute lorsqu’il constate fin 68 l’évolution des idées
sur le projet du centre, confirmant ainsi les tensions entre les cultures professionnelles dans le
travail de conception du quartier de la Préfecture. Ces tensions tiennent autant à des cultures
urbaines (« qu'est ce qu'une bonne ville »? s’interroge l’expert britannique) ou à des
413
Ibid.
Courrier du 15.07.1968 de l’agence Shankland, Cox and associates (planners and architects, Liverpool, 12
Rumford place) après la visite du 9 juillet précédent AD 95, 1382W/174W40
414
98
représentations professionnelles différentes (qu'est ce qu'un travail bien fait?) qu'à des savoirfaire (comment maîtriser un processus d'urbanisation et un dispositif de projet?) 415 . Le
Directeur général rend compte de ces tensions :“ Le parti d’aménagement de la ville nouvelle
a évolué au fur et à mesure que les études se sont précisées. Peu à peu la conception même de
la ville s’est trouvée modifiée au point que je ne reconnais plus les idées d’origine auxquelles
je reste cependant fondamentalement attaché. Partant de la constatation que la ville nouvelle
de Pontoise-Cergy s’implanterait dans une région peu peuplée où les communications sont
mauvaises, le niveau de vie bas et la “ demande ” faible, nous avons considéré que le
quartier de la Préfecture, et en particulier son centre, était une plate-forme de lancement
destinée à donner une image modeste mais complète d’une ville et à créer un centre
d’attraction régionale. Cela impliquait un parti simple, peu coûteux aussi bien pour
l’aménageur que pour les investisseurs publics et privés, un programme réduit et des délais
de remplissage très courts ”.
Pour le commerce, une grande surface commerciale avec un parking était prévue. Pour
l’enseignement supérieur (IUT), on retrouve les idées initiales. Mais “ dans d’autres
domaines, au contraire, on constate un “ dérapage ” des conceptions initiales : le
programme s’est accru, le parti d’aménagement est devenu plus complexe et plus imbriqué,
les parkings se sont superposés ”. Par suite, les dépenses seront plus élevées, les délais plus
longs et “ l’amélioration de standing du centre ne permet plus de recevoir n’importe quel
“ client ” . Un tri devra s’effectuer en fonction de la qualité des investissements à réaliser ”.
De fait, “ les notions de ville sans chantier s’estompent devant le désir de réaliser un centre
de qualité". Dans cette analyse, on voit poindre le risque de concurrence avec le centre
principal, voire l'impossibilité de voir créer celui-ci :“ L’évolution du centre commercial est à
cet égard caractéristique : il devient peu à peu l’équipement commercial majeur de
l’ensemble de la ville nouvelle… On risque d’arriver à une solution boiteuse avec un centre
commercial d’une puissance telle que sa réalisation sera lente et difficile et que son attraction
créera des courants de trafic en contradiction avec le schéma de structures, tout en étant
insuffisant pour répondre à la totalité des besoins de la ville nouvelle ”… “ Parallèlement,
certains aspects qui me paraissent essentiels sont relégués au 2ème ou 3ème plan : les éléments
qui se trouvent au niveau de l’œ il, l’animation de la place de la Préfecture, les animaux ".
Le Directeur général constate que son autorité sur le pilotage des études a ainsi été mise en
cause : “ Cela dit, on peut se demander comment je puis me trouver en opposition avec une
telle évolution alors que je suis responsable des études et que je bénéficie vis-à -vis des
autorités supérieures d’une liberté sans équivalent. En fait, si on analyse les mécanismes
suivant lesquels se prennent les décisions, on s’aperçoit que la marge de manœ uvre du
responsable est étroite. Je suis convaincu, autant mais pas plus que chacun, que mes
conceptions sont bonnes ”. Mais il y a une “ opinion contraire unanime ” et “ l’évolution s’est
faite d’ailleurs d’une façon très progressive ”. Les différents intervenants sur le quartier de la
Préfecture – architectes, ingénieurs, économistes – ont “ eu tendance à chercher une
perfection et une puissance chaque jour plus grandes ”. Après les visites de P. Delouvrier en
juillet et J. Millier en novembre, le Directeur s’incline : “ Il est probable que je suis dans
l’erreur, mais je ne peux me défendre d’une certaine inquiétude ”.
Cette inquiétude explique qu’en mars 1969 le même directeur général annonce en assemblée
générale qu’il “ n’exclut pas des solutions moins ambitieuses ” pour le quartier de la
415
Note “ confidentielle ” du 2.12.1968, AD 95, 1382W/174W40 intitulée “ note sur les études urbaines ” (mots
soulignés dans le texte)
99
Préfecture 416 . Mais ce ne sera finalement pas le cas. Dans d’autres Missions (Evry , SaintQuentin), cette autorité sur le pilotage des études n’a pas été revendiquée par les directeurs ou
n’a pas été contestée. C’est un point important dans les conditions initiales du travail au sein
des Missions, et un facteur supplémentaire de différenciation.
II.3.2. La délicate gestion des arbitrages
En fait, les configurations professionnelles ne peuvent se résumer à un face à face entre
ingénieurs et architectes. Dans les villes nouvelles – du moins dans les cas étudiés et surtout
pendant la période des Missions – c’est le trinôme formé de l’architecte (éventuellement
urbaniste), de l’ingénieur (éventuellement des Ponts et chaussées) et de l’administrateur
(éventuellement secrétaire général ou chef du service administratif et financier) qui s’impose.
Le directeur général s’appuie sur ce trio fonctionnel. Il en organise les relations et l’équilibre
en faisant jouer ses titres, ses expériences antérieures, ses inclinations en faveur des uns ou
des autres. Ce trinôme est donc assez instable.
Les stagiaires de l’ENA sont particulièrement attentifs aux rapports de force internes. En
1972, l’absence d’organigramme à Cergy donne au secrétariat général un rôle de
« coordination de services entre lesquels l’information circule mal ». Plus précisément, « la
tâche des administrateurs est délicate au sein d’une équipe pluridisciplinaire où ingénieurs et
architectes ne sont pas toujours en mesure d’apprécier les impératifs politiques,
administratifs et financiers. L’égalité des charges et des contraintes n’est pas respectée dès
lors que l’administrateur intervient en fin de chaîne pour opérer les rectifications
nécessaires. Or les tâches qu’il accomplit, si elles ne sont pas exaltantes n’en sont pas moins
indispensables. L’Établissement public, plate-forme administrative s’insérant dans d’autres
structures administratives, a besoin d’un personnel spécialisé dans ce domaine. Le personnel
actuel dynamique et dévoué se ressent assez vite d’une formation antérieure parfois
inadéquate ». Un nouveau type d’administrateur apparaît ayant « une compétence moins
spécialisée, animateur d’équipe » et qui pourrait devenir « plus responsable, moins protégé
que par le statut actuel mais en contrepartie mieux rémunéré ». En fait, ce sont plutôt les
directeurs généraux qui sont sollicités pour animer les équipes et régler tensions.
Dans le cas d’Evry, les conflits entre architectes et non architectes s’expriment avec vigueur
sur le terrain des positions dans la hiérarchie et des émoluments des agents les uns par rapport
aux autres, qui sont les principales lignes de défense des intérêts et des valeurs
professionnelles. En 1976, le chef de l’atelier d’urbanisme s’adresse au directeur général de
l’EPA dans une défense et illustration du métier. Le courrier qui vient en appui d'une
demande d’avancement rappelle ce que le haut fonctionnaire doit à l’architecte 417 :“ Vous
allez devoir prochainement arrêter le tableau d’avancement. Mon dernier avancement date
de 1971. […] Ma qualification est “ chef de service ” […] c’est-à -dire que je suis suivant les
textes “ responsable de l’exécution d’un ensemble de tâches administratives, techniques et
financières ”. C’est donc un rôle d’exécutant. […] Si l’on se réfère aux grandes opérations
416
Assemblée générale du 13.03.1969, AD 95, 1086W/60W86D
Courrier du 7.11.1976, AD 91, 1522W/34. Cette demande d’avancement dénonce en fait l’écart de salaire
avec le directeur du service technique, ingénieur des Ponts et Chaussées alors plus jeune. Elle aboutira six ans
plus tard et cet avancement exceptionnel sera justifié par “la longévité ” du demandeur à ce poste de chef
d’atelier “ analogue à celui des architectes ou d’urbanistes en chef des grandes opérations d’urbanisme ”.
417
100
d’urbanisme antérieures aux villes nouvelles, celles-ci sont perçues au travers d’une part de
l’administrateur ou l’organisme qui en a assuré la maîtrise d’ouvrage et d’autre part
l’architecte qui en a assuré la conception. L’on retrouve ainsi Racine et Balladur pour la
Grande Motte, Sourel vous est associé à Massy et il en est de même pour Sarcelles, le Mirail
ou Royan. Chaque administrateur parle avec émotion de l’architecte avec lequel il a partagé
joies et difficultés. Le même se retrouve à l’étranger aussi bien au Brésil qu’en Pologne. Mais
en France qui conçoit les villes nouvelles ? Qui propose à l’administrateur ou à l’élu ? La
discrétion qui règne sur les VN tient-elle au fait que leur conception est sans intérêt, qu’elles
ne sont que le résultat d’un réseau routier et de directives ministérielles ? Si Evry a atteint sa
renommée actuelle, elle le doit pour partie à sa conception originale et ambitieuse que vous
avez acceptée, que vous avez concrétisée mais que vous reconnaissez être celle de l’atelier
d’urbanisme dont vous parlez comme il y a quinze ans vous deviez parler de mon respectable
confrère Sourel…. L’atelier d’urbanisme n’est pas un simple outil de gestion mais un outil de
création avec son éthique… Si les options proposées par l’atelier venaient à être rejetées, il
est fort probable que je chercherais à me retirer et que je serais suivi par une bonne partie de
l’équipe. Mais dans la mesure où nos propositions sont acceptées, je souhaiterais répondre à
la confiance qui nous est faite… C’est donc en tant que responsable de l’équipe de conception
de la ville nouvelle que je prétends à une promotion, à celle d’urbaniste en chef, s’il faut
créer un titre, avec tout ce que cela sous-tend comme risques et responsabilités… Par
ailleurs je suis convaincu qu’il est de l’intérêt même des villes nouvelles d’affirmer cet acte de
conception… Ma demande dépasse à mon sens un simple problème de promotion d’un agent
d’un EPA ”.
C’est donc bien le trio Directeur général/architecte/ingénieur qui prévaut à Evry comme sur
les Rives de l’Étang-de-Berre. Le premier est censé réguler les relations entre les deux autres.
En 1972, à la veille du passage de la MAEB au statut d’établissement, le directeur des
infrastructures rappelle au Directeur général, l’existence d’une « disproportion importante
entre les différents salaires des urbanistes et des techniciens, qui s’explique d’autant plus mal
que leurs responsabilités sont équivalentes » 418 . Là encore, c’est au directeur que l’on fait
appel pour régler ce qui est perçu comme une injustice.
Cette situation découle de la nécessité dans les EPA de réunir et de coordonner des
compétences qui n’ont pas l’habitude de travailler de si près ensemble, la division du travail
ayant été jusque- là la façon la plus commode de produire de la ville (les grands ensembles
notamment). Elle vient aussi des origines des directeurs généraux, des réseaux qu’ils ont été
capables d’activer pour constituer leur équipe, des affinités qui en découlent. La configuration
initiale installe un style de relations que les départs et arrivées ne transforment que lentement.
Si la carrière des ingénieurs des Ponts est construite sur la mobilité, celle des architectesurbanistes, responsables des études, est marquée par un ancrage plus durable au sein des EPA.
En revanche celle des architectes-urbanistes plus jeunes et moins expérimentés est conforme
au souhait exprimé au départ des villes nouvelles d’avoir au leur sein des “ créatifs ”,
davantage mobiles. Cette différence (par corps de métiers et par génération) ne vaut pas pour
d’autres activités en particulier celles qui émergent dans les années 70. C’est le cas des
paysagistes et programmateurs qui tiennent des places très différentes au sein des EPA. À
Cergy, ces derniers ne sont pas clairement identifiés. À Evry, ils dépendent longtemps de
l’Atelier d’urbanisme. Dans les années 80, les programmateurs tiennent un rôle stratégique
auprès du directeur général à Saint-Quentin-en-Yvelines tout comme à l’EPAREB419 . Dans ce
418
Lettre du 10.09.1972 de M. Truc, directeur des infrastructures au directeur général de la MAEB (archives du
personnel de l’EPAREB)
419
Voir infra III.2
101
dernier cas, c’est un programmateur qui est nommé en 1979 à la tête du service études et
programmation, service qui prend alors le dessus sur la direction de l’urbanisme et de
l’architecture 420 .
La présence des architectes, leur influence, l’écoute particulière dont ils semblent souvent
bénéficier sont à mettre en relation avec le lancement de grandes opérations phares qui partout
viennent marquer les débuts des villes nouvelles (car ces opérations doivent concrètement et
symboliquement venir les fonder). Ces opérations suscitent de multiples débats dans le milieu
des spécialistes de l’aménagement urbain, comme en témoigne la presse professionnelle.
C’est le cas du quartier de la Préfecture à Cergy, de l’Agora à Evry ou du quartier du centre à
Saint-Quentin-en-Yvelines au début des années 80. Ces concours conçus et organisés par les
architectes des EPA sont aussi des actes de communication qui participent à la promotion des
villes nouvelles. Les architectes occupent dès lors le devant de la scène et sont perçus comme
des experts421 .
Parmi les autres clivages qui traversent les EPA, la division originelle entre AFTRP et IAURP
en matière de personnel reste une particularité des villes nouvelles de la Région parisienne. Or
ces deux organismes dont relèvent les personnels, présentent de grandes différences. Le
premier ne fonctionne pas sur un mode pluridisciplinaire et le second a vocation à développer
des études pluridisciplinaires en amont de l’urbanisme opérationnel. Ces différences ont un
impact sur les EPA qui est difficile à apprécier. Quand bien même les agents des villes
nouvelles auraient été “ formés ” dans ces organismes (ce qui n'est pas toujours le cas et statut
ne signifie pas automatiquement culture de l’organisation), les nouvelles méthodes de
l’aménagement ont été davantage déterminées par les positions dans lesquelles les agents ont
été effectivement placés, par la force de leur appartenance aux cultures professionnelles
existantes, par la durée de leur exercice dans les EPA davantage que par la vocation et le
fonctionnement des deux organismes. C’est en termes de statut et d’émolument que ces
derniers ont pu nourrir des différences entre les agents, celles-ci ne venant qu’aiguiser les
conflits interprofessionnels latents.
Les EPA des villes nouvelles de province sont restés, au moins dans un premier temps (en
particulier pour le Vaudreuil), davantage marqués par le fonctionnement pluridisciplinaire des
OREAM qui les ont précédés (exception faite de Lille-Est). Cette différence dans le point
d'origine des configurations professionnelles (l'existence ou non d'un organisme antérieur qui
aurait servi de référence ou de matrice aux rapports de travail et aux équilibres internes) a
conditionné les pratiques ultérieures dans les Missions et les EPA, donnant aussi leurs
particularités aux configurations initiales. Celles-ci se sont ensuite transformées au gré des
directeurs, des orga nigrammes, de la conjoncture, de certaines personnalités.
Parfois les équipes elles- mêmes, leur logique de projet ou leur résistance aux réorganisations
ont fait évoluer les configurations. Ainsi à l’EPAREB, la direction générale avait pour projet
en 1978 de créer une direction de l’urbanisme et de placer à sa tête un architecte en chef. Puis
elle a dû y renoncer au profit d’équipes pluridisciplinaires opérationnelles par secteurs
géographiques 422 . De même, Lucien Gallas nouveau Directeur général, lorsqu’il prend pour
adjoint Jean Ecochard, doit réfréner cet architecte pour qu’il ne « bride pas par son autorité et
sa personnalité la créativité des architectes de l’EPA » qui sont placés sous l’autorité d’un
420
Entretien avec C. Guary
Entretien avec S. Goldberg
422
Entretien avec G. Plaisant
421
102
géographe-programmateur 423 . Le refus de l’urbaniste en chef et de services fonctionnels
puissants est un trait original de l’EPAREB comme le décrit Claude Guary alors directeur du
service urbanisme et programmation : « Chaque équipe géographique fait un cahier des
charges de ZAC et ce cahier des charges est coordonné dans sa fabrication soit par moi si
c’est une ZAC par exemple, soit par lui (Gérard Plaisant) si c’est un ouvrage
d’infrastructures. […] L’avantage c’est un système qui donne la priorité quotidienne à
l’opérationnel et à la prise de responsabilité par rapport au terrain plutôt que par rapport
aux organisations qui seraient susceptibles... C’est la priorité au projet. Moi j’ai défendu ce
système-là […] Par ce que sinon les structures- et ça c’est vrai à Evry- il y a des structures
qui sont très très fortes et qui finissent par imposer une logique par rapport à d’autres. À
Evry, les urbanistes ont imposé des logiques. Mottez a imposé des logiques comme la
séparation des circulations entre voitures et piétons. Ce sont des logiques de boutique. À
Marne-la-Vallée on a eu aussi des logiques de boutique. Les architectes en tant que gens qui
maîtrisent le… Il y avait des corps de spécialistes qui l’emportaient sur d’autres. […] ça
cassait la pluridisciplinarité. Ça cassait le projet. Là (à l’EPAREB) on partait du projet. On
partait d’une logique de projet. […] ça correspond à une direction plus séparée. D’un côté
on a la direction générale avec Ecochard et Lucien Gallas. Moi je suis très très près avec
Gérard (conseiller technique), avec le directeur foncier et le directeur financier. […] Le gros
des troupes productives elles sont chez moi. […] Il y a un représentant de chacune des
directions dans l’équipe de projet. Tout ça est à géométrie variable. Si l’opération est petite il
n’y a que deux personnes dans l’équipe. […] Les responsables de ces services fonctionnels,
ils doivent être à la fois… ils doivent maintenir une ligne de cohérence sur les équipements
intégrés, sur la façon de parler avec les élus, la façon de faire circuler l’information, tout ce
qui est fonctionnel, qui relève du contenu un peu général. Ils doivent être présents ici, ici, et
ici pour être certain que tel projet se défend bien. […] L’intérêt de cette structure c’est de
pouvoir croiser une logique horizontale qui est qualitative ou financière ou politique et des
logiques verticales qui sont des logiques de projets »424 . On voit une fois de plus que la forte
territorialisation des activités à l’EPAREB et la faiblesse de ses services fonctionnels ont créé
– au moins dans le souvenir des acteurs - des conditions tout à fait originales de conduite de
projet et d’arbitrage entre des prérogatives et des compétences.
II.3.3. L’évolution des relations entre services
Au final, trois situations se succèdent :
•
Dans un premier temps, dans la période des Missions et au début des EPA, les
activités d’études dominent et avec elles l’atelier (ou services d’études générales) et le
service foncier. Il s’agit de concevoir, notamment les « schémas d’aménagement » ou
« schémas de structures » et d’acquérir les terrains nécessaires. C’est la période où les
architectes- urbanistes sont les « seigneurs » 425 , même si, dans certains cas, d’autres
types de professionnels ont pu être sollicités. La pluridisciplinarité prend la forme du
débat et parfois du rêve pour une autre ville, à un moment où le mot d’ordre, faut- il le
rappeler, est : « Changer la ville pour changer la vie ».
423
Entretien avec L. Gallas
Entretien avec C. Guary
425
Entretien avec C. Lecorps
424
103
Si « le commencement est la moitié de toute action »426 , ce temps initial et le souci
d’innovation ont fait des Missions l’objet de fortes attentes de la part des différents
professionnels. On le voit dans l’espoir de la constitution d’un atelier public
d’architecture à Cergy, d’une agence d’urbanisme à Evry ou plus simplement l’espoir
de « pouvoir évoluer » pour une dactylographe de la mission de Trappes427 . Présentée
comme un espace de formation de nouveaux professionnels et d’élaboration de
nouveaux outils, la Mission est un espace fortement investi : des objets comme les
schémas de structures ou les directives d’aménagement deviennent les supports de
spéculations à partir desquelles s’élaborent des récits sur la ville à venir. Par la suite la
Mission qui était jusque- là en apesanteur retombe dans le quotidien. Les outils sont de
moins en moins habités et, par exemple à l’EPAREB, « on ne fait plus que du
papier » 428 .
•
Dans un second temps, avec la naissance des EPA, il y a obligation de réaliser. Le
service technique (ou opérationnel) prend le dessus. On ne doit pas s’étonner de voir le
responsable de tels services devenir adjoint du directeur gé néral. À Saint-Quentin-enYvelines, le service est « au front » et « le plus sensible » en 1974 429 . Les architectesurbanistes apparaissent moins impliqués, sauf dans le cas où la forme de l’organisation
permet d’assurer la continuité entre le Service des études générales et le Service
opérationnel, comme à l’EPA de Cergy-Pontoise. Il faut remarquer que dans ce cas
précis, les architectes- urbanistes ont une représentation plus large de la production de
la ville nouvelle, parfois jusqu’aux destinataires, c’est-à-dire les habitants, comme en
témoigne l’expérience de Michel Gaillard.
En 1981, un stagiaire de l’ENA relève les effets de la transformation dans cet EPA de
l’importance relative des fonctions : « Le service d’études générales (SEG) était très
étoffé dans les premières années d’existence de la ville nouvelle puisque c’est lui qui
était chargé d’élaborer les projets d’aménagement ; depuis quelques années il perd
peu à peu de sa substance au profit du service opérationnel (SO). Ceux qui ont
élaboré le programme d’un quartier continuent à en suivre la réalisation et passent
donc, lorsque commencent les travaux, du premier au second service. Dans les années
qui viennent, avec la mise en route des premières opérations prévues, le dernier carré
du SEG passera au SO et le SEG sera probablement le premier des services à
disparaître au sein de l’EPA » 430 . Ce diagnostic dont on retrouve la trace dans nos
entretiens, signale le problème de reconversion auquel ont été confrontés ce service
d’études et ses équivalents dans les autres EPA.
À Saint-Quentin-en-Yvelines, au milieu des années 80, on observe de la même façon
l’affaiblissement du service des études. « Les agents du service technique disaient aux
urbanistes ce qu’ils devaient faire », se rappelle un ingénieur qui ajoute qu’à ses yeux
« ce n’était pas normal ». Le service d’études s’isole, même si les paysagistes arrivent
parfois à renouer des liens entre les architectes urbanistes et les ingénieurs 431 .
426
Proverbe cité par M. Détienne, Apollon, le couteau à la main, Paris, Gallimard, 1998
Entretien avec Y.François
428
entretien avec J.-R. Vidal
429
Entretien avec P. Linden
430
Rapport de stage de B. Verlon, 1981, p11 AD 95, 1072W/288W3C
431
Selon les témoignages de J.Guillaume (architecte) et G. Plais ant (ingénieur)
427
104
À l’EPAREB, ce sont les équipes géographiques qui dans cette deuxième période –
légèrement décalée par rapport aux deux autres EPA - détiennent le pouvoir en étant à
la fois autonomes (les services techniques sont absents), territorialisées et
pluridisciplinaires.
•
Enfin dans un troisième temps, comme en font foi les réorganisations de Cergy et
d’Evry, il s’agit de finir de remettre des ouvrages aux SAN et vendre des charges
foncières. C’est la culture professionnelle des « chargés d’affaire » ou des spécialistes
de la commercialisation qui prend le relais. Les équipes des EPA sont alors tirées par
de tout autres objectifs et de nouvelles césures apparaissent. Les agents ayant deux ou
trois décennies d’activités en villes nouvelles témoignent de cette évolution générale,
des tensions entre les fonctions d’études, les fonctions techniques et les activités de
développement : « L’urbaniste c’est le garant de la qualité… et le technique c’est
celui qui fiche les choses en l’air parce qu’il a des contraintes… La direction du
développement, c’est la direction qui fait renter l’argent et qui défend souvent le point
de vue des promoteurs vis-à -vis des urbanistes qui sont trop exigeants sur les
contraintes de qualité architecturale, de qualité des matériaux, vis-à -vis des
paysagistes qui mettent trop de contraintes au niveau des espaces verts et vis-à -vis de
la programmation qui met trop de contraintes au niveau de la structure (sociodémographique) qu’il y a à respecter. (Et) le développement pense que le technique ne
va pas assez vite pour mettre à disposition ce que lui a vendu. La tension est
(aujourd’hui) à trois » 432 L’évolution du poids de ces différentes fonctions les unes par
rapport aux autres explique ces basculements successifs.
Les équipes des villes nouvelles ont été tirées, on le voit, par des finalités assez différentes
entre la fin des années 60 et le milieu des années 90. Le renouvellement touche les
organisations, les relations fonctionnelles et les relations professionnelles. L’analyse que fait
aujourd’hui Mireille Lucas se comprend à la lumière de ces change ments : « Un EPAVN, c’est
un statut complètement schizophrène. C’est un organisme qui a en charge de penser, de
concevoir, développer, équilibrer le mieux possible le développement d’une agglomération.
C’est la tâche qu’on lui a donnée. Et parallèlement ce sont des EPIC… qui vendent de la
charge foncière … ce qui permet à l’EPA de vivre c’est ce qu’on vend. Cela n’a pas
forcément à voir avec ce qui faudrait faire pour que l’agglomération ait toutes les
caractéristiques d’équilibre nécessaires » 433 . D’autres agents ont fait une analyse identique au
milieu des années 80 et ont quitté les EPA. Pour eux, l’expérience professionnelle en villes
nouvelles a abouti à cette épreuve et à cette critique. Mais elle ne s’est pas complètement
arrêtée là, puisque les choix ultérieurs ont été motivés par cette épreuve 434 .
432
Entretien avec M. Lucas
Ibid.
434
Entretien avec M. Gaillard.
433
105
106
CHAPITRE III – LA MAITRISE RAPPROCHÉE DES
CHOSES : LA “ MAÎTRISE D’OUVRAGE ” COMME
OCCASION D’UNE EXPÉRIENCE COLLECTIVE
Dans la nouvelle définition de l’urbanisme, la structuration de la maîtrise d’ouvrage est
probablement l’enjeu central. Cette fonctio n se constitue et s’étoffe avec le temps :
programmation, plan financier, marketing, etc. autant d’activités nouvelles et donc de
compétences dont la maîtrise d’ouvrage s’entoure en deux décennies. Un double mouvement
se dessine : avec d’un côté la concent ration des fonctions stratégiques autour des directions
générales, et de l’autre côté un contrôle plus serré du processus de production urbaine,
contrôle de plus en plus orienté sur les attentes des investisseurs et sur celles des Syndicats
d’agglomération nouvelle.
