Compte rendu de médiation par Claire Denis - COREM

Transcription

Compte rendu de médiation par Claire Denis - COREM
Collectif de Recherche sur les
pratiques de Médiation
Journal n° 16
« A mon avis, la principale illusion consiste à croire que la vérité est le résultat
ultime d’un processus de la pensée.
La vérité, au contraire, est toujours le début de la pensée. L’acte de penser commence après qu’une expérience de vérité a fait mouche.»
Hanna ARENDT
Après le bulletin de mai réservé à des écrits privés, voici le numéro 16 de notre journal.
Il y avait donc des textes en attente, les voici !
Bonnes vacances à tous...
Paul JAN
SOMMAIRE
Dossier de presse
p2
Un livre proposé à notre attention, Claire Denis
Brèves, Claire Denis
p3
Interlude, Jean-Luc Poitoux
p4
Dialogue sur les objectifs de la médiation, Hélène Lesser et Claire Bonnelle
p5
A propos du dialogue, Claudine Lermitte
p 10
Désir de neutre, Claire Denis
p 12
A propos de Désir de neutre, Maîté Lassime
p 15
La médiation familiale et les enjeux des familles séparées d’aujourd’hui, Isabelle Molard
p 17
Qui sont les médiateurs ? Céline De Clercq et Claire Denis
p 20
Compte-rendu de médiation, Claire Denis
p 27
Journal numéro 16 – Juillet 2014 – COREM 7 rue Saint Macaire 33800 BORDEAUX – [email protected]
Les écrits publiés dans ce journal n'engagent que leurs auteurs
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DOSSIER DE PRESSE
www.entrevisions.fr
…Cette constante brièveté est peut-être aussi une forme de politesse. Car elle seule permet à l’auteur de décrire notre
monde avec une décapante lucidité sans qu’aucune véhémence – pas même celle du désespoir – ne lui fasse hausser le
ton. Je m’étais interrogé sur le choix paradoxal qu’un philosophe avait fait de s’exprimer par maximes. Il me semble en deviner maintenant la raison. C’est que la courtoisie n’a pas d’autre moyen pour dire en trois mots leurs quatre vérités aux
hommes d’aujourd’hui.
Nicolas Grimaldi
Fiche technique
Style : Maximes
Public : Adulte, scolaire et étudiant
Auteur : Philippe Merlier
Préface : Nicolas Grimaldi
Mise en page : Juan felipe Forero Bocanegra
120 p - 15 € TTC - Dépôt légal avril 2014
Éditions Solilang — Collection Salves d’Espoir
ISBN : 978-2-84932-073-0
Philippe MERLIER, né en 1969, docteur en philosophie, est professeur de philosophie au lycée Suzanne-Valadon à Limoges. Il est aussi l’animateur d’un atelier :
La Forge des maximes.
Faute de frappe, Éd. L’incertain, 1989 (épuisé)
L’Oublieux (roman), Éd. L’Harmattan, coll. Écritures, 2002
Patočka, le soin de l’âme et l’Europe, Éd. L’Harmattan, coll.
L’Ouverture philosophique, 2009
Autour de Jan Patočka, Éd. L’Harmattan, coll. L’Ouverture philosophique, 2010
Philosophie et éthique en travail social, Éd. Presses de l’École des Hautes Études en Santé Publique, Coll. Politiques et in terventions sociales, 2013
Un auteur confirmé...
... Editions Solilang, 28, rue Camille-Jullian 87000 LIMOGES [email protected] / Tel. : 06 16 26 29 26
27. Si les hommes s’étonnaient chaque matin d’être encore vivants, ils formeraient une confrérie philanthrope. Ce monde
rêvé dans une autre vie nous paraîtrait bien étrange.
28. Un faux départ n’est jamais fondé, un vrai commencement se fonde toujours de lui-même.
29. Celui qui croit vivre en connaissance de cause est un tyran en puissance qui ne doute de rien.
30. Le vrai généreux est indifférent au regard d’autrui, à la dette, l’obligation, la reconnaissance, l’orgueil et la gloire. Sa
force est de savoir recevoir.
85. Les jeux de grattage sont la gale du pauvre : le miséreux ludopathe prend plaisir à se ruiner, espérant la fortune qui le
ferait rougir de sa naissance.
86. En art comme dans les sentiments, promettre peu mais payer bien plaît davantage que promettre beaucoup et tenir
peu.
239. Qui ne vit pour personne n’est presque plus personne.
240. Le respect est l’attente d’une amitié – mais cette attente seulement.
241. On estime autrui pour une qualité, on le respecte pour sa dignité, on l’aime pour lui.
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Vérité & Opinion
270. Tant de livres aujourd’hui semblent avoir été produits par des dictaphones sans correcteur de langue… Parmi les alliages les plus lourds sur les présentoirs, se trouvent le on qui étale son sale petit secret, le politicien qui se prend pour un
biographe, ou encore quelque journaille déçue de n’avoir pu être historienne et qui commet son grand oeuvre. C’est
d’ailleurs cette dernière qui éponge sa morgue par son droit de vie ou de mort sur les livres.
329. Apprendre par le coeur est plus fertile qu’apprendre par coeur.
330. Renoncer à apprendre d’autrui pour ne rien lui devoir, c’est se priver de soi-même par une fierté misérable.
331. Tout un chacun doit apprendre qu’il peut apprendre de chacun Nature & Loi
597. Qu’est-ce qu’un signe ? Ce que l’on échange dans la société du credo à la consommation.
598. Le pire produit de la société de consommation, c’est l’intolérance au manque.
599. L’utile est l’idole que l’actuel adule.
Postface
Comment écrire ses propres maximes « Entrevision » : ce que l’âme a soudain aperçu sans avoir vu comment 1.
Cet ouvrage est conçu comme un recueil d’apophtegmes – plutôt que d’aphorismes ou de maximes. Ce sont des proféra tions (phthègmai), à distance ou à l’écart, qui espèrent porter au loin et s’offrent à la réfutation. Toutes relèvent d’une des
trois dyades conceptuelles fondamentales de la philosophie grecque – l’Être et le Paraître, la Vérité et l’Opinion, la Nature
et la Loi. Cette prolifération de proférations espère partager avec le lecteur le plaisir inquiet de l’errance au milieu de lambeaux de vérité. Parce que les formules gnomiques ont pour vocation un effet de vérité universelle, « on les croit fondées
sur le consentement unanime et d’une parfaite justesse 2 ».
1 PLOTIN, Ennéade VI, 7, 36.
2 ARISTOTE, Rhétorique, II, 21, 1395a.
Ateliers créatifs : La Forge des maximes
Philippe Merlier propose d’animer des ateliers à destination de tous publics, afin de faire comprendre la façon de rédiger
des maximes.
À partir d’articles de magazine, de faits-divers tirés des journaux de la presse quotidienne régionale, de dictionnaire des citations ou de jeux, il explique la façon d’entraîner son esprit à méditer et à frapper une formule qui va nous accompagner
tout le reste de notre vie.
Acteur chevronné de théâtre d’improvisation, il va illustrer ses propos par des maximes de toutes origines : Chamfort, Vauvenargues et La Rochefoucauld bien sûr, mais aussi de Héraclite ou Lichtenberg
Des “travaux pratiques” viennent illustrer ses explications.
Animation d’ateliers créatifs
La Forge des maximes
www.entrevisions.fr n’hésitez pas à le contacter à :[email protected]
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Brèves
de Claire Denis
L’arbre à palabres et à récits : De l’Afrique au Brésil en passant par la Bretagne
En croisant leurs récits de vie sous l’Arbre à palabres qui, à l’origine, puise ses profondes racines culturelles dans les
terres africaines, Fatimata et Christian montrent que cet Arbre interculturel, en donnant la voix aux « citoyens invisibles »,
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peut développer du lien social dans les quartiers et différentes structures associatives ou institutionnelles. Afin de faciliter
une écoute réciproque, les participants de l’Arbre à palabres sont disposés en
« cercle », appelé aussi « roda » au Brésil. Ils expriment leurs récits de vie oralement, puis par écrit et peuvent ainsi mieux
se connaître afin de vivre et agir ensemble pour faire société, tout en mutualisant leurs savoirs et compétences.
http://www.asihvif.com/1/upload/arbrepalabresrecits.pdf
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La Renaissance des communs. Pour une société de coopération et de partage
De nombreux domaines de notre patrimoine commun sont actuellement en état de siège : l’eau, la terre, les forêts, les pê cheries, les organismes vivants, mais aussi les œuvres créatives, l’information, les espaces publics, les cultures
indigènes… Pour proposer une réponse aux multiples crises, économiques, sociales et environnementales, que connaît
notre société actuelle, David Bollier invite à revenir sur cette notion de « communs », un ensemble de pratiques sociales
collectives que la modernité industrielle a fait progressivement disparaître. http://www.reporterre.net/spip.php?article5610
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COMMUN : Essai sur la révolution au XXIe siècle
Partout dans le monde, des mouvements contestent l’appropriation par une petite oligarchie des ressources naturelles, des
espaces et des services publics, des connaissances et des réseaux de communication.
Ces luttes élèvent toutes une même exigence, reposent toutes sur un même principe : le commun. Pierre Dardot et Christian Laval montrent pourquoi ce principe s’impose aujourd’hui comme le terme central de l’alternative politique pour le XXIe
siècle : il noue la lutte anticapitaliste et l’écologie politique par la revendication des « communs » contre les nouvelles
formes d’appropriation privée et étatique… http://lectures.revues.org/14410
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Interlude proposé par Jean-Luc Poitoux
"Objectiver sa subjectivité - Un cas d'école, le sommeil ?"
Son désir de dormir est si fort qu'il observe trop nerveusement la survenue de la somnolence, même s'il peut la sentir im minente : cette attention clinique empêche celle-ci de venir quand elle était presque là, et tout est à recommencer.
C'est qu'on ne peut pas faire tout en même temps, n'est-ce pas, c'est toujours la même chose, on ne peut pas s'endormir
en surveillant le sommeil.
Texte extrait du livre
"RAVEL" de Jean Echenoz
éditions Loupe
éditions de Minuit 2007 page 130.
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TEXTE 44 : Echanges entre Claire Bonnelle et Hélène Lesser
« Dialogue autour des objectifs de la médiation familiale »
Vous trouverez en page 9 la méthodologie que nous avons suivie.
Le Conseil National de la Médiation Familiale propose six objectifs dans sa définition de la médiation familiale. Parmi les
mots employés pour les qualifier, certains font référence à des résultats à atteindre : « restaurer la communication » , « re construire les liens », « garantir le maintien du lien », d'autres au contraire, ne font allusion qu'à des moyens : « faciliter
l'exercice des responsabilités parentales », « donner les moyens aux personnes de chercher par elles-mêmes dans le res pect de leurs droits et obligations respectifs des issues à leurs situations conflictuelles ou non, relevant ou non du champ
judiciaire ».
CB : Cette dernière phrase, si cette définition fait référence, empêche à elle seule que soit assigné à la médiation un quel conque objectif de résultat. Elle postule que la médiation est d'abord une offre de moyens, que notre travail est avant tout
de donner la possibilité aux personnes de chercher par elles-mêmes une solution pour elles.
Pourtant, dans les documents institutionnels, on ne retrouve bien souvent que deux objectifs : « restaurer la communica tion », et « préserver les liens entre les membres de la famille ».
HL : Cette façon de se questionner sur les objectifs me semble très intéressante et appropriée à nos travaux dans le COREM. En effet, la médiation restreint son champ d’intervention ainsi que son sens, si elle se pose en termes de : « restau ration ou de préservation des liens ». Au-delà, elle peut et devrait permettre aux personnes de s’interroger sur la nature de
leurs liens (passés, présents et futurs), la valeur qu’ils leur ont accordée et qu’ils leur accordent encore, ce qu’ils pourraient
éventuellement encore en attendre, et surtout elle devrait les soutenir à dégager du sens, pour l’ici et maintenant ainsi que
de possibles perspectives.
Ceci pour souligner, comme tu le fais, Claire, que l’espace de médiation peut aussi servir à prendre une décision de sépa ration et à en imaginer les conséquences matérielles, financières, relationnelles et affectives…..
Et là, en termes de méthodologie, nous devrions être capables de faire avec les personnes la part des choses : ce qu’elles
disent venir faire ou chercher, ce qu’elles veulent vraiment dire, et au-delà parfois peut-être tenter de les faire imaginer
autre chose : par exemple, une séparation au lieu d’une réconciliation ou l’inverse….
En somme, tendre (en termes d’intention) à les « amener » un peu plus loin que ce qu’elles ont annoncé ou répété au long
des séances.