En 1980, une partie de l’ancien service chargé de la promotion à l’EPEVRY est intégrée à la
direction générale pour les missions intéressant l’ensemble de l’Etablissement et devient une
fonction désignée comme stratégique 435 . Cinq ans plus tard, il en est de même du
« marketing » (promotion de l’image de marque, organisation des moyens de prospection,
gestion des relations publiques) qui ne peut se situer ailleurs dans la structure qu’au plus près
de la direction générale 436 . Cette dernière se présente alors et plus que jamais comme le lieu
de synthèse et de régulation entre différentes fonctions, entre services, entre cultures
professionnelles. Il lui revient de concevoir simultanément la répartition des tâches et leur
alignement sur des objectifs de production (des objets physiques), des méthodes, des
interlocuteurs. Ces objectifs, ces méthodes et le comportement des interlocuteurs devenant
mieux connus, c’est l’ensemble du processus de production qui devient plus lisible et donc
mieux appréhendable à la fois pour les agents des EPA et pour leurs interlocuteurs. La
maîtrise d’ouvrage peut alors s’envisager comme une fonction à part entière, avec ses métiers,
ses dispositifs, ses outils voire ses tours de main.
Déjà à l’époque des Missions, l’objectif des directeurs est de s’attacher des compétences et
des outils de façon articulée (pour la conception, la programmation, le financement, le suivi
des travaux) pour que l’organisation soit au plus près de la ville en train de se construire. Ce
souci de maîtrise des processus de production urbaine apparaît sous différentes formes dans le
vocabulaire : “ étayage ”, “ durcissement ”, “ organiser ” le travail, “ diriger ” l’aménagement,
donner à voir, “ répondre ” aux demandes, “ rendre des comptes ”.
Pour assurer cette maîtrise, il faut faire face à divers problèmes : les disjonctions entre les
divers métiers en présence, les pressions politiques et administratives comme les contraintes
de temps qui pèsent sur la mise en œuvre du projet de ville nouvelle, surtout dans les
moments où on attend “ en haut lieu des résultats à court terme ” énonce le directeur général
de Cergy en 1968 437 . À Cergy, on s’inspire en cette matière de l’expérience de
l’Etablissement public d’aménagement de La Défense, son organisation interne et ses
relations avec l’extérieur 438 .
435
Assemblée générale du comité d’établissement de l’EPEVRY pour l’année 1980 (AD91-1523W/1788).
M. Severino, inspecteur des finances, rapport d’enquête sur l’EPEVRY, Ministère de l’économie et des
finances et du budget, août 1985, p.5 (AD91, 1523 W / 598).
437
Assemblée générale du 17.10.1968 AD 95 1086W/60W86A
438
Compte-rendu d’une visite au. Directeur général adjoint de l’EPAD du 6.02.1968, AD 95, 1450W/277W32D
436
107
Pour rationaliser cette fonction de maîtrise d’ouvrage, certaines Missions font très tôt appel à
des bureaux d’études spécialistes de l’organisation, telle que la SCEPROG (filiale de la
SCET). Celle-ci mène en 1969-70 pour le compte de la mission de Cergy des études pour
améliorer au sein de l’organisme les liaisons entre divisions “ financières ” et divisions
“ dépensières ” (prévisions de dépenses, gestion des fonds), ceci à partir des expériences de la
SCET. L’année suivante le même bureau est chargé de “ l’analyse de la circulation des
informations à l’intérieur du service opérationnel ” de l’établissement. Celui-ci cherche aussi
à tirer parti des analyses menées a posteriori par les bureaux d’études comme la SERETES sur
la construction des ZUP ou comme le bureau OTEU, concernant “ l’ordonnancement de la
conception et de la réalisation des grands ensembles ” 439 .
La création des Etablissements publics a pour effet de stabiliser le fonctionnement des
équipes, d’obliger à régler les relations avec les prestataires, les promoteurs, les maîtres
d’œuvre, de s’attaquer aux problèmes concrets que pose le fait de passer une commande,
d’établir un cahier des charges, de réceptionner un ouvrage, etc. La nomination des
contrôleurs d’État conduit à un contrôle interne plus serré. En mars 1971, à Cergy, à la suite
de cette nomination, “ tous les marchés d’études doivent être soumis (au contrôleur ) et tous
les marchés doivent être accompagnés d’un rapport justificatif ”440 . Dès lors toutes les études
faites "en dehors de la maison" doivent être motivées. La maîtrise d’ouvrage se construit
moins à partir d’une doctrine a priori que pragmatiquement, au cas par cas, dans la définition
des rôles et dans la négociation autour de ce que les EPA doivent/peuvent faire et ce qu’ils
doivent/peuvent faire- faire.
Au moins trois thèmes paraissent pouvoir éclairer ce qui a été en ville nouvelle une
expérience professionnelle collective autour d’un dispositif nouveau, la maîtrise d’ouvrage
urbaine. Elle vient d’un contexte où une frontière se cherche entre faire et “ faire- faire ” ; elle
prend forme dans l’exercice généralisé du pilotage, l’invention d’outils tels que les
“ directives d’aménagement ” ou les “ plans financiers ” -. Elle se manifeste aussi à travers
des compétences encore rares mais qui vont s'avérer de plus en plus nécessaires pour faire
exister ce dispositif, compétences notamment en matière de financement, de programmation
ou de gestion du paysage 441 . Cette expérience professionnelle collective s’est finalement
développée du fait des nécessités qu’accompagne la réalisation concrète des choses et du fait
de la consolidation des fonctions des EPA.
Pour illustrer cette idée d’une expérience collective constituée à partir de problèmes à
résoudre et d’ajustements progressifs dans les pratiques, on a pris trois exemples : la
programmation, le plan financier, les directives d’aménagement 442 . On s’est aussi intéressé au
travail de comparaison auquel certains professionnels se sont livrés lors de nos entretiens,
pour nous montrer comment ils avaient dû s’adapter à de nouvelles situations de travail. Cet
exercice de la comparaison qu’ils nous livrent fait ressortir différentes facettes de la maîtrise
439
Comité de coordination du 3. 08.1970, AD 95, 1086W/60W86B. Les études de la SCEPROG, de la
SERETES et de l’OTEU figurent dans les archives du directeur général adjoint, AD 95, 1399W/ 191W12 et
1450W/277W32D
440
Comités de coordination des 19.01.1970, 29.3. et 10.5.1971, 24.9.1973 AD 95, 1086W/60W86B
441
L’insertion des paysagistes au sein des missions a dans certains cas fait problème, comme nous le verrons
plus loin. En 1969, le directeur général de Cergy attend une “meilleure coordination entre paysagistes et
architectes ”, Comité de coordination du 28.04.1969 AD 95, 1086W/60W86B
442
De nombreux ouvrages et articles rendent déjà compte des expériences sur ces trois thèmes (provenant en
particulier du SGGCVN). Nous nous sommes surtout attachés ici à ce qui fait expérience pour les professionnels
rencontrés.
108
d’ouvrage en villes nouvelles. C’est aussi une façon de rendre lisible ce qui a constitué à la
fois l’expérience des EPA et, bien entendu, la leur.
III.1 Entre le faire et le faire -faire
La philosophie du faire- faire est prônée en haut lieu depuis (au moins) la création du ministère
de l’Équipeme nt. François Bloch-Lainé en voit déjà l’ébauche au début des années 1950 avec
la planification économique 443 . Se référant explicitement à l’organisation du ministère des
Armées, Edgar Pisani a lancé le thème : “ L’État doit faire-faire, plutôt que faire ” et ce qu’il
implique pour l’administration, l’adoption du modèle de “ l’état-major ”444 . La réorganisation
de l’EPEVRY en janvier 1987 reprend d’ailleurs ce modèle de l’état- major en le modernisant,
c’est-à-dire en introduisant aussi les principes très en vogue dans les entreprises privées : c’est
la formule du “ directoire ” 445 . Celui-ci tient un rôle majeur : “ Le directoire devra définir
notre stratégie, impulser les grands mouvements, recevoir les commandes locales et garantir
notre cohérence. En particulier, il assurera l’arbitrage entre les centres de compétence en cas
de conflit et affectera à chaque division les moyens budgétaires nécessaires à l’exécution de
leurs missions ” 446 .
Lancée dans les années 60, passée dans les faits deux décennies plus tard, au cours des années
quatre vingt dix, sous la forme du « pilotage » 447 , cette manière de voir n’allait pas de soi. Elle
a supposé un apprentissage de la part des pouvoirs publics et des techniciens en général,
même au sein des EPA.
La philosophie du faire-faire introduit en effet des exigences nouvelles en amont et en aval du
processus de production de la ville. D’abord elle installe dans ce processus un amont fait
d'études, de définition d’objectifs, de planification de l’action, de stratégies. Le fait de fairefaire plutôt que de faire permet « de s’élever, de voir les choses d’un peu plus haut » 448 et
d’un peu plus loin. Le travail de l’équipe pluridisciplinaire intégrée est censé produire une
« vision globale et à long terme », qui est aussi pour les professionnels interrogés une manière
de garantir l’Aménagement du territoire et par suite l’intérêt général449 . Cette philosophie
implique ensuite des suivis, des évaluations, des contrôles. Cette nouvelle manière de
travailler impose d’autres relations entre les intervenants : hommes d’études, concepteurs,
maîtres d’œuvre, investisseurs, futurs gestionnaires, en obligeant à définir de manière plus
précise les finalités et les moyens et par suite les rapports entre un commanditaire et son
prestataire. Finalement cette philosophie rend visible l’étendue des compétences des EPA et
leurs limites.
443
F. Bloch-Lainé et J. Bouvier, La France restaurée, 1944-1954, Paris, Fayard, 1986, p206
E. Pisani, « Examen du projet de budget du ministère de l’Équipement », Le Moniteur des travaux publics et
du bâtiment, 12.11.1966, p25. Plus généralement J.-C. Marquis, Le génie de l’État. Les maîtres d’œuvre de
l’État, Ponts et Chaussées, Génie rural, Eaux et forêts, Lille, L’espace juridique, 1988, tome 1, p 138 et suiv. et
P. Veltz, Les plans d’occupation des sols. Le droit et les logiques nationales, BETURE, Copedith, 1975, p 13
445
Rappel doit être ici fait du contexte économique des années 1986-87 avec les premières privatisations, l’OPA
d’Olivetti sur AGF qui marquent le début de l’évolution du capitalisme français de “ type rhénan ” (relativement
fermé) à un capitalisme plus libéral “ anglo-saxon ” (primauté de l’actionnariat).
446
Note du directeur général de EPAVN d’Evry du 12.09.1986, AD91, 1523W/911
447
Note du 19.11.1995 de Jean-Luc Nguyen à Monsieur Le Directeur général (archives du personnel de
l’EPAVNCP)
448
Entretien avec P. Thiout
449
Entretien avec J.-J. Liard
444
109
Ce qu’il faut entendre par maîtrise d’ouvrage (et plus particulièrement maîtrise d’ouvrage
déléguée pour les équipements) est le produit de tâtonnements. En 1973, à Cergy, les relations
entre l’EPA et le Syndicat communautaire d’aménagement ne sont pas stabilisées : qui doit
faire quoi ? Chacun cherche ses marques. Le directeur général relève que cet état de choses
fait perdre du temps et le regrette 450 . A posteriori, les professionnels soulignent deux
phénomènes qui signalent les apprentissages dans le faire- faire. En passant de la Mission à
l’EPA, dit l’un d’eux, « on est passé de l’urbanisme à l’aménagement » et de « on fait » à
« on fait-faire », ce qui n’allait pas de soi, car cela supposait de savoir se défaire du faire (ou,
encore plus difficile, d’une partie du faire). D’autres, ingénieurs au ministère de l’Équipement
dans les années 1980, viennent de DDE où ils étaient en situation de maîtrise d’œuvre, « le
nez dans le guidon » 451 . Dans les EPA, ils découvrent la maîtrise d’ouvrage. Dans ces années
postérieures à la décentralisation et notamment pour les fonctionnaires de cette
administration, la relation entre les fonctions de maître d’ouvrage et de maître d’œuvre a dû
être reconsidérée, dans un cadre de négociation continue avec les élus locaux.
III .1.1. Le vieux rêve missionnaire du maître jacques
De manière générale, comme le rappelle Jean-Eudes Roullier : “ Les EPA, ils faisaient tout au
début ”, jusqu’à l’animation socioculturelle. Dans ces premières années, rappelons-le, « tout
est à faire ». Si l’on prend le cas de l’EPEVRY dans sa première période, dominée par les
pratiques du ministère de la Construction (A. Lalande durant quinze ans de 1964 à 1979),
c’est aussi la philosophie du maître jacques qui prime. C’est ce qu’évoque aussi Bernard
Hirsch pour Cergy-Pontoise en 1968 lorsqu’il parle de “ vie ” et d’“ esprit à créer ” : “Les
problèmes de vie doivent primer sur les considérations urbanistiques, pour créer cet
“ esprit ” de la ville. Pour mieux participer à celui-ci, les membres de la mission
d’aménagement habitent tous à proximité. Ils prennent ainsi mieux conscience des
inconvénients rencontrés par les habitants et peuvent intervenir pour obtenir certaines
améliorations (par exemple, doublement de la cadence des trains, modifications des horaires,
etc…) ”452 .
En même temps, à Cergy, le directeur général rappelle régulièrement à son personnel ce qu’il
doit faire, comparé à ce qu’il peut laisser faire. En 1970, il répète que l’Établissement public
“ doit rester une organisme aussi léger que possible ce qui signifie que l’effectif total ne
croîtra pas beaucoup et que le maximum de travaux doit être confié à l’extérieur.
L’établissement ne doit se réserver que ce que d’autres ne peuvent pas faire (études
générales, centre urbain, emplois, définition du ‘contenu’ de la ville) ” 453 . Mais, il faut aussi
parer au risque de ne plus paraître que comme un simple organe d’études. En 1973, l’EPA
doit ainsi se protéger des intentions du Syndicat Communautaire d’aménagement et ne pas en
devenir le “ simple instrument ”454 .
450
Note sur Cergy et les relations avec les collectivités locales (réunion de travail chez le Préfet du 19.11.1973)
AD 95, 1461W/294W8D
451
Entretiens avec P. Thiout et M. Clementi
452
Réunion le 20.10.68 de la commission mixte des villes nouvelles, District de la Région parisienne (AD911523W/787).
453
Comité de coordination du 16.03.1970, AD 95, 1086W/60W86B
454
Ibid. Comité de coordination du 26.03.1973
110
Si les travaux de géomètre ou les études de paysage ont pu être aisément confiés à des
prestataires extérieurs, pour d’autres activités le choix n’a pas toujours été aussi aisé à faire.
L’argument économique a parfois été mis en avant dans la décision de garder en régie
certaines tâches. Ainsi, en 1971, au sein de l’EPEVRY, la “ solution (concernant le projet de
création d’un observatoire sur le logement) adoptée à l’EPASQY (contrat avec bureau
d’études) est rejetée à cause (notamment) de son coût trop élevé ”. Lui est préférée la création
en interne d’un service adéquat 455 .
Autre argument en faveur de la réalisation en régie : la difficulté et le temps passé à réaliser
un cahier des charges. En 1976 le directeur du service technique, ingénieur des Ponts et
chaussées, manifeste son “ désir que l’EPEVRY réalise lui-même le travail que nous confions
habituellement aux BET (élaboration des avant-projets sommaires), car il est souvent plus
difficile de faire réaliser un travail que de la réaliser soi-même ” 456 . À Cergy, « les méthodes
et les habitudes de travail (au début des années soixante et dix) consistaient à faire TOUS les
avants projets de VOIRIES et (à) ne confier à la DDE que les plans d’exécution. Ce n’est que
progressivement, et compte tenu de l’accélération du développement des quartiers qu’il y a eu
changement, et aussi une plus grande attention aux objectifs urbanistiques et non seulement
circulatoires » 457 . La situation de l’EPAREB à la fin des années soixante et dix est semblable
à celle d’Evry. En 1979, le nouveau Directeur général Lucien Gallas décrit un EPA comme
étant noyé dans le « faire », effectuant des tâches qui devraient être assumées par les
communes, par exemple des tâches administratives458 . Il ne cesse de rappeler la nécessité
« économique » de recourir à la sous-traitance en matière d’études techniques de VRD, à
l’intention des chargés d’opérations, ou en matière d’études de faisabilité pour le service
études et programmation ; « Chaque fois que l’on peut sous-traiter les données de faisabilité,
faisons-le » 459 . Comparant rétrospectivement sa pratique sur les rives de l’Étang-de-Berre
entre 1977 à 1982 et son activité dix ans plus tard au sein d’une société d’aménagement
privée, Ressources et Valorisations, Claude Guary présente les spécificités de l’EPAREB,
comme maître d’ouvrage : « C’est beaucoup plus léger (par rapport à l’EPA). On faisait le
même chiffre d’affaires que celui qu’on faisait à Ressources et Valorisations. Il n’y a pas
d’agence comptable. Il n’y a pas de service juridique. Tout est sous-traité. On est vraiment
des maîtres d’ouvrage. On est des monteurs, des gens de coûts. Mais on est pas dans la
gestion longue. A l’EPAREB c’est quelque chose qui va sur la gestion longue. Ils rentrent
dans le détail du fonctionnement quotidien, du fonctionnement des collectivités locales. A un
moment donné entre 77 et 82, on sait plus vraiment si on est un EPA ou une collectivité. Les
collectivités sont nulles à ce moment-là. Donc on fait une bonne partie de leur boulot »460 .
Au milieu des années 80, cette pratique de la régie est courante, en particulier quand il s’agit
de traiter de questions nouvelles ou de réveiller des compétences. C’est le cas à l’EPEVRY
pour la conception des espaces publics à travers le projet de cellule “ espace public ” qui
apparaît alors comme un outil de management de l’organisation. Cependant dans la période de
routinisation du travail et de production urbaine ordinaire, la tendance générale est plutôt à un
recours à des prestataires, ce qui est supposé permettre de réduire les coûts, comme sur les
455
Note du 06.07.1971 de Mr Y.Damoiseau à M. A. Lalande, expériences pilotes en matière d’informations sur
le logement menées à Saint-Quentin-en-Yvelines, Cergy et Rennes. Propositions pour la ville nouvelle d’Evry
(AD91-1523/787).
456
Note du 27.02.1976 de Rousselle à Lalande (AD91-1523/787).
457
Note confidentielle de Bertrand Warnier à François Bertault, 18.11.1995 (AD91- archives du personnel de
l’EPAVNCP)
458
Entretien avec L.Gallas
459
L’organisation générale de l’EPA, 09.01.1984 (archives de l’EPAREB)
460
Entretien avec C. Guary
111
Rives de l’Étang-de-Berre. La situation semble acquise au cours des années quatre vingt dix
comme en atteste une note en 1995 du directeur général adjoint concernant le devenir d’un
agent chargé de la mise en œuvre des projets d’infrastructures : «Je pense que l’EPA a plus
besoin de personnes capables d’assurer le pilotage que des personnes produisant en régie des
projets »461 .
Cet esprit de « maître jacques » est né dans les Missions et persiste chez les professionnels.
L’extraterritorialité des EPAVN crée les conditions d’isolement et d’autonomie qui sont très
favorables. Cela s’est traduit à Cergy par une « installation sur place » pratiquement obligée
d’une partie du personnel, suivant l’exemple du Directeur général. Il s’agit de « voir » les
changements, de « souffrir de la boue et de l’isolement », de « constater au jour le jour les
défauts et les corriger sans retard» et de « trouver un interlocuteur sur place pour recevoir
leurs doléances et leurs plaintes d’occupants » 462 . L’attachement du créateur à sa ville,
pousse la Mission de Cergy à recruter des cantonniers ou à s’improviser de manière
exceptionnelle livreur de chauffages d’appoints, ne pouvant "attendre que le Parlement vote
une législation spécifique des villes nouvelles pour régler ces problèmes" 463 . En 1975,
Bernard Hirsch laisse un « testament » à son successeur qui donne la liste de ces derniers
soucis. Ceux-ci vont jusqu’au détail d’une malfaçon d’un collège en cours de construction,
comme s’il en était le propriétaire ou l’usager464 . Plus généralement, les partants évoquent la
difficulté qu’il y a à quitter le « pays de la ville nouvelle » 465 .
III.1.2. Les virages des années 1983-87 : la commercialisation, la remise d’ouvrages, la
formulation de la commande
À Evry, la réorganisation interne annoncée au début des années 1980, vise à recentrer
l’organisme sur sa vocation de maître d’ouvrage. Cela concerne en particulier les activités du
Service technique. Lors du comité d’entreprise de l’EPEVRY du 16 décembre 1982, Michel
Colot (directeur général) « estime que le Service technique doit se limiter à la maîtrise
d’ouvrage. La maîtrise d’œ uvre doit être effectuée par des prestataires extérieurs. Quant aux
tâches de gestion des équipements terminés, elles doivent être assurées par les gestionnaires
(DDE et SCA) afin que l’établissement public se consacre à ses tâches propres » 466 .
À Cergy, la réorganisation de 1985 suit un autre événement qui transforme les relations entre
l’EPA et ses interlocuteurs extérieurs, en premier lieu les investisseurs. Compte tenu de la
« conjoncture difficile », l’EPA cherche à accroître le « dynamisme » des promoteurs (à
travers des programmes en accession à la propriété) et, pour cela, se dit prêt à reconsidérer les
contraintes d’urbanisme 467 . Les « difficultés » ou les « nécessités » de la commercialisation
461
Note du 19.11.1995 de Jean-Luc Nguyen à Monsieur le Directeur général (archives du personnel de
l’EPAVNCP)
462
Bernard Hirsch, Oublier Cergy… op. cit. p.65
463
Ibid. chapitre XV
464
Entretien avec J.-C. Douvry
465
Entretien avec Y. Draussin
466
Comité d’entreprise du 16.12.1982, AD91, 1522W/34
467
Courrier de F. Bertière du 5.01.1983, reproduit dans M. Gaillard, Les conditions d’exercice de la maîtrise
d’œuvre urbaine à Cergy-Pontoise, EPA de la ville de Cergy-Pontoise, janvier 1986. Cette politique avait déjà
été promue par le ministre Chalendon en 1969. B. Hirsch annonce alors avoir “ reçu des instructions tendant à
laisser aux sociétés privées une plus grande part d’initiatives dans le développement de la ville et dans la
création de groupes de pavillons individuels » Comité de coordination du 5.05.1969, AD 95, 1086W/60W86B
112
introduisent une souplesse qui est une première étape – perçue comme un tournant par
certains professionnels - vers une ouverture plus large vis-à-vis des intérêts privés dans la
production urbaine. Elle sera accentuée par la suite par exemple à Marne- la-Vallée lorsque
l’EPA devra se soumettre, comme il ne l’avait jamais fait, devant les exigences
d’Eurodisney468 . Dès la fin des années 80, les EPA arrivent au bout de leur histoire, ceci au
moment où le marché impose ses lois avec une vigueur particulière. En poste à Cergy en
1994, Jean-Luc Nguyen note que la « mission de concepteur passe au second plan », derrière
la Direction des activités économiques : « L’enjeu est à la commercialisation »469 . Pour B.
Warnier, il s’agit en 1996 de « ne pas perdre son âme » 470 .
La prise en compte de ce qui fait l’aval de la production de la ville nouvelle n’est pas une
découverte des années 80-90. On se préoccupe très tôt des destinataires finaux, les
promoteurs, les constructeurs, les collectivités publiques et les habitants, même si pour bien
des professionnels, ces derniers restent des figures très abstraites. Mais la conjoncture et la
nécessité d’accélérer la vente des charges foncières introduisent un facteur inconnu jusque- là
dans les EPA, le facteur de la rentabilité. Cela modifie ce qui est fait et ce qui est dans le
faire- faire.
Les syndicats communautaires ont eu leurs exigences vis-à-vis des EPA, les invitant à
développer l’un des savoir-faire importants de la maîtrise d’ouvrage déléguée : la remise
d’ouvrage. C’est ce que raconte Daniel Simon, paysagiste à l’EPASQY : « Dans la remise des
accotements de voies et des espaces publics au SCA, j’apprends mon métier de paysagiste,
j’apprends à travailler et à rechercher la qualité… ils ont aussi leurs exigences » 471 . Il
travaille de près avec les ingénieurs du service opérationnel et assure lui- même le suivi des
contrats de maîtrise d’œuvre passés avec des paysagistes. Dès lors la recherche de qualité suit
une longue chaîne d’interdépendances jusqu’au gestionnaire final. Elle oblige la maîtrise
d’ouvrage déléguée à porter une attention particulière à ce qu’elle produit et livre.
La plus grande intensité des relations avec les SAN est un phénomène que tous les
professionnels des EPA observent dans les années 90 et qui pèse lourdement sur leur travail
quotidien. À Cergy, Jean-Luc Nguyen est sensible à plusieurs phénomènes conjoints 472 : la
relation au maître d’ouvrage principal (SAN), les conditions concrètes de cette relation, les
effets sur le travail au sein de l’EPA.
-
Les exigences du SAN ont des conséquences pratiques au sein de l’EPA : « La
manière dont on construit des équipements pour le compte du SAN a changé et ça se
traduit parfois par des remises en cause des méthodes de travail au sein de l’EPA.
Pour être schématique : si on a uniquement une personne qui représente le maître
d’ouvrage qui vous dit : « J’ai besoin de construire telle chose », vous donne une
enveloppe puis on construit et en gros du moment que vous ne dépassez pas
l’enveloppe et que l’ouvrage lui plaît, il est content. Ca c’était la méthode ville
nouvelle dans sa phase de démarrage. Maintenant quand cette personne au lieu d’être
seule a une équipe avec elle qui au lieu de vous dire : « Voilà je voudrais tel
ouvrage », elle va vous dire : « Voilà nous avons conçu tel programme, voilà
l’enveloppe mais cette enveloppe est découpée de telle manière : ça pour l’architecte,
468
Entretien avec M. Gaillard. Cf. infra pour plus de détails « Les effets miroir »
Entretien avec J.-L. Nguyen
470
Entretien avec B. Warnier (réalisé par N. Arab en 1996)s
471
Entretien avec D. Simon
472
Entretien avec J.-L. Nguyen (réalisé par N. Arab en 1996)
469
113
ça pour l’entreprise, ça pour la définition » et quand pendant tout le temps de la
construction il y a une personne qui vient vous voir une fois par semaine pour vérifier
ce qui se passe et qui vous demande des comptes, alors la méthode de travail n’est
plus exactement la même ».