Je parle souvent« d’effets-bascule » ou de changements de registres.
CB : En effet, si ces objectifs sont pertinents dans la majorité des situations que je rencontre, j'ai le sentiment qu'ils
peuvent restreindre le champ de la médiation familiale, qu’ils sont parfois enfermants et s'opposent à une visée libératrice
que devrait induire la médiation.
HL : Qu'entends-tu par « visée libératrice » ?
CB : Il s’agit pour moi de lutter contre le « prêt à penser », les représentations et les croyances et de s’autoriser à changer
d’avis et de points de vue.
Je suis persuadée que, parfois, des liens familiaux peuvent rester aliénants. Certaines personnes s'emparent de la médiation (et pour moi, c’est positif justement qu’elles s’en emparent) pour réfléchir, échanger et, chemin faisant, choisissent la
rupture des relations. Souvent, dans les médiations sollicitées par des grands parents, les parents (génération suivante)
décident de ne pas reprendre une relation qu'ils considèrent comme toxique pour eux et leurs enfants. Ils nous disent avoir
besoin d'une rupture pour se préserver de relations étouffantes. Je respecte leurs demandes et je ne les pousse pas à revoir leurs parents.
Doit-on considérer comme un échec une médiation qui se termine par le maintien d'une rupture ou par un constat partagé
de désaccord ?
HL : Je rebondis sur cette notion, ou plus exactement cette représentation de l’échec. Et est- ce d’ailleurs un échec ? Je di rais, après quelques séances, qu’il est possible (mais pas toujours certain) que les personnes puissent enfin prendre leurs
responsabilités, en ce temps-là de la médiation - avant était-ce trop tôt ? Et pourtant, x mois plus tard, leurs conditions de
vie et leurs états d’esprit peuvent avoir (sensiblement) évolué : les décisions prises auparavant sont remises en question.
Ce qui implique pour le médiateur modestie et humilité sur le processus qu’il a mis en œuvre, ainsi que sur les « sorties /
accords » de médiation. Accepter que tout change est davantage une vision réaliste que la perception d’un échec.
Je crois, comme tu le dis, que les personnes ne savent pas vraiment ou exactement ce qu’elles cherchent. Et le médiateur
n’en sait pas grand-chose non plus au gré des fluctuations et des bouleversements que les personnes traversent. De sur -
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croît, lui-même n’est pas (toujours) au clair sur ce qui se joue là, sur ce qu’il tente de débroussailler, sur ce que les per sonnes semblent ou non entendre, comprendre ou intégrer.
Que cherche le médiateur ? Le sait-il ? L’indéterminé déstabilise et fait peur… et pourtant il faut parfois en passer par là et
par l’acceptation « d’un certain flou ».
Considérons aussi que pour lui se posent inévitablement la question du transfert ainsi que des moyens pour y faire face
(conversations avec ses pairs, analyses des pratiques, supervision et ou un travail sur soi).
CB : Effectivement, une des difficultés de la posture réside dans l’interrogation : Qui veut quoi et voulons-nous tous la
même chose ? Ces situations nous interrogent sur les objectifs de la médiation, sur nos objectifs.
Ma pratique de médiateur m'amène à penser que les personnes ne savent pas non plus exactement ce qu'elles cherchent
en acceptant de rencontrer l'autre. Elles voudraient que quelque chose change. Et pour certaines, arrêter de souffrir.
HL : La question que tu poses, Claire : « Qui veut quoi et voulons-nous tous la même chose ? » me ferait dire qu’elle
contient sa réponse, à savoir : le « flou » dont nous parlions n’est pas lié aux compétences, mais davantage à une certaine
posture du côté du médiateur de laisser advenir ce que lui-même ne pouvait pas a priori savoir ou présupposer, et, du côté
des personnes, ce qu’elles n’avaient pas toujours en conscience ou clairement perçu.
CB : Je leur pose souvent la question : « Qu'attendez-vous de la médiation ? », mais la réponse m’importe peu.
HL : Pourquoi alors continuer à la poser ?
CB : A ce stade, elles m’informent sur leurs désirs, sur l’intensité et l’objet de celui-ci. Cette question les rend désirantes et
stimule peut-être ce que j’appelle le « moteur » de la médiation. Mais l’objet peut changer au cours du processus. Le res sort des personnes, ce qui les pousse et les motive en profondeur ne nous est pas connu. Il est souvent flou, imprécis,
plein d'illusions. L'un vient pour négocier le montant d'une pension, l'autre pour parler de leur enfant. Ils n'ont pas les
mêmes demandes, et pourtant je peux les accompagner chacun.
Il ne me vient pas à l'idée de chercher à définir absolument ce qu’ils veulent. Lorsque, par exemple, Monsieur me dit que
son ex-femme vient pour faire échouer la médiation, je lui réponds qu'elle est présente ici et, que pour l’instant, cela seul
compte pour que le processus de médiation se mette en route.
HL : Je te suis bien sur le fait que nous pouvons avoir une écoute à plusieurs niveaux, c’est-à-dire entendre ce qu’elles
disent sans toujours y croire absolument. Et que nous y croyions ou non n’a aucune espèce d’important. Nous savons aus si que nous aurons à y revenir.
Mais ce qui me gêne dans tes propos c’est qu’après leur avoir posé la question de leurs attentes, tu dis être informée « sur
leurs désirs, sur l’intensité et l’objet de celui-ci et que cela les rend désirantes… »
Je ne pense pas qu’au tout premier temps des échanges l’on puisse percevoir leurs désirs. Je décèle davantage, à ce
stade, des besoins, des intentions, des envies, des motivations. Le désir, lui, est d’un autre ordre. La plupart du temps, il
n’est pas premier mais s’élabore au cours des séances et dans les « inter séances », il se clarifie et permet de travailler en
profondeur. Et là, nous touchons au ressort dont tu parles.
CB : De toute façon, je ne sais pas grand-chose de leurs motivations à venir aux rendez-vous. Si elles sont prêtes à la ren contre, si elles ont une attente, cela me suffit. Je travaille avec ce qu'elles choisissent de me dire, c'est déjà beaucoup.
HL : Effectivement, c’est un point de départ. Il faut bien commencer par une première étape, aussi infime ou irréaliste
puisse-t-elle parfois nous paraître. A nous de conduire le questionnement pour tenter de leur faire dire et se dire ce qu’elles
veulent vraiment dire ou se dire. C’est notre tâche de tenter de faire tomber les masques, de débusquer ce qui peine à
émerger. C’est bien comme cela que le travail d’élaboration s’engage au fil des séances…. C’est cela qui permet de faire
émerger ou d’éclaircir peu à peu…. et parfois pas toujours totalement… le désir des personnes.
CB : Nous n’avons pas besoin d’être absolument sûrs de tout saisir, mais plutôt de se mettre dans une certaine intention,
d’être dans une certaine écoute, d’être présents à ce qui advient.
HL : Oui, ce qui advient aussi lorsqu’apparaissent leurs différences et leurs décalages, qui sont la matière sur laquelle
nous allons nous appuyer. Nous pouvons les accompagner à leur propre niveau de demande, d’expression ou encore de
compréhension ou d’incompréhension (ici et maintenant) de leur situation. Et ceci, pour chacun d’entre eux avec le niveau
de langage qui peut leur correspondre, tout en soutenant leur dialogue et la communication entre nous tous.
Ce serait ça, ce dont tu parlais au téléphone : lutter contre la « transparence » sans chercher de véracité ou de cohérence
a priori ?
CB : Oui, d’une certaine façon. Dans notre société, le terme de transparence est souvent utilisé pour prouver qu’une per sonne, qu’une entreprise dit tout, qu’elle ne cache rien.
On est très loin de ce que l’on cherche en médiation : la transparence n’est pas requise, elle ne nous apporte rien, au
contraire, on ne cherche pas à voir « au-dedans » des personnes.
Ce choix, toujours en mouvement, de dire ou de ne pas dire, fait partie du jeu.
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HL : Oui, et non pour moi. Car, si notre intention est a priori de laisser un certain « flou » pour générer du vide et pas trop
d’interprétations, comment pouvons-nous continuer à avancer si nous n’avons pas saisi un peu quelque chose, ou un peu
mieux compris ce qui se joue au fil des séances ?
CB : C’est accepter l’aléatoire, l’indéterminé de la compréhension réciproque. Il est important d’être conscient et convenir
que le médiateur et les personnes ne sont pas automatiquement dans le même registre, ni à égalité, ni au même niveau de
compréhension, de conscience et d’élaboration. Existent des décalages plus ou moins avoués, plus ou moins connus… Et
alors, est-ce grave ? Pour autant….. nous le savons implicitement et le constatons a posteriori ... ça peut marcher !
HL : Avancer à l’aveugle est une vraie question. De quoi est faite cette posture ? Et comment faire dans la pratique ? Nos
compétences nous portent-elles vraiment à savoir laisser de la place au vide, du vide pour eux, car la médiation est la
leur ? Alors qu’il est bien plus confortable de se laisser séduire par les procédés « prêts à penser » destinés à « gérer les
conflits » en ayant tout compris, tout clarifier avec des accords en conformité avec les normes sociales et politiques.
Je crois que nous sommes là au cœur de la déconstruction que nous souhaitons au COREM.
CB : Si nous revenons aux objectifs et souhaitons dresser une évaluation, mettre en perspective les résultats, c'est-à-dire
les effets par rapport à un objectif initial, celui-ci devrait être préalablement bien défini, et qu'il soit stable dans le temps. Or,
je m'efforce d’entendre ce qui est dit dans l'instant, sans y chercher une logique ni une rationalité. Il n’est pas nécessaire,
ni même souhaitable de rappeler aux personnes leurs objectifs initiaux.
HL : Oui, je te rejoins, mais partiellement, car je me dis que dans certains cas et à un certain stade d’avancement de la
médiation et selon le degré d’élaboration des personnes, il est parfois intéressant de parler avec elles des écarts en termes
d’évolution et de changements des attitudes et des demandes, ainsi que d’expliquer ce que nous y avons entrevu.
C’est mettre en lumière la trace d’un parcours et la prise de conscience de ce qu’elles ont franchi - tout au moins de ce que
nous en avons perçu et compris - et c’est ça que nous partageons avec elles.
Le médiateur ne peut pas le faire dans tous les cas. Il doit pouvoir adapter sa conduite du processus et sa réflexion sur ledit processus, car toutes les personnes ne sont pas accessibles au même niveau de conscience, de lucidité, donc de res ponsabilités.
CB : Oui, mais ce n’est pas grave, car les demandes émergent et s'affinent lentement, souvent de façon chaotique. La di vergence des objectifs dans une même médiation est fréquente et participe au changement. L'incertitude sur les buts à at teindre peut être source de richesse, de complexité, de modifications internes personnelles et collectives sur les représen tations des unes et des autres.
HL : C’est juste et cela me semble incontournable. Et, pourtant, je trouve dans l’exercice de notre métier que c’est quand
même difficile d’être autant modeste sur la durée et d’avoir à accepter l’impermanence, les fluctuations et la dynamique qui
s’en dégagent. Ce n’est pas tellement évident….
et pourtant, c’est bien ça la posture.
CB : Et c’est aussi ce qui nous fait peur !
HL : Eh oui ! Nous pouvons nous sentir « paumés ». Parfois, ça avance et nous ne saisissons pas pourquoi. Savons-nous
suffisamment observer, prendre le temps de « presque rien », respecter des silences, un « certain vide », sans trop intervenir et sans sécurité… et surtout sans trop vouloir faire absolument appel à des techniques ou des outils. Quand j’entends
le mot « outils », il m’arrive d’être agacée.
CB : Le fait que plusieurs personnes se rencontrent avec différents objectifs à un moment donné n'empêche pas le processus. La page qui s'écrit n'est pas attendue comme telle par les uns, ni par les autres. Les financeurs et les prescripteurs
peuvent aussi avoir des objectifs différents sans que ces divergences bloquent le processus. Même si le médiateur se retrouve sur le fil du rasoir.
Le simple fait que l'on puisse travailler un objectif unique témoigne de la particularité de notre pratique qui se différencie
d’autres activités reposant, elles, sur des objectifs clairs, identifiables et communs à tous.
HL : Pourtant, la responsabilité éthique du médiateur l'oblige, il me semble, à être clair quant à la finalité de son interven tion auprès des personnes. Et nous nous retrouvons là devant une sérieuse ambigüité : ne pas avoir d’objectifs pour ou à
la place des personnes, alors qu’elles consultent pour trouver des solutions.
Nous pouvons toujours proférer que la médiation n’est pas de la gestion de conflits et que les résultats émergent de sur croît, mais les personnes, elles, vivent de fortes tensions qu’il faut détendre. Nous pouvons difficilement leur dire tout de go
que nous ne savons pas où nous allons !1 Alors ?