-
La densité des relations avec le SAN et l’alourdissement des procédures, ont miné ce
qui faisait auparavant la confiance : « La manière dont se construisent les échanges
pendant la construction est beaucoup plus importante que dans la première méthode.
Des changements sur le plan formel, c’est-à -dire beaucoup plus d’échanges, plus de
courriers, il faut beaucoup plus penser à écrire pour vérifier qu’on a bien pensé à
demander des choses… Et là où ça devient plus dur c’est que le mandataire est
toujours tenu pour responsable indépendamment de tous les allers-retours qu’il y a
eus. Donc ça change la manière dont les chargés d’opération travaillent. Parce qu’ils
sentent que ça risque de déraper ils demandent au maître d’ouvrage de confirmer
dans un délai rapide. Ca formalise beaucoup plus, ça devient parfois dingue, on se
fait des courriers parce que globalement de niveau de confiance qui repose sur la
parole n’existe plus, ça va jusque là. Il y a des opérations sur lesquelles je demande à
mes chargés d’opérations de ne rien faire sans écrire parce qu’on sait que ça se
retournera contre nous… Ce sont des risques nouveaux parce qu’un comportement
nouveau de la part du SAN, enfin il date en gros de 1989, si je comprends ce qu’on me
dit », c’est à dire à partir du moment où le SAN a eu des « services costauds ».
-
Ce qui a des conséquences directes sur les compétences au sein de l’EPA : « Dans le
domaine des mandats il faut bien sûr avoir une connaissance technique, mais il y a le
code des marchés publics à respecter et la manière de savoir faire respecter des
contrats avec le maître d’œ uvre. Cet aspect-là, lorsque ça se passe de manière
informelle, c’est sur les chantiers où il faut crier plus ou moins fort pour que les gens
se mettent au travail. Lorsque vous êtes en ambiance moins facile, il faut envoyer des
lettres recommandées, faire référence à tel article du contrat pour forcer à bosser,
pour prévoir les réclamations des entreprises ». Auparavant « en matière de
compétences, les gens qui travaillaient sur ces mandats étaient plus des meneurs
d’hommes, des gens compétents sur le plan technique du bâtiment et VRD et
maintenant dans un contexte plus formalisé on a toujours besoin de cette qualité mais
on a surtout besoin de gens costauds en droit et en code des marchés publics. On peut
très bien en agitant le spectre du contrat faire travailler les gens. Ce côté d’animer
une équipe ça reste important notamment dans les phases terminales du chantier,
quand on est en finition, qu’il faut livrer dans trois semaines, là il y a ce rôle d’homme
orchestre qui se démène partout et qui appelle le maître d’œ uvre, le plombier, les élus.
Mais la plupart du temps c’est quelqu’un qui écoute le maître d’œ uvre, les entreprises
et le maître d’ouvrage et qui dit : « Ca ça correspond à mon contrat, ça ça ne
correspond pas ». Donc les métiers, ce n’est pas qu’ils ont changé, mais on pouvait se
dispenser de ces facettes alors qu’actuellement la partie droit et code des marchés
publics devient primordiale dans la mission de mandataire ». Un maître d’ouvrage
délégué doit alors savoir ce qu’il en est de législation sur la maîtrise d’ouvrage
publique, mais aussi sur la sécurité sur les chantiers, les directives européennes, etc. Et
anticiper sur ce qui fait le lot de toutes collectivités publiques : le contentieux. Dans ce
contexte, les agents sont obligés d'avoir davantage que par le passé des compétences
juridiques.
114
Cette pression du résultat et de la conformité se diffuse au sein de l’EPA et par ricochet
auprès de ses autres interlocuteurs. Ainsi l’EPA se transforme pour mieux répondre aux
attentes du SAN, mais il devient en même temps plus exigeant vis-à-vis de ses prestataires,
autre signe de la professionnalisation de la maîtrise d’ouvrage. Toujours à Cergy en 1996, le
même responsable des équipements publics exprime clairement ces obligations croisées qui
lient le commanditaire et son prestataire 473 : « Si je prends une étude de circulation ou
d’avant-projet sommaire, donc une étude qui est plutôt une connaissance, une estimation, ce
que j’attends c’est d’une part qu’on exprime bien nos besoins pour qu’eux ils comprennent
bien, c’est ce que j’attends de mes collaborateurs. Et il faut que ce soit suffisamment clair
pour que l’on puisse vérifier que ce qu’on nous remet est conforme à ce que l’on a demandé.
Si vous passez une commande floue vous risquez d’être déçu mais dans la mesure où la
commande est floue vous ne pouvez rien dire. Donc c’est la première exigence interne. Par
rapport au prestataire, c’est qu’il soit fidèle, donc exigence de résultats et accessoirement le
respect des délais et des engagements si par exemple il s’était engagé à faire un compterendu en milieu d’études ». Le point clef est donc bien d’apprendre à élaborer une commande
puis d'en évaluer les résultats.
Les nouveaux rapports avec le SAN ont donc eu des effets multiples, notamment dans les
habitudes de travail comme en termes de compétences. C'est ce que résume un autre
professionnel à Cergy474 : « Avant on décidait du tracé d’une voie, on était chez nous, les
terrains nous appartenaient, donc on la faisait et après on la remettait à la collectivité pour
gérer. Maintenant ils nous demandent qu’on les prévienne de ce qu’on a l’intention de faire.
Et ça, je crois est une évolution importante et qui n’est toujours pas sans difficulté quand on a
affaire à du personnel qui a eu l’habitude de l’ancienne formule et qui n’avait de comptes à
rendre à personne et qui est toujours là ».
III.2. La programmation : une activité, des métiers.
La programmation est l’une des activités qui a rencontré dans la période de réalisation des
villes nouvelles un très vif intérêt475 . Pour au moins deux raisons. D’une part, les EPA se
trouvent en charge de la maîtrise d’ouvrage déléguée des équipements et sont donc confrontés
au problème de leur définition. Après les nomenclatures de la grille Dupont conçues pour les
grands ensembles (en 1958), les années 60 et surtout 70 sont marquées par une floraison
d’équipements nouveaux, par diverses expériences concernant leurs usages comme leur
architecture – les concours font florès - et par un effort de rationalisation des normes. En cela,
les villes nouvelles ont été des terrains d’élection de recherches et d’expérimentations.
D’autre part, l’activité de programmation a offert aux sciences humaines une place au sein des
équipes des EPA. À la fin des années 60, les pionniers ont des profils très divers : géographe,
sociologue, psychologue, économiste, politologue, etc... et ignorent tout de ce que l'on appelle
programmation. Au-delà des évolutions que cette activité a connues en trente ans, on est
frappé de voir non seulement la diversité des profils et des positions dans l'organisation de
473
Ibid.
Entretien avec M. Cosqueric (réalisé par N. Arab en 1996)
475
M. Rivet, La fonction de programmation et le rôle du programmateur. La programmation dans les villes
nouvelles, dans une ville moyenne (Saumur) et à Grenoble, SGGCVN, DAFU, mars 1978 ; J.C. Boyer, La
programmation…, op.cit. Korganow A., P. Mehan et C. Orillard, L’équipement socio-culturel en ville nouvelle.
Les déclinaisons de la formule innovante de l’intégration, Paris, Ecole d’architecture de Paris -Malaquais,
Laboratoire ACS, rapport intermédiaire, février 2004 (pour le Programme interministériel d’histoire et
d’évaluation des villes nouvelles)
474
115
ceux qui ont été en charge de la programmation mais aussi la diversité des pratiques qu’ils en
ont eues. Chaque EPA semble avoir eu en cette matière une expérience singulière.
III.2.1. La formule des groupes de travail
À Cergy, la programmation est une fonction placée dans les organigrammes dès les années
1968-69, mais sans que l’on sache exactement ce dont il s’agit puisque elle est rapportée à la
seule cellule “ logement-emploi ”. À Marne- la-Vallée, Bertrand Ousset crée en 1971 une
direction (Direction des équipements et services collectifs) qui est plus proche des ingé nieurs
que des architectes-urbanistes. Il cherche ainsi à s'assurer que "les intentions sont bien
projetées dans les réalisations", la réflexion sur la localisation des équipements n'apparaissant
qu'au second plan476 . En revanche à Evry, cette fonction est intégrée à l’Atelier d’urbanisme.
Dans la phase initiale, la programmation des équipements de la zone centrale de cette ville
nouvelle est le fait de “ groupes de travail interministériels ” (en fonction de la nature de
l’équipement) qui se réunissent à partir de l’automne 1967 et qui regroupent les instances
départementales, régionales et des services centraux des ministères. Ils permettent d’élaborer
une programmation précise des équipements et de faciliter l’insertion progressive des
programmes dans les enveloppes régionales du Plan. Les groupes suivants ont été constitués :
•
•
•
•
•
groupe “ jeunesse et sports ”
groupe éducation nationale
groupe action sanitaire et sociale
groupe experts commerciaux
groupe culturel et loisirs urbains 477
Ce type d’organisation reprend le fonctionnement mis en place au sein du District de la
Région Parisienne par Paul Delouvrier, lui- même inspiré des groupes de travail du CGP. Il
s’adapte à la sectorisation des financements des équipements des divers départements
ministériels. C’est une approche « normative et contrainte »478 que l’IAURP a synthétisée
dans une grille générale largement diffusée dans les EPA et qui permet de « donner des
chiffres » aux architectes-urbanistes. Mais à Marne-la-Vallée par exemple, on réfléchit
davantage "en amont ", à ce que peut être un "service", une "institution", aux relations avec les
communes du territoire, loin donc de cette définition trop étroitement limitée aux données
architecturales 479 .
La pratique des groupes de travail telle qu'elle fut développée à Evry n’a pas toujours été
abandonnée au profit d’un service ou d’une fonction bien identifiée au sein des
organigrammes. Elle marque surtout les années d'apprentissage. Et on la retrouve plus tard, au
milieu des années 1980, à l’EPASQY. Elle est alors un outil de management pour la relance
de l’EPA et des équipes sur les quartiers. Elle contribue aussi à remettre à l’honneur la
pluridisciplinarité.
476
Entretiens de G. Machu et B. Ousset in A.Korganow et alii op. cit
MEAVN d’Evry, Compte rendu d’activités 1967- prévisions 1968, 06/12/1967 (AD91-1523W/282).
478
J.C. Boyer, La programmation… op.cit. p195 et suiv.
479
Voir l'entretien de B. Ousset in A.Korganow et alii op. cit
477
116
III.2.2. Le programmateur, « spécialiste du social »
En matière de conception des équipements socioculturels, les sciences sociales ont joué un
rôle essentiel, apportant tantôt leur critique, tantôt leur soutien aux conceptions des urbanistes.
Les programmateurs viennent par exemple à Evry justifier la structuration d’un “ réseau de
lieux publics signifiants ”, de “ pôles ” regroupant notamment des équipements
socioculturels (CES, COSEC, Maison des Jeunes, Centre social) conçus comme “ des
moteurs d’animation […] en certains points carrefours […] du linéaire ” 480 . À Evry, André
Darmagnac, géographe de formation, envisage sa compétence comme complètement mêlée à
celle des architectes-urbanistes dans la mesure où il s’agit de “ préparer l’avenir ” 481 . Pour
lui, “ l’urbanisme doit se contenter d’être une provocation assez prudente et sobre aux
tendances de mode de vie qui se profilent pour l’avenir. […] (Il) va au-devant des désirs
fragiles […] et doit toujours conserver intacte sa faculté de se faire totalement perméable aux
tendances qui savent s’imposer ”482 . La tâche du spécialiste du social est ambitieuse. Elle
doit “ anticip(er) assez largement sur ce qui peut effectivement s’observer aujourd’hui ” 483 . A.
Darmagnac identifie en 1975 dans le désordre comme nouvelles tendances : “ les expériences
communautaires ”, “ la nostalgie de la fête ”, “ la renaissance des cultures régionales ”, “ la
contestation du modèle bourgeois ”, “ le mythe des forums, des agora, des “ vieux villages à
la française ”, “ la recherche de paradis artificiels ”, etc. Le résultat de la convergence de
toutes ces tendances serait pour Evry un “ mode de vie qu’on qualifie de “ nouveau
citadin ”484 .
Garant du rôle social de l’urbanisme, le spécialiste du social produit un discours qui légitime
l’action de l’architecte-urbaniste mais qui le met aussi en garde : “ Les urbanistes doivent
pourtant garder à l’esprit que (leur) autorité n’est fondée que parce qu’elle correspond à des
tendances profondes, largement partagées mais qui n’ont pas encore su s’imposer. […] Ils
devront se souvenir que l’urbanisme doit servir les besoins de la société, et non l’inverse ”485 .
Selon d’autres points de vue, la place nouvelle faite aux sciences sociales et notamment au
sociologue dans la programmation doit venir résister à l’approche strictement architecturale
des opérations d’urbanisme : “ Bernard Hirsch a dit que le caractère d’une ville dépendait
moins du problème architectural que de la vie même de la ville nouvelle. Il (Besnard
Bernadac) pense également que des architectures différentes ont moins d’influence que la
diversité des activités. On commence à se préoccuper davantage du “ contenu ” des villes
nouvelles que du “ contenant ”. La composition sociologique des villes est très
importante ”486 . À Marne- la-Vallée, B. Ousset défend lui aussi une position à la fois
pluridisciplinaire et bien amont du travail de l'architecte.
La vision de l’apport du représentant des sciences humaines incarné par le programmateur
évolue entre les balbutiements de la période initiale et les spécialisations des années quatrevingt et quatre vingt-dix. Dans la deuxième moitié des années soixante et au début des années
480
A. Darmagnac, Objectifs de modes de vie et directives d’aménagement (pourquoi construire une ville
nouvelle), Directions d’étude pour Evry III, document de travail, EPEVRY, juillet 1975, AD91, 1523W/2223,
p.29.
481
idem, p.14.
482
idem, p.24.
483
idem, p.17.
484
Idem. A. Darmagnac porte un regard critique sur sa pratique passée (pas assez "pragmatique") in A.Korganow
et alii op. cit
485
idem, p.25.
486
Réunion le 20.10.68 de la commission mixte des villes nouvelles, District de la Région parisienne (AD911523W/787).
117
soixante-dix, la définition reste large et sa compétence encore peu fondée en termes de
méthode. En 1970, le secrétaire général de la MAEB donne sa vision du métier de
programmateur dans un courrier adressé à une nouvelle recrue, chargée d’occuper ce type de
poste : « Ce que je peux vous dire dès maintenant, c’est que vous aurez très probablement à
mettre en place des procédures de ZAC industrielles ou d’habitat public ou privé dans le
cadre des projets d’ensemble étudiés par les Urbanistes. Personnellement j’estime que nous
avons besoin dans l’équipe programmation de quelqu’un d’imaginatif qui nous permette de
donner aux urbanistes les éléments de programmation « qui ne sont pas programmables ». Je
m’explique. Dans une ville ou une urbanisation nouvelle, il y a bien évidemment à prévoir
l’ensemble des infrastructures « structurantes » et de superstructures dites
d’accompagnement ; mais cela ne suffit pas à donner la vie à un Centre Urbain, et il y a mille
et une composantes échappant généralement à l’action directe des pouvoirs publics, qui font
qu’une ville est agréable à vivre ou non. Dans ce domaine, toutes les formes du « tertiaire »
sont essentielles. […] Je souhaiterais que […] vous réfléchissiez sur ce problème et que vous
essayez de faire le point de ce que votre expérience et vos voyages ont pu vous faire
connaître dans ce sens, de façon à ce que nous puissions imaginer ce que sera d’ici quinze à
vingt ans une vie agréable et humaine dans les sites que nous avons la charge
d’urbaniser » 487 .
La programmation tient aussi une place très variable dans les organigrammes des EPA. Elle
apparaît parfois proche des directeurs généraux, parfois en lien plus ou moins étroit avec
l’atelier d’urbanisme ou les études générales. L’introduction de profils professionnels de types
« sociologues à coloration administrative » (venant des formations de droit, d’économie, de
sciences politiques) ou appliquée ne s’est pas faite sans heurts 488 . Les résistances seraient
venues des architectes- urbanistes ou des directeurs généraux.
À Evry, le directeur général propose en 1982 de donner davantage de place aux
programmateurs au sein de l’Atelier, place qu'ils semblent avoir petit à petit perdue : “ Pour
Michel Colot, les difficultés de ce service (le service urbanisme) sont liées à la spécificité de
son travail : mauvaises conditions de travail (urgence permanente, désorganisation) semblent
être traditionnellement un mode de travail. Toutefois Michel Colot souhaite que les
architectes contrôlent mieux leur imagination et travaillent en meilleure coordination avec
les autres services (service technique en particulier). Il souhaite aussi une meilleure
collaboration entre les programmateurs de quartier et les architectes (hormis le canal, la
collaboration est inexistante ou inefficace) ”489 .
Dans l'esprit de Michel Colot, cette proposition vise à reconfigurer l’atelier d’urbanisme,
peut-être à en reprendre le contrôle, et sans doute à renforcer la capacité de maîtrise d’ouvrage
de l'EPA. À l’EPASQY, la programmation a aussi été rapprochée de l’atelier et, dans le même
temps, ses finalités ont changé, passant de l’aval à l’amont de la chaîne de production de la
ville nouvelle. En 1985, raconte Mireille Lucas (démographe de formation), « on a créé le
Groupe de programmation urbaine qui a compté jusqu’à treize personnes. C’était un service
important de la maison qui était rattaché à l’urbanisme. Mais c’était un truc particulier
dedans, faisant les analyses et faisant les propositions pour l’analyse des quartiers. C’est à
dire qu’on n’était plus seulement un outil de statistiques comme c’était au départ (1975-78),
ni un outil d’études de besoins (le ‘bureau des études générales des besoins et de l’information
statistique’, 1978-85)… La programmation urbaine, c’est en amont de tout (tandis que) les
487
Lettre du 8 juillet 1970 de M. Franck Gaston à Mlle Joelle Schroeder (archives du personnel de l’EPAREB)
J.-C. Boyer, La programmation… op.cit. p197
489
Comité d’entreprise du 16.12.1982, AD 91, 1522W/34
488
118
programmateurs d’équipements sont en aval »490 . L'approche urbaine de la programmation
fait ainsi changer complètement l'objet de celle-ci. C'est sans doute dans l'expérience des EPA
qu'émerge la double distinc tion entre programmation architecturale et programmation urbaine
d'une part et entre programmation des équipements et programmation de l'aménagement de
l'autre. Ces différences sont incorporées dans des pratiques très différentes de la
programmation et dans des compétences où la qualification initiale (démographe ou
géographe, sociologue, politologue...) semble déterminante.
Dans cette évolution qui n’est pas propre à l’EPEVRY ou à l’EPASQY, la programmation est
devenue une fonction stratégique qui engage davantage sur la structure démographique de la
ville, son organisation sociale, la gestion future des équipements et finalement son devenir.
« C’était pas très clair ce que l’on attendait des gens des sciences humaines en général.
C’était d’avoir une vision, un travail d’observation, de tableau de bord. Qu’est ce qui se
passe ? Comment ça se passe ? Moi ça me satisfait qu’à moitié et j’ai toujours essayé
d’agir… pour que ça (la programmation) devienne un des éléments de conception et de
réalisation des quartiers. C’est-à -dire que les réflexions que l’on fait soient au service de la
réflexion urbaine… À ce niveau là on devient dans l’équipe pluridisciplinaire un élément
comme les autres »491
Dès lors l’émergence de la programmation au cœur de la visée opérationnelle des EPA a
donné une figure particulière au “ représentant des sciences humaines (ou sociales) ”. Chaque
profil - sociologue, géographe, politologue... – en a proposé une version de cette activité de
programmation. Le “ spécialiste du social ” a aussi eu plusieurs rôles à jouer. Élément
indispensable à la constitution de l’équipe pluridisciplinaire intégrée, il est appelé à être
homme (parfois femme) d’études, enquêteur, programmateur fixant normes et ratios, chargé
des animations ultérieures des espaces réalisés (sur le développement des usages ou ce que
l’on appelle à l’EPASQY la “ mise en vie des quartiers ”492 ) voire conseiller en stratégie. Ces
déplacements dans la nature du travail et la position des agents dans le processus de
réalisation ont provoqué le départ de certains d’entre eux, ceux qui ne se sont pas retrouvés
dans cette instrumentalisation de leurs qualifications en sciences humaines (cas à l’EPASQY
de la sociologue Marie-Odile Terrenoire). D’autres se sont forgé de vrais « outils
opérationnels » (c’est le cas de Mireille Lucas) pour pouvoir participer, de plein droit et très
en amont des pratiques opérationnelles, aux études d’aménagement et être ainsi au coeur de la
réflexion urbaine.
III.2.3. L’étude de marché
Au cours des années 70, les pratiques de la programmation sont bien distinctes de l’étude du
marché. À Evry, la programmation n'entretient aucun lien avec le service commercial ou le
service financier, ce que le soulignent d'ailleurs les observateurs extérieurs pour le regretter493 .
En 1976, une proposition vise à rapprocher les programmateurs de l’Atelier de l’EPEVRY des
490
Entretien avec M. Lucas
Ibid.
492
Entretien avec M.-O. Terrenoire.
493
Conclusions de la réunion restreinte de l’atelie r du 28.11.1975 sur les réponses au questionnaire
“ organisation du travail ” du 09.0 2.1976 (AD91-1523/787).
491
119
commerciaux du service promotion en “ repren(ant) les réunions promotion-programmation
pour faire venir des équipements publics ” 494 .
En 1986, une note du chef de la division logement au directeur général marque un
changement dans la conception de la programmation et rappelle la nouvelle ligne de conduite
de l'EPA. “ Le problème n’est plus d’imaginer un nouveau cadre de vie. Il est de connaître les
besoins des catégories des populations que l’on souhaite accueillir et de leur proposer avec
intelligence et imagination le cadre qu’elles recherchent. Il s’agit d’une logique de vente. On
n’a pas encore tiré toutes les conséquences de ce changement de point de vue dans notre
manière de travailler ; études clientèles-produits sont à développer (COFREMCA), effort de
communication soutenu et élargi, qualité de la conception urbaine. Le consommateur final
reste notre clientèle directe. Ceci passe de toutes façons en résumé par le fonctionnement du
marché ”495 . La programmation est entendue “ au sens large ”, c’est-à-dire comme la
“ définition des besoins, les pré-montages juridiques et financiers ” 496 .
Selon la formule envisagée en 1986, le responsable du centre de compétence “ habitat
urbain ” qui constitue une des trois divisions de l’EPEVRY, présente le processus de
conception et de mise en œuvre d’un secteur d’habitations avec quatre types de tâches
spécifiques 497 :
•
•
•
•
Les études marketing (dossier programme et suivi) ;
La faisabilité (études de définition et conception urbaine) ;
Le montage opérationnel des projets (suivi des projets de construction, cohérence
urbaine, coordination interne) ;
L’étude et production de l’espace urbain (conception des espaces publics, coordination
et police de chantiers, préparation des remises au collectivités locales).
Suivent des tâches complémentaires :
• tâches d’accompagnement et de suivi ;
• tâches liées au passé et à l’avenir (inventaire physico- financier des quartiers achevés
ou en voie d’achèvement).
Le centre de compétence “ Habitat ” se compose de deux unités :
• “ marketing-développement-commercialisation ” (avec quatre chargés d’affaires,
quatre architectes- urbanistes et quatre assistants d’architecte) ;
• “ étude et production de l’espace urbain ” (avec un ingénieur, un architecte ingénieur,
un architecte paysagiste et quatre adjoints techniques).
La programmation relève de la première unité “marketing développement
commercialisation ”. Elle correspond à la phase d’élaboration du “ dossier-programme ”
relevant des “ études marketing ”. Ces dernières comprennent les “ études de motivations, le
suivi et l’analyse des attentes (et) le suivi des marchés ”. Quatre “ chargés d’affaires ” y sont
affectés. Leur “rôle ” est notamment d’animer “ une équipe de quartier pour réaliser le
dossier programme (étude marketing) ” et d’effectuer comme “ responsable de produit […]
le suivi du montage des programmes ”498 . Si les quatre architectes- urbanistes de l’unité
494
Ibid.
Note du 28.08.1986 de F.Delouvrier à M. Colot sur la réorganisation (AD91-1523W/911).
496
Ibid..
497
Centre de compétence “ habitat urbain ”, non daté (sans doute 1986), p.7 (AD91-1523W/911)
498
Centre de compétence “ habitat urbain ”, non daté (sans doute 1986) (AD91-1523W/911)
495
120
participent à l’élaboration du dossier programme, ils interviennent en revanche dans un
second temps du travail de programmation comme animateur d’“ équipe de quartier pour
réaliser le dossier de faisabilité ”. Mais le projet d’organisation ne dit rien de leur
intervention dans l’élaboration du “ programme ” ou dans les “ études de définition ” qui
comprennent une dimension commerciale importante. Le “ programme ou études de
définition” comprend quant à lui :
•
•
•
“ produit – cible - prix de sortie - charge foncière - recette ;
site et environnement
équipements et services liés à l’habitat ”499 .
Et l’objectif de la démarche d’élaboration du dossier de faisabilité est notamment de pouvoir
“ faire des offres foncières claires en vue de la commercialisation des droits à construire ”.
De fait, la nouvelle orientation commerciale est diffuse dans l'ensemble des organisations des
EPA et elle imprègne la programmation, comme en atteste la part prise en cette matière par
les chargé s d’affaires.
III.2.4. Les résistances
Les programmateurs ont parfois eu du mal à s'imposer. Cela a pu tenir au fait qu’il y a
malentendu sur ce que l’on attend d’eux : des chiffres a posteriori, des normes, une aide à la
maîtrise d’ouvrage architecturale, des études de besoins, des outils de la réflexion
prospective... La diversité de leur localisation au sein des organigrammes est un symptôme du
flou qui entoure leurs activités.