CB : Pourquoi pas ? C'est notre stratégie de ne pas le dire. Je leur explique très vite que si mon travail est de les faire
avancer, il ne m'appartient pas de leur donner la direction à suivre, c'est à eux de la définir, et, ensemble, nous prendrons
le temps qu'il faudra pour cela. Ils comprennent très bien que je n’ai aucun intérêt à les emmener quelque part.
1 C’est bien le même problème que rencontre l’ensemble de la profession quand elle veut promouvoir la médiation.
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HL : Là, tu dis que ton objectif est de ne pas en avoir et c’est ce que tu leur dis. Je trouve cela bizarre de les faire entrer
dans ta stratégie. Et surtout, s’ils traversent leur conflit, comment peuvent-ils entendre ton discours ?
En revanche, nous savons poser des règles de fonctionnement qui mettent les personnes au même niveau de jeu. Elles
viennent dans un espace où chacun peut trouver sa place et s’exprimer en toute liberté et confiance. C’est cela que la mé diation offre a priori. Et pourtant, le médiateur s’accorde, lui, de jouer un jeu différent en termes de stratégie, car il a la res ponsabilité du processus qu’il conduit. Et je ne pense pas que tout doit être dévoilé ; on ne peut pas dans tous les cas viser
la transparence.
CB : Je tente d'introduire du changement, et c’est l’idée de « visée libératrice » qui me guide. Mon ambition est de favoriser
la pensée. Il s'agit de nous dégager, eux et moi, le plus possible des normes sociales, d’introduire du jeu dans nos condi tionnements. Nous interroger sans cesse.
HL : Tu vois, au lieu de l’idée de vouloir, je préfère celle d’intention, l’intention d’être là, de tenter de se comprendre et de
comprendre l’autre. Donc pas d’objectifs a priori, mais l’intention, comme fondement de la posture, est première. Pas non
plus de volonté a priori de mesurer des résultats, mais avoir la conviction que cette intentionnalité est juste … puis obser ver….
C’est une façon d’être disponible à l’autre, de se mettre en situation d’écoute, qui a un effet d’abord sur nous et peut-être
aussi, dans un temps décalé, sur ceux que nous écoutons.
Et si nous partions de deux postulats ?
1 - Notre posture d’intentionnalité engendre des effets sur les autres et sur le dialogue et peut-être avec des prolonge ments dans la vie, qui sait ?
2- L’existence a priori d’une asymétrie (entre les personnes elles-mêmes et entre elles et nous, médiateur) et d’un déca lage dans la capacité à écouter les autres : pour nous, c’est notre métier, nous avons donc un peu d’avance, si l’on peut
dire, sur les personnes. Notre aptitude à l’écoute et à être là présent est asymétrique, mais peut avoir un effet bénéfique
sur l’ensemble.
CB : Tu parles, un peu plus haut, de se comprendre. Voudrais-tu dire que le médiateur doit se connaître ? Je serais alors
d'accord avec toi pour dire que le médiateur ne devrait pas refuser ou différer « sa mise au travail » pour se connaître
(comme en psychanalyse). Attention pourtant à l’expression : « se mettre au travail » car chacun y met des choses différentes….. et ce flou parfois nous arrange bien ! Ce travail est peu abordé entre médiateurs et au COREM également. On
ne sait pas grand-chose sur les expériences des uns et des autres dans ce domaine.
Ce qui me paraît important est ne pas se satisfaire de ce qui a été fait, avec le risque de le considérer comme acquis, et
surtout de ne pas être dupe sur sa capacité à être médiateur.
HL : Ce que tu dis là rejoint ton idée de « visée libératrice » : nous devrions être au clair (ou en chemin pour l’être) avant
de nous engager dans la fonction de médiation et ne pas nous illusionner sur le fait que, grâce à la médiation, les per sonnes vont sortir de leurs contradictions.
Il entre dans notre fonction de les éclairer sur leurs modes de fonctionnement (à deux, ou plus) et sur leurs interrelations,
en les ouvrant sur une prise de conscience personnelle modifiant la façon dont elles perçoivent les autres, et donc leur re lation à eux.
Pour ce faire, au fil des séances nous émettons en nous-mêmes des hypothèses de travail. Tout en sachant que nous ne
sommes pas en thérapie, nous osons parfois des interprétations, et, si nous le faisons, il serait éthique d’aller les vérifier
avec les personnes.
Sur ces chemins parfois la situation peut devenir périlleuse :
- risquons-nous d’aller trop loin en abordant des zones-limite sur le plan psychique ?
- savons-nous à temps orienter les personnes pour que leur travail personnel se fasse ailleurs.
Si elles ont engagé un travail thérapeutique avant ou pendant la médiation, il peut être important d’aborder avec elles les li mites des deux champs, leurs interactions éventuelles et de les faire réfléchir à l’apport de la médiation dans leur chemine ment.
Si la médiation ouvre sur une thérapie possible, peut peut-être alors s’opérer une remise à plat des enjeux et des perspectives, sorte de déconstruction. C’est-à-dire que dans certaines circonstances le médiateur ne peut plus poursuivre en seul
tiers.
CB : Doit-on s’en tenir à ce que les personnes demandent ? Que faire de ce qu'elles s’interdisent d’aborder ?
HL : Elles sont a priori les « sachants », mais il est nécessaire, je crois, de les « aider » un peu. Il m’est arrivé de « sortir de
la médiation » pour rencontrer ou échanger au dehors avec d’autres experts ou professionnels interagissant sur l’environ Journal numéro 16 – Juillet 2014 – COREM 7 rue Saint Macaire 33800 BORDEAUX – [email protected]
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nement des personnes - et en en informant les personnes. J’ai considéré que si je ne le faisais pas ces tiers extérieurs ris quaient de rester ou de devenir des « fantômes » pesant sur la médiation.
CB : Tu me disais, Hélène, t’être autorisée, à contacter le thérapeute d'un enfant dont les parents cheminaient avec toi en
médiation. Je ne me serais pas sentie autorisée à le faire.
HL : J’ai la conviction que, pour engager un processus d’évolution, nous devons considérer les personnes dans leur totali té, il y aurait un risque de les « saucissonner » : c’est ce qui peut malheureusement se produire lorsque le médiateur
ignore ou persiste à négliger les autres tiers influents. Je pense, en effet, que nous pouvons ouvrir sur ceux avec lesquels il
se passe des choses en dehors de l’espace de médiation.
Et j’ai constaté que dans ces cas-là - en informant les personnes ou avec leur accord - elles avaient acquis davantage de
confiance et de reconnaissance envers moi ; elles avaient en effet le sentiment de n’être pas enfermées dans ce seul
cadre-là et sous mon seul pouvoir. Et d’autre part, elles ont pu se sentir rassurées que les professionnels échangent sur
leur situation (en confidentialité, cependant - ce qui n’est pas évident…. cet aspect déontologique est à travailler).
Et de surcroît, cette ouverture (je n’aime pas le mot transparence) peut les empêcher de « jouer » sur plusieurs tableaux et
parfois de manipuler (consciemment ou inconsciemment) les divers intervenants ou praticiens.
CB : Ce décloisonnement participerait-il à ce que nous discutions au début : « la visée libératrice » et pour les personnes
et pour le médiateur, en permettant de passer justement d’un espace à un autre : thérapeute – médiateur ; avocat – média teur…. ? N'y a-t-il pas aussi l'idée de les aider à prendre des risques ?
HL : Oui, le médiateur peut bousculer, mais….. tout dépend de ses formulations et de sa façon d’interpeller les personnes.
Je crois qu'il faut bien à un moment donné « mettre les pieds dans le plat ».
CB : J'entends là, le déséquilibre provoqué par les questions naïves du médiateur. Oui, nous mettons les pieds dans le plat
quand nous chahutons les codes implicites. Nous provoquons parfois, mais toujours en questionnant.
Dans le conflit, s'installe une routine, un leitmotiv que nous bousculons effectivement. Car il ne peut y avoir de remise en
mouvement sans rupture dans la manière de s'y prendre et de parler avec l'autre. Je crois bien que ce que les personnes
attendent de nous c'est que nous les aidions à provoquer du changement dans une relation qui s'est rigidifiée au fil des an nées et à travers le conflit.
Si le conflit est né, c'est qu'il y a probablement eu une certaine volonté, au moins d'une des personnes, de changer
quelque chose dans une situation qu'elle ne parvenait pas à faire bouger autrement. Cette volonté de changement, il nous
incombe de lui permettre de ré-émerger autrement et au-delà du conflit.
Je crois qu’il n’y a pas de confusion possible entre la médiation et la thérapie. Et si nous devions choisir un objectif, on
pourrait parler tout simplement d'objectif de changement.
Ensuite, selon sa manière de considérer la médiation familiale et en fonction des demandes des personnes, certains mé diateurs iraient surtout chercher un changement par le biais de la communication qui puisse permettre assez vite aux personnes de trouver un accord sur un litige à régler ; d'autres proposeraient d'aller au-delà et de chercher le changement
dans la relation entre les personnes, ce qui est plus ambitieux.
Il s'agit bien là d’introduire du jeu dans les rouages des interactions pour observer ce qui est advenu, au bout de quelques
mois ou d’années de conflit, d'une situation initiale suffisamment insatisfaisante pour que l'un des deux mettent en crise «
le système ». Mais poser le changement comme objectif ne nous dit en aucun cas comment l'identifier ou le qualifier et encore moins comment le mesurer. Mais c’est là une autre question, c'est celle de l'évaluation …
METHODOLOGIE
Nous avons expérimenté une méthode (certes, il y en a d’autres) d’échanges, d’approfondissements et de ré-écriture.
Claire Bonnelle avait écrit un texte sur les objectifs de la médiation (familiale). Il a intéressé Hélène Lesser qui lui a répondu par écrit
après avoir échangé par téléphone tant sur la forme que sur le fond.
Hélène a renvoyé par écrit à Claire la teneur de leurs échanges, ses remarques, ses observations, ses suggestions… ce qui a produit le
texte n° 44 intitulé « Sur les objectifs de la médiation ».
Puis, ultérieurement, après que le COREM ait décidé d’une possible publication des écrits produits depuis plus de deux ans, Claire B. a
sollicité Hélène sur ce même texte pour approfondir leurs réflexions croisées.
Elles se sont trouvées en phase sur le fond. La forme leur a convenues dans un premier temps et elles se sont proposé d’y revenir
lorsqu’elles auraient clarifié quelques points.
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Donc, par téléphone, Hélène questionna Claire B. sur deux de ses expressions :
« visée libératrice » et « transparence ».
S’est ainsi engagée entre elles une discussion sur le sens et son prolongement dans leurs pratiques respectives.
Elles ont ré-échangé par écrit et décidé de tout restituer sous la forme d’un dialogue pour stimuler l’esprit de controverse.
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A propos du dialogue - par Claudine LERMITTE
L'écrit de « Dialogue autour des objectifs de la médiation familiale », écrit par Claire et Hélène, m'a passionné et a provo qué en moi de multiples réflexions. Je vous les livre ici, tout simplement !
Tout d'abord, prenons le temps de s'attarder sur le terme d'objectif comme :
– le but à atteindre,
– le résultat que l'on se propose d'atteindre,
– ce qui permet et favorise la mise en action,
Se définir des objectifs permet donc d'envisager des résultats et alimente un espoir, celui d'atteindre un but pré-fixé. C'est
avoir déjà une idée du résultat escompté.
Ainsi, il me semble intéressant de penser l'objectif comme propre et différencié, c'est-à-dire l'objectif ne prenant sens que
par la personne qui le choisit et le porte.
De fait, en médiation familiale, il est possible d'évoquer des objectifs différents, divers et variés. Chacun de sa place a des
objectifs et il prévoit, attend quelque chose de particulier comme résultat de l'action de la médiation familiale.
Parlons donc alors de la multiplicité des objectifs en médiation familiale. Ainsi,
– Les financeurs ont des objectifs correspondants aux intentions émises pour le financement de l'action médiation familiale
en tant que mesure d'accompagnement à la parentalité.
Ces financeurs engagent donc de l'argent et vont chercher à justifier cet engagement en mesurant les résultats obtenus ;
– Les prescripteurs, tels que les juges aux affaires familiales ont aussi des objectifs particuliers lorsqu'ils ordonnent une
médiation familiale. Les objectifs seront particuliers et différents pour chaque couple, par exemple que la procédure d di vorce se finisse, que les enfants soient moins partie-prenant dans le conflit, que le père reprenne sa place;
– Les partenaires qui « envoient » les personnes s'adresser au service de médiation familiale portent -eux aussi- des objectifs et font des hypothèses sur le résultat escompté : Est-ce la bonne solution pour eux ? Les personnes, seront-elles
plus apaisées ? Auront-elles trouvé des solutions ?
– Les personnes elles-mêmes portent chacune leurs objectifs et attentes, avec plus ou moins de lucidité et de clairvoyance
dans ce qu'ils veulent et ce qu'ils en attendent. Mais il y a un espoir, une attente . Et, surtout ces personnes prennent le
risque de la rencontre, le risque d'être là, en médiation familiale.
Alors, plutôt que d'évoquer les objectifs de la médiation familiale, je préférerai parler de deux types d'objectifs en médiation
familiale :
– Les objectifs de ceux qui parlent de la médiation familiale, ceux qui la conseillent, la valorisent
et en font la « promotion »,
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– Les objectifs de ceux qui la vivent, les objectifs de chacune des personnes qui l'expérimente, et les objectifs de ceux qui
se rencontrent en médiation familiale.
L'objectif des personnes en médiation familiale devient propre, personnel, particulier, infiniment intime. Il doit permettre de
tendre vers un résultat ... Celui-ci est-il connu ? Ou plutôt supposé ? Il se modifie au fur et à mesure que le temps en mé diation familiale se prolonge.
Mais, moi, médiatrice familiale ?
Quel est donc mon objectif, ou mes objectifs ?
Claire et Héléne nous disent :
« ne pas avoir d'objectif pour ou la place des personnes »
« nous pouvons difficilement leur dire que nous ne savons pas où nous allons »
« ton objectif est de ne pas en avoir »
« mon ambition est de favoriser la pensée »
« pas d'objectif, mais l'intention comme fondement de la pensée »
Puis-je être sans objectif lorsque je suis là dans un espace de médiation, prenant le temps d'être avec des personnes, de
leur proposer un espace et de faire confiance à la parole partagée ? Je suis en relation à l'autre et je vais « agir » quelque
chose dans cette relation, dans cette rencontre à l'autre...
Aussi puis-je être sans objectif, sans perspective, et sans aucune attente ?
Pourtant j'interviens, je suis là et j'occupe l'espace de médiation familiale.
Je fais vivre la médiation familiale.
Alors, probablement, mon objectif principal est que le processus de médiation familiale existe et vive, que la démarche
s'enclenche , que quelque chose se joue et s'anime. Je crois en la médiation familiale et mon objectif alors est que la mé diation familiale soit.
Alors, je dois être à ma place, je dois tenir cette posture si particulière et si exigeante.
Moi, médiatrice familiale j'ai pour objectif premier d'être à ma place et de la tenir.
Quelle exigence je me pose là et quelle lourde tâche que de me tenir à cet objectif qui va m'occuper tout au long de la
séance que je mène !
Alors, tout en veillant aux personnes, je m'observe, je me questionne, je me surveille, je suis vigilante à moi-même pour
garder le contrôle de mes attitudes et de mes réponses dans un seul but : être soucieuse de ma posture de médiatrice fa miliale.
Alors pour satisfaire mon objectif, je vais être attentive à ma neutralité ! AH, une vraie difficulté de ne pas laisser envahir
l'espace par mes propres convictions, mes conceptions quant aux règles éducatives, mais aussi par mes propres peurs et
angoisses, certitudes ou incertitudes… l'objectif de tenir sa place est parfois bien difficile à tenir quand l neutralité est mise
à l'épreuve !
L'objectif que je me donne d'être vigilante dans ma posture de médiatrice familiale suppose aussi de garder mon indépendance... Comment proposer un espace de médiation « ouvert » lorsque le juge ordonne une médiation familiale pour évo quer l'organisation de la résidence alternée, ou comment décider l'arrêt d'une médiation familiale « envoyée » par des col lègues ?
Mon objectif est aussi de rester impartiale, et quel désarroi de mesurer parfois ne pas avoir réussi à tenir ce difficile équi libre .. et d'entendre Mr souligner combien il n'a pas été entendu alors que « Madame a eu tout loisir de parler de ce qu'elle
voulait »
Mais encore, il va me falloir être attentive à offrir un espace qui va appartenir aux personnes avec leurs objectifs, leurs attentes, leurs besoins. Il va me falloir être en mesure de les entendre, les écouter, vérifier sans cesse que je comprends
bien ce qu'ils veulent dire,... Je me dois d'être attentive à ce que personne ne puisse être atteint par des propos violents,
indécents, imprégnés de reproches ou encore portants atteinte,ou même les maintenant dans une posture de soumission.
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Je me préoccupe de faire vivre leur relation. De ma place, je dois permettre de fairedans l'interaction pour que cet espace
de parole soit habité dans le respect de ce qu'ils choisissent d'en faire.
Voilà bien mes objectifs en médiation familiale.
Il me semble qu'ils sont et font ce qui soutient mon intervention et légitime ma place dans cet espace.
Alors, à la fin des séances de médiation familiale, et au vu de l'objectif que je me suis fixé, j'en fais la mesure, je m'évalue,
je cherche à percevoir si j'ai gardé ma place , ce que cela a provoqué dans leur relation… Je suis sévère le plus souvent
par rapport à moi-même, en cherchant ce qui s'est agi dans les relations qui se sont tissées dans le temps de médiation, et
ce que cela a permis.
Et, je suis souvent très surprise que cet objectif de vigilance permanente permette de laisser la liberté aux personnes de
s’approprier, d'occuper et de faire de cet espace quelque chose qui leur est propre et qu'ils viennent occuper avec leurs
objectifs.
Au fil des rencontres de médiation familiale, je souligne combien chaque parcours -plus ou moins long-en médiation familiale est divers, varié, tellement personnel et particulier. qu'il me serait bien mal venue d'y imposer mes objectifs !
Et c'est dans le souci du respect de chacune des personnes rencontrées et dans la reconnaissance de leurs capacités à
être en relation que je m'interdis d'imposer des objectifs qui ne seraient que les miens.
Je suis au service de leur relation et c'est en ce sens que mon objectif principal est de me maintenir dans une place qui
leur permettre d'utiliser cet espace-temps que peut leur offrir la médiation familiale.
Le 1er Juin 2014
Claudine LERMITE
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Claire Denis
Texte réécrit après les remarques faites par Hélène
Désir de neutre
Nous sommes en 1989. Une dame sollicite notre association de médiation ; elle veut se séparer de son conjoint. Je lui pro pose de venir avec son mari et les reçois tous les deux dans une petite salle municipale d’un village de campagne.
Le mobilier est dépouillé : à peine trois chaises.
Je ne sais rien d'eux.
Je suis à la fois émue, car je débute mon métier de médiatrice et à la fois distanciée, car j'ai à tenir ma place. Je m'efforce
de faire le calme en moi, de me détendre.
Lors de ma formation au Canada (en 1987-1988), on m’a appris à utiliser des « outils » ( tableau, génogramme , « le petit
train » ; appeler les personnes par leurs prénoms ), mais ces outils m'encombrent, là, tant le moment me semble grave et
solennel. Le dépouillement des lieux et des propos me semble davantage convenir. La distance de l'interpellation par le
nom s'impose à moi.
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Alors je fais « confiance à la parole » et confiance à notre volonté commune d'être là.
Je me présente, situe l’association de médiation, pose un cadre de discussion. Je leur demande comment ils imaginent ce
temps de médiation et qu'est ce qu'ils en attendent. Ils disent qu’ils sont venus là car ils ne peuvent pas aborder certains
sujets sans crier et pleurer, sans se faire mal. Alors nous parlons un moment des conditions qui leur seraient nécessaires
pour pouvoir se parler comme ils le souhaitent.
Ils ont trois petites filles : de 6, 4 et 2 ans. Madame veut se séparer, monsieur n’est pas d’accord. Ils attendent que l'autre
entende leur point de vue et ils veulent en dé-battre.
Alors je les laisse parler, sans poser de question, sans pratiquement intervenir. Mais je suis très attentive ; je veille et suis
présente. Ce temps de médiation tourne autour du sens de la séparation. Je remarque qu'ils parlent sans crier ni pleurer,
ce qui m'évite de trop intervenir. Je reformule très sobrement et synthétisement quand nécessaire. J'interroge le sens des
mots employés.
Je ressens aussi un malaise : je pense aux petites filles ( j’ai moi-même de jeunes enfants). Je suis « hors sujet » dans
ma tête lorsque je pense aux enfants. Je m'en aperçois et cela me gêne.
Je n'aborde pas la question des enfants puisqu'elle ne semble pas se poser. J’arrive difficilement à entendre que la dame
est fermement décidée à quitter la maison et qu’elle laissera les enfants chez monsieur. Elle ne revendique pas de les
voir pour le moment. Monsieur n’est pas d’accord pour la séparation mais il dit qu’il va « s’occuper des filles ».
La séance prend fin ; ils veulent revenir et nous ne fixons pas de sujet pour la fois suivante.
Ils règlent la séance.
Au sortir de cette séance je ne suis pas bien du tout. Je n’arrive pas à retrouver le calme. J’appelle ma collègue médiatrice
pour lui en parler. Cela me désencombre un peu.
Quelques jours plus tard , nous avons un temps de supervision et je parle de cette médiation.
Est-ce si grave ce qui se passe entre ces personnes ? Pour les enfants ? Pour qui est ce grave ? L’homme semble avoir
les épaules larges, il est plutôt à l’écoute de sa femme et ne cherche pas à l’enfoncer, me fait remarquer le psychanalyste.
Alors, pourquoi suis-je ainsi troublée ?
La femme exprime clairement son projet.
Ils ont pu parler sans cris et sans larmes. C'est pour cela qu'ils sont venus, n'est ce pas ?
Au delà de ce que j'élabore dans ce moment de supervision, ce qui résonne chez moi et m'est désagréable. Je suis sen sible à ce que m'enseigne la clinique. Cette médiation porte davantage sur la question de la relation entre la femme et
l'homme, sur le couple qu'ils forment.
Je suis déstabilisée à cette époque (nous sommes en 1989, je le rappelle) car la question de l'« intérêt de l'enfant » posée
comme fondement à la médiation familiale, ne me semble plus d'évidence.
Je me laisse guider par ce qui me paraît essentiel : une rencontre entre ces deux personnes sur un thème qui est le leur, et
non le mien ou celui de ma toute nouvelle profession.
Lorsque vient le deuxième rendez-vous, j'ai ce même sentiment de solennité, et, en même temps, nous nous connaissons
déjà ; cela rend la parole plus aisée.
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Madame se dit très troublée. Elle craint de faire du mal à tous et propose de ne pas voir les enfants et de s’éloigner pour
se « retrouver » elle-même. Elle ne sait pas combien de temps cela va durer.
J'arrive à présent à l'entendre : j' ai trouvé comme une patience à écouter, à ne pas vouloir à tout prix chercher le sens car
il n’est pas encore là. J'ai le sentiment d'avoir neutralisé quelque chose en moi.
Monsieur s'est organisé pour les enfants : il « assume » !
Ces personnes reviendront six fois de façon très espacée puis une septième fois, deux ans après la première rencontre.
Ce lieu de médiation (les personnes se déplacent à présent au siège de l’association de médiation) deviendra comme un
rendez vous pour faire le point, parler de « là où chacun en est », distinguer ce que chacun reprend à son compte, et pen ser ce qui leur est encore en commun.
Progressivement, le sens émerge sur ce que vivent ces personnes. La dame a réalisé « un travail sur elle » ; le monsieur
s’est découvert « un peu autre, dit-il, du fait de cette expérience » .
La dernière fois que je les vois, chacun semble avoir retrouvé un équilibre et les enfants sont en résidence alternée chez
leurs parents.
Pourquoi vous relater cette médiation si ancienne ?
J'écris sur cette médiation pour ouvrir mon propos à la question de la neutralité. Il s'agit pour moi de montrer, à travers une
illustration, le « début » de parcours qui a pu être le mien depuis la formation au Canada jusqu'à ce jour. Ce cheminement
s'est effectué dans le sens d'une recherche de ce que je pourrai nommer la « neutralité » et il révèle les premiers pas que
la clinique m'a fait réaliser dans ce sens.
N' a-t-elle pas toujours raison, la clinique ?
L'expérience de médiation a modelé ma façon d'être médiatrice et de me représenter mon travail et sa raison d'être.
Dans le récit, je n'ai pas cherché à décrire le changement qui a pu se produire pour les personnes, car ceci n'est pas le
sujet que je souhaite traiter ici ; j'ai seulement noté quelques changements d' « états » qui ont confirmé ce que ces per sonnes sont venues chercher dans un lieu de médiation : un espace que je dirai contenant, non violent.