Dans le cas d’Evry, le poids important de l’Atelier d’urbanisme jusqu’à la fin des années 70
explique que “ la programmation des équipements publics soit laissée à l’atelier ”. Reste que
“ le problème de la programmation générale (activités, logement ) n’est pas traité de façon
satisfaisante actuellement car elle est éclatée entre différentes personnes et insuffisamment
coordonnée et que tout un aspect très important de celle-ci (la programmation qualitative)
n’est pratiquement pas traité ”500 . Dans cet éclatement, le directeur général adjoint garde la
charge de la programmation des logements et de la commercialisation des terrains suivant les
affectations, fonction qui était déjà la sienne à la SEM de Massy-Antony501 .
Une note de l’Atelier d’urbanisme de 1976 sur la programmation signale l’isolement des
programmeurs au sein de l’EPA et leur absence de liens avec l’extérieur. Ils sont exclus des
discussions au profit de l’architecte. Ils sont confrontés à deux types de difficultés “1/
difficulté d’information et d’articulation dans les mécanismes de la maison et 2/ difficulté de
dégager et de faire appliquer une doctrine, faute de l’avoir ou de pouvoir la faire
partager ”502 . La note propose tout d’abord la constitution d’un fichier faisant un état des
lieux des logements et des équipements dans la ville nouvelle et ensuite l’affichage
systématique vis-à-vis de l’extérieur, notamment vis-à-vis du Syndicat Communautaire
d’Agglomération, du couple programmeur-architecte tout au long de la procédure. Il est
499
Ibid.p.7
Compte rendu de la réunion du 23.12.1977 entre MM Lalande et les chefs de service et la commission
“ conditions de travail ” (AD91-1523W/787).
501
Ibid.
502
Note du 09.02.1976, “ programmation ”, atelier d’urbanisme de l’EPEVRY (AD91-1522W/34).
500
121
rappelé à cette occasion que c’est “ à partir de l’approche qualitative que pourra être désigné
plus naturellement l’architecte ” en charge du projet.
Ultérieurement, la finalité de la programmation s’est conformée à la finalité commerciale des
EPA. Cela n’a pas manqué de provoquer l’opposition de ceux qui s’étaient le plus largement
engagés dans des démarches réflexives à caractère plus prospectif sur la programmation
urbaine : « La programmation urbaine, c’est quelque chose qui ne rapporte rien, non
seulement qui ne rapporte rien mais qui à la limite peut perturber le débat avec les
promoteurs et les acquéreurs… c’est plus un service dérangeant qu’un service qui facilite la
commercialisation » 503 . Ce domaine de la programmation se présente au milieu des années
1980 – soit au bout de 15 à 20 ans d’expériences multiples - comme un ensemble de métiers,
relevant tous de ce que l’on appelle aujourd’hui l’assistance à la maîtrise d’ouvrage mais très
différents les uns des autres, quant à leur objet et à leur technique. Les compétences
professionnelles de ceux qui en ont eu la tâche ont joué. Par exemple Mireille Lucas a une
formation de démographe et elle dit elle- même que cela a profilé sa pratique de la
programmation. Au-delà des formations initiales, un autre facteur a joué : il tient à la place et
au rôle que les représentants des sciences humaines ont pu s’attribuer - ou ont réussi à obtenir
- au sein des EPA.
Le destin des expériences menées à Marne–la-Vallée en matière de programmation des
équipements en éclaire la fragilité ou les limites, même si elles ont "fait avancer des idées"504 .
En premier lieu, la direction créée par B. Ousset est reprise après son départ par un ingénieur
des Ponts et rebaptisée Direction de la Construction. En second lieu, la reprise par les
communes d'équipements gérés par le SAN introduit des obligations nouvelles pour la
maîtrise d'ouvrage déléguée. L'EPA s'est retrouvée à travailler avec un maître d'ouvrage replié
sur des programmes types et des normes.
III.3. Les plans financiers
À partir du milieu des années 70, la dimension financière prend une place croissante dans le
fonctionnement des EPA. À l’inverse des activités de programmation qui présentent autant de
versions différentes que d’EPA, le plan financier est un outil qui a été conçu pour être un
cadre commun aux EPA et les règles en ont été établies après des aller-retour entre ces
derniers et le SGGCVN (qui en est le véritable lieu d’impulsion et d’élaboration finale)505 . La
question posée n’est pas seulement celle du contrôle du financement des EPA des villes
nouvelles, c’est aussi celle de leur pilotage opérationnel et, en corollaire, celle des arguments
politiques nécessaires à la poursuite de la construction. La conception des plans financiers et
les discussions qui l’ont entourée devait permettre de comparer les villes nouvelles mais aussi
de relier dans le temps et l'espace les quartiers (ou “ opérations ”), les objets réalisés, les
modalités d’articulations financières (entre plan et budget) 506 . C’est une autre illustration des
efforts déployés pour rendre le plus lisible possible l’action publique – un outil de
communication interne et externe à la sphère des EPA et du SGGCVN -, de façon à être au
plus près des processus réels de production urbaine, pour maîtriser ces processus, pour
503
Entretien avec M. Lucas.
Entretiens de G. Machu et B. Ousset in A.Korganow et alii op. cit
505
Voir les échanges de courrier sur la question entre le SGGCVN et le directeur de l’EPA de Cergy au cours
des années 1973 et 74, AD 95, 1450W/277W32F
506
Courrier du SGGCVN au directeur de la mission du 9.05.1974, AD 95, 1450W/277W32F
504
122
montrer qu’ils sont maîtrisés et finalement s’appuyer sur cette démonstration pour poursuivre
le travail engagé. Par suite, la question n’est pas que formelle (établir un “ beau bilan ”). Elle
est aussi opérationnelle : avoir une représentation globale et dynamique des situations pour
pouvoir décider et justifier l’allocation des ressources.
Dans les EPA comme au Secrétariat général du GCVN, les professionnels qui ont eu à
développer ce nouvel outil - économistes de formation – et à tirer des moyens pour mener à
bien la réalisation des villes nouvelles s’accordent pour dire que l’effort principal a porté sur
la méthode. Comment décrire physiquement et financièrement un processus ? Comment
recueillir les informations nécessaires à cette description ? Comment sensibiliser les
professionnels des EPA les plus indifférents à ces questions financières ? La consultation
régulière de tous les services des EPA pour collecter les informations, la conception de
« fiches » susceptibles de les synthétiser, les vérifications incessantes, le respect d’une
certaine homogénéité entre les différents EPA… autant de tâches et de paramètres qui ont
petit à petit défini les plans financiers 507 .
À Evry, l’enjeu du plan financier apparaît en termes de compétences dans un courrier du
président du Groupe central des villes nouvelles à la direction du personnel et l’organisation
des services (ministère de l’Équipement) en 1973. Il porte sur une demande pressante
d’inscription sur la liste des “ emplois classés prioritaires au titre de la mobilité ” d’un poste
à l’EPA d’Evry : “ M. Q. (administrateur civil) serait notamment chargé de l’étude et de la
mise au point de la politique financière de l’EPAVN. Je rappelle à ce sujet que M. le Ministre
de l’Economie et des Finances a souligné à plusieurs reprises et tout récemment encore par
lettre du 23 mars 1973 approuvant le montant des subventions de fonctionnement aux EPA,
l’importance et l’urgence qu’il attachait à la mise au point d’une politique financière
d’ensemble dans les villes nouvelles. Le projet de rapport public de la Cour des comptes
insiste également sur ce point. L’EPAVN d’Evry étant placé sous la tutelle du MELT, je vous
serais particulièrement obligé, en conséquence de bien vouloir proposer au ministre
l’inscription de ce poste sur la liste des emplois classés prioritaires au titre de la
mobilité ” 508 .
En 1979, le plan financier doit permettre “ d’apprécier les conséquences financières sur une
période de dix années des objectifs physiques que s’assigne l’établissement ”. Il se double
d’un “ système de contrôle de gestion à court terme destiné à suivre la réalisation des
prévisions et à fournir des éléments permettant de les réviser (trésorerie, bilans, budgets,
plan financier) ” 509 . Il est présenté par le Ministère des Finances comme un “ moyen de
maîtriser les charges de fonctionnement et… d’appréhender convenablement les opérations
d’aménagement ”510 . En 1985, l’intérêt du plan financier serait “ de produire une hypothèse
de résultat, global, momentané et final ». C’est en définitive le « seul critère de réussite
financière de l’établissement et (un) indicateur essentiel du jugement pour le plan ” 511 .
507
. De façon générale, P. Blanchard, « Establishing the tools for control : the French solution », in Mahlon
Apgar (ed.), New Perspectives on Community Development, Maidenhead, Berkhiva, Mac Graw Hill, 1976, 261274
508
Courrier du président du GCVN au directeur du personnel du Ministère de l’équipement du 13.04.1973,
AD91, 1522W/37
509
F.Jaclot, inspecteur des finances, rapport d’enquête sur l’EPEVRY (instruments de prévision et de contrôle),
juin 1979 ( AD91-1523W/598)
510
Note de MM. Patrick Werner et Nicolas Formery, sur l’organisation et la gestion financière des EPA des VN,
octobre 1980 (AD91-1522W/2092).
511
M. Severino, inspecteur des finances, rapport d’enquête sur l’EPEVRY, Ministère de l’économie et des
finances et du budget, août 1985, p.16 (AD 91, 1523 W / 598)
123
Comme pour la programmation ou comme pour les directives d’aménagement, que l’on verra
plus loin, les plans financiers font entièrement partie du renouvellement méthodologique qui
fait de l’aménagement une discipline dans tous les sens du mot. On attend aussi d’eux qu’ils
fondent ou renforcent les compétences de la maîtrise d’ouvrage. Si comme nouvel outil, le
plan financier a donc été investi de nombreux espoirs et constitue une des facettes de
l’expérience particulière des villes nouvelles, sa réussite n’a été que relative. Dès la fin des
années 70, différents rapports de l’inspection des Finances révisent à la baisse les possibilités
offertes par cet outil du fait de ses limites propres mais surtout du fait de l’incapacité des
services financiers et des agences comptables des EP A à le mettre convenablement en œuvre
et à s’assurer la collaboration des divers services. Ainsi en 1980, une enquête de l’inspection
des Finances sur l’ensemble des villes nouvelles fait état d’une “ démarche budgétaire […]
fallacieuse ” 512 . C’est dire les obstacles que rencontrent le souci et l’effort de rationalisation
de la production urbaine.
III. 3.1. L’outil d’une maîtrise d’ouvrage structurée difficile à adapter au
fonctionnement des EPA
Tous les services des EPA sont touchés par l’introduction du plan financier. Ces services sont
ainsi tenus de rendre compte en permanence de leurs activités, de leurs évaluations, de leurs
plannings. Le plan suppose en effet un système itératif entre le service financier et les autres
services : “ La direction générale, assistée de la direction financière, fixe l’équilibre
d’ensemble et supervise celui de chaque unité (d’aménagement) en liaison avec son
responsable ; celui ci arbitre de la même manière entre les estimations des services chargés
des opérations élémentaires. […] Le suivi des réalisations doit être convenablement
déconcentré (le service technique est en effet le mieux à même de maîtriser le cheminement
physique et financier de ses opérations, sous le contrôle du responsable d’unité et de la
direction financière)” 513 . La prévision et le suivi des activités appellent “ une active
participation des utilisateurs ”. Or cette participation ne se fait pas aisément.
La méthode reste en fait sinon étrangère du moins difficile à adapter au fonctionnement des
EPA. Une note de synthèse sur les conditions de travail du service financier et foncier de
l’EPEVRY s’inquiète en 1975 du peu de fiabilité des bilans établis lors de la présentation des
dossiers de ZAC 514 . La ZAC constitue en effet pour le plan financier, depuis les réflexions
développées en 1972 dans la note de M. de Croisset, “ l’unité administrative […] (et)
également l’unité économique et comptable de l’aménagement ”515 . Or, au début des années
quatre-vingt, les révisions périodiques des bilans de zone ne sont pas effectuées dans les
512
“ Dans la mesure où l’équilibre de chaque budget annuel est obtenu par sommation de recettes définitives et
de ressources d’emprunts qui seront ultérieurement à rembourser ”. Note de MM. Patrick Werner et Nicolas
Formery, sur l’organisation et la gestion financière des EPA des VN, octobre 1980 (AD91-1522W/2092).
513
Note de MM. Patrick Werner et Nicolas Formery, sur l’organisation et la gestion financière des EPA des VN,
octobre 1980, p.12 (AD91-1522W/2092).
514
Note de synthèse sur les conditions de travail du service financier et foncier du 05 et 12.12.1975, p.6 (AD911523W/787).
515
D’après MM Alain Pilloux et Stéphane Richard, Rapport d’enquête sur la situation comptable, financière et
patrimoniale de l’EPA de la ville nouvelle d’Evry, décembre 1990 (AD91-1522W/2092).
124
EPAVN 516 . Dès lors, le contrôle de gestion du “déroulement conforme de la ZAC sur le plan
des travaux et des coûts ” se fait sur la base de données erronées 517 .
En 1980, un rapport de l’inspection des Finances signale “ le flottement ”518 des EPAVN dans
la mise en œuvre du suivi des unités d’aménagement. “ Il est clair que les EPAVN ne
parviennent pas à se soumettre à la stricte discipline de cette démarche : […] les
établissements répugnent à établir des bilans d’unités, mêmes approchés, avant de procéder à
la programmation et aux études détaillées qui l’accompagnent (c’est la cas d’Evry) ou même
avant que les travaux ne soient très avancés (c’est le cas de Lille-Est) ” 519 . Le système de
suivi physico- financier mis en place à Saint-Quentin-en-Yvelines fait seul exception. Les
économistes qui y travaillent se retrouvent d’ailleurs très rapidement au sein de l’équipe du
Secrétariat général du GCVN pour assurer le suivi financier des EPA et l’adaptation des outils
de pilotage.
III.3.2. Les résistances des services
Pourquoi tant de difficultés à respecter la discipline financière si nécessaire au
fonctionnement et à la crédibilité des EPA? La cause est à rechercher dans l’organisation,
dans les relations entre services, dans les différences de rythmes de chacun d'entre eux. En
1975, à Evry, le personnel du Service foncier et financier met en cause une “ saisine trop
tardive du service (et) une étude des affaires poussée trop loin sans concertation avec (le)
service, dans l’ignorance des contraintes foncières, juridiques, administratives et financières,
et qui conduit à des reprises, des navettes, pour des mises au point d’autant plus laborieuses
que parfois les positions de l’EPEVRY ont été officialisées à l’extérieur. Le service foncier et
financier demande à être associé plus tôt au montage des opérations et à être informé des
modifications qui y sont apportées » 520 . Ces agents se sentent placés en bout de course dans
les affaires traitées par l’EPA, dans une fonction d'enregistrement contraire à leur mission.
Le cas evryen n’est pas isolé au début des années quatre-vingt : “ La fonction financière est
généralement atrophiée dans les EPA ”521 . Parfois des concurrences entre les services
expliquent l’isolement du service financier et de l’age nce comptable. À Marne- la-Vallée par
exemple, “ le faible poids de la direction financière en face des services opérationnels se
traduit par un véritable démantèlement de contrôle de gestion et même de la
comptabilité ”522 . Le rapport de l’inspection des Finances de 1980 signale l’absence de
synchronisation des services et de cohérence dans les instruments de gestion respectifs. “ Les
divers instruments de gestion ne sont pas mis à jour régulièrement et ne sont pas calés sur les
mêmes dates que la procédure budgétaire ou la programmation. Des écarts sont […]
516
Note de MM. Patrick Werner et Nicolas Formery, sur l’organisation et la gestion financière des EPA des VN,
octobre 1980 (AD91-1522W/2092).
517
Note de synthèse sur les conditions de travail du service financier et foncier du 05 et 12.12.1975, p.6 (AD911523W/787).
518
Note de MM. Patrick Werner et Nicolas Formery, sur l’organisation et la gestion financière des EPA des VN,
octobre 1980, P.11 (AD91-1522W/2092).
519
Ibid p9.
520
Note de synthèse sur les conditions de travail du service financier et foncier du 05 et 12.12.1975, p.1 (AD911523W/787).
521
Note de MM. Patrick Werner et Nicolas Formery, sur l’organisation et la gestion financière des EPA des VN,
octobre 1980, p.13 (AD91-1522W/2092).
522
Ibid.
125
constatés entre les documents internes de gestion et ceux qui sont utilisés pour la
programmation et présentés aux collectivités locales. Ceci correspond à une politique
délibérée (Marne-la-Vallée) ou à des distorsions entre les concepts utilisés (Lille-Est) ” 523 .
Si les services de programmation ou les services techniques des EPA résistent à la logique
financière, on note aussi une ’“ absence de cohérence ” entre agence comptable et service
financier. “ L’agence comptable semble être dans une large mesure et pour l’ensemble des
établissements visités, exclue des circuits de prévision et de gestion, en dépit de la qualité des
informations qu’elle pourrait fournir ” 524 . Par ailleurs, « l’absence de production par le
service financier de document permettant l’analyse des résultats », aboutit à s’appuyer sur le
bilan de l’agence comptable qui n’a quant à lui qu’un rôle formel de communication lors de la
présentation de l’état des finances au Conseil d’administration525 . Un rapport d’enquête de
l’inspection des Finances relève en 1985 pour l’EPEVRY les divisions et les différences
méthodologiques entre l’agence comptable et le service financier qui rendent les états
financiers peu fiables 526 . Finalement la contrainte que fait peser cet outil très sophistiqué
devient à l’usage plus formelle. Son utilité est assez peu du côté du pilotage.
III.3.3 Un outil de communication et d’action stratégique
Les variations et les imprécisions dans le temps du plan financier ne semblent rien enlever à
sa vertu cardinale, la visibilité. C’est en tout premier lieu le cas pour le SGGCVN qui doit être
en mesure de fournir des résultats et d’étayer ses arguments en particulier vis-à-vis des
ministères (Finances, Équipement). Un plan a une “ valeur d’affichage politique et non de
rationalisation des besoins d’emprunt ” 527 . Cet affichage permet de jouer sur des différences
d’appréciation : “ Le rapprochement des plans financiers de 1976, 78 et 85 avec les
réalisations montre essentiellement l’optimisme des prévisions physiques de vente ”528 . En
1979, un inspecteur des Finances signalait pour Evry : “ En dépenses comme en recettes, les
prévisions excèdent systématiquement et parfois très nettement les réalisations ”. Il y aurait
ainsi confusion, le s “ données (étant) davantage des objectifs que des estimations ». Partant
de prévisions de recette à caractère volontariste, l’établissement public s’autorise alors des
dépenses. Dans ses conditions, la politique de trésorerie de l’établissement ne peut être qu’une
politique à très court terme, voire au jour le jour 529 . En 1990, un autre rapport de l’inspection
des Finances conclut que le plan financier “ se résume à un exercice essentiellement formel
dont l’utilité pour la gestion faute d’actualisation est quasiment nulle ” 530 . Il n’aurait ainsi
qu’un rôle politique du fait du caractère “ excessivement optimiste […] du budget
d’aménagement (tant en dépenses qu’en recettes)” 531 .
523
Note de MM. Patrick Werner et Nicolas Formery, sur l’organisation et la gestion financière des EPA des VN,
octobre 1980, P.12 (AD91-1522W/2092).
524
Ibid p13.
525
Ibid. p.16.
526
M. Severino, inspecteur des finances, rapport d’enquête sur l’EPEVRY, Ministère de l’économie et des
finances et du budget, août 1985, p.8 (AD91, 1523 W / 598)
527
Ibid., p.16
528
Ibid.
529
F.Jaclot, inspecteur des finances, rapport d’enquête sur l’EPEVRY (instruments de prévision et de contrôle),
juin 1979, p.22-23 ( AD91-1523W/598)
530
MM Alain Pilloux et Stéphane Richard, rapport d’enquête sur la situation comptable, financiè re et
patrimoniale de l’EPA de la ville nouvelle d’Evry, décembre 1990 (AD91-1522W/2092).
531
Ibid.
126
Ce faisant le plan financier a pu avoir une fonction active au sein de certains EPA en venant
appuyer des réorganisations. Sur les Rives de l’Étang-de-Berre, Lucien Gallas le découvre à
son arrivée à l’EPAREB en 1979 et il l'utilise à cette fin. Le nouvel organigramme de
l’EPAREB doit répondre aux dysfonctionnements organisationnels nés d’une division entre
des services fonctionnels puissants. L. Gallas ne touche pas le Service financier. En revanche
le Service études et programmation est remodelé à partir de son expérience de l’AGAM, et il
conçoit les fonctions des chargés d’opération à partir de sa connaissance du fonctionnement
de la SOMICA (SEM d’aménagement de la ville de Marseille) où le plan physico- financier
est alors un document inconnu, car on « ne prend que des opérations individuellement ». La
répartition géographique des chargés d’opération qui ont en charge les unités d’aménagement
donne une meilleure lisibilité des responsabilités et facilite la tenue du plan financier : « Je me
suis aperçu que les unités d’aménagement n’étaient pas vraiment gérées dans leur bilan
financier du fait de la répartition en beaucoup de services fonctionnels. On ne savait pas trop
qui était responsable de la gestion de ce bilan de manière continue et responsabilisée. Tout
cela m’a conduit à penser une réorganisation assez complète de la manière de gérer la
maison. […] J’ai constaté que le concept de plan financier pluriannuel était extrêmement
intéressant pour le pilotage de la maison. Quand je suis arrivé, il n’avait pas été remis à jour
depuis plusieurs années. Et il était resté en conséquence un document de démarrage. C’est-à dire que les premières opérations y figuraient. Je me suis dit qu’il y avait là un outil qu’il
fallait bien mettre en forme de manière à éclairer la préparation des budgets annuels et
réciproquement voir comment le budget annuel pouvait s’inscrire et permettre et d’actualiser
le plan financier. Il était à sept ou dix ans… On a jamais pu dépasser les sept années mais ça
a relativisé la nécessité de bien séparer les différents contributeurs à la préparation et à la
réalisation de l’aménagement. Le chargé d’opérations, il était encadré, il savait ce qui était
prévu à cinq ou six ans sur les opérations de son périmètre. Il était géographiquement
fonctionnel. Dans la préparation des budgets, c’était lui qui était amené (à fournir des
données) avec le service commercial. […] Cet instrument me paraissait être le moyen d’être
un bon ciment entre les différents intervenants et un bon guide du point de vue du pilotage
des opérations »532 . Une des qualités du plan financier dont Lucien Gallas veillera à la bonne
tenue a donc été, à ses yeux, de pouvoir faire entrer en cohérence territoire, planning et budget
mais aussi de « faciliter le management » du personnel et de l’intégrer dans la dimension
stratégique de l’aménagement des Rives de l’Étang-de-Berre.
III.4. Des directives d’aménagement… au « projet urbain »
La mise en place de plans d'aménagement constitués à la fois de documents indicatifs et d'un
cahier des charges se généralise dans les villes nouvelles, au cours des années soixa nte et dix
et au début des années quatre vingt, sans que l’on sache, si on s’en tient aux témoignages, les
influences réciproques et les éventuelles filiations d'un EPA à l'autre. Ainsi à Saint-Quentinen-Yvelines, à l’occasion d’une révision du PAZ de la ZAC du centre en 1982, la décision est
prise de faire un nouveau PAZ blanc, c’est-à-dire réduit au strict minimum réglementaire
(liste des équipements, SHON, etc.). À ce « PAZ vide de tout dessin », limité aux voiries
primaires, au canal et à quelques équipements structurants, est adjoint un plan de secteur ou
plan directeur se déclinant en différents plans d’urbanisme de détails qui n’ont pas de valeur
juridique. Au niveau de chaque quartier est instauré, au cours des années quatre-vingt, un plan
532
Entretien avec L. Gallas.
127
de contraintes d’urbanisme donnant aux architectes d’opérations une vision d’ensemble sous
la forme d’une fiche signalétique composée d’une légende d’une trentaine de signes. Le plan
des contraintes d’urbanisme par quartier, joint au cahier des charges détaillé n’est pas
opposable aux tiers. Il constitue cependant la base de la convention de ventes de lots au
promoteur et joue ainsi un rôle de garde- fou, le contrôle de la conformité au projet
s’effectuant au moment du dépôt du permis de construire 533 .
C’est ce même objectif de souplesse, qui est visé sur les rives de l’étang de Berre avec les
« schémas d’intentions », mis au point à la demande du nouveau directeur général en 1979.
« On a mis rapidement au point une procédure sur le pilotage d’opération de ZAC.
L’urbaniste faisait un schéma d’intention […], c’est-à -dire […] qu’il est révisable en interne.
[…] Il dessinait les îlots, il positionnait les équipements, de manière schématique, mais de
telle sorte que l’on sache où passaient les réseaux primaires et qu’on puisse assurer la
cohérence avec ce qui voisinait autour. Ensuite il fallait passer à une phase de
commercialisation. Au-delà du PAZ, il y avait un schéma d’intention qui était quelque chose
de plus détaillé. Sur tel îlot, on voit des épannelages de telle sorte que ce soit pas plus de deux
niveaux, plutôt une structure d’îlots avec des rues,… ça restait un schéma d’intentions. C’est
un document interne. En phase opérationnelle, au moment où l’îlot devait être vendu
l’urbaniste faisait un cahier des charges dans lequel il allait un peu plus loin avec le
paysagiste. […] Voilà les conditions dans lesquelles on est prêt à vendre. Et on mettra ça au
point avec votre architecte. Donc il y avait un accompagnement jusqu’à ce que l’acquéreur
du terrain produise un plan qui respecte le schéma d’intentions et le cahier des charges.
Quand vous faites le schéma d’intention, vous ne savez pas quel sera le découpage
opérationnel. Cette procédure a très très bien marché. Elle assurait en somme cette continuité
qu’on pouvait retrouver dans les autres EPA du fait d’une gestion internalisée. Là c’était en
partie externalisé, mais avec une présence forte du service études et programmation. Et ça
c’était intéressant parce que, quelques fois, on s’apercevait que le schéma d’intentions il ne
tenait pas la route. Les hypothèses de découpage ne collaient pas avec quelqu’un qui voulait
faire une opération plus importante. Ou bien le produit que l’on avait envisagé, il n’y avait
pas de promoteur qui était près à le prendre » 534 .
Mais c’est à Cergy-Pontoise, que ce souci de la transmission des objectifs de qualité auprès
des promoteurs et des architectes d’opérations se pose le plus tôt et avec le plus d’acuité. En
1969, les premiers îlots qui sont entrés dans la phase opérationnelle ont eu comme maître
d’ouvrage la SCIC mais les indications du cahier des charges n’ont pas été respectées. Le
Directeur général sentant que « les aspirations qu’il mettait était un peu trahies par son
camarade (directeur de la SCIC) avait réagi en disant qu’effectivement il fallait mettre en
place un système pour mieux contrôler, s’assurer que nos objectifs sont remplis et que la
qualité soit assurée » 535 .