Cette quête des personnes m'a orientée vers une préoccupation permanente du cadre que je leur proposais, et par conséquence m'a éloignée du contenu même de la discussion. Ce mouvement m' a demandé de laisser de la place, de ne pas
encombrer l'espace, de me distancier « du fond », pour être davantage sur l'actualisation d'un cadre comme « conditions
nécessaires pour pouvoir se parler ».
« Confiance est faite à la parole »
Les années se sont écoulées et l'expérience clinique m'a amenée à cheminer vers toujours plus de sobriété dans l'exercice
de mon métier, à me distancier de ce dont les personnes parlent, dans la mesure où le contenu même de la médiation leur
appartient.
Pourrais-je parler ici du « désir de neutre » qui s'est dévoilé ? Pourrais-je penser ce mouvement « Tendu vers le neutre »
comme une suspension du jugement pour être plus disponible à l’écoute de bien des nuances de façons d'être, de senti ments, d’opinions, de valeurs. N'y a-t-il pas là une tentative, comme un « flottement du désir » « hors du vouloir saisir » ;
c’est-à-dire désirer sans que ce désir ait un objet précis.
« Le flottement » serait-il un ingrédient de la médiation ? Flottement du désir, écoute flottante, bois flottés, flux et reflux.
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Ce mot dirait-il le mouvement même de la médiation ? Il témoignerait des hésitations, du doute, de l'ambivalence, des os cillations qui marquent les transitions entre ce qui est connu et va être en partie quitté, et l'inconnu devant soi. Comment
pourrait-on s'orienter, décider sur le champ dans un tel moment ? N'y aurait-il pas là une recherche de plus de justesse,
comme dans le geste du joueur de billard décrit par Gaston Bachelard ? Penser ainsi porterait le lieu de médiation, davantage du côté de la réflexion, de la recherche de l'expression juste, de l'écoute plus fine, de la discussion, plutôt que du côté
de l'efficacité et du résultat. Ces flottements renverraient aussi à la question du temps (temps nécessaire, temps opportun,
temps de pose).
Ainsi en s' éloignant d'une « médiation-négociation », l'espace laissé permettrait le flottement, l'expression de l'ambiva lence et de la conflictualité interne des personnes.
Et pour cela, les médiateurs ont à proposer un cadre de sécurité
« Pour que cette expérience soit effective, il lui faut des conditions inséparablement éthiques et opératoires, ré-interrogées
en permanence dans la rencontre. Ce cadre éthique inclut les conditions à remplir pour tendre vers le projet de la non-vio lence.
Le médiateur s’oblige alors :
à la confidentialité
à l’indépendance
à la neutralité
à l’impartialité
Qu'en est-il du désir ? Il excède le strict besoin (de travailler et gagner sa vie? De vivre autrement ?) ; il est mouvement en
direction des autres et nous force à reconnaître ce qui nous manque :
« Parler ou écrire en terme de « désirs » plutôt que de « besoins », c’est reconnaître aux sujets,
par le manque, la capacité de parler, de désirer, de s’adresser à l’autre.
marqués
Ne pas parler en termes de besoins, c’est résister à une objectivation, identifiée de l’extérieur, qui nie la liberté
aliène la créativité du sujet ».
et
Et si nous pensons « La médiation comme une rencontre », désirer ensemble, pas quelque chose de précis, mais désirer
ensemble comme vivacité, force de vie, pourrait être le premier ensemencement de la rencontre. Et si les personnes
viennent à reculons en médiation, ils pourraient être dans cette « vitalité désespérée » qui les amène à prendre le risque
de rencontrer l'autre.
Pour en revenir au « Neutre », reconnaissons que ce mot est bien insaisissable... Alors je suis allée nourrir ma réflexion
à l'écoute des conférences de Roland Barthes au collège de France.
Mon écoute fut quelque peu flottante car je n'ai pas cherché à tout comprendre et je me suis laissée imprégner de la poésie du propos de Roland Barthe. J'ai simplement attendu les « bois flottés », les échos produits par les mots qui tournent
autour du neutre sans jamais le définir. Des mots du quotidien, éloignés du jargon professionnel.
J'ai donc laissé résonner /raisonner le terme de « bienveillance » coloré par Roland Barthe comme une « bienveillance à
la fois faite d’émois et de distance ». Une « bene volens » comme disposition favorable envers la personne reçue, sans fu sionner avec elle. Je retrouve la recherche de cet état de bonne distance qui se décline dans la pratique et la méthodolo gie mise en œuvre. A la fois je suis touchée par les personnes et peux le dire si cela ne les détourne pas de leurs préoc cupations, et, en même temps je recherche une distance. Je reviens à une autre forme d 'écart pris avec le modèle canadien qui proposait de nommer les personnes par leur prénom.
En raison de la recherche de bonne distance (qui prend en compte également la culture), j'ai choisi d'appeler les per sonnes par leur nom. La disposition bienveillante m'a aussi conduite à ne pas chercher à connaître la situation des per sonnes avant la réunion collective et m'a amenée à élaborer des éléments singuliers de cadre avec les personnes.
A chaque nouvelle expérience de médiation, j'ai eu et j'ai toujours, ce même sentiment de chercher à faire le vide :
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« que la socialité en moi se repose » dans une recherche de suspension des ordres, lois, violences, pressions, de la binarité vrai-faux, de l’efficacité, de l’expertise, de l’évaluation (C.Bonnelle). Comme pour mieux retrouver à chaque fois une
capacité d' « étonnement » ( J. Oury et M. Depuissé cités par Maité Lassime – texte 4) dans un temps de neutralisation
des tensions, de « dépouillement » (H. Lesser). ( neutre-non neutre)
A l'écoute de Roland Barthes, j'entends aussi du côté du neutre, une recherche de « délicatesse » dans le langage : un
langage où la nuance, l'ébauché peuvent se déployer, où l'ambivalence peut être dite et pensée. Nous pouvons aussi
trouver cette recherche de délicatesse dans les détours et les supports que nous pouvons créer dans le lieu même de médiation. Nous nous écartons là de la notion d'efficacité dans la pratique de médiation :
« Parler, se parler, permet de nommer ce qui sépare et relie les êtres : les mots essayés
font distance et
pause (médiation). La médiation suspend l’immédiateté. Dans cet espace, chacun peut exprimer ce qu’il a à dire, penser
ce qu’il s’entend dire, réfléchir à une action plutôt que de « réagir », « immédiatement ».
La délicatesse résonne/raisonne du côté de l'éthique de la pratique de médiation et du médiateur : « A chaque fois que,
dans mon plaisir, mon désir ou mon chagrin, je suis réduit par la parole de l’autre (souvent bien intentionné, innocent) à un
cas qui relève très normalement d’une explication ou d’une classification générale, je sens qu’il y a manquement au principe de délicatesse » dit R. Barthes.
Serait-il donc nécessaire au médiateur de veiller sans cesse à la violence de la réduction, de la généralité, pour rester dans
la délicatesse ?
Dans la médiation nous sommes dans les possibles échanges et aussi dans les potentielles « brûlures du langage » et «
blessures des mots ».
Pourrions-nous ne plus parler, ne plus écrire sans être tentés de dire « peut être » comme si toute chose était fragile et fu gace ?
Et si nous nous interrogions sur la forme de nos interventions ?
Si nous interrogions le recours aux questions car « Il y a toujours un terrorisme dans la question ; dans toute question est
impliqué un pouvoir ».
Est-il utile de questionner dans la médiation ? N'y a t -il pas là une intrusion contraire à la délicatesse, une curiosité de
notre part qui n'a pas toujours de sens pour celui à qui la question est adressée ?
Le reflet n'est-il pas plus délicat dans la mesure où il témoigne de notre regard subjectif qui laisse à l'autre la possibilité de
commenter notre propre perception ?
Faut-il reconnaître aux personnes le droit de ne pas répondre au médiateur, et à l’autre aussi ? Cela me conduit à penser
que le terme de demande (lien avec le journal 15 du COREM) ferait écho au principe de délicatesse car la demande est
adressée et elle appelle une réponse que l’autre est libre de donner.
L'adjectif qualificatif pourrait aussi être contraire à la délicatesse : il colle à un être : « l’homme alcoolique », « la femme
volage », « le père incapable », « la mère fusionnelle ». Il scelle la personne dans une image figée. Les adjectifs peuvent
enfermer, et pour me désaliéner, je m'appuie sur la conviction qu’une action posée, un trait de caractère saillant, ne disent
pas tout de la personne (« l'alcoolisme, la violence ne sont pas le tout de la personne » ). Cette conviction suffit-elle pour
se mettre à distance et retrouver de la neutralité (comme une écoute inconditionnelle de ce qui est humain) ?
Ici je pense au travail réalisé avec Olivier Bernard lors d'un stage au Caylar. Le linguiste nous proposait de nous arrêter sur
les mots, de jouer avec les mots, de créer des « mangroves de mots », de rechercher des nuances langagières. Effectivement, il y a, dans une médiation, des oscillations, des nuances à chercher pour mieux dire et « se mal – entendre de manière acceptable » ( comme l'écrit catherine Vourch). Ces moments là, dans le travail de médiation, seraient du « temps
vibré, comme dans les jeux de billard », utile dans la recherche d’une justesse et d’une cohérence.
(Expressions de Roland Barthes : le neutre, cours au collège de France 1977-1978)
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Courriel de réaction
de Maite à Claire Denis
Beau texte... avec toujours cette capacité de voir, d'entendre, d'être, dans l'après coup alors que dans le moment même de
la rencontre il est souvent difficile, voire indispensable d'y être perdu(e), de ne pas comprendre.
Ca me rappelle une anecdote vécue lors de ma 1ère année de mes études supérieures de philosophie.
J'avais un professeur, un vieux monsieur très adorable dont la vocation était vraiment d'enseigner, de transmettre, j'allais
dire d'aimer ses étudiants. Il enseignait le certificat de Psychologie générale. Au bout de 2 trimestres de lectures acharnées, de labeur incessant, de relecture de son cours, je ne comprenais toujours rien. A la fin d'un cours je suis allée le
trouver pour lui dire que j'allais arrêter mes études de philo, que je n'y comprenais rien et que ça ne servait à rien que je
continue. Et là, à ma grande surprise, il m'a dit : mais c'est formidable que vous ne compreniez rien ou du moins que vous
ayez cette sensation. C'est très intéressant. Poursuivez, vous allez être étonnée, un jour tout s'éclairera et là ce sera mer veilleux.
Malgré la folie de son propos, vu l'admiration que je lui vouais et pour ne pas risquer de le décevoir, j'ai continué jusqu'aux
examens et à la dissertation de Psycho Géné en juin. J'ai eu 18/20...
Tout cela reste encore très mystérieux, plus de 40 ans après...
Gardons confiance...
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La Médiation Familiale et les enjeux des familles séparées d’aujourd’hui
Contribution réalisée dans le cadre de la préparation de la loi Famille et transmise, fin 2013, au groupe de travail « médiation familiale et contrat de coparentalité » animé par Marc Juston.
Par Isabelle MOLARD, médiatrice familiale D.E à Castres (Tarn), formatrice et responsable pédagogique du Diplôme
d’Etat de Médiateur Familial à Toulouse, adhérente FENAMEF.
Que peut apporter la médiation familiale aux familles d’aujourd’hui ? Doit-on inciter fortement les familles qui se séparent
ou qui vivent des ruptures familiales à utiliser la médiation familiale pour résoudre les difficultés rencontrées ? Au nom de
quel intérêt (celui de l’enfant) ou de quelle morale (être de bons parents) serait-il nécessaire d’envoyer les parents devant
un médiateur familial ?
Et si toutes ces questions posaient le problème à l’envers ?
Médiatrice familiale D.E depuis 6 ans dans un service conventionné par la CAF, j’ai réalisé près de 250 médiations dont
30% de médiations judiciaires. Quelle expérience de la médiation puis-je transmettre ? Quelle représentation de la famille
ai-je aujourd’hui au travers de toutes ces familles côtoyées ? Quels axes de réflexion proposer pour développer la médiation ?
Une certitude, la médiation familiale n’est pas l’ultime mesure à proposer en désespoir de cause, lorsqu’il n’y a plus rien à
faire et que tout l’arsenal judiciaire civil et pénal a déjà été mis en place. Comment imaginer qu’un médiateur à lui tout seul
puisse d’un coup de baguette magique accueillir ces personnes survoltées, blessées comme si de rien n’était. Comment
imaginer qu’il puisse leur proposer (enfin ! mais peut-être trop tard) un espace pour se parler et déposer les armes. Souvent trop de choses ont été dites, écrites, trop de rapports d’experts, de plaintes, trop de gestes menaçants, trop de chan tage ou d’intimidation, d’attestations de tout genre qui ont usé la confiance et le respect mutuel au plus profond d 'euxmêmes. Refuser la médiation est de nouveau vu comme un excès de mauvaise volonté.
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La médiation familiale n’est pas uniquement une affaire de familles, c’est avant tout une affaire de personnes qui touchées
dans leur individualité et parfois leur altérité préféreraient rompre le lien à l’autre ; celui qui ne les aime plus, qui leur crie
dessus, qui est devenu un étranger, qui décide seul(e) de tout, qui les tient à distance. Dans notre société actuelle, le vivre
ensemble est devenu un choix, celui de notre conjoint, de nos amis, de ceux qui nous ressemblent, qui nous comprennent.
Mais aussi celui de notre famille quitte à nous défaire, devenus adultes, des liens conflictuels avec un père, une mère, des
grands-parents, des frères ou sœurs et parfois des enfants. Les « obligations familiales » qui maintenaient les liens familiaux perdurent dans l’affection réciproque, le devoir de transmission ou la dette et la loyauté envers les anciens. Aussi
lorsqu’un couple se sépare même si c’est le fait d’un seul, ce choix est forcément pour rompre le lien conjugal d’avant,
pour « refaire sa vie » sans ce lien ou vers un autre lien.
Ce constat permet de comprendre toute l’ambiguïté et le paradoxe qu’il y a pour une personne qui se sépare d’exercer sa
liberté de choisir les liens qu’elle va tisser dans sa sphère privée et en même temps d’avoir la quasi obligation de « rester
en lien » avec une autre personne qui aurait disparu de sa vie s’il n’y avait eu l’enfant. Cet enfant qui devient très souvent
le point d’achoppement avec l’autre et qu’on voudrait tout à soi. Quand on se sépare on peut partager bien des choses, toi
la cuisinière moi le réfrigérateur. Pourquoi est-ce si compliqué avec l’enfant ? Si je n’ai pas le micro-onde je pourrais en racheter un neuf, il ne va pas me manquer. Je pourrais reconstruire ma vie et petit à petit retrouver un équilibre avec un nouveau chez-moi, un nouveau compagnon, de nouveaux amis. Mais pour l’enfant ce ne sera pas pareil, forcément le temps
passé avec lui sera différent, je n’aurais pas non plus avec lui la même relation qu’avant. Il va me parler de moments avec
l’autre où je serai absent(e), de moments de sa vie que je n’aurais pas partagés. J’aimerai tellement l’éduquer à ma façon
sans avoir à me concerter avec un autre qui pourrait avoir des idées différentes et voudrait peut-être m’imposer sa volonté.
La tragédie - c’en est une de faire ce choix cornélien de se séparer pour revivre mais en même temps pour mourir un peu
dans son idéal de famille unie - conduit à tous les excès, à toutes les batailles, à tous les renoncements aussi. Parfois on
préfère renoncer à l’enfant, partir loin, pour oublier le passé, jusqu’à reconstruire une autre famille avec d’autres enfants.
La médiation familiale propose avant tout un espace où le temps s’arrête pour que les personnes puissent s’avouer cela,
puissent reconnaitre que ni la décision de séparation, ni les vécus séparés ne sont faciles à vivre, que la présence de
l’enfant manque cruellement.
Dans tous ces changements qui adviennent et auxquels elles doivent faire face, il serait préférable pour elles de passer ce
cap ensemble, une dernière fois, pour qu’elles puissent enfin se lâcher la main tout en gardant chacune la main de l’enfant
dans la leur.
Aborder la séparation des couples et les ruptures familiales uniquement sous l’angle de l’obligation à la coparentalité dans
l’intérêt de l’enfant ne fait que rajouter de la culpabilité, désigner le mauvais parent, déstabiliser les personnes dans un
contexte où elles sont déjà fragiles. Il ne faut pas croire qu’elles n’ont pas conscience de l’impact négatif de certains de
leurs choix personnels sur l’enfant. C’est souvent ce qui va retarder la décision de séparation et paradoxalement rajouter
des tensions et des conflits.
Proposer la médiation et non pas l’imposer comme un bienfait pour l’enfant, ce serait d’offrir cette pause qui permet de
mieux se comprendre, de retrouver l’élan pour avancer, de modifier un peu la perception que l’on a de l’autre à travers
toutes les intentions qu’on lui prête. Ce serait pour chacun de retrouver ses compétences pour continuer à accompagner
cet enfant dans une configuration nouvelle avec des règles adaptées au nouveau contexte et devenir des partenaires sans
être obligés de se fuir ou de se haïr.
Ce travail, beaucoup des personnes sont prêtes à le faire si chaque acteur qui les côtoie leur propose et leur explique ce
qu’elles ont à y gagner.
Aussi, plutôt que d’instaurer un dispositif compliqué avec des doubles convocations, des entretiens obligatoires, des injonctions de part et d’autres et parfois des menaces pour inciter les personnes à la médiation, le travail aujourd’hui à faire en
priorité est de propose une formation réelle aux professionnels du champ de la famille. Une formation suffisamment consé quente pour mieux appréhender la complexité de cette démarche et qui puisse être intégrée davantage dans les cursus de
formation initiale.
Que tout professionnel en contact avec les personnes concernées - avocat, magistrat, greffier, juriste des CDAD et des
maisons de justice, notaire, travailleur social, psychologue, médecin, association - sache trouver les mots pour présenter la
médiation familiale comme une opportunité à rester dans leur sphère privée (confidentialité, neutralité, indépendance et im partialité du médiateur) avec un tiers qui les aide à traverser le torrent qu’elles ont face à elles et qui s’appuie sur leurs
compétences de sujets et de parents. Mais aussi en respectant le choix de refuser la médiation parce qu’elle n’est pas possible, souhaitable, que la procédure judiciaire répond davantage à leurs besoins du moment.
En discutant avec des magistrats, des avocats et des travailleurs sociaux qui sont favorables à la médiation familiale, j’ai
constaté qu’ il n’est pas si facile pour eux de parler d’un autre métier qui n’a pas les mêmes objectifs ni le même cadre
d’intervention que le leur.
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Les convictions que l’on a et l’intérêt que l’on porte à la démarche vont se faire sentir dans les paroles que l’on prononce.
Souvent ils me demandent quelles sont les limites de la médiation, les situations les plus adaptées comme s’ils avaient be soin d’une check list leur permettant de dire aux personnes « c’est bon vous avez les bons critères pour aller en médiation ». Cela n’est pas si simple car c’est dans l’interaction entre les personnes et dans leur perception de ce qui est possible pour elles qu’elles vont se saisir ou non de l’espace de médiation. Elles ne le feront que si elles se sentent libres de
ne pas le faire. Aussi trop légiférer dans ce domaine, rajouter de la contrainte ou du contrôle vont mettre à mal la médiation
dans sa déontologie. Au médiateur aussi de construire des partenariats avec les autres professionnels pour être toujours là
pour répondre à leurs questionnements, pour respecter la place de chacun et articuler une cohérence avec eux qui sera indéniablement ressentie par les personnes.
Avant d’imaginer de développer d’autres dispositifs, il est urgent de donner au médiateur des conditions favorables à sa
pratique en répondant aujourd’hui aux besoins financiers et organisationnels des services de médiation conventionnés et
de revoir la grille nationale CNAF ( paiement des entretiens par les personnes en fonction des revenus) qui présente 2
aberrations : une discontinuité dans le passage des tranches (passage brutal entre 9 et 15 €, entre 23 et 32 €) et un pla fond excessif à 131 € alors qu’aucun autre professionnel en libéral (conseiller conjugal, psychologue, coach) ne propose ce
tarif si élevé, le ramener à 70 € serait plus judicieux. Les médiateurs ne sont pas à l’aise avec cette grille notamment pour
les personnes de la classe moyenne qui gagnent plus de 2200 € (début de tranche à 32 €) et qui refusent parfois la mé diation à cause de son coût sachant qu’elles paient par ailleurs des taxes et impôts, des honoraires d’avocats ou de no taires, parfois des pensions alimentaires, des remboursements de prêts...
Enfin, Il est étonnant pour un médiateur de constater à quel point les personnes ont si peu d’informations sur les effets de
la séparation ou du divorce ou sur l’autorité parentale et ceci dans tous les domaines : sur leurs droits et devoirs de citoyen
et de parent, sur les aspects financiers et notariés, sur les effets psychologiques de la séparation et du conflit sur eux et
leurs enfants, sur les démarches administratives, sur les soutiens existants. C’est finalement souvent le médiateur qui leur
donne les informations générales avant de les réorienter pour aller chercher les informations précises auprès des autres
professionnels (greffiers, avocats, notaires, psychologues, associations diverses, services des impôts, experts bancaires,
CPAM et CAF, conseil général,..).
Dans notre société férue de nouvelles technologies, Il serait judicieux de rassembler sur un même site internet interactif
dédié aux séparations et aux ruptures familiales les réponses à toutes leurs questions comme le fait à sa façon le site elle divorce.com (dommage qu’il n’ait été ciblé que pour les femmes) et de financer les professionnels qui mettraient à jour ré gulièrement ces informations.
On peut aussi retenir l’exemple « des séminaires de coparentalité » gratuits, organisés au Québec et rendus obligatoires
pour tous les parents qui se séparent avant la procédure judiciaire. Des informations leur sont données sur les lois de la famille, sur la particularité de la séparation, sur ce qu’est la coparentalité, sur les effets de la séparation pour eux et leurs en fants, sur la complexité des familles séparés et recomposées, sur la démarche de médiation familiale. Il faut cependant
rester vigilant à ce que ce ne soit pas fait dans un esprit moralisateur ni trop incitatif focalisé sur « l’intérêt de l’enfant » ou
avec un projet standardisé de « bons parents ».
En conclusion, ce que je demande toujours aux personnes qui viennent me rencontrer c’est de réfléchir à ce que la média tion pourrait leur apporter à elles, aujourd’hui, dans le contexte singulier et particulier dans lequel elles se trouvent et quel
serait alors l’intérêt d’y venir rencontrer l’autre. Bien sûr que si les choses s’apaisent, si des accords sont trouvés, si cha cun reprend sa place et son rôle, l’enfant sera dégagé des conflits de loyauté et pourra rester à sa place. Mais il est trop fa cile de confondre l’objectif avec les conséquences heureuses d’une médiation qui a réussi.
En espérant que ces quelques réflexions nourrissent le débat actuel sur les familles qui devra tenir compte de la complexité et de la diversité des familles d’aujourd’hui en respectant leurs libertés au regard de leurs droits et de leurs devoirs.
Castres, novembre 2013
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Qui sont les médiateurs ? par Céline De Clercq
Pouvons-nous penser la médiation familiale sans évoquer celui ou celle qui l’exerce ? Le médiateur familial,
sous toutes ses figures, interroge. « Qui sont les médiateurs, quels sont leurs parcours et leurs visions du
monde ? »1.
Claire Denis : Pour moi il n'est pas possible de penser la médiation sans « l'entre », « le milieu » dans la
mesure ou le sens du mot même est celui-là. Cette notion n'est pas obligatoirement présente dans les
termes de conciliation et négociation. Le médiateur peut être une chose, un art, la culture, ou une
personne qui s'entremet. S'il s'agit d'une personne, un médiateur, quelle légitimité aurait ce médiateur de
« s'entremettre » ainsi ?
C’était l’objet de la question posée en 2009, lors des rencontres automnales de l’Association Nationale des
Médiateurs. C’est encore une question en 2014. C’était ma question (Sujet de mémoire). Car à l’heure où
bien des débats se nourrissent du questionnement éthique, de choix de pratiques, de positionnements
« politiques », se tient, en toile de fond, un patchwork humain. Porteur de valeurs communes mais aussi
objet de regards croisés.
L’identité professionnelle est une des nombreuses facettes de l’identité sociale. Elle permet de se définir et
d’être défini au sein d’un groupe déterminé, où les membres se reconnaissent des caractéristiques
communes et se différencient des autres groupes. Elle permet également d’être identifié socialement par
autrui comme tel. Une identité professionnelle se construit donc d’une part sur la similitude de ses
membres, laquelle n’exclut pas les différences internes, et par différenciation à d’autres groupes d’individus
eux aussi singularisés par un métier ou une profession entendue comme telle.
Claire Denis : La légitimité des médiateurs tiendrait elle à leur état de professionnels, porteurs d'une
identité, qui, à la fois, les posent comme semblables et distincts ?