La conception des directives d’aménagement est probablement due aux architectes-urbanistes
de Cergy-Pontoise, inspirés qu’ils furent par leurs collègues britanniques. Lors de la
conception de la programmation du quartier de la Préfecture, l’expertise britannique de
l’agence Shankland, Cox and associates de Liverpool a été, comme on l’a vu, particulièrement
sévère 536 . Cette critique porte sur la confusion entre le travail de l’urbaniste et celui de
l’architecte. Elle souligne une carence dans les savoirs, les savoir- faire, la culture des
533
Entretien avec Y. Draussin
Entretien avec L. Gallas
535
Entretien avec M. Bajard
536
Courriers du 22.02. au 15.07. 1968, AD 95, 1382W/174W40
534
128
architectes- urbanistes, trop architectes et pas assez urbanistes. La question qui est posée au
début des années 70 à Cergy, puis ailleurs, à Saint-Quentin-en-Yvelines par exemple, est celle
des conditions de passage d’un champ à l’autre, et d’une échelle à l’autre. Comment aller audelà des « patates » ?537 Comment représenter des objectifs, indiquer des intentions, formuler
des règles quand on choisit de « renoncer au plan de masse »538 ? Sur quelle base négocier
avec les promoteurs ? Que faut-il contrôler dans la forme architecturale ?
Les conditions de conception de ces directives, la forme concrète qu’elles prennent et les
négociations dont elles sont l’occasion semblent à première vue énigmatiques. “ On donne
aux promoteurs et architectes un minimum de directives d’aménagement afin qu’ils prennent
conscience de l’“ esprit ” de la ville ” , déclare B. Hirsch en 1968 539 . Le terme vague
d’“ esprit ” est fréquemment utilisé pour dire ce à quoi les maîtres d'œuvre et promoteurs sont
tenus de se conformer 540 . Pourtant c’est bien une autre méthode qui est en train de s’inventer
autour de 1968-69 : « Renonçant à élaborer des plans-masse, ce qui était la règle à
l’époque,… les urbanistes anglais nous ont appris à réduire au minimum les contraintes
imposées et à développer les directives d’aménagement qui donnent sous une forme indicative
des conseils pour l’établissement du plan-masse par les architectes du promoteur. Ces
directives expriment par des croquis et des maquettes qui définissent un esprit général auquel
tous les types de logements peuvent d’ailleurs s’adapter. » En juillet 1969, « aucun client n’a
été découragé par les directives d’aménagement »541 . Cependant, l’année suivante, le
directeur général envisage d’être plus exigeant, probablement pour tenir compte des
difficultés rencontrées avec la SCIC : “ Le système des directives d’aménagement doit être
perfectionné et rendu efficace, d’une part en les étudiant à temps et d’autre part en les
rendant plus contraignantes, notamment par des clauses contractuelles de remise de
documents, d’approbation de projets, etc. ”542 .
Marcel Bajard relate les circonstances précises dans lesquelles le principe des directives
d’aménagement a vu le jour 543 : « C’est vrai qu’à Cergy, on était clairement du côté de
l’aménageur. On avait le rôle d’aménageur et pas de constructeur. On a fait un travail dans
cette logique de préparation du travail des constructeurs. […] En France on était dans une
situation un peu étrange. D’un côté il y avait le monde de la construction et de l’architecture
où il y avait plein de gens, plein de savoir faire. De l’autre côté, on avait le monde des
urbanistes mais qui n’étaient absolument pas des concepteurs, qui étaient des towns planners
qui manipulaient plutôt des analyses statistiques mais qui n’étaient pas créatifs. Et puis entre
les deux, il n’y avait rien. Les urbanistes faisaient des grandes patates sur les plans avec des
hachures, donnaient l’affectation des lieux ou les densités dans le meilleur des cas parfois des
silhouettes. Et puis entre les deux, il n’y avait rien. En particulier personne ne s’intéressait à
l’espace public. L’espace public c’était pas un sujet. C’était le résultat du vide entre les
bâtiments ou les routes. Donc on a pris conscience de ça petit à petit. Et puis c’était dans un
contexte de l’époque. Il se passait plein de choses en Italie. On allait à Bologne (Cervellati,
enseignant, assessore à l’urbanisme, directeur des services techniques). Les gens travaillaient
537
Entretien avec J.Guillaume
FNSP, séminaire dirigé par M. JE Roullier, La mise en œuvre de l’innovation dans les villes nouvelles, juin
1972, p.23 (CAC 910585/9)
539
Réunion du 20.10.1968 de la commission mixte des villes nouvelles, District de la Région parisienne (AD911523W/ 787).
540
Note du 31.07.1969 sur les méthodes de travail de la mission d’aménagement de Cergy-Pontoise, AD 95,
1382W/174W40
541
Ibid. p2 et 3
542
Comité de coordination du 16.03.1970, AD 95, 1086W/60W86B
543
Entretien avec M. Bajard
538
129
plus sur la forme de la ville et l’espace public. […] Et on avait une vraie légitimité sur
l’espace public, car c’était du domaine de la collectivité et de l’aménageur. Au nom de
l’aménagement de l’espace public, on avait des choses à dire. […] C’est là où on a imaginé
ces directives d’aménagement pour dire : « On est aussi dans le champ de la
conception. Voilà on est du côté de l’aménageur, du maître d’ouvrage, mais on est aussi dans
le champ de la conception. Et c’est pas parce qu’on est dans le champ de l’aménageur que
l’on doit produire que du réglementaire ». On s’est dit : « On essaie de hiérarchiser ce qu’on a
à dire. Les contraintes : il y a une partie des choses qui peuvent faire partie du réglementaire,
de l’imposé, les dessins précis. Il y a autre chose qui est la directive d’aménagement dont une
partie n’a pas de valeur juridique mais une valeur incitative». On disait : « On va expliquer
aux gens, comment on conçoit la ville, comment on veut faire la ville. Et ils vont adhérer et ça
va être magnifique parce qu’ils vont travailler dans le même esprit que nous » ».
Il y a là la matière d’une expérience qui s’est constituée, affinée et transmise mais qui n’est
pas générale aux villes nouvelles. À la même époque, à Evry, le choix est plutôt de faire- faire
et de contrôler a posteriori : “ Les contraintes imposées aux promoteurs sont réduites au
maximum. Pour le centre commercial mis en appel d’offres, la consultation porte sur le
programme, une trame (esquissée après consultation des principales chaînes commerciales et
infléchie en fonction de leurs nécessités) et les conditions financières. Pour le Champtier du
Coq, la mission a établi un schéma organique qui situe l’opération par rapport au bourg
d’Evry et par rapport au futur centre ville. Ce plan d’épannelage a reçu l’adhésion du
groupe de promoteurs-conseils auprès de la mission qui s’est déclaré aussitôt candidat
constructeur. Ceux-ci établissent à l’heure actuelle les plans masses. Pour Courcouronnes, le
processus a été le même et les constructeurs élaborent eux-mêmes leurs plans masse, la
mission se bornant à assurer la coordination au plan général : logements, équipements
publics, commerces ” 544 .
À Cergy, dès 1972, un stagiaire de l’ENA constate tout le problème que pose l’application des
directives d’aménagement : « Les promoteurs qu’ils soient publics ou privés n’acceptent de
prendre en considération les prescriptions de l’EPA qu’autant qu’ils le veulent et celui-ci n’a
en définitive qu’un seul moyen de pression : le refus de vendre le terrain » 545 . L’année
suivante, un autre stagiaire ayant participé aux réunions autour du projet dit de « la petite
cathédrale » (de l’architecte catalan Ricardo Bofill) relate les « discussions serrées qu’il y a
eu entre l’architecte, le promoteur et l’EPA, les professionnels de l’établissement cherchant à
sauvegarder le projet d’ensemble de la ville nouvelle » 546 . Les rapports de force sont bien
présents avant que la conjoncture ne fasse craindre aux EPA de ne pouvoir vendre leurs
charges foncières.
Au sein de l’EPA de Cergy, les directives sont censées servir de cadre contractuel à la
réalisation en fixant le territoire, le programme, les données techniques d’utilisation du terrain
et une pré- formalisation des espaces publics. Elles sont au cœur d’un autre savoir- faire qui
prendra dans les villes nouvelles une certaine ampleur : l’organisation des concours (par
exemple les concours « immeubles de ville » à Cergy). Pour ceux qui ont conçu les directives,
il s’agit pour l’essentiel d’une position à fonder et à tenir vis-à-vis des promoteurs et
architectes, une « méthode de travail » qui est devenue performante entre 1976 et 1983 547 . À
cette date, avec la nécessité de relancer la construction et les investissements sur la ville
544
A. Lalande à la séance de travail du 10.09.1969 à la mission d’Evry (AD91-1523W/285).
Rapport de stage de 1972, AD 95 1072W/288W3C
546
Rapport de stage 1973 Ibid.
547
Entretien avec M. Gaillard
545
130
nouvelle, d’assurer donc la survie de l’EPA, les directives ont été assouplies pour alléger le
cadre des contraintes imposées aux investisseurs.
Cette méthode a eu divers prolongements, d’abord un renouvellement doctrinal en matière
d’aménagement urbain, ensuite un re-positionnement des architectes- urbanistes au sein des
EPA et enfin une ouverture vers l’assistance à la maîtrise d’ouvrage pour les architectes ayant
fait leurs preuves dans le domaine de l’urbanisme. Ce que précise Marcel Bajard : « Ce souci
de travailler sur cet espace entre l’architecture et l’urbanisme c’est ce qu’on a appelé après
la maîtrise d’œ uvre urbaine. C’est un mot qui a été inventé dans une réunion de l’association
(AUSP : Association ‘Architecture, Urbanisme, Service Public créée en 1981’). C’est René
Tabouret qui a inventé ce mot-là. […] On a inventé ça parce qu’on s’est dit : « C’est une
intervention de concepteurs sur l’espace qui n’est pas l’intervention sur les objets
architecturaux et qui n’est pas la réflexion urbaine ». […] Bertrand Warnier a été le
secrétaire de l’association. À un moment l’association s’est sabordée et est devenue
l’association des ateliers d’été de Cergy. […] C’était un petit laboratoire. Le mot projet
urbain a été inventé là -dedans. » 548
A Saint-Quentin-en-Yvelines, dans ces mêmes années 1973-78, si les expériences de Cergy
intéressent, le changement majeur a lieu à la suite du recrutement d’un architecte qui
bouleverse la manière de voir et de faire. « Nous, on procédait par patates, avec un COS.
Pancho Ayguavives a commencé à dessiner de la ville. On n’était pas d’accord avec sa forme
de ville et avec ses échelles. On pouvait en discuter. Il y avait un côté monumentaliste très
marqué. Mais n’empêche que c’était une démarche très importante. Et ça, ça a été un grand
changement et que Goldberg a fortement demandé après coup. On a été obligé de faire des
plans masse….On ne procédait plus à l’époque par des modèles ‘innovation’ qui étaient une
des dernières manifestations qui se voulaient architecturales... Les fameux modèles
innovation, c’était à la fois un concepteur et une entreprise qui proposaient un produit fini
qui se voulait architectural… Là, on partait d’un tout autre esprit. On dessinait la ville avant,
et après on remplissait les vides entre immeubles. C’était très différent comme démarche »549
Cette méthode nouvelle qui consiste à s’amarrer à l’espace public pour dessiner la ville et par
suite pour l’organiser a donc pris des formes différentes selon les EPA. Elle renvoie d’un côté
à la composition urbaine telle que l’École des Beaux-Arts a pu l’enseigner et de l’autre à une
résistance qualitative (en termes d’espaces sensibles) aux schémas abstraits d’organisation des
territoires. Elle va nourrir une large part des discussions sur le « projet urbain » à partir du
début des années 1980.
III. – 4. Les années 1980-90 de l’aménagement : les effets miroir de l’expérience
Plusieurs entretiens nous ont permis de mettre en regard les pratiques développées dans les
EPA des villes nouvelles et celles qui prennent forme en d’autres lieux au milieu des années
1980 et 90. Dans un premier cas, on s’est intéressé au récit de la création de l’EPA du
Mantois, né grâce aux compétences réunies à l’EPASQY. Il s’agit en quelque sorte d’une
548
Entretien avec M. Bajard. La maîtrise d'oeuvre urbaine, colloque de l’Association Architecture, urbanisme et
service public, Paris, Palais du Luxembourg, 27 janvier 1982 ; C. Bachofen et R. Tabouret, La maîtrise d’œuvre
urbaine, Association pour la recherche près l’Institut d’architecture et d’urbanisme de Strasbourg (pour le
Secrétariat de la recherche architecturale), avril 1985.
549
Entretien avec J. Guillaume
131
évaluation des ressources permettant de traiter un problème urbain relativement étranger au
processus de construction d’une ville nouvelle. Ce point de vue rejoint celui d'une jeune
urbaniste qui s'interroge sur les problèmes de vieillissement du centre de Cergy et les
compétences disponibles au sein de l'EPA. Dans un second cas, l’entretien met en évidence
les similitudes et les différences entre le travail en villes nouvelles (à l’EPAREB) et le travail
d’une société privée d’aménagement. Dans un troisième cas, on a un parcours professionnel
qui, parti d’un EPA, en rejoint un autre en passant par une municipalité. Enfin on a retenu un
quatrième cas de figure de passage d’un EPA à des services municipaux. Ces entretiens
mettent les personnes interviewées dans une situation d’analyse et de comparaison à la fois
des pratiques mais aussi des contextes. Ils donnent ainsi à voir avec luxe de détails leurs
expériences du changement 550 .
L’EPA du Mantois est mis en place au milieu des années 1990 avec au départ des
compétences réunies au sein de l’EPASQY. À cette époque, celui qui va prendre la direction
de l’EPA du Mantois (Pascal Lelarge, ingénieur des Ponts sans expérience en matière
d’aménagement, 38 ans 551 ) voit l’EPASQY – dont il est par ailleurs directeur délégué comme « une grosse machine qui agrégeait un certain nombre de métiers capables de saisir
toutes les dimensions du projet urbain ». Découvrant les villes nouvelles, il observe en
« apprenti le fonctionnement de l’équipe » comptant, « à partir de cette culture, proposer un
schéma d’intervention renouvelée sur des secteurs en crise urbaine ». Cette culture n’est pas
celle d’une agence d’agglomération qui n’a pas de fonctions opérationnelles, ni celle de la
Politique de la ville (qui s'attache « aux pieds d’immeuble », aux régies de quartier, etc.) qui
présente des limites. L’EPASQY lui semble offrir un « socle » de compétences reconnues
d'ailleurs par les élus ; il peut réunir des connaissances sur le secteur, développer une capacité
à aborder la situation locale et à aller jusqu’au bout des intentions. Il s’agit par conséquent de
tirer le meilleur parti de trente ans d’expériences accumulées autour de la construction d’une
ville nouvelle.
Cependant, pour traiter d’un territoire urbanisé « existant », il va falloir puiser dans ces
compétences de manière sélective : sur la question foncière (« qui est un vrai savoir-faire de
ville nouvelle »), sur le cadre juridique de la restructuration du centre commercial du ValFourré (« qui appelle des réponses concrètes »), sur la programmation en matière d’habitat
(« qui demande un regard critique »), sur les grands équipements. Si tous les services de
l’EPASQY se sont trouvés plus ou moins impliqués pour caractériser la situation, clarifier les
enjeux et pour concevoir des actions immédiates (en premier lieu sur le foncier). La mission
de l'EPA du Mantois répond à un autre « paradigme » que celui qui prévaut dans la
production d’une ville nouvelle : « C’était un nouveau métier… difficile à comprendre pour
les gens de l’EPASQY. Ils ont eu le sentiment qu’on pompait leur savoir… qu’on faisait un
peu de zapping, qu’on faisait notre marché et eux n’avaient pas de visibilité sur le projet
d’ensemble. On leur demandait de bosser dans le brouillard… Ils ont eu du mal à travailler
dans un système où il n’y a pas d’alpha ni d’oméga où les choses se construisent
laborieusement, en tâtonnant ». Ce diagnostic vient de la perception d’un décalage non pas
entre des compétences attendues et celles qui sont disponibles mais entre deux processus de
production urbaine articulant ces compétences, deux processus liés à des contextes
économiques et politiques très différents, presque deux époques. D’un côté, tout est à faire.
De l’autre, il faut remédier aux problèmes complexes d’un territoire urbain. C’est par
550
En ce qui concerne la comparaison comme expérience du changement et méthode d’analyse, V. Claude, « Le
travail de la différence. Expériences comparatives dans le champ municipal à Strasbourg (1900-1930) »,
Genèses, n°39, mars 2000,
551
Entretien avec P. Lelarge
132
conséquent l’expérience collective (celle de l’équipe dans son ensemble) qui est en cause et
non pas les expériences de certaines fonctions opérationnelles, notamment les savoir- faire
accumulés dans des services spécialisés et qui « produisent encore leurs effets ».
Le nouvel EPA qui est créé est par conséquent assez différent de l’EPASQY. D’abord il
travaille avec l’agence d’urbanisme de Mantes « sans l’inféoder » (« de manière dialectique
et non pas en captant tout »). Ensuite il recrute des compétences nouvelles, notamment un
« chef de projet » avec la justification suivante : « Il n’y a pas de vrai chef de projet à
l’EPASQY, car c’est la fameuse équipe pluridisciplinaire qui produit le projet… Le chef de
projet varie : urbaniste, commercial, développeur. (À l’EPA du Mantois), la notion de chef de
projet sur l’existant n’est pas la même… 50% de la production du projet tient dans
l’identification d’un homme, car c’est de la négociation, du jeu d’acteurs, etc. Le projet est
plus tributaire de l’extérieur qu’en ville nouvelle ». La différence est ainsi bien marquée entre
une logique de conception-réalisation d’un produit dans un système clos et la logique
d’interactions multiples et de recherche constante de crédibilité politique d’un système ouvert,
notamment vis-à-vis des élus. Car, dans le cas du Mantois comme en d’autres, les intentions
et les volontés politiques sont au départ « floues » et s’explorent au fur et à mesure du temps,
des circonstances, de la composition des intérêts, de l’émergence d’idées nouvelles. Signe que
la vision de l’aménagement a profondément changé en quarante ans. Sur les territoires en
crise, comme le montre le cas du Mantois, comme sur tout « existant », il s’agit moins
d’aménager et d’équiper que de développer, ce qui suppose un autre « paradigme ». À travers
cet exemple de tentative de transfert de compétences, l’expérience des professionnels des
villes nouvelles, en tant qu’expérience d'une équipe, peut sembler datée.
Jeune urbaniste arrivée à Cergy en 1990, Anne Delaunne découvre l'EPA.Elle est frappée par
deux traits de la culture de l'organisme : elle est la première universitaire intégrant la
Direction des études (composée uniquement d'architectes) et on apprécie sa capacité à rédiger.
Surtout elle s'interroge sur les moyens dont l'EPA dispose pour traiter le problème de la
jonction entre le centre de la ville nouvelle et le centre historique de Pontoise, soulignant du
même coup l'âge relativement élevé des agents de l'EPA552 : "C'est la première fois que l'EPA
réfléchit sur un tissu ancien, c'est un problème de savoir-faire très différent. Ce sont deux
choses qui n'ont rien à voir... Quand on construit et conduit des opérations de développement
dans les champs et qu'on se trouve à devoir gérer une ZAC multi-sites en centre ancien où il
s'agit de tricoter très fin en tenant compte de choses très délicates... je ne dis pas que la même
personne n'est pas capable de le faire mais il faut que cette personne évolue, qu'elle acquiert
un nouveau savoir-faire". À l'EPASQY, il y aurait eu la même nécessité de faire "évoluer des
savoir-faire".
Après avoir quitté l’EPAREB en 1986 et avoir passé quelques années au CREPAH, Gérard
Plaisant (ingénieur INSA, entré à l’EPAREB à 25 ans) rejoint la société Ressources et
valorisation (« une filiale de la CGE créée par des gens des villes nouvelles ») qui fait « à
titre privé des opérations d’aménagement urbain ». Il revient ainsi à des activités plus
directement opérationnelles : « Au CREPAH, ce qui me manquait, c’est de ne pas être acteur.
Je préconisais…mais c’est pas moi qui passait aux actes. Ca ça me manquait (par rapport à
l’EPAREB). C’est un retour à l’opérationnel. L’époque Ressources et valorisation, c’était
passionnant. » Cette passion a plusieurs sources : il s’agit de construire la structure régionale,
de travailler en petite équipe (entre trois et cinq personnes), de sous-traiter des études, de
construire un « vrai partenariat » avec les collectivités locales, de travailler « en pleine
552
Entretien A. Delaunne (réalisé par N. Arab en 1996)
133
ville », d’être aussi dans la concurrence, autrement dit d’être « dans le marché ». G. Plaisant
s’explique ainsi : « L’entreprise était nationale et avait des agences régionales qui étaient
complètement autonomes. C’étaient déjà des centres de profits comme on trouve dans les
entreprises. C’est-à -dire les objectifs. Combien je coûtais ? Combien il fallait que je rapporte,
y compris au siège ? Combien, je disposais d’argent l’année d’après pour développer et
réaliser ; la trésorerie ? C’était passionnant. Parce que c’était une équipe réduite au niveau
régional. Au maximum, on était 5 avec les vendeurs. Autrement on était 3-4. On faisait
beaucoup travailler les commercialisateurs, les vendeurs, les architectes et surtout
énormément de partenariat avec les collectivités publiques territoriales. Là on a inventé le
vrai partenariat avec les collectivités locales. Et pour nous souvent on se disait : « C’est
l’inverse des EPA ». On voulait faire le même travail que les EPA. Mais c’était l’inverse
parce qu’au lieu d’être imposé aux collectivités locales et leur apporter une contrepartie
financière comme les collectivités locales avaient avec les villes nouvelles, il fallait… On était
en concurrence. Il fallait arriver au bout, que l’on était les meilleurs au niveau des idées, que
l’on arrive au bout et que le partenariat avec la mairie se passe bien. […] On était en
concurrence avec des SEM ou des promoteurs qui disaient : « Vous n’avez pas besoin
d’aménageur ». Nous on leur proposait quelque chose de plus fin. A la fois le montage de la
ZAC avec les problèmes juridiques que cela peut poser. Parce qu’on était rentré dans une
époque où les aspects juridiques étaient devenus très importants en matière d’aménagement.
Il y avait pas de juriste à l’EPAREB. Il y avait quelqu’un qui s’occupait du foncier mais pas
de juriste. Il y avait pas de procès, pas de recours. […] C’est à partir de 85-90 qu’on
commençait à mettre des recours contre des décisions de conseils municipaux. […] On a fait
du bon boulot. On l’a fait dans le même esprit (C’est ça qui nous plaisait) que les villes
nouvelles. Souvent on travaillait avec des gens qui étaient issus des villes nouvelles. On
cherchait quoi. Quand on travaillait, on cherchait le contact. Mais surtout on était dans le
marché. […] On a sorti des opérations équilibrées, qui apportaient peu de marges. Les
marges d’une société immobilière aujourd’hui sont de 8%. On ne lance pas d’opérations si
elle ne rapporte pas en marge plus de 8%. Parce que les 8% d’une part rémunèrent un peu
large et d’autre part permettent de pallier aux risques d’une opération où il y a des pépins. Et
il y en a. Nous on montait des opérations qui faisaient 1 à 2% de marges au bout de 10 ans.
Donc c’est anti-économique. Déjà quand on ne perdait pas d’argent, on était félicité. Parce
que l’aménagement perdait énormément d’argent partout. Nous franchement on avait
beaucoup progressé sur la clarification des rôles entre la collectivité locale et l’aménageur
en opérations urbaines. A la différence de l’EPAREB, nous on rachetait du bâti, des friches,
quelques fois du terrain nu mais en pleine ville. Et là fallait vivre avec les gens autour. Et on
était complètement dans le marché. Ça c’était la grande différence avec les EPA qui ont
produit sur les champs de betteraves. »553
Sur le cas d'une opération du centre ville d’Aubagne, le même G. Plaisant précise les
différences de missions, de moyens, de contextes : « C’était un terrain pollué plus une
cinquantaine de maisonnettes qui ne pouvaient pas rester telles quelles dans le centre ville
d’Aubagne. Donc il y a eu un travail important sur le plan foncier. Donc je négociais moimême avec les propriétaires le rachat de leurs maisons. Souvent je leur trouvais des
solutions. Je lui retrouve une villa quelque part ou in fine quand on n'y est pas arrivé. On
utilise l’outil d’expropriation par la ville. Là j’avais l’entière confiance et surtout les finances
de notre entreprise. Racheter les terrains à prix forts. La différence c’est une opération
hyper-complexe. La friche industrielle à dépolluer, négocier avec le propriétaire. Ça a mis 4
ans pour être dépollué. Obtenir l’accord de l’administration, les associations de défense,
553
Entretien avec G. Plaisant
134
l’opposition municipale. C’est de la broderie par rapport à ce qu’on faisait (à l’EPAREB).
C’était un travail où j’étais investi complètement. Mais alors tout tout tout passait par moi ;
les négociations foncières et puis des négociations avec la ville. Il fallait que l’on s’y
retrouve. Il fallait que la ville fasse des infrastructures. Ce qu’elle n’avait pas imaginé avant.
Et puis trouver les promoteurs pour construire. Trouver les commerces… […] La chose
nouvelle c’est la phase amont et le montage du dossier centre-ville très difficile à monter. En
plus il y avait la loi sur l’eau. Il a fallu convaincre les administrations. […] J’ai eu à un
moment donné un ingénieur qui est venu m’aider parce que je travaillais sur d’autres
opérations. […] Je faisais avec mon équipe de 3-4 personnes le double du CA de l’EPAREB.