Convient-il de parler d'identité
professionnelle ou plutôt de penser notre place en terme de processus d'identification. Penser les choses
ainsi nous renverrait à chercher pourquoi nous revendiquons de nous mettre « entre ». nous pourrions
regarder du côté des identifications qui ont pu être les nôtres (regarder du côté des personnes qui
ont pu nous orienter et accompagner (inconsciemment
métier (nos parents, notre entourage
et consciemment) dans le choix
de
ce
familial, amical, professionnel, les personnes « admirées », nos
« formateurs »).
Deux raisons ont nourri ma réflexion. La première est liée à la « forme » utilisée, parfois, par le médiateur
familial pour décliner son identité professionnelle. La seconde est relative au rejet, parfois entendu, d’une
façon d’être médiateur familial parmi d’autres. Le mot « parfois » est important. Ce n’est en rien une
généralité, mais ce fut suffisant pour m’amener à ce questionnement.
Une question de forme ?
Il m’est arrivé de voir au cours d’entretiens d’information, le Médiateur Familial décliner son identité
professionnelle avec comme premiers mots « je ne suis ni un avocat, ni un thérapeute, ni un conseiller » ou
de préciser «
je ne donne pas de conseils, je ne soigne pas… ». Selon Alex Mucchielli2, l’identité
différentielle est un réflexe, une façon de se définir par ce qui nous « spécifie de tel ou tel autre partenaire
1 Question de Jacques Commaille, sociologue et directeur de recherche de l’ENS Cachan - Extrait du
COREM, article de Catherine Vourc’h Journal N°5 Novembre 2011
2 Sociologue Pages 89 et 91 (Mucchielli, 9ème édition 2013).
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social ». L’identité négative, concept d’Erik Erikson3, est quant à elle indissociable de l’identité positive. Elle
décrit le « contre-modèle » auquel l’individu ne veut pas être assimilé, qu’il doit apprendre à éviter…
Il demeure enfin cette double identité professionnelle, dont l’une serait indissociable de l’autre. Comme une
bouée de sauvetage parfois. Se lancer à corps perdu, sans filet, dans la médiation familiale, serait un
exercice périlleux, irresponsable. Conseil entendu de médiateurs familiaux, confrontés eux même à cette
réalité, pour ne pas dire désillusion. Recommandation reçue de mon conseiller Pôle emploi, peu enclin à me
voir me réorienter dans une « voie fermée ». Je me souviens lui avoir répondu que ce n’était pas, nuance,
encore ouvert.
Selon sa nature, cette dualité serait, par ailleurs, pointée du doigt lorsque l’attendue imperméabilité entre
les postures, fragilise le respect du cadre éthique de la médiation familiale.
Alors, est-ce le contexte exacerbé d’une confusion parfois effectuée entre le travail du médiateur familial et
celui d’un autre métier du dit champ familial, qui le pousse à revendiquer la singularité de sa posture
professionnelle, par opposition à ?
Est-ce le partage de cette identité professionnelle avec une autre exercée en parallèle, qui justifie ce besoin
de nier l’une pour mieux affirmer l’autre et rendre légitime une adéquation décriée avec la norme du
groupe ?
Est-ce la précarité de l’emploi et une difficile reconnaissance qui entravent une pleine incarnation de
l’identité du médiateur familial ?
Le médiateur familial ne peut-il se construire que dans la différenciation et la négation de ce qu’il n’est pas,
par rapport aux autres professions et dans l’ombre de ce qu’il est par ailleurs ?
Claire Denis : Les médiateurs exercent souvent deux métiers : leur métier d'origine et celui de
médiateur ; ils décrivent souvent « le quart de tour » qu'ils ont dû effectuer dans la formation pour
se départir « d'habitus », de « postures » liées à
des tensions entre sa
définition
leur premier métier. Le médiateur aurait-il à vivre
fonction de médiateur et la fidélité à sa culture professionnelle d'origine ? La
par la négative ne lui permettrait elle pas de se situer, de se convaincre
lui-
même de
la nécessité de choisir la place du médiateur ? La définition par la négative ne serait-elle pas une
recherche du neutre (ni, ni) ?
Une idée préconçue du Médiateur Familial ?
Enfin, entre similitudes et différences au sein des médiateurs familiaux, être médiateur familial, implique-t-il
d’être et ne pas être, de faire et ne pas faire ?
C’est ainsi que je traduis des mots si souvent entendus et parfois associés volontairement à des écarts au
cadre éthique, pourtant respecté.
Comment dissocier ce qui est légitime de ce qui ne l’est pas, pour soi ou pour le groupe, dès lors que les
« divergences » ne font pas l’objet de véritables exigences normatives, codifiées par le groupe des
médiateurs familiaux ?
3 Psychanalyste américain
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Probablement parce que nous sommes au cœur du phénomène sociologique décrit par le sociologue
Canadien Erving Goffman4 :
L’auteur présente l’identité sociale virtuelle comme étant celle que nous élaborons de manière
inconsciente, par opposition ou en adéquation avec l’identité sociale réelle de l’individu.
Il serait d’usage de disposer de « répertoires des rôles qui nous paraissent autorisés à un individu donné »
5
Nous lui attribuons une étiquette identitaire, propre aux caractéristiques (qualités par opposition au statut
social) que nous attendons de la catégorie à laquelle nous rattachons l’individu : la norme.
Cette perception se nourrit de notre imaginaire et de l’impression laissée par l’individu. Il s’agit donc d’une
identification inconsciente, construite sur la base d’une seule interaction entre deux individus.
Le jour où l’idée que nous nous faisons d’une identité sociale se trouve en dissonance avec la réalité, le
décalage ainsi créé est (re)considéré comme un élément normatif ou jugé disqualifiant (stigmate).
Le porteur de stigmate peut vouloir alors masquer ce qui n’est pas représentatif du groupe (contrôle de
l’accès à l’information), corriger son stigmate par compensation avec une qualité attendue, s’obstiner à
jouer son identité sociale en dépit du rejet ou créer un système normatif autonome...
Le mot stigmate paraît inapproprié, démesuré, or pour l’auteur il désigne « un attribut « qui jette un
discrédit profond, mais il faut bien voir qu’en réalité c’est en termes de relations et non d’attributs qu’il
convient de parler ».6 Le sociologue a
transposé sa théorie aux usages sociaux de l’identité
professionnelle.
Comme toute profession, le médiateur familial n’échappe pas au regard de « l’autre » et à l’identité sociale
virtuelle que « cet autre » se fait de lui. Comment ne pas faire le parallèle avec l’idée « stéréotypée » à tort
ou à raison du médiateur familial, professionnel du social ? Certains médiateurs familiaux s’en défendent,
d’autres pas.
Cette identité virtuelle ne s’est pourtant pas façonnée toute seule. Si l’identité professionnelle du médiateur
familial s’est construite dans un esprit de liberté, très « postmoderne », participant de la « dérégulation
ambiante 7», paradoxalement elle a cherché du soutien, tout en espérant s’affranchir de toutes entraves.
D’un métier pourtant riche d’une pluralité de parcours professionnels passés et présents, il apparaitrait
donc difficile de profiler une identité professionnelle commune à chacun de ses membres, unique,
dissociée de ce qui la soutient : du second métier exercé en parallèle quand c’est le cas, de l’Institution
sociale pour ses subventions ou de l’Institution judiciaire par l’attribution des médiations judiciaires.
Claire Denis : « qui sont les médiateurs familiaux ? » Répondre à cette question pourrait être de raconter
l'histoire collective du groupe qui revendique cette appellation. Une identité narrative. Cette notion
d'identité narrative pourrait aussi
s'appliquer à chaque médiateur, individuellement ; Le médiateur se
reconnaît, a un sentiment de consistance dans l'histoire qu'il se raconte lui-même sur lui-même; il peut
élaborer un récit qui donne du sens à
son choix professionnel (nous avons au Corem des textes de
cette teneur). Reste à articuler ces identités narratives collectives et individuelles.
4 Et 5 Erving Goffman - Stigmate, les usages sociaux des handicaps, Éditions de Minuit, coll. « Le Sens
Commun », 1975. Chapitres 1 et 2. page 8
5
6 Page 13 (Goffman, 1975 Edition 2012)
7 Jacques Faget sociologue (APMF, Février 2011) page 122
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Une identité professionnelle encore en construction ?
La médiation familiale se chercherait donc encore une identité ? La professionnalisation pourtant
rapidement « effectuée » entre autres par l’entrée dans le code civil de la médiation familiale, par la
création d’organisations représentatives, par la mise en place du diplôme d’Etat, ne serait finalement pas
aboutie ?
La professionnalisation serait ici celle définie par Jean-Marie Barbier 8 comme « le processus de naissance et
de structuration de groupes organisés, autonomes et défendant leurs intérêts, notamment en contrôlant
l’accès à la profession et à son exercice. »
Définir une identité professionnelle nécessiterait « un double travail, d’unification interne d’une part, de
reconnaissance externe d’autre part […] une communauté de pratiques, […] des similitudes d’accès au
métier […] des institutions de formation […] une culture du métier […] des organisations de défense et de
représentation »9
Or les règles du marché dont le Médiateur Familial ne peut nier l’existence, rendent difficile le
développement du métier et sa reconnaissance. Elles exacerbent la concurrence entre pairs et la polémique
sur les orientations du groupe. Elles fragilisent la cohésion par les disparités ainsi créées.
Ces propos font écho au fait que la Médiation Familiale divise sur l’idée de professionnalisation à laquelle
aspire ou aspirait une partie des Médiateurs.
La professionnalisation serait, pour la Médiatrice Claire Denis
une entrave à l’idée de liberté face à
l’importance de préserver une « indépendance de pensée, de parole, d’action »10. Dans l’acceptation
philosophique d’une Médiation porteuse de valeurs démocratiques, le Médiateur Familial devrait veiller à la
« séparation des pouvoirs et l’émergence possible de contre-pouvoirs ».
La médiatrice évoque notamment le danger de la « captation » du métier par un autre, au sens où par
exemple le Médiateur Familial serait issu exclusivement du métier d’avocat ou du social et qu’il se
revendiquerait « être tout à la fois »11.
Le Médiateur Familial ne pourrait donc pas être tout à la fois, mais n’en demeurerait pas moins pluriel,
source de richesse pour le métier, marche à franchir pour la profession…
L’objet n’est ici pas de débattre sur le fait de professionnaliser ou non le métier de Médiateur Familial. La
dynamique a déjà été mise en œuvre (formation diplômante, textes de loi…). L’enjeu de la
professionnalisation réside surtout dans la délimitation de ses frontières. Mais l’identité professionnelle du
Médiateur Familial ne saurait s’étudier en dehors de ce processus.
8 Jean-Marie Barbier professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) à Paris et directeur
du centre de recherche sur la formation. (Barbier, 2005)
9 Source internet / Jacques ION. Sociologue Le travail social à l’épreuve du territoire, Paris, Dunod, 1996, p.
91
10 Extrait du COREM, article de Claire Denis Journal N°5 Novembre 2011 Claire Denis
11 (Denis, Le Journal du COREM N°0, 2011)
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Car, quel que soit le vocable utilisé - métier, profession - chacun renvoie aux notions de regroupement au
travail, d’appartenance et d’identité professionnelles. Et, comme le présente Richard Wittorski 12, il est bien
question d’identité : « La professionnalisation à/de ces nouveaux métiers (ou métiers en recomposition)
représente souvent une tension entre militantisme et professionnalisme et répond parfois à des enjeux
d’image et donc d’identité pour les professionnels eux-mêmes. »
Partant de ces divers postulats, le dilemme des Médiateurs Familiaux serait de construire une identité
professionnelle, porteuse de valeurs communes à chacun, mais aussi respectueuse de ses singularités.
De là, distinguer ce qui relève de l’activité ou autres objets de professionnalisation (du groupe, des savoirs,
de la formation), de ce qui relève de l’individu, sans perdre l’idée des interactions ou oppositions entre
chaque.
Ce propos me conduit donc à m’interroger sur ce qui nourrit l’identité professionnelle du médiateur familial.
Une profession acquiert une identité sociale forte et reconnue grâce à « la mise en place d’une formation
spécifique fondée sur un corps systématique de théorie permettant l’acquisition d’une « culture
professionnelle ». « La création d’associations professionnelles qui définissent et contrôlent les règles de la
conduite professionnelle, encore qualifiées de « codes d’éthique » ou de « déontologie professionnelle » ;
13
L’éthique serait, dans cette définition, un fondement du métier et vecteur de la dynamique groupale car
venant d’horizons multiples, les médiateurs se rassemblent autour d’un seul et même cadre. L’éthique se
questionne et ne prend sens qu’en mouvement.