L’EPAREB c’était devenu une machine où il y avait trop de personnes. […] A Ressources et
Valorisations, je gérais tout seul douze ZAC. […] Moi je compare pas. Quand je travaillais à
l’EPAREB, le milieu professionnel extérieur n’avait pas la capacité qu’il a aujourd’hui. En
clair il n’y avait pas d’organisme comme il y a aujourd’hui. Aujourd’hui, on va faire une
opération. On s’adresse à un urbaniste. Il va faire le boulot que l’on faisait à l’EPAREB avec
la même culture. A l’époque de l’EPAREB, ici dans la région cela n’existait pas. Ça existait
déjà en région parisienne parce qu’il y avait déjà l’AFTRP, les villes nouvelles qui avaient
déjà essaimé. Maintenant il faudrait refaire des opérations comme ça. Moi je le dis pour
Euromed par exemple. Ils ont tort de faire avec cette structure. On pourrait faire avec 5 fois
moins de personnes, avec une équipe très concentrée, très décisionnelle, avec vraiment des
experts. Et puis après, tout le milieu professionnel autour, sur lequel on s’appuie. Ça fait
venir de nouvelles idées. Là, le problème d’organisation comme à l’EPAREB, c’est qu’au
bout d’un certain temps ça devient appauvrissant ». On retiendra de ce témoignage, le thème
de la temporalité courte des sociétés d’aménagement comparée à celle plus longue des EPA
des villes nouvelles. Ce qui a des conséquences très directes sur le travail et ses perspectives.
Michel Gaillard est quant à lui en mesure de comparer deux EPA de villes nouvelles mais à
deux époques différentes : les années 1975 à 85 à Cergy et les années 1990 à Marne- la-Vallée.
Dans les deux cas, « dans l’idéologie de l’aménageur, c’est pareil. On a un plan général. On
a un périmètre d’intervention. On a des agriculteurs. On a des ZAC à faire. C’est le même
métier. C’est la même usine de production »554 . Mais l’expérience de M. Gaillard concerne
deux moments de l’histoire des villes nouvelles. D’abord dans les années 90, la production
n’atteint pas le même niveau que par le passé : on construit à ce moment- là deux à trois fois
plus de logements à Marne qu’à Cergy. Ensuite les deux EPA ne fonctionnent pas de la même
manière. Les contraintes politiques pèsent différemment : à Marne- la-Vallée il y a plusieurs
syndicats d’agglomération, l’EPA dispose d’une plus grande « puissance politique » et il est
« plus pérenne ». L’organisme est d’ailleurs une « grande maison », « militarisée », fortement
hiérarchisée, où il y a des chasses gardées. À l’inverse, M. Gaillard n’a pas connu « une
entreprise plus démocratique que Cergy ». Enfin, troisième différence : à Marne, la présence
d’Eurodisney s’impose dans l’espace et pèse lourd sur le processus de production de la ville
nouvelle. « On faisait des directives d’aménagement, se rappelle M. Gaillard. Mais elles
étaient re-digérées et retransformées par Disney. Si nous on avait pas pris le temps de les
aboutir, eux ils prenaient le temps de les aboutir. Et ils nous les renvoyaient en nous disant ;
« ça c’est mieux »…. On avait fini par faire des directives d’urbanisme qui n’en étaient plus
et qui n’étaient que le résultat du consensus obtenu avec Disney, c’est-à -dire, on réduisait nos
directives aux seuls éléments d’accord qu’on avait obtenus avec Disney. Ensuite Disney
vendait les terrains. Parce que nous on vendait à Disney. Et Disney vendait aux autres. Et
c’est Disney qui mettait au point les projets avec les promoteurs. Et quand ils avaient réussi à
554
Entretien avec M. Gaillard
135
établir leurs consensus avec les promoteurs, ils venaient nous trouver pour faire admettre le
projet »
Dans le passage d’une EPA de ville nouvelle aux services municipaux d’une grande ville,
Grenoble, Marcel Bajard découvre que ce qu’il a appris à Cergy reste opératoire. C’est
devenu sa compétence ordinaire 555 : « C’était évident pour moi. C’était évident que si on
faisait un règlement on allait faire des petits dessins, des maquettes d’études pour expliquer
pourquoi on allait proposer ces articles réglementaires et quel était l’esprit où on voulait
arriver ». En même temps, l’expérience de la maîtrise d’œuvre urbaine se prolonge sous une
forme à peine modifiée : « On a réussi à monter une opération sur Grenoble où il y avait six
ou sept promoteurs. Et on avait demandé que chacun des intervenants, quelle que soit leur
date réelle de réalisation, conduise leurs études dans le même temps, en désignant les
architectes et que l’ensemble des architectes soient présents autour d’une table. J’ai piloté
cette opération avec les huit architectes qui étaient ravis d’être là. Et là on faisait ce travail
d’animation. Je redessinais les façades de l’ensemble. On n’a pas pu le faire à Cergy parce
que les opérations s’échelonnaient dans le temps. Gaillard avait réussi à le faire sur
Puiseux ».
Dans ses nouvelles fonctions de fonctionnaire territorial à la mairie de Niort, entre 1986 et
1992, Michel Gaillard est dans une situation semblable à la fois dans la reproduction des
modes de fa ire en villes nouvelles et dans la découverte de nouvelles problématiques. C’est
ainsi qu’il reconstitue la formule des ateliers de Cergy, bien que ce soit avec des moyens plus
modestes. Il arrive à réunir les conditions d’expérimentation et de recherches de nouvelles
idées pour nourrir le projet urbain du maire de Niort (les Ateliers niortais d’architecture et
d’urbanisme) ; le mode de faire est identique puisqu’il s’agit d’inviter des étudiants des écoles
d’architecture à réfléchir sur des sites à projet, à tester des hypothèses de programmation, à
alimenter la « boîte à idées ». Mais il doit aussi travailler sur un tissu urbain ancien, constitué
de longue date et doit tout apprendre en matière de protection du patrimoine architectural556 :
« J’avais un diplôme d’architecte impropre aux yeux des professionnels de l’ajustage avec
l’histoire. Je n’avais pas une très grande culture en monument historique. Il vaut mieux dire
aucune. Et j’étais allé à Niort pour fouiller ça.… Du point de vue technique, j’ai du acheter
des bouquins… Qu’est ce qu’un bâtiment ancien ? Comment on travaille ? Avec qui ? Quels
sont les programmes qui peuvent s’adapter à un bâtiment ancien ? Il faut avoir une
connaissance profonde des techniques de restauration… Dans l’usage volumétrique, la
rentabilité d’occupation, les moyens de réintroduire ou de contourner les normes de
sécurité… C’est un métier. Je ne l’avais pas. »
Tout aussi fondamentale est, pour lui, la découverte du lien entre le technicien et l’élu local,
du face à face avec le pouvoir de décision, de la prise directe avec le politique. C’est là
probablement que le changement fait le plus sens et que la rupture avec un EPA résonne
durablement 557 : « Le rapport à l’élu à Cergy ou à Marne, c’est un rapport à travers un
syndicat d’agglomération. On a un jeu possible entre les différents élus. C’est-à -dire, quand
on veut justifier une chose qui a une cohérence, on a plus de facilité à établir une cohérence
entre plusieurs élus… On entre dans des phénomènes de (recherche) de consensus… Alors
que lorsqu’on est en face d’un élu seul, on est dans le fait du prince. On est dans une position
royale... Il est là. Il décide. » Témoignage d’une expérience qui nous rappelle le statut
singulier des EPA et la manière dont il rejaillit sur le travail quotidien. Ce faisant, dans le
555
Entretien avec M. Bajard
Entretien avec M. Gaillard
557
Entretien avec M. Gaillard
556
136
même temps, c’est-à-dire dans les années 80 et 90, si certains professionnels ont fait
l’expérience du « fait du prince », d’autres ont découvert les jeux subtils de
l’intercommunalité et de la recherche du « consensus ». D’autres encore, ceux qui avaient le
plus de goût pour la chose publique et qui ont pu aller jusqu’à s’engager eux- mêmes pour
« faire de la politique », ont du reconnaître « au bout d’un certain temps » que diriger un EPA
et être maire d’une ville : « Ce n’est pas pareil » 558 .
Enfin, plus le parcours professionnel est long et plus les occasions et les thèmes de
comparaisons se diversifient, donnant à voir ce qui fait le « style » ou la « culture » des EPA
des villes nouvelles. Jean-Luc Nguyen décrit les professionnels de l’EPAVNCP dans la
deuxième moitié des années quatre vingt dix comme « extrêmement libres » dans leur rapport
aux supérieurs hiérarchiques qui contraste avec son expérience en DDE présentée comme
« une administration relativement stratifiée »559 . Cette même « circulation de l’information »,
Pascale Thiout l'observe à Saint-Quentin-en-Yvelines560 . Cela fait dire à Jean-Jacques Liard
fonctionnaire territorial détaché à l’EPASQY au cours des années quatre vingt qu’il avait la
« sensation de participer aux prises de décision (et) aux grands chantiers», à la différence des
collectivités où « la décision relève de l’élu » 561 . Ce souci d’échanges entre les métiers et de
participation au processus de décision se formalise dans les équipes pluridisciplinaires et se
fait particulièrement sentir chez les concepteurs des EPAVN, notamment des architectes. A
Cergy, Jean-Luc Nguyen s’acculture aux pratiques du services des études générales les
reproduisant au sein de la société Foncier-Conseil, quelques années plus tard. « Le service de
Jaoüen et Warnier fait intervenir un regard extérieur, en injectant des témoins, dérangeants.
Cela permettait l’arrivée et la découverte d’autres dimensions que la pure technique de
l’aménagement, de l’épannelage ou de la mesure de la SHON. Qu’est ce qu’on veut y
mettre ? Est ce qu’on veut y mettre un symbole ? […] Cela peut ressembler à un sujet de
littérature pour un technicien. […] On faisait des voyages comme un séminaire à Louvain la
Neuve […] On faisait travailler des architectes (libéraux) qui apportaient des esquisses ».
Ainsi l’ancien Directeur général de l’EPA de Cergy-Pontoise fait- il sien aujourd’hui à Foncier
Conseil ce souci de «prendre de la liberté en amont, se poser beaucoup de questions au
démarrage du projet, échanger sur des objectifs en injectant des savoirs faire différents ».
558
Entretien avec J.-P. Alduy
Entretien avec J.-L. Nguyen
560
Entretien avec P. Thiout
561
Entretien avec J.- J. Liard
559
137
CONCLUSION
Au terme de cette recherche, on en sait un peu plus sur les métiers de l’aménagement, tels
qu’ils se présentent dans les quatre décennies qui viennent de s’écouler. Les résultats
concernent deux versants. Les activités dans les villes nouvelles nous éclairent d’abord sur les
différentes facettes des métiers de base, des compétences initiales, ce que savent et savent
faire les architectes, les ingénieurs, les géomètres ou les sociologues, les économistes ou les
administrateurs. À propos des géomètres devenus urbanistes entre les deux guerres mondiales,
nous avions déjà eu l’occasion de relever cet effet de retour sur une compétence initiale que
l’urbanisme provoque et rend visible 562 . De nos entretiens, il ressort un phénomène identique.
Lorsque, comparant les métiers dans un EPA et dans un bureau d'études, un ingénieur
signale : "Professionnellement il a les mêmes compétences (que moi) mais il ne fait pas le
même travail", il nous expose bien la différence qu'il y a entre la qualification et l' activité
concrète 563 . Ainsi nos interlocuteurs nous ont- ils dessiné le lieu où ils sont, ils nous ont défini
leur métier, présenté ce qui fait leurs compétences et leur légitimité, ont fait le tri entre ce qui
est important et ce qui ne l’est pas 564 . Et ils procèdent au même travail de « révélation » quasi
photographique en ce qui concerne les métiers des autres, ceux des professionnels avec qui ils
sont censés négocier, coopérer, collaborer.
On en sait ensuite un peu plus sur ce que sont et ont été les pratiq ues professionnelles au sein
des EPA des villes nouvelles. Nous avons affaire pour chaque EPA et dans une certaine
mesure pour l'ensemble des EPA des villes nouvelles à une culture professionnelle, c'est-àdire une communauté d'expériences et de pratiques propres à un groupe social et qui se sont
incarnées dans des comportements et des conceptions largement partagés par les membres du
groupe 565 . Cette culture présente plusieurs caractéristiques : se nourrir de l'extraterritorialité,
nouer des intentions à des réalisations - à la différence des SEM ou des agences d'urbanisme -,
développer des savoirs pratiques (qui passent davantage par la transmission orale que par des
manuels), agiter des idées (qui ne sont pas toutes concrétisées mais qui ont alimenté une
intelligence collective) malgré les tensions entre des métiers différents… Cette culture est
propre aux villes nouvelles et ne constitue qu’une facette du champ des pratiques dans
l’aménagement au cours de ces dernières décennies.
Pour conclure on voudrait compléter les matériaux réunis (comment sort-on des villes
nouvelles?), prolonger les réflexions ayant nourri la problématique (sur l’expérience, la
génération) et illustrer d'autres aspects de cette culture professionnelle. On souhaiterait enfin
pouvoir regarder cette culture à partir d’autres points de vue.
562
V. Claude, « L’u rbanisme sans architectes », Actes du colloque au Musée Social “Histoire et actualité des
cultures professionnelles de l’urbanisme”, Dossiers Territoires, Techniques et Sociétés, Délégation à la
Recherche et à l’Innovation (DRI-MELT), n°11-12, mars 1990,
563
Entretien avec M. Bonin (réalisé par N. Arab en 1996)
564
Le témoignage de Maurice Bloch est à cet égard intéressant. Géomètre à l’EPASQY, il confie à des
prestataires extérieurs la partie du métier qu’il qualifie de « travail technique » (les opérations de relevé sur le
terrain et les calculs dans les bureaux) et se voit du côté du « non technique », c’est-à-dire dans les négociations
foncières
565
C'est une définition inspirée de E.-C. Hughes Men and their Work, Westport Greenwood Press, 1981
138
Sortir des villes nouvelles
Dans ce que font les agents à leur entrée en ville nouvelle, se joue à l’évidence ce qu’ils sont à
ce moment- là dans le contexte de leur arrivée. Une multiplicité de déterminations
interviennent au début comme au cours des années passées en villes nouvelles pour expliquer
leurs pratiques, sans que l’on puisse privilégier un facteur par rapport à un autre. Il en va de
même pour les trajectoires ultérieures, à la sortie de la ville nouvelle, au moment où ces
professionnels peuvent faire valoir de nouvelles compétences, au moment où de nouvelles
situations de travail s’imposent à eux et qu’ils doivent retrouver une place dans un univers
qu’il leur faut explorer. Les parcours antérieurs comme les parcours postérieurs ont été dans
cette recherche des indices permettant de rendre visible non pas tant ce que sont ces
professionnels que ce qu’ils ont fait collectivement en matière d’aménagement dans les villes
nouvelles.
Si l’on agrège les données concernant les trois villes nouvelles que nous avons étudiées, les
parcours ultérieurs forment une palette assez large et diversifiée de cas de figures. Les
principaux domaines investis par les professionnels au cours des trois périodes retenues
(1965-80, 1981-90 et 1990-2003) sont au nombre de quatre :
-
les activités d’études,
l’urbanisme opérationnel,
le secteur privé,
les collectivités locales.
Tableau des postes immédiatement ultérieurs, occupés à la sortie des trois missions et
EPAVN d'Evry, Cergy-Pontoise et des rives de l'étang de Berre par les agents cadres
ou promus cadres
Source: base de données
Services
Collectivité Organismes Organismes
Divers
Retrait Non Total Total
traditionnels s locales et d’études
aménageurs
és
identifi identifi
de l’Etat
territoriales (Etat,
(Etat,
SCET,
és ou é
SCET, etc.) etc.)
décédé
s
MELT Autres
Mission BET et Entr Promo Agenc Comm Autres
minist
d’études SEM ep tion e
unicati
ères
et
BTP immob d’archion
d’aménag
ilière tecture
ement,
EP
8
1
2
10
6
4
1
1
8
2
7
5
31
55
86
25%
19651980
Sous total
%
Total % 16%
19815
1989
Sous total
%
Total % 9%
19909
2003
Sous total
%
Total % 10%
Total
général
15%
2
4%
4
18%
5
18%
9
6
35%
4
14
17%
3
5%
24
6%
8
19%
12
12
38%
0
3
5
6%
19%
10%
1
6%
4
3%
19%
13%
7
9%
19
23
81
104
30%
23%
43
32
124
156
45%
86
260
346
9%
1
5
4%
35%
139
On observe que les évolutions dans ces quatre champs font écho aux transformations du
contexte socio-économique et à celles des cadres institutionnels de ces trente dernières
années. Les parcours professionnels se calent ainsi sur les modifications qu’a subies le marché
de l’emploi dans le domaine de l’aménagement.
-
-
-
-
D’abord pour les trois villes nouvelles, les organismes d’études qui avaient pu attirer
nombre de professionnels en début de période ont été avec le temps de moins en moins
investis.
Sur toute la période étudiée, les organismes aménageurs – en particulier les SEM – ont
été fort recherchés (1/5 des sortants en moyenne). Cette propension doit cependant être
nuancée, car elle apparaît plus forte à l’EPAREB qu’à Cergy par exemple 566 . À cet
égard, le contexte local a probablement prédéterminé cet intérêt plus soutenu pour les
SEM de la part des agents des EPA de province. Il faudrait pouvoir s’en assurer en
procédant à la même analyse pour les autres EPA.
La part prise par le secteur privé est importante surtout dans les années 70 et 80,
notamment la promotion immobilière et les entreprises de bâtiment et de travaux
publics, mais aussi les bureaux d’études privés où les architectes, ingénieurs et
géomètres cherchent à poursuivre ou à finir leur carrière, parfois en « solo », en
conformité avec leur habitus professionnel d’hommes d’études, de conseil et de
maîtres d’œuvres.
Les collectivités locales ont commencé à attirer les professionnels dans la dernière
période, surtout ceux qui ont travaillé à Cergy, mais beaucoup moins ceux qui étaient
à l’EPAREB.
À reprendre les explications que fournissent les personnes interrogées sur les motifs de leur
départ, on en relève plusieurs ordres.
-
-
-
-
Le blocage dans l’avancement de carrière au sein des EPAVN constitue à la fin des
années 70 et au début des années 80, un des motifs de départ, les fonctions de DGA et
de DG étant laissé aux grands corps à deux exceptions près (Alain Flambeau à SaintQuentin-en-Yvelines et Bertrand Avril à Melun-Sénart, tous deux diplômés d’HEC).
L’ennui ou la peur de l’ennui est une raison parfois avancée. Ainsi Denis RogerMachart souligne-t-il qu’au bout de treize ans au sein de l’EPASQY, il n’avait « plus
rien à apprendre » 567 .
Dans un autre ordre d’idées, certains évoquent la crainte de la fin de carrière. Ainsi les
plus âgés anticipent-ils sur les risques de départs non voulus. C’est vrai après les
licenciements de l’EPAREB à la fin des années 70, après la fermeture de EPALE
(Lille- Est) ou après les plans sociaux des années 80 à Evry568 . Au-delà de telles
craintes, plus les professionnels avancent en âge et plus ils s’interrogent sur leurs
chances de trouver un autre emploi, de s'intégrer dans une nouvelle structure ou sur
leur capacité à se reconvertir.
D’autres enfin ont fait une analyse générale de la conjoncture. La baisse de régime de
la construction des équipements publics pousse Jean-Claude Menighetti à quitter
l’EPAVNCP. Il en est de même pour Michel Gaillard un peu plus tard, au milieu des
566
Pour le détail voir les annexes.
Entretien avec D. Roger-Machart
568
Entretien avec J. Guillaume
567
140
années 80, lorsqu’il constate les effets sociaux et urbains des politiques de prêts en
accession à la propriété, effets qui à ses yeux supposaient de reconsidérer les objectifs
et les moyens des villes nouvelles.
Une autre logique intervient dans ces départs volontaires, celle qui est propre aux
fonctionnaires et qui les distingue des contractuels. Pour les fonctionnaires, en effet le « plan
de carrière » est un puissant motif de départ. Leur changement de poste suit alors, sauf
exception, le rythme des « tableaux d’avancement ».
Tableau des postes immédiatement ultérieurs, occupés par les agents cadres
fonctionnaires à la sortie des trois missions et EPAVN d'Evry, de Cergy-Pontoise et des
rives de l'étang de Berre (hors agent comptable et trésorier principal)
Source : base de données
Secteur public
Secteur parapublic
Secteur privé
Retraité
Non identifié et décédé
Total identifié
1965-1979
10
1
3
2
2
16
63%
6%
19%
13%
29%
1980-1989
3
4
7
6
5
21
14%
19%
33%
33%
38%
1990-2003
8
4
3
3
5
18
44%
22%
17%
17%
33%
Total
21
10
13
12
11
55
38%
18%
24%
22%
Si les missions et EPAVN ont pu attirer les grands corps de fonctionnaires, notamment des
ingénieurs des Ponts et Chaussées qui espèrent signer un morceau de ville, ils y restent peu de
temps. On observe que le passage par un organisme para-public comme un EPA constitue
assez fréquemment un tremplin avant le « saut dans le privé »569 . Les EPA sont alors perçus
comme l’occasion d’un apprentissage des pratiques financières et managériales de l’entreprise
privée. La représentation des EPA comme espaces de transition entre le secteur public et le
secteur privé est d’ailleurs courante chez les agents de la fonction publique en général. En
1976, après trois ans d’exercice à la DRE d’Ile-de-France, Roland Jullienne, jeune ITPE voit
le SGGCVN et les EPAVN comme une alternative au départ dans le privé 570 . Pour JeanJacques Liard, fonctionnaire territorial détaché à l’EPASQY au cours des années
80, l’Etablissement public a pour principale mission « la vente des charges foncières à des
investisseurs privés » et se présente comme « un intermédiaire entre le public et le privé ». Il
fera là l’apprentissage de la négociation et de la synthèse. Pour Jean-Luc Nguyen à CergyPontoise, prendre la direction de l’EPA va permettre de passer d’un poste de technicien
spécialisé à une fonction de manager gé néraliste : « L’intérim à la Direction générale a
accéléré, cristallisé dans ma tête un certain nombre de choix sur le métier que je voulais
exercer. […] Aujourd’hui je n’imagine pas de redevenir spécialiste. Cela (être directeur
général) m’a conforté dans l’idée d’être manager […], de coordonner les actions des uns et
des autres. […], d’être capitaine d’un bateau »571 .
569
Selon la formule de P. Linden dans l’entretien qu’il nous a accordé.
Entretien avec R. Jullienne
571
Entretien avec J.-L. Nguyen
570
141
C’est au cours des années 1980 que la part des fonctionnaires des EPAVN qui sont passés
dans le privé est la plus importante. Elle représente alors un tiers (33%) des effectifs
(exception faite évidemment des agents comptables et des trésoriers principaux du Ministère
des Finances). Dans les parcours à la sortie des EPAVN au cours des quinze dernière années,
on constate un certain retour sur le secteur public, mais qui n’atteint pas le taux des années 70
(44% de retour dans ce secteur contre 63% vingt ans auparavant). En parallèle, les situations
intermédiaires de postes dans des organismes para-publics touchent entre un cinquième et un
quart des effectifs au cours des années 1980 et 90, preuve que les situations identiques à celle
des EPA des villes nouvelles restent recherchées. À partir de 1980, la majorité des agents
fonctionnaires cadres sortant des villes nouvelles échappent donc au secteur public, au sens
strict du terme.
Dans cette période, l’attirance des fonctionnaires pour le privé est un fait très répandu. Au
cours des années 80, 17% des agents cadres – tous statuts confondus - intègrent le secteur de
la promotion immobilière. Et quelques-uns entrent dans des entreprises de travaux publics, se
transformant, comme J.C. Douvry et selon ses propres mots, en « chef de guerre » 572 .
Au-delà d’une simple capillarité entre para-public et privé, le travail concret en EPA donne
lieu à des rapprochements avec des entreprises privées et à une connaissance approfondie de
leurs méthodes. Pierre Linden, ingénieur des Eaux et forêts, cherche à comprendre cet autre
monde parce qu’il s’interroge : « Comment ces entreprises font-elles pour gagner de
l’argent ?». L’acculturation aux pratiques des entreprises privées (entreprises du BTP,
promoteurs immobiliers, investisseurs) invite certains, si la conjoncture est jugée favorable, à
faire d’un coup le « saut dans le privé » ou à suivre pas à pas le fil continu qui conduit au
privé. Roland Jullienne directeur des services techniques de l’EPASQY de 1984 à 2003 décrit
ainsi son travail quotidien à l’EPA : « Quand vous négociez avec des gens, si vous ne
connaissez pas comment fonctionne leur métier, vous ne pouvez pas négocier. Tous les jours
on négocie ici avec des investisseurs-promoteurs ou des entreprises, c’est parce que vous
savez comment ça marche de leurs côtés et quelles sont leurs possibilités et les vôtres que
vous […] arrive(z) à une bonne négociation ». A Cergy, le travail d’animation de la direction
des activités économiques de l’EPA, avec son « réseau des entrepreneurs» et l’organisation
régulière des petits déjeuners, permet à Jean-Luc Nguyen de « prendre conscience du rôle des
entreprises… (et de les) prendre en compte en tant qu’acteurs ». La liaison entre culture du
public et culture du privé est l’une des spécificités des EPA des villes nouvelles, selon Claude
Guary. Jean-Jacques Liard passe à l’EPASQY d’un métier d’administrateur à un métier de
développeur, du fait de la place croissante que prend la négociation dans son travail quotidien.
Ce lien avec le secteur privé appelle de ce point de vue un « travail constant de négociation
avec l’extérieur, avec sa hiérarchie ». Et dès que l’on a « fait une structure para-publique,
pourquoi ne pas aller plus loin dans le même domaine », en déduit J.-J. Liard 573 . De même,
Claude Guary présente son activité à l’EPAREB comme une tentative « d’aller vers le privé,
de comprendre et d’avoir des pratiques de privé à l’intérieur du public ».
Quant à la décision d’aller travailler en collectivités locales, elle appellerait des enquêtes
complémentaires permettant de différencier les choix faits dans les années 80 et dans les
années ultérieures lorsque se sont multipliées les formes de coopération intercommunale.
Dans les années 80, alors que le départ vers ces collectivités touche encore peu de
professionnels (5% des sortants), le retour (ou l’accès) au territoire local s’accompagne de la
572
573
Entretien avec J.-C. Douvry
Entretien avec J.-J. Liard
142
découverte de nouvelles et fortes contraintes, le face à face avec les politiques comme
l’incontournable pouvoir de décision (pour Marcel Bajard, Michel Gaillard, André Mathieu).
Dans cette sortie des EPA, l'expérience acquise est diversement mobilisée. On relève trois
types de postures. Certains professionnels ne font que « reproduire », d’autres vont
« rebondir », voire « apprendre ».
Reproduire consiste à valoriser une connaissance acquise en ville nouvelle et à l’élargir. C’est
le cas en matière de connaissance du jeu d’acteurs dans l’aménagement. C’est vrai pour Alain
Flambeau qui justifie son entrée à la banque Stern par la qualité de son carnet d’adresses
constitué à Saint-Quentin. Ou Gérard Plaisant qui, au sein du CREPAH Marseille, propose via
les Plans locaux d’habitat de développer la vision des bailleurs sociaux au-delà du domaine du
logement pour celui de la ville et de l’aménagement. C’est vrai aussi pour Michel Gaillard qui
reprend le dispositif des Ateliers de Cergy et la méthode des directives d’aménagement à
Niort, avec les limites que cela comporte.
Rebondir consiste à créer, par exemple à saisir une opportunité pour « monter un service ».
Que ce soit l’ingénieur Robert Varret au CREPAH Marseille en 1977 ou l’économiste JeanPaul Loevenbruck qui prend la direction du secteur « villes nouvelles » dans un organisme de
promotion en 1980 (Bourdais), ils ne viennent pas « occuper une fonction » mais participer à
« un projet nouveau »574 .
Apprendre vient du souci ou du désir d’élargir la vision. Pour Robert Varret et Gérard
Plaisant, tous deux ingénieurs infrastructures à l’EPAREB, les nouveaux centres d’intérêts se
révèlent par défaut dans ce qui n’était pas complètement satisfaisant dans leur travail à l’EPA.
Leur intégration au sein du CREPAH Marseille, bureau d’études de l’Union des HLM, est
présentée comme un passage du « contenant » au « contenu » et comme la découverte du
« social » 575 . Déjà en 1974, Alain Fourest, ancien directeur de la SEM de Lyon et chef du
service programmation économique à la MAEB puis à la MIAFEB, a fait ce choix en
intégrant d’abord l’agence d’urbanisme de Marseille puis la Commission Dubedout au début
des années 80. En 1977, Robert Varret quitte les problèmes de routes et de ponts pour des
problèmes de logement : « Je vais m’intéresser aux gens qui y habitent (les quartiers neufs).
[…] Je me suis dit : « Il faudrait élargir un petit peu ma vision des choses ». J’avais
commencé à prendre conscience : on ne s’occupait pas des habitants, des gens qui habitaient.
Alors, c’était en 1986, on commençait à parler de la Politique de la ville, les grandes
réhabilitations de quartiers ». Pour Gérard Plaisant, la Politique de la ville et son rôle de
conseil viennent « contrebalancer (une) formation » ; il reviendra ensuite à des activités plus
opérationnelles auprès d’un aménageur privé et en qualité d’acteur 576 . Le choix de la Politique
de la ville n’est pas anodin. Il vient d’un attachement plus ancien à l’idée du rôle social du
technicien. Avant l’entrée en ville nouvelle, Robert Varret décide de loger dans les tours
HLM des ZUP de Dammarys- les- Lys dont il est par ailleurs l’aménageur. Il reste que, sur
l’ensemble des parcours des agents des EPA, le nombre de personnes ayant fait le choix de
poursuivre leur carrière dans le sillage de la Politique de la Ville reste très minoritaire.
574
Entretien avec R. Varret
Entretien avec G. Plaisant
576
Ibid.
575
143
Retours d’expériences
À la lumière des résultats de cette investigation et compte tenu de la part faite à la subjectivité
des acteurs (le sens que chacun donne à son histoire et à l’Histoire à travers le récit qu’il en
fait), nous pourrions revenir sur les concepts d’« expérience » et de « génération ». Nous
devrions aussi réinterroger « l’illusion biographique », chère à Pierre Bourdieu et la croiser
avec une position qui la confirme tout en la nuançant : « Les hommes vivent leur histoire à
travers l’idée qu’ils s’en font », dit en effet l’historien577 Si le chercheur est en quête de faits
avérés, il ne peut faire l’impasse sur les faits perçus par les contemporains, qui sont des
évènements opérants sur leurs pratiques quotidie nnes – ce qui nous importait particulièrement
dans cette recherche -, évènements qu’ils ont vécus et qu’ils rapportent à leur manière.
Ce serait là une vaste entreprise dont on ne peut en conclusion qu’illustrer l’importance, à
travers de nouveaux et derniers témoignages de ce qui a fait « expérience » et « génération »
en villes nouvelles. On accordera, comme dans les pages précédentes, une importance
particulière au récit et à l’anecdote. Perçue de manière péjorative par les historiens comme
une « histoire en chemise de nuit », parce qu’elle donne des détails anthropologiques et des
éléments factuels, l’anecdote n’en est pas moins un matériau précieux, révélateur de
l’expérience, entendue comme nous l’annoncions en introduction comme une épreuve, une
transformation, une acquisition.
° La force grégaire du « camp retranché » et le souffle du « camp de base »
Suite à chacune de ses visites à Cergy, Jean-Claude Douvry, avoue un certain malaise après le
constat des modifications opérées sur des espaces aménagés lorsqu’il était à la tête de l’EPA
de Cergy (entre 1975 et 1981). Cet attachement affectif à l’objet construit – qui équivaut à
celui d’un auteur pour son œuvre –, est révélateur du fonctionnement singulier des EPAVN
vis-à-vis du territoire. Chacun peut investir – au sens fort du terme - dans la ville nouvelle,
grâce à deux phénomènes dont il a déjà été question : la situation d’extra-territorialité et
l’esprit du maître-jacques 578 . Au cours des années 1990, Jean-Luc Nguyen décrit l’EPA de
Cergy comme « un village gaulois », qui adopte une position défensive/agressive vis-à-vis de
l’extérieur et notamment des élus. Déjà en 1975 à son arrivée à Cergy, Jean-Claude Douvry
s’étonnait de l’absence de tout briefing pour préparer les réunions avec les habitants. À ses
yeux, une « doctrine unique » était partagée par le personnel579 . Pour son successeur vingt ans
plus tard, le travail de l’EPA est une « guerre de tranchées fortement consommatrice
d’énergie pour l’Etablissement public » 580 , puisqu’il faut quantité de réunions pour
« convaincre l’élu de la qualité d’un projet ». Or l’attitude générale des élus convoqués pour
valider des projets est de « saper » le travail des équipes de l’Etablissement public. Dans ce
système, le SAN adopte lui aussi une position défensive/agressive vis-à-vis de l’EPA, faisant
fonction de « mauvais objet »581 . Vingt ans plus tôt, la logique était la même si l’on en croit
Jean-Claude Douvry et son témoignage sur les techniques adoptées pour faire valider un PAZ
par les élus du SCA. L’attitude des agents des EPAVN contre des élus auxquels on dénie tout
pouvoir, même des années après la décentralisation, est un facteur stimulant et fédérateur pour
le personnel qui construit de la sorte son identité. La revendication de la pluridisciplinarité
577
P. Laborie, Les Français des années troubles, Paris, Desclée de Brouwer, 2001
Autrement dit : « On est libre et on fait tout »
579
Entretien avec J.-C. Douvry
580
Entretien avec J.-L. Nguyen
581
Entretien avec J.-L. Nguyen
578
144
participe de cette même attitude grégaire du camp retranché ou de la niche. Les équipes
pluridisciplinaires n’ont besoin de personne. Sur les trois villes nouvelles étudiées, seul le
Directeur général de l’EPAREB, Lucien Gallas, s’inquiète à la fin des années 70 des liens
avec les collectivités. Mais c’est aussi dans cet EPA que la doctrine de l’extra-territorialité a
été constamment mise en crise.
Cet espace à part, situé dans un hors champ politique et administratif, Robert Varret,
ingénieur infrastructures sur les rives de l’Étang-de-Berre entre 1972 et 1977, le présente
comme un « monde ailleurs » 582 . Il fait ici référence d’une part, au décalage existant entre
l’ampleur du projet et la position des élus des petites communes rurales, d’autre part à
l’attitude de défiance du Maire socialiste de Marseille vis-à-vis du « séisme de Fos », et enfin
à l’irrédentisme de la DDE qui réussit à obtenir en 1973, via la MIAFEB, des financements
spécifiques aux villes nouvelles pour travailler sur l’Ouest du département : « On était dans
un monde entre soi. On était ailleurs. […] C’est une connerie, hein ! Avec le recul et
l’analyse. Mais comme il y avait une espèce de refus et en même temps…on avait de quoi
s’occuper à vingt ans sans se poser la question de çà » 583 . A Cergy, l’architecte-urbaniste
Michel Bajard décrit la décennie soixante et dix en parlant d’une « situation […] irréelle », où
les agents de l’EPA se sentaient « un peu décalés par rapport aux vrais problèmes, un peu en
dehors du monde»584 . Il part en 1979 en raison de cette « irréalité » : « Je pars à cause de la
question du foncier. L’EPA est propriétaire de 10 000 hectares. Alors que, lorsqu’on travaille
en général sur la ville, sur l’urbanisme ailleurs, la question foncière est prédominante. Et on
invente toute une stratégie, une problématique en fonction de cette question là. Là (À Cergy)
c’était pas la peine. L’EPA avait une légitimité pour acheter. Mais du coup ça gommait une
part de la réalité. […] (Dans le même temps) on dialogue avec les gens des GEP, des agences
d’urbanisme. On voit bien comment ils travaillent. On a des collègues dans les structures qui
se montent, dans les collectivités. On allait aux colloques des agences d’urbanisme. On voyait
quels étaient les soucis des gens qui travaillaient sur la ville. Et là on percevait combien on
était loin du monde »585 . Le périmètre d’intervention des missions de villes nouvelles puis
des EPAVN apparaît, pour reprendre l’expression de Michel Marié concernant l’Algérie du
Plan de Constantine, comme un « espace entre parenthèses » 586 . On pourrait parler du temps
en villes nouvelles dans des termes identiques. Jean-Jacques Liard, fonctionnaire territorial,
rappelle la perception qu’il avait de l’EPASQY au cours des années quatre vingt, perception
où l’espace et le temps se confondent : « Je ressentais les agents des EPA comme supérieurs.
[…] C’était dans une vision des choses plus globale et plus prospective. Dans une collectivité
locale, c’est le principe de l’annualité budgétaire. Quand on est fonctionnaire territorial,
toute l’action se situe dans le cadre d’une action annuelle du budget. On fait les prévisions en
fonction du budget. On a un champ de vision relativement séquencé dans le temps parce que
c’est par annualité et que c’est relativement limité. Alors qu’à l’EPA en termes d’espace,
c’est beaucoup plus grand » 587 .
Dans cette configuration de « camp retranché », confronté qu’il était à un univers local au
mieux atone, au pire hostile, un des seuls interlocuteurs extérieurs retenu auquel se rattache
les Missions et EPA se situe à Paris avec le SGGCVN, « le camp de base »588 qui dénoue les
582
Entretien avec R. Varret
Ibid.
584
Entretien avec M. Bajard
585
Ibid.
586
Michel Marié, « Réseaux techniques, territoires et colonisation », Revue du monde musulman et de la
Méditerranée, n°73-74, 1996
587
Entretien avec J.-J. Liard
588
Entretien avec J.-E. Roullier
583
145
blocages administratifs et financiers. On l’appelle aussi « la ruche » 589 , véritable centre
nerveux avec ses chargés de missions qui animent et coordonnent les actions innovantes des
différents organismes de villes nouvelles: « Il y avait une espèce d’hypertension au groupe
central. Ça allait vite. Ça impulsait, ça pensait, ça décidait. […] Ca imaginait. Ça bossait.
C’était tonique ! » 590 .
La forte clôture du groupe (« l’entre soi ») et la relative étanchéité de l’espace professionnel
vis-à-vis des évènements extérieurs font des EPA des espaces grisés par la faible réceptivité
qu’ils ont au territoire. Sur ce point encore, la situation sur les Rives de l’Étang-de-Berre est
différente. Le contexte ne cesse de faire irruption, que ce soit avec les conflits politiques
locaux entre l'Est et l'Ouest de l’Étang-de-Berre, conflits qui traversent l’organisme, avec
l’impossible création de l’EPA entre 1972 et 1973 ou après 1974, avec l’émergence des
questions environnementales, cette dernière marquant l’entrée en scène des mouvements
régionalistes et du corps des Mines (création en 1972 du Secrétariat permanent pour les
problèmes de pollution industrielle de la zone de Fos- l’Etang de Berre, SPPPI). Enfin les deux
chocs pétroliers mettent fin aux attentes concernant le projet industriel, la DATAR et le
SGGCVN prennent de la distance et le projet de ville nouvelle n’est plus envisagé comme un
accompagnement de l’industrialisation. La Mission puis l’EPA est ici rattrapée par le
territoire, contrainte de composer avec l’existant.
° L’expérience en ville nouvelle comme évènement biographique
Cure de jouvence, lieu de rajeunissement, les Missions et EPA, par leur relation au territoire
(« le camp retranché ») et leur rapport au temps (« tout est à faire ») sont empreints d’un
certain « jeunisme ». Pour les plus âgés, l’activité professionnelle (en ville nouvelle) est
présentée comme une expérience de rajeunissement : « À voir évoluer les choses, on garde sa
jeunesse […] l’hyper activité permet de garder son tonus parce qu’on est confronté tous les
jours à des faits nouveaux »591 . Pour nombre de professionnels interrogés, l’entrée à 20 ou 25
ans en ville nouvelle n’obéit pas à un plan de carrière préétabli, tandis que le moment de la
sortie est l’occasion de faire des bilans, des calculs et de formuler des choix réfléchis. Ainsi
Gérard Plaisant âgé de 40 ans en 1986 note le moment de l’inflexion : « Là j’ai commencé à
être volontaire dans mon parcours professionnel. Avant en quelque sorte, je suis monté dans
un train »592 .
Le temps léger et ouvert des Missions s’est organisé dans la rupture avec le passé et la
génération précédente qui appartenait au vieux- monde repoussoir des SEM et de la SCET.
Les aînés étaient alors perçus comme des « vaincus » dont l’œuvre appartenaient à une
histoire malheureuse (celle des grands ensembles). Les SEM de la « grande et grosse maison
SCET »593 sont vues comme « vieilles » du fait de l’âge moyen de son personnel594 , comme
«figées »595 dans des organisations rigides, comme déjà « installées […] dans une vieille
histoire » 596 . L'image des administration de gestion est encore plus grise.
589
Entretien avec R. Varret
Ibid.
591
Entretien avec R. Jullienne
592
Entretien avec G. Plaisant
593
Entretien avec R. Varret
594
Entretien avec M. Redor
595
Entretien avec R. Varret
596
Ibid
590
146
Mais, à suivre nos interlocuteurs, ce temps léger des Missions s’est épaissi puis a fini par
peser allant jusqu’à lester les initiatives et paralyser les nouveaux arrivants au cours des
années quatre vingt dix. Ainsi en 1988, dans la consultation du personnel de l’EPAREB
préalable à la définition du projet d’entreprise, le bureau d’études CAP SESA REGIONS note
dans son état des lieux, l’« attachement au passé » comme un des « traits culturels » du
personnel597 . En 1995, Jean-Luc Nguyen à son arrivée à l’EPA de Cergy décrit un organisme
sclérosé où, outre la « routine », « le savoir faire des collaborateurs légitimé par leur passé
devient un facteur de pesanteur » ; le «on a déjà fait » est une réplique récurrente du
personnel aux propositions de changement du jeune Directeur général adjoint. Le
management des équipes prend alors la forme d’une « réactivité forcée » avec des « stimuli
extérieurs » imposés par la Direction598 . À la même époque, un autre ingénieur des Ponts et
chaussées, Pascal Lelarge, à Saint-Quentin-en-Yvelines constate « l’anachronisme » d’un
organisme confiné dans son périmètre de compétences et déroulant depuis trois décennies le
même projet gaullien: « On faisait de la Ville Nouvelle, une espèce de standard, une espèce
de morpho-type quasiment logarithmique. Un petit morceau de quartier, une ville, la ville
nouvelle, c’était la même chose. On avait une espèce de corps social idéal, de vision urbaine
idéale. […] Il y avait une incompréhension de ce qu’est la société. […] Les gens ont l’illusion
que parce qu’il y a des procédures dérogatoires du droit commun pour la programmation de
logement, on vivait dans un monde pérenne. La France n’avait pas changé. […] Toutes les
énergies étaient concentrées sur le faire et progressivement également étaient noyées par la
gestion du microcosme politique local ; faire venir des entreprises, vendre du truc, faire du
projet urbain. […] (l‘EPASQY) n’avait pas une vision réactualisée du projet Ville Nouvelle
autre que : « Il faut finir et fourguer la charge foncière » (ou) pour simplifier, « Il faut aller
jusqu’au bout » » 599 . La culture ville nouvelle était devenue « brumeuse » et les agents étaient
« dans le brouillard ». Dans les relations entre générations se joue donc non seulement l’âge
biologique mais aussi le temps passé en villes nouvelles, temps riche en acquis pour les plus
anciens, temps complètement ouvert pour les plus jeunes.
Ainsi avoir 30 ans en EPAVN en 1970 ou en 1990 ne recouvre pas la même réalité, même si
chacun relate qu’à cet âge, et quel que soit le moment de cette entrée, il a surtout « appris à
travailler ». Au cours des années quatre vingt-dix, l’apprentissage n’est plus dans l’innovation
ou dans le « tout est à faire » mais passe par la qualité du contact avec les anciens ou le recueil
de la mémoire collective de la ville nouvelle. Pour Jean-Luc Nguyen, cela passera en 1995 par
un voyage à Louvain la Neuve, haut lieu de référence pour l’équipe de Cergy. Pour Bruno
Depresle en 1992 à Evry, ce sera la reconstitution d’un atelier d’urbanisme rassemblant les
architectes de l’Établissement éclatés entre les différents services. Quant à Pascal Lelarge, âgé
de 38 ans en 1996, il vit une véritable expérience de création avec la constitution de l’EPA du
Mantois, mais, pour mener à bien sa mission, il doit rester en marge de l’EPASQY.
La transmission d’un savoir logé dans le faire est passé par des voies comme le récit (on
raconte un évènement) ou l’observation et la reproduction des manières concrètes de faire. Par
exemple l’ouverture d’une école faite par un agent de l’EPEVRY au début des années
soixante et dix est raconté vingt ans plus tard par le même professionnel à un jeune énarque de
597
CAP SESA REGIONS, pro jet d’entreprise de l’EPAREB, document de travail, mars 1989 (archives privées
de Lucien Gallas)
598
Entretien avec J.-L. Nguyen. A l'occasion de l'entretien réalisé par N. Arab (en 1996), le même déclarait :
"Les gens n'ont jamais expérimenté un mode de management avec des retours, des échanges. Ils considèrent que
pour être impliqué sur un dossier, il faut assister à toutes les réunions. C'est un peu dramatique".
599
Entretien avec P.Lelarge
147
l’EPA qui se réapproprie l’esprit du maître-jacques des hommes de la mission600 . Autre aspect
de ce qui fait le ciment de l’expérience collective : la « culture de la production ». Dans le
parcours de Jean-Luc Nguyen, l’EPAVNCP représente cette culture : « On fait », dit- il601 .
C’est cette même dimension à la fois concrète et indéfinissable que décrit Pascal Lelarge
lorsqu’il cherche à convaincre les élus du Mantois de la création d’un nouvel EPA : « Ce qui
était intéressant à Saint-Quentin-en-Yvelines pour les élus, c’était qu’il y avait cette
combinaison des cultures. Il faut une forte efficacité collective. Ça produisait des choses.
C’était opérationnel. Une capacité in fine à décoller des trucs, aller jusqu’au bout des
intentions »602 . Cette culture de production est nourrie de l’échange, de la libre parole, du
« pouvoir d’imagination et de proposition » 603 que chacun reconnaît aux missions et EPA de
villes nouvelles.
Enfin sur un mode plus diffus au sein même des organismes de villes nouvelles, le travail en
équipe et le côtoiement quotidien d’autres professionnels ont fait évènement. L'acculturation
aux différents métiers de l’urbanisme opérationnel est relevée par tous nos interlocuteurs.
Jean-Claude Menighetti au moment de son départ de Cergy en 1979 se souvient : « En
quittant l’EPA, je me suis rendu compte que je savais énormément de choses, y compris sur
des domaines qui n’étaient pas les miens. Je savais des choses sur le logement, les zones
d’activités ». Cet apprentissage s’est effectué avec la lente maîtrise des outils
méthodologiques mais aussi « dans la confrontation avec les collègues » 604 . Jean Le Guillou,
géomètre devenu chargé d’affaire à l’EPASQY, évoque au moment de son départ en 1986,
« la sensation d’être polyvalent à la sortie, de savoir un peu de tout. A l’EPA, vous faites
votre métier. Mais vous côtoyez tous les autres métiers de l’aménagement. Quand vous partez
vous avez acquis quelque chose dans chaque métier, pas suffisamment pour pouvoir le faire
mais assez pour savoir en parler et l’intégrer dans un projet »605 . Ainsi à force de côtoyer
d’autres métiers, les professionnels appuient leurs activités sur un socle d’expériences
collectives et s’en disent « grandis ».
Au regard du renouvellement général que subit l'aménagement dans les années 60, les villes
nouvelles offrent en héritage une culture professionnelle orientée surtout sur l’activité
opérationnelle (dans la production urbaine, l'organisation du travail, l’échange entre les
métiers) dont on ne sait pas bien jusqu'à quel point elle s’est diffusée dans différents cercles
au-delà des EPAVN. Que nous en disent les professionnels de cette culture ? Qu’ils ont euxmêmes et progressivement fait le tri entre ce qui demeure vivant et ce qui est devenu obsolète.
Suite aux transformations doctrinales et méthodologiques depuis dix à quinze ans (par
exemple dans la mise en œuvre de la loi SRU), ils ont fait la part de ce qui, dans le style
« ville nouvelle », envisagé comme une culture de production et d’innovation dans un
contexte d’expansion, est encore quelque peu opérant.
Comment continuer ?
En termes de champ d’investigation
600
Entretien avec B. Depresle
Entretien avec J.-L. Nguyen
602
Entretien avec P. Lelarge
603
Entretien avec R. Varret
604
Entretien avec J.-C. Menighetti
605
Entretien avec J. Le Guillou
601
148
Il apparaît nécessaire tout d’abord de prolonger cette enquête par un travail sur les autres EPA
des villes nouvelles (tant pour compléter la base de données que pour élargir la palette des
modes d’organisation des organismes), sur le SGGCVN (« le camp de base» ou lieu
d’élaboration de la doctrine juridique, financière, opérationnelle), le GIE 'Villes nouvelles' qui
était censé essaimé les expériences des professionnels. La richesse des témoignages réunis
grâce aux soins de l’Ecomusée de Saint-Quentin-en-Yvelines montre par ailleurs l’intérêt
qu’il y aurait à conduire des campagnes systématiques d’archives orales pour chaque EPA.
Il faudrait ensuite redonner aux Missions et EPA des villes nouvelles leurs contextes locaux et
nationaux. Notre enquête en interne donne peu à voir ce qui se passe au même moment sur les
territoires concernés (il aurait fallu recourir aux archives municipales et départementales, à
l’analyse du champ politique et à celle des enjeux sociaux locaux). Ceci serait
particulièrement important pour les EPA des villes nouvelles de province, afin de se départir
de l’effet d’extrême singularité du cas des Rives de l’Étang-de-Berre (dès lors que l’on
s’intéresse un tant soit peu au « local », n’arrive-t-on pas mécaniquement à du singulier ?).
Sur un plan plus général, le contexte est aussi celui des pratiques et des méthodes de
l’aménagement, dans les différentes scènes du paysage de ces quarante dernières années. On
pourrait ainsi s’interroger sur les différentes déclinaisons professionnelles et
organisationnelles du paradigme de l’expansion suivant que l’on est dans les champs des
études urbaines (OREAM, age nces d’urbanisme, bureaux d’études, collectivités locales et
territoriales) ou de l’opérationnel (SEM, OPAC, aménageurs privés), selon aussi les périodes
et les conjonctures. Ces autres espaces professionnels ont eu leurs propres innovations, leurs
propres cultures, leurs propres héritages. À partir de là un travail sinon comparatif du moins
de mise en parallèle permettrait de reconnaître les différentes modalités du renouvellement
des pratiques et des méthodes autour de l'aménagement.
En termes de méthode de recherche
Le recours aux outils offerts par l’ethnologie et la sociologie doit pouvoir dans les travaux
ultérieurs nous permettre de cerner plus finement les pratiques de l’aménagement. On pense
en particulier à la mise en place de dispositifs expérimentaux lors des entretiens avec les
professionnels : l’utilisation, comme support du travail pour la mémoire, par exemple
d’archives écrites parfois produites par l’interviewé lui- même, ou au-delà la conduite
d’entretiens « in situ » par des visites dans certains quartiers de la ville nouvelle que le
professionnel a contribué à concevoir ou à produire 606 . Par exemple le travail concret des
équipes à Cergy ou sur les Rives de l'Étang de Berre, appellerait bien d'autres récits que ceux
que nous avons recueillis. De tels dispositifs qui mettent en situation les agents, permettent
d’obtenir des effets de réel nécessaires à la visualisation des processus de production urbaine.
Certaines interviews nous ont permis, grâce au talent du professionnel narrateur, de « voir »
ces processus. L’entretien s’offrait alors comme l’occasion d’une mise en scène du quotidien,
l’occasion de projeter le film de l’activité en train de se dérouler, qui plus est parfois
l’occasion de bénéficier d’un commentaire a posteriori sur ce film. L’objet concret sert de
support et de prétexte à ces récits. Cette méthode permettrait de réintroduire l’objet produit –
la ville ou les outils qui l’ont permis - dans une recherche sur les pratiques qui l'ont fait
advenir.