La pensée éthique, bastion du « corpus » des médiateurs familiaux, couramment rapportée à la pratique,
ne saurait donc s’amender d’un regard plus introspectif sur celui qui la porte.
Ces mots posent le sens que je souhaite apporter dans l’idée d’une imbrication entre ce qui construit
l’identité professionnelle – les valeurs partagées avec les pairs – et ce qui la soutient ou la
fragilise, c’est-à-dire l’identité personnelle. Le médiateur serait de fait seul face à sa pratique et n’aurait de
gardes fous que ceux de la réflexivité et de la connaissance de soi. La supervision, l’analyse des pratiques
abonderaient en ce sens.
Derrière l’affichage public des valeurs de la médiation familiale, se tient un être humain, porteur d’une
histoire avec laquelle il se forge sa conviction professionnelle. Celle de pouvoir apporter une pierre à
l’édifice de la médiation familiale. Celle d’avoir sa place au sein du groupe, d’être légitime et d’attendre une
reconnaissance comme telle.
Qui es-tu Médiateur ?
Comment dès lors s’interroger sur la construction identitaire du médiateur en faisant l’impasse sur les
raisons à l’origine de son choix professionnel, sur les valeurs, les motivations personnelles qui l’animent ?
12 Richard Wittorski, Professeur des Universités de Rouen, chercheur sur la thématique de la diversité des
voies de professionnalisation des individus, des activités et des organisations (dynamiques de
transformation individuelle et collective des personnes dans l’action). (Wittorski, 2007)
13 Extrait de la définition de 1933 des sociologues Carr-Saunders et Wilson / Cité dans l’ouvrage de Claude
Dubar « La socialisation » Page 128 (Dubar, 2013 - 4ème édition)
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Le métier de médiateur familial n’est-il pas inconsciemment le terrain expérimental de notre
questionnement existentiel, amorcé tout au long de notre parcours, qu’il soit personnel ou professionnel ?
Cela induirait, me semble-t-il que la médiation familiale implique une remise en question, un mouvement,
ne serait-ce que celui né de l’interaction entre notre éthique de médiateur et notre éthique personnelle…
Quoiqu’il en soit, nous ne naissons pas Médiateur familial, nous le devenons. Ce choix professionnel est-il le
fruit d’un hasard ou d’un questionnement ? La question est de comprendre pourquoi et en quoi le
cheminement personnel, professionnel qui nous y conduit, fait de nous le Médiateur/trice que nous sommes
ou que nous revendiquons être.
Les fondamentaux du métier, construits sur une approche profondément Ethique définissent la posture
professionnelle communément attendue.
Mais l’identité professionnelle du médiateur ne se limite pas à cette position. Elle demeure pour partie
énigmatique car elle naît aussi d’une approche personnelle du métier, souvent empirique, empruntée à un
parcours passé et présent de celui qui l’exerce. Le Médiateur Familial dessine par sa vision du monde, sa
façon d’être, sa singularité parmi ses pairs. Parce qu’en soi cette signature participe de près au processus
de Médiation Familiale, son questionnement peut être riche d’enseignement sur l’identité professionnelle
du Médiateur Familial.
L’identité ne saurait donc se réfléchir, selon moi, sans un détour par la trajectoire dans laquelle chaque
médiateur s’inscrit. C’est ici une vision au croisement de la sociologie et de la psychologie que je souhaite
approcher, avec toute la mesure nécessaire du néophyte que je demeure face à la complexité des concepts
autour de l’identité.
L’identité professionnelle du médiateur familial serait complexe car difficilement unifiable, eu égard à ses
pluralités. Elle ne saurait être immuable, car elle se réfléchirait comme figure émergente d’un processus
inachevé, sans cesse en mouvement.
Elle serait l’enjeu d’une construction à la fois sociale (commune, partagée par l’ensemble de ses pairs) et
pour partie individuelle car liée à la fois au contexte relationnel dans lequel le médiateur familial travaille,
en lien avec les composantes socio-politiques, son rapport au pouvoir (Institution), son statut, son degré de
conformisme ou d’autonomie par rapport à la norme de son environnement de travail.
L’identité professionnelle s’ancrerait donc dans le milieu où elle s’exerce. Mais elle serait aussi, par ailleurs,
une construction biographique, liée
à l’histoire de chaque Médiateur Familial, celle qu’il se raconte à
lui-même sur son parcours personnel et professionnel, entre déterminismes et distanciation, passé et
présent. Fruit de socialisations successives, cette histoire traduit sa représentation du monde, ses valeurs,
ses motivations, ses intérêts et les transpose au projet porté en médiation.
C’est ici une vision de l’identité professionnelle du Médiateur sous l’approche sociologique de Claude Dubar.
L’idée défendue est de ne plus voir d’opposition, de dualité entre l’identité professionnelle et l’identité
personnelle, mais plutôt une forme identitaire où il intègre la subjectivation au cœur de la socialisation.
La socialisation est entendue comme une construction identitaire au croisement de processus sociaux
divers (famille, scolaire, vie conjugale, vie professionnelle, politique, religieuse…) et de parcours individuels.
Le sociologue a particulièrement travaillé autour de l’idée de ne pas détacher l’identité personnelle de
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l’identité sociale. L’auteur préfère la corrélation à la division : il s’agit de penser le sujet avec son histoire,
sa subjectivité, son psychisme dans la sphère sociale où il se situe et désire être situé.
A la question « qui es-tu Médiateur? » deux réponses
Dans cette acceptation,
d’appartenance
l’identité professionnelle du Médiateur Familial serait ce que son groupe
lui assigne ou lui attribue. Cette vision est transposable au collectif de Médiateurs
Familiaux vu de plus haut par l’institution, la société, les autres professions (…).
Mais l’identité professionnelle du Médiateur Familial serait aussi une construction plus personnelle. Le
Médiateur Familial pourrait aussi avoir une identité professionnelle pour soi, née de
l’histoire qu’il se
raconte sur ce qu’il est, laquelle ne peut s’étudier en dehors de sa trajectoire sociale.
Par cette approche, Claude Dubar va au-delà de l’idée d’une opposition individu/société, pour ne garder
que celle d’une forme identitaire. Celle-ci serait issue d’une stratégie visant à concilier deux transactions
permanentes au sein de deux processus identitaires (biographique et relationnel).
La première transaction serait subjective. Entre ce que le Médiateur Familial est prêt à garder de l’identité
héritée de sa trajectoire biographique au sein des processus sociaux rencontrés (famille, scolarité,
premières expériences professionnelles, vie religieuse, politique, culturelle…) et l’identité professionnelle
de Médiateur Familial dans laquelle il se projette.
La seconde transaction dite « objective » serait celle
que le groupe professionnel attend du Médiateur
Familial et ce que lui-même considère comme légitime. Elle s’applique là aussi au niveau Groupe/Société.
L’identité professionnelle du Médiateur Familial
(Source Claude Dubar « La socialisation » / Illustration Céline De Clercq)
Le schéma ci-dessus vous présente la dualité de l’identité professionnelle, vue comme une forme identitaire
et le processus au sein duquel chaque identité s’inscrit.
Céline De Clercq (extraits du Mémoire présenté au DEMF)
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Compte rendu de médiation par Claire Denis
Je suis contactée par une mairie qui m'a déjà sollicitée une première fois.
La demande municipale est de donner la parole à des personnes travaillant dans les cantines scolaires et d'aborder avec
elles la conflictualité qui se joue depuis une dizaine d'années dans le service.
La mairie a fait le choix du biologique et les personnes qui travaillent en cantine ont été informées du surcroît de travail qui
résultera de ce choix : il s'agit de travailler des produits frais et locaux, des carottes tordues et terreuses, des pommes de
terre de tous calibres. Les personnes qui travaillent en cantine reconnaissent l'exigence d'un tel choix et en parlent avec
fierté.
Depuis dix ans, il y a des « déplacements » de personnel réguliers, des plaintes émanant en mairie et ciblant une personne
qui se montrerait, dans le service, particulièrement harcelante .
Je rencontre les personnes travaillant en cuisine, en restauration scolaire et entretien, une première fois avec l'élu chargé
de ces services et la directrice des ressources humaines. J'ai demandé que l'élu et la DRH explicitent le choix de la média tion. Leurs propos sont les suivants : « donner la parole aux personnes qui travaillent pour les enfants des écoles et les familles ; leur demander de régler par elles-même une conflictualité qui amène des plaintes chaque année et qui préoccupe
les élus ».
Puis je demande à chaque personne de s'exprimer : que connaissent-elles de la médiation ? souhaitent-elles qu'une mé diation soit organisée ? Qu'en attendent-elles ? Elles sont toutes « partantes » et voient la médiation comme une opportu nité « pour s'exprimer », « s'expliquer », « enfin se reparler », « arrêter les dégats ! », « dire ce qui va pas », « faire entendre à la mairie qu'il faut qu'elle intervienne quand ça va mal », « voir à qui c'est la faute ! », « s'arrêter un peu de courir »
; « comprendre », « travailler dans une meilleure ambiance », « arrêter les insultes ».
Je dis moi-même ce que j'entends par médiation et ce que je peux leur proposer.
L'étape suivante sera d'envoyer un courrier à toutes les personnes qui travaillent à la restauration scolaire pour préciser
les différents moments du dispositif : entretien individuel avec chaque personne afin de préparer la rencontre et préciser ce
qui est nécessaire à chacune pour pouvoir s'exprimer, écouter, débattre, et envisager de meilleures conditions de travail en
commun , puis réunion de tous (un après-midi).
Les entretiens individuels ont lieu : les personnes sont inquiètes ; elles craignent le règlement de comptes et en même
temps, elles aimeraient discuter ensemble pour améliorer l'ambiance de travail.
Je discute avec chacune de ce qui lui faudrait pour être à l'aise et de la manière dont elle pourrait dire ce qu'elle veut faire
entendre. Je précise que je ne peux pas être dépositaire d'informations qui ne pourraient être partagées (pour moi le cadre
des entretiens individuels est le même que celui de la réunion collective). A la sortie de ces entretiens, toutes les per sonnes disent « merci ».
Puis la réunion collective a lieu : je pose le cadre qui a été élaboré ensemble et je précise que plusieurs personnes ont in sisté sur le fait qu'il ne s'agissait pas d'un règlement de compte. Chacune prend la parole ; il y a une bonne écoute. Puis
un débat s'engage (une des personnes présente, qui m'a signalé être Algérienne, « d'une famille depuis longtemps dé vouée au service public », se pose comme « médiatrice bis ». Il y a un moment de tension entre une très jeune fille (non ti tulaire de son poste ) et une responsable de cuisine. La jeune fille ne se sent pas écoutée ; elle pleure, sort un moment
puis revient et demande à reprendre la discussion. Le sens de la conflictualité interprété par
les actrices de cette médiation porte sur les points suivants : « un flou dans les fonctions », « un mélange et un manque
de distance entre vie professionnelle et privée », « un décalage entre générations dans la conception de l'autorité », « un
manque d'autorité des responsables municipaux », « un côté brutal de la culture de la restauration privée, plaqué sur le
service public », « un accueil insuffisant lorsqu'on arrive dans le service », « une non reconnaissance de la qualité du tra vail », « du cancannage qui colle des étiquettes sur les personnes avant même qu'elles soient rencontrées », « des mo ments de déprime qui font monter dans les tours et péter les plombs : ça va jusqu'aux insultes ! ».
Puis les personnes émettent des idées pour « modifier le climat » et je résume les propositions faites en conclusion. Elles
feront l'objet d'un écrit qui sera signé par toutes et remis par un membre du groupe aux élus.
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Ecrit :
suite à une médiation,
Mesdames ..............................................................................................................................................
formulent des demandes et des propositions au conseil municipal de la Mairie …...... :
Elles demandent à voir clarifier les rôles et fonctions des membres de l'équipe, à travers, en particulier, l'écriture de profils
de poste précis. Elles souhaitent qu' un élu présente à l'ensemble de l'équipe de restauration scolaire la mission et la fonction du responsable de cuisine.
Elles demandent à bénéficier de réunions d'équipe et de temps de discussion qui puissent leur permettre d'effectuer des
mises au point nécessaires dans le travail.
Elles sollicitent l'intervention rapide d'une autorité municipale en cas de problème grave et demandent à voir préciser par
leurs supérieurs hiérarchiques quels problèmes sont à régler « en interne » et quels autres problèmes nécessitent l'intervention de la hiérarchie.
Elles demandent à être informées à l'avance des décisions qui seront prises pour leur service .
Elles proposent également aux élus de venir déjeuner de temps en temps à la cantine, afin qu'ils puissent appréhender
le travail des équipes de restauration scolaire .
Date ,
Signatures
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