606
Notamment M. Grosjean et J.-P. Thibaud (sous la dir.), L’espace urbain en méthodes, Marseille, Editions
Parenthèses, 2001
149
150
Chronologie : Les villes nouvelles et la créativité institutionnelle et législative des années
60-85
SOURCES :
• P. RENDU, “ CHRONOLOGIES ”, IN AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ET
DEVELOPPEMENT REGIONAL, GRENOBLE, IEP (1964-1970) ;
• L’EXPERIENCE FRANÇAISE DES VILLES NOUVELLES, JOURNEE D’ETUDES
SUR LES VILLES NOUVELLES DU 19 AVRIL 1969, FONDATION NATIONALE
DES SCIENCES POLITIQUES, PARIS, ARMAND COLIN, 1970
• P. BEGHIN, B. MAZIN ET F. PECHON, INSTITUTIONS ET FINANCEMENT
DES VILLES NOUVELLES, SECRETARIAT GENERAL DES VILLES
NOUVELLES, PARIS, LA DOCUMENTATION FRANÇAISE, 1981
• VINGT CINQ ANS DE VILLES NOUVELLES EN FRANCE, GIE VILLES
NOUVELLES, MELTM, PARIS, ECONOMICA, 1989
Dates
Institutions liées à
l’aménagement
Région parisienne
- Unification de la législa - Création
de
tion sur l’expropriation (décret du 9.09)
(ordon. 23.10). ZUP –
Rénovation urbaine –
Lotissements
Plan
d’urbanisme directeur –
Plan d’urbanisme de détail
– Espaces boisés (décrets
31.12)
1958
1959
Districts
urbains
(ordonnance 5.01)
- CGP : service chargé de
la planification urbaine
1960
CIAT auprès du 1
ministre (décret 19.11)
er
Règles d’élaboration des
PME (circulaire octobre)
1961
1962
Législation de
l’urbanisme
14.02 :
FNAFU
création
du - Coefficient d’utilisation
du sol, plan sommaire
d’urbanisme (décret 13.04)
- ZAD (loi du 26.07)
Secteurs sauvegardés (loi
du 4.08)
Concernant les
Villes nouvelles
(surtout Cergy et
Evry)
l’EPAD
- IAURP (décret 2.08)
- Adoption du PADOG
(décret du 6.08)
- District de la Région de
Paris (loi 2.08).
- Nomination de P.
Delouvrier,
délégué
général (10.08)
- Décrets du 3.11 :
fonctionnement du district,
attributions du délégué
- AFTRP (décret 14.04)
- Début de la politique
foncière en RP (ZAD)
151
1963
1964
- DATAR (décret 14.02)
création du FIAT
- CGP : CNAT (arrêté
14.02)
- Soretur (Rouen)
- GCPU (2.06)
- PME (note du CGP,
novembre)
1965
- Mission d’études pour
l’aménagement de la Basse
vallée de la Seine (modèle
pour les OREAM et
missions des VN)
- Serh (Le Havre)
1966
- 5.01 Pisani : ministre de
l’Équipement. Fusion des
deux ministères, Travaux
Publics et Construction.
- Groupe Interministériel
Février : Livre blanc,
document de base du futur
SDAU
- Nouveaux départements
de la région parisienne (loi
10.07)
- Juillet : présentation du
SDAU au chef de l’État
- Novembre, adoption en
conseil interministériel
- 22.06 : présentation du
SDAU (soumis au CA du
District et au CCES de la
RP. Avis, donné en mars et
avril 1966). Y figure l’idée
de villes nouvelles.
- 23.09 : mise en révision
du PADOG.
Décret
10.08 :
Réorganisation des services de
l’ État en R.P. Le délégué
du district est aussi préfet
de région.
er
foncier (décision du 1
min. 9.03).
- 1ère OREAM à Marseille.
- STCAU (note 5.11)
- Communautés urbaines
(loi 31.12)
1967
1968
1969
- SRE (décret 30.03)
LOF (loi du 30.12)
- GEP (circulaire intermin.
28.02)
- CGP : SRU (décret
30.03)
CETE
(lettre -circulaire Textes d’application de la
10.06) :
Aix,
Rouen, LOF : TLE, ZAC
Bordeaux.
Textes d’application de la
LOF : taxe de sur-densité,
COS, SDAU, ZAC
Septembre :
achat
terrains à Pontoise
de
Juillet : ZAD sur Pontoise
- 6.01 : P. Delouvrier
« Discours
des
ambassadeurs »
- Lettre du Premier
ministre
au
délégué
général du 4.04 sur les
Missions d’études et le
groupe
interministériel
pour les VN
- Le ministre des Finances
inscrit au budget un
chapitre «aide aux VN »
(ch. 65-01)
- Juillet : nomination du
directeur de la Mission de
Cergy
- Septembre : ibid. Evry
1.03 :
mission
Evry
installée sur place
- Circulaire du Premier
ministre sur les missions
des VN (24.04)
- 1.06 : mission Pontoise
installée sur p lace
- Mise en place des EPA
de Lille-Est, Evry et
Cergy-Pontoise
(décrets
des 12, 16 et 22.04)
- 19.04 : Journée sur
l’expérience
des
VN
(FNSP)
- juin : création de la
MAEB
152
- Plan d’aménagement
Rural (Décret 8.06). Textes d’application de la
LOF : POS
1970
1971
- Avril : création d’un
bureau des VN au
Ministère de l’Équipement
- CIAT du 26.05 : création
auprès du 1er ministre du
Groupe central des VN et
du Secrétariat du GCVN
- Loi Boscher sur les villes
nouvelles (10.07)
- Obligation pour les EPA
d’établir
un
« plan
financier »
EPA de Lille organise le
concours du VAL (métro
automatisé (inauguré en
1983)
Décret du 11.08 en CE
créant 6 agglomérations
nouvelles (et syndicats
communautaires d’aménagement) dont Cergy
- Décret du 9.03 créant 4
agglomérations nouvelles
(et syndicats) dont Evry
- Mars : EPAREB et
MIAFEB
Création
du
Plan
Construction et de la
Mission de la recherche
urbaine
1972
1973
1974
1975
1976
1977
21.03 Circulaire relative
aux grands ensembles et à
la
lutte
contre
la
ségrégation
Loi du 31.12 réforme de la
politique foncière (plafond
légal de densité, zone
d’intervention foncière)
1983
1984
de
l’Agora
Révision du SDAU
3.03 groupe interministériel Habitat et Vie
Sociale
1978
1979
1980
1981
1982
Ouverture
d’Evry
MIAFEB devient MIDAM
(au sein de la DDE)
Ouverture
du
centre
administratif et culturel de
Cergy
2.03 Loi relative aux droits
et libertés des communes,
départements et régions
7.01 Loi relative à la
répartition des compétences entre communes,
départements, régions et
Etat
- Loi du 13.07 modifiant le
statut des agglomérations
nouvelles (et la loi
Boscher de 1970). Prévoit
le retour au droit commun.
- Décembre : achèvement
officiel de la VN de LilleEst
La VN du Vaudreuil entre
dans le droit commun
153
Abréviations
AD 91 : Archives départementales de l’Essonne
AD 95 : Archives départementales du Val d’Oise
AFTRP : Agence foncière et technique de la Région parisienne (1962)
AGAM : Agence d’urbanisme de l’agglomération de Marseille
AN : Archives nationales
CA : Conseil d’administration
CCES : Comité consultatif économique et social de la Région parisienne
CDC : Caisse des dépôts et des consignations
CETE : Centre d’études technique de l’Equipement (1968)
CGP : Commissariat général au Plan -puis du Plan de modernisation et d’équipement- (1946)
CIAT : Comité interministériel pour l’aménagement du territoire (1960)
CNAT : Commission nationale d’aménagement du territoire (au CGP 1963)
COS : Coefficient d’occupation du sol (1967)
CSU : Centre de Sociologie urbaine
DATAR : Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (1963)
EPA : Etablissement public d’aménagement
EPACP : EPA de Cergy-Pontoise
EPAD : EPA de La Défense (1958)
EPAREB : EPA des Rives de l’Etang-de-Berre
EPASQY : EPA de Saint-Quentin -en-Yvelines
EPAVN : Établissement public d’aménagement de ville nouvelle
EPEVRY : EPA d’Évry
FIAT : Fonds d’intervention pour l’aménagement du territoire (1963)
FNAFU : Fonds national d’aménagement foncier (1962) (Anciennement FNAT, 1950)
GCPU : Groupe central de planification urbaine (1964)
GCVN : Groupe central des villes nouvelles
GEP : Groupe d’études et de programmation (1967)
GIE : Groupement d’intérêt économique 'Villes nouvelles de France' (1984)
IAURP : Institut d’aménagement et d’urbanisme de la Région parisienne (1960) devenu IAURIF
LOF : Loi d’orientation foncière (1967)
MAE : Mission d’études et d’aménagement
MAEB : Mission d’aménagement de l’étang de Berre
MIAFEB : Mission interministérielle d’aménagement de la région Fos-Étang de Berre (1973)
MIDAM : Mission interministérielle d’aménagement
MRU : Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme
OPAC : Office public d’aménagement et de construction
OREAM : Organisation d’études d’aires métropolitaines (1966)
PADOG : Plan d’aménagement et d’organisation générale de la Région parisienne (1960-1965)
PME : Plan de modernisation et d’équipement (CGP depuis 1964)
POS : Plan d’occupation des sols (1967, cf. LOF)
SAN : Syndicat d’agglomération nouvelle
SCA : Syndicat communautaire d’agglomération
SCET : Société centrale d’équipement du territoire
SCIC : Société centrale immobilière de la Caisse des dépôts
SDAU : Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (1967, cf. LOF)
SEM : Société d’économie mixte
SGGCVN : Secrétariat général du groupe central des villes nouvelles
SRE : Service régional de l’Equipement (1967)
SRU : Service régional et urbain (1967 au CGP)
STCAU : Service technique central d’aménagement et d’urbanisme (1966-69)
TLE : Taxe locale d’équipement (1967)
ZAC : Zone d'aménagement concerté (1967, cf. LOF)
ZAD : Zone d’aménagement différé (1962)
ZUP : Zone à urbaniser en priorité (1958)
154
Répartition des formations complémentaires par type de professionnels à l’entrée en VN (promotion interne non comprise)
Tableau de répartition des professionnels ayant une formation complémentaire en urbanisme-aménagement à l’entrée à l’EPEVRY (promotion interne non
comprise)
Formation
% pour la période 1965-1978
% pour la période 1965-2003
en urbanisme-aménagement*
Architectes
(hors
paysagistes)
Paysagistes
Ingénieurs
Administrateurs
Commerciaux
-économistes
-géographes**
-sociologues
-psychologue
Total SHS
Techniciens
Géomètres
administratifs
Divers
Total***
1
4% (/total de 24)
4%
(/total de 24)
1
2
2
8
1
1
25% (/total de 4)
13% (/total de 15)
11% (/total de 19)
62% (8-3/total de 8)
25% (/total de 4)
10% (/total de 21)
7% (/total de 28)
27% (/total de 30)
2
2
1
25% (/total de 8)
29% (/total de 7)
0% (1-1/total de )
22% (/total de 9)
25% (/total de 8)
33% (/total de 3)
16% (14/total de 87)
14% (/total de 131)
18
e
* IUUP, STG, Atelier aménagement régional de l’ENPC, 3 année urbanisme de l’ENTPE, etc.
**géographe effectuant un DES de géographie urbaine est classé comme ayant une formation en urbanisme -aménagement
*** total 19 – 1 (géographe devenant commercial en 81)
remarques :
aucun agent promu cadre n'a suivi une formation complémentaire en urbanisme.
la part des agents cadres ayant reçu une formation complémentaire en urbanisme-aménagement s'élève à 16 % pour la période initiale 1965-1978 (personnel
promus cadres toujours non compris). Soit 14 agents (18-4) / total des 84 agents entrés comme cadres entre 1965-1978. Les 4 agents ayant une formation
complémentaire en urbanisme pour la période post-78 (plus exactement 1985-2000) sont : 1 ingénieur, 2 commercial, 1 géomètre.
On peut distinguer donc deux périodes :
années 65 et 70 : 14 agents soit 15 % ( /total de 93 entrants entre 1965 et 1980) plus précisément 1965-78
années 80-90 : 4 agents soit 11 % (/ total de 38 entrants en 1981-2002)
155
Tableau de répartition des professionnels ayant une formation complémentaire à l’entrée à l’EPEVRY (promotion interne non comprise)
Formation
Formation
complémen complémentaire
en SHS
taire
Formation complémentaire
administrative et juridique
Formation
Autres formations
complémentaire complémentaires**
commerciale
Total formation
complémentaires (hors
urba -aménagement).
% pour la
période
1965-2003
en architecture
Architectes
(hors
paysagistes)
Paysagistes
Ingénieurs
Administrateurs
Commerciaux
-économistes
-géographes***
-sociologues
-psychologue
Total SHS
Techniciens
Géomètres
administratifs
Divers
Total
%
1 (ingénieur)
1
1 (psychologie)
4 (sociologie), 1
(économie)
1 (communication)
1
6
2
9
5%
(/total de 131)
Autres formations complémentaires
pour la période 1965-78 : total de 9 agents / total de 87 agents entrés comme cadres = 10%
soit :
-
années 65 et 70 : 8 agents soit 9 % ( /total de 93 entrants entre 1965 et 1980)
années 80-90 : 1 agents soit 3 % (/ total de 38 entrants en 1981-2003)
156
Tableau de répartition des professionnels à l’entrée à l’EPAVNCP ayant une formation complémentaire en urbanisme -aménagement
(promotion interne non comprise)
Architectes
(hors
paysagistes)
Paysagistes
Ingénieurs
Administrateurs
Commerciaux
-économistes
-géographes ***
-sociologues
-psychologue
Total SHS
Techniciens
Géomètres
administratifs
Divers
Total
Formation
en urbanisme-aménagement*
% pour la période 1965-1976
8
50% (/8-2 total de 12)
4
2
24%
(/total de 19-2 promotion interne)
18% (/total de 11)
% pour la période 1965-2003
42%
(/total de 19)
12% (/total de 32)
14% (/total de 14)
1
3
1
4
2
1
25%
25%
0%
27
(4-3/ total de 4)
(2/total de 8)
(1-1/total de 0)
33% (27-6 /total de 64)
40% (/total de 10)
25% (/total de 8
25%
26% (total de 105)
e
* IUUP, STG, Atelier aménagement régional de l’ENPC, 3 année urbanisme de l’ENTPE, etc.
** communication, ingénieur
***géographe effectuant un DES de géographie urbaine est classé comme ayant une formation en urbanis me-aménagement
remarques :
Urbanisme –aménagement
la part des agents cadres ayant reçu une formation complémentaire en urbanisme-aménagement s'élève à 24% si on inclut le personnel entré comme agents
d’exécution ou de maîtrise et promus cadres au cours de leur exercice à l’EP.
la part des agents cadres ayant reçu une formation complémentaire en urbanisme-aménagement s'élève à 33 % pour la période initiale 1965-1976 (personnel
promus cadres toujours non compris). Soit 21 agents (27-6) / total des 64 agents entrés comme cadres entre 1965-1976. Les 6 agents ayant une formation
complémentaire en urbanisme pour la période post-76 (plus exactement 1981-2003) sont : 3 SHS, 2 architectes et 1 géomètre.
On peut distinguer donc deux périodes :
années 65 et 70 : 21 agents soit 30% ( /total de 70 entrants entre 1965 et 1980)
années 80-90 : 6 agents soit 17% (/ total de 35 entrants en 1981-2003)
157
Tableau de répartition des professionnels ayant une formation complémentaire à l’entrée à l’EPAVNCP (promotion interne non comprise)
Formation
Formation
complémen complémentaire
en SHS
taire
Formation complémentaire
administrative et juridique
Formation
Autres formations
complémentaire complémentaires**
commerciale
Total formation
complémentaires (hors
urba-aménagement).
% pour la
période
1965-2003
3
16%
(/total de 19)
5
17%
(/total de 32)
14%
(/total de 14)
en architecture
Architectes
(hors
paysagistes)
Paysagistes
Ingénieurs
1 (socio-démog)
2
Administrateurs
3 (économie)
3
2 (sociologie)
Commerciaux
-économistes
-géographes***
-sociologues
-psychologue
Total SHS
Techniciens
Géomètres
administratifs
divers
Total
2 (ingénieur)
2
1
1
1
4
6
1
1
1
3
30%
(/total de 10)
4
1
1
16
15% (total de
105)
Autres formations complémentaires
pour l’ensemble de la période 1965-2003 : total de 16 agents / total de 105 agents entrés comme cadre = 15%
pour la période 1965-76 : total de 9 agents / total de 64 agents entrés comme cadres = 14%
soit :
-
années 65 et 70 : 9 agents soit 13% ( /total de 70 entrants entre 1965 et 1980)
années 80-90 : 7 agents soit 20% (/ total de 35 entrants en 1981-2003)
relative homogénéité sur toute la période avec léger plus au cours des décennies 80-90
158
Tableau de répartition des professionnels à l’entrée à l’EPAREB ayant une formation complémentaire en urbanisme-aménagement
(promotion interne non comprise)
Formation
en urbanisme-aménagement*
% pour la période 1965-1975
% pour la période 1969-2002
Architectes
(hors
paysagistes)
Paysagistes
Ingénieurs
Administrateurs
Commerciaux
5
45% (total de 11)
33% (total de 15)
1
5
4
1
50% (total de 2)
42% (/total de 12)
33% (/total de 12)
33% (total de 3)
50% (total de 2)
28% (/total de 18)
27% (/total de 15)
10% (total de 10)
-économistes
-géographes***
-sociologues
-psychologue
Total SHS
1
2
Techniciens
Géomètres
Administratifs
Divers
Total
1
3
20
11% (/total de 9)
67% (total de 3)
43% (total de 7)
20% (total de 15)
10% (total de 10)
36% (/total de 56)
23% (/total de 87)
Remarques :
la part des agents cadres ayant reçu une formation complémentaire en urbanisme-aménagement s'élève à 18% si on inclut le personnel entré comme agent
d’exécution ou de maîtrise et promu cadre au cours de leur exercice à l’EP (1 agent).
On peut distinguer donc deux périodes :
années 65 et 70 : 15 agents soit 24% ( /total de 63 cadres entrants entre 1969 et 1980)
années 80-90 : 5 agents soit 9% (/ total de 56 cadres entrants entre 1981-2003)
159
Tableau de répartition des professionnels ayant une formation complémentaire à l’entrée à l’EPAREB (promotion interne non comprise)
Formation
Formation
complémentaire
complémen
en SHS
taire
Formation complémentaire
administrative et juridique
Formation
Autres formations
complémentaire complémentaires**
commerciale
Total formation
complémentaires (hors
urba -aménagement).
% pour la
période
1965-2003
en architecture
Architectes
(hors
paysagistes)
Paysagistes
Ingénieurs
1 (ingénieur)
1
1 (géographe)
Administrateurs
1
2 (économie)
1 (sociologie)
1 (économie)
Commerciaux
-économistes
-géographes***
-sociologues
-psychologue
Total SHS
Techniciens
Géomètres
administratifs
divers
Total
11% (/total
de 18)
20% (/total
de 15)
30% (total de
10)
1 (financier)
1 (théologie)
1(sociologie)
1
2
1 (économie)
7
7% (total de
15)
3
12
14%
(/total de 87)
On peut distinguer donc deux périodes :
années 65 et 70 : 10 agents soit 16% ( /total de 63 cadres entrants entre 1969 et 1980)
plus précisément période 1969-76
années 80-90 : 2 agents soit 4% (/ total de 56 cadres entrants entre 1981-2003)
160
Éléments bibliographiques
(comprenant les références utilisées pour la confection de ce rapport)
Administration et politiques dans l’aménagement des « Trente
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journée d’études du 11 juin 2003 Centre Malher, université Paris I, Programme
d’histoire et d’évaluation des villes nouvelles (actes à paraître)
Gaillard M., Les conditions d’exercice de la maîtrise d’œuvre urbaine à Cergy Pontoise, EPA de la ville de Cergy-Pontoise, janvier 1986.
Hirsch B., Oublier Cergy… L’invention d’une ville nouvelle. Cergy-Pontoise. 19651975, Paris, Presses de l’École nationale des Ponts et chaussées, 2000 (2ème édition)
Korganow A., P. Mehan et C. Orillard, L’équipement socio-culturel en ville nouvelle.
Les déclinaisons de la formule innovante de l’intégration, Paris, Ecole d’architecture
de Paris-Malaquais, Laboratoire ACS, rapport intermédiaire, février 2004 (pour le
Programme interministériel d’histoire et d’évaluation des villes nouvelles)
Mottez M., Carnets de campagne Evry 1965-2007, Paris, L'Harmattan, 2003,
Merlin P., L’aménagement de la Région parisienne et les villes nouvelles, Paris, La
Documentation française, 1982
Peylet R., Rapport du groupe de travail sur la situation et les perspectives des EPA,
MELT, le 9 février 1995
Rautenberg M. et J.-S. Bordreuil (sous la dir.), L’apport des villes nouvelles à la
compréhension de la notion d’espace public, rapport intermédiaire, Lille,
CLERSI/UFRESI (pour le Programme interministériel d’histoire et d’évaluation des
villes nouvelles)
Rivet M., La fonction de programmation et le rôle du programmateur. La
programmation dans les villes nouvelles, dans une ville moyenne (Saumur) et à
Grenoble, SGGCVN, DAFU, mars 1978 ;
Méthodes
-
Baudelot C. et R. Establet, Avoir 30 ans en 1968 et en 1998, Paris, Seuil, 2000,
Claude V., « Le travail de la différence. Expériences comparatives dans le champ
municipal à Strasbourg (1900-1930) », Genèses, n°39, mars 2000,
Détienne M., Apollon, le couteau à la main , Paris, Gallimard, 1998
Elias N., Qu’est ce que la sociologie ?, La Tour d’Aigues, Editions de l’Aube, 1991,
(1970).
Grosjean M. et J.-P. Thibaud (sous la dir.), L’espace urbain en méthodes, Marseille,
Parenthèses, 2001
Laborie P., Les Français des années troubles, Paris, Desclée de Brouwer, 2001
Mannheim K., Le problème des générations, Paris, Nathan, 1990
Sirinelli J.-F., Les baby-boomers. Une génération, 1945-1969, Paris, Fayard, 2003.
Sohn A.-M., Age tendre et tête de bois. Histoire des jeunes des années 60, Paris,
Hachette, Littératures, 2001
Voldman D. (sous la dir.), « La bouche de la vérité ? La recherche historique et les
sources orales », Les cahiers de l’Institut d’Histoire du Temps Présent, n°21,
novembre 1992.
163
INTRODUCTION
•
•
•
Les questions de la recherche
Les lieux et les moments de l’expérience
Les informations pour reconstituer des parcours : une base de données, des
archives, des entretiens
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I - ÉVOLUTION GÉNÉRALE DES ORGANISATIONS. DES MISSIONS
AUX EPA (DE 1965 À LA FIN DES ANNÉES 1990)
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I – 1. Fragilité des débuts : les problèmes d'organisation : "Tout est à faire"
1.1.1. Les recrutements
• Les origines
• Les difficultés de recrutement
• Des réinsertions anticipées
1.1.2. Un chantier incessant : les organigrammes
• Cergy : "L’impossible organigramme"
o Une administration de mission telle que prônée par E. Pisani…
o … mais qui reste informelle ou implicite
• Evry : un déficit organisationnel
o Un fonctionnement de type "cabinet ministériel"…
o … présentant des carences durables
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I – 2. Les années 70 : expansion et crise
I. 2.1. La perception du retournement des années 70
I. 2.2. L’EPAREB : le renversement de perspective
I. 2.3. Des effectifs fluctuants qui sont source d'instabilité
I. 2.4. Quelques autres indices de la crise de "croissance" des EPA
I .2.5. La crise à Evry : un révélateur des conditions de travail
I .2.6. La réorganisation "économique" de l’EPAREB
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I – 3 Les nouvelles organisations des années 80 pour « affronter l’ouverture sur
l’extérieur »
I. 3.1. Le vieillissement relatif des structures et les projets de relance
I.3.2. À Evry
I.3.3. À Cergy
I.3.4. À l’EPAREB : un projet d’entreprise et un plan stratégique
I.3.5. La création du GIE ‘Villes nouvelles de France’
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I – 4. Le « sentiment d’insécurité » des années 90
I. 4.1. À Cergy : une refonte générale
I. 4.2. L’horizon d’un urbanisme d’études et de conseil
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II - UNE ADMINISTRATION DE MISSION LESTEE PAR LES CULTURES
PROFESSIONNELLE
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II - 1. Formes et déformations de la pluridisciplinarité
II.1.1. La pluridisciplinarité dans l’urbanisme d’études
II.1.2. La pluridisciplinarité comme outil de production
II.1.3. La pluridisciplinarité comme outil de management
II.1.4. La pluridisciplinarité comme polyvalence
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II – 2. Spéculations entre administrateurs, ingénieurs et architectes
II.2.1. L’évolution de la part prise par les architectes-urbanistes : signe des
mutations
II.2.2. Caractéristiques d’une culture professio nnelle apparemment dominante
• Le recours à des architectes d’agences
• Faiblesse de la rationalisation et de la planification du travail de l’atelier
• L’espace public : le dernier carré de maîtrise d’œuvre des architectes
et l’entrée en scène des paysagistes
II. 2.3. Le service technique et les ingénieurs
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II - 3. Sur les rapports de forces internes
II.3.1. Sur les difficultés à se dégager de l’architecture
II.3.2. La délicate gestion des arbitrages
II.3.3. L’évolution des relations entre services
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III - LA MAITRISE RAPPROCHEE DES CHOSES : LA “ MAITRISE
D’OUVRAGE ” COMME OCCASION D’UNE EXPERIENCE COLLECTIVE
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III – 1.Entre le faire et le faire-faire
III.1.1. Le vieux rêve missionnaire du maître-jacques
III.1.2. Le virage des années 1983-87 : la commercialisation, la remise
d’ouvrages, la formulation de la commande
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III – 2. La programmation : une activité, des métiers
III.2.1. La formule des groupes de travail
III.2.2. Le programmateur, « spécialiste du social »
III.2.3. L’étude de marché
III.2.4. Les résistances
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III – 3. Les plans financiers
III.3.1. L’outil d’une maîtrise d’ouvrage structurée difficile à
adapter au fonctionnement des EPA
III.3.2. Les résistances des services
III.3.3. Un outil de communication et d’action stratégique
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III – 4. Des directives d’aménagement au « projet urbain »
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III.- 5. Les années 90 de l’aménagement : les effets miroir de l’expérience
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CONCLUSIONS
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•
•
•
Sortir des villes nouvelles
Retours d’expériences
Comment continuer ?
Chronologie : Les villes nouvelles et la créativité institutionnelle et législative des
années 60-85
Abréviations
Tableaux de répartition des formations (pour les trois villes nouvelles)
Éléments bibliographiques
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Volume II : Annexes
Résultats de l’exploitation par grands thèmes de la base de données (travail effectué par JeanCharles Fredenucci)
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